Quatre traductions de Pères et fils existent : une anonyme (sous le titre Pères et enfants, 1863), celles de Robert Rodov (1947), Marc Semenoff (1953) et de Françoise Flamant (1982).
 

La première traduction mystérieuse :
un échange de courriels avec la Bibliothèque russe et slave

Cette bibliothèque en ligne est ainsi présentée : "La Bibliothèque russe et slave, crée en 2010 par X. Mottez à l’occasion de l’année France-Russie, s’est donné pour mission de faire connaître du public francophone la richesse de la littérature russe classique et de l’ensemble des littératures slaves, en mettant à sa disposition des traductions du domaine public."
Une possibilité de contact électronique y figure.


Question de Claire Boniface à la Bibliothèque russe et slave


Objet : Question sur une traduction publiée par votre bibliothèque

Bonjour,
Je me permets de m'adresser à vous à propos de la traduction de Pères et enfants de Tourguéniev :
https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Tourgueniev%20-%20Peres%20et%20enfants.pdf

Cette traduction est anonyme, mentionne, entre autres, Françoise Flamant, traductrice et éditrice de la Pléiade.
Les traducteurs de cette œuvre ont été ensuite : Robert Rodov, Marc Semenoff, puis Françoise Flamant.
Puisqu'on ne connait pas le traducteur, je m'étonne que figurent les noms de Tourguéniev et Viardot sur le document
Je vous remercie d'avance de vos éclairages.
Cordialement.
Claire Boniface (pour le club de lecture Voix au chapitre qui a programmé Pères et fils : http://www.voixauchapitre.com/archives/2024/tourgueniev.htm)
Mél. : voixauchapitre@wanadoo.fr
Site : http://voixauchapitre.com


Réponse du créateur de la Bibliothèque russe et slave, Xavier Mottez


De : BRS <contact@bibliotheque-russe-et-slave.com>
Envoyé : mardi 7 janvier 2025 05:54
À : Voix au chapitre <voixauchapitre@wanadoo.fr>
Objet : RE: Question sur une traduction publiée par votre bibliothèque

Chère Madame,

Je vous remercie beaucoup pour votre message qui me ramène des années en arrière, à l'époque où je pouvais consacrer des heures à ces textes-trésors passionnants et à la création de cette Bibliothèque russe et slave.

Je ne sais plus ce qui, à l'époque, a pu me faire écrire que cette traduction avait pu être faite par Tourgueniev et Viardot. Peut-être avais-je alors lu quelque chose qui m'avait fait penser qu'il s'agissait d'un fait de notoriété publique ; peut-être était-ce dû à des échanges avec Alexandre Zviguilsky, le directeur de la Maison Tourgueniev à Bougival. Vous trouverez en pièce jointe un article très récent qui fait le point sur cette question. Il est en russe mais peut être très bien compris grâce à Google Traduction. L'auteure reprend les essais précédents sur la question et conclut, par diverses manières, que Tourgueniev et Viardot sont très vraisemblablement les auteurs de cette traduction.

Toutefois, je vous l'accorde, jamais je n'aurais dû écrire aussi ouvertement "Traduction de Tourg. et Viardot" : j'ai outrepassé mon rôle de passeur et de copiste, d'autant plus que je suis plutôt historien dans l'âme. Je modifierai cela dès que possible, sans doute en ajoutant une note précisant que l'hypothèse Tourgueniev et Viardot est probable mais ne sera sans doute jamais établie avec certitude.

Il faut surtout que j'arrive à remettre la main sur mes vieux outils de modification du site : j'ai déménagé et n'ai plus mon ordinateur de l'époque, et depuis quelque temps je ne fais plus que régler les frais de maintien en ligne de la Bibliothèque. En effet je suis maintenant à la tête d'une petite maison d'édition, Ginkgo, qui fait ce que faisait alors la Bibliothèque, retrouver des trésors, mais avec des traductions plus récentes et assurées, via ces collections : https://www.ginkgo-editeur.fr/littérature-étrangère (grands formats) et surtout https://www.ginkgo-editeur.fr/slave, la "Petite Bibliothèque slave".

Je vous remercie donc encore et je vous félicite pour votre belle page, superbement bien renseignée, sur Père et fils, et longue vie à votre beau club de lecture.

Bien cordialement,
Xavier Mottez


L'article transmis par Xavier Mottez est référencé =>ici et accessible =>là
Des hypothèses y sont étudiées : traduction de Louis Viardot et Tourgueniev lui-même, de Henri-Hippolyte Delaveau qui a traduit trois autres livres de Tourguéniev aux éditions Édouard Dentu :
-
Mémoires d’un chasseur, sous le titre Récits d’un chasseur en 1858
- À la veille, sous le titre Elena en 1861
- Elena et Un premier amour sous le titre Nouvelles scènes de la vie russe (en ligne) en 1863
Voir
des articles de ce traducteur sur la Russie, en ligne=>ici.
Pour l'instant, les preuves semblent difficiles à établir.


Qui est cet historien russophile, Xavier Mottez ?


L'Ours magazine donne des réponses : "Qui se cache derrière la Bibliothèque russe et slave ?", 18 octobre 2019

On y trouve plus de 200 textes en langue russe traduits en français. Vous voulez lire Léon Tolstoï, Ivan Gontcharov ou encore Sophie Kovalevskaïa ? Leurs écrits, désormais libres de droit, sont disponibles en plusieurs formats, dont PDF. Quelques-uns sont vendus au format numérique. Mais pour faire ce travail colossal, une seule personne : Xavier Mottez.

D’où lui viennent cet attrait et ce dévouement pour la littérature russe ? Il faut remonter en 1921, lorsque sa grand-mère, alors très jeune, est retrouvée abandonnée à Marseille. C’était une femme blonde aux yeux bleus, et assez vite une légende est née : cette enfant est une princesse russe qui a fui la Révolution. Des années plus tard, elle a fait une analyse génétique qui a conclu qu’elle venait, de par sa lignée maternelle, du bord de la mer Noire.

Cette histoire familiale a marqué Xavier Mottez qui, comme de nombreuses personnes, est ensuite tombé sous le charme des écrivains russes. Tout a commencé avec Crime et châtiment puis Les frères Karamazov.

La maison d’édition Ginkgo vient de lancer une Petite collection slave en partenariat avec le site. Les traductions seront donc commercialisées en format papier ! Pour l’instant, quatre ouvrages sont disponibles : Cœur de chien de Boulgakov, Moumou de Tourguéniev, Le gaucher et Le Pèlerin enchanté de Leskov. Une véritable réussite pour ce site bénévole qui participe au rayonnement de la culture russe.

L'article date de 2019 : depuis, le nombre de publications russes s'est multiplié : https://www.ginkgo-editeur.fr/petite-biblioth%C3%A8que-slave

On ne peut que partager ce que dit Xavier Mottez sur sa page linkedin en juin 2022

Chers lecteurs et amis,
Nous sommes tous frappés de stupeur face aux événements terribles qui se déroulent en Ukraine depuis quatre mois.
Au milieu de ce chaos, et des émotions légitimes qu'il provoque, émergent des informations inquiétantes et des appels à rejeter voire à éliminer toute trace de la culture et de la littérature russes : à Cardiff un orchestre a retiré Tchaïkovski de son programme ; à Milan, une université a décidé de supprimer des cours consacrés à Dostoïevski ; à Florence, certains demandent à ce que la statue du même Dostoïevski soit déboulonnée ; à Aizenay en Vendée, on tente de faire débaptiser un lycée nommé Soljenitsyne.
Au-delà de la simplification, comment peut-on oublier que les écrivains russes, presque tous les écrivains russes, ont été la cible de ceux qui tenaient les rênes du pouvoir en Russie ? Nulle part peut-être les écrivains n'ont été aussi visés qu'en Russie, sous le règne des tsars comme sous celui, pire encore, de Lénine et de Staline et de leurs successeurs. Ce sont Pouchkine exilé, Dostoïevski envoyé au bagne, Tolstoï excommunié, et combien d'autres encore fusillés ou déportés au Goulag.
Vouloir sanctionner la littérature russe est un contresens historique absolu. Nous essayons au contraire à Ginkgo de faire résonner les mots de ces écrivains, qu'ils soient très connus ou moins connus en "Occident", et de défendre ce qu'ils ont apporté à leur nation et à l'humanité : que ce soient ceux, au-delà des classiques Tolstoï, Tchekhov et Tourgueniev qu'il faut lire et relire, des Douze Chaises et du Veau d'or d'Ilf et Petrov ou de L'Envie de Iouri Olecha, ces satires en règle de l'ère communiste dont on se demande encore comment elles ont pu passer les mailles du filet de la censure, ceux de Vassili Grossman sur l'Arménie, d'Iliazd qui conte à travers sa parabole intemporelle du Ravissement l'irruption des bolcheviks en Géorgie, tout comme ceux aujourd'hui d'Alexeï Slapovski ou d'Hélène Blanc, auteur du Nuremberg du communisme et de Russia Blues et tout récemment de Bons baisers de Moscou dans lequel la fiction a été rattrapée par la réalité.


Suite du dialogue


Claire Boniface - Je vous remercie vivement de m'avoir répondu, si rapidement et si précisément.
J'ai pris connaissance grâce à Google traduction de l'article que vous m'avez aimablement communiqué.
Finalement, les spécialistes en restent à des hypothèses, plus ou moins convaincantes ; ce Delaveau ne manque pas d'intérêt. Quoi qu'il en soit, le mystère demeure, car même si les traducteurs étaient peu mis en avant à l'époque, comment se fait-il que le ou les traducteurs de ce livre ne soient pas lors de la publication clairement mentionnés ? J'ai les correspondances de Tourguéniev avec Louis Viardot d'une part et Mérimée d'autre part et j'ai cherché des indices avant de m'adresser à vous : rien ! Mérimée parle et reparle des épreuves, mais pas un mot sur le traducteur. Un mystère, quand même !
Je ne manquerai pas de faire part à mes compères du club de lecture de vos éclaircissements et surtout de l'existence de votre œuvre éditoriale impressionnante !
La curiosité m'a bien entendu poussée à en savoir davantage pour partager le fruit de cette curiosité avec les dits compères. Heureusement, L'Ours magazine donne des réponses...
L'article date de 2019 : depuis, le nombre de vos publications russes s'est multiplié tels des petits pains.
On ne peut que partager ce que vous dites sur votre page linkedin en juin 2022.
Enfin, un autre merci pour vos félicitations sur la page de notre site sur Père et fils, laissant entendre que je n'y ai pas mis trop de bêtises.
Encore bravo pour tout ce que vous faites, qui sera une mine pour d'autres choix russes pour nous (mais que choisir dans cet océan de textes…)

Xavier Mottez - Merci beaucoup : j'avais oublié que cet entretien avec L'Ours datait des tout débuts de la collection chez Ginkgo ; celle-ci a bien grandi en effet, elle est passée de ces quatre à maintenant 37... Quant à ma grand'mère, elle n'était pas seulement "très jeune" : elle avait six mois quand elle a été trouvée abandonnée dans une rue de Marseille en 1921, la pauvre petite.
Concernant "Pères et fils", le principal argument en faveur de l'hypothèse Tourg.-Viardot, que l'auteure évoque d'ailleurs, est qu'il n'y a de trace de cette traduction dans aucune correspondance, même pas pour se demander qui a bien la faire, ce qui peut laisser penser que Tourguéniev et Viardot, parce qu'ils étaient si proches, n'avaient pas besoin de s'écrire des lettres à ce sujet, ils savaient ce qu'il en était. Mais vous avez raison de dire que c'est un mystère pour le moins étonnant : pas une indiscrétion de Mérimée dans une lettre, pas un questionnement entre les trois amis... Mérimée était-il de mèche ?
Il y a aussi, selon moi, cette sublime dernière phrase du roman : "[phrase en russe impossible à copier ici]" Marc Semenoff a traduit : "elles nous parlent aussi des éternelles réconciliations et de la vie qui ne connaît point de terme." "[mot en russe]" veut bien dire tout simplement "sans fin, infinie, éternelle", mais cette première traduction de 1863 écrit "elles nous parlent aussi de l'éternelle réconciliation et d'une vie qui ne doit pas finir." Je ne sais plus comment Françoise Flamant a traduit cela mais pour moi, cette inflexion "qui ne doit pas finir" me paraît tellement forte, tellement pensée que je me plais à penser que c'est Tourgueniev lui-même qui a écrit cela, chose qu'un traducteur n'aurait pu et osé retranscrire ainsi, et qu'il a peut-être, en français, voulu encore améliorer son texte original. Mais on voit souvent ce que l'on veut voir.
Je ne suis pas un spécialiste de Tourgueniev, mais je suis d'accord avec ce que vous dites : les Mémoires d'un chasseur (dans la trad. Mongault chez Folio) est le second chef-d'œuvre absolu de Tourgueniev, qui à mon sens a atteint avec eux le sommet de ce que l'écriture peut donner en terme de beauté.

Quand je regarde la liste des livres que le club a lus, j'ai l'impression que vous avez fait un bon tour des plus grands livres de la littérature russe. Si vous ne voulez pas réessayer Le Maître et Marguerite de Boulgakov (j'ai vu chez vous des opinions contrastées), ou Guerre et Paix, je ne sais trop que vous conseiller. La littérature après la Révolution est toujours un peu spéciale : Tchevengour de Platonov et L'Année nue de Pilniak sont des chefs-d'œuvres, mais dans leur genre particulier. Peut-être le Nous de Zamiatine (je n'ai pas lu la nouvelle traduction) ?
Parmi ceux de Ginkgo, il y en a un qui, de ce que je vois des goûts des membres du club, est peut-être le plus susceptible de plaire, et c'est d'ailleurs un des plus grands classiques de la littérature russe : Un héros de notre temps, de Lermontov. La traduction que j'ai éditée est des années 1940 mais elle est sublime. Marc Chapiro était un Suisse d'origine russe, et un grand ami d'Albert Cohen. Si les membres ne connaissent pas ce livre, il faut absolument le lire.
Vous pourriez aussi essayer Kouprine, un auteur qui n'est pas connu à sa juste valeur. J'ai ressorti en livres deux textes que j'avais fait il y a dix ans en numérique : Le Duel, son grand roman (vraiment à classer parmi les plus beaux romans russes) et Olessia, une nouvelle d'une centaine de pages qui conte une des plus belles brèves histoires d'amour qui soient. (Olessia avait été adapté en film, avec Marina Vlady et Maurice Ronet : La Sorcière).
Et puis il y a Tchekhov (notre Moine noir est dans une traduction d'une immense beauté), et les très gros : Le Roman de Léonard de Vinci (traduction intégrale), si certains veulent se plonger (avec délices ! mais 800 pages) dans l'Italie de la Renaissance, ou les Douze Chaises d'Ilf et Petrov, classique de l'humour soviétique que des millions et millions de gens ont lu et adoré depuis 1928.
Mais je pense que le Héros de notre temps a la priorité, en tant que grand classique qu'il faut vraiment connaître.


=> Retour à la page Tourguéniev