La
présence de Vladimir Nabokov atteste de l'importance de l'écrivain
russe dans l'univers de W.G. Sebald :
DR HENRY SELWYN (Il s'agit de la reproduction d'une photo appartenant à la famille et qui prise par le fils de Nabokov, Dimitri, en août 1971 non loin de Gstaad en Suisse. Or le temps raconté à Prior's Gate dans Les Émigrants se déroule entre septembre 1970 et mai 1971, remarque Christine Savaton, dans sa thèse.) PAUL BEREYTER "Cette confidence fut suivie d'un long silence, que Mme Landau interrompit pour ajouter qu'elle était assise sur un banc de la promenade des Cordeliers à lire l'autobiographie de Nabokov quand Paul, après être déjà passé deux fois devant elle, l'avait abordée avec une politesse frisant l'extravagance pour lui parler de sa lecture et partant de là, l'avait entretenue durant tout l'après-midi et aussi dans les semaines qui suivirent en un français quelque peu suranné mais absolument correct." 56 AMBROS ADELWARTH "Ce qui est sûr en revanche, c'est que quelques jours après avoir définitivement quitté son pays natal, Ambros, à quatorze ans tout au plus, sans doute grâce au charme et au calme qui émanaient de sa personne, a été pris au service d'étage comme apprenti garçon du Grand Hôtel Éden à Montreux. Il me semble en tout cas que c'était l'Éden, dit tante Fini, car dans un album de cartes postales laissé par l'oncle Adelwarth, on peut voir sur l'un des tout premiers feuillets cet hôtel de renommée internationale avec ses stores baissés sur la façade éclairée par le soleil de l'après-midi."(p. 93)
MAX FERBER "Ce monde à la fois proche et repoussé à une distance inaccessible, dit Ferber, l'avait attiré avec une telle force qu'il avait craint de devoir s'y précipiter, et l'aurait sans doute fait si, tout à coup - like someone who's popped out of the bloody ground -, ne s'était trouvé devant lui un homme d'une soixantaine d'années tenant un grand filet à papillons de gaze blanche et qui, dans un anglais aussi élégant qu'en définitive impossible à identifier, l'avait prévenu qu'il était temps de songer à redescendre si l'on voulait encore arriver à Montreux pour le dîner. En revanche, Ferber dit ne pas se rappeler s'il avait effectué la descente en compagnie de l'homme au filet à papillons. Le retour du Grammont s'était complètement effacé de sa mémoire, de même que les derniers jours passés au Palace et le retour en Angleterre. La raison exacte et l'ampleur de cette tache d'amnésie étaient restées une énigme, malgré les intenses efforts qu'il avait prodigués pour essayer de se souvenir. Quand il tentait de se transporter à l'époque en question, Ferber se revoyait dans son atelier, attelé pendant près d'un an, quelques brèves interruptions mises à part, à la difficile réalisation du Man with a Butterfly Net, portrait sans visage qu'il considérait comme l'une de ses uvres parmi les plus ratées, étant donné qu'à son avis il n'existait aucun point de repère, fut-il approximatif, pour rendre compte de l'étrangeté de la vision à la base de son tableau." (p. 205) "C'est de nouveau une magnifique journée d'été. Je marche devant avec Fritz, Laura, très sceptique à l'égard de Fritz, suit avec l'altiste Hansen de Hambourg. Naturellement, je ne me souviens plus aujourd'hui de tout ce dont nous avons pu parler. Mais je me rappelle encore que les champs de part et d'autre du sentier étaient en fleurs, que j'étais heureuse et aussi, étrangement, qu'en lisière de la commune, là où se trouve le panneau Vers Bodenlaube, deux messieurs russes très distingués nous rattrapèrent, dont l'un, d'allure particulièrement majestueuse, était en train de faire une remontrance à un petit garçon de peut-être dix ans qui, trop occupé à chasser les papillons, s'était attardé au point qu'on avait dû l'attendre. La leçon n'avait guère eu l'effet escompté car en nous retournant un peu plus tard, nous vîmes le garçon courir loin dans la prairie en brandissant son filet. Hansen affirma avoir reconnu dans le plus âgé des deux messieurs distingués le président du premier Parlement russe, Muromzev, en villégiature à Kissingen." (p. 250) "Fritz, au milieu de l'évocation délicate de notre excursion commune à Bodenlaube, s'interrompit soudainement pour me demander si je ne voulais pas devenir sa femme. Je ne sus que répondre et me contentai de hocher la tête, et bien que tout se brouillât autour de moi, je vis néanmoins avec la plus grande netteté, sautant avec son filet à papillons dans la prairie, le petit garçon russe que j'avais depuis bien longtemps oublié, de retour en messager du bonheur de cette journée d'été, qui maintenant allait laisser échapper sans tarder de sa collection les plus beaux apollons, vanesses, sphinx et machaons, en signe de ma libération définitive." (p. 251) ELEANOR
WACHTEL : Il y a, dans Les Émigrants, des
allusions à un homme qui tient un filet à papillons, le
garçon au filet à papillons, Nabokov en personne. Pourquoi
cette présence qui vient hanter le livre ? Entretien avec Eleanor Wachtel, Chasseur de fantômes, LArchéologue de la mémoire : conversations avec W.G. Sebald, trad. par Delphine Chartier et Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2009, p. 54-55. => Retour à la page Sebald |