Journal secret (1836-1837)

publié en 1994 chez Belles Lettres, coll. Sortilèges,
trad. Mikael Korvin, par Mickael Korvin, notes et préface Mikhail Armalinsky ;

rééd. Belfond en 2011, avec en plus une préface de Jean-Jacques Pauvert

Je suis allée dans la merveilleuse nouvelle BPI Lumière consulter le rayon Pouchkine : je me suis plongée dans son Journal secret où il se montre "obsédé". Je n'ai pas été du tout déçue par cette lecture érotique et érotiquement littéraire :

"De même qu'une femme peut avoir du plaisir avec n'importe quel homme habile, un livre s'offre à celui qui s'en saisit. Il distillera le plaisir délicat de son savoir à quiconque est capable de le comprendre. Je suis donc jaloux de mes livres et n'aime pas les prêter à qui que ce soit. Ma bibliothèque est mon harem."

Dans le journal, il est sur le point de périr :

"Les conditions du combat avec Dantès doivent être sans merci, et cela devrait me forcer à tirer le coup fatal."

Ce qui lui fait évoquer notre roman :

"Dans Oniéguine, j'ai osé tuer Lemsky et accomplir au travers d'un poème ce à quoi je n'arriverai peut-être jamais ma vie durant."

Dans son journal, il combat son amour pour sa femme et son désir pour d'autres. Au passage, rappelons que l'arrière-grand-père de Pouckine était un (ex-)esclave noir :

"Je me fais penser à Othello : lui aussi était Noir et lui non plus n'était pas jaloux ; il était confiant."

Voici un passage représentatif :

"Les phantasmes commencèrent à me hanter et c'était l'œuvre du Diable. Des femmes que j'avais possédées à différentes périodes de ma vie défilaient en esprit devant mes yeux. J'étais tout particulièrement torturé par les souvenirs de mes orgies avec Z.
Lorsque je suis devenu son amant, je l'ai baisée sept fois au cours de la première nuit. Elle a dit avoir joui vingt fois sans se sentir fatiguée du tout. Z. était de ces femmes dont le désir ne trouve jamais entière satisfaction mais qui s'adapte aux capacités de son amant. J'ai confessé sur le ton de la plaisanterie que je ne refuserais pas l'aide d'assistants. Elle répondit sérieusement que c'était ce qu'elle voulait aussi, et que plus nombreux on était, mieux ce serait. Ainsi d'amant je suis passé fournisseur, un rôle que j'avais rêvé de tenir depuis longtemps.
"

Après notre soirée sur Pouchkine, je me suis intéressée à l'authenticité du journal, nullement commentée dans le livre que j'ai consulté, et que je découvre plus ou moins mise en cause. Plus par Philippe Lançon dans Libération ("Pouchkine en chair et en faux", 10/03/2011). Moins par Emily Barnett dans Les Inrocks ("Sulfureux au point de voir son authenticité contestée", 1er août 2011). Ceci à la suite de la réédition par Belfond du Journal secret.

Et je tombe sur un article, bien antérieur, de Jean-Louis Backès, dont Jacqueline nous a parlé (le traducteur de l'édition Folio classique) et à la traduction de qui j'ai essayé de m'attaquer..., traduction qui sera publiée deux ans après l'article qui, lui, suit la première édition du Journal secret.

Voici cet article plein d'esprit ›"Faux, usage de faux", La Quinzaine littéraire, n° 655, 1-15 octobre 1994, p. 16-17. Pour vous allécher, voici le début et la fin de l'article :

Le préfacier (est-il aussi l'auteur ?) ne se donne pas beaucoup de mal pour faire croire que son texte est authentique. Il s'agirait à l'origine d'un document en français. Rien à dire là-dessus, Pouchkine écrivait le français comme sa langue maternelle. Un document assez salé. On ne s'étonne pas : Pouchkine, en français comme en russe, appelait les choses par leur nom et il n'a jamais passé pour un parangon de vertu, si la vertu consiste à s'abstenir. Le texte aurait été découvert par un historien et traduit en russe. [...]

La vraie révélation, si jamais ce texte est authentique (après tout quand on place une casserole d'eau froide dans un four chauffé à blanc, il y a, paraît-il, une chance sur des milliards pour que l'eau gèle instantanément), la vraie révélation serait celle d'un Pouchkine contaminé par l'éloquence de Joseph Prudhomme et capable d'écrire : "Le déshonneur est une graine que j'ai moi-même plantée. A présent, ses branches m'étranglent. Dantès est devenu la punition du destin pour ma faiblesse de caractère. En défiant Dantès je deviens comme Jacob aux prises avec l'Ange. Si je triomphe, je réfuterai les lois de Dieu et le Con montera sur le trône céleste sans entrave aucune." (p. 3) Signé Pouchkine ? Autant prendre une phrase de Céline et tenter de la faire passer pour du Nerval.


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