Nos armes, de Marion Brunet :
du roman d’amour au roman noir, un polar surprenant de bout en bout
Télérama, par Yoann Labroux Satabin, 13 mars 2024


Les histoires de braquage finissent mal ? Le couple d’héroïnes, apprenties révolutionnaires, connaîtra des destins contrariés. L’une en fuite, l’autre derrière les barreaux et une tension grandissante au fil des décennies de séparation.

Deux écorchées, deux natures solitaires qui vont capter ce vide dans le regard de l’autre et venir le combler d’un amour passionné. Marion Brunet raconte d’abord la relation magnétique entre Mano et Axelle, qui s’attirent et se repoussent dans un même élan. Les deux jeunes femmes évoluent ensemble dans un groupe de militants et le roman a d’abord une fibre chorale, avec ces apprentis révolutionnaires qui refusent toute résignation face aux injustices et ce qu’ils perçoivent comme des oppressions. Se dégage pourtant très vite une certaine solitude, motif qui traverse tout le livre, y compris du groupe, dans une époque — la fin des années 1990 — qui n’est pas à la révolution, alors que triomphe un libéralisme dur dans tout le monde occidental et au-delà.

Le roman prend rapidement un tournant décisif lorsque le petit groupe décide de venger l’une des leurs, virée comme une malpropre par le patron de la boîte où elle travaillait. Rien qu’un braquage inoffensif pour lui donner une leçon. Le jour J, l’un d’eux a un flingue. Mais rien ne dérape. Si ce n’est que le pouvoir de cette arme ouvre soudain des possibles. Et amène l’envie de recommencer, tellement tout ça semble facile. La seconde fois finit plus tragiquement : un mort de chaque côté et la prison pour ceux qui se font attraper. Mano et Axelle sont séparées. L’une s’enfonce dans la culpabilité d’avoir pu s’enfuir et dans une existence qui n’est pas la sienne, quand l’autre diminue chaque jour un peu plus derrière les barreaux.

La suite est un grand roman noir qui surprend jusqu’au bout. Non pas avec des rebondissements inattendus ou des retournements spectaculaires. Mais par des émotions qui affleurent de là où on ne les avait pas vues venir. Des personnages qui étaient en retrait et qui soudain viennent prendre la lumière. La finesse de la construction du récit laisse planer tout du long une tension sur certaines zones d’ombre, qui ne s’éclairent que pour épaissir la psychologie. C’est aussi un texte fort sur la prison, qui peut tuer à petit feu et éteindre toute lumière intérieure, là où « des cris se solidifient aux fenêtres ».


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