Éditions
présentées dans l'ordre chronologique : Quatrième de couverture : DÉCOR "Un tour de
force de virtuosité verbale, un roman brillant
Quatrième de couverture : Décor : Camp de concentration
Kat Zet I en Pologne. Un livre d'un cynisme, d'une puissance et d'une intelligence rares. Didier Jacob, L'Obs. Un grand styliste, une satire terrifiante. Josyane Savigneau, M. le Magazine du Monde
Décor : Camp de concentration Kat
Zet I en Pologne.
Quatrième de couverture : Il était une fois un roi qui demanda à
son magicien préféré de confectionner un miroir magique.
Dans ce miroir, on ne voyait pas son reflet. On y voyait son âme
: il montrait qui lon était vraiment." |
Martin Amis (1949-2023)
|
Lors des échanges, le roman Les
Bienveillantes a été évoqué à plusieurs
reprises. On peut justement voir en ce moment sur Arte Un
écrivain dans l'enfer nazi - "Les Bienveillantes" de
Jonathan Littell, dans la série passionnante "Les
grands romans du scandale", un film de Jean-Christophe Klotz (2023,
55 min). Raflant le Goncourt et
le prix de l'Académie française, le roman devient un best-seller
immédiat, à la fois porté aux nues et conspué.
Jacqueline
Je n'ai réussi à trouver aucun intérêt à
ce livre. Seule, j'aurais vite abandonné mais je l'ai pourtant
lu consciencieusement parce que c'était pour le groupe lecture
et que la manière dont son sujet était reçu m'intéressait
(au même titre que la postface de l'auteur et les nombreuses lectures
auxquelles il se réfère)
Dans cette postface, il évoque (comme si cela devait légitimer
son travail ?) les ascendances juive de sa femme
Devrais-je évoquer
les raisons personnelles de mon intérêt
pour cette période de l'histoire qui est celle de ma naissance,
ou plus généralement, pour l'univers concentrationnaire
ou les génocides ?
Dans cette postface,
Amis cite Primo Levi : "Peut-être
ne peut-on pas ou, qui plus est, ne doit-on pas, comprendre ce qui s'est
fait, car comprendre, c'est presque justifier (
). Ce sont des paroles
et des actes non humains, véritablement antihumains
"
Amis dit que cette citation lui ouvre une porte pour franchir le défi.
Mais il me semble qu'un romancier dans son rôle devrait justement
être porteur de l'humain par son récit et son langage
Ce n'est pas ce que j'ai ressenti à la lecture qui m'était
extrêmement pesante
J'ai eu du mal à distinguer les personnages autrement que par les
faits qu'ils rapportent et jamais par leur voix et pourtant, dans ce procédé
d'alternance, j'aurais aimé les entendre
Il y a bien l'introduction
des mots du corps féminin en allemand dans la pensée de
Paul Doll (pour illustrer son mépris et/ou son obsession ?). Cela
ne m'a pas gênée ; mais quel intérêt ?
Et j'ai été surprise par ce qu'en dit l'auteur dans un interview
: "Quant au langage
lui-même, vous connaissez la théorie selon laquelle l'Holocauste
n'aurait pu avoir lieu dans une autre langue. L'allemand est la langue
maternelle de l'Holocauste
. C'est pourquoi j'ai glissé des
mots d'allemand dans les dialogues de mes personnages"
(un reliquat de sa lecture de Klemperer dont je croyais que nous avions
lu au groupe L.I.T.
la langue du troisième Reich).
À propos d'Hitler, Amis parle aussi de Lanzmann
et de "l'obscénité" de toute explication
Cela m'évoque la difficulté réelle d'un romancier
ou d'un créateur à rester juste, à concilier devoir
de mémoire, respect des témoins et de leur point de vue,
comme respect de ce qui est en voie de devenir historique
Il y a,
je trouve, quelque chose d'obscène dans certaines utilisations
de la Shoah (et pas que dans quelques romans ou films
)
Je ne connais pas Emil Fackenheim, ni Penser
après Auschwitz, mais après un génocide,
les témoignages sont infiniment précieux et j'admire le
travail de Hatzfeld
au Rwanda.
Par ailleurs, on a parlé de "banalité du mal".
C'est une idée très forte. Je n'ai pas su la trouver dans
le livre. Au contraire, le film illustre vraiment bien, pour moi, cette
idée avec ses scènes champêtres et les préoccupations
immédiatement matérielles des protagonistes. D'ailleurs
j'ai apprécié le film, y compris la question des traces
et de la mémoire suggérée par ces scènes finales
où l'on voit des employés balayer le musée après
la fermeture et, en arrière-plan, une vitrine glaçante d'objets
résiduels... Peut-être que si le livre ne m'a pas évoqué
la banalité du mal, c'est parce que Paul Doll est déjà
perturbé quand il entre dans un système organisant l'inhumain.
Cela fournirait une explication psychologisante et aucune explication
structurelle
C'est déjà ce qui m'avait gênée
dans Les
Bienveillantes. J'ignore d'ailleurs si le succès
des Bienveillantes 15 ans auparavant a inspiré le parti
pris d'Amis, mais j'y avais appris énormément de choses,
c'était intéressant ! Ce n'a pas été le cas
avec celui-ci et je le ferme.
Claire
J'avais eu les échos positifs motivants du club
de lecture de Renée à Narbonne qui a déjà
programmé ce livre, et avais compris que l'on pouvait voir avant
ou après le film, vu qu'il est inspiré et non adapté
du livre - indifférence d'ordre que j'avais du mal à croire,
vu que par principe je lis d'abord le livre. J'ai en effet vu le film
avant, ce que je n'ai pas regretté, film extraordinaire qui me
semble "à voir", mais où je me suis assez ennuyée.
Pas regretté car le film m'a donné envie de lire le livre.
Le point de vue irrespectueux, assez provocateur, choisi par Martin Amis
pour évoquer la Shoah du point de vue de bourreaux vulgaires, avait
tout pour me plaire
L'alternance de narrateurs, même si ça peut être un
procédé qui devient banal ? Allons-y, c'est un fonctionnement
intéressant.
Nombre de phrases m'ont semblé dépourvues de sens. Je ne
voyais pas qui parlait ni de quoi il était question. Rien n'accrochait
mon intérêt, l'ennui fut vite au rendez-vous. Le mélange
de nombreux termes allemands, ou encore un ou une en chiffres
sans raison, en ont rajouté une couche.
Pour relancer mon attention, j'ai regardé la postface avec ce titre
pompeux "L'après" : elle m'a semblé pénible,
peu éclairante, mal foutue.
J'ai retenté ma chance, puis j'ai laissé le livre. Je le
ferme sans aucune indifférence, mais avec une forme de colère.
J'ai lu les avis des deux groupes qui ont déjà lu le livre.
Je remarque que ce sont les garçons uniquement qui ont "ouvert
en grand". Je remarque aussi qu'ils parlent peu du livre en formulant
leurs réactions.
Catherine
J'ai remarqué aussi.
Claire
Seule Chantal qui ouvre aux ¾ me semble
expliquer pourquoi elle a apprécié le livre en tant que
roman.
Sabine(à
l'écran)
Comme beaucoup, j'ai vu le film avant de lire le roman de Martin Amis,
pour la simple raison que la diffusion du film fut courte (trois semaines
à Nîmes). D'ordinaire, on lit avant (G. Eliot,
E. Hemingway), on regarde les adaptations
après. Cela dit, les deux uvres me semblent tellement différentes
et dissociables que cela importe peu ; dans les deux cas, j'ai eu le sentiment
d'avoir affaire avec un "ovni" littéraire et un "ovni"
cinématographique.
Je commence par le film : durant les presque deux heures de projection,
j'ai été spectatrice d'une "entreprise cinématographique
expérimentale" qui veut rendre compte d'une "entreprise
génocidaire expérimentale innommable". Je suis
restée totalement froide, gênée parfois bien sûr.
Je pense que je suis passée à côté du film
; pour autant, mon fils de 25 ans, dont j'attendais la réaction,
a ressenti la même chose que moi. Je partage l'avis
de Xavier Leherpeur qui dit que ce film est contre-productif en servant
l'argumentaire des négationnistes (ce qui ne se voit pas n'existe
pas). Après réflexion, c'est le personnage d'Hedwig Höss
qui m'a vraiment déplu : elle représente le prototype de
la femme rêvée par la propagande nazie (froide, insensible,
anti-féminine) et je crains qu'un public non averti s'imagine que
toutes les femmes allemandes étaient ainsi ; on tomberait alors
dans le pire des clichés. Songeant à ma mère et ma
grand-mère allemandes, qui vécurent à Berlin durant
la guerre, elles étaient à l'opposé de cette image
ici représentée. Après moultes discussions avec des
ami.e.s et collègues, il ressort que les avis les plus tranchés
et opposés s'affrontent et c'est plutôt sympa. J'ai lu le
"dossier
pédagogique" à destination des enseignants en ligne,
long (50 pages) et instructif. Pour toutes ces raisons, j'irai peut-être
revoir le film. Mais je reste bien dubitative. Connaissant un peu-beaucoup
tout ce qui a été filmé sur la Shoah, mes films préférés
sont : Nuit et brouillard, La liste de Schindler, Shoah et Le
fils de Saul.
Concernant le livre, j'ai été surprise par l'adaptation
qu'en a fait le cinéaste : il ne reste quasi rien des personnages
du livre, excepté le couple infernal. J'ai trouvé ce livre
difficile :
- Je me suis perdue dans les dialogues, les personnages, les propos.
- Moi qui pratique l'allemand, je me suis demandé comment ont fait
ceux qui ne le parlent pas pour comprendre, puisque très souvent,
aucune traduction ne suivait.
- Le cynisme adopté ne m'a pas convenu. Sans doute suis-je touchée
de façon trop profonde pour apprécier l'angle choisi pour
traiter ce sujet.
Il y a quelques passages qui ont retenu mon attention, par exemple : Nous
nous trouvions au rez-de-chaussée du Bunker 13, l'une des multiples
bâtisses de morne brique grise du Stammlager ; les rares fenêtres
étaient barricadées, si bien qu'il y régnait une
atmosphère pour ainsi dire aveugle, d'enfermement (sans parler
de l'acoustique tortueuse qui vous suivait partout au Kat Zet). Pendant
les dix premières minutes, j'ai entendu, montant des caves, une
série de hurlements, expression d'une douleur qui allait crescendo
et éclatait peu à peu. Suivis par un long silence, lui-même
suivi par les échos de bottes sur des marches en pierre, échos
poussiéreux, caillouteux, même. Michael Off est entré,
s'est essuyé les mains à un torchon. Son tricot de peau
crème lui donnait des airs du jeune homme qui, à la fête
foraine, aligne les autotamponneuses. Hochant la tête à mon
intention, il m'a dévisagé tout en, eût-on dit, comptant
ses dents avec la pointe de la langue, d'abord les dents du bas, puis
celles du haut. Il a pris un paquet de Davidoff sur l'étagère
avant de redescendre au sous-sol, et les hurlements qui allaient lentement
crescendo et éclataient peu à peu ont repris. (p. 218-219).
Les critiques (livrées par Claire, merci
!) m'ont confortée dans mon jugement. L'interview
du romancier éclaire sa démarche, mais je ne suis pas
convaincue : le style ne me plaît pas et, quant au fond, le livre
ne m'a rien appris. J'ouvre un tout petit quart !
J'ai hâte de vous lire et vous souhaite une bonne séance
!
Monique L
A priori, je trouvais intéressant le projet de traiter les événements
liés à la Shoah de manière décalée
et en apporter une nouvelle lecture. Je m'attendais à être
dérangée avec un tel sujet mais pas de cette façon.
Martin Amis nous parle de la Shoah d'une façon inédite et
dérangeante, volontairement provocatrice, qui aurait pu marcher.
Son projet de faire le portrait d'une nature humaine monstrueuse, capable
d'ignorer l'horreur qui se passe sous ses fenêtres est plus qu'intéressant.
Mais ses excès dans la caricature ne servent pas son propos. Je
n'ai pas apprécié ce roman, non pas parce que la Shoah doit
être traitée avec respect mais par ce que le ton m'a déplu.
J'ai été gênée par le côté caricatural
de Doll. Je pense qu'un nazi plus subtil et tout aussi détestable
aurait tout autant fait l'affaire. Je trouve que la place donnée
au coup de foudre de Thomsen est trop importante. De plus, était-il
nécessaire d'en faire un obsédé sexuel ?
Par contre, j'ai particulièrement été touchée
par les pages concernant Smulz, le Juif chef du Sonderkommando. Martin
Amis décrit le terrible cas de conscience complexe qu'ont pu vivre
les hommes qui ont fait ce choix par résignation, instinct de survie,
ou désir de témoigner plus tard.
Dans les dernières pages l'auteur aborde un débat intéressant
"Sous le National-Socialisme,
on se regardait et on voyait son âme. On se découvrait. Cela
s'appliquait, par excellence et a fortiori (avec une violence incommensurable),
aux victimes, ou du moins celles qui vivaient plus d'une heure et avaient
le temps de se confronter à ce reflet. Mais cela s'appliquait également
à tous les autres : les malfaiteurs, les collaborateurs, les
témoins, les conspirateurs, les martyrs absolus [
]. Nous
découvrions tous ou révélions, désemparés,
qui nous étions".
J'ouvre au quart.
Par la suite, j'ai vu le film de Jonathan Glazer inspiré du roman
mais qui n'en est pas du tout une adaptation. J'avais déjà
écrit mon avis sur le roman. Je ne l'ai pas changé.
Ce film montre à mon sens de façon plus efficace sur la
banalité du quotidien dans un environnement d'horreur qui ne trouble
pas la vie de la famille. J'ai trouvé cela très fort car
on sait ce qui se passe de l'autre côté du mur sans que la
famille n'y prête attention. Comme spectateur? on est hanté
par l'autre côté du mur : une cheminée crachant une
fumée noire, mais surtout les sons : le ronflement des fours, la
détonation d'armes, des cris de prisonniers et de gardiens des
aboiements de chien, le bruit des trains.
Il y a des moments glaçants : lorsqu'un flot de cendres arrive
sur la baignade, lorsque Mme Höss vide un sac de vêtements
sur la table de la cuisine et qu'elle garde un vison, lorsqu'elle parle
de réduire en cendre une de leurs bonnes qui n'a pas fait ce qu'elle
souhaitait.
En parallèle, la famille vit une vie tranquille dans un cadre agréable
aménagée par Mme Höss qui s'occupe de son foyer. Les
enfants sont bien élevés. M. Höss est montré
comme un chef d'entreprise absorbé à sa tâche. Il
est question de productivité, d'amélioration des processus.
J'ai bien aimé ce film !
Renée(à
l'écran)
Dans L'écriture
ou la vie que nous lirons bientôt, Jorge Semprun écrit
: "Il faudrait une fiction. Mais qui osera ?"
Jonathan Littell a osé avec Les
Bienveillantes il a été agoni d'injures ; Martin
Amis a osé également écrire du côté
des bourreaux. On a dit qu'il se complaisait dans l'horreur, qu'on ne
peut pas mettre du burlesque dans la Shoah, etc.
Pour moi, au contraire, c'est un tour de force de mêler la vie et
l'amour à cette horreur absolue. Nous connaissons bien la proximité
d'Éros et Thanatos. À part Thomsen, la vie du camp c'est
: le stupre et la mort. En choisissant de ne pas nommer Rudolf Höss,
mais le remplacer par Paul Doll, Amis peut en faire un bouffon grotesque,
pochetron, même pas respecté par sa femme.
Pour le reste, il a fait beaucoup de recherches donc le récit est
réaliste, hélas ! Ce qui m'a le plus frappée, c'est
le vocabulaire, la déshumanisation. La mort d'humains est une entreprise
industrielle avec le vocabulaire adéquat. Les hommes sont des pièces,
on étudie la "vitesse à laquelle on les use",
on calcule la "rentabilité" de telle ou telle
formule d'élimination. On nous explique que les fours crématoires
sont moins rapides qu'une balle dans la tête et les bûchers
ou un charnier. MAIS on fait des économies de balles et on "épargne
les nerfs des bourreaux", qui, quand même, sont parfois
démoralisés par leur mission.
Le calcul de Doll au théâtre est glaçant et montre
la vacuité mentale du personnage. Angélus Thomsen et son
ami ont des dialogues horribles "Toute
l'Allemagne se bouche les narines", il règne une
odeur qui nous rappelle que "l'être
humain descend du poisson". Serait-il rentable de nourrir
davantage les travailleurs ? Non, ils travailleraient moins et nous
en avons à profusion
Quelques moments de lucidité
: "ils
doivent achèter leur billet de train (
) ça,
c'est loufoque".
Le bruit : "un accord
impuissant, tremblotant, harmonie, fugue d'horreur et de désarroi
humain" ; "Les
nappes phréatiques sont contaminées" ; "Le
train de passagers arrive, tout guilleret"
et immédiatement
après : "la montagne
quotidienne de cadavres", la violence, la mort et les
excréments dans camion plein de corps décharnés.
Le cas du sonder Szmul est très dur à lire, mais en entrant
dans sa tête, nous arrivons à le comprendre. "À
chaque nouveau coucher de soleil, je pense : 'Voilà. Pas aujourd'hui.'"
Martin Amis, pour la forme, nous raconte à première vue
un roman d'amour dans un camp : pour ma part j'ai été peu
intéressée par cet amour. Mais le fond est l'exploration
de l'âme humaine, l'abjection dont l'homme est capable, la banalité
du mal.
On comprend que Thomsen a lutté à son échelle à
entraver le pouvoir allemand, mais il est conscient que ça n'a
pas servi à grand-chose ; peut-être au contraire des hommes
ont souffert à cause de lui. C'est le seul personnage positif du
roman.
Roman extraordinaire pour moi, qui m'a énormément fait réfléchir,
comme Les Bienveillantes en son temps. Ce sont deux livres qui
nous questionnent sur le MAL, sur "la banalité du mal"
décrite par Hannah Arendt.
J'ouvre en grand.
Le film : j'ai trouvé le film très beau visuellement. Mais
décevant par rapport au livre.
Le but était tout à fait différent : le cinéaste
est parti du principe que nous connaissions tout d'Auschwitz, juste suggéré
par la musique, quelques dialogues sur l'odeur, les essais de manteaux
en fourrure de la femme de Höss. Donc il nous montre la vie ordinaire
d'un bon époux, d'un bon père de famille dont nous, nous
savons qu'il est un monstre.
Les MOTS de l'horreur m'ont manqué.
Fanny
Je continue dans la même lignée que Renée.
Je n'ai pas vu le film et mon ami a vu le film et pas lu le livre :
en en parlant, on voyait les nombreuses différences, au point qu'on
avait l'impression de ne pas suivre la même uvre !
Il fallait oser raconter les camps en se mettant sous l'angle des tortionnaires.
Doll manque de subtilité et est abject, mais c'est réaliste.
Sur les faits, je n'ai rien appris ou presque. Mais on a beau savoir que
les nazis considéraient l'extermination comme une gestion de projet,
le lire sous l'angle de leurs propos c'est sidérant, vraiment terrible.
Le fait d'être du côté des bourreaux, ça donne
un souffle.
Côté roman, il y a quelques longueurs et on peut se demander
qui parle, mais on finit par raccrocher ; l'histoire d'amour n'est pas
forcément utile, mais j'y ai cru et il y a un côté
fleur bleue, un peu kitsch, joli quand même
Les mots en allemand,
j'ai trouvé cela assez pénible. Ce sont de petits bémols
sur la qualité littéraire mais qui, pour moi, pèsent
peu dans la balance par rapport à la thématique du roman.
Il y a quelques passages particulièrement bien écrits.
Le personnage de Smulz est particulièrement touchant et intéressant
: par exemple quand il dit qu'il aime sa femme mais que vu ce qu'il est
devenu, il préfère ne pas la revoir.
J'ouvre aux ¾ en raison de quelques bémols.
Catherine
J'ai
vu le film avant de lire le livre et je l'ai beaucoup apprécié.
J'ai aimé le début avec cet écran presque noir, la
façon dont sont filmés les acteurs, les sons, les détails
qu'on découvre petit à petit : les cris, les taches de sang,
les cendres, l'horreur d'un côté du mur, de l'autre une vie
banale, les jeux des enfants, la piscine. Les sons sont omniprésents
dans le film, dans le livre ce sont les odeurs.
J'ai attaqué le livre directement après et j'ai été
très déçue. Je n'ai pas aimé que Amis transformé
Doll en ivrogne bouffon, je n'ai pas cru aux personnages et j'ai trouvé
l'histoire d'amour à la fois superflue et inintéressante.
Seul le personnage de Smulz m'a intéressée, touchée.
Le dilemme de la survie, même provisoire, à tout prix, qui
le conduit à se vouloir se tuer plutôt que sa femme voie
ce qu'il est devenu. Il y a des passages intéressants malgré
tout, sur le côté bureaucratique, économique des camps,
sur les discussions surréalistes à propos du comptage des
morts ; mais beaucoup de choses ont été écrites ailleurs
et mieux :
Les Bienveillantes en particulier. Je pense aussi à La
mort est mon métier de Robert Merle que
j'ai lu quand j'étais adolescente, dont le sujet est aussi les
camps du côté du même bourreau Rudolf Höss, à
Treblinka
qui décrit le quotidien d'un autre camp d'extermination et soulève
le problème de la révolte des Juifs face aux nazis.
Bref, je n'ai pas été convaincue. J'ai l'impression que
le livre ne correspond pas à l'objectif de l'auteur et que la postface
dans laquelle il cite toute une bibliographie lui sert à se justifier.
De plus, j'ai trouvé la lecture pénible et je ne vois pas
ce que les nombreux mots en allemand apportent au livre.
Une déception qui ne me donne pas envie de lire d'autres livres
de cet auteur. Je l'ouvre ¼.
Rozenn(à
l'écran)
Que vous ayez aimé ou non, je suis d'accord avec tout ce que vous
avez dit.
Françoise
Ça c'est du Rozenn pur sucre !
Rozenn
Je reste très perplexe.
J'ai lu le livre, puis vu le film.
Le livre est fouillis. L'histoire d'amour on s'en fout.
C'est le côté rationnalisateur qui pourrait m'intéresser.
Dans Shoah que j'ai revu, il y a un homme qui évoque la
question comme un rapport technique : c'est insupportable car parfait.
Du livre ne me reste pas grand-chose, peut-être quelques personnages
secondaires conscients de l'horreur.
Dans le film, on voit l'un des enfants la nuit, debout à la fenêtre
: c'est une image fabuleuse. Et moi face au monde au loin à travers
la télé, j'en fais quoi ?
Je ne conseille ce livre à personne. Ni le livre ni le film.
Oui il y a un risque par le film de banaliser, presque
de nier. Film et livre me mettent mal à l'aise.
Comment j'ouvre ? Je n'ouvre pas. ¼ c'est trop.
On peut vraiment passer à côté de ce livre.
(Après la séance) Non j'ai eu tort de dire qu'on pouvait
passer à côté de ce livre - même s'il met mal
à l'aise - et de ce film - même s'il déçoit
quand on vient de lire le livre parce qu'il est trop partiel.
Précisément parce qu'il dérange mon indifférence
ou plutôt mon impuissance.
Richard
Ce livre est trop ambitieux : il essaie de décrire une histoire
d'amour raté et l'environnement d'un camp de concentration dont
on connaît l'affreux détail dans beaucoup de livres déjà
publiés.
Ce qui pourrait sauver le livre, c'est l'histoire de l'amour adultère
de l'officier SS Thomsen pour la femme de Doll ; mais ce n'est pas
assez développé, c'est raté.
La lecture n'est pas très aisée : c'est difficile de repérer
qui parle ; j'aurais aimé quelques indications, hélas non,
ce sont comme des dialogues de théâtre mais où on
ne dit pas qui parle.
J'ai lu le livre en anglais et cela a de l'importance, car c'est un anglais
très conversationnel et j'ai du mal à le lier à la
gravité d'un camp de concentration. Pourquoi ce choix ? Est-ce
que l'auteur veut accentuer pour une audience anglaise la terrible nonchalance
des Allemands : nous serions tous capables d'accepter cet enfer ?
Et l'inclusion des termes allemands ? Est-ce que c'est pour marquer que
ce ne serait que les Allemands capables de cela ? Je comprends l'allemand
et je me demandais comment les lecteurs pouvaient comprendre ces références,
par exemple que "KL" veut dire Konzentrationslager ; en plus
il y a des erreurs : quelques adjectifs ne sont pas accordés avec
leur substantif...
J'ouvre ¼ et c'est très gentil.
J'ai vu le film après : il ne faut pas faire de comparaisons car
ce n'est pas une adaptation. J'ai été déçu
en ne trouvant pas l'histoire du livre. Mais ensuite j'ai compris qu'il
fallait comprendre le film comme une uvre à part. Pourquoi
un tel bon accueil ? Le film en soi est peut-être superbe. Je n'aurais
certainement pas eu cette déception si je l'avais vu d'abord. C'est
un film pour les cinéphiles. Il faudrait que je le revisite...
Brigitte(à
l'écran)
J'ai vu le film que j'ai bien aimé.
Quant au livre, je n'ai pas été très consciencieuse.
J'ai papillonné car j'ai très vite été découragée
par ce sujet horrible et donc pénible à lire. J'ouvre ¼,
voire moins, s'il existe un niveau plus bas...
Le film m'a semblé plus complexe, par exemple en ce qui concerne
la belle-mère ; dans un premier temps elle est admiratrice de la
réussite matérielle de sa fille, de la beauté de
son jardin, du charme de ses jeunes enfants ; elle finit par comprendre
la réalité de la situation, peut-être en entendant
les divers bruits en provenance du camp mitoyen ; elle décide alors
de partir sans s'expliquer.
La dimension obscure de ce contexte est particulièrement prenante.
De même que ces séquences tournées en caméra
thermique avec ces personnages mystérieux qui déposent des
fruits à l'intention des prisonniers-travailleurs.
D'autres moments m'ont paru un peu faciles comme l'essayage d'un manteau
en vison, c'est un peu grotesque ; de même que la façon
dont la maîtresse de maison traite ses servantes, ou parle avec
ses invitées.
Tout ceci me conduit à m'interroger sur la façon dont nous-mêmes
restons assez insensibles à la situation des sdf que nous croisons
régulièrement près de chez nous.
Christelle
Le titre m'a interpellée. Et j'étais a priori favorable
au côté cynique, économique et burlesque.
Mais le concept n'a pas pris par la suite. C'est écurant.
Les tentatives d'humour tombent à plat.
L'allemand m'a intéressée, stimulée.
Mais j'ai calé plusieurs fois, et aux trois quarts du livre j'ai
calé pour de bon.
Je n'ai pas vu le film.
J'ouvre ¼ pour le titre bien trouvé et la tentative d'associer
grotesque et économique.
Jérémy
Avant la lecture : Je ne connaissais pas Martin Amis et
n'avais pas entendu parler du livre quand il est sorti. Le thème
historique du livre était fait pour me plaire. Seul hic :
la couverture ultra kitsch et la mention "Le
roman à l'origine du film". Ça fait vraiment "Vu
à la TV".
Après la lecture : J'ai adoré. Et cela faisait longtemps
que cela ne m'était pas arrivé quant aux lectures dans le
groupe (depuis cet été et Middlemarch
en fait !).
J'ai aimé :
- La multiplicité des voix narratives qui apporte une dynamique.
J'ai eu un peu de mal à suivre au début, surtout parce que
j'ai lu une partie du livre assez rapidement avant de faire une pause
et de m'y remettre. Mais en m'y remettant j'ai à nouveau feuilleté
le début du livre et ai pris quelques notes pour repérer
les personnages et leur rôle. À partir de là tout
a été plus simple. Il y a peut-être un petit effort
à faire mais je trouve que cela fait partie du travail du lecteur.
Et ce n'est rien en comparaison des romans russes par exemple !
- Le fait que le livre soit très documenté et qu'on y apprenne
des choses sans que cela ne soit "lourd" ou pontifiant. Je suis
peut-être inculte, mais j'ai appris ou revu des choses que j'avais
certainement oubliées, ou jamais bien assimilées :
la sélection, les petits calculs sordides pour faire "durer"
la main d'uvre le plus possible pour le moins cher possible (le
nazisme comme recherche d'efficacité et de rendement poussée
à son paroxysme), les détails "techniques" sur
les bûchers, sur le "pré", la logistique des convois,
etc. J'ai également apprécié les références
historiques, la montée du nazisme, ainsi que ce passage sur la
manière dont la grande majorité a été "entraînée"
malgré elle, lorsque le personnage de Thomsen dit "Nous
avons suivi, nous avons suivi le mouvement, faisant de notre mieux pour
traîner les pieds, érafler les tapis et gratter le parquet,
mais nous avons suivi. Des comme nous, il y en avait des centaines de
milliers, peut-être des millions."
- La "galerie de personnages" : Doll est caricatural, mais cela
peut très bien être réaliste comme dit Fanny. Les
nazis n'étaient pas tous des petits fonctionnaires ternes et "passe
partout". S'il est too much, je suis convaincu par sa bêtise,
sa cruauté, son cynisme. Et c'est "drôle" d'une
certaine manière (je pense notamment au passage de la sélection
où il promet un sauna, un sandwich au fromage et un ragoût
brûlant aux nouveaux "arrivants"). D'ailleurs il n'est
pas si bête que ça, par exemple quand il dit : "Cela
me sidère, qu'ils décident de persister, de durer de la
sorte. [
]
Être est une habitude, une habitude à laquelle ils sont incapables
de renoncer." C'est intéressant, beau même.
J'ai beaucoup aimé le personnage du Sonder Szmul : ce personnage
est beau, lorsqu'il dit : "Qui
aurait pu deviner combien c'était fondamental et nécessaire,
dans les échanges humains, de voir les yeux ? Mais les yeux sont
le miroir de l'âme et, quand l'âme est partie, le regard est
vide".
- Comme Renée, l'histoire d'amour, qui renvoie pour moi à
ce lien Éros/Thanatos, intéressant ici : la mort rôde
partout, mais les pulsions sont là, comme si les personnes avaient
besoin de "décharger" : le sexe comme exutoire. Cela
peut sembler sordide et incongru mais pour moi le symbole est très
fort : la vie malgré tout, la vie parvient toujours à se
frayer un chemin.
- Sur la forme, j'ai bien aimé les termes en allemand qui ont dérangé
certains. Je ne suis pas germanophone mais j'ai fait de l'allemand, donc
cela ne m'a pas gêné. Je trouve que cela ajoute au réalisme
et ancre le roman.
- Beaucoup d'entre vous ont dit avoir lu bien mieux sur le sujet ou qu'il
n'y avait rien de nouveau sous le soleil. Je suppose qu'il y un gap générationnel
et je plaide aussi coupable d'inculture car je n'ai pas lu tant de livres
que cela sur ce sujet. Par ailleurs, d'une certaine manière, on
a déjà tout dit, tout écrit sur le sujet, mais en
aura-t-on jamais assez dit et jamais assez écrit ?
J'ai donc beaucoup beaucoup aimé et suis surpris par tant d'avis
négatifs !
J'ai vu le film en cours de lecture et en revanche je l'ai trouvé
nul et non avenu, sans utilité.
J'ouvre en grand, donc.
Françoise D
Les deux livres de Martin Amis que j'avais lus antérieurement,
Night
Train et Expérience,
ne m'avaient pas impressionnée. Et là, bof bof aussi. Il
ne m'en reste rien.
J'ai quand même été intéressée puisque
je l'ai lu jusqu'au bout. Mais pas plus que ça ; l'histoire d'amour,
bof. On ne cerne guère les personnages. On sait que le camp est
là puisque c'est l'objet du livre, mais c'est impalpable. Et surtout,
je n'en garde rien.
Les
Bienveillantes, c'est cent coudées au-dessus. Martin Amis
fait du recyclage. Rien de nouveau. Bien sûr il ne faut pas s'attendre
à des révélations, mais du point de vue littéraire
je trouve que c'est raté.
Je n'ai été touchée à aucun moment. Mais je
l'ai lu jusqu'au bout parce que c'était pour le groupe et aussi
pour savoir comment il allait terminer. À plat.
Quant au film, il n'a rien à voir, ce ne sont pas du tout les même
personnages, plus proches de la réalité peut-être.
J'ai aimé la performance de Sandra Hüller. Le camp est plus
prégnant que dans le bouquin. Mais ce n'est pas "à
voir absolument".
Katell
J'ai vu le film, intéressant, glaçant, pas mal. Mon fils
de 17 ans l'a trouvé chiant.
J'ai été autrement marquée par La
mort est mon métier de Robert Merle !
J'ai lu celui-ci comme Brigitte, paresseuse, car je n'ai pas accroché.
Martin Amis, on en parlait dans les années 2000-2010, avec son
livre Expérience.
Que Gallimard
l'ait refusé, c'est pas rien quand même.
J'en fais autant et je ferme...
Clémence
(avis transmis par une internaute)
J'ai trouvé que ce livre offrait une perspective intéressante
sur le régime nazi.
La lecture en elle-même n'est pas forcément toujours très
facile. En effet, la narration changeante et les nombreux termes allemands
m'ont parfois perdue, et il a souvent fallu que je revienne en arrière
pour bien comprendre ce dont on parlait. À cela s'ajoutent des
personnages clairement peu attachants, même si parfois plus complexes
qu'à première vue (je pense notamment à l'officier,
dont je n'ai jamais bien compris d'ailleurs ce qu'il pensait des camps
et du régime nazi) dont les discours sont difficiles à suivre.
Néanmoins, au milieu de tout ça, il y a des moments de lucidité
que j'ai trouvés d'autant plus poignants qu'ils semblent survenir
presque par hasard, au détour d'une autre pensée du narrateur.
Par ailleurs, il y avait quelques axes de réflexion intéressants
à mon avis, tels que le rôle de l'aristocratie et des intellectuels
dans ce régime, ainsi que la mentalité des officiers (même
s'il est parfois difficile de faire la part des choses entre le réel
et l'exagéré).
J'ai trouvé globalement que c'était un livre complexe et
bien documenté, à relire peut-être, qui ne s'en tient
pas à des banalités comme j'ai pu voir dans certaines de
ses critiques.
Les 6 réactions sur le livre
du nouveau groupe parisien
réuni le 2 février 2024
David Jean-Paul Lahcen
Entreet Katherine
Anne-Marie
Margot
Nathalie B Anne Audrey et François
n'ont pas lu le livre mais se sont exprimé.es
Jean-Paul
À la lecture de la quatrième de couverture je me suis interrogé
"qu'est-ce que cela va être ?", un "Monty Python",
vraiment, sur un tel sujet ? Au début de l'ouvrage je n'ai pas
trouvé l'écriture et le déroulement très limpide
entre les narrations des trois principaux protagonistes mais on comprend
assez vite que décrire ces personnages dans leur vie médiocre
et caricaturale nous fais percevoir encore plus comprendre l'horreur et
l'inacceptable c'est la grande force de ce roman. Nous sommes plongés
dans les abysses de l'abject lorsque est décrit du mode opératoire
de comptage de cadavres : "les crânes, non, plutôt
les fémurs" sans émotion, ou lorsque la femme du
commandant se maquille alors la chambre à gaz "tourne"
à plein régime. Ces personnages que l'auteur a affublés
de masques sont réels, et cette narration peu habituelle de l'holocauste
nous amène à réfléchir sur ceux qui ont appliqué
leur tâche avec zèle comme n'importe quel autre "travail".
Nathalie
B
Je n'ai lu malheureusement que quelques pages. Question de temps impossible
à trouver. Mais ces quelques pages m'ont donné envie de
poursuivre, car j'ai trouvé intéressant d'aborder le sujet
comme l'auteur l'a fait. Je ne connaissais rien du thème du roman.
Pourtant je comprends très vite que cette conversation entre deux
hommes qui parlent d'une jeune femme d'un ton badin, sont des gardiens
d'un camp de concentration. J'ai pensé à La
mort est mon métier de Robert Merle. Dans lequel il n'y
avait aucun badinage. Et aussi à l'essai de Johan Chapouto, Libres
d'obéir : le management du nazisme à aujourd'hui.
Audrey
Pour ma part, je n'ai pas lu le livre, mais vu l'adaptation au cinéma,
laquelle s'ouvre sur un écran noir avec des sons étouffés
et étouffants qui ne cesseront d'habiller en arrière-plan
les images. Les sons de la souffrance et de la destruction, des sons qui
deviennent la toile de fond banalisée d'un génocide derrière
le mur d'une habitation indifférente à leur existence ou
à leur signification ! L'intérêt de ce récit
réside à mon sens dans le fait de nous faire passer du côté
du bourreau, de nous permettre soudain une identification inimaginable,
ce que les films historiques et les archives ne m'avaient pas permis de
sentir jusque-là, me laissant du côté des victimes,
du côté des défenseurs des droits humains, du côté
de l'incrédulité et de l'incompréhension face à
cette organisation abominable et moralement incompréhensible du
"Mal". Mais là, cette fiction me fait frémir en
me faisant basculer de l'autre côté. Surviennent alors ces
questionnements pour le moins perturbants : ces petits ingrédients
de l'horreur n'ont-ils pas été disséminés,
ne m'ont-ils pas atteinte un peu moi aussi - et nous tous - aujourd'hui
? Ne sommes-nous pas tous un peu à l'image de ces êtres ?
Coupables d'une forme d'indifférence, enfermé.es dans nos
petits pratiques tolérantes de l'horreur, de la misère de
la souffrance et des destructions qui se déroulent au bas de nos
immeubles, dans des guerres soutenues par nos États, dans des échanges
commerciaux qui détruisent la planète, la biodiversité
et ceci à notre plus grande connaissance. Le bruit des "informations"
de tous les drames qui nous entourent ne cessent pourtant eux aussi de
bourdonner en toile de fond de notre quotidien... Attention, bien entendu,
il ne s'agit pas de trouver une équivalence ou une analogie exacte
avec ce qu'a été la Shoah et avec l'acte direct de ce directeur
de camps et de ses sous-fifres qui agissent directement sur l'organisation
de la mise à mort de centaines ou de milliers de personnes chaque
jour !
Simplement, le film, et en particulier le personnage
de la femme (qui ne s'avère pas fidèle au personnage du
livre), semble nous tendre un miroir tout à fait terrifiant, tant
il véhicule bien le reflet de préoccupations contemporaines
et invite à s'interroger sur cette distillation de comportements
hyper individualistes qui nous conduisent, centrés sur nos réalités
nombrilistes, à détourner le regard à refuser de
voir de l'autre côté du mur, à entrer dans une forme
d'indifférence. Comment ne pas lire dans les préoccupations
de cette femme et de cette famille, les nôtres propres, celles de
notre société, de nos petits tracas quotidiens ou de nos
objectifs de vie : nos petites recherches de confort, l'évolution
"successful" de nos carrières, l'éducation "réussie"
de nos enfants, la bonne tenue de nos maisons, le plaisir d'entretenir
nos jardins, de posséder une belle piscine, se prendre du bon temps
etc. Et tout ça, donc, dans une parfaite tolérance et acceptation
des bruits de l'horreur en toile de fond. Et ce parce que nous sommes
du bon côté du mur... Bref, beaucoup de points communs entre
ces êtres et nous-mêmes qui tout à coup questionnent
le basculement qui peut s'opérer. À quoi serions-nous prêts
à renoncer au fond ? Serions-nous cette femme-là ou celle
bouleversante qui dépose nuitamment ses petites pommes pour améliorer,
pour quelques heures ou quelques jours, le quotidien de ses condamnés
? Il faut donc retourner voir Shoah pour remettre de la frontière
entre ces êtres à la capacité meurtrière délirante
et nous autres qui les condamnons avec horreur. (Et aussi pour faire lien
avec ce que disait Nathalie concernant des pratiques entrepreneuriales
déshumanisantes, je vous renvoie ici
à un travail d'un chercheur, Johann Chapoutot, dont Nathalie nous
a parlé).
Anne (n'a
pas lu le livre mais vu le film)
Extrêmement intéressant. La relation aux femmes au début.
On quitte l'érotisme. C'est un livre sur le déni, parallèle
avec aujourd'hui, à notre impuissance sur les enjeux comme l'écologie,
et l'égoïsme de nos petites vies aujourd'hui. Je sens qu'il
y a une approche du sujet très intéressante (mais j'ai juste
vu le film).
Le film est excellent, il montre avec une douceur extrême la violence
extrême, la douceur suave du rien. Un monde petit-bourgeois pas
misérable en soi, mais pervers dans son déni et son euphémisation
du drame : "ce rouge à lèvres, je l'ai pris à
cette petite Juive". J'ai eu envie d'approfondir la vie de ce
commandant. Il y a un truc incroyable "aller voir derrière
les voyages" (??). Ou "derrière nos écrans"
?
Anne-Marie
Les personnages sont cyniques, bureaucratiques, en état d'ébriété.
Le livre semble plus subtil que le film. Les personnages ne se disent
pas tout, de peur d'être sanctionnés. C'est un système
à broyer. Les états d'âme s'expriment en catimini.
La lecture est peu aisée à cause des expressions allemandes
omniprésentes. Il y a des débats surréalistes sur
la pertinence de nourrir mieux les prisonniers du camp. S'il reste de
l'archaïsme dans cette organisation, c'est dans le travail (avec
des débats entre la pertinence d'une main d'uvre avec des
conditions décentes de travail afin d'optimiser son rendement).
Je n'ouvre pas tout à fait complètement, en raison d'une
manière parfois agaçante de traiter beaucoup de sujets comme
une plaisanterie de mauvais goût. Avec de la confusion dans les
dialogues. Et un manque de notes de bas de page.
Katherine entre
et
L'épisode de la productivité m'a marquée. Il s'agit
de la discussion autour des rations de nourriture que l'un estime nécessaire
d'augmenter pour rendre les prisonniers plus productifs et l'autre qui
dit que non, pour des raisons idéologiques car de toute façon
selon eux "le juif ne travaillera pas plus". Dans ce
camp, il faut être efficace, faire brûler les cadavres avec
le plus d'économie possible
Doll est bête et alcoolique,
il est dans le devoir. On ne voit rien du camp, mais les odeurs sont omniprésentes.
Et elles sont insupportables, de plus en plus. À la différence
du film, les personnages ne donnent pas l'impression de mener une vie
paisible et heureuse autour du camp. On est en train de nettoyer la nation
et on détourne les yeux. Le style est difficile à comprendre.
On ne voit pas trop qui fait quoi.
Lahcen
Je partage ce qui a été dit. Cela me rappelle en effet le
mode de l'entreprise, avec les sanctions, les réunions
L'ambiance
est glauque. Le fait que différents personnages parlent à
tour de rôle ne m'a pas gêné, ce sont des points de
vue différents. Les femmes sont importantes dans le livre :
Hannah, dont Thomsen, la personne la plus intelligente du livre, est amoureux,
Alitz, les épouses fanatiques, certaines sadiques. Les références
aux odeurs et à la contamination de l'eau m'ont frappé.
C'est mon premier livre sur les camps et je l'ai trouvé vraiment
très intéressant.
Nathalie
Je conseille vraiment La mort est mon métier de Robert Merle
qui parle du même. Amis comme Merle s'est inspiré de Rudolph
Hoess.
David
"Les Allemands ne peuvent pas gagner la guerre contre les Anglo-Saxons et les Slaves. Mais ils ont sans doute encore le temps de gagner leur guerre contre les Juifs".
À quoi pouvait bien servir cette guerre ? Pourquoi a-t-elle été poursuivie quand bien même les nazis savaient la guerre perdue (destruction des Juifs de Hongrie jusqu'à juillet 1944). La question est posée subrepticement par l'un des protagonistes (Thomsen ?), mais disparaît en réalité du récit, comme si la question du sort des victimes, la raison fondamentale de leur destruction n'avait plus lieu d'être. Résonne ici fortement le fameux "Ici il n'y a pas de pourquoi (Hier ist kein warum)" que Primo Levi dépeint dans ce passage de Si c'est un homme :
"Et justement, poussé par la soif, j'avise un beau glaçon sur l'appui extérieur d'une fenêtre. J'ouvre, et je n'ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu'un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l'arrache brutalement. "Warum ?" dis-je dans mon allemand hésitant. "Hier ist kein warum" (ici il n'y pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l'intérieur."
L'interrogation n'a plus à être posée une fois franchi
la porte de cet enfer qu'est Auschwitz. Les humains ne sont plus que des
pièces (Stücke) que l'on compte parfois à partir
des "crânes ou les tibias". Les problèmes
deviennent d'ordre quotidien, on gère une mise à mort industrielle,
mais cette organisation n'est pas sans dysfonctionnement : les fours crématoires
peuvent ne plus fonctionner et ceci nécessitera d'utiliser les
peu pratiques fosses ; un camion rempli de cadavres déverse inopinément
sa macabre cargaison devant de nouveaux arrivants débarqués
d'un train et qu'on s'efforçait précisément de tromper
avec des paroles rassurantes.
À l'extérieur du périmètre du camp de concentration/extermination,
la "zone d'intérêt" n'a intrinsèquement
pas d'intérêt : dans l'anormalité extraordinaire de
ces lieux, elle se remplit du quotidien presque banal des existences des
protagonistes, leurs mesquineries et leurs ambitions, les désirs
de Thomsen pour la sensuelle Hannah. La dualité dedans/dehors fonctionne
parfaitement. Le récit enchaîne ce quotidien, nous y perd
parfois volontairement dans un flot de détails et de mots allemands.
J'ai eu presque tendance à vouloir critiquer l'auteur en lui intimant
l'ordre de revenir aux choses sérieuses ; mais c'est une fine une
étonnante prouesse que de faire alterner ces deux réalités
miroir pour nous interroger à la fois sur la terreur "à
l'intérieur" - sujet maintes fois abordés il est vrai
- et la normalité "à l'extérieur". Elle
interroge profondément la capacité d'auto-aveuglement des
tortionnaires, mais au-delà, du système concentrationnaire
qui nait bien au-delà du périmètre du camp, dans
la préparation des esprits et leur conditionnement, la déshumanisation
patiemment construite des victimes "Untermensch" par une idéologie
assumée dès ses origines comme raciste.
L'interface entre ces réalités miroirs passe par la figure
du SonderKommando Szmul, rouage essentiel dans le dispositif, chargé
- en place des nazis qui trouvaient de plus en plus désagréables
de tuer par balle hommes femmes et enfants par centaine (cf. Les Bienveillantes
de J. Little) - de la destruction des siens par le gaz, leur dissémination
par le feu et la disparition même de leurs cendres : à ce
sujet, écouter ou voir le récit difficile La
diaspora des cendres ou les témoignages des rescapés
du SonderKommando comme Shlomo Venezia. Témoignages incroyable
même par le fait qu'ils nous soient arrivés, les sonderkommando
étant systématiquement éliminés à intervalles
réguliers, afin de faire disparaitre à jamais toute chance
que le récit ait une existence au-delà du camp (certains
témoignages furent cependant retrouvés enterrés par
des sonderkommando éliminés).
J'ouvre ce récit en grand, car le dispositif nous fait réfléchir
et nous invite une fois de plus à nous replonger dans cette énigme
des génocides : leurs motivations, leur exécution.
(Voir la suite des commentaires du livre par
David).
François
Je n'ai fait que survoler le livre, je le regrette ; je vais le lire.
Primo Levi qui parlait allemand raconte aussi très bien les camps,
les mécanismes de la langue et la manipulation. J'irais aussi voir
le film.
Après la séance
David envoie un lien sur une émission : "La
Shoah à l'écran : quatre films controversés qui ont
questionné notre regard".
François
Merci David, la question de la représentation est évidemment
cruciale... J'ai beaucoup aimé le film de Jonathan Glazer qui,
comme le roman, offre un point de vue glaçant, grinçant
et décalé qui ne peut pas laisser indifférent...
Je ne désespère pas de parvenir à formuler un avis.
Entre temps, suite à notre passionnante discussion, j'ai relu quelques
passages magnifiques de Primo Levi, immense "témoin"
de cette histoire tragique qui n'a sans doute pas dit son dernier mot
: toujours en revenir à ceux de Bertolt Brecht à la fin
d'Arturo Ui : "Le ventre d'où a surgi la bête
immonde est encore fécond."
Margot
(avis transmis)
Merci David, ce lien est précieux. Le film de Spielberg et Benigni
étaient en effet indécents à force de réduction
et volonté de rachat. Oui, il a existé l'humour dans les
camps et des représentations théâtrales et musicales,
en particulier à Theresienstad, mises en scène par les nazis
eux-mêmes lors de visite de la Croix-Rouge qui a foncé dans
le panneau et fait savoir à l'Europe que les Juifs étaient
dans des camps de travail. Lanzmann a raison, l'extermination nazi est
irréductible à la fiction. Entrer dans la fiction est une
des voies de l'identification à l'histoire sous forme de récit
par l'effet des sens et de l'individualisation (toujours le récit
d'un sujet ou petit groupe de sujet), grâce aux émotions.
Aujourd'hui d'ailleurs on ne jure que par les émotions... C'est
encore plus vrai pour l'image qui fonctionne comme une enveloppe sensorielle
pour toute la gamme des émotions
Or la Shoah nie la singularité
du sujet et dans sa pensée et dans sa culture et dans ses sensations,
elle broie l'humanité du sujet, et le prive non seulement de sa
vie mais de la vie de tous les siens, ascendants, descendants et futurs
descendants. De toute son appartenance à l'espèce humaine.
Et de Tous ceux qui composent cette humanité, les siens pris dans
le sens collectif, culturel et pensé dans le long fil de l'histoire.
Antelme a été encore bien plus loin quand il a montré
grâce à son redoutable livre
que les nazis ont aussi réussi à priver les hommes de leur
mort. La Shoah est l'organisation de la production industrielle de millions
de cadavres. Comment dès lors croire être plus fort que cela
et vouloir rendre cette expérience effroyable de l'intime par l'image ?
Tenter de le ressentir lorsqu'on visite les camps fait passer à
côté du sujet, là encore, on ne peut que tenter de
se représenter. Tenter de penser l'extermination, c'est risquer
la folie et sortir de l'humanité, on se sent alors coupé
en deux. Pensée et émotions sont irréductiblement
séparées, à jamais. C'est aussi cela le legs de l'expérience
nazie après le Troisième Reich. Par ailleurs la solution
finale des camps a aussi été envisagée de sorte d'épargner
les SS d'avoir à tuer eux-mêmes car cela générait
des "malaises" (cf. Les
hommes ordinaires de Browning) : raison pour laquelle les
commandants des blocks, du Canada, des chambres à gaz étaient
des criminels de droit commun, et les sondercommandos qui brûlaient
les corps une fois gazés, des Juifs.
La zone d'intérêt, le livre, est un ratage pitoyable
; le film est aussi l'histoire de ce ratage pour d'autres raisons. Et
puis, faire un film sur ce sujet, c'est aussi se placer derrière
l'illeton de la caméra : le lieu du regard des nazis, pour
les milliers de photos prises par eux dans la première période
d'accueil des internés, comme cela ne suivait pas le rythme des
cadences, ils sont passés au numéro tatoué sur le
poignet). L'illeton est aussi et surtout ce visionnage de l'extérieur
par les nazis, derrière la porte des chambres, de l'effet de la
diffusion du gaz Ziclon sur ceux enfermés dans les chambres à
gaz. Alors la mise en scène et la caméra pour ce sujet,
comment dire ? Cela interroge sur la place du réalisateur. Avez-vous
lu Nous,
fils d'Eichmann de Günter Anders ? Le premier mari de Hannah
Arendt met en perspective l'impensable qui a imprégné/généré
non seulement le management actuel, mais l'ensemble des processus industriels
; j'ajouterai ceux de la conception même de l'architecture urbaine
des villes nouvelles.
Brigitte(avis
transmis)
Lire la quatrième de couverture, écouter les critiques sur
le film me bouleversent, m'émeuvent, me donnent la nausée
et je ne veux ni ne peux franchir le pas. Je n'ai même pas acheté
le livre
La Shoah, l'holocauste, la zone d'intérêt... : pour être
brève alors que cela mérite une grande réflexion,
je pense qu'il faut se souvenir, conserver des vestiges, des monuments,
des écrits, des témoignages
Se souvenir pour tenter
de comprendre notre monde, voire notre histoire personnelle.
Mais mêler dans ce contexte Histoire et littérature est pour
moi un exercice trop périlleux. Si je veux pénétrer
au plus près de celui qui a vécu la Shoah, j'écoute
ou je lis son témoignage. Si je veux tenter de comprendre, je me
tourne vers le discours de l'historien.
Lire et/ou regarder pour souffrir au plus profond de mon être et
de mon âme
, je n'en ai pas envie. C'est globalement ce que
je peux partager aujourd'hui et j'ai rejeté la proposition de lire
ce livre.
Livre fermé, mais je suis certaine que votre rencontre va ouvrir
un débat passionné.
Cindy
Avec le livre, désigné comme roman et le film reconnu par
les critiques, je m'attendais à lire forcément des histoires
difficiles mais soutenables.
Mais j'ai vite déchanté. Le livre m'est apparu très
vite insupportable. Chaque page m'a demandée un effort de recul
pour ne pas sombrer dans des pensées profondément tristes
et pour ne pas faire de cauchemars.
Ce n'est pas à cause du lieu génocidaire d'un camp de concentration
très connu et ses alentours ou autres, ni d'une histoire d'amour
vécue dans un tel cadre, non. C'est surtout à cause du ton,
de l'écriture souvent brouillon vers les pages 171 et au-delà
(questions sur des Polonais, puis on saute à des sujets intimes
sur Hannah), avec également la construction par chapitres qui font
"parler" chacun les personnages avec des descriptions horribles
beaucoup trop détaillées. Pourquoi aller si loin avec les
odeurs et comme à la page 291 avec les outils utilisés par
les hommes du kommando...
Cette "espèce" d'histoire d'amour (donnant un peu d'humanité),
qui rythme le roman, aurait pu être "touchante" avec la
description plus réaliste du lieu, les caractères psychologiques
des personnages et les ambiances si particulières, mais sans ce
ton ironique, acerbe et méchant à l'excès.
En outre, c'est un livre qui n'a rien ajouté à ma connaissance
de cette période. Et pourtant, à chaque page, j'en attendais
quelque chose qui aurait pu me faire changer d'avis. Au contraire, l'auteur
apportant un surcroît d'horreurs à toutes les situations.
Tout ça a ajouté de l'aigreur à ma lecture, j'ai
arrêté, sauté des pages, abandonné le livre
souvent. Tant de souffrances avec toujours cette moquerie choquante qui
me fait mal.
Je ne donnerai qu'un exemple, mais il y en a tant, de la petite grand-mère
p. 42, moquée parce qu'elle se plaignait du manque de confort
et de nourritures pendant son voyage en train... : cette image est restée
gravée dans ma tête, tout comme ce jeune garçon en
costume marin destiné à mourir...
Je saute en effet des pages pour arriver à la fin à comprendre
que l'auteur (avec un style singulier) s'est acharné à vouloir
démontrer qu'il était capable d'ajouter ce sujet à
son uvre malgré les refus de certains éditeurs. Bien
d'autres ouvrages nous ont raconté "les camps" avec plus
de pudeur et je dirai de respect pour les victimes et les descendants.
Je comprends mieux le refus d'éditeurs à le publier à
l'époque. Gallimard pour des "raisons
déontologiques, du malaise ressenti à la lecture mais aussi
à cause de contre-vérités historiques que recélerait
son manuscrit. Son éditeur allemand Hanser avait réagi de
même, et d'autres également, sans se concerter".
À relever, Auschwitz n'est pas nommé, alors que l'auteur
s'est souvent embrouillé à nous remplir de détails
inutiles et à remplir des pages et des pages bien suffisantes dans
la compréhension de l'histoire des camps avec la psychologie des
personnages. Dommage qu'il ait choisi un peu trop l'ironie pour décrire
ses trois personnages principaux et les caricaturer : le commandant du
camp, le neveu critique du régime et amoureux de la femme du commandant
(on est dans un vaudeville grotesque), un déporté juif au
Sonderkommando...
Cela m'a mise mal à l'aise, parce que pour moi dans mon ressenti,
ma sensibilité, ma connaissance de cette période, cela m'a
paru trop insensé et absurde au cur de l'horreur, en plein
génocide en action ! L'auteur m'a glacé avec son cynisme.
D'ailleurs Amis ne s'est pas fait que des "amis" et il a répondu
à l'époque imperturbable que "le roman étant
le lieu de la liberté de l'esprit, il peut tout se permettre".
Il n'a pas pensé aux familles des victimes, aux descendants ?!
J'espère vite oublier "le clownesque" de ces situations
tragiques, les plaisanteries grossières, le dignitaire nazi obsédé
sexuel, ce Commandant du camp en clown, la dérision partout avec
toujours ces effets glaçants...
Je ferme le livre.
Pour ne pas oublier et transmettre aux générations futures,
il y a bien d'autres livres, essais, films documentaires, témoignages
de déportés enregistrés et je vais me séparer
de La zone d'intérêt !
Edith
Arrêt page 320. Il y a maintenant une quinzaine de jours
Ai
repris le livre ce midi
Sans enthousiasme jusqu'à la page 88.
Ai corné quelques pages au cas où
J'ai vu le film de Glanzer hier soir. Émue et secouée (c'est
une uvre cinéma pour moi quant au traitement du thème).
J'y ai lu un hommage à la fin du générique à
l'auteur Martin Amis décédé en mai 2013.
La semaine dernière, je suis allée consulter les notes
de Claire. Merci Claire
pour constater que si cela m'a élargi
le "domaine". Mais rien pour y trouver à nouveau un plaisir
de lecture. J'avais déjà abandonné à la page
320 sans grands souvenirs
L'article de Libération
("La
Zone dintérêt, impact manqué")
m'a confortée dans mon jugement de rejet.
Je n'aime pas qu'un livre me résiste comme celui-ci ! Je suis allée
à nouveau sur les pages "L'Après". J'ai compris
(les infos de Claire) que ce "rajout" fut indispensable pour
Martin Amis pour une meilleure compréhension : ??? Désabusée,
je l'ai survolé : peut-être dommage. J'ai été
très impressionnée par la postface "Ce qui s'est fait"
Bravo pour le travail de documentation, Monsieur Amis !
En fait je ne suis pas du tout rentrée dans le livre. Je n'ai pas
compris grand-chose. L'écriture m'a rebutée sans rien d'agréable
où poser les yeux : des chiffres, des noms allemands à rallonge,
des dialogue elliptiques, des sous-entendus non entendus, une description
du camp sans représentation pour moi. J'ai fait appel à
des connaissances historiques pour saisir ce que voulait dire l'auteur,
le plus souvent comme les allusions aux convois, au triage, aux cadavres
Il me semblait parfois être prise par l'auteur comme un témoin
voyeur et complice de son texte comme si je savais ce dont il parlait
: un entre-soi dont j'étais exclue. Désagréable vraiment
: j'étais en dehors de la zone de compréhension dans laquelle
il voulait me mettre. Bref, je suis sans concession pour ce livre.
La forme désagréable rien qu'au regard ! Un livre aussi
repoussant fond et forme que le sujet traité. Leurs Z'HISTOIRES
ne m'intéressent pas.
Toutefois j'ajoute que je n'avais pas pu lire Les Bienveillantes
au moment de sa sortie
malgré des encouragements d'une amie
qui l'avait apprécié dans la nouveauté de la démarche
littéraire. Je possède toujours ce livre.
Livre FERMÉ, même rejeté. Toutefois heureuse d'y avoir
été confrontée car j'attends beaucoup des échanges
ici en Bretagne mais aussi, comme chaque fois, avec les groupes parisiens.
Marie-Thé
Je ferme ce livre, dérangeant, malsain.
Je regrette la justesse et l'exigence de Claude Lanzmann, le talent d'Imré
Kertész dont nous avions lu Être
sans destin. Et la qualité de travail de tant et tant d'autres
sur le même sujet. Jamais je n'avais perçu auparavant cet
espèce de racolage que je rencontre chez Martin Amis.
Autre chose, je ne suis pas d'accord avec Suzanne parlant de compromission
et de culpabilité chez Szmul : les membres du Sonderkommando n'avaient
pas le choix, ils étaient forcés par les nazis à
exécuter les pires tâches, on atteint là des sommets
de cruauté. Szmul se sent souillé, détruit, mais
pas coupable. C'est précisément ce que j'ai ressenti.
Annie (avis
transmis)
Je suis assez contente de savoir que je ne suis pas la seule à
caler sur le livre. M J'ai moi aussi jeté l'éponge vers
la page 240, et donc avant la fin parce que ma tête en avait
assez mais pas que.
J'ai trouvé que ce roman, puisque c'en est un, était un
peu raté. Mal écrit, mal traduit ? J'ai été
dérangée sur la forme par ces nombreux mots en allemand
non traduits, notamment ceux concernant Hannah Doll (j'ai noté
aussi les nombres écrits en chiffres).
Sur le fond, je n'ai pas retrouvé l'émotion à laquelle
je m'attendais. Il y a quelque chose qui n'a pas fonctionné pour
moi. J'ai eu parfois l'impression d'être dans un mauvais polar (construction
analogue avec un chapitre par personnage) avec des descriptions trash
qui n'apportent rien de plus que la nausée. L'auteur n'a pas voulu
nous faire entrer dans les camps et à mon sens il aurait mieux
valu qu'il nous laisse aussi à la porte plutôt que de nous
livrer des horreurs que l'Histoire nous a enseignées par ailleurs.
Par exemple, évoquer les odeurs permanentes, les pollutions de
l'eau, l'arrivée des convois, etc., est assez explicite et garderait
une distance cohérente. Je crois que parfois, il s'est perdu lui-même
d'où sa longue postface pour expliquer.
Cependant, j'ai trouvé que l'idée de cette banalisation
du mal était intéressante car elle provoque en nous révolte
et dégoût et permet peut-être de faire en sorte que
la lumière de l'alarme reste toujours allumée.
Pour cette dernière raison et pour ce qui concourt à ne
jamais oublier, j'ouvre au ¼.
Je penserai bien à vous, débattez bien !
Suzanne
Je l'ai lu jusqu'au bout, au lit avec la grippe.
Ce livre me renvoie surtout aux atrocités actuelles : nous n'apprenons
rien des expériences passées !
J'ai vu le film, très elliptique : il laisse une grande place à
notre imaginaire ; nous avons déjà tant de récits
et images de cette catastrophe humaine.
J'avais lu La
mort est mon métier de Robert Merle, très éprouvant
aussi, mais je n'en garde pas un souvenir aussi ancré dans la vie
quotidienne des victimes et tortionnaires. Aurais-je lu celui-ci sans
Voix au chapitre ?...
J'ai été très intéressée, impactée
par ce roman qui donne une bonne idée de l'engrenage infernal de
l'extermination des juifs lors de la guerre de 1939-1945.
Deux mondes y sont décrits : le camp d'extermination d'un côté,
de l'autre la famille du commandant dans leur propriété
idyllique qui se côtoient géographiquement.
J'y ai trouvé toutes les caractéristiques d'un régime
totalitaire :
- Le droit de vie et de mort.
- L'appareil policier pléthorique : la litanie des organes de contrôle
est édifiante.
- "La criminalité convertie en héroïque vertu".
- La misogynie : les poules pondeuses telle que Gerda qui s'impatiente
d'avoir sa médaille de la Famille Allemande, tel que les détenues
tarifées, cobayes pour des expériences "scientifiques".
- Le cynisme : faire payer aux déportés leur billet de train.
Les 0,01% qui peuvent être "sauvés" s'ils sont
écartés par le Sonderkommando avant la file de sélection.
- Le langage dévoyé qui permet d'invisibiliser le réel
des choses et des faits : les cadavres sont des pièces, la modalité
adéquate... une horreur non nommée. Pour parler de meurtre
les nazis ont autant de mots que les esquimaux pour la neige !
- La Déshumanisation :
"La zone d'intérêt révèle qui vous
êtes. Ce qui caractérise les échanges humains a disparu."
"Nous aussi nous obéissons aux ordres, nous sommes morts".
Le livre m'a rappelé Charlotte Delbo dans Auschwitz et après : "le commandant du camp habite tout près. Entre la haie de rosiers et les barbelés passe le chemin qui mène au four crématoire. C'est le chemin que suivent les civières sur lesquelles on transporte les morts, les heures déplacent sur le sable des allées et sur les gazons l'ombre de la cheminée. Les fils du commandant jouent dans le jardin, au cheval, au ballon, au commandant et aux prisonniers."
Les deux mondes s'interpénètrent :
- Thomsen : "je comprenais l'odeur, je l'absorbais, je la contenais
en moi' à fleur de peau".
- Szmul :
perturbation des sens (un homme avec de fausses mains),
Hannah Doll en saluant Szmul lui restitue son humanité et ses larmes.
- Les enfants jouent au commandant et aux prisonniers.
- Les relations entre les officiers, les détenues (Esther). Ils,
les kapos et les détenues : "nous aussi nous obéissons
aux ordres, nous sommes morts."
Ce roman m'a beaucoup interrogée sur la banalisation du mal et
aussi, comme dit Jean
Améry, "l'autoréalisation meurtrière"
chez Eichmann qui n'émettra aucun regret pour sa participation
à ces crimes de masse. La culpabilité émerge à
la fin ; Doll lui dira dans sa cellule : "J'ai péché
gravement contre l'humanité...". Culpabilité aussi
chez Szmul qui après cette compromission avec les nazis ne souhaitera
pas revoir sa femme, même s'il est peu probable qu'il échappe
aux chambres à gaz.
Une lecture éprouvante et troublante, quand on a lu Charlotte Delbo
rescapée des camps, on y retrouve l'horreur du quotidien et l'incroyable
capacité de résilience de certains humains, car l'Après
cette expérience des camps est une autre histoire. Un roman en
deçà de la réalité ?
Chantal
J'assume la défense de ce livre...
Au début de lecture, j'ai du mal à entrer, à comprendre
qui est le narrateur, son grade, sa fonction. Trop de mots allemands non
traduits, pas envie de chercher.
Je me sens de plus en plus mal à l'aise. Qu'est-ce que ce "blasphème"
? Toute l'horreur de la Shoah, inscrite dans notre inconscient, ici transformée
en parodie, en farce : non !
J'y vais tout de même, je veux comprendre où va nous emmener
l'auteur.
La zone d'intérêt, nom utilisé par les nazis pour
Auschwitz : intérêt politique, extermination des Juifs
et autres déportés ; intérêt économique,
pour disposer d'une main d'uvre gratuite pour le groupe IG Farben
: les prisonniers ne sont plus des humains mais des "pièces",
des "éléments" du système.
Le lecteur est "bringuebalé" sans arrêt entre la
vie des officiers du camp - confort, plaisirs sadiques - et l'horreur
de la réalité du camp, l'ODEUR omniprésente, les
cris, la pollution de l'eau, des sols. Le lecteur se trouve enfermé
là-dedans, d'où le malaise de plus en plus.
Je poursuis. L'évolution de la guerre, l'impossibilité de
plus en plus certaine de la victoire. Chacun des personnages (fictifs)
en prend conscience, réagit à sa façon : l'alcool
pour Doll et pour beaucoup le sadisme. Ou le suicide annoncé en
voulant combattre sur le front de l'est (Boris), le sabotage (Thomsen),
la provocation (Hannah).
Mais pour moi, il y a autre chose... je reprends la lecture !
Tout est plus clair, la construction quasi géométrique des
chapitres, Thomsen, Doll, Smulz. Les mots allemands ne me gênent
plus, je vais chercher certains : Buna Werke l'usine, le camp particulier
du groupe IG Farben.
Les personnages sont fictifs, ils évoluent dans des situations
réelles, avérées, documentées. Avec des scènes
terribles, insupportables : celle de l'accueil mis en scène des
prisonniers, celle des garçons muets, la nuit de Walpurgis et bien
d'autres...
Mais le choc pour moi, c'est la phrase de Doll "je suis un homme
normal, avec des besoins normaux" ! Cette expression me poursuit,
j'ai passé plusieurs nuits avec. Ces personnages... normaux, oui,
comme NOUS sommes normaux ! Ils étaient étudiants, engagés
ou non, amoureux. Ils se retrouvent là, convaincus, fanatisés,
pour certains, embarqués pour d'autres chez qui les doutes, l'angoisse
sont peu à peu palpables... Ils ne sont pas comme on aimerait qu'ils
soient, monstrueux "tout d'une pièce", non sûrement
pas.
Et c'est là que ça coince. La Shoah, on aimerait tellement
que ce soit une horreur du passé, une affaire terminée...
On juge ces monstres ! Comment ont-ils pu ? Certes, mais NOUS...
sommes-nous si... supérieurs ? Si... à l'abri ?
Si si si ?
Je pense au livre qu'on avait lu : Aurais-je
été résistant ou bourreau ? Ou les deux ?...
C'est là, pour moi, le vrai sens de ce livre, pas qu'une description
de choses archi connues, mais un outil, provocateur c'est sûr, pour
aller au fond, au fond de nous individuellement, au fond de nous collectivement.
Mais, en avons-nous envie ?
J'ouvre ce livre aux ¾. Il restera pour moi, plutôt en moi.
IG FARBEN a toujours une usine chimique, Synthos, sur les mêmes
lieux. Le parti allemand AFD a manifesté devant le Bundestag, bras
levés il y a moins d'un mois...
Jean
D'un réalisme glaçant, le lecteur est embarqué dans
la vie de famille de Rudolf Höss et de sa femme Hedwig.
Pour moi, le sujet du livre n'est pas la "Shoah" mais notre
rapport au réel et notre capacité de délires mystiques
pour échapper aux questions existentielles.
Une histoire de marivaudage "aux allures de Monty Python" en
plein système concentrationnaire est-elle une manière habile
de caricaturer le mécanisme de l'horreur
pour le rendre plus
insoutenable encore ?
L'intrigue est souvent décevante et à certains égards,
la trame de l'érotisme peut sembler hors-propos.
C'est un livre dérangeant..., un exercice pour savoir où
nous en sommes quant à notre rapport au réel et nos petits
arrangements pour garder un confort moral... (ne pas voir, ne pas entendre,
ne pas lire...). Une attitude qui ne prépare pas à une réponse
adéquate à la violence (la guerre) et à la perte
de notre habitat de vie... (voir en complément des commentaires
du livre par Jean).
REPÈRES BIOGRAPHIQUES |
"Je suis né le 25 août 1949 : quatre jours plus tard, les Russes testaient avec succès leur première bombe atomique, et la dissuasion était en place. J'ai donc eu ces quatre jours d'insouciance, c'est plus que ce que mes cadets ont jamais eu. Je nen ai vraiment pas profité. J'ai passé la moitié du temps dans une couveuse. Même les choses étant ce qu'elles étaient, je suis né en état de choc profond. Ma mère dit que je ressemblais à un Orson Welles noir de rage. Le quatrième jour, j'avais récupéré mais le monde avait changé en pire. Cétait un monde nucléaire." (Introduction à son livre Les Monstres d'Einstein)
- Les femmes
1984 : mariage avec Antonia Phillips ; ils ont deux fils.
1993 : séparation
1996 : mariage avec l'écrivaine Isabel Fonseca ; ils ont deux filles.
1974 : une "affaire" avec Lamorna Heath produit une autre fille,
Delilah Seale, qu'il rencontrera pour la première fois plus de
20 ans plus tard, en 1996...
- Le père
La relation complexe entre la carrière d'Amis
et celle de son père mérite l'exploration...
Tous deux ont remporté le prestigieux prix Somerset Maugham pour
leurs premiers romans ; tous deux écrivent des fictions qui font
la satire des conditions sociales dominantes ;
tous deux ont été tour à tour qualifiés de
voix de leur génération et de pornographes.
On peut constater que sa fiche wikipédia
mentionne ses grands-parents, mais pas ses parents...
Lun des résultats de cette rivalité
semble être la recherche de "pères" littéraires
de substitution. Les articles que Martin Amis a écrits sur des
écrivains tels que JG Ballard, Saul Bellow, Norman Mailer, Vladimir
Nabokov, VS Pritchett, Philip Roth, John Updike et Angus Wilson révèleraient
un écrivain obsédé par les précurseurs (masculins).
Bien entendu, à de très rares exceptions près (Jane
Austen, Iris Murdoch, Joan Didion), l'ensemble considérable de
critiques littéraires d'Amis concerne les écrivains masculins.
Entre père et fils existent également dimportantes
oppositions idéologiques : Kingsley Amis, autrefois membre du parti
communiste, devint conservateur dans les années, tandis que Martin
Amis se positionne loin à la gauche de son père (d'après
Understanding Martin
Amis de James Diedrick).
Martin Amis finira par écrire un livre personnel
qui parle de son père. Voici ce qu'il dit de son livre Expérience
:
J'ai toujours le sentiment qu'une autobiographie est chronologique, close. Le temps du bilan n'était pas encore venu pour moi quand j'ai écrit ce texte. Je préfère le mot de Mémoires, récit de souvenirs entre plusieurs générations, celle de mon père, la mienne et celle de mes enfants. Je n'y respecte pas la chronologie. Tout est parti de la mort de mon père, en 1995. On pense être préparé à cette mort, mais ce n'est pas vrai.
Josyane Savigneau commente :
Avec ce père, Kingsley Amis (1922-95), absolument britannique, anobli par la reine en 1990 pour "services rendus à la littérature", il n'était pas facile de décider d'être soi-même écrivain. D'autant que, très vite, Kingsley a signifié à son fils qu'il ne pouvait pas continuer à le lire, car il trouvait ses écrits "peu lisibles". Comme Martin avait pour héros Joyce et Nabokov - que son père n'aimait pas -, il s'est consolé, avec l'arrogance de sa jeunesse, en pensant que celui-ci avait mauvais goût. Mais à sa mort, relisant tous ses livres, il a entrepris ce long récit, Expérience, dont Kingsley Amis est le principal héros. Pour la première fois, les critiques britanniques, qui ont généralement la dent dure avec Martin Amis, l'ont trouvé "émouvant". (Les Échos, 25 octobre 2019).
LES LIVRES DE MARTIN AMIS |
Amis a publié 15 romans, 2 recueils
de nouvelles et 8 livres de non-fiction. Ses uvres les plus connues
sont les romans satiriques Money, Money et London Fields.
Les livres ont été régulièrement publiés
et régulièrement leur traduction en français, et
rapidement publiés en poche.
Voici les livres traduits, dans l'ordre de leur publication
britannique. Nombre d'entre eux sont
épuisés. Chez Gallimard, il est mystérieusement indiqué
pour chaque livre : "N'APPARTIENT PLUS AU CATALOGUE DE L'ÉDITEUR"...
Romans
- 1973, adapté au cinéma en 1989 : Le
Dossier Rachel, trad. Patrick de Rosbo, 1977
- 1975, adapté au cinéma en 1980 : Poupées
crevées, trad. Jean-François Ménard, 2001
- 1978 : Réussir,
trad. Frédéric Maurin, 2001
- 1981 : D'autres
gens, trad. Géraldine D'Amico, 1989
- 1984 : Money,
Money, trad. Simone Hilling, 1987
- 1989 : London
Fields, trad. Géraldine Koff DAmico, 1992
- 1991 : La
flèche du temps, trad. Géraldine Koff DAmico,
1993
- 1995 : L'Information,
trad. Frédéric Maurin, 1996
- 1997 : Train
de nuit, trad. Frédéric Maurin, 1999
- 2003 : Chien
Jaune, trad. Bernard Hpffner et Catherine Goffaux, 2006
- 2006 : La
maison des rencontres, trad. Bernard Hpffner et Catherine
Goffaux, 2008
- 2010 :
La veuve enceinte, trad. Bernard Hpffner, 2012
- 2012 : Lionel
Asbo, l'état de l'Angleterre, trad. Bernard Turle, 2013
- 2014, adapté au cinéma en 2023 : La
Zone d'intérêt, trad. Bernard Turle, 2015
- 2020 : Inside
story, trad. Bernard Turle, 2021.
Nouvelles
-1987 : Les
Monstres d'Einstein, trad. Géraldine D'Amico, 1990
- 1998 : Eau
lourde et autres nouvelles, trad. Jean-Michel Rabaté, 2000
- 1998 : L'État
de l'Angleterre précédé de Nouvelle carrière,
trad. Jean-Michel Rabaté, 2003.
Non-fiction
- 1993 : Visiting
Mrs Nabokov, trad. Géraldine Koff-D'Amico, 1997
- 2000 : Expérience,
trad. Frédéric Maurin,
2003, mémoires.
- 2001 : Guerre
au cliché, trad. Frédéric Maurin, 2006
- 2002 : Koba
la terreur, trad. Frédéric Maurin, 2009
- 2010 : Le
deuxième avion, trad. Bernard Hpffner, 2010
- 2017 : La
Friction du temps, : Bellow, Nabokov, Travolta, Essais et reportages,
1994-2017, trad. Bernard Turle, 2017.
Florence Noiville, à la mort de Martin Amis, dresse son parcours littéraire à travers ses livres, permettant d'en saisir les thèmes et les caractéristiques : "Martin Amis", Le Monde, 23 mai 2023.
Faisant partie de la collection "L'Europe des écrivains",
le documentaire, LAngleterre de Martin
Amis, est centré sur l'Angleterre et son histoire à
travers le regard et la parole de Martin Amis : par Mark Kidel, Films
dIci/Arte France, 2013, en
location ici 2,99€, 56 min.
LES TRADUCTEURS |
Des traducteurs d'un seul livre
- Le
Dossier Rachel, trad. Patrick de Rosbo, 1977
- Money,
Money, trad. Simone Hilling, 1987
- Poupées
crevées, trad. Jean-François Ménard, 2001.
Des traducteurs par époque
- De 1989 à 1997 :
Géraldine D'Amico
D'autres
gens, 1989
D'autres
gens, 1989
Les
Monstres d'Einstein, 1990
London
Fields,1992
La
flèche du temps, 1993.
- L'année 1998 (et des nouvelles) : Jean-Michel
Rabaté
Eau
lourde et autres nouvelles, 2000
L'État
de l'Angleterre précédé de Nouvelle carrière,
2003.
- De 1996 à 2009 : Frédéric
Maurin
L'Information,
1996
Train
de nuit, 1999
Réussir,
2001
Expérience, 2003
Guerre
au cliché, 2006
Koba la terreur, 2009.
- De 2006 à 2012 : Bernard
Hpffner (avec ou sans la collaboration de Catherine Goffaux)
Chien
Jaune, 2006
La
maison des rencontres, 2008
Le
deuxième avion, 2010
La veuve enceinte, 2012.
- De 2013 à 2021 : Bernard
Turle
Lionel
Asbo, l'état de l'Angleterre, 2013
La
Zone d'intérêt, 2015
La
Friction du temps, 2017
Inside
story, 2021.
Traducteur donc du livre que nous lisons,
Bernard Turle a été couronné par les plus grands
prix de traduction (prix Baudelaire, prix Maurice-Edgar Coindreau).
On peut l'écouter dans une émission sur France Culture :
"Bernard
Turle, traducteur transporté et transportant", par Antoine
Perraud, Tire ta langue, 15 septembre 2013, 31 min.
LA ZONE D'INTÉRÊT : le livre que nous lisons |
Zone d'intérêt
: qu'est-ce que c'est ?
Zone of Interest = Interessengebiet ou la zone
dintérêt au sens économique du terme par
lequel, pendant la guerre, les Allemands désignaient une partie
du complexe dAuschwitz, en lespèce 40 km2
aux mains des SS.
Pourquoi avez-vous choisi d'intituler votre livre "la Zone d'intérêt" ?
Nabokov disait qu'il y a deux sortes de titres. Ceux qui s'imposent quand vous avez terminé le livre, comme quand vous donnez son nom à un bébé une fois qu'il est né - vous l'appelez par exemple Edouard. L'autre catégorie est celle de titres qui sont là depuis le début. Des titres qui sont plus profondément ancrés en vous. C'était le cas. La "zone d'intérêt" est la formule qu'employaient les nazis pour désigner la région d'Auschwitz. Un nom très surprenant, avec une connotation économique évidente. Et le fait est que, quand on étudie de près la question, on s'aperçoit que l'Holocauste était pour une part une opération commerciale, laquelle devait se révéler, sinon profitable, du moins autosuffisante du point de vue financier. Cette opération reposait sur l'idée, très exagérée, que les nazis se faisaient de la richesse des juifs à l'époque, et sur l'espoir qu'en les envoyant dans les camps ils pourraient leur extorquer des milliards et des milliards. (L'Obs, 20 août 2015)
Jaimerais vous dire que cest pénible décrire sur les camps, mais ce nest pas le cas. Cest vrai que cest la deuxième fois que je my intéresse, de manière assez incongrue peut-être. Ma femme est à moitié juive, ma belle-mère a eu des membres de sa famille qui sont morts pendant lHolocauste. Mes filles sont liées à cette tragédie. Cela ajoute sans doute une dimension personnelle. Jaimerais écrire un troisième roman sur cette période avant de mourir. Ça terminerait la trilogie.
Etes-vous allé à Auschwitz ?
Oui, il y a pas mal dannées. À Dachau aussi. La compréhension est immédiate. Il suffit dy passer quelques secondes, et vous mesurez lampleur de la chose. (L'Obs, 20 août 2015)
La zone d'intérêt est refusé chez Gallimard
En Allemagne et en France, les éditeurs habituels d'Amis ont été remplacés : chez Hanser Michael Krüger, chez Gallimard Christine Jordis. Et les deux maisons ont refusé le livre. En Allemagne, la presse a violemment reproché à Hanser ce refus.
La gêne qui entoure le nouveau "Martin Amis" est manifeste : chez Gallimard comme chez Hanser Verlag, on se dérobe aux interviews, se contentant d'invoquer le processus usuel de lectures multiples et croisées qui a conduit au désistement. Contacté par le biais de son représentant, l'auteur n'a pas non plus souhaité s'exprimer. (Le Monde, 17 août 2014)
Une semaine plus tard, Le Monde en sait davantage :
L'éditeur allemand m'a écrit, précise Amis, Gallimard s'est contenté de dire non à mon agent, sans donner de raison. Pour moi, quelle que soit la manière dont on habille la chose ensuite, ce sont les raisons économiques qui prévalent : on se dit qu'on ne va pas vendre le livre, c'est tout.
Et Josyane Savigneau commente dans Le Monde :
Aurait-on été choqué par cette satire, qui fait, en effet, froid dans le dos ? Ce serait étrange dans la maison d'édition qui a publié, en 2006, Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, un gros roman sur les massacres de juifs commis à l'Est sans déportation des victimes. Antoine Gallimard, le PDG, ne répond pas sur le fond et renvoie à la responsable du domaine anglo-saxon, Marie-Pierre Gracedieu, ce qui est légitime, car, en matière de littérature étrangère, il ne va jamais contre l'avis de ceux qu'il a nommés.
Marie-Pierre Gracedieu réfute l'argument économique et nie avoir été choquée. "Nous attendions ce roman avec impatience. Martin Amis est un immense styliste et, comme dans ses précédents livres, on trouve dans La Zone d'intérêt quelques très beaux passages, notamment quand il s'agit de décrire la nature qui entoure Auschwitz. Malheureusement, les personnages de cette histoire ressemblent trop souvent aux vérités générales déjà énoncées sur l'Holocauste : leurs propos, les détails avec lesquels l'écrivain les décrit. Il nous a manqué un certain relief, des nuances." En un mot, "la seule raison du refus de ce texte est sa qualité littéraire". Sous-entendu : médiocre.
Ce refus fait des heureux :
Si quelqu'un se réjouit du refus de Gallimard, c'est bien Florence Sultan, directrice de Calmann-Lévy, heureuse d'avoir un tel écrivain à son catalogue "dans une maison qui a publié Le Journal d'Anne Frank, Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau, et qui a un partenariat avec le Mémorial de la Shoah". "Je me réjouis d'accueillir un auteur qui a déjà une grande uvre, et je souhaite le garder. C'est un engagement personnel d'éditeur, un engagement de la maison, et un engagement du groupe Hachette puisque Money, Money et D'autres gens sont repris dans Le Livre de poche. (Le Monde, 24 août 2015)
Finalement Martin Amis s'exprime auprès des Inrocks le 25 août 2015 :
Jai été blessé. Tout cela a été si brusque. Ils ne mont même pas envoyé de lettre. Ils ont seulement informé mon agent quils ne feraient pas doffre. Au moins, mon éditeur allemand (qui a également refusé le livre ndlr) a eu la politesse de mécrire et de me donner les raisons de son refus Gallimard ne ma donné aucune explication.
Quand nous lavions interrogée, Marie-Pierre Gracedieu, éditrice chez Gallimard, a expliqué que le livre nétait pas à la hauteur de votre talent : un "vaudeville pornographique rassemblant tous les clichés sur la Shoah.
Vous me lapprenez. Des clichés ! Je sais ce quest un cliché et rien ne sen approche dans mon livre.
Avez-vous été dautant plus surpris que Gallimard est léditeur des Bienveillantes de Jonathan Littell, autre livre polémique sur le nazisme ?
Oui, et Calmann-Lévy, qui publie aujourdhui mon roman, avait refusé le livre de Littell ! Mais je pense que le refus de Gallimard ne sexplique pas par des raisons de sensibilité historique. Cest uniquement commercial. Ils ont dû penser que mon livre ne se vendrait pas assez bien.
Radio : inerviews
- "En
terrain miné avec Martin Amis", Augustin Trapenard Boomerang,
France Culture, 25 septembre 2015, 29 min
- Martin
Amis et La Zone d'intérêt, Catherine Fruchon-Toussaint,
Invité Culture, RFI, 1er octobre 2015, 6 min 30
- Martin
Amis : "La satire, une forme littéraire très glaçante",
Caroline Boué, La Grande Table, France Culture, 7 décembre
2015, 30 min.
Vidéos : interviews
- Martin Amis, une
vie partagée entre ambition et anxiété, Euronews,
Assises internationales du roman à Lyon, 25 juin 2013, 7 min 20
- Interview de Martin
Amis à propos de La zone d'intérêt, Hachette,
14 août 2015 (l'utilisation d'une triple narration, le choix du
titre), 5 min.
- La Grande Librairie,
24 septembre 2015, 13 min.
Zone d'intérêt : le roman et le film
Le film est inspiré plutôt
qu'adapté du livre.
Pierre Lunn identifie dans un article "les
différences entre le livre et le film" (Première,
6 février 2024). En voici quelques-unes :
- La version cinéma de La zone d'intérêt s'écarte considérablement de la construction complexe du roman et de ses personnages bouffons ou tragiques.
- Glazer maintient le spectateur à distance et opte pour une vision froidement objective.
- Contrairement au livre, le cinéaste ne franchit jamais les portes du camp.
- Se débarrassant des biographies fictives du livre - Paul Doll et sa femme Hannah - Glazer reprend les patronymes réels de Rudolf et Hedwig Höss, le véritable commandant dAuschwitz et son épouse.
- Plus rien de vulgaire ici, plus de rivalités amoureuses ou dintrigues sexuelles pathétiques
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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