"Chloé Delaume, une
dernière introspection avant la fin du monde", Une écrivaine de presque 50 ans revisite son passé à bord dun train. Avec Pauvre Folle, Chloé Delaume déconstruit le mythe de lamour dans un grand roman lucide. Il était une fois une femme en mille morceaux tentant, le temps d'un long voyage en train, de reconstituer le puzzle de sa vie. Il était une fois une féministe nullipare malade d'avoir cru au prince charmant, à la fable d'un homme et d'une femme unis dans une clairière de mots. Dans le Cur synthétique, salué par le prix Médicis 2020, Chloé Delaume explorait avec humour les déboires d'une célibataire de 46 ans, réconfortée par la sororité. Trois ans plus tard, la comédie pop fait place à un constat bien plus sombre. Clotilde Mélisse, écrivaine et alter ego de fautrice, personnage périphérique du précédent roman, est au bord du précipice. La révolution Violette, le nom qu'elle donne à #Metoo, est arrivée trop tard, puisque la fin du monde est déjà enclenchée. À bord d'un Thalys qui roule vers Heidelberg, la ville où, dit la légende, une légion de jeunes romantiques se seraient suicidés après avoir lu les Souffrances du jeune Werther, elle extirpe un à un les souvenirs de sa mémoire. Face A, le choc esthétique ressenti, enfant, à la lecture d'Ophélie de Rimbaud. Face B, le traumatisme indélébile causé par le meurtre de sa mère par son père à une époque (1983) où on ne parlait pas encore de féminicide et encore moins d'uxoricide (meurtre d'une épouse par son mari). À l'aube de la quarantaine, alors qu'elle était pensionnaire de la Villa Médicis, Clotilde a rencontré Guillaume, « réalisateur de films baroques et expérimentaux », gay et en couple. En un clin d'il, ils sont devenus la Renie et le Monstre, des personnages de fiction dont l'amour vit dans des échanges épistolaires numériques. Dix ans plus tard. Clotilde n'est pas guérie et Guillaume est toujours en couple. Un conte gothique « Pour faire de l'autofiction, il faut d'abord aller au bout du réel pour pouvoir s'en remettre ensuite à l'écriture avec ce quon y a trouvé », réplique Clotilde aux amis chers qui la préviennent des dangers de cette relation toxique. Exhumant par fragments un réel qu'elle brasse depuis le Cri du sablier, son premier roman, Chloé Delaume abandonne l'autofiction pour le roman vrai, s'amusant à citer, en les fictionnant, ses précédents livres : J'habite dans mon frigo pour Jhabite dans la télévision (2006), Le jour je suis Prue Halliwell pour La nuit je suis Buffy Summers (2007), Il est beau mon caveau pour Dans ma maison sous terre (2008). Dans ce conte gothique qui avance au rythme lent du train, les sorcières ont baissé la garde et la « Tueuse » est « devenue gourdasse en crinoline », prisonnière volontaire du « mythe de l'âme sur ». Avec quelques alexandrins cachés, Pauvre Folle affronte en fiction l'envers de la théorie dépliée dans Mes bien chères surs, boîte à outils pour lutter contre le patriarcat, Clotilde Mélisse personnifiant le conflit ultérieur entre la féministe et la midinette. Sans cesse ramenée aux béances de l'enfance, Chloé Delaume descend au plus profond d'elle-même dans un roman lucide et courageux qui se lit d'une traite, jusqu'au terminus.
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