|
La première traduction mystérieuse
:
un échange de courriels avec la Bibliothèque russe et
slave
Cette bibliothèque
en ligne est ainsi présentée : "La Bibliothèque
russe et slave, crée en 2010 par X. Mottez à loccasion
de lannée France-Russie, sest donné pour mission
de faire connaître du public francophone la richesse de la littérature
russe classique et de lensemble des littératures slaves,
en mettant à sa disposition des traductions du domaine public."
Une possibilité de contact
électronique y figure.
Question de Claire Boniface à
la Bibliothèque russe et slave
Objet : Question sur une traduction publiée par votre bibliothèque
Bonjour,
Je me permets de m'adresser à vous à propos de la traduction
de Pères et enfants de Tourguéniev :
https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Tourgueniev%20-%20Peres%20et%20enfants.pdf
Cette traduction est anonyme, mentionne, entre autres, Françoise
Flamant, traductrice et éditrice de la Pléiade.
Les traducteurs de cette uvre ont été ensuite : Robert
Rodov, Marc Semenoff, puis Françoise Flamant.
Puisqu'on ne connait pas le traducteur, je m'étonne que figurent
les noms de Tourguéniev et Viardot sur le document
Je vous remercie d'avance de vos éclairages.
Cordialement.
Claire Boniface (pour le club de lecture Voix au chapitre qui a
programmé Pères et fils : http://www.voixauchapitre.com/archives/2024/tourgueniev.htm)
Mél. : voixauchapitre@wanadoo.fr
Site : http://voixauchapitre.com
Réponse du créateur
de la Bibliothèque russe et slave, Xavier Mottez
De : BRS <contact@bibliotheque-russe-et-slave.com>
Envoyé : mardi 7 janvier 2025 05:54
À : Voix au chapitre <voixauchapitre@wanadoo.fr>
Objet : RE: Question sur une traduction publiée par votre bibliothèque
Chère Madame,
Je vous remercie beaucoup pour votre message qui me ramène des
années en arrière, à l'époque où je
pouvais consacrer des heures à ces textes-trésors passionnants
et à la création de cette Bibliothèque russe et slave.
Je ne sais plus ce qui, à l'époque, a pu me faire écrire
que cette traduction avait pu être faite par Tourgueniev et Viardot.
Peut-être avais-je alors lu quelque chose qui m'avait fait penser
qu'il s'agissait d'un fait de notoriété publique ; peut-être
était-ce dû à des échanges avec Alexandre Zviguilsky,
le directeur de la Maison Tourgueniev à Bougival. Vous trouverez
en pièce jointe un
article très récent qui fait le point sur cette question.
Il est en russe mais peut être très bien compris grâce
à Google Traduction. L'auteure reprend les essais précédents
sur la question et conclut, par diverses manières, que Tourgueniev
et Viardot sont très vraisemblablement les auteurs de cette traduction.
Toutefois, je vous l'accorde, jamais je n'aurais dû écrire
aussi ouvertement "Traduction de Tourg. et Viardot" : j'ai outrepassé
mon rôle de passeur et de copiste, d'autant plus que je suis plutôt
historien dans l'âme. Je modifierai cela dès que possible,
sans doute en ajoutant une note précisant que l'hypothèse
Tourgueniev et Viardot est probable mais ne sera sans doute jamais établie
avec certitude.
Il faut surtout que j'arrive à remettre la main sur mes vieux
outils de modification du site : j'ai déménagé et
n'ai plus mon ordinateur de l'époque, et depuis quelque temps je
ne fais plus que régler les frais de maintien en ligne de la Bibliothèque.
En effet je suis maintenant à la tête d'une petite maison
d'édition, Ginkgo, qui fait ce que faisait alors la Bibliothèque,
retrouver des trésors, mais avec des traductions plus récentes
et assurées, via ces collections : https://www.ginkgo-editeur.fr/littérature-étrangère
(grands formats) et surtout https://www.ginkgo-editeur.fr/slave,
la "Petite Bibliothèque slave".
Je vous remercie donc encore et je vous félicite pour votre belle
page, superbement bien renseignée, sur Père et fils,
et longue vie à votre beau club de lecture.
Bien cordialement,
Xavier Mottez
L'article
transmis par Xavier Mottez est référencé =>ici
et accessible =>là
Des hypothèses y sont étudiées
: traduction de Louis Viardot et Tourgueniev lui-même, de Henri-Hippolyte
Delaveau qui a traduit trois autres livres de Tourguéniev aux éditions
Édouard Dentu :
- Mémoires dun chasseur, sous le titre Récits
dun chasseur en 1858
- À la veille, sous le titre Elena en 1861
- Elena et Un premier amour sous le titre Nouvelles
scènes de la vie russe (en ligne) en 1863
Voir
des articles de ce traducteur sur la Russie, en
ligne=>ici.
Pour l'instant, les preuves semblent difficiles à établir.
Qui est cet historien russophile,
Xavier Mottez ?
L'Ours magazine donne des réponses : "Qui
se cache derrière la Bibliothèque russe et slave ?",
18 octobre 2019
On y trouve plus de 200 textes en langue russe traduits en français.
Vous voulez lire Léon Tolstoï, Ivan Gontcharov ou encore Sophie
Kovalevskaïa ? Leurs écrits, désormais libres de droit,
sont disponibles en plusieurs formats, dont PDF. Quelques-uns sont vendus
au format numérique. Mais pour faire ce travail colossal, une seule
personne : Xavier Mottez.
Doù lui viennent cet attrait et ce dévouement pour
la littérature russe ? Il faut remonter en 1921, lorsque sa grand-mère,
alors très jeune, est retrouvée abandonnée à
Marseille. Cétait une femme blonde aux yeux bleus, et assez
vite une légende est née : cette enfant est une princesse
russe qui a fui la Révolution. Des années plus tard, elle
a fait une analyse génétique qui a conclu quelle venait,
de par sa lignée maternelle, du bord de la mer Noire.
Cette histoire familiale a marqué Xavier Mottez qui, comme de
nombreuses personnes, est ensuite tombé sous le charme des écrivains
russes. Tout a commencé avec Crime et châtiment puis
Les frères Karamazov.
La maison dédition Ginkgo vient de lancer une Petite collection
slave en partenariat avec le site. Les traductions seront donc commercialisées
en format papier ! Pour linstant, quatre ouvrages sont disponibles
: Cur
de chien de Boulgakov, Moumou
de Tourguéniev, Le
gaucher et Le
Pèlerin enchanté de Leskov. Une véritable
réussite pour ce site bénévole qui participe au rayonnement
de la culture russe.
L'article date de 2019 : depuis, le nombre de publications russes s'est
multiplié : https://www.ginkgo-editeur.fr/petite-biblioth%C3%A8que-slave
On ne peut que partager ce que dit Xavier Mottez
sur sa page
linkedin en juin 2022
Chers lecteurs et amis,
Nous sommes tous frappés de stupeur face aux événements
terribles qui se déroulent en Ukraine depuis quatre mois.
Au milieu de ce chaos, et des émotions légitimes qu'il provoque,
émergent des informations inquiétantes et des appels à
rejeter voire à éliminer toute trace de la culture et de
la littérature russes : à Cardiff un orchestre a retiré
Tchaïkovski de son programme ; à Milan, une université
a décidé de supprimer des cours consacrés à
Dostoïevski ; à Florence, certains demandent à ce que
la statue du même Dostoïevski soit déboulonnée
; à Aizenay en Vendée, on tente de faire débaptiser
un lycée nommé Soljenitsyne.
Au-delà de la simplification, comment peut-on oublier que les écrivains
russes, presque tous les écrivains russes, ont été
la cible de ceux qui tenaient les rênes du pouvoir en Russie ? Nulle
part peut-être les écrivains n'ont été aussi
visés qu'en Russie, sous le règne des tsars comme sous celui,
pire encore, de Lénine et de Staline et de leurs successeurs. Ce
sont Pouchkine
exilé, Dostoïevski
envoyé au bagne, Tolstoï
excommunié, et combien d'autres encore fusillés ou déportés
au Goulag.
Vouloir sanctionner la littérature russe est un contresens historique
absolu. Nous essayons au contraire à Ginkgo
de faire résonner les mots de ces écrivains, qu'ils soient
très connus ou moins connus en "Occident", et de défendre
ce qu'ils ont apporté à leur nation et à l'humanité
: que ce soient ceux, au-delà des classiques Tolstoï,
Tchekhov
et Tourgueniev
qu'il faut lire et relire, des Douze
Chaises et du Veau
d'or d'Ilf et Petrov ou de L'Envie
de Iouri Olecha, ces satires en règle de l'ère communiste
dont on se demande encore comment elles ont pu passer les mailles du filet
de la censure, ceux de Vassili
Grossman sur l'Arménie, d'Iliazd qui conte à travers
sa parabole intemporelle du Ravissement
l'irruption des bolcheviks en Géorgie, tout comme ceux aujourd'hui
d'Alexeï
Slapovski ou d'Hélène Blanc, auteur du Nuremberg
du communisme et de Russia
Blues et tout récemment de Bons
baisers de Moscou dans lequel la fiction a été rattrapée
par la réalité.
Suite du dialogue
Claire Boniface - Je vous remercie vivement de m'avoir répondu,
si rapidement et si précisément.
J'ai pris connaissance grâce à Google traduction de l'article
que vous m'avez aimablement communiqué.
Finalement, les spécialistes en restent à des hypothèses,
plus ou moins convaincantes ; ce Delaveau ne manque pas d'intérêt.
Quoi qu'il en soit, le mystère demeure, car même si les traducteurs
étaient peu mis en avant à l'époque, comment se fait-il
que le ou les traducteurs de ce livre ne soient pas lors de la publication
clairement mentionnés ? J'ai les correspondances de Tourguéniev
avec Louis Viardot d'une part et Mérimée
d'autre part et j'ai cherché des indices avant de m'adresser à
vous : rien ! Mérimée parle et reparle des épreuves,
mais pas un mot sur le traducteur. Un mystère, quand même
!
Je ne manquerai pas de faire part à mes compères du club
de lecture de vos éclaircissements et surtout de l'existence de
votre uvre éditoriale impressionnante !
La curiosité m'a bien entendu poussée à en savoir
davantage pour partager le fruit de cette curiosité avec les dits
compères. Heureusement, L'Ours magazine donne des réponses...
L'article date de 2019 : depuis, le nombre de vos publications russes
s'est multiplié tels des petits
pains.
On ne peut que partager ce que vous dites sur votre page
linkedin en juin 2022.
Enfin, un autre merci pour vos félicitations sur la page de notre
site sur
Père et fils, laissant entendre que je n'y ai pas mis
trop de bêtises.
Encore bravo pour tout ce que vous faites, qui sera une mine pour d'autres
choix russes pour nous (mais que choisir dans cet océan de textes
)
Xavier Mottez - Merci beaucoup : j'avais oublié que cet
entretien avec L'Ours datait des tout débuts de la collection
chez Ginkgo ; celle-ci a bien grandi en effet, elle est passée
de ces quatre à maintenant 37... Quant à ma grand'mère,
elle n'était pas seulement "très jeune" : elle
avait six mois quand elle a été trouvée abandonnée
dans une rue de Marseille en 1921, la pauvre petite.
Concernant "Pères et fils", le principal argument en
faveur de l'hypothèse Tourg.-Viardot, que l'auteure évoque
d'ailleurs, est qu'il n'y a de trace de cette traduction dans aucune correspondance,
même pas pour se demander qui a bien la faire, ce qui peut laisser
penser que Tourguéniev et Viardot, parce qu'ils étaient
si proches, n'avaient pas besoin de s'écrire des lettres à
ce sujet, ils savaient ce qu'il en était. Mais vous avez raison
de dire que c'est un mystère pour le moins étonnant : pas
une indiscrétion de Mérimée dans une lettre, pas
un questionnement entre les trois amis... Mérimée était-il
de mèche ?
Il y a aussi, selon moi, cette sublime dernière phrase du roman
: "[phrase en russe impossible à copier ici]" Marc Semenoff
a traduit : "elles nous parlent aussi des éternelles réconciliations
et de la vie qui ne connaît point de terme." "[mot en
russe]" veut bien dire tout simplement "sans fin, infinie, éternelle",
mais cette première traduction de 1863 écrit "elles
nous parlent aussi de l'éternelle réconciliation et d'une
vie qui ne doit pas finir." Je ne sais plus comment Françoise
Flamant a traduit cela mais pour moi, cette inflexion "qui ne doit
pas finir" me paraît tellement forte, tellement pensée
que je me plais à penser que c'est Tourgueniev lui-même qui
a écrit cela, chose qu'un traducteur n'aurait pu et osé
retranscrire ainsi, et qu'il a peut-être, en français, voulu
encore améliorer son texte original. Mais on voit souvent ce que
l'on veut voir.
Je ne suis pas un spécialiste de Tourgueniev, mais je suis d'accord
avec ce que vous dites : les Mémoires
d'un chasseur (dans la trad. Mongault chez Folio) est le second
chef-d'uvre absolu de Tourgueniev, qui à mon sens a atteint
avec eux le sommet de ce que l'écriture peut donner en terme de
beauté.
Quand je regarde la liste des livres que le club a lus, j'ai l'impression
que vous avez fait un bon tour des plus grands livres de la littérature
russe. Si vous ne voulez pas réessayer Le
Maître et Marguerite de Boulgakov (j'ai vu chez vous des
opinions contrastées), ou Guerre
et Paix, je ne sais trop que vous conseiller. La littérature
après la Révolution est toujours un peu spéciale :
Tchevengour
de Platonov et L'Année
nue de Pilniak sont des chefs-d'uvres, mais dans leur genre
particulier. Peut-être le Nous
de Zamiatine (je n'ai pas lu la nouvelle traduction) ?
Parmi ceux de Ginkgo, il y en a un qui, de ce que je vois des goûts
des membres du club, est peut-être le plus susceptible de plaire,
et c'est d'ailleurs un des plus grands classiques de la littérature
russe : Un
héros de notre temps, de Lermontov. La traduction que j'ai
éditée est des années 1940 mais elle est sublime.
Marc Chapiro était un Suisse d'origine russe, et un grand ami d'Albert
Cohen. Si les membres ne connaissent pas ce livre, il faut absolument
le lire.
Vous pourriez aussi essayer Kouprine, un auteur qui n'est pas connu à
sa juste valeur. J'ai ressorti en livres deux textes que j'avais fait
il y a dix ans en numérique : Le
Duel, son grand roman (vraiment à classer parmi les plus
beaux romans russes) et Olessia,
une nouvelle d'une centaine de pages qui conte une des plus belles brèves
histoires d'amour qui soient. (Olessia
avait été adapté en film, avec Marina Vlady et Maurice
Ronet : La Sorcière).
Et puis il y a Tchekhov (notre Moine
noir est dans une traduction d'une immense beauté), et
les très gros : Le
Roman de Léonard de Vinci (traduction intégrale),
si certains veulent se plonger (avec délices ! mais 800 pages)
dans l'Italie de la Renaissance, ou les Douze
Chaises d'Ilf et Petrov, classique de l'humour soviétique
que des millions et millions de gens ont lu et adoré depuis 1928.
Mais je pense que le Héros
de notre temps a la priorité, en tant que grand classique
qu'il faut vraiment connaître.
|