Suite
de l'avis d'Edith
Et
puis la relecture des souliers rouges
de la duchesse : Laure Murat nous en signifie toute la vulgarité
des sentiments "spécifiquement liés à des
réflexes et des habitudes de classe", la duchesse néglige
Swann qui annonce sa mort et devant l'inconvenance tout juste remarquée
par son compagnon, d'avoir des souliers noirs avec une robe rouge et animée
d'un réflexe de classe, elle ignore la situation et prend le temps
de remonter changer ses souliers. Violence de la scène. "Associer
bonne éducation et inconcevable brutalité" p. 103
souligne L. Murat. Je suis d'accord. Je ne suis toutefois pas certaine
que cela ne soit qu'une attitude de l'aristocratie, mais ce passage alimente
la question des formes qui maintiennent les rôles et les places.
J'ai particulièrement aimé et ressenti la distance jamais
comblée de Laure Murat avec sa mère, allant jusqu'à
l'impossible retour au moment de la mort de sa mère.
L'homosexualité révélée à ses parents
par Laure Murat la jette du côté des filles perdues, dixit
sa mère. A 19 ans, elle quitte le domicile et quelques lignes fortes
dépeignent admirablement comment une fille non acceptée
rejetée dans ses choix peut lire, dans les gestes et attitudes
de sa mère, l'irréconciliable possibilité de dialogue.
Ce qui fut le cas. La lettre de sa mère p. 129 en est le témoignage.
Et puis la définition donnée par sa mère interrogée
sur l'éducation des enfants par ce mot : l'in-di-ffé-rence.
Cela en dit long du manque du vide des émotions véritable
et du corps touché.
Je me suis régalée de trouver des termes concernant sa mère
comme "surdité militante à tout ce qui touchait
l'ordre symbolique et social. L'hétérosexualité,
le mariage, la procréation (
) seul envisageables pour maintenir
un système de classe (de race) maintenir les avantages de l'aristocratie".
La suite
des chapitres tout aussi percutante dans le développement du silence
à maintenir, "l'injonction" au silence, "dire
: voilà la faute suprême", n'en sont que quelques
bribes. Je ne pense pas que cela ne soit que pour le milieu aristocratique,
mais je pense que le silence dans ce milieu est avant tout, non pas la
crainte de l'image envoyée, mais la préservation de l'appartenance
"n'exclut personne tant que les choses ne sont pas dites."
Réjouissance aussi de lire la démarche aux archives de Laure
Murat concernant les bordels de Paris début de siècle dernier
et d'ajuster à ses découverte les noms du Temps retrouvé
(pas encore lu pour ma part, qui sait ?) et des délicieuses remarques
de Céleste Albaret sa servante ! Laure Murat m'apprend la fascination
de Proust pour les relations maîtres, domestiques et prostituées.
Pour ma part je me souviens de l'étrange volupté interdite
à la lecture de D.W Laurence. Ainsi la littérature au secours
de l'ignorance, du non connu, il en est de même de Sade et de la
lecture interdite dans les bibliothèques municipales années
1960 (celle de Caen notamment où il fallait faire une fiche attestant
de sa majorité pour l'emprunt ! livre hors porté des rayons
! et je ne dis pas non plus en quoi d'autres livres furent l'éducation
de la sexualité. On est loin des pornos diffusés sur les
écrans ! La Littérature porteuse d'imaginaire. Je pourrais
le dire de cette façon-là).
Ce qui me permet de rapporter l'émotion - me semble-t-il de Laure
Murat - évoquant le surlignage de son père sur le texte
de Proust p. 183 et 184 et et qui se termine par "ce que nous
n'avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par
notre effort personnel, ce qui qui était clair avant nous, n'est
pas à nous. Ne vient de nous même que ce que nous tirons
de l'obscurité, qui est en nous et que ne connaissent pas les autres."
Une accession à une autre vérité sur soi ? Force
de la littérature je l'affirme.
Je comprends cette remarque plus haut, comme le désarroi de celui
qui veut faire uvre d'écriture (son père grand lecteur
?) Laure Murat ayant commencé son essai par la place qu'occupe
l'uvre de Proust dans sa propre définition de sa place dans
la généalogie familiale, place qu'elle affirme et démontre
plus réelle et explicite à partir des récits de Proust
et de ses observations. La société, celle de ses aïeux
donc la sienne la définissant mieux et plus réellement que
celle occupée dans le récit de la réalité
de son origine.
Un essai que j'ai savouré, relu, et où j'ai sans doute un
peu dévié, mais n'est-ce pas le message que j'ai entendu
à savoir que la littérature peut modifier sinon éclairer
une vie
ou la diriger autrement ?
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Proust, un roman familial de Laure Murat
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