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Les Émigrants : quatre récits illustrés, roman (Die Ausgewanderten, 1992), trad. Patrick Charbonneau, Actes Sud, 1999 ; Babel, 2001 ; Folio, 2003
Les Émigrants
, Actes Sud, 1999, 288 p.

Que la parution des Émigrants de W.G. Sebald ait suscité en Allemagne, aux Etats-Unis et en Angleterre une grande émotion, tient certes à la qualité des critiques ou des écrivains (Susan Sontag, Paul Auster, Arthur Miller…) qui ont désigné ce livre comme une œuvre d’exception. Mais cet accueil, Sebald le doit surtout au si prégnant lyrisme mélancolique avec lequel il se remémore — et inscrit dans nos mémoires — la trajectoire de quatre personnages de sa connaissance, que l’expatriation (ils sont pour la plupart juifs d’origine allemande ou lituanienne) aura conduits — silencieux, déracinés, fantomatiques — jusqu’au désespoir et à la mort. Mêlant l’investigation et la réminiscence, collationnant les documents (photos, journaux) et les témoignages, Sebald effleure les souvenirs avec une empathie de romancier, une patience d’archiviste, une minutie de paysagiste, pour y redécouvrir le germe du présent. À la lisière des faits et de la fiction, la fraternelle écriture de Sebald est bel et bien celle du temps retrouvé, une reconquête de ce passé-présent où s’énonçait, il y a peu, notre lancinante histoire commune. "Un monde a disparu, note Susan Sontag à propos de ce livre. Tout le monde le sait, même si nous ne nous soucions guère de regarder en face toutes les conséquences de cette disparition, de la destruction de tant de mondes, à commencer par la maison Europe. Le livre de Sebald sur ceux qui ont perdu leur monde — serein, élégant, déchirant, exaltant par la sensualité de ses descriptions — constitue le récit définitif et métaphorique de notre condition de sans-abri." Feuilletez ›ici


Les Émigrants, Babel, 288 p.

Quatrième de couverture : Avec un prégnant lyrisme teinté de mélancolie, Sebald se remémore — et inscrit dans nos mémoires — la trajectoire de quatre personnages de sa connaissance que l’expatriation (ils sont pour la plupart juifs d’origine allemande ou lituanienne) aura conduits — silencieux, déracinés, fantomatiques — jusqu’au désespoir et à la mort.

Mêlant investigation et réminiscence, Sebald effleure les souvenirs avec une empathie de romancier, une patience d’archiviste, une minutie de paysagiste, pour y découvrir le germe du présent. À la lisière des faits et de la littérature, son écriture est celle du temps retrouvé.

Les Émigrants, Folio, 320 p. 77 ill.

Quatrième de couverture : "Je vois les pièces vidées. Je me vois assis tout au sommet de la carriole, je vois la croupe du cheval, la vaste étendue de terre brune, les oies dans la gadoue des basses-cours et leurs cous tendus, et aussi la salle d'attente de la gare de Grodno avec, au beau milieu, le poêle surchauffé entouré d'une grille et les familles d'émigrants regroupées tout autour. Je vois les fils du télégraphe montant et descendant devant les fenêtres du train, je vois les alignements des maisons de Riga, le bateau dans le port et le recoin sombre du pont où, autant que l'entassement le permettait, nous avions installé notre campement familial."
Entre le document, l'enquête ou la fiction, le narrateur, double de l'écrivain, fait sortir de l'ombre des personnages dont la vie a été brisée par les douleurs de la séparation, la mort, le mal du pays. Ce récit de pérégrinations aux quatre coins de la terre apparaît comme le livre de ceux qui ont perdu leur monde, mais aussi le livre du temps retrouvé.

W. G. Sebald (1944-2001)
Les Émigrants (1992)

Nous avons lu ce livre pour le 26 janvier 2024, le nouveau groupe le 12 et le groupe breton l'a lu en mars : soit 31 lecteurs dont les avis figurent ci-dessous.

Nous avions lu Austerlitz en 2010.

Des infos autour du livre en bas de page : Repères biographiques et littérairesLivres L'éditrice et le traducteur Sebald à la scène Radio Films Sur Sebald Sur Les Émigrants

Nous avons pu voir :
- adapté au théâtre :
Les Émigrants, mise en scène par Krystian Lupa, au théâtre de l'Odéon, du 13 janvier au 4 février 2024
- et également Austerlitz inspirant la chorégraphe Gaëlle Bourges, au Théâtre de Montreuil du 18 au 31 janvier 2024.

Nos 14 cotes d'amour du 26 janvier
Annick LCatherineJacquelineMonique LRozenn
Entreet DanièleEtienne
Claire Renée
Brigitte Françoise
Fanny JérémySabine

Anne, une internaute qui nous suit fidèlement
Mais qu'a-t-il de particulier, ce M. Sebald, pour lui consacrer une énorme documentation. Je n'en ai jamais entendu parler et des personnes cultivées de mon entourage non plus. Alors ?

Claire
Raison de plus !...

Anne
Intriguée par la très copieuse documentation que vous avez rassemblée pour Les Émigrants, j'ai pensé que W.G Sebald devait être un génie méconnu. Donc j'ai emprunté ce livre à la médiathèque.
Las… quel ennui, je n'ai pas pu continuer au-delà du troisième récit.
Je ne connais pas la langue allemande et assez peu l'anglais, or ce livre est truffé de noms propres de lieux, de personnes ; peut-être à cause de cela, je n'ai éprouvé aucun intérêt, aucune émotion vis-à-vis de tous ces personnages et de leur vie.
J'attends donc vos réactions qui me feront peut-être relire ce livre avec plus d'intérêt.
Françoise(par sms pressé)
Je n'ai pas complètement lu le livre ; au quatrième récit, je me suis lassée. Le processus a ses limites, je n'ai pas eu l'éblouissement de Austerlitz.
Sabine
(par sms au cinéma...)
Pouf, Pouf ! Pas emballée par les deux premiers récits. Syntaxe chiante. Un petit
quart.
Annick L

J'avais lu, après le groupe, Austerlitz, du même auteur, mais ce livre m'avait laissée désorientée… par sa construction, par le jeu de correspondances texte-photos, par le fil conducteur du récit dont le sens m'échappait. Sans doute étais-je mieux préparée à lire celui-ci, qui m'a beaucoup touchée et dont la cohérence m'a tout de suite frappée : quatre "récits" étoffés de témoignages - ce genre de livre est difficile à classer dans un genre littéraire donné - qui font ressurgir la figure de personnes d'origine juive, quatre émigrants qui ont fui l'Allemagne pour construire leur vie d'adultes ailleurs, mais que leur passé traumatisant a rattrapés… sur le tard. Je me suis intéressée à ces histoires singulières, à cette quête par le narrateur de témoins, directs ou indirects, de documents (albums photos, échange de correspondance, journal de bord…) qui forment une trame distendue (il reste des trous dans la toile), mais néanmoins évocatrice. On voyage aussi dans l'histoire de l'Allemagne, des années 1910 chez des familles qui vivent de façon misérable, jusqu'aux années tragiques de montée du nazisme. Et on accompagne ces migrants durant leur voyage et à leur arrivée dans des villes inconnues (New-York, Manchester) à travers quelques très belles pages. Je me souviendrai tout particulièrement du personnage du grand-oncle, Ambros Adelwarth, qui a mené une vie extraordinaire aux côtés d'Ambros, son "maître", amant, compagnon de voyage ; mais aussi de ce peintre, grand obsessionnel, qui repeint, gratte, et détruit ses portraits, au fur et à mesure, avant de trouver une forme satisfaisante. Le personnage de l'instituteur est, lui aussi très attachant. L'entreprise de Sebald visant à faire revivre ces fantômes du passé est à la fois très originale et parfaitement menée. Quel talent !
Mais il pèse sur ce livre, et sur le lecteur, une chape de plomb dont il est difficile d'émerger : mal du pays, sentiment d'être un étranger ici et ailleurs, mélancolie - voire souffrance psychique grave -, séances d'électro-chocs… et pour finir… suicide.
J'ouvre en grand.
Danièle
entreet
J'ai été très émue par la lecture de ce livre, qui m'a semblé très riche. J'ai trouvé que ces histoires, où les vies sont évoquées au hasard des confidences en pointillé des uns et des autres, sont relatées avec beaucoup de pudeur. Tout est allusion. Aucune plainte de la part de ceux qui souffrent, moralement ou physiquement, seulement comme trace un repli sur soi (Dr Henry Selwyn, Paul Bereyter) ou une fuite en avant (Ambros), et pour chacun ou presque, une fin de vie qui s'amenuise jusqu'au suicide.
Dans chacune des histoires, le narrateur se sent moralement obligé de mener une enquête sur un personnage (longtemps après sa mort), enquête tardive rendue difficile tout simplement par la discrétion de l'être disparu. C'est l'envie de mieux le connaître, à l'occasion d'une photo ou d'un récit, qui pousse le narrateur à mener ces enquêtes. On apprend peu à peu, presque incidemment, que l'histoire de chacun d'entre eux a été marqué, en tant que Juif, par son exclusion du pays natal - un traumatisme que les exilés gardent longtemps enfoui en eux-mêmes, sauf à l'occasion d'un souvenir, en fin de vie, qui engendre une sorte de confession tardive sur le traumatisme subi. Certains ont changé leur patronyme au cours de leur vie pour échapper à la persécution ou à la haine que provoque leur origine juive. En cela ils espéraient aussi changer de vie.
L'auteur - et par lui les différents narrateurs - avance par digressions qui étonnent et semblent nous éloigner du personnage principal, mais c'est en fait une manière de progresser en spirale, en s'attachant humainement à toutes les personnes qui peuvent lui fournir des indices. Si bien que le personnage central apparaît sous de multiples facettes, apparemment insignifiantes, qui se dévoilent peu à peu. Pour exemple, dans l'histoire de l'instituteur, "Paul Bereyter", le terme d'exil n'apparaît qu'à la fin, dans la bouche de Mme Landau. Le narrateur ne comprend qu'après coup les résurgences de la grande souffrance de Paul, matérialisée entre autres par l'obsession des chemins de fer, qui évoquent pour lui les longues pérégrinations qui l'ont conduit à cet exil, et qui font partie des raisons qui l'ont finalement poussé à se suicider.
Ces histoires ont paru lentes et ennuyeuses à certains. Pour ma part, je me suis glissée dans les magnifiques descriptions comme si j'y étais. Un vrai plaisir et beaucoup d'émotion. J'y ai trouvé une grande sensibilité, sans lyrisme, mais simplement une grande présence au monde.
Dans tous les cas, une grande attention à la nature, vers laquelle ils se retournent en fin de vie, que ce soit le jardin qui devient un paradis retrouvé dont on peut partager les fruits (Selwyn), ou la connaissance exacte des essences d'arbres, des fleurs, des buissons qui nous plonge dans un univers comme familier.
Ou les paysages lors des périples dans le monde. J'ai aussi été émue par la description des villes (dans l'histoire d'Ambros Adelwarth : Deauville, Constantinople…), un peu à la Modiano, qui engendrent une atmosphère d'intimité et ce, un peu partout dans le monde.
On a d'ailleurs l'impression, justement parce que ce sont des apatrides, qu'ils ont décidé d'être citoyens du monde : Europe, États-Unis… Ils déménagent naturellement en Europe ou aux États-Unis. L'exil les tient soudés malgré l'éloignement géographique. L'exil de centaine de milliers de Juifs par an aux États-Unis, dans des conditions plus que précaires, s'explique entre autres par la possibilité de recourir au soutien familial de ceux déjà en place.
Dans l'histoire d'Ambros, qui lui aussi se suicide d'une certaine manière, s'ajoute une sorte de voyage dans le monde sans recherche précise, plutôt comme une fuite devant ses tourments intérieurs. Mais ce voyage culmine dans le retour vers Jérusalem (la terre de Palestine et d'Israël, en passant par le Liban, terres aujourd'hui en effervescence.) C'est une déception par rapport à la vision qu'Ambros a en tête, paysage verdoyant et accueillant. Là, tout est saleté et destruction par rapport à l'ancien monde.
Cette évocation, (l'allusion à la prise de Jérusalem par Pompée en 63 av. J.-C.), ainsi que l'évocation tout au long de ces histoires des traumatismes dus à la diaspora, m'ont apporté un éclairage de plus sur l'histoire des Juifs, que nous réduisons parfois à la Shoah.
Je sors donc enthousiaste de cette lecture, et ne comprends toujours pas pourquoi je n'ai pas pu/voulu lire la dernière histoire. Peur de trop d'émotions ? Ou de répétitions ?
Quelques mots sur la traduction, puisque j'ai pu lire les deux versions. Magnifique traduction, fluide et limpide tout en respectant le texte. Le passage d'une langue à l'autre ne se fait pas sentir, et le plaisir de lecture en français reste intact. Les descriptions et les constructions de phrase sont légères par rapport à l'allemand, mais sans aucune trahison elles permettent de trouver du plaisir à la lecture. Les régionalismes sont moins visibles qu'en allemand (pour exemple, Eichkatze au lieu de Eichhörnchen pour l'écureuil !) mais il serait difficile d'apporter cette nuance de détail dans la traduction. Les exergues, rédigées en allemand dans une langue elliptique, sont également poétiquement bien rendues. On sent le travail d'équipe entre l'auteur et le traducteur !
J'ouvre donc entre ¾ et grand ouvert.
Brigitte(à l'écran)
J'avais lu, avec le groupe
Austerlitz, que j'avais vraiment apprécié. Je suis beaucoup plus réservée sur Les Émigrants. Bien que le sujet soit très intéressant, que l'écriture soit pleine de qualités - lecture facile, très belles trouvailles -, j'ai peiné à fixer mon attention suffisamment et j'ai dû lutter contre le découragement pour aller jusqu'au bout de cette lecture.
En effet, il n'est pas possible de lire tout sans interruption. Et, à chaque fois, je ne réussissais pas à reprendre le fil de ma lecture. Le texte n'est pas suffisamment aéré, on passe d'une étape à l'autre sans aucune rupture. Les photos ne sont jamais légendées, elles ne sont ni bien cadrées, ni nettes. Il faut chercher dans le fil du texte pour les interpréter. Tout à coup le narrateur passe à l'anglais ou parfois à l'allemand, sans que le lecteur s'y attende.
Il y a cependant plusieurs passages très réussis :
(J')"appris l'anglais comme en rêve."
(p. 29)
"On aurait juré qu'il ne tenait plus debout que grâce à ses vêtements."
(p. 106)
(Sur le State Highway 17) "Je me retrouvai pendant une bonne demi-heure en compagnie d'une famille noire dont les membres, par divers signes et sourires répétée, me donnèrent à comprendre qu'ils m'avaient déjà adopté comme une sorte d'ami de la maison, et lorsque dans le grande boucle de la sortie pour Hurleyville ils se séparèrent de moi - les enfants me firent un numéro de guignol derrière la vitre arrière -, je me sentis réellement pendant quelques minutes, un peu seul et abandonné."
(p. 124-125)
J'ai aussi beaucoup aimé les descriptions de Deauville et Trouville, ainsi que celle du séjour à Jérusalem.
Je suis finalement parvenue à la conclusion que l'auteur a pour objectif de montrer comment il est possible de transformer en un récit banal la description d'actes monstrueux (la Shoah), et que ce choix est à l'origine des profondes souffrances et du désarroi des générations qui leur succèdent. C'est un projet magnifique, mais un peu trop ardu pour le lecteur.
Donc, j'ouvre seulement à moitié.
Fanny

J'ai calé.
J'étais très enthousiaste pour ce qui est de la thématique.
En vous entendant, j'ai l'impression d'être passée à côté du livre.
Le texte a été pour moi un bloc, un monolithe.
Lu d'abord le premier récit et je n'ai rien retenu. Davantage celui sur le professeur, qui m'a touchée. J'ai lu la moitié et je n'ai quasiment rien imprimé. Je me perdais, passant par une sorte d'association d'idées d'une chose à l'autre, j'accrochais un passage, puis un autre, perdue. Alors que les deux premiers récits sont assez courts.
J'ai voulu aller au bout du troisième, mais hier soir j'ai lu 5 pages et je n'arrivais pas à raccrocher le fil du récit, j'ai abandonné à la moitié.
C'est quelque chose sur la forme qui est la cause de ces réactions. Je rejoins Brigitte sur les photos : qui est à droite, ou à gauche ? Il y a quelqu'un qui a des lunettes, je ne vois même pas.
Quant au spectacle
Austerlitz, j'ai trouvé l'intention chouette, avec les photos, intellectuellement c'est brillant, avec des parallèles par rapport au monde de Sebald. Mais émotionnellement, ça n'a pas pris, comme avec le livre.
Dans ce que vous dites, j'entends plein de choses qui seraient dans le livre, pour moi elles ne sont pas assez visibles, comme dans ce spectacle où il y a constamment un voile au premier plan. Dans ma lecture, tout se délitait au fur et à mesure. C'était sans déplaisir, ça filait, comme les danseurs sous le voile. Cela ne génère pas de colère et la lecture reste assez fluide je trouve. Mais cela a entraîné pour moi de la frustration, comme pour le spectacle Austerlitz dans lequel les danseurs sont talentueux mais où on les voit mal. Je fais aussi le parallèle entre la voix monocorde de la pièce et le bloc du texte dans Les Émigrants, c'est intentionnel certainement, mais au niveau émotion pour moi cela gâche le plaisir et l'intensité.
Rozenn
(à l'écran, et qui vient de subir une opération, ce qui doit être mentionné concernant sa réaction au livre...)
C'est très étrange de vous entendre : je mettais mes impressions de lecture sur le compte du fait que je suis shootée... Tout ce que vous dites, je l'ai ressenti.
Pourquoi ? C'est indicible, inracontable.
C'était agréable.
Tu dis, Fanny, j'imprime pas. Moi, je croyais que c'étaient dû aux médocs... me disant j'ai envie de continuer, mais il ne me reste quasi rien.
Je le relirai car tout ce que vous avez dit correspond à ce que j'ai senti. Ce ne serait donc pas la morphine, mais le livre...
J'ai envie de l'ouvrir en grand, car j'ai une grande impression, une grande interrogation...
Monique L
C'est une façon très originale de rapporter une période de l'histoire sans généralisation, sans visée analytique ou critique, mais en relatant en détail les expériences de ses personnages en y accolant des documents épars : photos, cartes postales, feuillets, carnets de voyage… Il est à contre-courant de la démarche classique de l'historien.
Sebald construit son récit comme un chroniqueur, essentiellement à partir de témoignages et d'archives. Il extrait de l'anonymat quelques individualités qu'il a connues et tente de restituer leur parcours sans les analyser comme exemplaires de quoi que ce soit, sans les rapporter à un référentiel ni à une grille de lecture quelconque. Pas de conceptualisation, ni de généralisation. Beaucoup de pudeur et de distance.
Sebald nous laisse libre de notre jugement.
Tous ces personnages sont hantés par des souvenirs traumatiques qui les rattrapent inéluctablement. Les souvenirs ressurgissent subrepticement comme le guide de montagne, ami de Selwyn. Il n'y a aucune mise en accusation directe du régime nazi, ni de critique de la relégation à la fin de la guerre de la mémoire collective au silence et à l'oubli.
J'ai trouvé cette démarche très particulière très intéressante et souvent émouvante. Ce sont des récits tout en finesse, pleins d'humanisme et emprunts de mélancolie
J'ai apprécié le style et ai dû avoir recours à mon dictionnaire deux ou trois fois.
J'ai trouvé des longueurs sur Max Ferber et sa peinture.
Les descriptions de lieux sont souvent très précises, presque trop lorsque l'on ne connaît pas les lieux.
Le chasseur de papillon restait pour moi une énigme pleine de poésie (était-ce un chasseur de souvenirs ?) (L'énigme a été levée par la suite à la lecture du document mis en ligne par Claire).
La lecture de ce livre fut envoûtante et d'une grande richesse (mélancolie, nostalgie et poésie).
J'ouvre en entier.

J'ai vu le spectacle Austerlitz de Gaëlle Bourges. Il y est très peu question de Sebald, la chorégraphe s'en inspire pour construire son récit (photos et souvenirs qui se tissent). J'ai beaucoup aimé la danse qui ne mettait pas en lumière chaque individu mais le groupe. Un beau spectacle !
J'ai assisté à l'Odéon à la pièce
Les Émigrants mise en scène par Krystian Lupa. Façon de parler car je suis partie à l'entracte. Dans le première partie, je n'ai pas reconnu l'instituteur tel que je l'avais trouvé dans la pièce, ni l'ambiance de l'œuvre de Sebald. Je me suis ennuyée...
Renée(à l'écran)
J'ai lu dans de mauvaises conditions de lecture pour moi car en version numérique...
Première histoire : très bonne impression.
Deuxième et troisième histoire : j'ai été subjuguée par l'écriture magnifique, fluide et riche. La multiplication des narrateurs et des époques se bousculent sans que nous ne perdions le fil narratif, c'est une performance que j'adore.
Quand j'ai voulu lire la quatrième histoire, elle avait disparu...
Donc j'ai très peu à dire, sauf que j'ouvre aux ¾ et non en entier à cause des nombreuses phrases en anglais qui me rappellent que je suis une inadaptée au 21e siècle et ça m'agace...
Jacqueline
J'ai souvenir qu'Austerlitz m'avait
beaucoup plu parce qu'on y entrait dans une pensée captivante, mais il ne me reste rien des faits. J'avais lu un autre livre de Sebald où un petit garçon arrive seul en Angleterre suite à la menace nazie… J'avais très envie d'en connaître un autre, mais je me suis un peu trop fiée à mes capacités antérieures de lecture rapide et, comme j'ai bénéficié impromptu d'une place de théâtre, j'ai vu la pièce avant de lire le livre : le spectacle est magnifique. La mise en scène et l'utilisation de la vidéo sont suffisamment remarquables pour que je sois restée scotchée pendant quatre heures, tout en ayant l'impression de ne pas tout comprendre...
Beaucoup de choses de l'instituteur m'ont touchée et j'avais cru voir un lien entre son suicide et une désillusion en rapport avec ses choix d'enseignant. Les écoliers sont joués par des adultes, cela introduit un rapport intéressant au temps (je crois que c'est Tadeusz Kantor dont se réclame le metteur en scène qui a utilisé une représentation semblable).
La deuxième partie, correspondant à "Ambros Adelwarth", est magnifique : certes, je ne comprenais pas bien ce qui se passait ; j'ai vu une allusion au nazisme dans la façon dont on traite les fous.
Mon envie de lire le livre a été renforcée par le désir de comprendre tout ce qui m'avait échappé. Effectivement, là, j'ai eu des dates et j'ai pu remettre un peu en ordre les histoires.
J'ai beaucoup apprécié les descriptions de lieux d'une précision un peu hypnotique, avec en contrepoint une photo qui crée un effet de rupture et illustre, contredit ou pose de nouvelles questions. Le narrateur parle de la ressemblance du Dr Selwyn avec Nabokov, mais la photo ? J'ai cherché sur Internet celles de Nabokov sans retrouver exactement celle-là, mais ça paraissait bien être lui : je me suis donc intéressée aux photos et à leur nature…
La partie sur Ambros Adelwarth est passionnante… les images fortes du spectacle (la tante dépositaire des souvenirs, la beauté de l'acteur qui joue Cosmo) venaient parfois se superposer à ma lecture, mais avec sa sobriété et le pouvoir de l'écriture, le livre est tellement plus riche ! Il rend la vie d'une certaine bourgeoisie juive à une époque qui est aussi celle de La Recherche : les rapports d'attachement entre maître et serviteurs, un regard sur une société oisive ou sur un complément à la vie de Balbec…
Enfin je suis arrivée à la partie "Max Ferber" que j'ai trouvé" très très belle…
J'ai aimé l'évocation de Manchester et de ses émigrés de toutes sortes (le restaurateur africain !). Quant au peintre, en lisant son mode de travail par effacement et superposition, j'ai pensé au
Chef-d'œuvre inconnu de Balzac, mais ici son travail aboutit à une œuvre qui reste ! J'ai aimé découvrir un monde de la peinture et des peintres que je connais mal… J'ai aimé la manière dont est amené le récit bouleversant qui concerne la mère du peintre… J'ai aimé que cela se termine par une réflexion très proustienne sur le rôle de l'art et plus particulièrement de l'écriture… J'ai regretté que le spectacle ne se soit pas attaché à cet aspect…
C'est pour moi un très grand livre, d'un remarquable écrivain et sans doute vais-je relire Sebald comme jusqu'à présent je relisais Proust… La mémoire est au cœur de leur projet : certes, chez Sebald ce n'est pas la sensation qui déclenche le souvenir comme chez Proust (et Bergson un peu oublié), mais ils ont un projet commun d'écriture : se donner pour tâche de fixer une trace d'une société disparue ou en voie de disparition ; chez Proust l'aristocratie et plus généralement ce qui l'entoure, dans ce roman de Sebald, une diaspora juive disparue ou en mutation…
Et leur lecture est quelque chose qui se mérite.

(Discussion : Sebald est plus facile que Proust ou pas ? Points de vue divers...)

Cela me paraît tellement riche que je pense que chacun peut en avoir une lecture différente comme, entre autres, le spectacle me l'a montré…
Les passages en anglais ? Je ne parle pas anglais et ça ne m'a pas gênée, ça me met dans la peau d'un migrant.
Etienne entreet(en audio)
J'ai beaucoup aimé.
J'avais déjà lu - et aimé - Les Anneaux de Saturne et j'étais donc en territoire connu.
Ce fut beaucoup de plaisir, alors que j'ai beaucoup de mal avec Frankenstein qui a retardé mes lectures…
J'ai retrouvé une balade : on me prend par la main, et c'est une balade érudite ; c'est très agréable, je me suis laissé conduire. Je ne le rapproche pas de Proust, non, car c'est ici une lecture qui ne me demande aucune concentration.
Je rebondis sur les photos : c'est très intéressant, très travaillé et intéressant qu'elles soient de mauvaise qualité, en noir et blanc, ça fait travailler l'imagination. Je m'y arrêtais. C'est unique.
La thématique est très intéressante, avec en arrière-plan l'antisémitisme. J'y vois une pudeur anglo-saxonne concernant le sujet, tout en l'abordant quand même.
Pour ce qui est des petites phrases en anglais, ça m'a plu, je suis à l'aise en anglais, ça apportait un truc en plus.
Je me trouvais bien avec l'interlocuteur.
C'est un livre très touchant. J'en lirai d'autres.
J'aurais bien aimé voir la pièce.
Quant au parallèle avec Proust concernant le souvenir, je ne comprends pas bien. L'écriture ne m'y fait pas penser, il n'y a pas ce truc d'introspection. Ici il y a un croisement entre un travail de reporter, de romancier, voire de scientifique, d'entomologiste qui me plaît beaucoup.
J'ouvre aux ¾, car il me manque une petite étincelle, plutôt entre ¾ et grand ouvert.
Catherine
Je l'ai lu trop vite. Je le relirai.
J'ai peu accroché à la première histoire très courte. Ensuite, j'ai trouvé ça envoûtant. Je m'y suis laissé perdre. Il y a des récits dans le récit. On ne connait jamais complètement l'histoire.
Les personnages sont fascinants. Et les villes aussi : Manchester, ville noire, et même Deauville !
C'est hypnotique, pour reprendre le mot de Jacqueline.
La description de la douleur morale est extraordinaire. Tous ces personnages avec leurs failles, ils sont hantés, ils vivent sans vivre.
J'ai beaucoup aimé, mais ce n'est pas gai. Il dit des choses terribles, violentes sur les Allemands, mais cela reste peu explicité, on garde surtout une impression, sans détails.
C'est un livre qu'on ressent.
J'ouvre en grand.
J'ai vu aussi la pièce, jusqu'au bout, et n'ai pas regretté. J'ai beaucoup aimé la mise en scène, moins les acteurs que j'ai trouvés parfois inaudibles (mais j'étais au 2e balcon). C'est plus explicite que le livre. Il y a des scènes franchement longues (dans la chambre avec Cosmo, je me suis quasi endormie). Une prouesse tout de même de mettre en scène un livre pareil, quasi sans dialogues.

Claire
Le nouveau groupe l'a lu il y a deux semaines, et deux seulement ont aimé ; étonnantes différences.
Je gardais un souvenir magique d'Austerlitz que nous avons lu il y a… 14 ans. Il y a quelques années nous avions décidé en juin de programmer l'année suivante un autre Sebald et Denis nous avait parlé des Émigrants. Dans la foulée, je l'avais lu assez vite et j'avais été déçue par rapp
ort à Austerlitz. Je m'étais dit… peut-être un autre vaudrait la peine. Et puis le projet de mise en scène de Krystian Lupa des Émigrants a été annoncé en 2022 et nous l'avons programmé. Entretemps, il y a eu les péripéties de l'annulation de la pièce…
Ayant bien sûr oublié ma lecture, j'ai relu le livre en prévision de la pièce, mais mal lu, car au lieu de lire un récit d'une traite, je le reprenais en cours de route et ne maîtrisais pas son intrigue. En revanche, je trouvais l'écriture extraordinaire, comme si le sens général du livre m'indifférait. J'ai pensé à Henry qui disait qu'un livre qu'il aime, c'est un livre qu'il peut ouvrir à n'importe quelle page, et là, pour moi c'est le cas.
Puis je me suis mise à lire autour de Sebald, et là je me suis passionnée, d'où cette énormité de doc ci-dessous ; je me rends compte que j'ai fait un peu comme lui, allant d'un personnage et d'un lieu à l'autre, un livre m'a amenée à un autre, j'en ai lu, disons bien feuilleté, une bonne pile, y compris une thèse sur Les Émigrants, oui… intéressante comme tout !
Peu avant d'aller voir la pièce, je me suis mise à relire, comprenant mieux l'univers de Sebald et débarrassée de questions qu'on peut se poser : d'où viennent les photos, pourquoi elles sont assez moches, qui est le narrateur… J'avais appris que l'"obsession" de Sebald à travers ses livres, c'est la Shoah, la guerre en Allemagne : mais la Shoah, je m'en fiche dans le livre, ce n'est pas ce qui m'intéresse…
Je suis bien Jacqueline dans son parallèle avec Proust pour les raisons suivantes : l'importance de la mémoire, la longueur et la virtuosité des phrases, un narrateur à la première personne et la difficulté de la lecture - au sens où ça ne s'avale pas comme une bluette.
J'adhère à ces adjectifs : envoûtant, hypnotique. Je me plonge dans l'écriture et je suis sous le charme, ces phrases qui m'entortillent, ce narrateur un peu distant, avec ce "ton", non sans humour parfois (la tante qui pleure avant pendant après, les voyageurs qui bouffent comme des porcs), ces changements de narrateurs avec les récits enchâssés mais faciles à suivre si on est bien embarqué.e - jusqu'à 8 changements dans le troisième récit... - et le mystère de ces photos, à chaque fois une surprise, j'adore, j'en redemande (vous ne voulez pas qu'on lise un autre Sebald l'année prochaine ?...)

Danièle
Plus du comique que de l'humour, je trouve. Et le thème me paraît être moins la Shoah que la diaspora.

Claire
Bon. Quant au ballet Austerlitz de Gaëlle Bourges, j'ai apprécié le rôle des photos qui rappelaient bien l'univers de Sebald, ainsi que la reconstitution du passé, mais l'autobiographie m'a paru trop envahissante. La chorégraphie pouvait paraître lassante, mais j'ai aimé l'ambiance.

Fanny
La voix constante m'a exaspérée.

Claire
J'ai vu
la pièce hier soir, à partir d'un texte qui semble inadaptable. Entre Monique qui est partie à l'entracte et Jacqueline enthousiaste, je me situe entre les deux. Tout ce qui est forme - le décor, les vidéos, les photos, les sons, la voix sonorisée par un micro qui donne l'impression au début que le personnage narrateur vient d'ailleurs - m'a beaucoup plu. Les relations imaginées et incarnées entre des personnages, simplement esquissés dans le livre, et rendues nécessaires au théâtre m'ont déçue, trop développées et avec des dialogues tombant parfois à plat. Mais j'ai tenu les 4h15 sans problème.
Puisque d'émigrants il s'agit, je suis allée au Musée de l'histoire de l'immigration au palais de la Porte-Dorée - j'adore ce lieu.

Annick
Je me souviens qu'il y a un Prix littéraire de la Porte Dorée.

(Discussion sur la famille de Sebald, juive ou pas, et sur les photos, par exemple celle de l'oncle dans le 3e récit, qui apparaît dans le livre après ce paragraphe : "Mais je ne saurais rien te dire de ce voyage, dit tante Fini, parce qu’en l’occurrence l’oncle Adelwarth n’a jamais répondu aux questions que j’ai pu lui poser. Il existe néanmoins de lui un portrait photographique en costume arabe datant de son séjour à Jérusalem.")

Claire
Pour ce qui est du rapport avec la réalité, voilà des exemples de réponses de Sebald à des questions sur Les Émigrants :

- Et Ambros Adelwarth, le protagoniste de votre troisième récit, c'était vraiment votre grand-oncle ?
- Oui, absolument. J'ai juste modifié son nom, cela va de soi.

-
Qu'est-ce qui se cache derrière le désespoir de cet homme ? Son homosexualité ?
- Cette histoire a commencé par une photographie. Quand j'étais aux Etats-Unis en 1981, je suis allé voir ma tante et nous avons passé un moment à feuilleter ses albums de photos. Vous savez comment ça se passe avec les photos de famille - en général, vous les connaissez toutes sauf une, que vous n'avez jamais vue. Et la photographie de l'oncle Adelwarth en costume arabe faisait partie de celles-là. J'avais entendu parler de cet oncle, je l'avais rencontré quand j'étais enfant mais, pour moi, il était resté un mystère. Là, dès que j'ai vu cette photo, j'ai compris immédiatement de quoi il s'agissait... Dans une famille catholique, tout est refoulé. Ce n'est même pas que cela soit passé sous silence - ça n'est pas vu, ça n'existe pas. Cela ne correspond à rien, cela ne rentre dans aucun cadre, nulle part.

-
Dans le récit intitulé "Ambros Adelwarth", il y a aussi un journal intime dont vous montrez des photographies. Votre grand-oncle tenait vraiment un journal ?
- Oui et en plusieurs langues.

-
Je sais, mais vous pouvez fabriquer une entrée de toutes pièces, et c'est en anglais.
- Vous avez raison, dans ce cas, c'est une falsification. C'est moi qui l'ai écrit. Tout ce qui a de l'importance est authentique. Les événements majeurs - l'instituteur qui pose la tête sur la voie ferrée, par exemple - vous pourriez penser qu'ils ont été inventés pour créer un effet dramatique, pas du tout, ils sont véridiques, tous. C'est au niveau du détail, du détail mineur la plupart du temps, que l'imagination intervient pour créer
l'effet de réel.
(Entretien avec Carole Angier, L’Archéologue de la mémoire : conversations avec W.G. Sebald, Actes Sud, 2009, p. 74-75).

Ah oui, nous avons lu dans le groupe quelques autres livres comportant des photos, tous inclassables... :
- Austerlitz, donc, de Sebald
- Des histoires vraies de Sophie Calle
- Roland Barthes par Roland Barthes
- M Train de Patti Smith
- Proust contre la déchéance de Joseph Czapski
- Nadja de Breton
- L'Africain de Le Clézio.
Jérémy(avis transmis après la soirée sans avoir lu nos avis)
Avant la lecture
Je n'avais jamais entendu parler de Sebald avant la lecture des Émigrants, ni même entendu parler de lui. Je l'ai donc abordé sans a priori, si ce n'est que la 4e de couverture m'a un peu "refroidi" ; "lyrisme teinté de mélancolie" : pas vraiment ma tasse de thé. "Son écriture est celle du temps retrouvé" : cela me fait bien évidemment penser à Proust. Pas vraiment à mon goût non plus...
Pendant la lecture
J'ai acheté ce livre le week-end des journées du patrimoine, au mois de septembre donc, dans la petite librairie du site Richelieu de la BNF que je visitais pour la première fois. J'ai lu le livre dans la foulée, en septembre-octobre donc, hormis dix pages qu'il me restait à lire avant notre rencontre. C'est peut-être une erreur car il ne m'en reste aujourd'hui plus grand-chose. Il faut dire que j'ai traversé la lecture de ce livre comme dans un rêve, au sens propre : je n'ai eu de cesse de m'endormir dessus. Un peu comme toutes les fois où j'ai essayé de lire Proust d'ailleurs. Pourtant, je n'ai pas trouvé la lecture désagréable, loin de là, je n'ai pas eu de peine à le lire, mais il a littéralement glissé sur moi. Rien n'a accroché, rien ne m'a vraiment intéressé, si ce n'est la partie sur Paul Bereyter, la seule dont aujourd'hui je me souvienne un tant soit peu. C'est malheureusement presque la plus courte. Je ne saurais trop dire à quoi cela tient. Peut-être au côté trop descriptif, ou aux photographies/illustrations incessantes qui hachent la lecture. J'en ai dénombré pas moins de 75 ! Le procédé m'a vraiment déplu et agacé. Cela m'a empêché de faire une bonne partie de mon travail de lecteur, à savoir me construire une imagerie mentale à partir des mots, des descriptions. Mais cela s'explique peut-être par le fait qu'il ne s'agisse pas ici d'un roman, mais de quelque chose d'autre : des récits commémoratifs ou des récits illustrés si j'en crois le sous-titre du livre. Sur la forme, je n'ai annoté aucun passage, pas de fulgurance selon moi. Mais cela s'explique certainement par une volonté de rester sobre. Le sujet ne se prête pas aux effets de manche. J'ai aussi été surpris et agacé par la non-traduction de certains passages en anglais. Est-ce dû au fait qu'ils étaient également en anglais dans la version originale et que le traducteur a donc voulu conserver cet effet ? Si tel est le cas, je ne comprends pas l'intérêt de ces passages en anglais. Dans certains romans, russes ou anglais par exemple, certains mots français sont en italique avec un astérisque renvoyant à la note "en français dans le texte", mais cela s'explique alors par le fait qu'il s'agisse d'une expression française passée dans le vocabulaire courant d'une autre langue ou par le fait que l'auteur souhaite montrer que le personnage "en est", qu'il fait partie d'une certaine élite cultivée ayant appris le français, etc. Mais ici ce n'est pas le cas.
En synthèse, j'ouvre ce livre au quart, parce qu'il ne m'a pas foncièrement déplu, mais je pense que je n'en garderai rien.
J'ajoute que l'adaptation qui se joue à l'Odéon est bien plus mauvaise que le livre. Il faut dire que le livre se prête peu, je trouve, à être mis en scène.

Anne, l'internaute du début
Je guettais vos critiques. Ouf ! je ne suis pas la seule à m'être ennuyée et comme le dernier lecteur, je me demande pourquoi ce livre a fait le sujet d'une pièce de théâtre.
Enfin bref j'ai beaucoup à apprendre de vous tous et je vais essayer de lire Austerlitz.


Les 8 cotes d'amour du nouveau groupe
réuni le 12 janvier 2024
FrançoisMonique M
Anne-Marie
Anne AntoineJean-Paul Julien
Katherine

Antoine
J'ai lu une centaine de pages. J'ai trouvé les deux histoires que j'ai lues assez belles, mais je n'ai rien retenu, car je ne suis pas rentré dedans. Ce n'était peut-être pas le bon moment. Je n'aime pas les descriptions de paysages, et il y en avait beaucoup. Ça manque de rythme, je n'avais pas envie de lire ça en ce moment. Il faut dire que je me suis acheté une PlayStation à Noël et ça m'a pas mal occupé... plutôt que cette lecture.
Anne
Je ne l'ai pas vraiment lu, seulement la première nouvelle, avec ennui... Intellectuellement, je me suis dit que c'était probablement un très bon livre, mais je ne suis pas entrée dedans. L'auteur visite sa propre famille je crois. Il est intensément passionné, c'est un livre tragique. Les autres nouvelles parlent aussi de cette tragédie nazie. J'aurais pu aimer ce livre à une autre époque, mais je n'ai pas pu m'empêcher de m'ennuyer.
Katherine
Je me suis furieusement ennuyée, surtout après le livre Retour à Killibeg que j'avais adoré. Là, j'ai à peine commencé les descriptions trop longues que je me suis ennuyée. Il n'y a pas d'histoire, c'est quasiment toujours le même style, une ambiance lourde. Je ferme complètement, c'est rare.
Julien
Je rejoins les avis précédents, j'ai l'impression d'avoir été en surface du livre (je n'ai lu que la première nouvelle), mais le récit ne décolle jamais, c'est figé. Je n'ai pas compris où il voulait en venir.
Jean-Paul
Au début, c'est une belle écriture assez fine, un peu éthérée, mais au fur et à mesure, on s'ennuie car l'auteur ne donne pas corps aux personnages, on ne les voit pas. Il se raconte les gens mais ne nous les raconte pas, on ne voit pas bien où il veut en venir. C'est ennuyeux, pour moi il a raté ce qu'il voulait dire. Aucun des personnages n'apparaît, ils n'ont pas de chair. Pour l'écriture, j'ouvre au ¼.
Monique M
Ce livre exprime la souffrance des déracinés, la perte de repères liée à l'expatriation, la mémoire enfouie qui accompagne ce déracinement, et cet instinct archaïque de la nostalgie des origines. La force du livre est dans son pouvoir de suggestion. Rien n'est vraiment dit, tout est caché comme un secret inavouable, c'est le comportement des personnages, leurs réflexions, leurs émotions, leur incapacité à surmonter leur destin, leur mélancolie, jusqu'à leur dépression qui nomme ce qu'ils ont endurés, traversés et qui reste inscrit en eux pour toujours. C'est cette déchirure qui est palpable dans tout le livre, qui est exprimée avec beaucoup de pudeur, de tact, de délicatesse. C'est incroyablement humain. C'est très fort, c'est conté à travers le récit de quatre vies, quatre expériences d'hommes de culture, de classes sociales différentes, de sensibilités et âges différents ; je n'ai eu le temps de lire que les trois premiers de ces récits, mais tous sombrent dans une profonde mélancolie, un désespoir, un renoncement. Ils tentent parfois de surmonter cela par la contemplation de la nature, sa beauté, son intemporalité, mais finissent par succomber.
La première histoire est celle du Docteur Henry Selwyn, émigré de Lituanie à l'âge de 7 ans.
J'ai aimé d'emblée l'atmosphère de la demeure aux vestiges aristocratiques où il vit seul, réfugié dans son jardin. On voit bien le jardin à l'abandon, les serres victoriennes à moitié en ruines, le sentier moussu qui longe la maison aux murs de briques verdies par les ans, la pelouse où les pas s'enfoncent avec une élasticité délicieuse, le décor qui par la disposition de ses étagements attirait le regard vers le lointain ; il y a aussi l'étrangeté du lieu et des personnages, la domestique Aileen, sa nuque rasée, son rire chevalin qui leur glace les sangs, le mobilier lugubre et gigantesque, la cage d'escalier obscure, les ombres furtives des domestiques… Plus tard, quelques années avant son suicide, Selwyn confiera son mal du pays et relatera p. 33 son départ en cariole de Lituanie, l'embarquement à Riga, la haute mer, le panache de fumée du navire, l'horizon gris, la peur et l'espoir que sa famille et lui portaient en eux, son arrivée en Angleterre, son mariage avec Heidi à qui il cache ses origines. J'aime la discrétion, la sobriété avec laquelle cette vie est relatée, cet effacement qui laisse toute la place au personnage - place renforcée par les phrases en anglais et les photos qui ajoutent à l'authenticité du récit.
La deuxième histoire est celle de l'instituteur Paul Bereyter d'origine juive dont les parents sont décédés à la suite des exactions commises à leur égard par le Troisième Reich, et qui se fait lui-même retirer son droit d'exercer en 1935.
Elle est contée de façon un peu confuse par Madame Landau. La lecture en est parfois fastidieuse, mais ce choix d'écriture me semble correspondre à la situation d'un individu confronté à de telles violences ; lorsque c'est trop douloureux il faut du temps pour que la parole émerge ; alors l'écriture du récit se fait alambiquée, prend des détours, des situations diverses, qui débouchent sur un aveu, une esquisse d'explication, pour refléter la tendance naturelle qui est de refouler ce qui a été, ne pas voir, ne pas se souvenir, alors que l'empreinte en est gravé intérieurement. C'est ce qui me semble être le cas de cet instituteur qui aimait profondément ses élèves, l'enseignement qu'il leur prodig
uait, les incitait à devenir des êtres libres tout en ayant subitement et mystérieusement l'air d'être profondément désespéré. Écarté de son enseignement en 1935, précepteur en France de 1935 à 1939 il y rencontre une jeune autrichienne qui sera déportée, reprend son activité d'instituteur après la guerre où il fait reproduire sur leurs cahiers à ses élèves, des gares, des rails, des aiguillages qu'il dessinait au tableau et c'est sur ces mêmes rails qu'à l'âge de 74 ans, il s'allongera pour mettre fin à ses jours, comme s'il avait voulu partager le destin de ceux qui avaient été déportés sur ces rails, qu'il avait aimés et dont il avait porté la souffrance en lui depuis toujours.
La troisième histoire, celle d'Ambros Adelwarth, est extraordinaire. Ambros est le valet de chambre et compagnon de voyage de Cosmo Solomon, fils de quelques années plus jeune que lui, d'un banquier juif newyorkais.
Cosmo est un dandy extravagant qui succombera à une maladie mentale dans les années 20. Fou d'aviation, Cosmo construit des machines volantes, est excellent joueur de polo, joue des sommes faramineuses dans les casinos, voyage en Europe avec Ambros pour guide et ami, gagne des sommes considérables à Évian et Monte-Carlo grâce à son talent de médium qui lui permet de visualiser le numéro qui va sortir, s'achète un aéroplane et participe à la Quinzaine d'aviation de la baie de Seine où il se livre à toutes sortes d'acrobaties, devient la coqueluche des milieux huppés, puis part à Constantinople et Jérusalem en compagnie d'Ambros qu'il traite en égal. La guerre 14-18 éclate en Europe, de retour à New-York il sombre dans une profonde mélancolie, medium, il voit le feu, le sang, l'agonie des soldats, les rats dans les tranchées, et après divers épisodes est conduit dans une clinique psychiatrique à Ithaca, où beaucoup plus tard Ambros se fera à son tour volontairement interner. La complexité des deux personnages émerge peu à peu au fil des récits de Kasimir, de la tante Fini, et du narrateur lui-même, petit neveu d'Ambros, c'est comme un voile qui se lève progressivement, un récit abordé à regret parce qu'il remue trop de choses douloureuses. De très intéressants chapitres sont consacrés à la vie des émigrants logés dans le Bowery et Lower East Side à New-York (p. 109, 111, 112), on sent leur vie précaire, leurs emplois dans les usines de soda et eau de Seltz Seckler, Kasimir raconte sa vie de soudeur de plaques de cuivre sur le toit des synagogues, de plaques d'acier à la pointe du Chrysler Building, raconte les histoires de la prohibition et des bandes de mafieux italiens, puis revient à l'histoire d'Ambros. D'autres descriptions incroyablement belles évoquent Deauville, l'hôtel Normandy, les salles de jeu du casino, la plage, les yachts de croisière ancrés au large… ; un rêve insensé rempli de personnages fantasmagoriques, les frasques de Cosmo p. 160-167, suivies p. 170-178 de descriptions tout aussi prenantes sur la Grèce, Constantinople, la Corne d'Or ; grand plaisir de lecture qui quoique très différente, m'a rappelé l'Aziyadé de Pierre Loti. La personnalité de Cosmo, est à la fois étrange et attachante, c'est un personnage en suspens, entre la vie et la mort ; il brûle sa vie en gestes fous, extravagants, tout en étant également brûlé de l'intérieur, tout son être est hanté par sa vision du monde, ses maux, son besoin de spiritualité, hanté sans doute aussi de façon archaïque par le destin des familles juives dont il est issu. Cosmo visualise la guerre de tranchées mais il voit aussi derrière le paysan qui se relève de sa prière, les deux anges gardiens qui se tenaient à ses côtés, et plus loin, alors qu'il s'est endormi, une caille vient nicher sur lui pendant son sommeil. Très beau personnage. Autre point : "L'oncle Adelwarth était de l'autre bord, comme tout le monde pouvait le voir aisément, même si la parenté a toujours voulu l'ignorer" dit Kasimir. Ainsi Ambros expatrié et homosexuel, a-t-il voulu mourir de la même façon que Cosmo, l'homme qu'il a aimé.
Le livre m'a beaucoup intéressée, je l'ai aimé et l'ouvre en grand.
Anne-Marie
Mon avis est mitigé. Je n'ai pas compris l'intérêt de la première histoire, j'ai dû passer complètement à côté. La seconde, celle de l'instituteur, m'a touchée, je pense que c'est la plus aboutie car elle est présentée de manière assez cohérente, on voit sa personnalité, sa fragilité, son esprit créatif, son dévouement à ses élèves, sa vraie volonté de transmettre. Il est poursuivi par cette mélancolie justifiée par sa vie tragique et ses drames et on comprend presque la fin, quoi que le récit manque à mon avis de transitions.
Belles descriptions de lieux. L'histoire d'Ambros en revanche, m'a laissée perplexe, malgré l'extravagance des personnages, et leurs aventures excentriques et improbables, l'histoire ne m'a pas trop intéressée, je ne vois pas comment l'auteur a rattaché la vie de ce grand-oncle à toute l'histoire de la persécution nazie. Le style est particulièrement difficile ici : il parle tantôt comme narrateur, tantôt il fait parler Ambros, dans des extraits de son journal, mais sans transition, et on ne comprend pas tout de suite. On dirait des réminiscences jetées sur le papier en désordre par l'écrivain pour lui-même, tout est confus, plein de digressions, on a beaucoup de mal à suivre (et à vrai dire, je n'avais pas trop envie de suivre !...). La fin de cet homme aussi est étrange : curieuse façon d'exprimer son désespoir que de subir des électrochocs jusqu'à en mourir. La dernière histoire, celle du peintre, que je n'ai pas terminée, est encore très différente, toujours aussi décousue, mais un peu plus intéressante. Je vais peut-être la terminer, en m'accrochant... Il reste que ce livre ne me donne pas l'impression d'avoir été écrit pour être publié, ce sont des récits et des images jetées sur le papier, pour se souvenir peut-être, pour reconstituer ? En tous cas pour lui-même, sans souci de continuité et de cohérence. Ce qui me trouble, c'est que j'ai jeté un coup d'œil sur l'histoire de Sebald, qui n'était pas du tout issu d'une famille juive mais au contraire d'une famille "petite bourgeoise" allemande, catholique, fière de sa réussite sous l'Allemagne nazie. Famille qu'il rejettera. C'est un livre de fiction mais qui parle en fait surtout de l'exil (cf. article de Libération paru le 17 décembre 2001 juste après la mort de Sebald) et de l'impossibilité de se détacher de sa terre d'origine que l'on traîne toujours sous la semelle de ses souliers. J'ouvre à moitié ce livre pour la richesse du matériau.
François (avis transmis)
Difficile de donner un avis sur Les Émigrants qui ne soit pas réducteur. Sebald nous entraîne dans les méandres d'une mémoire en proie à un irrésistible désir de tirer de l'oubli la vie de quatre personnages qu'il a connus et qui ont chacun connu un destin tragique lié à leur origine juive et aux persécutions nazies. La richesse de ce livre tient à la démarche de W.G. Sebald qui rappelle un peu celle de Perec dans W ou le souvenir d'enfance en raison de la façon dont il mêle lui aussi histoire et subjectivité. La nécessité qui fait loi (on peut aussi penser au Liseur de Bernard Schlink) est de retrouver à travers des pans de vie entiers la trace d'une histoire oubliée... La stratégie qu'il met en œuvre pour y parvenir fait de la lecture des Émigrants une expérience unique et fascinante. Car le fond essentiellement tragique de ces histoires qui s'achèvent toutes dans la folie ou le suicide est presque démentie par les ressources et la beauté narratives d'un quatuor qui se déploie comme un fabuleux voyage, une remontée onirique et presque fantastique dans les replis d'une mémoire blessée, traumatisée. À quoi il faut ajouter pour expliquer la fascination durable que peut exercer ce livre (mais c'est aussi le cas avec Austerlitz, dernier et sublime roman de Sebald) le fait qu'il est impliqué corps et âme dans cette recherche qui l'entraîne à reconstituer, comme un chercheur inspiré et irrésistiblement attiré par son sujet, le destin en lambeaux de ses quatre personnages, tous victimes à un titre ou à un autre d'une histoire qui ne passe pas. Rencontres et témoignages qui s'enchâssent comme des poupées gigognes, démontrent un attachement sans faille aux lieux et aux paysages que vont traverser les émigrants. Ces histoires sont aussi illustrées de photos qui émaillent le texte comme pour en en garantir la vérité historique et plus généralement humaines. Ne pouvait-on pas lire sur les murs de la Sorbonne en 68 que "Nous sommes tous des Juifs allemands"... (Je dois dire au passage que j'ai été affreusement déçu par l'adaptation théâtrale du livre qui ne fait qu'en rétrécir la portée et la rendre parfaitement inaudible…)


Les 9 cotes d'amour du groupe greton
réuni le 21 mars 2024


Les Émigrants
ChantalÉdith
 Soaz
Annie Marie-Odile
Brigitte T


Austerlitz
Cindy
 Marie-OdileMarie-Thé

Soaz(Les Émigrants)
Malgré le sujet douloureux, c'est un livre prenant, mêlant récit, documentaire, roman.
Le chemin de vie de ces quatre hommes est troublant, mais passionnant.
J'ai apprécié l'écriture poétique, fluide, le texte documenté, parsemé de photos, les témoignages..., un roman reportage.
L'histoire de quatre vies d'exilés, désespérés, touchés par la folie, la douleur physique, psychique, le silence, l'isolement, narrée avec pudeur, sans voyeurisme.
Ces émigrants ont essayé une reconstruction, avant leur disparition. Est-ce le destin de tous les émigrants ?
Les déracinés de tous les continents, de toutes les époques, se sentiront ils toujours exclus !!!
Ouvert au ¾ à cause de quelques longueurs surtout dans le dernier chapitre.
Je vais lire Austerlitz.
Une phrase du livre que je retiens : "IL N'Y AVAIT RIEN DE PLUS DANGEREUX QUE LA STUPIDITE"
Brigitte(Les Émigrants)
J'ai lu les deux premières nouvelles, puis j'ai traîné le livre et pour autant je n'ai pas rouvert le livre… sans regret. Peut-être que notre discussion va me redonner un nouveau regard. De ma lecture, je n'ai rien retenu sinon l'ennui.
Pourquoi ? Récit qui à la fois s'approche du documentaire et qui me donne l'impression d'être invitée à lire des confidences échangées dans une lettre ; des confidences qui ne me concernent pas. J'ai du mal à imaginer les personnages ce qui me gêne.
Dès les premières pages je retiens : des longues descriptions picturales avec de nombreux détails (pourquoi ?), une atmosphère sombre avec des photos noir et blanc, un récit confidentiel sur le destin d'hommes qui dès l'enfance (je note 7 ans) n'ont pas choisi leur chemin de vie, mais ne peuvent y échapper sauf dans la mort.
Quelles sont les questions profondes de l'auteur ? Pourquoi vouloir reconstruire pour se créer une nouvelle identité et survivre ? Est-ce un témoignage de l'auteur pour que reste la mémoire de l'Histoire ? L'homme peut-il échapper à son destin ?
Je dois dire que la lecture est facile mais je n'ai pas aimé la construction en un "bloc" inébranlable (pas ou très peu de paragraphes). Le côté documentaire me lasse. Je ne retiens rien, je n'ai pas d'émotion et ça me dérange.
Pour conclure, je dirais que mon avis est à la relecture banal. Je n'ai même pas eu envie de consulter les nombreux documents proposés par Claire. Ce livre ne correspond pas à ce dont j'ai besoin et à ce que je recherche dans la lecture en ce moment : douceur, rêve, optimisme, humour, émotion, plaisir…
Annie(Les Émigrants)
J'ai pu lire un peu plus de la moitié du livre Les Émigrants car je ne l'ai récupéré qu'il y a deux jours et n'ai pas eu le temps de le terminer.
C'est très bien écrit. L'auteur sait montrer les difficultés communes aux personnes qui ont tout quitté et qu'il a côtoyées. Beaucoup de descriptions et de phrases sont touchantes dans ce livre que j'ai perçu presque comme un document (les photos appuient ce côté "journal"). On entre dans la vie de ces différentes personnes qui pourtant veulent taire leur chagrin.
Malgré la belle écriture et la grande empathie qui s'en dégage, je l'ouvre seulement à moitié, peut-être parce qu'après La zone d'intérêt, cela faisait trop de noirceur.
Marie-Odile(Austerlitz)
Dès le début, j'ai été emportée par le déroulement des phrases, leur rythme irrésistible, le foisonnement du vocabulaire, les nombreuses, longues et riches énumérations, qu'il s'agisse d'architecture ou de botanique...
J'ai aimé l'écriture généreuse, élégante et cependant nostalgique, mélancolique, faisant grande place à la sensibilité.
Mon attention a été complètement retenue par la découverte progressive d'un personnage énigmatique. La seconde partie, la quête de la mère à Prague, du père à Paris est plus pesante. Je me suis demandé pourquoi Austerlitz ne dépasse pas la gare d'Austerlitz (il aurait pu aller jusqu'au camp de Gurs.)
J'ai eu l'impression qu''il s'agissait d'une histoire vraie en raison des photos, des précisions de dates, de chiffres et de lieux, mais ne l'ai pas vérifié car peu importe.
Je me suis demandé pourquoi le récit d'Austerlitz est rapporté par un narrateur (qui rappelle régulièrement sa présence en tant que collecteur de la parole d'A.) alors qu'il aurait pu être présenté directement. Et là je me suis dit que ce qui était important, c'est précisément le récit et que c'est le propre de la littérature de le faire exister. D'où ces imbrications permanentes telles que : Maximilian dit à Vera qui dit à Austerlitz, qui dit au narrateur, qui dit au lecteur, chacun ayant pour rôle de créer ou maintenir cette chaîne de témoignages qui ne doit pas être rompue pour que littérature et Histoire existent, ensemble.
Ce roman est pour moi le roman des superpositions, superpositions dans le temps et dans l'espace, qui permettent aux souvenirs enfouis de remonter et aux sensations diffuses de prendre corps et parfois de s'expliquer.
Ainsi le malaise D'A à Marienbad s'éclaire par le séjour heureux, et oublié, qu'il y fit avec ses parents et Véra en un autre temps. "le temps ne passe pas, tous les moments existent simultanément".
Le site de Liverpool Street Station fut prairies marécageuses, prieuré, hospice d'aliénés, cimetière, et son passé semble contenu dans son présent, les morts et les vivants se superposant dans le regard d'A. (cheminot). Et la fameuse BNF construite sur le site d'un entrepôt où les Allemands entreposaient les biens des Juifs spoliés. Et le champ d'avoine recouvrant les dépouilles de 30000 personnes.
Superposition des événements aussi parfois : l'enterrement des deux oncles à Cutian, "recouvert" par le tableau de Turner, l'enterrement à Lausanne, le peintre ayant à ce moment-là le même âge que A. au décès des oncles de Gérald.
Superposition des êtres : le petit garçon au sac à dos et A. à 4 ans et demi : "Je le reconnus et je me souvins de moi". Ou Marie se souvenant d'elle-même enfant en voyant une petite fille sauter à la corde. Le souvenir émerge à la vue des deux photos "comme si les images avaient une mémoire et se souvenaient de nous" alors qu'on pense généralement que c'est nous qui avons souvenir d'elles.
La liste serait longue de cette quête proustienne qui fait que les moments, les lieux, les êtres parfois se confondent. La citation de Balzac illustre parfaitement cette superposition-confusion : "Je suis le colonel Chabert... celui qui est mort à Eylau".
Les déplacements, voyages, marches à travers les villes en quête du passé m'ont fait penser à Modiano.
J'ai beaucoup aimé les considérations sur l'architecture, en particulier l'architecture militaire qui, malgré tous ses perfectionnements, finit par être dépassée, alors que les oiseaux construisent depuis toujours leur nid de la même façon, parfaitement adaptée. La description fort critique de la BNF et du président pharaonique qui l'a voulue, m'a intéressée et rendu très proche ce récit que parfois je sentais éloigné dans le temps.
J'ai aimé toute l'évocation d'Andromeda Lodge, l'oncle Alphonso, les considérations luxuriantes sur la botanique, le regard fasciné et fascinant sur les constellations, les pigeons, les mites, les teignes.
Avec Gerald, se manifeste l'attraction vers l'aérien, tout ce qui vole, par opposition à tout ce qui est englouti, enterré, enfoui.
J'ai noté les innombrables allusions aux fenêtres qui permettent parfois de voir plus loin (Observatoire, le tailleur vu par la fenêtre à Prague), mais qui peuvent aussi être condamnées (Bala), d'où la sensation d'étouffement.
J'ouvre aux 3/4 ce texte riche, dense, à l'écriture magnifique, tout imprégné de souffrance cependant.
Marie-Odile (Les Émigrants, lu après Austerlitz)
Je n'ai pas lu ce texte avec le même intérêt, malgré les portraits pittoresques (Paul Bereyter, Mangold, la tante Theres, Cosmo, Ambros...)
Mais je n'ai pas retrouvé la densité d'un roman et je n'ai pas toujours eu le temps de m'attacher aux personnages dont beaucoup sont en proie à des problèmes psychiques, les suicides sont nombreux.
Le passage de Ithaca à Deauville, dont j'ai aimé la description, se fait sans transition. La part du rêve ne m'a pas semblé bien délimitée (p.149).
Le thème de la migration est présent et perçu du point de vue de ceux qui partent et de ceux qui restent, mais n'est pas approfondi et n'a pas de dimension universelle. J'ai noté ceci cependant : "Ils se comportent comme si leur condition d'exilés était un terrible secret de famille qui ne devait en aucun cas être dévoilé".
Ce roman m'est apparu comme le brouillon du précédent. On y trouve déjà de magnifiques descriptions (Deauville, Jérusalem), des portraits saisissants, y compris pour les personnages secondaires (Mangold, le fils du coiffeur, sorte de calendrier vivant), des déplacements parfois lointains (voyage de Cosmo et Andros), des rencontres retrouvailles entre le narrateur et son personnage, des photos, des citations en langue étrangère, hélas sans traduction...
J'ouvre à moitié.

Chantal(Les Émigrants)
D'emblée le lecteur est prévenu : c'est l'histoire de quatre personnes - quatre hommes - qui, tous les quatre, se sont donné la mort... Donc lecture pas très gaie !
Toutes ces histoires m'ont intéressée, mais j'ai eu du mal à quitter un personnage pour passer à un autre. Aussi, je n'ai vraiment relu et retenu que les deux premiers, Dr Selwyn et Paul Bereyter.
Difficile de parler de "personnages" ; les photos sont celles de l'auteur, les lieux, les périodes sont celles qu'a connus l'auteur ; le narrateur et l'auteur se confondent constamment. Le même contexte : la guerre, les nazis, les Juifs... le départ obligé vers une autre vie. Bref, l'auteur nous fait littéralement "entrer" dans la vie des personnes, en véritable metteur en scène
Il nous montre tout, avec photos à l'appui qui plus est. Les lieux sont décrits avec une précision incroyable, des détails ++, et avec quel talent ! L'écriture serrée, dense, sans paragraphes, ce qui m'a rebutée au début, s'est révélée agréable à lire, j'étais emportée par le rythme, la musique des phrases, qui m'ont évoqué les gwerz bretonnes, ces histoires vraies racontées en chansons...
Dans ces deux histoires de vie, celle du
Dr Selwyn et Paul, le même fil se déroule, de la nostalgie grandissante vers le désespoir et la mort. Je les voyais sombrer. Des passages sont très émouvants, comme celui du départ de Selwyn, enfant de 7 ans, de sa Lituanie natale, avec ses parents, départ définitif... ; la confession au narrateur de sa nostalgie de plus en plus prégnante au fil des années. Même plaisir, douloureux, à la lecture de la vie de Paul l'instituteur. Là, c'est "mon" époque d'enfance (1952), et la description, magique pour moi, de l'école dans son village... waouh... L'émotion est montée dans ma gorge.
La vie de cet homme nous est contée, distillée, par petites touches, les recherches du narrateur sont laborieuses, certains épisodes de vie sont très détaillés (l'école, la Suisse,) d'autres non. 39-45 : enrôlé dans la Wermarcht, qu'a-t-il vu ou fait ? Nous n'en saurons rien si ce n'est cette phrase terrible : "il avait vu plus que tout homme ne peut retenir".
Et le pouvoir d'évocation, utilisé par Sebald dans tous ses livres : les photos, petites, pas toujours nettes... effet garanti sur moi lectrice ! Paul existe. Existait. Puisque je le vois ! Sebald nous le dit, et je le crois ; en regardant ces photos : "les morts reviennent ou bien nous sommes sur le point de nous fondre en eux".
Lors de la séance, je l'ai ouvert à ¾... mais aujourd'hui je l'ouvre en grand. C'est un grand livre, et Sebald un grand auteur.

Marie-Thé(Austerlitz)
J'ouvre aux ¾ ce livre que j'ai adoré. Si j'enlève ¼, c'est à cause de ses cinquante premières pages environ, traitant d'architecture (militaire) : elles m'ont assommée, tout comme certains passages traitant du temps (Greenwich, l'observatoire).
J'ai aimé voir dans Austerlitz une quête des origines, un retour aux sources, un voyage dans l'espace et dans le temps, et bien sûr un voyage intérieur.
Jacques Austerlitz dans sa trajectoire m'a fait penser à Sebald. J'ai été sensible à la présence du narrateur recueillant la parole, tel un psychanalyste à l'écoute attentive. L'enfance d'Austerlitz près du prédicateur calviniste, promettant le feu de l'enfer aux impies, m'a fait penser à Bergman, la présence "effacée" de Gwendolyn, son agonie, la déchirante séparation, tout cela m'a émue. Ensuite, c'est la très belle rencontre avec le professeur Hilary qui a retenu mon attention, père spirituel, mais pas seulement.
Je découvre avec bonheur l'amitié de Gérald et Jacques, ce soutien mutuel, les étés à la thébaïde, où l'évanescence des contours donne "le sentiment de l'éternité" : état océanique, unité avec le grand tout..., je pense à Spinoza...
Rendez-vous aussi avec l'oncle Evelyn, papiste austère, marqué dans son corps et dans son âme, jusqu'à la mort, à l'opposé du grand-oncle Alphonso, naturaliste heureux. Très beau parallèle par ailleurs entre le cortège funèbre vers le cimetière de Cutiau et celui peint par Turner à Lausanne. J'ai aimé observer grâce à Alphonso mites et insectes nocturnes (pensée pour Nabokov, passionné par les papillons, mais lui les épinglait).
Le chemin vers Prague, puis vers Terezin, les retrouvailles avec Vera, les belles photos de la mère, du petit garçon de quatre ans au costume de page m'ont bouleversée. J'ajouterai ici que tous les personnages de ce livre (même le prédicateur) sont attachants. Sebald aime ses personnages (on est loin de Martin Amis). Puisque j'y suis, j'ai pensé à Proust, jusqu'aux "pavés disjoints", etc., et à
Dora Bruder de Modiano.
Je note bien sûr ces angoisses terribles (pour le narrateur aussi parfois), l'importance considérable de tout ce qui est enfoui, en soi ou à l'extérieur de soi, du passé enfoui et qui ne refera pas surface, des strates toujours... La description et l'histoire de l'implantation de la Bibliothèque nationale illustre bien tout cela (passages assez drôles tout de même). À noter encore l'importance des tunnels, des ponts, des réseaux ferroviaires, des gares, lieux de passage à la recherche de ce qui est caché.
Sebald n'est plus de ce monde, même si Evan qui voit les esprits évoque "un petit morceau de soie (...) pour nous séparer de l'autre monde", il n'y aura pas de suite à Austerlitz, nous resterons à quai...

Cindy(Austerlitz)
Lors de la réunion, j'ouvrais aux ¾, et après la rédaction de mes notes et une relecture, j'ouvre en grand !
Au début de quelques dizaines de pages, je me suis ennuyée avec les descriptions architecturales (gares, ouvrages de défense...), tout en étant intriguée par ce que le narrateur racontait (la salle des pas perdus, le Nocturama) et parce qu'il ressortait de ces discussions avec Austerlitz : "ce genre d'histoires apocryphes qui contrastaient étrangement avec son sérieux et sa rigueur" (
p. 40).
Leurs rendez-vous dans des lieux chargés d'histoires avec photos et plans, de souvenirs, apportaient cependant du mystère à ma lecture. Il y avait sûrement un lien avec ce que recherchait le personnage central. Le narrateur me met sur une des pistes avec une description terrible d'une forteresse "pur produit monolithique de la laideur et de violence aveugle"
(p. 28) suite à sa visite de Breendonk : "si je songe à tout ce qui sombre dans l'oubli chaque fois qu'une vie s'éteint, (...) me revient à l'esprit (...) l'histoire de ces paillasses fantomatiques recouvrant le bois des châlits superposés et qui leur bourre s'étant décomposée avec les ans avaient perdu volume et épaisseur, s'étaient ratatinées comme si elles étaient les enveloppes mortelles de ceux qui gisaient naguère en ce lieu des ténèbres" (p. 30-31).
Mais j'ai arrêté avec en mémoire La zone d'intérêt d'Amis lu précédemment. Allais-je encore être éprouvée, bouleversée ? Et puis j'ai repris un beau matin avec un grand plaisir de lecture littéraire en ne cessant pas de lire jusqu'à la dernière page, dévorant le livre, relisant des passages que je trouvais magnifiques, me délectant de tous les récits.
Ce texte original sans chapitre , ni retour à la ligne
, aux phrases longues, a donné un rythme effréné à ma lecture, comme s'il y avait urgence à tout capter, à tout garder (corps et esprit) dans une apparence légère, avec des accents poétiques, philosophiques, malgré la douleur, la mort, les souffrances qui surgissent au milieu de descriptions somptueuses et émouvantes : "la proue du navire plus haute qu'un immeuble, les mouettes qui tournoyaient au-dessus de nos têtes (…) les rayons de soleil perçant les nuages et la petite fille rousse en tartan écossais avec sa barrette de velours dans les cheveux qui pendant la traversée de terres obscures s'était occupée des plus petits (…) j'avais rêvé (…) qu'elle me jouait dans une chambre éclairée par la lueur bleutée de la nuit une chanson amusante sur une sorte de bandonéon. Are you allright" (p. 169).
Ce fut une belle expérience car j'ai été transportée intensément par un beau récit littéraire captivant, prenant, avec des indices comme des petits cailloux blancs déposés çà et là pour m'éclairer, parce que c'est aussi une histoire profondément humaine avec également des analyses psychologiques remarquables. Des descriptions merveilleuses comme p. 144 : "L'après-midi au sud-ouest de gros nuages ventrus montaient souvent à l'horizon, se bousculaient et se multipliaient à foison pour former versants à la blancheur neigeuse et abruptes falaises toujours plus vertigineuses (…) Puis dans le lointain des averses chassées vers les terres pendaient sur l'océan comme les lourds rideaux d'un théâtre".
J'ai aimé le portrait de cette homme déraciné, sensible, érudit, réservé et fier, malgré son passé douloureux dans son inconscient. Passé que j'ai découvert avec impatience au cours de ma lecture. Le narrateur a réussi à me prendre avec lui pour accompagner Austerlitz dans sa quête de savoir, dans ses recherches pour découvrir ses origines. Tout cela m'a fait comprendre effectivement encore plus fort ce que peuvent vivre aujourd'hui tous ceux qui se retrouvent chassés, déplacés, déracinés sans pouvoir agir et par conséquent sans connaitre le pourquoi. Sebald a trouvé le ton juste sans misérabilisme. Et pourtant on traverse une histoire européenne douloureuse sans chronologie entre 1930 à Prague, Paris, Marienbad, Pays de galles, Londres et la Grande bibliothèque. Il a attaché son récit et l'écriture au caractère d'Austerlitz, polyglotte et cultivé. Beaucoup de choses de son passé raisonnent en lui et l'ont construit. Il y a de beaux personnages comme celui de Marie à Marienbad attentive à ses douleurs "ne peux-tu pas me dire … ce qui te rend à ce point inaccessible ? Pourquoi …es-tu comme un étang pris par des glaces ? Pourquoi est-ce que je te vois ouvrir la bouche, sur le point de dire quelque chose, de le crier même, et qu'ensuite je n'entends rien ?
(p. 254)
Tout est en justesse, finesse, élégance. Le narrateur s'est effacé devant cet ami si brillant qui force l'admiration, jusqu'au jour où il s'abandonnera à des confessions sur sa vie : "À diverses reprises en semblable occasion, il est même arrivé que d'emblée certains se montrent prêt à s'ouvrir sans réserve à un inconnu (...) ce ne fut pas le cas avec Austerlitz, resté très discret y compris par la suite sur ses origines et les circonstances de sa vie" (p. 12).
Peu à peu je l'ai rejoint dans sa vie auprès de ses parents nourriciers, puis au pensionnat, avec toujours cette quête insaisissable et cette volonté de revenir en arrière, d'aller aussi dans l'inconnu pour comprendre. Deux personnages seront déterminants Gérald et Véra. J'ai aimé ces personnages attachants et humains qui ont apporté des réminiscences sans oublier la mort qui plane avec l'accident d'avion de son ami Gérald : "ce fut une catastrophe et peut-être le début de ma propre perte, de mon enferment de plus en plus maladif sur moi-même"
(p. 139) et "Quand le souvenir vous remonte, on croirait par moments voir le passé comme au travers d'un bloc de cristal et quand en te racontant cela dit Véra j'abaisse les paupières, je nous vois tous les deux réduits à nos pupilles maladivement dilatées, regarder du haut de la tour du Pétrin la colline verte que , telle une grosse chenille , le funiculaire est en train d'escalader, tandis que très loin (...) le train que tu attendais toujours avec impatience et qui maintenant traverse le pont sur le fleuve en tirant derrière lui un sillage de vapeur blanche" (p. 188)
J'ai compris peu à peu la fascination de l'architecture d'Austerlitz et surtout à la fin du livre, la mémoire des monuments, des gares, du voyage en train, tout ce qu'il avait vécu petit… Ces souvenirs expliquant sa fascination pour l'architecture ont été comme des petits cailloux blancs pour avancer dans la compréhension de ses origines. Et puis il a toutes ces photographies bouleversantes qui ont permis de matérialiser, de dire des vérités, de créer des certitudes, de s'approcher de la vérité concernant ses parents, de la fin de l'histoire de Jacques, Austerlitz, survivant de l'holocauste.
J'ai vraiment été emportée par cette lecture exigeante mais remplies de signes, de détails, d'images entre réalité, rêves, illusions, espérances. Chaque récit inoubliable apportant de la profondeur et de l'humain : "ce qui m'a constamment fasciné dans le travail photographique, c'est l'instant où l'on voit apparaitre sur le papier exposé, sorties du néant pour ainsi dire, les ombres de la réalité, exactement comme les souvenirs"
(p. 93). On imagine déjà qu'il trouvera : "Toutes les formes et les couleurs étaient noyées dans une vapeur gris perle ; il n'y avait plus de contrastes ni de dégradés, seulement une pulsation imperceptible et instable de la lumière, un flou indifférencié d'où émergeaient que les figures les plus fugitives (...) je m'en souviens très bien, c'est l'évanescence de ces contours qui à l'époque me donna le sentiment de l'éternité." (p. 115)
Il y a aussi un joli passage contre le pouvoir du temp
s avec une note d'espoir : "dans l'espoir que le temps ne passe pas (...) que je puisse revenir en arrière et lui courir après, que là-bas tout soit alors comme avant" (p. 122).
C'est avec la rencontre avec Véra (p. 181) et des photos de la sienne en petit garçon déguisé (p. 217) et celle de sa mère (p. 297) que tout s'enchaînera pour l'arracher au néant. Avec le souvenir d'une musique : "à la fois pénétrante (…) m'a remué jusqu'au fond de l'âme…ce qui se passa en moi tandis que j'écoutais cette musique de nuit absolument étrangère, comme arrachée du néant (…) je ne le saisis toujours pas…de même que je ne saurais su si ma poitrine était oppressée sous l'effet de la douleur ou se dilatait de bonheur pour la première fois de ma vie" (p. 321)
J'ai fermé le livre en ayant l'envie de le reprendre bientôt, de relire l'histoire de Jacquot. Car il y a de l'espérance, de la consolation, de l'empathie et du bonheur ! Et ça fait du bien. C'est un grand, grand livre littéraire, inhabituelle dans sa forme mais qui le rend encore plus enrichissant en tous points.
La littérature cela sert à ça ! Merci SEBALD !
Edith (Les Émigrants)
Je viens de terminer les trois premiers récits - lecture lente et souvent interrompue, ce qui nécessite de me replonger à chaque reprise dans "l'univers" de Sebald. J'ai beaucoup aimé (Dr Henry Selwyn, Paul Beryter, Ambros Adewarth) et je me suis empressée d'en écrire mes impressions.
D'abord le vertige agréable du voyage dans le temps et dans l'espace, tous continents parcourus par chacun des personnages évoqués et je suppose aussi par Sebald lui-même en quête des disparus. Récits que j'ai sentis comme une évocation mélancolique, une voix parfois étouffée et chuchotant celle d'un vieil homme racontant. Ces récits pourraient être lus à haute voix : la lenteur, pour la bonne compréhension, en multiplierait la force.
J'ai ressenti que le lien de ces "déplacements-recherches" était celui des existences traversées par les guerres européennes - les deux dernières - et par l'obligation de partir pour fuir les violences, sinon les pogroms. Ce sont des Juifs de la diaspora. Livre actuel pour moi du fait de notre actualité. Entre parenthèse je viens de terminer aussi le très beau texte de Delphine Horvilleur intitulé Comment ça va pas ? concernant notre actualité au lendemain du 7 octobre 2024. Peut-être, le titre des "Émigrants" et non des "Émigrés", permet d'évoquer le mouvement, le départ, la fuite, la quête d'un ailleurs, alors que les "Émigrés" me renvoient plus à une installation de fait.
Bref j'ai aimé ces trois premiers récits. Le mélange de langue française et anglaise - bien que traduit de l'allemand par Patrick Charbonneau - me fait penser que seul l'allemand a été traduit pour le lecteur français, l'anglais renvoyant dans le récit à la nostalgie - de l'auteur... vraisemblablement ? - les États-Unis, New York, lieu de migration de l'auteur, puis la Grande Bretagne en sa fin de vie. Les trois récits illustrent et déroulent avec minutie la tragédie de la fuite, le destin des trois héros disparus et "scellés" dans une mort-suicide ou dans l'acceptation d'un état presque désiré de non-vie, conséquence des électrochocs à répétition. Un état pathologique de sidération un "hors vie", recherchés peut être comme un ailleurs désiré : celui de Ambros. Peut-être aussi ces trois récits proposent-ils une forme de biographie, sinon de généalogie littéraire, pour Sebald, démonstration littéraire et magistrale dans la forme faisant "œuvre" littéraire.
Je n'ai, jusqu'à ces lignes, effectué aucune recherche sur l'auteur si ce n'est la quatrième de couverture qui m'a donné quelques repères sur l'auteur. Mais j'ai de nombreuses questions et de ce fait utiliser les recherches proposées par VAC une fois de plus.
Cependant, la très longue description de Jérusalem par Ambros dans son agenda, m'incite à aller voir aussi sur internet ce qu'est précisément et actuellement la morphologie de la ville... Et je rencontre à nouveau l'actualité de la guerre. Le récit du rêve de l'auteur à Deauville et alentours est hallucinant et se lit presque sans respirer… : "plus tard dans ma chambre d'hôtel (...) un rêve vint me visiter". Peu après, je vois imprimé dans le texte la photo de la carte de visite invitant au voyage à Ithaca, curiosité éveillée, en suivant les lignes de Sebald je découvre Ithaca. C'est un hôtel de soins psychiatriques où j'ai aussi, du fait de ma lecture, "rencontré" le docteur Abramsky et attendu de lui la révélation de la fin de Ambros, p. 122 à 130... Longue description de la route, celle que mentalement j'ai prise aussi avec Sebald et jusqu'à la fin du récit : empathie très forte pour ce témoignage, fin de Ambros désespéré.
Dans chaque récit, il m'a fallu rester attentive car du glissement d'une évocation à une autre m'a parfois déstabilisée. Les généalogies sont complexes, notamment celle de Ambros - plus simple et linéaire dans les deux autres récits.
J'ai voyagé, je le répète - beaucoup - avec ces trois récits et me suis laissé emporter par le style : les longues descriptions par le menu de chaque détail de l'environnement, les odeurs, les ambiances, tout par moment me renvoyait à la lecture de Proust, le livre partagé il y a peu de temps. Même plaisir de texte. Même "transport" ! Ne peut-t-on évoquer comme le fait Sebald les disparus qu'à travers la minutieuse description de lieux et des sentiments perçus de lui ? Faire revivre le, les disparus en accumulant les éléments du cadre, la ville, l'hôtel (y compris quand il a été démoli), un objet, un groupe de personnes et faire ressentir comme Sebald semble vouloir le faire, la volonté du présent encore et encore dans sa démarche ? Ils sont là ses "héros familiaux" et je m'y attache. Progression lente de l'action, la mort connue est au bout du récit, mais le temps du récit dans sa précieuse minutie nous tient présent et en vie ce "héros".
Cela m'évoque la minutie en temps presque minuté avec laquelle on "raconte" la fin d'un proche affectivement, comme si le temps, bref parfois, qui précédait le dernier souffle, le témoin essayait une tentative (vaine) de retenir ou peut être répondre à la question insolvable de l'instant de la mort et son "mystère".
La minutie des détails ne m'a jamais lassée, les images (photos) certaines trop petites pour y décerner les détails, renforcent la nostalgie, la volonté de faire advenir le passé et les morts, les morts (encore !)
J'avais lu il y a longtemps le livre sur la photo de Roland Barthes et je me souviens du texte accompagnant la photo de la mère (enfant) de l'auteur et de la force - écrivait-il - et de "sa" présence, celle de sa mère paradoxalement plus ressemblante, plus "retrouvée" sous ses traits d'enfant. Même ressenti pour ma part quand, sur des photos, rares et petites en noir et blanc, j'essaie de retrouver la VIE du moment de la prise… d'autant que la rareté des documents dans les années 1950, 1980, en accuse le coté précieux - moments rares et disparus fixés appelant le souvenir et renvoyant à d'autres souvenirs.
Je parle peu de Paul Bereyter, je résume sa vie, qui est pour moi une histoire toute tracée, la dépression ligne de "force" et son silence : trois quarts aryen, des lunettes, objet évoqué souvent du fait de leur importance dans l'évocation de Paul, un amour impossible avec Hélène vraisemblablement déportée et mort, un séjour dans l'armée allemande pour la guerre 39-45, Yverdon et son attachement à S. ; Madame Landau, une connaissance du personnage Bereyter, qui retrace des épisodes de la vie "sociale" de Paul B. dans ses dernières années. Et p. 77 "une petite histoire anodine (...) finir aux chemins de fer" phase "mortelle" renvoyant au suicide de Paul ! Fatalité, ironie de la vie ? Ligne de "force" du chemin de fer au chemin de fer ! Ce récit, tout en déroulés de menus détails, lignes d'écriture denses, texte qui saute d'un personnage à l'autre, photos de visages à peine lisibles, traces et allusion au caractère de Paul, son éventuelle violence… ça m'a embarquée.
Quant au Dr Henry Selwyn, la découverte du lieu Hingham, future location de l'auteur et de sa femme Clara, m'invite comme précédemment à les suivre. Qui va-t-il ou veut- il rencontrer ? Cette fois encore, comme pour le récit de Paul Bereyter, c'est Aelen, servante bizarre, qui habite une partie de leur demeure qui évoque le personnage disparu. Et par un détour d'événements anodins faits de descriptions de lieu, de menus détails... trois mots plus loin je lis, presque surprise, le suicide de Selwyn avec sa grosse carabine. Lors de son voyage en Suisse, à la lecture du journal, une autre nouvelle saisit Sebald inopinément : deux destins unis dans la mort. Une vignette photo lui apprend que le corps de Naegel alpiniste, ami très proche de Selwyn, et disparu dans les glaces - une perte douloureuse - a été rendu par la montagne plus de 70 ans après l'accident.
J'ai apprécié ces trois récits, avec toutefois la difficulté de les désintriquer. Les rendre autonomes m'a demandé une relecture rapide. Une sensation de retrouver chaque début de nouvelle, avec une même invitation au souvenir par le voyage les lieux, une voix presque chuchotée, confidence intime livrée sans "trémolo" pour dire tellement de drames encourus dans le siècle précédent, un agencement des phrases parfois longues (tant mieux) et mélancoliques pour faire sortir de l'ombre de la mort les émigrants. J'ouvre en entier. Même pas un quart en moins du fait de l'attention très soutenue et nécessaire...


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE


Repères biographiques et littéraires
-
des dates
- des rejets déterminants
- influences littéraires
- le chemin, la forêt, le banc Sebald

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L'éditrice et le traducteur
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- expositions et colloques
- livres sur Sebald
- une thèse sur Les Émigrants
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- articles

Sur Les Émigrants
: en France avant la traduction du livre, à la sortie du livre en France en 1999, en 2001 à la mort de Sebald, articles ultérieurs + ce que dit Sebald lui-même sur Les Émigrants


REPÈRES BIOGRAPHIQUES ET LITTERAIRES

• Des dates

- 1944 : naissance de Winfried Georg Maximilian Sebald à Wertach, village de 1000 habitants dans les Alpes bavaroises.
Il a deux sœurs, est le dernier enfant.
Il vivra avec sa famille jusqu'à l'âge de 8 ans dans un appartement au premier étage de l'auberge Weinstube Steinlehner.

Je viens d'une famille catholique très conventionnelle, anticommuniste ; un milieu social qui se situe à la charnière de la classe ouvrière et de la petite-bourgeoisie. (Entretien avec Carole Angier, “Qui est W.G. Sebald ?")

- 1954-1963 : après l'école primaire puis un établissement secondaire catholique à Sonthofen, lycée d'Oberstdorf où il a pour camarade le le futur peintre Jan Peter Tripp (avec qui il fera un livre) ; baccalauréat. À 17 ans, il "quitte" l'église catholique, décision hardie vue sa famille et son environnement. Dispensé du service militaire pour raisons cardiaques. En 1962, il assiste à la projection d'un documentaire sur la libération de Bergen-Belsen. Il s'intéresse de très près au déroulement du procès d'Auschwitz à Francfort (1963-1965).
- 1963-1966 : deux années d'études de littérature allemande et anglaise à l'université de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), puis année de licence à l'université de Fribourg (Suisse).
- 1966-1968 : lecteur à l'université de Manchester.

- 1967 : mariage avec Ute, d'origine autrichienne (elle travaillait dans un salon de beauté et il l'a vue par la fenêtre.. ).
- 1968 : mémoire de maîtrise sur Carl Sternheim, dramaturge allemand (publié sous le titre Carl Sternheim : Kritiker und Opfer der Wilhelminischen Ära, éd. W. Kohlhammer, 1969).
- 1968-1969 : il enseigne durant un an à Saint-Gall (Suisse) à l'Institut (privé) Rosenberg.
- 1970 : il rejoint l'université d'East Anglia, à Norwich, où il fera toute sa carrière, comme maître de conférences, puis professeur.

- 1972 : naissance de sa fille Anna, qui sera professeure.
- 1973 : thèse de doctorat, The Revival of Myth: A Study of Alfred Döblin's Novels (publiée en 1980).
- 1975-1976 : poste à l’institut Gœthe de Munich, puis retour définitif en Grande-Bretagne. En 1976, les Sebald ont une fille, ils achètent un ancien presbytère avec un jardin dans un village à l'extérieur de Norwich.
- 1980 : Sebald prend un congé d'un semestre pour travailler sur "Littérature et psychopathologie", qui aboutit à un essai sur le poète Ernst Herbeck, interné, avec qui il passe quelques jours. On retrouve cet essai dans le livre Campo Santo et l'on peut lire une visite dans le roman Vertiges. 1981 : conférence à l'hôpital psychiatrique suisse où Robert Walser séjourna.
- 1986 : habilitation à l'Université de Hambourg avec le texte La Description du malheur : à propos de la littérature autrichienne (Die Beschreibung des Unglücks: zur österreichischen Literatur von Stifter bis Handke).
- 1987 : nommé à une chaire de littérature européenne.
- 1988 : premier texte littéraire publié, D'après nature : poème élémentaire (Nach der Natur: ein Elementargedicht, photographies de Thomas Becke).
- 1989 : fondateur et directeur du British Centre for Literary Translation. Un des objectifs : contrer l'europhobie croissante au Royaume Uni ; le centre permettait de donner une chance aux auteurs étrangers sur le marché britannique.
- 1992 : Les Émigrants (Die Ausgewanderten) est un succès. Sebald fait des voyages, apparaît dans des émissions en Allemagne, Autriche et Suisse.
- 1996 : Susan Sontag dans le Times Literary Supplement contribue à la notoriété de Sebald :

W.G. Sebald has written an astonishing masterpiece: it seems perfect while being unlike any book one has ever read. Bewitching in its subtlety, subtle in its directness and in the grandeur of its subject, The Emigrants is an irresistible book.

- 1997 : voyage aux États-Unis avec le Gœthe-Institut.
- 2001 : victime à l'âge de 57 ans d'un accident cardiaque alors qu'il était au volant de sa voiture près de Norwich ; sa fille Anna a survécu. Il est enterré, dans un cimetière proche de sa maison en Angleterre.


• Des rejets déterminants
Le père de Sebald, né en 1911, a suivi une formation de serrurier. Il rejoint la Reichswehr en 1929 et atteindra le grade de capitaine dans la Wehrmacht.

Mon père était officier, il était déjà dans l'armée depuis deux ans quand les nazis ont pris le pouvoir. Pour son père, qui travaillait dans les chemins de fer, cette carrière militaire représentait une ascension sociale qui le comblait. (Libération, 1999)

- Le père de Sebald rencontre sa femme à l'époque des préparatifs de l'invasion de la Pologne en 1939. Sebald conclut que vu le contexte de sa naissance, on peut le considérer comme un "produit du fascisme"...
- Sebald n'a pas encore trois ans lorsqu'en 1947 la famille retrouve le père, libéré d'un camp de prisonniers de guerre français. Objet d'idéalisation pendant son absence, le père est diminué moralement et physiquement (il pèse moins de 50 kilos), mais autoritaire et exigeant dans un univers familial jusqu'ici gouverné avec bienveillance par la mère, la sœur aînée Gertrud et les grands-parents maternels très aimés.
- Le père, au retour de la guerre, travaillait à 20 km et ne rentrait chez lui qu'entre le samedi midi et le dimanche midi jusqu'en 1952. Le grand-père eut jusqu'à sa mort en 1956 un rôle de père, de mentor. Il avait été agent de police du village et lors de longues promenades, il apportait à son petit-fils des connaissances sur la montagne et l'histoire des habitants du village. C'est lui qui lui apprit à lire.

Je pense à la façon dont parlait mon grand-père. Il était né en 1872 et parlait encore un allemand qui avait été influencé par le français des guerres napoléoniennes. J'ai passé mon enfance avec lui, parce que ma mère était trop occupée et mon père prisonnier de guerre. Il m'a tout appris et je continue de penser à lui tous les jours. (Entretien avec Sarah Kafatou, 1998).

- Sebald choisit de présenter son prénom à la mode anglo-saxonne, sous la forme de ses initiales. Il refuse Winfried pour ses consonances trop germaniques et ses accents trop wagnériens ; Georg ne lui plaît pas davantage : trop chrétien à son goût, c'est aussi le prénom de son père ; il préférait s'appeler lui-même "Bill" ou "Max".
- Sebald fut exaspéré par le silence de son père sur les événements de la guerre. Dans la littérature et la société allemandes en général, Sebald y déplore le peu d'intérêt à l'égard des nombreuses destructions en Allemagne dues aux bombardements alliés durant les derniers mois de la guerre.

Je n'ai pas posé de question sur cette période à mes parents. J'ai essayé, mais c'était comme dans toutes les familles allemandes de cette génération : si les enfants commençaient à en parler, ça dégénérait en disputes. L'Holocauste était un sujet tabou. Je suppose que, même entre époux, c'était tabou. Je ne peux pas imaginer ma mère demandant à mon père : "Mais qu'est-ce que tu as fait en Pologne, en 1939 ? Raconte". (Libération, 1999)

- Le déménagement à Fribourg (en Suisse) a été motivé par son désir d'échapper à l'environnement étouffant et moralement compromis des professeurs allemands de l'Université de Fribourg (en Allemagne), où il avait initialement étudié. Cela lui a également donné la possibilité d'étudier sans loyer, sans le soutien financier de son père, tout en vivant dans un appartement avec sa sœur aînée bien-aimée Gertrud et son mari suisse, Jean-Paul Aebischer.

Il y avait quelque chose de terriblement hypocrite dans la façon dont les sciences humaines étaient structurées dans les universités de cette époque, et cela ne me plaisait pas du tout. [...] Quand je suis allé à l'université de Fribourg pour étudier la littérature allemande, je n’ai rien pu soutirer de mes professeurs. Ils avaient tous fait leur doctorat dans les années 1930 et 1940. Et, cela va sans dire, ils étaient tous démocrates. Sauf que, plus tard, il s'est avéré que tous, d’une manière ou d’une autre, étaient de fervents partisans de ce régime. (Sebald, entretien avec Arthur Lubow, L’Archéologue de la mémoire, Actes Sud, 2009)

- Sebald n'est pas le premier dans sa famille à émigrer : ses trois oncles et tantes maternels ont émigré d'Allemagne dans les années 1920 vers les États-Unis et y sont restés jusqu'à leur mort ; les deux sœurs de Sebald, Gertrud et Beate, ont déménagé très tôt en Suisse (voir "Five “crucial events” in the Life of W. G. Sebald").

Une grande partie de ma famille vit à New York. Quand j'étais jeune, c'étaient des personnages formidables, très présents dans notre vie, ils nous envoyaient des cadeaux. Ils venaient d'un milieu rural, très catholique. Ils sont partis à la fin des années 20, à cause de la crise et du chômage. Ma mère était la plus jeune, elle avait 17 ans en 1933 ; un peu plus âgée, elle serait partie à son tour, mais, puisqu'en 1933, grâce à Hitler malheureusement, les temps se sont arrangés économiquement, elle est restée. Je viens d'un milieu à la lisière de la petite-bourgeoisie. C'est là que se trouvaient les personnes qui ont soutenu avec enthousiasme le régime hitlérien, parce qu'ils avaient une peur incroyable de retomber dans la classe ouvrière si l'économie se dégradait. (Libération, 1999)

• Influences littéraires
- Sebald a complètement rejeté le courant dominant de la littérature ouest-allemande des années 1950 à 1970, représenté par Heinrich Böll et Günter Grass : "Je déteste [...] le roman allemand d'après-guerre comme la peste."
- Les œuvres de Jorge Luis Borges, notamment "Le Jardin des sentiers qui bifurquent" et "Tlön, Uqbar, Orbis Tertius", ont eu une influence majeure sur Sebald (tous deux dans le recueil Fictions, lu à Voix au chapitre...) ; Tlön et Uqbar apparaissent dans Les Anneaux de Saturne.
- Dans une conversation au cours de sa dernière année, Sebald a nommé Gottfried Keller, Adalbert Stifter, Heinrich von Kleist et Jean Paul comme ses modèles littéraires.
- Il attribue également au romancier autrichien Thomas Bernhard une influence sur son œuvre et rend hommage dans son œuvre à Kafka et à Nabokov (la figure de Nabokov apparaît dans chacune des quatre textes des Émigrants : voir en détail ici).

• Le chemin, la forêt, le banc Sebald
En mémoire de l'écrivain, la ville de Wertach a créé en 2005 une promenade de onze kilomètres de long appelée "Sebaldweg", du poste frontière d'Oberjoch jusqu'à la maison natale de W. G. Sebald, à Wertach. L'itinéraire est celui emprunté par le narrateur la dernière partie de son livre Vertiges. Six stèles ont été érigées tout au long du chemin avec des textes du livre relatifs au lieu, ainsi qu'avec des références aux incendies et aux personnes décédées pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans l'enceinte de l'Université d'East Anglia à Norwich, un banc rond en bois entoure un hêtre cuivré, a été planté en 2003 par la famille de W. G. Sebald à la mémoire de l'écrivain. Avec d'autres arbres donnés par d'anciens élèves de l'écrivain, la zone est appelée "Sebald Copse".


Le banc, dont la forme fait écho aux Anneaux de Saturne, porte une inscription tirée d'un poème qui rend hommage aux Anneaux de Saturne : "Unerzählt bleibt die Geschichte der abgewandten Gesichter“ (Non racontée reste l'histoire des visages détournés que l'on ne peut voir)

LIVRES DE SEBALD EN FRANCAIS

Tous traduits par Patrick Charbonneau, sauf Les anneaux de Saturne.
Tous publiés aux éditions Actes Sud, sauf trois textes aux éditions Fario : ils sont listés ci-dessous dans l'ordre de leurs traductions (titre en allemand et date de première publication entre parenthèses).

- Vertiges, roman (Schwindel, Gefühle,1990), 2001 ; Folio, 2003 ; Babel, 2012.
- Les Émigrants : quatre récits illustrés, roman (Die Ausgewanderten,
1992), 1999 ; Folio, 2003 ; Babel, 2001.
- Les Anneaux de Saturne, roman, traduit par Bernard Kreiss (Die Ringe des Saturn : eine englische Wallfahrt, 1995), 1999 ; Folio, 2003 ; Babel, 2012.
- De la destruction : comme élément de l'histoire naturelle, essai (Luftkrieg und Literatur, 1999), 2004. Ce livre reprend trois conférences qu’il prononça à Zurich en 1997 et les analyses qu'il fait des réactions qu'elles provoquent, notamment par des lettres de lecteurs. Il évoquait les bombardements alliés qui firent de nombreuses victimes parmi la population civile et rasèrent presque totalement plusieurs villes allemandes, destructions qui avaient laissé peu de traces dans la littérature nationale allemande.

- Séjours à la campagne (Logis in einem Landhaus, 1998), illustrateur Jan Peter Tripp, 2005.

Six portraits illustrés de trois Allemands : Johann Peter Hebel, Eduard Môrike et le peintre Jan Peter Tripp ; deux Suisses de langue allemande Gottfried Keller et Robert Walser, lu à Voix au chapitre ; et Jean-Jacques Rousseau. Séjours à la campagne invite aussi à découvrir le paysage préalpin, région dont tous les artistes de ce recueil sont originaires, y compris Sebald. Le livre se termine par "Au royaume des Ombres", un texte écrit par Jan Peter Tripp en hommage à son ami W. G. Sebald, ainsi que le portrait posthume qu'il a peint de lui.

- Austerlitz, roman (Austerlitz, 2001), 2002 ; Folio, 2006 ; Babel, 2013.
- D'après nature : poème élémentaire, traduit de l'allemand par Sibylle Muller et Patrick Charbonneau (Nach der Natur: ein Elementargedicht, photographies de Thomas Becker, 1988), 2007.

Ce triptyque poétique relate trois vies, celle de Matthias Grünewald (v. 1475-1528), peintre du célèbre retable d'Issenheim, celle de Georg Wilhelm Steller (1709-1746), naturaliste et explorateur qui a participé aux expéditions de Bering, et celle de Sebald lui-même.

- Campo Santo (Campo Santo, Prose, Essays, 2003), trad. Patrick Charbonneau et Sibylle Muller, 2009 : Babel, 2017 : quatre récits corses et quatorze essais.
- "Ombres errantes. Aux limbes de la Création", revue Fario n° 9, 2010, p. 9-53.
- "Vue cavalière de la Corse", revue Fario n° 10, 2011, p. 17-92

- La Description du malheur : à propos de la littérature autrichienne (Die Beschreibung des Unglücks: zur österreichischen Literatur von Stifter bis Handke, 1985), 2014 ; Babel, 2014. Extrait :

S’il est juste de dire que l’on ne pourrait lire Schnitzler sans Freud, le contraire est également vrai. Tout aussi importantes m’apparaissent les contributions de Canetti à la compréhension des structures paranoïdes ou les descriptions d’une finesse microscopique que Peter Handke fait des états de crise schizoïdes. (…)
Un autre objet se trouve au centre de mes analyses : le malheur du sujet qui écrit, qui a déjà été souvent mentionné comme un des traits caractéristiques fondamentaux de la littérature autrichienne. Ceux qui embrassent la profession d’écrivain ne sont certes pas des gens qui abordent la vie sereinement. Sinon, comment en viendraient-ils à se lancer dans la tâche impossible de trouver la vérité ? Mais la proportion de vies malheureuses dans l’histoire de la littérature autrichienne est tout sauf rassurante…

- Nul encore n'a dit W.G. Sebald, Jan Peter Tripp (Unerzählt, 2003) trad. Patrick Charbonneau, préface de Gilles Ortlieb, une postface d’Andrea Köhler et "Un adieu à Max Sebald" de Hans Magnus Enzensberger, éd. Fario, 2014. Les images sont constituées uniquement de deux yeux, d'un regard donc, et en particulier d'écrivains et artistes : Borges, Proust, Beckett, Capote, Burroughs, mais aussi Louis Jouvet, Bacon...

- Amère patrie : à propos de la littérature autrichienne (Unheimliche Heimat: Essays zur österreichischen Literatur, 1991), 2017, avec 33 textes et 33 gravures de Jan Peter Tripp.

Étant donné l’évolution particulière, traumatique à maints égards, que l’Autriche a connue depuis l’époque du vaste empire des Habsbourg jusqu’à sa refondation dans les années d’après-guerre en passant par la petite République alpine puis l’État corporatif et l’Anschluss, autrement dit le rattachement à la funeste Grande Allemagne, la thématique tournant autour des notions de Heimat – de (petite) patrie, de province, de pays frontalier, d’étranger, d’étrangeté et d’exil – revêt une importance prédominante dans la littérature autrichienne des XIXe ET XXe siècles. (W. G. Sebald, extrait de la préface).

•Leur genre
Les livres de Sebald semblent se classer en deux catégories :
- quatre récits : Vertiges, Les Émigrants, Les Anneaux de Saturne et Austerlitz
- des recueils d’essais divers : De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, Séjours à la campagne.

Mais cette distinction ne tient pas très bien la route...
-
dans la première catégorie, Vertiges est un recueil de quatre textes : deux longs récits personnels alternant avec deux courts essais monographiques (l’un sur Stendhal, l’autre sur Kafka).
- dans la seconde catégorie,
Séjours à la campagne est un ensemble d’essais monographiques (sur Hebel, Rousseau, Möricke, Keller, Walser et son ami peintre Jan Peter Tripp) dans lesquels le portrait de l’auteur s'immisce constamment. Par exemple, en étudiant les photographies de Walser, l’écrivain suisse, il reconnaît en certaines d’entre elles son propre grand-père ; il relève que Walser et son grand-père sont morts tous deux la même année.

"Récits et essais de Sebald : tout semble revenir à un même constat, à un même geste d’écriture, à un souci commun. Il est toujours question de parcours, d’errances, de souvenirs, de correspondances, de plongée dans un matériau biographique, du réalisme des sujets abordés (vie, histoire), et surtout d’une confrontation égale entre image et texte. Si tous les textes de Sebald sont traversés par une même recherche, celle-ci concerne la confrontation entre le réel et l’image, faisant du livre le lieu d’une telle rencontre. Entre essai et récit, les proses de Sebald participent d’une confusion des genres, que renforce le contrepoint iconographique – on assiste à l’émergence d’une esthétique du vertige, du flou, du déplacement, de l’instabilité. Sebald invente ainsi un genre littéraire à part entière né d’une certaine confusion des genres préétablis, entre la monographie historique et le roman." (Frédéric Marteau, "L’écrit et la photographie : mélancolie du livre. Autour de l’œuvre de W. G. Sebald", L’Esthétique du livre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2010, p. 241-261)

"Mon élément, c’est la prose, non le roman", affirme Sebald.

L'EDITRICE ET LE TRADUCTEUR des Émigrants

• L'éditrice
Martina Wachendorff est depuis le début des années 1990 éditrice chargée de la littérature allemande et est-européenne aux éditions Actes Sud. Elle y dirige la collection Lettres allemandes créé en 2008.
Elle relate dans un article passionnant l'histoire de la publication de Sebald en France : › "Éditer W.G. Sebald en France". Extraits :

En 1992, lorsque la première grande œuvre littéraire de Sebald Les Émigrants fut publiée en Allemagne, je l'avais lue sans tarder. Quelle mélodie précise et belle, quel ton mélancolique mais vif. "Émigrante" moi-même, ces récits m'avaient secouée. L'exceptionnel talent de ce nouvel auteur plus très jeune ne laissait aucun doute - le sentiment d'évidence s'était emparé de moi. Je sais aujourd'hui que l'immédiateté de la conviction éditoriale est en fait rarissime dans la vie d'un éditeur. (...)
Sebald ! Ce nom ne disait rien à personne, même en Allemagne. Proposer à la publication Les Émigrants, livre inclassable - ni recueil de nouvelles, ni roman, ni autobiographie - d'un parfait inconnu, je n'ai pas osé. (...)
En 1996 paraissait la version anglaise des Émigrants, qui a rencontré un succès immédiat, surtout dans la presse. Susan Sontag, elle-même issue d'une famille d'émigrants, en fait, dans le
Times Literay Supplement, son "livre étranger de l'année 1996". Cet éloge est repris par Libération quelques semaines plus tard. (...)

Elle publiera tous les livres traduits de Sebald. Elle montre le travail de l'auteur avec l'éditeur :

Sebald a méticuleusement contrôlé la mise en page de ses œuvres et notamment l'emplacement des images. Pour notre service de composition, l'intégration des images exactement au même endroit que dans l'original a été un défi. J'ai dû personnellement assister l'opérateur. Dès qu'une image ne rentrait pas au bon endroit, il fallait trouver la solution qui ne trahissait pas le sens. Les lecteurs de Sebald connaissent l'importance de la place exacte par exemple de la photographie de Nabokov ou de la reproduction de Rembrandt, à tel endroit précis et non un paragraphe plus loin ! Parfois, on était obligés de tricher par la taille de l'image. Parfois, Sebald n'était pas d'accord et il fallait recommencer la mise en page au début du chapitre.
Pour Sebald, ces images n'étaient pas des "illustrations" mais un élément du texte. Elles avaient autant d'importance pour lui que les phrases, les lignes blanches, les virgules, les guillemets, les citations en langue étrangère, les italiques... Pour le "bricoleur", comme il se désignait en allusion à Claude Lévi-Strauss, tous les matériaux se valaient.

• Le traducteur
› Patrick Charbonneau, traducteur de tous les livres de Sebald, sauf le premier traduit, Vertiges, détaille les relations avec l'auteur à propos des problèmes de traduction dans
un article minutieux (en ligne : "Correspondance(s). Le traducteur et son auteur") : il montre que la traduction des Émigrants, de Vertiges et d’Austerlitz a donné lieu à une correspondance et à des entretiens avec W. G. Sebald, qui maîtrisait bien la langue française : l’auteur a suivi de très près le travail du traducteur. L'article aborde notamment les problèmes de traduction suivants :
- l'emploi de régionalismes et de termes dialectaux, rendus par des régionalismes français ou suisses
- les différents idiolectes des personnages et la prise en compte de formules de la langue parlée chez le narrateur
- les mots rares, parfois été inventés par Sebald ; devant la difficulté, celui-ci n’hésita pas à suggérer la suppression du terme dans la traduction. Ce qui importait à Sebald était aussi un certain ton, une certaine mélodie du texte. (Revue Recherches germaniques, Hors-série n° 2, 2005, p. 193-210).

› Sebald et l'anglais : ce qui précède vaut pour le français. En dépit de sa maîtrise de l'anglais et bien qu'il ait dirigé pendant cinq ans le British Centre for Literary Translation à Norwich, Sebald n'a pas traduit lui-même ses œuvres en anglais : il retravaillait profondément les manuscrits de ses traducteurs, avec l'aide en partie de sa secrétaire, un personnage apparemment : Bery Ranwell.

Remarque d'une germaniste attentive, Danièle, qui a loué la traduction de Patrick Charbonneau : en lisant l'échange très intéressant entre Sebald et le traducteur, j'ai trouvé p. 209-210 de leur correspondance : "Max, toujours à l'affût de la répétition, (combien de fois ne m'a-t-il pas demandé de changer un terme parce qu'il apparaissait une nouvelle fois quelques lignes plus loin)" la confirmation de ma remarque sur la traduction bizarre, p. 27, "n'éprouvez-vous jamais de nostalgie ?" pour traduire Heimweh, suivi quelques lignes plus loin par mal du pays, exacte traduction. Il a ainsi évité la répétition du mot Heimweh, qui, en allemand ne choque pas du tout, puisque c'est le sens exact et précis.

In ziemlich regelmäßigen Abständen besuchte uns Dr. Selwyn in dem noch fast ganz leeren Haus und brachte uns Gemüse und Kräuter aus seinem Garten - gelbe und blaue Bohnen, sorgsam gewaschene Kartoffeln, Bataten, Artischocken, Schnittlauch, Salbei, Kerbel und Dill. Bei einer dieser Gelegenheiten, Clara war in die Stadt gefahren, gerieten wir, Dr. Selwyn und ich, in eine längere Unterhaltung, die davon ausging, daß Dr. Selwyn mich fragte, ob ich nie Heimweh verspüre. Ich wußte darauf nichts Rechtes zu erwidern, Dr. Selwyn hingegen machte nach einer Bedenkpause mir das Geständnis - ein anderes Wort träfe den Sachverhalt nicht -, daß ihn das Heimweh im Verlauf der letzten Jahre mehr und mehr angekommen sei. Auf meine Frage, wohin es ihn denn zurückziehe, erzählte er mir, er sei im Alter von sieben Jahren mit seiner Familie aus einem litauischen Dorf in der Nähe von Grodno ausgewandert. À l'occasion d'un de ses passages, Clara était allée en ville, nous nous engageâmes tous deux dans une longue conversation, initialement motivée par la question du Dr Selwyn, qui voulait savoir si je n'éprouvais jamais de nostalgie. Je ne savais trop que répondre, mais le Dr Selwyn en revanche, au bout d'un temps de réflexion, me fit l'aveu - un autre mot serait inadéquat - qu'au cours des dernières années le mal du pays l'avait de plus en plus assailli. Comme je lui demandais quel était ce pays qui se rappelait à lui, il me raconta qu'à l'âge de sept ans il avait quitté avec sa famille un petit village de Lituanie situé dans la région de Grodno.
Certes, les Français ne supportent pas la répétition, mais là, c'était bizarre. J'aurais traduit la première apparition du mot Heimweh par mal du pays, pour que l'on sache de quoi on parle, puis quelques lignes plus loin, j'aurais évité la répétition en disant peut-être cette nostalgie, qui sous-entend celle dont on vient de parler, le mal du pays…
Bon, ils ne m'ont pas demandé mon avis !!!


SEBALD A LA SCENE (française) : théâtre, musique, danse

- 2011 : Jérôme Combier, compositeur, adapte pour la scène le roman de W.G. Sebald, Austerlitz, créé au Festival d’Aix-en-Provence.

- 2012 : Katie Mitchell met en scène au Festival d'Avignon Die Ringe Des Saturn (Les anneaux de Saturne) d'après le roman de W. G. Sebald, en allemand, avec les acteurs du Schauspiel de Cologne.

- 2024 : Austerlitz, ballet de Gaëlle Bourges, au Théâtre de Montreuil du 18 au 31 janvier.

- 2024 : Krystian Lupa adapte en une pièce de 4h deux des quatre récits des Émigrants : "Paul Bereyter" et "Ambros Adelwarth". Après une annulation à la Comédie de Genève où la pièce devait être créée, suivie de l'annulation au Festival d'Avignon 2023, la pièce est montée : Les Émigrants, au théâtre de l'Odéon, du 13 janvier au 4 février 2024. Voir ici le programme de salle à l'Odéon avec un entretien.

Sur cette pièce Les Émigrants, article, entretiens, émission :
- Avant les annulations : "Krystian Lupa, metteur en scène : 'Aujourd’hui, partout dans le monde, c’est la régression'", Brigitte Salino, envoyée spéciale à Cracovie, Le Monde, 10 janvier 2023.
- Entretien, avant les annulations : "Vous avez fait de la littérature romanesque l’un de vos matériaux de prédilection", par Marie Lobrichon, Festival d'Avignon, 2023.
- Entretien : "Les Émigrants de Krystian Lupa : W.G. Sebald fait exister dans son écriture l’art, la littérature comme expérimentation de l’empathie", La Terrasse, 20 décembre 2023.
- Radio : "Les Émigrants à l’Odéon", Théâtre de l’Europe, du 13 janvier au 4 février 2024, Valérie Guédot, France Inter, 18 décembre 2023.
- Radio : "La nouvelle pièce de Krystian Lupa est-elle un chef-d'œuvre ?", Géraldine Mosna-Savoye, France Culture, 15 janvier 2024.

RADIO

- W.C. Sebald (1944-2001), par Christine Lecerf, Une vie une œuvre, France Culture, 29 septembre 2012, 59 min. Avec Marie, amie d'enfance de Sebald, Ulrich von Bülow, directeur du fonds Sebald aux Archives de Marbach, Patrick Charbonneau, traducteur de Sebald, Ruth Vogel-Klein, spécialiste de l'œuvre de Sebald, Muriel Pic, auteure de W.G. Sebald, l'image papillon, Lucie Campos, auteure de Sebald, fictions de l'après, Romain Bonnaud, créateur du blog Norwich consacré à Sebald.

- "Retour sur l'œuvre de Sebald", par Caroline Broué, La Grande Table, France Culture, 15 décembre 2011, avec Mathieu Larnaudie, écrivain, membre du collectif "Inculte", qui a co-dirigé le livre hommage à Sebal et Gwénaëlle Aubry, chercheuse en philosophie au CNRS et écrivain, a aussi collaboré à l'ouvrage Face à W.G. Sebald, et Patrick Charbonneau, traducteur de la quasi-totalité de l'œuvre de Sebald en français. Deuxième partie de l'émission à partir de 58 min 40, durée : 28 min. On entend la voix de Sebald sur la relation de l'auteur au lecteur, extrait d'une autre émission qui n'est plus accessible : Cosmopolitaine, par Sylvie Coulomb et Paula Jacques ; France Inter, 30 décembre 2001.

- "Muriel Pic / Sebald", par Alain Veinstein, Du jour au lendemain, France Culture, 26 octobre 2009, 40 min. Muriel Pic vient alors de publier W.G. Sebald : l'image-papillon.

- "Sebald, Levi-Strauss et les contre-allées de l'Histoire", Emmanuelle Loyer, professeur des universités en histoire, colloque de Cerisy "W.G. Sebald. Littérature et éthique documentaire", septembre 2014, 46 min.

- Série "Pages arrachées" à W. G. Sebald : 5 épisodes de 25 min du 3 au 7 février 2020, consacrés successivement à 5 livres (cliquez sur chaque titre pour accéder à l'émission) : Vertiges, Les émigrants, Les Anneaux de Saturne, Austerlitz, De la destruction comme élément de l'histoire naturelle.

- Entretien en anglais avec Sebald, par Michael Silverblatt, émission Bookworm sur KCRW, 7 décembre 2001, 27 min, sur youtube.

FILMS

• En allemand
Documentaire
sur Sebald diffusé à la télévision allemande, W.G. Sebald - The Émigrant / Der Ausgewanderte, Thomas Honickel, 2007, 44 min, sur youtube.

• En anglais
Entretien avec Sebald sur les photographies dans ses livres, 23 juin 1998 à Amsterdam, avec le critique littéraire Michaël Zeeman, 6 min, sur youtube.

• En français
Concernant un autre roman
: Austerlitz, de Stan Neumann 2014, 90 min, Les Films d'Ici / Arte France, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, diffusé sur Arte en 2015, avec Denis Lavant et Roxane Duran : visible en allemand ›ici. Présenté en ouverture du Festival Cinéma du Réel en 2015 par le réalisateur qui explique sa rencontre avec le roman et ce qu'il en a fait : ›ici.

J’ai ouvert un livre, Austerlitz de W.G. Sebald. J’y ai rencontré Jacques Austerlitz, photographe amateur, collectionneur compulsif de toutes sortes d’images, historien d’art aux idées singulières obsédé par l’architecture monumentale du 19e siècle. Je l’ai suivi de page en page, d’Anvers à Londres, de Paris à Marienbad, de Prague au Ghetto de Terezin, à la recherche du secret enfoui de son enfance.
J’ai cherché mon chemin dans le labyrinthe de son récit, ses mots et ses images en trompe l’œil, cette fiction faite de fragments bruts arrachés au réel. Guidé par la certitude, totalement absurde, que ce livre n’avait été écrit que pour moi.

Comme la mère d’Austerlitz, son propre père, Stanislav Neumann, étudiant antifasciste, a connu Terezin et n’a dû qu’à un miracle – on le pensait mort du typhus – de n’être pas fusillé aux derniers jours du cauchemar nazi.
Stan Neumann refait le parcours d’Austerlitz en confrontant le récit au réel : il identifie des emprunts de Sebald à Marcel Proust, Franz Kafka ou Walter Benjamin, dévoile les tours de passe­passe de l’écrivain, qui donne à Agata, la mère juive disparue au camp de Terezin, plus de trois ans après avoir confié son enfant à un train parti de Prague pour une destination anglaise susceptible de le sauver, le visage d’une cantatrice morte dix ans plus tôt…

SUR SEBALD

•Des textes d'écrivains contemporains sur Sebald
- Susan Sontag : "Une âme en peine" (en ligne ici), 2000, traduite et publiée dans Face à W.G. Sebald : monographie, éd. Inculte, 2011 : ouvrage collectif à l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de W.G. Sebald, avec les contributions de nombreux écrivains. Extrait du texte de Susan Sontag :

Le "vrai" narrateur est une construction fictionnelle exemplaire : le promeneur solitaire tout droit sorti de plusieurs générations de littérature romantique. Solitaire, même lorsqu'on lui évoque un compagnon (la Clara des débuts des Émigrants), le narrateur est prêt à tous les voyages, animé par une curiosité insatiable quant aux vies qui viennent de s'achever (dans Les Émigrants, avec l'histoire de Paul, un instituteur chéri de tous, qui ramène le narrateur pour la première fois à "la nouvelle Allemagne", et son oncle Adelberth, qui l'amène en Amérique). (...)

Ce qui ancre la conscience instable du narrateur est l'étendue et l'acuité des détails. Le voyage étant le principe actif de l'activité mentale dans les livres de Sebald, le déplacement spatial donne une impression de vitesse à ses merveilleuses descriptions, surtout à celles de paysages. Le narrateur est propulsé.
Qui a déjà entendu en anglais une voix aussi précise et sûre d'elle, si directe dans son expression du sentiment, et cependant respectueusement dévouée au réel ? D. H. Lawrence vient à l'esprit, ainsi que le Naipaul de
L'Énigme de l'arrivée. Mais ils n'ont pas la blancheur passionnée de la voix de Sebald.

- "Lettre à Sebald", Tanguy Viel, Vacarme, n° 60, 2012, p. 65-79 (en ligne ici). Extraits :

Une des choses, il est vrai, les plus incroyables qui se produisent à la lecture de vos livres, c’est qu’en terminant l’un ou l’autre, on ne sait jamais exactement ce qu’on a lu. On se souvient bien de lieux, de paysages, de personnages, comme si on avait lu un roman. On se souvient bien de documents, de récits historiques, d’inquiétudes intellectuelles, comme si on avait lu un essai. On se souvient bien de remarques intimes, d’états d’âme et de journées décrites, comme si on avait lu un journal. On se souvient que tout cela était profus et varié mais ce qui a relié tout cela, où en était le centre ou l’aimant, cela même qui, en toute logique, leur a valu d’être dans un même livre, on ne saurait dire. Alors la pensée, à l’instar du narrateur si souvent sur les routes, n’a pas de lieu où vraiment se reposer, pas de maison où vraiment revenir. (...)

J’ai longtemps cherché par quel tour s’opérait l’hypnose. J’ai passé des heures à essayer de suivre toutes les bascules d’un sujet à l’autre, à noter les transitions, les digressions, les résurgences, les strates du récit. J’ai entouré les mots de liaison, les conjonctions de coordination. J’ai essayé de trouver le truc comme un enfant devant un magicien. Parce que je croyais qu’il y avait un truc. Mais le pire évidemment, comme toujours en littérature, c’est qu’il n’y a pas de truc.

• Expositions et colloques
- 2005 : premier colloque français organisé par Ruth Vogel-Klein autour des thèmes de la mémoire, de l’histoire et des transferts ; des proches témoignent : la sœur de l’auteur, le peintre J.P. Tripp et le traducteur P. Charbonneau) ; la revue universitaire Recherches germaniques (Strasbourg) publie dans un hors série les actes du colloque. Ruth Vogel-Klein s'entretient avec la sœur de Sebald, Gertrud Aebischer-Sebald, qui raconte :

Une fois, je lui ai posé la question : "Comment tu t'y prends ?" La construction m'a toujours fascinée. Elle est très compliquée, il y a un rythme généré par la langue, mais aussi par les thèmes. Il me répondit : "C'est très simple, tu sais. Je procède comme les gens du pays de l'Allgäu. C'est un patchwork. Je recule de quelques pas, et je me dis : bon, maintenant, il faut une pointe de bleu. (...)" Il m'expliqua ensuite que sa méthode était différente de celle de Claude Simon qui élaborait des constructions très précises et dessinait des graphiques pour écrire son ouvrage. Lui s'y prenait différemment. Je sais qu'il avait une cartothèque et qu'il l'ordonnait par thèmes. Et lorsqu'il écrivait, il étalait les cartes sur son bureau.

- 2009 : à l'Institut Gœthe à Paris, exposition "W.G. Sebald – Austerlitz" du 19 mai–26 juin. Présentation sur le blog Norwich ici.

- 2009 : journée d’étude organisée par Emmanuelle Loyer à l’Institut d’études politiques de Paris sur "W.G. Sebald, l’écriture de l’histoire". Réunissant principalement des historiens et des géographes, elle témoigne de l’intérêt suscité par cette œuvre dans le champ des sciences humaines.

- 2011 : colloque "W.G. Sebald. Après la nature, après l’histoire" en novembre à Poitiers par deux comparatistes, Lucie Campos et Raphaëlle. Guidée, avec des spécialistes français et anglais, comparatistes, germanistes ou historiens. Elles dirigent la revue Europe qui sort en 2013.

- 2014 : à Cerisy "W.G. Sebald. Littérature et éthique documentaire", du 3 au 10 septembre, sous la direction de Mark Anderson et Muriel Pic.

- 2012 : cycle de conférences "W.G. Sebald. Politique de la mélancolie" du 23 février au 8 mars, dans le cadre du Nouveau Festival au Centre Georges Pompidou. Programmation de Muriel Pic (deux vidéos en ligne : "Muriel Pic : D'une coïncidence des temps : traces et présages", 1h15 ; "Ulrich Von Bülow : W.G. Sebald et l'archive", 1h24)
- Exposition "Sebald Fiction" de Valérie Mréjen, associée aux conférences. Présentation en vidéo ici.

- 2023 : exposition collective "Les anneaux de Saturne", du 12 janvier au 25 février,
Galerie Derouillon à Paris.

•Livres sur Sebald
La première monographie est publiée aux USA en 2003, deux ans après la mort de Sebald : Understanding W.G. Sebald, Mark R. Mcculloh, Colombia, University of South California.
En France, voici les titres actuellement publiés :

- W. G Sebald, le retour de l'auteur, Martine Carré, Presses universitaires de Lyon, 2008 : premier essai en France sur Sebald.
- W.G. Sebald : l'image-papillon suivi de W.G. Sebald : L'art de voler, Muriel Pic, Presses du réel, 2009.
- W. G. Sebald : cartographie d’une écriture en déplacement, Mandana Covindassamy, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2014 (en ligne). Adaptation d'une thèse soutenue en 2007.

La sophistication des procédés est grande. Enchâssement des voix, agencement visuel du texte et des images, érudition tout droit tirée des musées et des bibliothèques : s’agirait-il d’un maniérisme postmoderne ? La réponse dépend de la définition qu’on donne du terme. S’il est conçu comme un simple ensemble de techniques d’écriture relevant du perspectivisme, de l’éclectisme, de la combinatoire, force est de constater que les récits sébaldiens en relèvent. Les points de vue de la narration varient, des listes viennent rappeler la résistance de la réalité à une appréhension globale, le matériau est composite. Mais en définitive, la notion pourrait tout aussi bien s’appliquer à certains ouvrages de la Renaissance dont l’érudition accole les unes aux autres d’innombrables références, comme dans les livres de Robert Burton ou Thomas Browne, pour citer des auteurs chers à Sebald.

Le discours rapporté chez Sebald est l'objet d'un long développement, car souvent, il ne signale pas le discours direct par des guillemets. Mandana Covindassamy souligne le flou entraîné entre les narrateurs :

Et de fait, le lecteur est souvent passablement déconcerté, si bien qu’il est amené à relire le début d’une séquence pour être certain d’avoir correctement attribué les propos. En renonçant aux guillemets, Sebald joue avec la frontière qui sépare les locuteurs et introduit, une fois encore, un principe d’incertitude dans la lecture.

- Politique de la mélancolie : à propos de W. G. Sebald, ouvrage collectif, dir. Muriel Pic, Les Presses du réel, 2016.
- W.G. Sebald, Littérature et éthique documentaire, dir. Muriel Pic et Jürgen Ritte, Presses Sorbonne nouvelle, 2017, publication issue d'un colloque à Cerisy "W.G. Sebald : littérature et éthique documentaire", 2014. Dont cet article de Marie-Jeanne Zenetti : "Travail littéraire du dispositif documentaire dans l'œuvre de W.G. Sebald".

- W. G. Sebald, l’économie du pathos, Karine Winkelvoss, Classiques Garnier, 2021.
- Et spécialement pour Manuel qui ne sort pas de Proust : une thèse en littérature Le temps des formes : l'œuvre de la cécité chez Marcel Proust et W.G. Sebald, Clara Dupuis-Morency, Université de Montréal, 2016.

•Une thèse
Fort intéressante, une thèse consacrée uniquement aux Émigrants en études germaniques : W.G. Sebald : Die Ausgewanderten - Radiographie d’une écriture de l’exil, Christine Savaton, 2012, l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 467 p.

• Revues
- Un dossier de la revue Inculte, n° 1, 2004 (articles de Oliver Rohe, Enrique Vila-Matas, W. T. Vollmann, Maxime Berrée).

- Un dossier "W.G. Sebald, topographie de la mélancolie", Le Matricule des anges, juin 2012, par Thierry Cecille. Avec notamment un entretien très intéressant avec Martine Carré, spécialiste de son œuvre : "L’arpenteur de l’après".

- Un numéro de 300 pages consacrées à W.G. Sebald dans la revue Europe, n° 1009, mai 2013, dir. Lucie Campos, avec deux articles tout particulièrement passionnants en ligne :
› "Éditer W.G. Sebald en France", Martina Wachendorff-Pérache
› "Une conversation avec W.G. Sebald sur la littérature et la photographie" avec Christian Scholz, photographe, auteur de cette photographie l'année de la conversation, conservée à la National Portrait Gallery :

Blog
Sébastien Chevalier signe les articles du blog français Norwitch. En Allemagne, Christian Wirth gère un blog très complet : www.wgsebald.de

•Articles sur Sebald

› Sur la photographie : analyses
- "W. G. Sebald : littérature et photographie face aux hantises de l’Histoire", Isabelle Soraru, Littérature comparée et correspondance des arts, 2014, p. 309-322. Extraits :

À la croisée du fictionnel et du factuel, les textes de Sebald sont, pour la plupart, construits comme des enquêtes, dont les photographies apparaissent comme les supports. Ces dernières appartiennent, en général, à la collection personnelle de l’auteur, et entretiennent savamment le flou entre la fiction et la biographie ; reproduites en noir et blanc, elles témoignent du refus de l’auteur d’un esthétisme de l’image, au profit d’une photographie documentaire. (...)

Dès le début des rapports littérature/photographie, on peut se souvenir que Balzac, Champfleury ou encore Alexandre Ken la soupçonnaient de capturer l’âme, et ce n’est nullement un hasard si la photographie fut un des médiums privilégiés du spiritisme et de l’occultisme au tournant du siècle. (...)

Et c’est justement dans ce rapport particulier que la photographie instaure avec le temps que sa présence est essentielle aux côtés du texte : nous faisant accéder à une temporalité de hantise, c’est-à-dire une temporalité feuilletée, faite de strates de temps superposées, la photographie possède à la fois une fonction épiphanique et fantomale – soit l’apparition offerte d’un passé retrouvé, de manière quasi simultanée à son glissement dans les abîmes du temps perdu. W. G. Sebald cherche, par ce biais, à faire accéder son lecteur à une expérience de la temporalité où vivants et morts cœxistent. Car, comme l’écrivain le rappelle dans Campo Santo, notre rapport aux morts a aujourd’hui bien changé : autrefois, écrit-il, "on ne les considéraient pas comme des êtres à tout jamais relégués dans l’éloignement incertain de l’au-delà, mais comme des présents toujours présents, qui simplement se trouvaient dans un état particulier et constituaient, dans la communità dei defunti, une sorte de communauté solidaire, opposée à ceux qui n’était pas encore morts". À partir de la fin du XXe siècle ajoute-t-il, "où chacun est remplacé dans l’instant" et "où il importe de jeter sans cesse du lest par-dessus bord, d’oublier sans réserve tout ce dont on pourrait se souvenir, la jeunesse, l’enfance, l’origine, les aïeux, les ancêtres", cette cœxistence avec ceux qui ont disparu n’existe plus et n’est pas même souhaitable.

-"La pauvreté de la photographie chez W. G. Sebald", Zaha Redman, Ligeia, 2011, p. 248-253. Extraits :

Par leur petite taille, leur incrustation dans le corps du texte, leur mauvaise qualité d’impression, les photographies de Sebald sont des plus pauvres, souvent plus imprécises qu’une mauvaise photocopie. La qualité des photographies de Sebald est proche du degré zéro. En intégrant ses reproductions en noir et blanc dans le corps du texte, Sebald les aligne sur les mêmes règles d’impression que les caractères typographiques, il néglige les conventions qui s’appliquent habituellement à l’impression photographique dans le choix du support papier, des encres et de la gravure. Leur trame est grossière et leur niveaux de gris sont dérisoires. (...)

Ses images entretiennent des relations approximatives avec le texte, elles apparaissent la plupart du temps comme des flashs surprenants mais plausibles, dont la fonction illustrative est tantôt évidente tantôt opaque, mais elles font toujours surgir quantité d’interrogations sur leur origine et leur sens. Pauvres en informations mais suggestives sur le plan littéraire, les reproductions de Sebald sont crédibles et suspectes à la fois ; apparentées aux illustrations des manuscrits ou des livres anciens usés, elles engendrent chez le lecteur une déception et une ruine des attentes photographiques ou visuelles. (...)

La pauvreté de la photographie sébaldienne apparaît également comme un appel à une appropriation privée des images en dehors des canons informationnels et des réseaux culturels établis, qui saturent et polluent la photographie. La sophistication technologique, aux antipodes de la pauvreté sébaldienne, peut être considérée dès lors comme un rideau de fumée. Intime et secrète, mais aussi nourrie par une démarche d’enquête et d’exploration, la photographie sébaldienne est un territoire aride et déserté, qui n’appartient à personne et ne demande qu’à être visité par de nouveaux rêves.

- "Un regard archivistique sur les ouvrages de W. G. Sebald", Yvon Lemay and Anne Klein, Canadian Journal of Information and Library Science, mars 2013. Un article très original. Extraits :

Comme le titre de notre article l’indique, notre approche des ouvrages de Sebald est d’ordre archivistique. Nous ne cherchons pas à interpréter la démarche de l’écrivain à la lumière de son exploitation des documents d’archives. (...)
Dans un premier temps, nous nous intéressons à l’exploitation des documents d’archives dans les œuvres de Sebald. Cinq questions ont orienté notre analyse : 1) quels types de documents sont utilisés par l’écrivain ?, 2) de quelle manière sont-ils présentés ?, 3) comment sont-ils reproduits dans les ouvrages ?, 4) quelles relations entretiennent-ils avec le texte ?, et 5) quels impacts ont-ils sur le lecteur ?

Les effets repérés dans l'article sont nombreux sur le lecteur :

- le ralentissement de son rythme de lecture : L’inclusion des documents dans le récit agit sur la temporalité du lecteur. Le rapport du texte au document, lorsqu’il est implicite, oblige ce dernier à effectuer des allers et venues entre l’un et l’autre, ce qui a pour effet de ralentir la lecture, de la suspendre pour un moment
- donner aux propos de l’auteur de la crédibilité, assurer leur véracité
- créer un
caractère d’intimité avec le lecteur : Ce dernier se voit placé dans une situation où il a accès au lieu, à la pensée et au mode de travail de Sebald, comme s’il était avec lui, comme s'il l'accompagnait. (...)

D’autres créateurs font un usage différent des archives. Par exemple, Umberto Eco, dans La flamme de la reine Loana (2005), choisit de reproduire les archives (dessins et montages personnels, illustrations de journaux, revues et publications, etc.) de manière à ce qu’elles soient extrêmement lisibles. Les illustrations sont en couleurs et d’excellente qualité. Le sous-titre même de l’ouvrage, "roman illustré". (...)

À l’inverse, Marguerite Yourcenar utilise des documents d’archives familiales dans la trilogie Le labyrinthe du monde (1990). L’auteure ne reproduit aucun document sous forme iconographique et pourtant la matérialité des documents est tout à fait présente au travers de la description qu’elle en donne.

› Sur la photographie : ce qu'en dit Sebald
- "Chasseur de fantômes" : entretien avec Eleanor Wachtel, L’Archéologue de la mémoire : conversations avec W.G. Sebald. Extrait :

J'ai toujours la vague impression que, bien sûr, ces gens n'ont pas vraiment disparu, qu'ils sont toujours là quelque part à rôder autour de nous et qu'ils continuent à nous rendre de courtes visites. Et pour moi, les photographies sont une des incarnations des disparus, particulièrement les photographies les plus anciennes de ceux qui nous ont quittés. Quoi qu'il en soit, à travers ces images, ils ont véritablement pour moi une sorte de présence spectrale. Et cela m'a toujours intrigué. Cela n'a rien à voir avec un phénomène qui relèverait du mystique ou du mystérieux. C'est juste le vestige d'une manière archaïque de voir les choses.

- "Une conversation avec W.G. Sebald sur la littérature et la photographie" avec Christian Scholz, photographe, revue Europe, n° 1009, mai 2013 (entretien en ligne ici). Extraits :

- Que signifie pour vous une photographie ? un reflet, la reproduction d'un instant ? Que signifient pour vous les ombres, les lumières vives, les plages d'obscurité, les contrastes ? Pourquoi vous méfiez-vous de la couleur ?
- Je ne me méfie pas de la couleur par principe. Simplement il se trouve qu'on s'approche plus facilement des clichés en noir et blanc. Les photos en couleur, à moins qu'elles ne soient de grande qualité, ont bien souvent quelque chose de très ordinaire, ce à quoi échappent presque toujours les tirages en noir et blanc. Personnellement, le caractère discret du noir et blanc m'a toujours semblé spécialement attirant. Mais je n'ai jamais particulièrement réfléchi aux détails d'ordre technique.

- Considérez-vous donc l'image simplement comme un fragment de récit ?

- Oui, il peut s'agir d'un paysage, d'une personne, d'un intérieur. Mais c'est quelque chose qui me pousse à approfondir mon examen. Cela me fait un effet très précis, qui m'est familier depuis l'enfance. À l'époque, il y avait ces "viewmasters" à l'intérieur desquels on pouvait regarder. On avait la sensation que le corps était encore au milieu de sa réalité normale et petite-bourgeoise, tandis que les yeux nous transportaient déjà tout à fait ailleurs : à Rio de Janeiro, devant le spectacle de la Passion à Oberammergau, ou à l'endroit qu'il nous était donné de voir, quel qu'il fût. J'ai toujours cette sensation avec les photographies, comme si elles entraînaient celui qui les regarde dans un courant qui l'attire avec une force prodigieuse hors du monde de la réalité, vers un univers irréel, un univers dont on ne sait pas exactement comment il est composé, mais dont on devine cependant qu'il est là. (...)

- Dans vos livres apparaissent des photos qui proviennent aussi bien d'autres personnes que d'archives photographiques personnelles ou de votre entourage. D'ailleurs il y a certains travaux dont on découvre que vous les avez réalisés vous-même. Dans l'acte de photographier, privilégiez-vous le côté documentaire ou bien le côté artistique du cliché ?
- En fait il se passe des choses singulières lorsqu'on parcourt le monde sans plan particulier, qu'on s'en va un peu au hasard avec pour simple souci d'observer ce qui s'y passe. C'est alors que se produisent des événements que plus personne ne veut croire par la suite. Et ce qui va suivre est très important : il est indispensable, d'une façon ou d'une autre, de retenir ces choses. Évidemment on peut le faire en écrivant, mais l'écrit n'est pas un vrai document, c'est la photographie qui est le vrai document par excellence. Rien ne vaut une photographie pour convaincre les gens. Deuxièmement, j'utilise l'appareil photo un peu comme une sténo, une sorte d'aide-mémoire. Je n'y mets donc pas la moindre ambition artistique. C'est aussi pour cela que mon appareil photo est le plus souvent un modèle très bon marché, mais j'ai pris l'habitude de l'avoir si possible toujours dans ma sacoche. Et de la même façon peu m'importe quel type de pellicule il contient.

- Mais pourquoi ne pas vous donner la peine d'avoir du bon matériel ? C'est quand même un peu de la négligence...
-Mon intention n'est pas d'insérer dans les textes des images de haute qualité, mais de simples documents d'objets trouvés, quelque chose de secondaire. En vérité, c'est déjà bien que des éléments aussi indistincts parviennent d'une manière ou d'une autre à s'inscrire dans une image.

› Sur la Shoah
- "L’ombre de la Shoah dans l’œuvre de W. G. Sebald", Guillaume Dreyfus, Revue d’Histoire de la Shoah, n° 201, 2014, p. 431-457.

Dans de nombreux entretiens, Sebald développe les aspects multiples de la "conspiration du silence", source chez lui d’un malaise fondateur. Dans les années 1960, la Shoah était, à l’école, "un immense domaine tabou" jusqu’à l’âge de 16 ans, "nous ne savions pas ce qui s’était passé". La rupture a lieu avec le second procès d’Auschwitz à Francfort (1963-1965) : "Pour les gens de ma génération, c’était la première fois que ce problème apparaissait au grand jour". Sebald se déclare "abasourdi par les détails qui étaient révélés" et sa première confrontation avec le passé commence avec la lecture de Peter Weiss. (...) Et ce que Sebald écrit à propos de Peter Weiss, l’un des rares auteurs allemands des années 1960 à trouver grâce à ses yeux, correspond à sa propre poétique de la mémoire : "C’est parce qu’il y avait quelque chose à remémorer que Weiss entre en littérature". (...)

Dans Les Émigrants, nombreuses sont les allégories : lorsque Ferber arrive à Manchester, en dépit de ses premières impressions inquiétantes, marquées par des images de la Shoah (cheminées fumantes des fabriques, etc.), il se sent profondément attiré par cette ville ("Manchester a pris possession de moi"), et il éprouve le sentiment de se retrouver "en quelque sorte à la maison à Manchester", avec l’étrange conviction que ce lieu est fait pour lui : "Je crois avoir eu le sentiment d’être arrivé sur le lieu de ma destination".

- Dans un entretien, Sebald explique :

J'ai toujours pensé que c'était une absolue nécessité d'écrire l'histoire de la persécution, de la diffamation des minorités, la tentative, presque atteinte, d'éradiquer un peuple tout entier. Et en même temps, j'avais conscience que c'est une tâche quasiment irréalisable ; écrire sur les camps de concentration est, à mon avis, quasiment impossible. C'est pour cela qu'il faut trouver des moyen convaincre le lecteur que, même si c'est une préoccupation qui vous taraude, cela ne vous autorise pas nécessairement à vous appesantir sur le sujet page après page. Il faut faire faire savoir au lecteur que le narrateur est doté d'une conscience et que, depuis longtemps peut-être, il se sent particulièrement concerné par ces questions. Et c'est la raison pour laquelle les principale scènes d'horreur ne sont jamais abordées directement. Je pense qu'il suffit de les rappeler aux lecteurs - nous avons tous vu des images - mais ces images ont un effet pernicieux, elles nous empêchent de penser de façon posée, réfléchie. Elles ont aussi tendance à anesthésier notre sens moral. Donc, à mon avis, ce n'est que de façon oblique, indirecte, par allusions plutôt que frontalement, que l'on peut aborder de telles questions. (Entretien de 2001 avec Michael Silverblatt, “Une poésie de l’invisible”, L’Archéologue de la mémoire : conversations avec W.G. Sebald)

› Sur l'émigration
- "Exil et retour au pays natal selon W.G. Sebald", Ruth Vogel-Klein, L’exil et la différence, Presses Universitaires de Bordeaux, 2011, p. 75-86. Extraits :

Le titre allemand, Die Ausgewanderten (que l’on retrouve dans un titre de Gœthe de 1795 Unterhaltungen deutscher Ausgewanderten), paraît quelque peu désuet, et s’accorde bien à la prose poétique de Sebald qui rappelle parfois des prosateurs du 19e siècle. Ce terme désigne tous ceux qui se sont expatriés, sans spécifier la raison ni l’époque historique. (...)

Les raisons de l’émigration dans les nouvelles de Sebald sont de différents ordres : émigration économique, évasion vers un nouvel horizon professionnel ou fuite pour échapper à la persécution nazie. Cependant, le thème de la Shoah travaille chacune des nouvelles, même si ce sujet ne concerne explicitement que deux textes sur quatre. L’écriture de ces récits mélange des éléments fictionnels, autobiographiques, documentaires, iconiques et intertextuels. On notera également une structure chronologique très complexe avec de nombreuses anachronies. Dans une première phase de la réception de Sebald, certains avaient lu ces textes, qui confrontent un narrateur autodiégétique* ressemblant à Sebald avec différents protagonistes, comme des récits réalistes. Mais, sept ans plus tard, lorsque la traduction parut en France en 1999, après nombre d’articles et interviews parus en anglais et en allemand, le caractère fictionnalisé du matériau biographique a été largement reconnu. Le Canard enchaîné cependant, spécialiste de l’enquête sur les faits et les fictions dans la vie politique, constitua une exception, car il prit les textes sébaldiens au pied de la lettre. (...)

Le narrateur, comme les émigrants, vit hors de son pays, mais il n’est pas exilé. Son rôle consiste, au fil du récit, à reconstituer le lien rompu entre les émigrants et la Heimat. Il suscite leur parole, étouffée jusque-là, et transcrit leur récit sur leur pays d’origine. De même, c’est le narrateur qui entreprend le retour au pays natal de l’émigrant, et qui s’incline à sa place au cimetière des ancêtres judéo-allemands.

* Attention jargon ! Autodiégétique désigne une forme de narration dans laquelle le narrateur est également un des protagonistes de l'action et donc joue un rôle dans l'histoire qu'il raconte.

› Sur la réception de l'œuvre de Sebald
-"Il y a indéniablement un phénomène Sebald", Pierre Deshusses, Le Monde, 16 mars 2001. Extrait :

"Il y a indéniablement un phénomène Sebald. Pratiquement inconnu il y a encore cinq ans, autant en France qu'en Allemagne qu'il a quittée voilà plus de vingt ans pour aller s'établir en Angleterre, cet auteur né en 1944 a maintenant acquis une audience considérable. Même s'il reconnaît sa dette envers Thomas Bernhard, Sebald ne s'inscrit dans aucun courant littéraire. Il est résolument à part, et c'est sans doute la raison de son succès ; cette façon d'emprunter des chemins de traverse laisse pressentir une écriture intègre. Sebald inspire la confiance, ne triche pas avec son sujet, cherche sans a priori et c'est le détour de cette recherche qui est fascinant."

- "Lire désespérément… W.G. Sebald", Frédérique Bernier, Frontières, 2009, p. 51–55.

Cet article évoque la négativité, la dépossession de soi, caractéristiques d’une certaine modernité dans la littérature, que l’on peut faire remonter à Mallarmé, et qui peut fonctionner, pour le lecteur, à la manière d’un antidépresseur... Sont d'abord interrogées des conceptions réparatrices ou rédemptrices de la littérature, la prégnance des modèles grecs de la création comme pharmakon, puis l’auteure se centre sur l’œuvre de W.G. Sebald, son caractère à la fois anxiogène et libérateur...

SUR LES ÉMIGRANTS

• Article sur Les Émigrants en France avant la traduction du livre
Alors qu'il faudra attendre trois ans avant que le livre soit traduit en France, Susan Sontag, dans "Dix exercices d'admiration" (par dix auteurs, Libération, 26 décembre 1996), renouvelle son hommage au livre Les Émigrants (Die Ausgewanderten), publié dans The Times Literary Supplement, 29 novembre 1996. Extraits :

Un livre ne vaut la peine d'être lu que s'il vaut d'être relu. Cette année, le seul livre nouveau que j'aie lu dont je suis sûre qu'il appartienne à cette catégorie est Die Ausgewanderten, de W. G. Sebald, paru en anglais il y a quelques mois dans une traduction exquise.

Lu comme une fiction, Die Ausgewanderten se présente comme une chronique personnelle, factuelle, qui ­ autre bizarrerie ­ s'accompagne d'un bout à l'autre de documents (des photographies) prouvant la nature véridique des histoires qui y sont racontées. Est-ce une autobiographie ? Un roman en quatre parties ? De l'histoire ? De la méditation ? De toute évidence, tout cela en même temps. Sebald traite de la mémoire, et ses histoires sont des requiems. Il s'agit de quatre récits, s'achevant chacun sur une mort.

• Articles sur Les Émigrants juste après la sortie en France en 1999
Ils se succèdent en grand nombre. Sélection dans des périodiques divers :

- "Sebald, objectif hier", Claire Devarrieux, Libération, 7 janvier 1999. Extrait :

En principe, un texte lève des images intérieures. Dans les Émigrants, les images se matérialisent, et cela n'a rien d'une clôture, le mystère se creuse au contraire à l'infini. Un canal fantomatique, une façade aveugle, un paysage déserté émergent de leur description, sous la forme de photographies prises par l'auteur. Sans parler des visages. Quelle tête ferions-nous si, après avoir passé au scanner les romans de Flaubert, on voyait soudain à quoi ressemblent les Bovary ?

- "Portrait : qu'est devenu Ernest ?", Claire Devarrieux, Libération, 7 janvier 1999, avec une rencontre avec Sebald. Extrait :

Sur les quatre protagonistes des Émigrants, W.G. Sebald en a connu trois : il a été le locataire du docteur Selwyn, l'élève de Paul Bereyter, et le petit-neveu d'Ambros Adelwarth. Il a chaque fois changé les noms, de même qu'il a changé le nom des témoins, tel le psychiatre d'Ithaca, qui existe donc bel et bien. Max Ferber n'existe pas, du moins pas aussi simplement. Il est "le collage de deux modèles", un peintre, et le propriétaire de l'auteur autrefois, à Manchester. Le journal intime de la mère de Max Ferber a été tenu par la tante de l'homme de Manchester. W.G. Sebald l'a modifié en partie, en expliquant comment il procédait, en soumettant le texte final.
Les agendas du grand-oncle ont été entièrement réécrits. Même la mention "I have gone to Ithaca" sur la carte de visite d'Ambros reproduite dans les Émigrants, est apocryphe. Il y a ainsi 10% des documents qui sont à la fois inauthentiques et légitimement à leur place, à l'instar des légères entorses qui renforcent la vérité documentaire des histoires par le biais de la fiction. "L
es quelques éléments de fiction, dit W.G. Sebald, ce sont des détails, ça consiste à en ajouter, ou à en enlever, à créer des blancs dans les vies, ça consiste à réorganiser le déroulement du récit." Il ne s'agit pas pour autant de roman, "on ne peut pas vraiment désigner le genre, mais dépasser les limites posées par un genre, c'est le principe même de la littérature."

- "W.G. Sebald : le passé repoussé de l'Allemagne", Gérard de Cortanze, Le Figaro, 14 janvier 1999, avec une rencontre avec l'auteur. Extraits :

Écrivain non juif, il est le premier narrateur à traiter avec une telle empathie de la question de l’Holocauste : "Dès que j'ai commencé de réfléchir, vers l’âge de 17 ans, j’ai compris que le critère le plus important de mon histoire personnelle, ce qui fabriquait ma pensée et ma personne, c'était l'existence d'un tel drame." (...)

Une question cependant se pose : et si ce livre inclassable n'était finalement qu’une autobiographie fictionnelle, celle de fauteur qui se cherche dans les vies de ses héros malheureux ? Sebald, après un temps de réflexion, le sourire aux lèvres, ne dément pas : "Je suis persuadé qu'il est impossible, aujourd'hui, d'écrire un roman sans que l'on se découvre, et cela dans les deux sens du mot. En écrivant, je me mets à nu, et découvre sur moi, grâce à l'enquête ainsi menée, des pans de ma personnalité qui m'étaient jusqu'alors inconnus. La vérité de ce qui est raconté est donc le résultat d’un processus entre celui qui raconte et ce qu’il raconte."

- "Exilés, vos papiers", Ruth Valentini, Le Nouvel Observateur, 21 janvier 1999. Extrait :

Dans chacune de ces quatre trajectoires tragiques et minutieusement dessinées, W.G. adresse un tendre clin d'œil à Vladimir Nabokov. Le perpétuel déraciné, muni d'une sacoche en bandoulière, brandit son filet à papillons à différents moments de sa vie.

- "Mémoire en miroir", Pierre Deshusses, Le Monde, 22 janvier 1999. Extraits :

Heureux ceux qui n'ont pas encore lu Sebald : le plaisir d'une véritable découverte les attend. Ouvrage inclassable, Les Émigrants nous offre une méditation profonde et nerveuse, dense et poétique, sur les rapports entre histoire et mémoire. (...)
Fiction et document mêlent leurs fibres dans une trame associant au texte des photos en noir et blanc qui ont autant valeur de preuves que de mise en question.

- "Un voyage au cœur du souvenir", Georges Arthur Goldschmidt, La Quinzaine littéraire, 1er février 1999. Extraits :

S’il y a peu de livres magnifiques, celui-ci en est un, il l’est par la dimension des êtres humains, quatre personnages blessés au plus profond d’eux-mêmes, il l’est par la beauté des descriptions, il l’est par la langue souveraine et nostalgique. Le traducteur a parfaitement su rendre la sobre justesse et l'émotion du style de Sebald. (...)

C’est par écrans successifs que le passé émerge comme un horizon qui tour à tour fait surgir des éclairages, des tonalités, des lieux et des circonstances qui font à la fois voir le personnage dont il est question et ce qui l’entourait à un moment donné de sa vie et précisent aussi la silhouette du narrateur. (...)

Les Émigrants est empreint d’une poésie d’autant plus évocatrice qu’à tout instant le lecteur voit sa propre imagination dérouler devant lui ce qui est raconté et le mêler à sa propre mémoire, si bien qu’il finit parfois par se demander si le passé de ces exilés n’est pas aussi le sien.

- "Tombeau pour une Europe disparue", Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 3 février 1999. Extrait :

C’est dans ce contexte qu’apparaît également la silhouette d’un autre émigrant, Vladimir Nabokov, butlerfly man” elliptique qui revient comme un clin d’œil répété d’un récit à l’autre. On peut y lire l’indice d’une poétisation du réel, le signe du jeu de piste que mène Sebald avec l’authenticité des souvenirs : la littérature, dans l’évidence simple de sa musique, ici merveilleusement traduite, sert de révélateur à l’irruption d’un monde perdu, d’un autrefois ravagé par le chaos de la guerre et des camps. Telle une opération photographique, le texte devient ainsi le lieu d’une renaissance, l’espace où l’acte de décès d’une Europe disparue se métamorphose en images vivantes.

- Winfried Georg Sebald : Les émigrants, Olivier Barrot, 2 février 1999, vidéo INA, 2 min (en complément de ses talentueuses présentations de Austerlitz et des Anneaux de Saturne).

- Les Émigrants, Thierry Bayle, Le Magazine littéraire, 1er mars 1999. Extrait :

Ces Quatre récits illustrés, sous-titre de l’œuvre, s’apparentent aux Vies minuscules de Pierre Michon, si ce n’est que l’unité du volume tient ici aux circonstances historiques, à la destruction d’une certaine Europe sous l’effet dévastateur du nazisme et de la Deuxième Guerre mondiale.

- "Quatre inconnus célébrés", Raphaël Sorin, L'Express, 4 février 1999. Extrait :

Le dernier personnage des Émigrants, Sebald le connut à Manchester. C’était un peintre juif de Munich. L'atelier où il travaillait était envahi par la poussière. Avec rage, il faisait surgir des visages de cendre, inspirés par ceux de ses parents, assassinés près de Riga. Son délire, sa fièvre closent cet admirable voyage de la mémoire qui rôde entre le document, l'enquête et la fiction.

- "W. G. Sebald : Les Émigrants", Isabelle Guisan, Le Temps (Suisse), 20 mars 1999. Un bon exemple d'article qui se limite à "raconter l'histoire".

• Article à l'occasion de sa mort, deux ans après la publication des Émigrants

- "W.G. Sebald, le devoir de mémoire inachevé" (l'auteur allemand meurt dans un accident), Claire Devarrieux, Libération, 17 décembre 2001. Extrait :

Les Émigrants racontent quatre histoires d'exil, dont les protagonistes sont mortellement rattrapés par le traumatisme de l'exode, que celui-ci ait eu lieu juste avant la Première Guerre mondiale ou avant la Seconde. De Deauville à Ithaca, aux Etats-Unis, où traîne le fantôme de Nabokov, de Manchester à la petite ville de Sonthofen, en Bavière, où il a passé son enfance, Sebald tisse le destin de ces étrangers qui lui sont comme des oncles et des frères. Ses récits sont d'autant plus prenants qu'ils sont illustrés de documents, de photographies qui leur donnent un sceau d'authenticité, mais aussi un supplément de charme romanesque. Chaque livre de Sebald est un album personnel où nous aurions pu coller nos propres images.
Essais ou romans ? Les vagabondages de Sebald contiennent une part de fiction, puisque les noms sont changés, certains détails retranchés, ajoutés, certaines vies réaménagées. Dans un entretien à Libération (7 janvier 1999), il avait précisé qu'il ne s'agissait pas vraiment de romans, "mais dépasser les limites posées par un genre, c'est le principe même de la littérature". Dans les Anneaux de Saturne, dont le titre désigne assez la mélancolie, le narrateur part en randonnée sur la côte Est de l'Angleterre. Dans sa rêverie, les forêts, les ruines, les amours de Chateaubriand, la Leçon d'anatomie de Rembrandt, l'impératrice chinoise Cixi, se mêlent en un somptueux hommage à la culture. Vertiges est davantage un autoportrait dont Kafka, Stendhal et Casanova seraient les miroirs.

• Articles ultérieurs, voire récents, sur Les Émigrants

- "Écriture de soi et écriture des autres : W. G. Sebald ou le témoignage d’un monde disparu", Régine Battiston, Les intermittences du sujet : Écritures de soi et discontinu, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 101-114. Cet article analyse comment dans Les Émigrants, est recomposé de manière fragmentaire le destin de quatre personnes qui sont toutes mortes. Extraits :

[Le livre] commence par une promenade physique comme activité des personnages et du narrateur, se transforme au fur et à mesure des digressions amenées dans le cours du récit, en une déambulation dans un labyrinthe, provoquée par les incessants changements de perspectives de narration et de lieu (qui amènent à un passage et à une progression dans un nouveau lieu). À ces promenades et déambulations s’ajoutent les voyages en train et autres haltes dans des gares. (...)

Le but de ce type de narration est de mettre en évidence des traces de souffrance, par le soupçon du lecteur de ce qui est indicible et de l’ordre du non-dit ; Sebald, par ces procédés, approche ce non-dit et cet indicible. Lorsqu’il permet aux personnages de dire leur mal-être, parfois tout à la fin de leur parcours (par exemple Max Ferber) ou qu’il permet la découverte par un tiers, de la souffrance de la personne déjà décédée (tel Paul Bereyter, l’instituteur), il permet au lecteur de vivre directement l’indicible par les propos dépressifs, traumatiques, désespérés, et autodestructeurs qui sont rendus. Cette construction de type postmoderne a abandonné les concepts de base de la narration que sont le temps, le lieu et surtout le sujet, au profit d’un collage spécifique. (...)

Le système de mise en relation d’allusions historiques et esthétiques, provenant de l’histoire de l’art, donne à ces récits une dimension métaphysique, leur évitant l’écueil de ce qu’on appelle en allemand le Klatsch, qui correspond tout à la fois au bavardage, au colportage d’anecdote et au témoignage de rue. (...)

Son œuvre, à la forme hybride, se situe à mi-chemin entre la fiction, le document et le témoignage historiques, l’essai, l’enquête, le journal de voyage ; à cette composition polyphonique se rajoute, de manière visuelle, la présence inattendue de photographies insérées dans le corps du texte, pour légitimer les scénarios de vie dramatiques. On peut qualifier globalement son style de prose narrative, où le réalisme cohabite avec la mélancolie. Ce style s’inscrit dans l’héritage de la fiction romanesque allemande du XIXe siècle (on pense notamment à Adalbert Stifter ou à Theodor Storm).

- "Les galeries de Sebald", Isabelle Louviot, Sur une île j'emporterais, 11 novembre 2020. Extraits :

Comme pour le plasticien Anselm Kiefer (né en 1945, un an après Sebald), la mémoire de la Shoah est à la fois matière et sens de création. Kiefer crée des œuvres monumentales, installations, toiles parfois enduites de sang, immenses livres de plomb. Sebald travaille le souvenir comme une dentelle, l’orne de coupures de presse, de photographies, découpe le réel, colmate avec de l’invention. Les deux artistes, non juifs, ont émigré, abandonnant l’impossible patrie. (...)

Dans les textes de Sebald, les détails n’en sont pas, ils se dégustent, dévoilent une ampleur. Je repense à une scène de ce film coréen, La femme qui s’est enfuie (Hong Sang-Soo, 2020). Une jeune femme mange lentement une pomme découpée par son amie. Comme parlant d’un plat longuement mijoté, elle dit, pleine de gratitude, délicieux. Une pomme, de la graine au fruit, prend du temps à se faire délicieuse. Dans les textes de Sebald, quelque chose semble souvent suspendu, la situation elle-même ou l’impression qui s’en dégage. "Devant cette diapositive aussi, nous restâmes longtemps silencieux, si longtemps même que pour finir le verre se fendit dans son cadre et qu’une fêlure noire courut sur l’écran."

- "Les Émigrants ou du souvenir comme élément de fiction" ? Caroline Hoctan, site D-FICTION, 15 septembre 2021. Extraits :

Un des faits les plus étonnants, me semble-t-il, est lorsque j’ai vu ce livre de Sebald pour la première fois : il était posé en évidence sur le bureau de mon père qui venait juste de le recevoir. À l’époque – il me semble que c’était pendant l’été 1996 – j’ai feuilleté l’ouvrage sans y prêter vraiment attention. Je savais alors que mon père était en relation avec de nombreux écrivains dont la plupart des ouvrages m’étaient inconnus n’étant pas traduits dans ma langue. C’était le cas pour The Emigrants. (...)

D'abord le fusil acheté par le Dr Selwyn aux Indes : mon père s’en était lui-même procuré un là-bas lorsque l’armée britannique l’y expédia avec son régiment dans les années 30. Ensuite, la voiture allemande Dürkopp que possédait la famille Bereyter dans les années 20 : mon père accompagnait lui-même son père à la même époque dans une telle voiture (allemande, mais d’inspiration française, cette voiture était alors assemblée en France et en Grande-Bretagne). Puis, la ville de Mamaroneck à New York où vivait Ambros Adelwarth : mon père séjourna précisément dans cette localité à de nombreuses reprises entre 1950 et 1980, période durant laquelle il effectuait des "missions" pour un expert en livres anciens et en manuscrits établi downtown. Enfin, la ville de Manchester où Max Ferber, réfugié en 1943, avait effectué en 1944 son service militaire au camp de Catterick : mon père avait lui-même effectué, plus de dix ans avant, sa formation militaire dans le même camp ! (Sans les légendes et les photos si nettes, ce texte a fait l’objet d’une première publication dans le collectif Face à Sebald, Inculte, 2011, puis une deuxième dans la revue L'Infini, n° 139, printemps 2017).

• Ce que dit Sebald lui-même
- Un entretien en 1998 avec Sebald, par Sarah Kafatou, Face à W.G. Sebald : monographie, éd. Inculte, 2011 (en ligne ici). Extraits :

Les longues phrases :

D'habitude je démarre avec une phrase plutôt courte. Puis il me faut inclure des informations factuelles qui n'entrent pas dans la phrase suivante, donc je suis obligé de refaire la phrase que je viens d'entamer. Ce qui a pour résultat que, lorsque je l'ai enfin terminée, ma phrase ressemble plutôt à un labyrinthe. J'aime parfois certains écrivains qui travaillent de manière directe, proposition principale après proposition principale. Mais j'ai tendance à préférer ceux qui se lancent dans un certain degré d'élaboration.

Comment choisissez-vous les gens dont vous décidez de faire le portrait ?

Avant d'écrire Les Émigrants, je m'étais occupé, dans mon travail académique critique, du phénomène du suicide chez les personnes âgées. Je m'intéressais à Primo Levi et à Jean Améry, dont chacun a souffert de ce que l'on appelle le syndrome du survivant, c'est-à-dire que cette supposée "chance" d'avoir survécu, n'est en fin de compte pour certains qu'un bref répit. Levi et Améry se sont connus à Auschwitz. Améry a écrit que de vivre avec cette conscience dans votre cœur revenait à ne pas être vivant. Levi a tenté de réfuter cette affirmation, mais ensuite il a pris la même décision et s'est suicidé lui aussi quelques années plus tard. Je pensais à cela, et un jour je me suis rendu compte que je connaissais personnellement ou avais connu des gens dans la même situation.

- L’Archéologue de la mémoire : conversations avec W.G. Sebald, trad. par Delphine Chartier et Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2009. Lynne Sharon Schwartz, qui a rassemblé les interviews et essais suivants : Tim Parks, “Le Chasseur” ; Eleanor Wachtel, “Chasseur de fantômes” ; Carole Angier, “Qui est W. G. Sebald ?” ; Michael Silverblatt, “Une poésie de l’invisible” ; Joseph Cuomo, “Conversation avec W. G. Sebald” ; Ruth Franklin, “Des ronds de fumée” ; Charles Simic, “La conspiration du silence ('Un secret de famille')” ; Arthur Lubow, “Franchir des frontières”. Extraits à propos des Émigrants :

Les Émigrants : des histoires vraies ?

Les histoires telles qu’elles apparaissent dans le livre suivent d’assez près les grandes lignes, l’itinéraire de ces quatre vies telles qu’elles se sont déroulées vraiment. Les changements que j’ai apportés, par exemple le fait de prolonger certains axes, d’abréger certaines étapes, d’ajouter ou d’enlever quelque chose ici et là – tous ces changements sont secondaires, ce sont davantage des changements de forme que des changements de fond. Dans les trois premières histoires, il y a une adéquation presque parfaite entre ces vies et la vie des gens que j'ai connus. Dans le cas de la quatrième histoire, j'ai utilisé deux modèles : un peintre qui est toujours vivant et travaille en Angleterre et quelqu'un qui a été mon logeur lorsque je suis arrivé à Manchester. Et parce que cet homme est toujours vivant, je ne voulais pas qu'il apparaisse, en quelque sorte, sous une forme non déguisée dans quelque chose qui est avant tout un travail de fiction documentaire, j'ai donc introduit un second modèle pour que ce soit moins flagrant. Mais ces gens que je connaissais très bien sont passés dans la vie par les mêmes étapes. ("Chasseur de fantômes")

Bien des faits peuvent être inventés de toute pièce :

Tout ce qui a de l'importance est authentique. Les événements majeurs - l'instituteur qui pose la tête sur la voie ferrée, par exemple - vous pourriez penser qu'ils ont été inventés pour créer un effet dramatique, pas du tout, ils sont véridiques, tous. C'est au niveau du détail, du détail mineur la plupart du temps, que l'imagination intervient pour créer l'effet de réel. (Qui est W. G. Sebald ?)

Et les photos ?

Les photographies proviennent de différentes sources et elles ont aussi des objectifs différents. Mais c'est vrai, la plupart viennent de ces albums que les gens de la petite-bourgeoisie faisaient dans les années 1930 et 1940. Et ce sont des documents authentiques. On peut dire que quatre-vingt-dix pour cent des images présentes dans cet ouvrage sont authentiques, j'entends par là qu'elles ne proviennent pas d'autres sources utilisées dans le but de raconter l'histoire. ("Chasseur de fantômes")

Les deux fonctions de ces photos :

Je dirais qu'elles ont deux raisons d'être dans ce texte. La première, et la plus évidente, c'est qu'elles sont là pour accréditer la véracité du récit - nous sommes tous plus enclins à croire les images que les mots. Quand vous montrez une photo pour attester de l'existence de quelque chose, alors les gens ont tendance à se dire que, eh bien, oui, ce devait être comme ça. Et il est certain que dans Les Émigrants même les photos, si invraisemblables qu'elles soient, auraient tendance à illustrer ce phénomène. Regardez par exemple cette photographie du grand-oncle du narrateur en costume arabe, c'est une photographie authentique prise pendant son séjour à Jérusalem en 1913. Elle n'a pas été falsifiée, elle n'est pas là par hasard, ce n'est pas non plus une photo qui a été ajoutée a posteriori. De cette façon, les photographies permettent au narrateur de conférer une sorte de légitimité à l'histoire qu'il raconte. Je pense que cela a toujours été une préoccupation dans la fiction réaliste et cet ouvrage est une forme de fiction réaliste. Au XIXe siècle, du moins dans la tradition allemande, l'auteur se donnait toujours beaucoup de mal pour dire, c'est là que j'ai trouvé ce manuscrit, oui, caché là au-dessus d'un placard dans telle ou telle ville, dans telle ou telle maison et ainsi de suite, tout cela pour donner à son approche tout entière un semblant de légitimité.
L'autre fonction que je vois est peut-être celle d'arrêter le temps. La fiction est une forme artistique qui suit line temporalité, qui tend vers une fin, qui travaille sur un gradient négatif et il est très, très difficile dans cette forme particulière de récit d'arrêter la fuite du temps. Et, comme nous le savons tous, c'est bien ce qui nous plaît dans certaines formes d'art plastique - vous êtes dans un musée et vous contemplez l'une de ces merveilleuses toiles qui datent du XVIe ou du XVIIIe siècle. Vous êtes transporté hors du temps et si vous êtes capable de vous abstraire de la temporalité, c'est, d'une certaine façon, une forme de rédemption. Les photographies ont aussi ce pouvoir, elles agissent comme des retenues, des barrages qui endiguent le flot. Je crois que c'est quelque chose de positif, le fait de ralentir la lecture, en quelque sorte.
("Chasseur de fantômes")

Le genre de ce livre : "Les Émigrants est diversement qualifié de roman ou de quatuor narratif, ou il est tout simplement jugé inclassable. En quels termes décririez-vous cet ouvrage ?"

C'est une forme de réalisme fictionnel. Je pense que ce genre est plus répandu sur le continent que dans le monde anglo-saxon dans la mesure où le dialogue y est très peu présent. Tout est vu et relaté sous des angles différents, de façon oblique, comme à travers des prismes. En ce sens, cet ouvrage ne se conforme pas aux canons de la fiction traditionnelle. Il n'y a pas d'intrusion de l'auteur dans la narration. Et il y a diverses autres particularités de cet ordre qui tendent à faire entrer le livre dans un genre spécifique. Mais quel genre exactement, je ne sais pas comment on pourrait appeler cela. ("Chasseur de fantômes")

Et ces longues phrases ? Elles ne sont pas de notre époque.

C'est vrai. Il y a dans ces phrases des formes d'hypotaxe que presque tous les écraivains ont abandonné aujourd'hui par facilité. Aussi, tout simplement parce que ce genre de phrases ne leur est plus familier. Mais si vous allez voir du côté de n'importe quel type de prose discursive du XVIIe ou XIXe siècle - celle des essayistes anglais, par exemple - vous verrez qu'on trouve déjà ces formes d'hypotaxe, simplement elles sont tombées en désuétude. (Entretien avec Michael Silverblatt, “Une poésie de l’invisible”)

Damned ! C'est quoi dis donc une hypotaxe ? On devine : une figure de style qui consiste à utiliser abondamment des liens de subordination ou de coordination dans une phrase complexe...

Au fait, quel est donc le point de départ des Émigrants ?

Le point de départ des Émigrants est un appel téléphonique de ma mère qui m'informait du suicide de mon ancien instituteur à Sonthofen. Ce n'était pas très longtemps après le suicide de Jean Améry et j'avais travaillé sur Améry. J'ai vu alors se dessiner une sorte de constellation, à propos de la façon dont on peut survivre pendant un certain temps à une injustice qui vous a été infligée jusqu'au moment, très éloigné, où cela finit par vous engloutir. J'ai commencé à comprendre vaguement de quoi il s'agissait, dans le cas de mon instituteur. Et c'est cela qui a déclenché tous mes autres souvenirs. (“Qui est W. G. Sebald ?”)

- En 2005 les Archives de Marbach ont fait l’acquisition du legs Sebald dont les droits sont détenus par The Wylie Agency, offrant ainsi la possibilité aux chercheurs d’accéder aux archives de l’auteur. Elles comprennent 66 boîtes d'archives. Un texte, tapé à la machine sur deux feuilles libres, ne comportant aucune date, concerne le manuscrit Les Émigrants. En voici deux extraits :

En ce qui concerne le projet pour lequel je demande une aide, il s’agit d’un texte en prose d’environ 300 pages. […] C’est le récit de quatre biographies judéo-allemandes, judéo-anglaises ou judéo-américaines. Les personnages situés au-devant de la scène, même s’ils sont transformés en fiction dans une certaine mesure, ne sont pas des inventions, mais des reproductions de personnes dont le narrateur a été et est toujours proche même si elles ne sont plus en vie ; de ces histoires il résulte par conséquent la transmission progressive de la biographie et de la psyché de l’auteur. Il est rajouté au texte un matériau documentaire/photographique, au sujet duquel entrent en jeu des questions comme authenticité/invention, présence/absence, permanence de l’image/dynamique du texte. (trad. Christine Savaton dans sa thèse sur Les Émigrants).

Ce livre raconte la vie et la mort de quatre émigrants. Ce sont principalement des histoires de Juifs, mais aussi des histoires d'Allemands. Plus exactement, il s'agit de voir comment une histoire de Juif devient une histoire d'Allemand, ou bien comment une histoire d'Allemand devient une histoire de Juif. Les itinéraires de ces personnages, étroitement liés au parcours du narrateur, mènent de la province du sud de l'Allemagne en Suisse, vers la France & l'Angleterre, & jusqu'aux villes lointaines & prodigieuses de New York & de Jérusalem. Comme le narrateur chemine lui aussi à l'étranger, il en résulte un double effet de dépaysement (Verfremdung). Un émigrant en vient à évoquer sa terre natale avec les yeux d'un autre. Pertes et privations se mettent à peser plus lourdement à mesure que le temps s'écoule. Partout se manifeste la douleur fantôme du souvenir, & celui qui croyait y avoir échappé est rattrapé par le passé. (trad. Patrick Charbonneau, Politique de la mélancolie : à propos de W. G. Sebald, dir. Muriel Pic, Les Presses du réel, 2016).


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