Middlemarch
, trad. et édition Sylvère Monod, préface Virginia Woolf, Folio classique, 1152 p.

Quatrième de couverture : À Middlemarch, petite ville de province à l’époque victorienne, les vies se croisent et se lient. Progrès scientifiques, industriels et sociaux s’apprêtent à bouleverser le quotidien. Dorothea Brooke, esprit jeune et libre, en quête d’émancipation, cherche son bonheur dans l’épanouissement intellectuel en épousant l’érudit Casaubon, qui cache mal un manque d’entrain. Tertius Lydgate, médecin idéaliste, s’engage dans une relation avec la vaniteuse Rosamond Vincy et met en péril ses ambitions. Comment s’épanouir au sein d’un mariage voué à l’échec ? Peut-on s’affirmer malgré le regard de la société et ses carcans ?
Entre intrigues entrecoupées et amours contrariées, la grande romancière britannique dresse une fresque sociale sarcastique et une féroce étude de mœurs dans un foisonnement de personnages et de rebondissements. Une exploration grandiose et minutieuse de la nature humaine, de ses illusions et ses tourments, de ses sentiments et son insatiable désir.




Middlemarch trad. Sylvère Monod, précédé de Le Moulin sur la Floss, trad. Alain Jumeau, édition Alain Jumeau, préface de Nancy Henry et George Levine, avec deux essais de Mona Ozouf, La Pléiade, 2020

George ELIOT (1819-1880)
Middlemarch (publié en 8 volumes entre 1871 et 1872, traduction française en 1890 par le mystérieux M.-J.M.)

Nous avons lu ce livre pour le 8 septembre 2023, le nouveau groupe pour le 15 et le groupe breton pour le 21 (soit 38 lecteurs).

"Je travaille depuis très longtemps à un ouvrage de très longue haleine
mais sans rien achever. Et il y a des moments où je me demande si je ne ressemble pas au mari de Dorothée Brook [
sic] dans Middlemarch
et si je n’amasse pas des ruines
."

Marcel Proust,
Lettre du 5 décembre 1899
à Marie Nordlinger

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Les 21 réactions
du groupe réuni le 8 septembre
Ania Catherine Françoise D
           •JacquelineJérémy Katell
          •Monique L
Renée
Rozenn
àBrigitte
Christelle ClaireFanny
             •Etienne
RichardSabine

Annick LGeneviève

N'ont pas fini : •Annick A MaëvaNathalie R


Annick A
Le suis encore sur l'île d'Oléron et comme ici ça passe très mal je ne peux pas me mettre sur zoom. Je n'ai lu que la moitié de Middlemarch, mais j'ai bien l'intention de continuer. J'aime beaucoup.

Maëva
Comme Annick, je n'ai pas terminé Middlemarch, mais je compte bien continuer la lecture. Au plaisir de vous retrouver lors des prochaines séances.

Nathalie

Je ne vais pas venir pour Middlemarch. En effet, les Middle me sont tombés des mains et je n'ai pas voulu lire au-delà des 10 % du roman (soit 125 pages).
Ce n'est pas que ce n'était pas "intéressant" mais quelle longueur ! quelle longueur !
et cette pensée permanente en flux continu m'a ennuyée à mourir. J'ai bien senti que c'était peut-être un livre féministe aux remarques ironiques faites par le narrateur mais…
Cela n'a pas pris. J'ai observé le temps qu'il fallait à la narration pour exprimer une idée ou un fait ! des pages et des lignes pour dire ce qui pourrait être dit en deux lignes ... je ne me suis pas imposé cette corvée. J'ai eu envie de lire autre chose (et plutôt du très léger !).

Geneviève(avis transmis)
J'ai lu environ 500 pages en anglais, le reste en français. Finalement c'est plus facile à cause des commentaires. Le tout est en fait facile à comprendre, mais les points de vue vont changer jusqu'à la fin. Des personnages souvent reviennent, puis finalement on s'en tient au bonheur de chacun.
C'est intéressant dans tous ces mondes à suivre, mais trop souvent sans y croire. C'est dommage. J'ouvre à moitié.

Rozenn (avis transmis)
Tellement désolée de ne pas pouvoir être des vôtres ce soir…
J'ai vraiment adoré ce livre, ce gros livre ; je l'ai lu en version papier ; je l'ai lu lentement. Ce qui sans dou
te a augmenté mon plaisir.
J'ai aimé dès le début rentrer dans un univers, plein de personnages - chacun complexe, j'allais écrire réel. Ils vivent, ils bougent, ils changent et surtout ils interagissent, s'influencent, se répondent - ou pas !
J'ai aimé le ton de l'auteur, sa distance surtout. Elle dénonce constamment mais avec une telle légèreté, un tel humour ! Je voulais reprendre quelques passages de remarques à la fois fines, pertinentes et inattendues, mais j'ai donné le livre avant de les noter. Il aurait fallu faire un choix, j'ai surligné presque à chaque page des passages savoureux.
J'ai lu ensuite Silas Marner que j'ai apprécié aussi : l'histoire est plus originale, mais je n'ai pas retrouvé la saveur du premier.
Merci pour ce choix : un magnifique livre d'été.
Je croyais avoir lu dans ma jeunesse tous les romans anglais de ce type. J'espère en découvrir d'autres encore.
J'ouvre en très grand très très grand. C'était un régal.
Jacqueline
J'ai d'abord lu la préface de Virginia Woolf, ce que j'évite en général, mais c'était Virginia Woolf ! Son point de vue m'a vite agacée ! Elle semble faire grief à Spencer qui faisait exception pour les romans d'Eliot dans la London Library alors qu'il excluait la fiction : elle aurait pu en conclure que ce roman était une si formidable peinture sociale que Spencer avait jugé bon de l'inclure...
V. Wolf cite longuement les portraits physiques peu flatteurs de l'auteur vue par la bonne société victorienne. Ce n'est pas exactement ce que j'attends d'une préface littéraire. En ce qui concerne l'aspect littéraire, elle m'annonçait des défauts.
J'ai lu le livre : j'adore les pavés ! Mais là, quelle richesse ! Quand j'ai eu fini, en relisant la préface, j'ai trouvé que tout ce que dit Virginia des romans de jeunesse de G. Eliot s'appliquait merveilleusement à Middlemarch : "on s'y promène avec aisance".
Virginia y trouve "ampleur et profonde humanité", dit qu'Eliot permet de "partager ces existences dans un esprit non pas de condescendance ou de curiosité mais de sympathie".
Effectivement c'est une très belle histoire relevant d'un roman d'apprentissage : Dorothea, avec l'éducation restreinte de son époque (elle pourrait être une autre Bovary), rêve d'une religion de bienfaisance, elle rêve de dévouement et de savoir…
Je me suis attachée à Casaubon : le film ne lui rend pas justice. La brutalité de l'image ne pardonne pas : elle supprime toute l'intériorité du personnage qui s'obstine dans un travail minutieux et interminable dont il mesure l'inutilité. Dorothea l'accompagne dans ce drame. Elle ne se range pas à l'avis de Ladislaw. Celui-ci vient simplement nommer quelque chose que le couple se taisait…
Par ailleurs, le film est très fidèle au roman. Mais ce qui fait l'attrait de ses épisodes, ce sont les qualités de feuilleton du livre et son humanité.
Il faudrait parler de tous les personnages…
Le livre est aussi un roman social, avec une ouverture politique. Intriguée par les débats constants autour de la réforme, j'ai finalement compris qu'il s'agissait de réformes électorales (de la longue marche vers le suffrage universel en 1918 pour tous les hommes de plus de vingt et un ans et toutes les femmes de plus de trente ans.)
J'ouvre en grand.
Catherine
J'avais soutenu la proposition de Katell, car j'avais beaucoup aimé ce livre (trouvé dans la bibliothèque de mes parents). Je l'ai relu cet été, l'ai de nouveau adoré, plus encore.
Et j'ai moi aussi aimé lire un pavé qui m'a accompagnée tout l'été.
Il ne se cantonne pas à quelques personnages ; c'est un livre foisonnant avec une galerie de portraits multiples et la peinture d'une société, celle d'une petite ville de province anglaise. Il y a divers aspects historiques, sociaux et politiques, la réforme électorale, l'arrivée du chemin de fer, la pauvreté. Comme dans d'autres romans anglais, j'ai été frappée par l'omniprésence de l'argent, le revenu de chacun est sans arrêt évoqué ; Dorothea, la grand-mère de Ladislaw, sont bannies de leur famille car elles épousent quelqu'un de plus pauvre qu'elles.
Le roman est féministe avant l'heure, et la place de la femme est largement évoquée, avec souvent beaucoup d'ironie (par exemple la femme dicte sa volonté avant le mariage afin de pouvoir ressentir plus tard un appétit de soumission). Les personnages féminins jouent un grand rôle, mais j'ai été un peu frustrée qu'elles restent néanmoins dans l'ombre, socialement parlant.
Les personnages sont très fouillés, l'analyse psychologique est très fine ; on en voit évoluer certains tout au long du livre (Dorothea, Lydgate, Fred en particulier). Le personnage féminin au premier plan est Dorothea, elle est très attachante, bien qu'un peu trop parfaite, idéaliste, généreuse, enthousiaste et même parfois exaltée, avide de connaissances. Elle est très intelligente, mais manque de perspicacité en épousant Casaubon. Rosamond est à peu près son opposé, égoïste, dépourvue d'empathie, vaniteuse et assoiffée de reconnaissance sociale. Son mariage est également malheureux. J'ai trouvé très intéressant, qu'à la différence des romans de Jane Austen où tout s'arrête au mariage, George Eliot nous décrive en détail les relations de couples une fois mariés, heureux (il y en a quelques-uns) ou non.
Je me suis aussi attachée au personnage de Lydgate, jeune médecin brillant, moderne, rêvant de faire progresser la médecine, mais finissant sa vie en tant que médecin mondain à cause de son mariage, et se considérant de ce fait comme un raté. Toutes les pages consacrées à la science et à la médecine de l'époque sont très bien documentées et passionnantes. J'y ai appris par exemple que les médecins ne vivaient pas des honoraires de leurs consultations, mais de la vente de drogues et de poudres de perlimpinpin diverses. Il y a des passages très drôles là-dessus, avec toutes les rumeurs qui circulent à ce sujet lorsque Lydgate tente de changer les pratiques.
Il y a beaucoup d'humour tout au long du livre ; j'ai beaucoup ri, avec les scènes entourant le décès de Featherstone, l'ouverture du testament par exemple.
J'ai aimé l'écriture et la construction du livre est très réussie, malgré sa complexité (même s'il faut s'accrocher un peu au début). C'est vrai qu'il y a des longueurs ; on est parfois obligé de relire certaines phrases compliquées. Mais j'ai eu un grand plaisir à le relire. Pour moi c'est un chef-d'œuvre ; je l'ouvre en grand.

Brigitte entre et(à l'écran)
Je viens d'achever cette grande lecture, qui a duré un mois. Je l'ai lu dans la traduction de Sylvère Monod, en consultant parfois celle de M-J M, que nous a fournie Claire.
Cette traduction plus ancienne est parfois d'une lecture plus facile, mais sans doute moins proche du texte original. Je lui reconnais une supériorité dans la traduction de la façon dont M. Featherstone appelle Mary Garth. Il l'appelle "Missy", alors que Sylvère Monod l'appelle "La petite demoiselle", ce qui manque vraiment de naturel. Je pense que "Missy", même s'il s'agit de conserver un mot anglais est plus adapté à la situation en question, qui relève de la vie quotidienne. En dehors de ce point, je préfère suivre S. Monod.
Concernant le roman lui-même, il est difficile d'en parler. En effet, c'est un récit tellement foisonnant, qu'il est nécessaire d'aborder une multitude de points.
Notre époque est accoutumée à des romans beaucoup plus courts, beaucoup plus resserrés, où l'auteur n'hésite jamais à faire allusion à la sexualité, etc. Les grands développements un peu moralisateurs ne font plus partie de nos attentes. En cela c'est une œuvre du XIXe siècle victorien.
Cependant les personnages nous touchent et certains passages sont poignants : aujourd'hui, comme alors, on peut se lancer dans la vie avec des illusions plein la tête comme Dorothea, Lyndgate ou Rosamond.
Les autres personnages, même s'ils sont moins approfondis, ont une vraie épaisseur : l'oncle Brooke et ses ambitions politiques, M. Bulstrode, le dévot malhonnête, Caleb Garth, ou Casaubon, Farebrother, et même Cadwallader et le falot Will Ladislaw.
J'ai particulièrement apprécié les descriptions des évolutions de l'agriculture, les tentatives de faire évoluer la médecine et les soins vers une meilleure efficacité, la déclinaison de la politique nationale en prises de position au niveau local, les évolutions de la rumeur, souvent sous l'impulsion de Mme Cadwallader… Pour terminer, je relève aussi la profonde subtilité des abondants commentaires du narrateur tout au long du roman.
J'ai relevé de très nombreuses citations, qu'il est impossible de transcrire ici, tant elles sont nombreuses. Je retiens cependant le chapitre XIX, qui raconte la visite solitaire de Dorothea au musée du Vatican (de son côté, Casaubon est dans une bibliothèque à la recherche de précieux documents), où elle est remarquée par le jeune peintre allemand, ami de Will Ladislas.
C'est tout un monde et une magnifique découverte.
J'ouvre entre ¾ et entier.
Ensuite, j'ai lu Le moulin sur la Floss, que j'ai encore plus apprécié que Middlemarch.
Ania(au téléphone depuis Nîmes, avec un très joli léger accent anglais)
Je voudrais vous dire pourquoi c'est le livre le plus important pour moi.
Il s'agit du premier livre anglais réaliste qui existe, un nouveau concept, donc.
Il développe plusieurs thèmes sérieux, complexes : les réformes sociales, avec des personnes qui veulent rendent le monde meilleur ; la corruption, l'avarice ; le mariage ; les recherches médicales ; la religion (plusieurs personnages portent ce thème) ; l'éducation des femmes.
Ces thèmes sont déroulés lentement et à mesure que les personnages évoluent ; ainsi,
Dorothea adapte sa façon de penser en fonction de la réalité.
Simultanément, quatre histoires se développent, celles de Dorothea, de Lydgate, de Fred et de Bulstrode, le plus odieux (le mariage de celui-ci est le plus joyeux - c'est étonnant). Chaque histoire pourrait être un roman.
Finalement cette ville de province contient le monde entier.
Sabine(au téléphone depuis Nîmes)
Très impressionnée par les mille pages à parcourir en un été, j'ai demandé à Ania, ici présente, si elle connaissait ce roman et ce qu'elle en pensait : "c'est MON LIVRE PRÉFÉRÉ !". Évidemment, ce cri du cœur m'a no
n seulement ôté les quelques réticences que j'avais encore à ouvrir le livre mais m'a aidée lorsque certains passages me semblaient pénibles.
Le principal "reproche" ou écueil qui a freiné parfois ma lecture, c'est moins la longueur des phrases que les méandres syntaxiques et sémantiques ("Un exemple, un exemple !" crie Claire) qui m'ont fait perdre plus d'une fois le sens de la phrase. Les développements sont tortueux, voire torturés. L
a traduction française a gagné 20 % : ce que la langue anglaise dit en un mot devient une périphrase en français. Cela explique peut-être mon sentiment d'incompréhension parfois.
J'ai beaucoup aimé les comparaisons (G. Eliot est la reine des comparaisons) :

Dorothea : "Depuis longtemps elle était abattue par l'incertitude qui pesait dans son esprit comme une épaisse brume d'été".

Casaubon : "Jamais il ne mettait sur le tapis ces propos badins des hommes pesants qui se révèlent aussi agréables qu'un gâteau nuptial rassis quand on le sert avec un relent de placard."

J'ai aimé les assertions sur le comportement des hommes et des femmes, plus encore sur le rôle et la place dévolus aux femmes en ce début de XIXe siècle.
Il y a des répétitions (p. 375, 376) qui sont sûrement volontaires.
J'ai trouvé de similitudes avec Madame Bovary, notamment dans la description très ironique de l'épanouissement de l'individu dans la cellule conjugale (p. 377).
La présence très stendhalienne d'un narrateur (ou narratrice) interne non identifié m'a gênée : j'ai cru deviner qu'il s'agissait d'un proche de Dorothea. Pour autant, j'aurais préféré un narrateur omniscient à la Flaubert, beaucoup plus crédible et pertinent.
Mon cœur a palpité pour Dorothea, Will Ladislaw et Tertius Lydgate.
Cela dit, certains passages sont fort longs. J'avoue ma préférence pour la plume de Thomas Hardy et Jane Austen.
Je remercie le groupe et Ania de m'avoir invitée et poussée à lire ce roman-fleuve et j'ouvre aux ¾.
Monique L

J'ai apprécié cette chronique sociale foisonnante et riche en caractères et en personnalités.
J'ai aimé la variété des personnages, chacun étant bien typé, que ce soit par leur position sociale ou par leur tempérament. Ils ne sont pas manichéens mais complexes. Beaucoup sont très attachants. Ils sont tous crédibles même Dorothea et son choix pour Casaubon, car éblouie par son érudition.
J'ai été surprise par la forte représentation des ecclésiastiques.
L'auteur décrit minutieusement ses personnages. Son analyse psychologique des caractères et de leurs motivations est fine, parfois ironique. Je l'ai trouvée remarquablement moderne.
J'en ai apprécié la profondeur et la justesse pour expliquer le cheminement intime des pensées qui guident les actes de ses personnages. C'est ce que j'ai trouvé le plus remarquable dans ce récit. On prend le temps de voir évoluer les personnages et d'observer les conséquences de leurs décisions. L'intrication de leurs destins nous tient en haleine jusqu'à la fin du roman.
Outre les intrigues sentimentales, les déboires financiers ou professionnels de tous ces personnages, j'ai apprécié la dimension historique de ce roman qui se déroule à un moment où de nombreuses réformes se mettent en place : révolution industrielle avec l'arrivée du rail, progrès scientifiques que l'on perçoit avec le personnage de Lydgate, qui cherche à pratiquer une médecine débarrassée de tout charlatanisme et à moderniser l'hôpital, réforme politique qui voit s'affronter whigs et tories…
C'est aussi un roman féministe qui décrit la place de la femme, sa soumission obligée au mari, l'impossibilité pour elle de se réaliser, sauf éventuellement par le biais de la charité. J'ai noté qu'elles ont toutes leur caractère et qu'aucune d'elle n'est soumise.
Cette lecture a accompagné agréablement mon été. J'ai aimé le style. Un reproche : des longueurs parfois et des redites.
J'ouvre aux ¾.
Fanny
J'ai eu du mal au début. Au bout de 200 pages, je me suis demandé si j'irais jusqu'au bout. On quitte des personnages pour partir sur d'autres dans cette petite ville : on ne les retrouvera plus ?
Et puis, j'ai été prise au jeu et même de façon assez addictive. Je rejoins Ania sur tout ce qu'elle dit de la peinture sociale et de la place centrale de Middlemarch, c'est l'histoire de la ville avant même celle des personnages.
À part Dorothea Brook et Mary, les autres ne sont pas sympathiques : le médecin est un peu lâche, Fred se rachète une conduite… mais les personnages sont d'une grande richesse. Chacun mériterait une étude poussée sur sa personnalité et son parcours.
Et c'est très visuel.
Dans les dialogues, il y a parfois des longueurs ; j'ai eu parfois l'impression que l'ensemble des échanges était retranscrit. Et on glisse sur le narrateur, qui répète un peu la même chose, même si j'ai trouvé que ce glissement de faisait tout naturellement et que j'ai aimé ces ajouts (contrairement à Annick) : je pense que l'essentiel des longueurs tient à cette forme de répétition. Oui, les chapitres auraient pu être plus courts.
Mais même lorsque j'ai repris le travail, l'addiction a continué. J'ouvre aux ¾.

Annick L(à l'écran)
Je fais partie de ceux qui ont eu du mal à finir ce roman. Je me suis me souvent ennuyée, mais je me suis accrochée, et puis je me suis habituée…
Sur le plan intellectuel, ce roman est très intéressant, en particulier pour sa dimension sociale et historique. La fresque est large et bien campée. Je suis très sensible aussi à l'accent mis sur la condition des femmes à l'époque. Et ce qui a maintenu mon intérêt c'est l'humour parfois féroce de George Eliot. Certaines scènes sont franchement cocasses !
Mais je n'ai plus envie de lire ce genre de roman, beaucoup trop long à mon goût, saturé d'intrusions et commentaires du narrateur, je n'en pouvais plus.
Et moi j'aime bien les romans épurés qui vont à l'essentiel. Alors, là…
J'ouvre ½ pour l'hommage à ce roman qui a fait date. Mais ½ en moins pour ce qui est de mon plaisir personnel de lectrice.
Renée (à l'écran depuis Narbonne)
Environ à la page 100, j'ai pris conscience que j'avais déjà lu ce livre il y a très très longtemps : je me suis souvenue de l'intrigue, mais pas des subtilités d'écriture.
Première impression : l'intelligence et l'humour de l'autrice. Elle est brillantissime et aborde des tas de sujets : la situation des femmes dans le mariage, les unions plus ou moins réussies, les particularités de l'héritage au Royaume uni, les progrès de la médecine et de la science, et même la politique.
Beaucoup de personnages dont six jeunes que nous voyons évoluer ; c'est donc un roman d'apprentissage.
Je me suis attachée à Dorothea, presque trop parfaite, mais intéressante par son idéal intellectuel et social. Elle va au bout de ses idées en assumant son échec avec Casaubon, puis en épousant Ladislaw. Concession au 19e siècle, l'auteure fait réussir brillamment Ladislaw dans la politique, ils ne restent pas pauvres.
Mary Garth est également formidable dans sa simplicité et son obstination à forcer Fred à "se ranger" par amour ; elle aime la lecture, elle est foncièrement honnête, se contente de ce que la vie lui apporte. J'aurais aimé que ce couple soit davantage développé.
Lydgate est aussi intéressant : il veut moderniser la médecine mais se heurte à des archaïsmes. Il a un côté naïf : il se laisse épouser par la superbe et futile Rosamond puis s'endette bêtement.
Eliot a des formules extraordinaires :

Casaubon : "une momie pédante et desséchée" qui pratique un "embaumement du savoir"
"Mme Taft qui ne cessait de compter ses mailles et rassemblait ses renseignements à partir de fragments fallacieux cueillis entre deux rangs de son tricot". Une autre fois elle compte les mailles en même temps que les ragots : c'est magnifiquement écrit.
"L'affaire parut tellement publique et considérable qu'elle exigea des dîners pour l'alimenter".

J'ouvre en grand !
Jérémy(qui formulera ce nouveau slogan "Plus c'est long, plus c'est bon" !)
Avant la lecture
J'avais découvert Middlemarch par le biais de l'émission Répliques dans laquelle Finkielkraut avait invité Mona Ozouf. Conquis, j'avais acheté le livre et depuis lors il m'attendait bien sagement sur mon étagère des livres "à lire". Je sais donc gré au club de l'avoir mis au programme, sans quoi il aurait certainement pu m'attendre encore quelques années de plus !
Je l'ai abordé de manière très enthousiaste : non seulement je suis très "dix-neuvièmiste" mais en plus j'aime bien les "gros" livres. Je me dis que je vais vraiment avoir le temps de m'installer moelleusement pendant un bon moment avec les personnages, qu'ils vont être fouillés, que l'histoire va être dense et riche en rebondissements, etc. Dans l'une des dernières émissions du Masque et la Plume, Charlotte Lipinska disait, à propos du film Les Herbes sèches, qui dure près de 3h20 : "Ce film n'est pas long, il est profond. Si on veut parler un peu de la complexité humaine, des rapports entre les gens, des contradictions personnelles, ça ne se fait pas en 90 minutes." Je partage son avis et ne suis pas loin de penser qu'en littérature plus c'est long plus c'est bon. Sauf quand c'est Proust !
Pendant la lecture
Je ne retiendrai donc que les quelques thèmes qui m'ont le plus marqué :
1. Le mariage, du champ de bataille au champ de ruines : celui de Lydgate et Rosamond est un mariage raté qui m'a paru encore plus intéressant que celui de Dorothea et Casaubon. Lydgate a certes des ambitions progressistes tout à fait louables en matière scientifique mais c'est bien un "homme de son temps" pour ce qui concerne sa vision des femmes et du mariage ; Rosamond est un personnage détestable, à se taper la tête contre les murs et à avoir envie de lui taper la tête contre les murs...
J'ai ressenti plus d'empathie pour les femmes que pour les hommes : en effet, Casaubon et Lydgate ont eux-mêmes creusé leur propre tombeau et ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes car ils ont mésestimé et sous-estimé les femmes. Ce qui marque, c'est que ces quatre personnages se sont lourdement fourvoyés sur leur (futur) époux, sur eux-mêmes, sur le mariage. Ils ne s'étaient jusque-là sans doute jamais vraiment confrontés à l'Autre et affrontent l'expérience vertigineuse et déceptive de l'Altérité dans le cadre d'une relation qu'ils ont contractée "jusqu'à ce que la mort les sépare". C'est à se demander s'il ne s'agit pas, en creux, d'une ode au concubinage et d'une critique du mariage bourgeois/aristocratique tel qu'il se pratiquait alors.
Si les affres du mariage sont décrites de manière très subtile et si les portraits psychologiques sont d'une grande richesse, le fait que les aspects charnels de la vie conjugale ne soient jamais évoqués "manque".
Certains mariages sont réussis, mais ils occupent des places beaucoup plus secondaires dans le roman : les Garth, les Vincy, Celia et Sir James, les Bulstrode. J'ai trouvé admirables les pages 981 à 983 dans lesquelles l'abnégation et le sens du sacrifice d'Harriet Bulstrode frappent ; elle est l'incarnation du fait que l'on se marie "pour le meilleur et pour le pire" et aura vraiment connu les deux ; elle apparaît comme le double positif de Rosamond, qui n'est elle d'aucun soutien pour son mari.

(Voir, plus détaillés, des passages cités et commentés ici par Jérémy).

2. La naissance de la rumeur : j
'ai été marqué par le poids des commérages, des ragots et intéressé par la manière dont les rumeurs naissent, enflent, s'amplifient, se déforment, le mal qu'elles peuvent faire et leur poids dans la vie sociale, la manière dont on s'en délecte. Tout cela est très bien décrit dans les pages 942 à 945. La rumeur est ambivalente car si elle met (en grande partie) injustement en cause la probité de Lydgate, elle est vraie pour ce concerne Bulstrode et va permettre de châtier ce Tartuffe donneur de leçons.
3. Le poids du contrôle social et du regard des autres sur les destinées individuelles : la relation entre Ladislaw et Dorothea est longtemps empêchée par les jugements désapprobateurs qui en découleraient. Rosamond ne peut pas déménager car cela serait déchoir aux yeux du monde. Elle aime s'afficher au bras du cousin de Lydgate. On se marie ou on ne se marie pas par souci des convenances. Les personnages sont enserrés dans ce maillage social très fin, ils vivent constamment sous et par le regard des autres. Le contrôle social exercé par le groupe sur l'individu est très fort et il n'a même pas besoin d'être exprimé pour s'exercer, il est intériorisé. On n'en est pas encore au règne de l'individu-roi, on n'est pas libre et c'est étouffant. Une illustration de "L'enfer c'est les autres" ?

En un mot comme en mille, j'ai beaucoup aimé ce livre ; je pense que j'aurai envie d'y revenir et je l'ouvre bien évidemment en grand !
Etienne
(à l'écran depuis Rennes)
J'ai été très content de lire ce livre acheté carrément en Pléiade. Je l'ai lu comme un feuilleton et j'ouvre aux ¾.
Je commence par quelques petits trucs qui m'ont déplu :
- des formulations alambiquées qui oblige à un effort de concentration - des doubles négations par exemple - est-ce le style qui a vieilli ?
- un jugement moral sur les personnages - je me rapproche là d'Annick - de la part d'un narrateur un peu trop omniscient
- la part de certains couples qui est déséquilibrée dans l'histoire : par exemple Dorothea m'intéresse moins que Lydgate ou Mary Garth.
Mais, mais, c'est roman total, encyclopédique, avec cette ambition de décrire le réel. En fait, c'est le projet un de Casaubon. George Eliot, c'est Casaubon ! (Elle dit d'ailleurs que c'est elle-même qui a inspiré le personnage… ce qui montre son humour sur elle-même.)
L'histoire de l'Allemand, c'est tordant.
Sur la médecine, c'est passionnant, avec ce fonctionnement médical du 19e siècle, et c'est bluffant de la part d'une non spécialiste.
Sur la politique, elle a un peu manqué de pédagogie, ce qui fait que je suis passée à côté.
Il y a aussi la dimension roman d'apprentissage.
J'ai appris que la fin, à son époque, avait été jugée manquant d'optimisme - alors que c'est plutôt un happy end. Il y a une sorte d'ode à la vie simple.
Les couples fonctionnent bien d'ailleurs : Dorothea est son deuxième mari, Mary Garth…

Christelle
J'affectionne particulièrement les romans réalistes, donc Middlemarch avait toutes les raisons de me plaire. Ça m'a permis de venir à bout du pavé de l'été ! Passé la première partie, qui m'a fait craindre de me perdre dans la quantité de personnages, je me suis laissé emporter par le récit.
Beaucoup de choses ont déjà été dites ; j'ai beaucoup aimé la finesse des portraits, la complexité particulièrement intéressante des personnages, rendue possible grâce à l'épaisseur du livre. L'abnégation des femmes liée à leur place dans la société et leur aptitude, celle de Dorothea notamment, à adapter leur idéal à cette réalité, m'a frappée et fait réfléchir.
J'admire particulièrement la capacité de George Eliot à établir les connexions entre les différents personnages et faire s'emboîter les parties du récit, la construction, sur une telle longueur, est impressionnante. Tous les détails sur la médecine de l'époque étaient un vrai plaisir.
J'ai plus de réserves sur les parties politiques, un peu longues à mon goût mais je n'ai pas pris le temps de m'y intéresser.
Compte tenu de mes impressions tout au long du livre, j'ai été réellement surprise de la "happy end" pour la majorité des personnages, avec toutefois Lydgate qui renonce à ses idéaux. Je m'attendais à une fin plus morose ou complexe.
Ouvert aux ¾.
Richard
C'est un pavé, oui… Que je n'ai pas lu en entier. Je pensais que ce livre en anglais était facile à lire… Le début m'a démotivé complètement. C'est un anglais difficile à comprendre
Pour avancer, il faut se farcir des réflexions sociologiques.
Au bout de 200 pages, ça commence à prendre de la vitesse. Je ne suis pas allé à la fin heureuse.
Elle est pour moi en concurrence avec Jane Austen qui décrit une société de 1820. On est ici en 1870.
Concernant les personnages, vous avez déjà beaucoup dit. Et cela me donne envie de continuer les 350 pages à lire. Je suis plein d'espoir.
J'ouvre aux ¾ : le début est difficile, mais il faut persévérer.
C'est beaucoup plus facile une fois que j'accepte que c'est un livre qui est une description de la vie qui apprend à propos du mariage, de la politique, de la médecine…
Claire
J'avais beaucoup aimé le livre de Mona Ozouf que nous avions lu dans le groupe Composition française ; ; aussi avais-je entrepris avec beaucoup d'intérêt il y a quelques années son livre L'autre George et avais été fort déçue par ses longs résumés et analyses des romans qui ne donnaient aucune envie de les lire, même si la femme, "George", avait un parcours remarquable.
Handicapée du pavé, j'ai attaqué le pavé dans des dispositions psychologiques favorables,
l'ayant découpé en 4 petits volumes... et j'ai énormément apprécié : c'est le style et l'humour qui m'ont séduites ; l'intrigue et les situations aussi ; l'analyse itou. Je n'ai pas lu les citations en exergue de chaque chapitre (86 chapitres, il a fallu qu'elle se creuse !). J'en ai repris après et ai vu comme elles étaient pertinentes.
Mais pourquoi faire si long ?! Après ma lecture du 1/4 du livre, j'ai lu et écouté plein de choses sur George Eliot qui m'ont vraiment intéressée, mises en forme sur le site.
J'ai lu le résumé de la suite et ai lu le dernier livre : j'ai donc lu 3 des 8 livres, soit 430 p., ce qui me suffit largement.
Ce fut à peu près la même chose pour l'adaptation filmique, fort réussie (mais sans un équivalent de l'écriture, impossible à rendre).
J'ai relu le chapitre de Mona Ozouf sur Middlemarch, toujours aussi indigeste (alors qu'elle est passionnante à écouter sur George Eliot qu'elle a contribué à sortir de l'ombre).
Je suis très contente d'avoir découvert Middlemarch, j'ouvre aux ¾. Un exemple de ce que j'aime, ce sont les premiers mots du livre décrivant Dorothea :

La beauté de Mlle Brooke était de la sorte que semble mettre en relief une tenue modeste. Elle avait la main et le poignet si bien dessinés qu'elle pouvait porter des manches tout aussi dépourvues de style que celles avec lesquelles la Bienheureuse Vierge apparaissait aux peintres italiens.

Après vous avoir écoutés, je pense que lire le livre en entier ne m'aurait rien apporté de plus : étonnant, non ?
Contrairement à Jacqueline, j'ai apprécié
la préface de Virginia Woolf : elle l'encense, mais formule une réserve que je trouve terrible et terriblement bien envoyée, en se référant à un dialogue de Jane Austen :

Elle laisse ses héroïnes parler trop longuement. Elle connaît peu de bonheurs verbaux. Il lui manque le bon goût infaillible qui fait choix d'une phrase pour y condenser le cœur de la scène. "Avec qui allez-vous danser ?" demanda M. Knightley, au bal des Weston. "Avec vous, si vous m'invitez", répondit Emma ; elle en a assez dit. Mme Casaubon aurait parlé pendant une heure, et nous aurions regardé par la fenêtre.

Françoise D
J'ai adoré. Je ne l'ai pas lâché. Matin, midi et soir. C'est un page-turner. Je l'ai lu en anglais : il y a des tournures où on se dit : mais c'est du mauvais anglais !
J'ai bien aimé les incises du narrateur, contrairement à Annick.
Et l'humour !
J'ai pensé à Jane Austen que j'adore : mais je mets George Eliot au-dessus, c'est beaucoup plus riche.
Je suis contente que ça se termine bien - mon côté midinette... Et c'est intéressant, la plupart des couples s'aiment, y compris la femme de celui qui a acquis sa fortune malhonnêtement, qui le soutient... Les femmes n'ont jamais un rôle secondaire. Dorothea et Celia tiennent tête à leur mari. J'ai adoré le passage où Mary Garth - amoureuse de Fred - déclare avec force qu'elle ne l'épousera jamais s'il devient curé ! L'histoire du testament de Featherstone..., c'est un morceau d'anthologie, tellement savoureux !
Bref, je n'ai pas boudé mon plaisir avec ce livre qui m'a accompagnée tout l'été. C'est une belle découverte.
Katell
(qui a proposé la lecture du livre)
Comme cela fait deux/trois ans que je l'ai lu, je ne me souviens pas bien des intrigues. Mais vous écouter me les remet en mémoire. Je salue la performance de George Eliot qui seule, par la force de son cerveau, de son imagination et de ses connaissances a produit ce roman fleuve/feuilleton, assouvissant ainsi le besoin d'histoires de ses contemporains. En effet, il y a tout dans ce roman : l'amour, la haine, la trahison, la petitesse, la grandeur... C'est un concentré de l'âme humaine.
J'ouvre en grand ce chef-d'œuvre de la littérature anglaise du 19e.


Richard nous montre son édition prestigieuse Penguin Drop Caps, comportant uniquement 26 chefs-d'œuvre portant chacun une des 26 lettres de l'alphabet, E pour Eliot ; Proust, Voltaire, Flaubert y sont, mais il y a des auteurs jamais lus à Voix au chapitre : Willa Cather, Sue Monk Kidd, Chang-rae Lee, John O'Hara, Ellery Queen, Amy Tan, Sigrid Undset, Xinran...

 

Les 9 réactions
du nouveau groupe réuni le 15 septembre
    Nathalie B
  Anne-Marie
 Entre   etAudreyChristine
Katherine
  Françoise HJean-Paul

Ont abandonné le livre après 200 à 250 p. :
•Margot •Monique M

Audrey, entre   et
Tout d'abord je regrette un peu de ne pas avoir pris plus le temps de réfléchir et de creuser la réflexion autour de la place de la narratrice/ou narrateur. Plusieurs fois le narrateur nous interpelle, intervient, s'interpose, nous met en garde, nous invite au recul. Ce narrateur est présent aussi par ses nombreuses citations (par exemple en début de chapitre) ou ses comparaisons (par exemple Rosamond à Niobé p. 231) ce qui crée un climat, une interrogation. Ici, avec Niobé, la crainte d'une tragédie... Ces différentes saillies nous alertent et maintiennent, le lecteurs actif, je trouve. Après la page 300 je les ai moins notées ; y en avait-il moins ou étais-je davantage absorbée ?
De fait, je me suis pas mal laissé emporter par le récit, parce qu'au fond je me demandais sans cesse qui allait gagner, qui allait l'emporter entre :
- la force de caractère des personnages, leur volonté, leur personnalité, leurs valeurs.et leurs désirs profonds
- ou les facteurs et les éléments extérieurs à ces personnages : le temps par exemple ou les événements politiques, le contexte social, les rencontres, les rumeurs ou les hasards.
Je redoutais que les passions se taisent, les indignations s'étouffent, le vrai ne se fasse pas jour, les progrès louables n'aient pas lieu ou encore que les conventions écrasent ou polissent les belles personnes.
Au fond, j'ai trouvé que George Eliot rendait très bien cela : la traversée du temps par ses personnages, l'impact du temps sur la personnalité et la trajectoire des personnages et aussi l'impact du monde environnant, le monde comme il va : la médecine nouvelle qui émerge, les progrès qui pointent (chemin de fer par exemple), la politique qui bouge, les questions sociales qui se font jour.
Eliot donne bien à vo
ir comment le temps et cette toile de fond politique/sociale/familiale modèle la vie, la trajectoire et l'intériorité des hommes et des femmes. Elle montre ainsi ce qui bouge, ce qui en l'humain, face à ces épreuves, peut s'effondrer, s'effacer et s'épanouir. Et puis, elle montre aussi ce qui ne bouge pas, ce qui est immuable. À travers la foultitude de ses protagonistes, elle montre à la fois ce qui change et ce qui demeure.
J'ai retenu ici trois personnages dont je voudrais parler :
- Le premier, c'est Farebrother qui, lui, incarne à mes yeux une certaine constance, il est fidèle face à lui-même, à ses valeurs. Il a quelque chose de christique une grande confiance et de l'amour pour son prochain jusqu'à son sacrifice (il arrange le mariage de Fred et de Mary). Nathalie a parlé du père Garth qui est aussi un personnage très beau et très constant dans cet esprit-là.
- Lydgate, lui aussi, est un très beau personnage qui porte au départ l'élan de la curiosité, la volonté de la découverte. C'est le chercheur. Il incarne une certaine modernité aussi et une liberté d'esprit par sa capacité à faire fi de la bassesse humaine, à ne pas chercher à plaire à tout prix. Il témoigne d'une grande tendresse et d'une indifférence face aux apparences et à l'argent..., mais il sera la victime de la virulence du temps, des épreuves, des bassesses humaines, des rumeurs et de la vindicte populaire. C'est là un personnage qui bascule, qui sombre. En lui, peut-être plus que qu'en tous les autres personnages, se jouent cette terrible lutte entre les désirs et l'usure, l'épuisement de la volonté face à l'épreuve du quotidien mordant (les dettes les mariages décevant, les rumeurs). Ce personnage en sort affadi, décoloré...
- Et enfin, Dorothea bien sûr, qui est aussi une très belle personne et qui entre les deux premiers personnages marque, elle, une forme de constance ET d'inconstance ; à la différence de Lydgate, elle, en revanche, se colore, s'ouvre, s'épanouit et grandit au fil du récit. Dans son cas les épreuves semblent renforcer ses traits de caractère, mais aussi les transforment. Cependant elle reste profondément elle-même : il y a une grande constance en elle (de même que chez Farebrother). Mais on sent aussi une action palpable du temps, des épreuves et des rencontres, à travers son évolution. Ce qui demeure : sa générosité, sa curiosité sa bonté, son appétit pour le bien. Ce qui bouge et émerge : son affirmation, sa libération, son émancipation. Elle incarne pour moi une résistance face à la puissance dévastatrice de la vindicte populaire et fait preuve d'une grandeur d'âme. Remarquable. Elle se place au-dessus de la mêlée, elle a quelque chose d'une Antigone. Elle ne cède pas elle résiste : envers et contre tous elle réhabilite Lydgate, renonce à la fortune choisissant n'amour plutôt que l'héritage contre l'avis de tous. Elle faut ce qui lui parait juste.
Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec ce que je me figure de la personne et de la vie de George Elliot, une femme qui a dû elle aussi par ses choix et notamment celui de son amour vivre une certaine forme d'isolement. Et puis elle a comme Dorothea, évidemment, un grand amour des livres et de la connaissance.
George Eliot fait, je trouve, une place immense dans ce livre à la grandeur d'âme, à la hauteur d'esprit, à la générosité, à la bonté à la recherche de la vérité et du bien (ce qui lient ces trois personnages que j'ai retenus).
Je n'ai pas trouvé qu'il y avait une idéalisation des femmes dans ce roman, mais plutôt ces femmes m'ont fait l'effet d'être des facettes d'un grand visage cubiste de ce que pouvait être la femme ou le féminin à cette époque dans une petite ville anglaise.
Pour terminer, j'ai trouvé le style souvent très verbeux, les phases trop longues pour dire court. Beaucoup de tournures qui me perdaient trop souvent. Des formules vieillies. Beaucoup de double négatives assommantes.
J'ouvre entre ½ et ¾.
Christine entreet
Je n'ai pas terminé le livre, j'en suis à l'ouverture du testament, le suspense est ici très fort, c'est très réussi de ce point de vue. J'ai mis du temps à entrer dans le livre, mais je l'ai ressenti dans sa globalité : c'est une critique/ chronique de la vie provinciale anglaise, société très hiérarchisée, les petits n'existent pas. Pas mal de stéréotypes quand même : les femmes cherchent toujours un mari. Le personnage de Lydgate est intéressant, il est aussi chercheur (George Eliot aurait elle-même fait des recherches dans ce domaine). Au fur et à mesure qu'on entre dans le livre, l'intérêt d'accroît. Dorothea a du ressort, elle ne se laisse pas dominer, elle en veut à son mari, qui ne lui apporte rien. Elle se rend compte de ce fossé.
Le personnage de Fred, amoureux d'une femme modeste et pauvre, est aussi intéressant. Il y a des longueurs dans ce livre. Je note aussi les interventions de l'autrice pour orienter notre regard. Dans le chapitre de l'ouverture du testament, elle décrits les chacals de manière féroce.
J'ouvre entre ½ et ¾.
Anne-Marie
J'ai commencé à lire le livre en anglais, mais vu sa complexité, le caractère très touffu des phrases, la surabondance de détails, j'ai commencé à me perdre et j'ai continué en français (mais j'ai trouvé que le traducteur était bon, le ton et le style sont bien rendus, ça n'a pas dû être facile). Je n'ai réussi cependant qu'à lire 400 pages pour l'instant !
Le personnage de Dorothea est original, elle a des opinions tranchées et des goûts différents de ceux des jeunes filles de son milieu social, elle est sérieuse et aspire à des activités estimables, mais elle est terriblement naïve quand elle idéalise le pasteur sur lequel elle jette son dévolu. L'auteur est très ironique avec cette naïveté, surtout aussi dans la description de Casaubon (décalage comique entre le comportement de Casaubon et l'admiration de Dorothea). Pour faire avancer le roman, on comprend rapidement que Casaubon doit mourir à un moment ou un autre. L'oncle de Dorothea est stupide, fat et relativement inexistant ; il est présenté aussi de manière ironique.
Les passages concernant la vie politique locale, ses querelles et ses complexités sont très bien rendus (l'élection du médecin en particulier).
C'est parfois un peu long, trop détaillé, et ennuyeux. On voit se succéder des tableaux sur différents thèmes, c'est assez bien vu et vivant, mais vraiment long ; parfois le style est si compliqué qu'on doit relire un paragraphe. Le rôle que se donne l'autrice sauve tout, elle distille très bien l'ironie. Je crois que je vais essayer de finir le livre !
Katherine
Je l'ai lu en anglais, et j'en suis au début (environ 250 pages). C'est lent et un peu lourd ; d'habitude ça ne me fait pas peur, mais là je n'avais pas envie d'avancer.
Il y a quand même une grande finesse de description des personnages. La vie des habitants d'un village au 19e siècle ne me faisait pas envie, et l'histoire ne me tient pas trop en haleine pour l'instant.
Françoise H
J'aurais aimé ce livre si je n'avais pas été rebutée par le style : difficile de surmonter ces affèteries, ces phrases qui par moment ne veulent rien dire. Je me suis arrêtée à la page 250, je n'irai pas plus loin.
Jean-Paul
J'ai lu le livre jusqu'au bout, bien que je ne l'aie pas aimé. Le style est alambiqué, moralisateur. L'autrice donne des leçons, elle est beaucoup dans le jugement. Si elle intervenait moin, le livre serait plus léger (et plus court de 500 pages peut-être !).
Ce microcosme a un intérêt limité. Je n'ai pas l'impression que l'extérieur les pénètre ; à part Lydgate qui 's'intéresse au fonctionnement du monde et à la science, les autres sont dans leurs petites affaires. Les personnages sont trop falots pour qu'on s'y 'intéresse. Dorothea reste la seule personne un peu authentique. L'autrice donne sa grille de lecture et on n'en a pas forcément envie.
Nathalie B
J'ai eu du mal au début, il fallait que je m'habitue au style. Mais ensuite, j'ai été happée. Cette écriture m'a fait penser à Proust, Henry James et la Comtesse de Ségur.
Les personnages ont une vraie épaisseur et George Eliot fait apparaître les caractères humains dans toute leur complexité. Personnellement le fait que l'autrice livre son regard ne me gêne pas ; au contraire car cela permet de donner d'ajouter à la dimension aux personnages. Les dialogues sonnent juste, sont vivants. J'éprouve beaucoup d'amitié pour Caleb Garth. C'est un personnage bon, il ne juge pas, il a une grande éthique qu'il sait transmettre à ses enfants et même à ceux qui ne sont pas les siens, comme Fred Vincy, sur lequel il exerce une influence positive. Mary Garth, sa fille, est aussi un beau personnage.
Si on me demandait le thème central de ce roman, je dirais qu'il s'agit d'un livre d'analyse sur le mariage et les différents types de couples. Celui de Garth a connu de grandes difficultés qu'ils ont surmonté ensemble et en se protégeant l'un l'autre. Le personnage du jeune médecin ambitieux, Lydgate, est aussi intéressant. Mais lui a une épouse qui va le rapetisser. Rosamond, son épouse donc, est intelligente mais condamnée à être superficielle, élevée comme les jeunes filles de l'époque, pour le mariage comme seule ambition. Dans un siècle comme le nôtre, elle aurait pu devenir femme d'affaires, autocentrée, avec peu d'empathie pour ses semblables, mais qui aurait parfaitement réussi sa vie sociale sans avoir à passer par un homme. Le personnage de Dorothea, jeune fille passionnée, a subi une éducation étriquée (celle donnée aux jeunes filles de ce milieu) alors qu'elle aspire à se dépasser. Elle pense pouvoir trouver dans un mariage avec un savant desséché un objectif élevé de vie, mais s'y coupe les ailes. Ce début du couple est bien vu, la description est parfois drôle. Description d'un autre type de mariage.
La condition des femmes, d'un certain milieu, est très bien décrite. La pression sur les femmes ressort très bien (voir la "tendre" condescendance "du beau-frère, initialement amoureux éconduit, qui veut la protéger et lui interdire des fréquentations" pour son bien. Dans ce roman, George Eliot nous parle également des problèmes sociaux de l'époque, comme ceux qu'engendrent l'installation des voies ferrées sur les terres agricoles, la modification du système électoral qui élargit la base électorale qui ne sera plus cantonnée aux propriétaires terriens importants. L'autrice écrit en 1870 sur un monde de 1830. C'est un roman-univers écrit sur une société en pleine mutation. J'ai bien aimé également les épigraphes qui sont en rapport avec les chapitres ; j'ai apprécié l'ironie. C'est un livre puissant : j'ouvre en grand.

Les 8 réactions
du groupe breton réuni le 21 septembre
YolaineCindy Chantal
 Édith

 
   •Marie-Odile
  
  Brigitte  Soaz
Suzanne
Annie
, présente pour la première fois,
n'avait pas (encore) lu le livre

Suzanne(avis transmis)
Le livre ne m'a pas embarquée. Nous avions lu l'été dernier Les Buddenbrook : même milieu, mêmes codes, ras-le-bol ! Heureusement j'ai lu L'arbre monde de Richard Powers, plus en lien avec les soucis de notre époque, un bouquin très intéressant, autrement plus instructif...
Soaz(avis transmis)
J'ai été ni emballée ni passionnée. Ce n'est pas notre culture.
Des amies anglaises en font leur livre de chevet, pour ma part il est soporifique….
J'ai ressenti néanmoins un intérêt pour la condition féminine et la médecine de cette période.
Les mesquineries dans les rapports d'argent, les querelles de village, ne sont pas ma tasse de thé !
Au plaisir de lire un nouveau livre peut être plus rythmé, plus moderne.
Brigitte T(avis transmis)
Voici mon avis au mois de juillet et j'en suis restée là !
George Eliot écrivaine anglaise, sioniste, avant-gardiste… Bravo ! Mais…. Que j'ai du mal à vous lire !
Péniblement avec la lenteur d'un escargot je lis 185 pages : Dorothea et son homme érudit ne me passionnent pas. Pas beaucoup d'émotion dans leur Amour. Pas de rêve. Je sais… nous sommes en Angleterre à l'époque victorienne… Dilemme : je vais ou non fermer ce livre ? La société victorienne ne m'accroche pas.
Des phrases aux références multiples dont des références religieuses à la Bible, à la littérature shakespearienne, des citations latines et d'autres de poèmes… si j'étais profondément motivée par un travail de fourmi, ma lecture prendrait peut-être un intérêt autre. Chaque annotation a son intérêt.
Certes des phrases à méditer. Par exemple : "L'orgueil n'est pas une mauvaise chose quand il se contente de nous pousser à cacher nos blessures et non à blesser autrui".
Des phrases d'une femme émancipée ?? À explorer : "Un esprit d'homme - si infime qu'il soit - a toujours l'avantage d'être masculin - […] et son ignorance elle-même est d'une qualité plus solide." Faut-il y voir de l'humour ??
Je pense que pour entrer dans ce type d'ouvrage et l'apprécier il faut être curieux, cheminer et… quand même aimer sacrément la société anglaise.
La connaissance de l'auteur tant de sa vie que du contexte social est indispensable et facilitant. Merci à Claire pour l'apport bibliographique sur l'auteur, je l'ai consulté en grande partie… mais pour autant je n'ai pas eu l'envie de finir la lecture.
Par contre, titillée par ma difficulté à lire des romans anglais du début du XXe… je n'ai pas voulu complètement baisser les bras et je me suis régalée avec la lecture du livre d'une autrice anglaise, Margaret Kennedy : Le Festin (1950…, je vous entends dire que ce n'est pas l'époque victorienne… ok). Le fil conducteur est de repérer les 7 péchés capitaux chez les personnages hauts en couleurs.
Pour conclure, Middlemarch reste ouvert à ¼ et au cœur de l'été, j'ai laissé tomber le gros pavé pas dans la mare mais dans la mer !…
Cindy
Comment ai-je pu passer à côté de ce chef-d'œuvre écrit par une femme géniale, intellectuelle, moderne, amoureuse et libre… Une liberté qui explique l'une des raisons de la naissance de son pseudonyme George Eliot…
Depuis mon adolescence, j'ai toujours aimé Proust, Zola, Flaubert..., cette littérature d'études : humaines, de sociétés, d'histoires.
Enfin, avec Eliot, me voilà re-transportée dans une lecture appliquée, concentrée, au demeurant attachante, avec de longues phrases si belles que l'on voudrait les retenir : avec des mots précieux à dire tout haut : "indociles" à propos de cheveux. "Il s'enflamme comme de l'amadou" (p. 623) ou "essayait de prononcer une courte harangue." (p. 739)
Avec cette construction en chapitres, chacun apportant une dimension philosophique, comme dans "Vieux et jeunes" : "A de nombreux hommes on a fait compliment de leur imagination vigoureuse en vertu de leurs dessins médiocres ou de leurs récits faciles" (p. 663) "mais ce que nous appelons notre désespoir n'est souvent que l'ardeur douloureuse d'un espoir inassouvi" (et p. 905) "un homme sait-il quelle part de sa vie la plus intime est constitué par les pensées qu'il attribue à d'autres hommes sur son compte, jusqu'au jour où ce tissu d'opinions se trouve menacé de destruction".
Tout est écrit dans une tonalité à la fois grave, sérieuse, joyeuse. Et cela à n'importe quelle page ! "Fichaises que tout cela ! Qu'est-ce que ça veut dire acheter une clientèle ? Il aurait aussi bien fait d'acheter les hirondelles de l'année prochaine !" et plus loin "une jeune mariée appelée à rendre visite à un baronnet se doit de posséder quelques mouchoirs de toute première qualité" (p. 478)
J'ai aussi aimé ce livre parce que le cadre géopolitique et historique se situe à une époque intéressante qui donne à tous les personnages surtout les femmes, une profondeur singulière et moderne… L'époque victorienne voit en effet l'émergence d'une émancipation des femmes qui travaillent à des postes dévolues normalement aux hommes. Et les femmes sont au cœur du livre pour décrire (p. 144 et 145) une "société provinciale d'autrefois" et "en fait il se produisit en Angleterre à peu près le même genre de mouvement et de mélange qu'on trouve chez le vieil Hérodote : lui aussi jugea bon de prendre pour point de départ le destin d'une femme". Rosamond "était industrieuse" (p. 238) Dorothea, riche et ambitieuse, en est aussi un exemple.
Les mères de certains personnages-clés du roman tiennent aussi un rôle important auprès des enfants et dans le couple. Comme Lucy Vincy, d'une famille d'industrielle, qui souhaite voir réussir socialement ses enfants. Mais au fil des chapitres, certains personnages apprennent de leurs erreurs et progressent et d'autres déclinent par orgueil ou autres desseins. En effet, c'est un roman à tiroirs, qui décrit magistralement bien cette vie provinciale avec ses intrigues, rebondissements, ses mariages et tragédies avec le Dr Lydgate, à la belle voix "grave et sonore". Formé en France, jamais accepté, il "aurait dû rester chez les Français".
Avec le destin de Rigg Featherstone, qui apporte un tournant dans l'intrigue en apparaissant dans un testament, et Lydgate - encore lui - qui se trompe en recherchant l'épouse parfaite. Et aussi Camden Farebrother, pauvre vicaire, qui obtient la chaire de feu grâce à Dorothea. On s'attendrit avec le bon et généreux régisseur Caleb Garter, à l'opposé de Nicholas Bulstrode, riche banquier au passé douteux…
C'est un livre aussi que l'on peut ouvrir à n'importe quelle page et se délecter.
Quelle singulière description de la laideur qui "a tout comme la beauté ses tentations et ses vices particuliers…portée à feindre l'amabilité, ou (...) à exhiber le mécontentement sous son aspect le plus repoussant" (p. 167)
Entre Lydgate et Laure, des passages dignes de scènes théâtrales nous font rire : "Vous avez fait tout le voyage depuis Paris pour me retrouver ? (…) le regardant avec des yeux qui paraissaient s'étonner comme s'étonne un ruminant non apprivoisé" (p. 220)
La finale d'une profonde analyse en tous points nous offre encore de belles occasions de sourire : "Adam et Eve : s'ils passèrent leur lune de miel au paradis, ils eurent leur premier petit parmi les épines et les chardons du désert. Le mariage reste le début de l'épopée familiale" (p. 1082)
Et ce roman : quelle épopée ! Les pages 624 à 631 sont remarquables et en sont un exemple. Des phrases qui font écho à certaines de nos pensées : "notre bien dépend de la qualité et de l'étendue de notre émotion".
Et quelle sacrée bonne femme ! Proust en était fan, la reine Victoria également. Et moi aussi ! Je poursuivrai.
Marie-Odile
Lisant les premiers chapitres de Middlemarch, je me suis dit "encore des histoires de mariage, d'héritage, d'argent dans l'Angleterre du XIXe siècle !!!..."J'ai refermé le livre et suis allée m'acheter Les Détectives Sauvages de Roberto Bolano !! Grosse déception là aussi pour de toutes autres raisons. Alors je suis revenue à mon devoir de VACances.
J'ai trouvé Middlemarch trop long, beaucoup trop long…, particulièrement au début, avant la mort de Casaubon, et à la fin (que j'ai trouvé interminable lorsque l'étau se referme sur Bulstrode).
On sait, dès la rencontre lors du voyage de noces à Rome, l'attirance Dorothea-Ladislaw. Il me semble que Casaubon est clairvoyant là-dessus alors qu'il faudra 1000 pages à Dorothea avant de vivre son amour...
Je n'ai pas aimé les passages où G. Eliot passe du cas particulier de ses personnages à des généralisations dont ils sont l'illustration. Je n'ai pas aimé les phrases longues et obscures qu'on croirait écrites par Casaubon ou Proust.
J'ai trouvé certains passages superflus comme le vécu de Lydgate en France. D'autres m'ont paru artificiels, tels l'irruption de Raffles qui fait resurgir le passé et réveille la mauvaise conscience de Bulstrode.
Il m'a manqué une sorte de récapitulatif clair de la généalogie de Will Ladislaw.
L'humour très présent m'a souvent laissée indifférente. J'ai noté, au sujet des écrits respectifs de Fred et Mary, la remarque suivante :"il ne servait à rien de louer quelqu'un pour avoir écrit un livre, puisque le travail était toujours fait par quelqu'un d'autre", et je n'ai pas bien su ce que je devais en penser.
J'ai aimé la famille Garth et surtout Caleb, son sérieux, son honnêteté, sa délicatesse, sa générosité, la confiance qu'il fait à Fred...
Cette famille se différencie d'une société figée qui rejette ceux qui viennent de l'étranger et/ou qui sont dans la nécessité de travailler.
J'ai aimé le pittoresque de certaines scènes, les réactions ou le ressenti des personnages (l'attente des testaments de Featherstone, le 1er janvier chez les Vincy et beaucoup d'autres).
Les petites gens et domestiques existent avec leur parler. La scène concernant le projet de chemin de fer ancre le récit dans une époque et ce passage où s'affrontent les inquiétudes et les intérêts des uns et des autres m'a plu.
Bref, mon plaisir de lecture ayant été très inégal, j'ouvre à moitié ce pavé lu en entier.
Edith
Commencé fin juillet et terminé fin août... Livre lourd et à manipuler => besoin de confort.
C'est toujours un marathon que d'accepter de lire ces pavés de l'été. Entrain dès les premières lignes. Je ne lis pas la préface de Woolf ni le prélude. Je suis embarquée !
Ainsi, curieuse de la découverte. J'avais lu l'essai de Mona Ozouf sur Georges Eliot. Je savais cette écrivaine considérée comme écrivain "féministe" : de cette manière, j'ai apprécié découvrir les lignes où elle fait part de ses idées concernant les femmes de son siècle
J'y ai vu une finesse de la psychologie des personnages, analysés dans leurs méandres intimes, comme une voix intérieure accompagnant soit leur conversation, soit leur décision à agir ou non. Mais aussi avec une expression parfois ténue (il faut relire les phrases), confuse parfois aussi.
Je ne suis retournée que rarement aux notes. Je n'ai pas lu les textes au début des chapitres. Georges Eliot connaît ses pairs ! Pas moi !
J'ai suivi les destins de ce monde de Middlemarch. J'ai aimé Dorothea la femme d'action : son aide à l'amélioration des habitats, son désir de construire une œuvre avec son mari résolument libre de ses choix et celui de son union maritale : elle préfère l'amour et le couple à l'argent, stratège délicate envers Rosamond, Lydscate, son mari... J'admire le self control (c'est l'époque ? l'éducation reçue ? raffinement de la conversation héritée de son éducation ?).
Célia sa sœur plus impulsive est presque "moderne" dans ses réactions. Les hommes sont bien les "chefs", plus ou moins acceptés suivant les femmes leurs épouses. Les rapports sont décrits avec finesse, dignes de scènes de théâtre parfois.
Oui, ce roman, du fait de sa longueur, qui m'a rendue contemporaine du petit groupe de cette ville. Je reprenais le livre avec plaisir, mais il m'a fallu trouver de longues plages de lecture (comme au XIXe siècle et la vacance du temps des femmes de cette époque) pour aimer y plonger.
J'ai eu parfois du mal à repérer les liens de famille.
La morale du péché, de la virginité, de la parole donnée, le dévouement (des femmes), sont alliés avec le politique et est légèrement évoquée la question de l'appartenance religieuse, catholique et protestante. Bref malgré quelques longueurs, que je n'ai pas soutées, j'ai passé un très bon moment.
Chantal
Énorme bouquin ! J'en ai lu 400 pages.
Trop long, trop lent... quelle époque ce 19e siècle ! Le temps s'étire... long, lent... en tout cas pour ces gens bien nés qui ne se tuaient pas au travail, dans cette Angleterre du début de l'industrialisation. Notamment pour les femmes de la bourgeoisie qui s'ennuyaient à mourir et pour qui l'écriture était sûrement un moyen de vivre, de survivre. Sans être reconnues comme écrivaines bien sûr.
Pour moi l'écriture d'Eliot est magistrale, quel talent ! La traduction - ne jamais oublier le traducteur (Silvère Monod) - a dû être un sacré challenge.
N'ayant lu que le tiers du livre, je ne connais pas le devenir des personnages ; cependant je suis bluffée par la manière remarquable d'Eliot de mêler, d'entremêler personnages et fonctionnement de la société :
- elle décortique chacun des personnages - c'est une véritable psychanalyse - leurs désirs, leurs souffrances de ne pouvoir les assumer, prisonniers des codes sociaux de la classe à laquelle ils appartiennent, carcan dont ils ne peuvent s'affranchir…
- elle décrit dans le détail le fonctionnement de cette société anglaise du 19e siècle, tout au moins la classe aisée, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas, l'imbrication argent-religion-politique, tout y est ! Et, bien sûr la place des femmes qui doivent "rester à leur place".
La narratrice-auteure n'est jamais dupe, et nous le fait savoir, presque à chaque chapitre, par des réflexions plus "générales", par exemple chapitre 6 : "l'orgueil qui nous aide à cacher nos blessures"…
- elle peut être féroce envers les hommes, par exemple p. 101, pour Casaubon qui anticipe les bienfaits de son mariage avec une jeunette qui s'occupera de ses vieux jours...
- des passages terribles p. 277 et 377, avec le retour du voyage de noces à Rome, un fiasco : "quand on est embarqué dans le voyage conjugal"… ; "Il n'y avait que l'étouffant accablement de l'existence des femmes de la classe supérieure".
Un livre plaidoyer pour les femmes donc.
Je l'ouvre en grand malgré les réserves (longueur, citations trop fréquentes), en grand pour le plaisir "littéraire". Sans l'émotion qui habituellement m'est un plaisir de lecture nécessaire.
Yolaine(avis transmis)
Je n'ai pas encore terminé cette lecture que je trouve passionnante, avec une finesse d'analyse de l'auteure qui constitue pour moi un enchantement intellectuel.


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Repères biographiques
Radio
Vidéo

Articles

Œuvres romanesques
Traducteurs, traductions
Portraits de George Eliot

REPÈRES BIOGRAPHIQUES : quelques dates

- 1819 : Naissance de Mary Anne Evans dans le Warwickshire, la même année que la reine Victoria...
- 1842 : Elle affirme son rejet de la foi chrétienne.
- 1851 : Elle s'installe à Londres pour collaborer à la Westminster Review et prend le nom de Marian Evans.
-1853 : Rencontre George Henry Lewes.
- 1857 : Publication de son premier texte de fiction, Scènes de la vie du clergé, trois nouvelles.
-1860 : Le Moulin sur la Floss. Et l'on sait désormais qui utilise le pseudonyme de George Eliot.
-1871-1872 : Publication en plusieurs livraisons de Middlemarch, salué comme un chef-d'œuvre, même si certains lui reprochent sa noirceur.
- 1878 : Mort de George Henry Lewes.
- 1880 : Épouse John Walter Cross, de 20 ans son cadet.
- 22 décembre : Meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 61 ans.

Dans la chronique "Fières de lettres" en partenariat avec la BnF, on peut lire un parcours rapide illustré : "George Eliot, une femme libre à l’époque victorienne", Alina Cantau, Libération, 1er avril 2022.

Mona Ozouf, qui a beaucoup fait pour ressusciter George Eliot, trace en un texte synthétique son riche parcours ; le voici : "Quelques dates, quelques livres".

Les émissions de radio qui suivent permettent de se plonger dans la complexité du parcours intellectuel et social de George Eliot. Et pour le parcours littéraire, voir aussi ci-dessous la bibliographie détaillée.

RADIO (émissions par ordre chronologique)

- Agnès Jaoui nous lit... Middlemarch, Je déballe ma bibliothèque, par Marie Richeux, 21 avril 2014, 11 min.

- "À la découverte de George Eliot", Répliques, par Alain Finkielkraut, avec Mona Ozouf, 10 novembre 2018, 51 min.

- "À la (re)découverte de George Eliot qui emprunta son prénom d'auteur à son aînée française George Sand", L'Humeur vagabonde, par Kathleen Evin, avec Mona Ozouf, France Inter, 2 février 2019, 37 min

- "George Eliot, notre contemporaine", La Compagnie des œuvres, par Matthieu Garrigou-Lagrange, du 28 au 30 septembre 2020, trois épisodes de 58 min :
›1 "Le Nom de George Eliot" avec Stéphanie Richet-Drouet, maître de conférences en littérature britannique : Comment raconter la biographie d'une écrivaine qui se méfiait des biographes ? D'une écrivaine qui, dans ses romans, racontait d'autres vies que la sienne ? Qui prit le pseudonyme de George Eliot pour faire disparaître la femme, Mary Ann Evans, derrière l'écrivain ?
›2 : "L'âge d'or du roman", avec Alain Jumeau, professeur émérite à la Sorbonne, qui a dirigé l'édition de la Pléiade : l'œuvre de George Eliot nous apparaît aujourd'hui comme le point culminant de la littérature victorienne, la synthèse aboutie du roman de mœurs et du roman psychologique. Elle est annonciatrice, en cela, de tout un pan de notre modernité, d'André Gide à Virginia Woolf, en passant par Proust.
3 : "Les vies minuscules de George Eliot", avec Georges Letissier, professeur émérite : retour sur Middlemarch, roman emblématique de la littérature victorienne, livre-monde qui abrite dans ses pages la vie fourmillante d'une société tout entière. Avec ce livre, George Eliot nous offre sans doute le témoignage le plus riche et le plus complet sur son temps.

- "L'économie selon... George Eliot", avec Alain Jumeau, professeur émérite de littérature et civilisation britanniques du XIXe siècle et Charles-François Mathis, professeur d'histoire contemporaine à l’université Panthéon-Sorbonne, Entendez-vous l'éco, par Tiphaine de Rocquigny, 30 juillet 2022, 52 min.

- Et pour resituer George Eliot dans la littérature anglaise : "Made in England" (Il était une fois le roman : épisode 1/4), LSD, par Kristel Le Pollotec et Nathalie Battus, France Culture, 31 mai 2021, 55 min : de Dickens aux sœurs Brontë, en passant par Jane Austen et George Eliot, c’est l’avènement du roman victorien.

VIDÉOS

Sur George Eliot

- La P'tite librairie : Middlemarch, France 5, François Busnel, 16 septembre 2020, 1 min 47 s
- La Grande librairie : L’autre George de Mona Ozouf, France 5, François Busnel,
13 décembre 2018, 12 min.
- Documentaire anglais A Novel Approach : George Eliot, par Liam Dale, 2008, 24 min : sur youtube ›ici.

Deux mini-séries

- 1994 :
Middlemarch d'Anthony Page, BBC Worlldwide Ltd. 6 h 15 min, une série télévisée en version originale anglaise sous-titrée en français.
Cette série sera projetée pour Voix au chapitre avant la rentrée parisienne du groupe (voir calendrier).
La série a eu un succès considérable en Grande-Bretagne et aux USA entraînant, outre l'afflux de touristes dans la ville de Stamford (dans le Lincolnshire) où les scènes extérieures ont été filmées, le placement en tête des listes de best-sellers pour des semaines de l'édition de poche Penguin du roman. Des conférences, des débats, sur le roman ont proliféré, aussi bien que des questions de fond, comme : Will Ladislaw était-il vierge ? (Voir "Middlemarch Braves Atlantic Crossing", Elizabeth Kolbert, New York Times, 28 mars 1994).

- 2017 : Middlemarch est adapté en websérie de 36 épisodes par Rebecca Shoptaw, une étudiante américaine à l’université de Yale (Connecticut), diffusée sur YouTube.
L’héroïne, Dorothea Brooke, s’appelle désormais Dot Brooke. Elle n’est plus une provinciale amoureuse, mais une jeune femme afro-américaine en seconde année à l’université, dans une ville fictive du Connecticut, Middlemarch. Principal trait de caractère qu’elle partage avec le personnage d’origine : être obsédée par les livres et avoir une haute idée de ce que doit être l’existence.

Les personnages parlent face caméra, souvent dans une chambre et parfois dans la cuisine d’une pizzeria. Dans la série, l’héroïne est elle-même en train de travailler sur un projet vidéo pour documenter sa vie : "J’ai l’impression que, si nous pouvions regarder et comprendre comment nous sommes maintenant, cela nous permettra de décider ce que nous voulons faire plus tard." Les personnages évoquent donc régulièrement la présence de la caméra, hésitant parfois à parler en sa présence. L’auteure du projet a également choisi de changer l’identité sexuelle des personnages : ainsi James Chettam, le riche propriétaire à qui Dorothea Brooke est promise dans le roman, est devenu Jamie, interprétée par une jeune actrice aux cheveux cachés sous un bonnet.

Dans The New Yorker, la journaliste Rebecca Mead, auteure d’un livre sur Middlemarch, évoque l’importance du dispositif face caméra dans l’adaptation : "L’utilisation de la caméra offre à la réalisatrice l’occasion de confessions intimes, un substitut habile aux techniques narratives de George Eliot pour décrire la vie intérieure de ses personnages."
La réalisatrice évoque l’originalité de Middlemarch, qui permettait, selon elle, ces changements : à la différence de la plupart des romans victoriens, Middlemarch dépeint des "relations plus saines, dans lesquelles il n’y a pas cette dynamique de domination entre hommes et femmes qui définit en général les relations dans le roman classique".
(Voir "Le roman Middlemarch de George Eliot adapté en websérie", Violaine Morin, Le Monde, 19 juillet 2017)

ARTICLES

Sur Middlemarch

- "Le classique qui éclaire l'actualité : le plus intelligent des romans d’amour : Middlemarch, de George Eliot", Jean-Philippe Domecq, Marianne, 2020.

L’intelligence fait le charme érotique de bien des femmes et hommes ; sauf qu’ici la libido sciendi se retrouve tout entière dans le vif esprit de la jeune femme qui, une fois que le mariage a consommé ses illusions, va faire le tour du Casaubon. C’est un régal narratif de lire comment Dorothea découvre peu à peu que, sur le terrain de recherches que son époux creuse depuis des lustres, elle voit ce qu’il ne voit toujours pas… En un mot : le barbon n’était qu’abscons, et l’adjectif sonne pile. Terminé. Vous verrez comment la colère morale aura raison du mariage.

- "Middlemarch et les aménagements du présent", in L’autre George : à la rencontre de George Eliot, Gallimard, 2018 ; Folio, 2020 : ce texte est repris en Pléiade.

Les lecteurs de Middlemarch ont souvent trouvé le roman, et son finale en particulier, bien démoralisant. [...] Mais c’est mal le lire, et pour bien des raisons. D’abord... suite ›ici

- "Une conservatrice progressiste : George Eliot et Middlemarch", Mona Ozouf, revue Critique, n° 831, éd. de Minuit, 2016, p. 749-766.

La tension que tout le livre installe entre l'attachement au passé et la vision du futur est donc résolue dans la personne de Will, philosophe libéral du bonheur individuel, et figure moins légère qu'on n'a dit. Le roman ne montre aucune tendresse pour l'idée du changement révolutionnaire, en dépit du coup de chapeau donné - par Brooke il est vrai, coutumier des propos irresponsables - aux Français, "qui vont plus vite que nous", et qui viennent (on est en 1830) de faire une révolution de plus. Mais dans l'étoffe drue et tissée serré, quasi immémoriale, de Middlemarch, dans la longue sédimentation des usages et des attachements, l'idée de table rase paraît proprement extravagante, comme le serait celle d'homme nouveau et de bouleversement radical. L'espoir d'améliorer la société, toutefois, n'a nullement disparu. La dimension sacrale du temps est toujours l'avenir. C'est lui qui s'incarne dans les figures majeures du livre, c'est lui qui retient d'interpréter Middlemarch comme un roman déprimant. Quant à la romancière, elle incarne un type humain que les Français ont le plus grand mal à admirer et même, à concevoir : une conservatrice progressiste

- "Les médecins et la médecine dans Middlemarch", Marie-Claire Hamard, in Littérature et médecine, Presses universitaires de Franche-Comté, 2000, p. 151-169. Nous avons plusieurs médecins dans le groupe Voix au chapitre qui vont pouvoir concilier intérêts littéraire et médical...
George Eliot avait un beau-frère médecin, connaissait des médecins, mais elle ne s'est pas contentée de cela pour le personnage si important dans le roman, Lydgate.

Historiquement, la présentation est impeccable. G. Eliot a une excellente connaissance de son sujet : dans ses carnets préparatoires à la rédaction de Middlemarch, publiés sous le titre Quarry for Middlemarch - cette carrière dont elle tire ses matériaux - on voit qu'elle a lu énormément sur la médecine à cette période. Elle a dépouillé tous les numéros du périodique médical le plus célèbre de Grande-Bretagne, l'hebdomadaire du médecin intitulé The Lancet, que le docteur Wakley fit paraître pour la première fois en 1823. Lorsqu'elle donne la parole aux médecins de Middlemarch pour démontrer leur opposition aux idées modernes, elle leur fait attaquer nommément The Lancet et son directeur. [...]

C'est dans les pages de
The Lancet que G. Eliot trouve les détails concernant le charlatan St John Long avec lequel on veut confondre Lydgate à cause des premiers succès de ses méthodes révolutionnaires. Elle y trouve aussi des échos des activités des grands médecins parisiens.
Mais elle va également aux sources directes et vous avez dans
Quarry des citations de Raspail (Lydgate voyant qu'il n'a plus le temps d'étudier songe un moment que Raspail pourrait réussir avant lui à résoudre l'énigme du tissu primitif) ; il y a de même des passages tirés d'auteurs allemands. Le résumé sur Bichat est tiré d'un ouvrage d'Huxley, etc. La Grande-Bretagne possède un Institut d'Histoire de la Médecine, l'Institut Wellcome, qui publie énormément, depuis près d'un siècle. Or ses critiques s'accordent pour donner à G. Eliot un satisfécit complet pour son exactitude historique.
L'assurance avec laquelle la romancière traite de tous les domaines scientifiques qu'elle aborde dans ce roman se manifeste dans de nombreux passages de narration. Le discours narratif a d'ailleurs paru aux premiers lecteurs excessivement intellectuel, avec ses références fréquentes aux sciences humaines (psychologie, sociologie et histoire) aussi bien qu'aux sciences "dures" (physique, chimie et biologie). Son narrateur semble littéralement "omniscient" ; mais en fait il invite le lecteur à la réflexion, à l'ouverture aux autres et au retour sur soi.
George Eliot présente à son lecteur, comme elle l'a dit dans une lettre, des "expériences sur la vie" et elle qualifie ici l'histoire d'"expériences du Temps" ; pour elle le rôle de l'artiste est "d'élargir le champ de nos sympathies". Elle conduit ses expériences selon la méthode expérimentale, celle de Claude Bernard ; partant d'une hypothèse, elle en fait l'épreuve, la teste, puis reformule son hypothèse pour arriver à une théorie provisoire.

Sur George Eliot

- "Genre et lectorat : le cas de George Eliot", Leah Price, Nouvelles Questions Féministes, n° 2, 2003, p. 28-41 : Leah Price montre concrètement comment l'image de pédante a été déterminée en partie par des choix éditoriaux du vivant de George Eliot. Elle raconte que George Henry Lewes, compagnon de George Eliot, regrette que son cinquième roman Felix Holt ne soit pas publié au moment de l'effervescence des discussions concernant réforme électorale, car "il fournirait tant de bons mots à citer aux membres du Parlement" et Leah Price ajoute :

L'absence de ces extraits des archives du Parlement a été par la suite plus que compensée par la profusion avec laquelle ils apparurent en d'autres endroits. Avant la mort d'Eliot, des citations tirées de son œuvre aboutirent non seulement dans des débats parlementaires, mais aussi dans une anthologie, sur un calendrier, dans des manuels scolaires, dans une épreuve d'examen à l'usage des officiers de l'armée, dans un sermon, dans un exemplaire personnel du Nouveau Testament annoté par une lectrice, dans diverses lettres, et (comme épigraphes) en tête d'un traité socialiste et d'une version abrégée de la Vie de Johnson de James Boswell. Dans les années qui suivirent la disparition de l'autrice, des extraits de l'œuvre furent utilisés dans un tract sioniste, fournirent des titres et devises de chapitre à un roman (au moins) et apparurent dans toutes sortes d'anthologies - des carnets de poche aux albums à laisser bien en vue sur la table à côté du sofa.

L'année où parut Middlemarch, sa maison d'édition fit aussi paraître un volume plus léger de Wise, Witty and Tender Sayings in Prose and Verse Selected from the Works of George Eliot (Sélection de maximes sages, spirituelles et tendres en prose et en vers tirées des oeuvres de George Eliot), compilation rassemblée par Alexander Main. En 1878, à Noël, au moment des étrennes, l'éditeur des Sayings collationna une autre série de citations pour le George Eliot Birthday Book (le Carnet d'anniversaires de George Eliot), un agenda orné d'une "pensée" de George Eliot pour chaque jour de l'année.

- "George Eliot, écrivain engagé ?", Stéphanie Drouet-Richet, in L'engagement dans les romans féminins de la Grande-Bretagne des XVIIIe et XIXe siècles, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 153-162 :

Dans sa vie comme dans son œuvre, l’engagement de George Eliot apparaît pétri de contradictions et d’ambiguïtés, de doutes et de tensions apparemment difficilement réconciliables. Entre audace et conservatisme, son engagement revêt alors une forme moins concrète que morale, universelle, éthique et esthétique, visant à dépasser ses contradictions internes et celles de son siècle.

- "George Eliot, cartographe des vies ordinaires (1819-1880)", Maria Tang, Sciences humaines, "Les grandes penseuses", n° 71, juin-juillet-août, 2023 : une courte présentation dans ce magazine grand public (contrairement aux articles précédents...).

En Grande-Bretagne, suite à une série de réformes parlementaires entre 1832 et 1867, des pans entiers de la société accèdent à la représentation politique, notamment les communautés rurales et la classe ouvrière des petites villes de province. Les romans de George Eliot (née Mary Ann Evans, 1819-1880) s’attachent à cartographier le vécu quotidien de ce nouvel électorat, jusque-là peu étudié et sous-représenté dans la littérature de l’époque. La démarche est celle d’une sociologue qui pose un diagnostic sur un monde en mutation. Elle s’intéresse également à sonder les recoins intérieurs de la conscience humaine.

Décriée à la fin du 19e siècle pour un moralisme perçu comme austère, George Eliot peut être considérée aujourd'hui comme une des précurseuses de l'actuelle éthique du care, grâce à l'accent qu'elle met sur l'interdépendance des êtres humains et leurs interactions avec l'environnement. Elle est une des premières écrivaines à adopter le lexique et les théories darwiniennes. Elle conçoit la société comme un réseau d'éléments interconnectés, qui s'influencent mutuellement pour apporter des changements et évoluer lentement.

Trois écrivains, trois préfaces

- "George Eliot", Virginia Woolf, The Times Literary Supplement, 20 novembre, 1919 ; repris dans le recueil d'articles et essais The Common Reader, 1925. L'édition la plus récente de Middlemarch a pour préface cet article de Virginia Woolf en français ›ici. Elle n'a qu'un paragraphe où s'exprime une réserve :

Elle laisse ses héroïnes parler trop longuement. Elle connaît peu de bonheurs verbaux. Il lui manque le bon goût infaillible qui fait choix d'une phrase pour y condenser le cœur de la scène. "Avec qui allez-vous danser ?" demanda M. Knightley, au bal des Weston. "Avec vous, si vous m'invitez", répondit Emma ; elle en a assez dit. Mme Casaubon aurait parlé pendant une heure, et nous aurions regardé par la fenêtre.

L'auteure, pour Virginia Woolf :

L'issue fut triomphale pour elle, quel qu'ait pu être le destin de ses créatures ; et quand nous nous rappelons tout ce qu'elle a osé, tout ce qu'elle a accompli, la façon dont, malgré tous les obstacles qui jouaient contre elle (le sexe, la santé, les conventions), elle a cherché toujours plus de savoir, toujours plus de liberté jusqu'au jour où le corps, accablé par son double fardeau, s'effondra, épuisé, nous devons poser sur sa tombe toutes les brassées de lauriers et de roses que nous possédons.

L'effet sur soi des livres Scènes de la vie du clergé, Adam Bede, Le Moulin sur la Floss :

Le flot de souvenirs et d'humour qu'elle déverse avec tant de spontanéité sur personnage après personnage, scène après scène, jusqu'à ce que revive toute la structure de l'ancienne Angleterre rurale, ressemble tellement à un processus naturel que le sentiment qu'il y ait quelque chose à critiquer disparaît presque complètement. Nous acceptons ; nous éprouvons les sensations délectables de chaleur et de libération de l'esprit que seuls nous procurent les grands écrivains créatifs. Quand on revient à ces livres après plusieurs années d'absence, ils répandent, même contre notre attente, les mêmes réserves d'énergie et de chaleur, si bien que nous éprouvons par-dessus tout l'envie de paresser dans cette chaleur comme sous le soleil qui tombe du mur rougeoyant du verger.

Les facultés de l'auteure :

elles atteignent leur zénith dans la maturité de Middlemarch, ce livre magnifique.

Le roman Silas Marner donne lieu à deux préfaces d'écrivains français, vraiment différentes :
- préface de Jean-Louis Curtis à
Silas Marner, trad. Pierre Leyris, préface de Jean-Louis Curtis, Gallimard, 1980. Le nouveau roman laisse alors des traces :

L'art avec lequel George Eliot anime cette histoire, c'est celui des romanciers d'hier, je veux dire : du temps où les romanciers croyaient au roman, en ses vertus, en sa magie, et n'avaient pas honte d'y croire. Les professeurs et les intellectuels d'aujourd'hui ont changé tout cela. Ils ont instauré "l'ère du soupçon". Terrorisés par l'arrogance de quelques pontifes universitaires ou de quelques littérateurs philosophes, les romanciers d'aujourd'hui n'osent plus jouer le jeu ; peut-être faut-il dire aussi qu'ils ne savent plus le jouer. Le secret a été perdu.

Mais son caractère intellectuel - Curtis la rapproche de Simone de Beauvoir - devient un défaut :

Le danger de l’intellectualisme et de l’engagement politique, pour un romancier, c’est le moralisme, c’est-à-dire le prêchi-prêcha. Il faut être "moraliste" au sens de : observateur et critique des mœurs, pas au sens de : dispensateur de leçons morales. Quand on veut à tout prix apporter les lumières de la raison et du progrès, quand on veut édifier ou convaincre, on lâche la proie de la fiction pour l’ombre de la prédication. Le roman s’évanouit aussitôt sous nos yeux. Un romancier ne doit pas chercher à enseigner, il doit se borner à montrer. Il ne doit pas être édifiant, il doit se contenter (c’est beaucoup plus difficile) de séduire.

- 20 ans plus tard, la préface de Marie Darrieussecq (trad. Pierre Leyris révisée par Alain Jumeau, Folio classique, 2023) est d'une approche bien différente :

Ce sombre réalisme de la vie quotidienne est aussi un réalisme de la santé mentale : dans ces Midllands aux faux airs féeriques, on n'est pas très loin de la Salpêtrière et des débuts de la psychiatrie. Silas Marner est dit "cataleptique". Charcot aurait pu le traiter pour hystérie, mais on n'est pas à Paris, et Silas n'est pas une femme. Sinon, tout y est : Silas plonge dans des amnésies "où son âme se détache de son corps", et il appelle ce phénomène une "transe".

Silas Marner est en cela un roman pré-freudien, où les hommes sont agis par leurs pulsions et leur inconscient...

Mais à force de se tenir bien, la plus vertueuse d'entre toutes, la pure Nancy, a développé ce qu'on appellerait aujourd'hui des TOCS, des troubles obsessionnels du comportement. Eliot les décrit avec une grande acuité : dans sa tête comme dans son logis.

ŒUVRES ROMANESQUES

Les œuvres en anglais se trouvent sur gutenberg.org.
Les dates en rouge ci-dessous concernent les publications en anglais, listées en ordre chronologique (en rouge en anglais, en noir en français).


- 1857 : Scènes de la vie du clergé, trois nouvelles
Une seule traduction existe, celle de François d'Albert-Durade, de 1884 en deux volumes : Scènes de la vie ecclésiastique, Mary Ann EVANS (dit) George Eliot, Genève & Paris, A. Cherbuliez & G. Fischbacher, 1884 ("Tribulations du révérend A.Baron et "Roman de M. Gilfil") ; Scènes de la vie du clergé, Hachette, 1886 ("La Conversion de Jeanne", en ligne sur Gallica) ; trad. revue et postface par Jean Gattégno, Christian Bourgois, 1981 ; rééd. Ombres, 2001 ("Les Tribulations du révérend Amos Barton", "Le Roman d'amour de Mr. Gilfil", "La Repentance de Janet").

- 1859 : Adam Bede, premier roman publié quand George Eliot a 38 ans, est immédiatement apprécié pour son réalisme et sa description de la vie rurale. La reine Victoria elle-même, fut conquise par sa lecture : on rapporte qu'elle passa commande de deux tableaux illustrant certaines scènes.
Adam Bede, trad. François d'Albert-Durade, E. Dentu, 1861 (en ligne sur Gallica et sur Wikisource), Hachette-Bnf tome 1, tome 2 ; trad. revue et préface Dominique Jean, Julliard, 1991 ; Archipoche, 2022.

- 1859 : "The Lifted Veil", novella publiée anonymement dans Blackwood's Magazine, republié en 1879.
"Le voile soulevé", traduction anonyme, La Revue des deux mondes, 15 septembre 1880 (en ligne sur Gallica) ; trad. Marie Canavaggia (traductrice qui fut pendant 25 ans la secrétaire littéraire de Céline), La Revue de Paris, février et mars 1968 ; trad. Alice Artaud revue par Chantal Tanet, éd. Ombres, 1989, postface de Marianne Tomi ; rééd. 1998.

- 1860 : Le Moulin sur la Floss
La Famille Tulliver ou le moulin sur la Floss, trad. François d'Albert-Durade, 2 vol., E. Dentu et H. Georg, 1863 ; Le moulin sur la Floss, rééd. Hachette, 1887, puis réimprimée 9 fois (en 1892, 1894, 1897, 1900, 1904, 1906, 1908, 1912, 1922, en ligne sur Gallica) ; Le moulin sur la Floss (version abrégée), trad. Mme E. Roucher, ill. Janie Cam, Lyon, E. Vinay, 1949 ; Le moulin sur la Floss, trad. Lucienne Moulitor, Gérard et Cie, Verviers en Belgique, coll. Marabout Géant, 1957 (voir bandeau "Le Jalna du XIXe siècle") ; Le Moulin sur la Floss (version abrégée), trad. Jean Muray, ill. Albert Chazelle, Hachette, 1957 ; Le Moulin sur la Floss, trad. Lucienne Moulitor, rééd. Archipoche, 2020 ; Le Moulin sur la Floss, édition et trad. Alain Jumeau, Folio classique, 2003.

De nombreuses adaptations à l'écran.

- 1861 : Silas Marner
Silas Marner : le tisserand de Ravelœ, trad. François d'Albert-Durade, Genève, H. Georg, 1863 ; ; rééd. Fischbacher, 1881 ; trad. Mme Maisonrouge, Firmin-Didot, 1885 ; trad. Auguste Malfroy, Hachette, 1889, rééd. 1890, 1896, 1899, 1903, 1905, 1913 (en ligne sur Wikisource) ; trad. Léon Morel, Delagrave, 1896 ; trad. A. Canaux, Mame, 1934 ; trad. Marguerite Faguer, 1950 ; trad. Joseph Vilar, Club bibliophile, 1954 ; ; trad. Pierre Leyris, Gallimard, 1966 ; rééd. avec préface de Jean-Louis Curtis, Folio classique, 1980 ; trad. Auguste Malfroy revue et préfacée par Isabelle Vieville Degeorges, Archipoche, 2013 ; trad. Pierre Leyris révisée par Alain Jumeau, préface de Marie Darrieussecq, Folio classique, 2023.

De nombreuses adaptations à l'écran.

- 1862-1863 : Romola en feuilleton
Romola ou Florence et Savonarole, trad. François d’Albert-Durade, Sandoz et Fishbacher, 1878 ; rééd. 2 volumes, Hachette, 1887 (en ligne sur Gallica), Hachette-BNF.

- 1866 : Félix Holt le radial
Felix Holt, le radical, édition et trad. Alain Jumeau, préface de Mona Ozouf, Folio, 2021.

- 1871-1872 : Middlemarch, d'abord publié en feuilleton, puis en 8 volumes :

- Middlemarch, trad. M.-J.M., éd. Calmann-Levy, 2 vol., 1890 (en ligne sur Gallica ou sur Wikisource)
- Middlemarch, trad. Albine Loisy, éd. Plon, 1951 ; rééd. Christian Bourgois, 1981 (en même temps que la publication de
Scènes de la vie du clergé)

- Middlemarch, trad. Lucienne Molitor, Gérard et Cie, Verviers en Belgique, coll. Marabout Géant, 1953 (voir le bandeau de François Mauriac : "La George Eliot de Middlemarch exerce sur moi une influence, un attrait profonds.")
19531965
- Middlemarch, Presses de la Cité, coll. Omnibus, 1995 : ce volume de plus de 1277 pages comporte trois romans (Middlemarch trad. Albine Loisy, Adam Bede trad. François d'Albert-Durade, Silas Marner, trad. Joseph Vilar).
Mona Ozouf réagit lors de la publication de ce volume : "Omnibus réédite trois romans de George Eliot. Au fil du temps", Le Nouvel Observateur, 13 avril 1995.
- Middlemarch, édition et trad. Sylvère Monod, préface de Virginia Woolf, Folio classique, 2005.

- Middlemarch précédé de Le moulin sur la Floss, trad. Sylvère Monod, édition et trad. du Moulin d'Alain Jumeau, préface de Nancy Henry et George Levine, avec deux essais de Mona Ozouf, La Pléiade, 2020

- 1874-1876 : Daniel Deronda
Daniel Deronda, trad. Ernest David, Calmann-Lévy, 1881 (en ligne sur Wikisource) ; trad. et édition Alain Jumeau, Folio classique, Tome 1, Tome 2, 2010.

TRADUCTEURS, TRADUCTIONS

Les traducteurs de George Eliot constituent une galerie de personnages :
- d'abord l'ami suisse de George Eliot, François, F. ou A.F. d'Albert-Durade (1804-1886), peintre qui fit son portrait et fut le
premier traducteur français de ses romans. Elle l’avait connu lors de son premier séjour hors d'Angleterre après la mort de son père ; elle avait alors été hébergée chez les D’Albert-Durade à Genève. Lorsqu’une Suissesse écrit à George Eliot en 1860 pour lui proposer de traduire son premier roman Adam Bede, elle demande à F. D’Albert-Durade ce qu’il pense de cette femme. Il la déconseille fortement et propose à son amie de faire lui-même la traduction de ce premier roman, ce qu’elle accepte avec plaisir, sans lui faire payer de droits de traduction :

Il traduira en tout 5 de ses livres de son vivant : Scènes de la vie ecclésiastique, Adam Bede, Le Moulin sur la Floss, Silas Marner, Romola.
Ses traductions sont plutôt fidèles, c’est-à-dire qu’il ne se permet pas de couper... ce qui n'est pas le cas d'autres traducteurs de l'époque.

- Marie Canavaggia fit une nouvelle traduction du conte fantastique "Le voile soulevé" : traductrice, elle fut pendant 25 ans la secrétaire littéraire de Céline (!)et ne traduisit que ce court texte d'Eliot.
- Pierre Leyris, traducteur et éditeur important, traduisit Silas Marner.
- Alain Jumeau, spécialiste de la civilisation victorienne, a consacré sa thèse à George Eliot en 1987 : il a traduit Le Moulin sur la Floss et récemment le seul roman qui n'avait pas été traduit Felix Holt, le radical, a dirigé l'édition de la Pléiade, revu des traductions.

Pour ce qui est des traducteurs de Middlemarch
- Le premier, en 1890, fut le mystérieux M.-J.M., dont on ne sait qui il est, ni même s'il est un homme ou une femme.
- Traductrice professionnelle, Lucienne Molitor qui a traduit les deux grands romans Middlemarch et Le Moulin sur la Floss, est connue pour la première traduction intégrale du roman Dracula de Bram Stoker.
- Traductrice aussi, Albine Loisy était la femme de l'écrivain Jean Loisy.
- Traducteur et spécialiste de littérature anglaise, Sylvère Monod est le neveu du savant et explorateur Théodore Monod. C'est sa traduction la plus récente que nous lisons.

D'autres traducteurs encore, dont on ne sait comment ils en sont venus à traduire George Eliot : Joseph Vilar, Auguste Malfroy, A. Canaux, sans parler de Mme Maisonrouge...

La traduction de Middlemarch

Un article intéressant est consacré à la traduction de Middlemarch : "Roman, digressions et traduction. Middlemarch en français", Savoyane Henri-Lepage, revue TTR (Traduction, terminologie, rédaction), Québec, vol. 19, n° 1, 1er semestre 2006. De la même auteure, dans la même revue : "Traduction et réception d’une auteure victorienne en France" : le cas de George Eliot, vol. 16, n° 2, 2003.

Lorsque George Eliot publie Middlemarch en 1872, son traducteur attitré a cessé de traduire les romans de son amie (il a traduit Scènes de la vie ecclésiastique publié en Angleterre en 1858, Adam Bede en 1859, Le Moulin sur la Floss en 1860, Silas Marner en 1861, Romola en 1863) : Middlemarch sombre dans l’oubli en France et demeure non traduit pendant près de deux décennies. Il s’agit là du plus long délai de traduction (vers le français) de toute son œuvre romanesque. Middlemarch est donc publié en français pour la première fois en 1890 chez Calmann-Lévy à Paris, c’est-à-dire 18 ans après sa publication en Angleterre et 10 ans après la mort de la romancière, dans une traduction signée M.-J.M.
Le traducteur (ou traductrice) a opéré de nombreuses coupures dans le texte de départ : ici une phrase, là un paragraphe, parfois une page entière, sans l’annoncer dans une préface ou note. Ces omissions ne sont pas aléatoires et visent principalement la caractéristique "dérangeante" des romans d’Eliot : les digressions. La stratégie de traduction consisterait-elle à faire de Middlemarch un roman aimé des lecteurs français ? Elle n'a pas réussi si on en juge par le faible succès de sa traduction, qui n’a connu qu’un seul tirage.

Donnons un exemple de supprression au début du roman, dans la description de Dorothea. Sont mis en regard le texte anglais avec la dernière traduction et celle datant de 115 ans : intéressant, le passage supprimé !

Texte de 1872 Traduction de 2005 de Sylvère Monod Traduction de 1890 de M.-J.M.
A young lady of some birth and fortune, who knelt suddenly down on a brick floor by the side of a sick laborer and prayed fervidly as if she thought herself living in the time of the Apostles-who had strange whims of fasting like a Papist, and of sitting up at night to read old theological books! Une jeune personne non dépourvue de naissance et de fortune, qui s’agenouillait tout à coup sur un sol de brique au chevet d’un journalier malade pour prier avec autant de ferveur que si elle se croyait au temps des Apôtres — qui avait d’étranges luhies comme de jeûner à la façon d’une papiste, ou de veiller tard la nuit pour lire de vieux livres de théologie ! Une jeune femme riche et de bonne naissance qu'on voyait s'agenouiller tout à coup sur le carreau auprès d'un paysan malade et prier avec une ferveur digne du temps des Apôtres, - à qui il prenait parfois d'étranges fantaisies de jeûner comme une papiste ou de se lever la nuit pour étudier de vieux livres de théologie !
Such a wife might awaken you some fine morning with a new scheme for the application of her income which would interfere with political economy and the keeping of saddle-horses: a man would naturally think twice before he risked himself in such fellowship.
Une épouse de ce genre risquait de vous réveiller un beau matin, armée d’un nouveau projet d’emploi de son revenu qui contrecarrerait l’économie politique et l’entretien des chevaux de selle: un homme réfléchirait naturellement plutôt deux fois qu’une avant de se risquer en pareille compagnie.
une telle femme était bien capable de vous réveiller un beau matin pour vous proposer un nouveau placement de son revenu peu d'accord avec l'économie politique et l'entretien de chevaux de selle ! Il était bien naturel qu'un homme réfléchît à deux fois avant de prendre une telle compagne !
Women were expected to have weak opinions; but the great safeguard of society and of domestic life was, that opinions were not acted on. Sane people did what their neighbors did, so that if any lunatics were at large, one might know and avoid them. On attendait des femmes qu’elles eussent des opinions modérées ; mais la meilleure sauvegarde de la société et de la vie domestique, c’était le fait qu'on n’agissait pas conformément à ses opinions. Les gens sains d’esprit faisaient comme leurs voisins, si bien que s’il y avait des déments en liberté, on pouvait les identifier et les éviter.
(suppression)

La traduction de M.-J.M. est la seule proposée aux lecteurs français de 1890 à 1951, année où Albine Loisy publie une nouvelle traduction chez Plon. Lucienne Molitor la suit de près en 1953.
Jusqu'en 2005, moment de la publication d’une nouvelle traduction par Sylvère Monod chez Gallimard, il était difficile de se procurer une traduction française de Middlemarch : le livre était indisponible.

Jean Gattégno, dans les années 1980, avait tenté, sous l’égide de Christian Bourgois, une édition de ses Œuvres complètes, restée interrompue : furent juste publiés Scènes de la vie du clergé et Middlemarch en 1981 ; Gattégno, faute d’argent, s’était contenté de reprendre les traductions d’origine, un peu vieillies. Viviane Forrester dont nous avions lu jadis L'horreur économique réagit à ces deux publications : "Retour de George Eliot : une romancière qui "fascinait" Virginia Woolf", Le Monde, 16 octobre 1981 :

DÉLECTABLE, oui, délectable la lecture de ces vrais livres, épais, où l'on prend le temps de suivre, révélés au plus près, ce que l'on osait encore appeler les "caractères" de "personnages" et leur "psychologie". Dans Middlemarch, le dernier roman de George Eliot et, sans conteste, son chef-d'œuvre, où foisonnent les éléments d'une quantité de nouvelles, comme dans son premier volume publié : Scènes de la vie du clergé, où trois longues nouvelles ont chacune la densité d'un roman, George Eliot use de ce sens de l'observation allègre et féroce, tempéré par la tolérance ironique si particulière aux Anglo-Saxons. L'intelligence aiguë qui va de pair avec une sensibilité poignante, dénonce tout le "semblant" si à la mode aujourd'hui. Au point que cet auteur - dont Virginia Woolf écrivait : "Elle me fascine" - atteint à un travail de visionnaire à travers le réseau de récits tranquilles qui restituent la vie dans sa fraîcheur et ses troubles. Van Gogh saluait en elle un des "maîtres de la civilisation moderne" ; il aimait tellement les Scènes de la vie du clergé qu'il l'offrit en cadeau d'anniversaire à son père, pasteur. Et, puisqu'il est question des admirateurs d'Eliot, rappelons-nous Marcel Proust écrivant à son ami Edouard Rod son admiration pour la romancière anglaise, qui sait si bien montrer "les individus au sein des générations comme le flux et le reflux dans la marée plus lente qu'eux, mais aussi sûre, plus vaste et au fond identique."

Le Bulletin officiel de l'éducation nationale fait entrer Georges Eliot au programme du CAPES et de l'agrégation d'anglais en 2003 avec Le Moulin sur la Floss...
Remarquons que les romans ont tous été republiés à partir de 2003 par Gallimard. Le seul roman de George Eliot publié chez Gallimard bien avant, en 1967, est Silas Marner, son roman le plus court, dans une traduction de Pierre Leyris. Marie Darrieussecq, plus de 50 ans plus tard, écrira dans sa préface à ce livre :

Certains lecteurs trouvent que pour entrer dans l'œuvre de Proust, le livre le plus accueillant, ou le moins intimidant, est Albertine disparue. Silas Marner joue certainement ce rôle dans l'œuvre de George Eliot. Ce court volume, comparé aux romans-fleuves que sont Le Moulin sur la FIoss, Middlemarch ou Daniel Deronda, condense en effet tout son art.

Middlemarch entre au programme de l'agrégation d'anglais en 2020 et 2021. Des ouvrages sont consacrés à Middelmarch spécifiquement pour la préparation du concours : éd. Ellipsed, 2019, éd. Atlande 2020 :


Des thèses parallèles aux traductions

- 1988 : La technique romanesque de George Eliot dans "Adam Bede" et "The Mill on the floss", par Daniel René Akendengue
- 1987 : George Eliot, ses personnages et son lecteur : genèse d'une fiction (1857-1861), par Alain Jumeau, sous la direction de Sylvère Monod, traducteur de Middlemarch
- 1988 : L'illusion dans l'oeuvre de George Eliot de 1857 à 1861 : oeuvres étudiées : "Scenes of clerical life" (1857-8) ; "Adam bede" (1859) ; "The mill on The floss" (1860) ; "Silas Marner, the weaver of raveloe" (1861), par Benoit Masso
- 1996 : Le temps dans les romans de George Eliot, par Marielle Seichepine, sous la direction d'Alain Jumeau,par la suite traducteur de deux romans de George Eliot et responsable de l'édition de La Pléiade
- 1999 : La stratégie de l'indirection dans l'oeuvre romanesque de "George Eliot", par Sylvie Jougan
- 2000 : Les marges du regard dans la fiction eliotienne, par Stéphanie Richet-Drouet
- 2001 : Mise en scène de l'acte et morale depersonne dans les romans de George Eliot, par Leila Boulerial
- 2020 : La notion de bien-être physique et moral : relation et interaction dans l’œuvre de George Eliot, par Marie-Madeleine Ayang Ondo.

Des livres grand public concomitants des dernières traductions

-
L’autre George : à la rencontre de George Eliot, Gallimard, 2018 ; Folio, 2020.

- Une passion pour George Eliot, Kathy O’Shaughnessy, trad. Pierre Guglielmina, éd. de Fallois, 2020 : ce roman donne à lire de nombreux passages de sa correspondance et de son journal.

PORTRAITS de George Eliot

Ils sont tous à la National Gallery, et en tout premier lieu, celui réalisé par son traducteur, François d'Albert-Durade, en 1850 :

Caroline Bray, 1842

London Stereoscopic
& Photographic Company
,1858


Et pour les fans :

- La George Eliot Fellowship : georgeeliot.org/ et sa page facebook
- Une revue spécialisée : georgeeliotreview.org/
- La maison-musée : https://www.georgeeliot.org/visitor-centre
- Pour accoucher en super fan, bienvenue à la maternité George Eliot
- Moins radical : commandez votre pin's Middlemarch ›ici


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