Lirelles

Nous lisons pour le 26 mai 2024

Pauvre folle
de Chloé DELAUME

Seuil, 240 p.

 

 

 

          DES INFOS 
Sa vie mouvementée
Ses œuvres
Des articles
Interviews
Théorie à gogo

      Découvrez NOS RÉACTIONS

L'ambiance violette est particulièrement appropriée à ce livre où cette couleur revient régulièrement...

Sa vie mouvementée

Chloé Delaume, d’origine franco-libanaise, est née à Versailles en 1973. À l’âge de dix ans, elle est témoin du meurtre de sa mère par son père et du suicide de celui-ci.
Son nom d’écrivaine est bien plus qu’un simple pseudonyme : elle porte le prénom de l’héroïne de L’Écume des jours de Boris Vian et son patronyme est emprunté à Antonin Artaud qui, à l’époque où il était hospitalisé à Rodez, a traduit le 6e chapitre de La Traversée du miroir de Lewis Carroll, sous le titre « L’arve et l’aume ». Ce n'est qu'un début...

Mais revenons d'abord en arrière... Pour en savoir davantage, cliquez ici pour avoir des détails.

Sans ces détails relatifs à l'enfance et la jeunesse, la fiche Wikipédia est bien mise à jour.

Ses œuvres

Fictions et autofictions
2000 : Les Mouflettes d’Atropos, Farrago, rééd. Folio
2001 : Le Cri du sablier, Farrago/Léo Scheer, rééd. Folio
2001 : Mes week-ends sont pire que les vôtres [en ligne], éd. du Néant, 9 p.
2003 : La Vanité des somnambules, Farrago/Léo Scheer
2003 : Monologue pour épluchures d’Atrides, CipM
2003 : Corpus Simsi, Léo Scheer
2004 : Certainement pas, Verticales, rééd. Points
2005 : Les Juins ont tous la même peau : rapport sur Boris Vian, La Chasse au Snark, rééd. Points
2006 : J'habite dans la télévision, Verticales, rééd. J'ai lu.
2007 : La nuit je suis Buffy Summers, éd. è®e
2007 : Chanson de geste & opinions, Mac/Val
2007 : La Dernière Fille avant la guerre, Naïve Sessions
2007 : Transhumances, éd. è®e, fiction radiophonique
2008 : Dans ma maison sous terre, Seuil
2009 : Eden matin midi et soir, ill. François Alary, éd. Joca Seria
2009 : Narcisse et ses aiguilles, L'Une & l'autre
2010 : Au commencement était l'adverbe, ill. François Alary, éd. Joca Seria
2011 : Le Deuil des deux syllabes, L'Une & l'autre
2012 : Une femme avec personne dedans, Seuil, rééd. Points
2012 : Perceptions, ill. François Alary, éd. Joca Seria.
2013 : Où le sang nous appelle, avec Daniel Schneidermann, Seuil
2014 : Conversations entre onze heures et minuit, n° 1, éd. du musée Balzac
2015 : Vous aimez beaucoup voyager, ill. François Alary, éd. du Cimetière
2015 : Alienare, avec Franck Dion, Seuil
2016 : Les Sorcières de la République, Seuil, rééd. Points
2020 : Le Cœur synthétique, Seuil, rééd. Points
2023 : Pauvre Folle, Seuil
2024 : Phallers, Points

Essais
2008 : S'écrire mode d'emploi, publie.net
2010 : La Règle du je, PUF
2019 : Mes bien chères sœurs, Seuil

Collaborations, ouvrages collectifs
2004 : Tout sera comme avant, Collectif Dominique A, éd. Verticales
2006 : Un toit : nouvelles sur le logement, éd. Le Cherche Midi
2007 : Neuf Leçons de littérature, collab. avec Michel Butor, Pierrette Fleutiaux, et Hédi Kaddour, éd. Thierry Magnier
2010 : Sillages, avec Christian Garcin, Michaël Glück, ill. Marc Torikian, Cadex éditions, nouvelles
2012 : Noël : quel bonheur !, Armand Colin, 13 visions de Noël
2019 : Back Office, n° 3 "Désign graphique et pratiques numériques", B42
2021 : Lettres aux jeunes poétesses, collectif, L'Arche
2021 : Sororité, dir. ouvrage collectif, Points

Site
Le site de Chloé Delaume,
très esthétique, rend bien compte de la diversité de ses créations. Il fait lui-même partie de ses réalisations artistiques : https://chlœdelaume.net/

Quelques articles sur le livre

- "Chloé Delaume, une dernière introspection avant la fin du monde", Sophie Joubert, L'Humanité, 23 août 2023. Extrait :

Dans ce conte gothique qui avance au rythme lent du train, les sorcières ont baissé la garde et la « Tueuse » est « devenue gourdasse en crinoline », prisonnière volontaire du « mythe de l'âme sœur ». Avec quelques alexandrins cachés, Pauvre Folle affronte en fiction l'envers de la théorie dépliée dans Mes bien chères sœurs, boîte à outils pour lutter contre le patriarcat, Clotilde Mélisse personnifiant le conflit ultérieur entre la féministe et la midinette. Sans cesse ramenée aux béances de l'enfance, Chloé Delaume descend au plus profond d'elle-même dans un roman lucide et courageux qui se lit d'une traite, jusqu'au terminus.

- "Eparpillée façon puzzle", Elisabeth Philippe, Le Nouvel Obs, 19 août 2023. Extrait :

Durant le voyage, elle ouvre son crâne pour en extraire ses souvenirs, qui prennent la forme de pierres précieuses ou d’escalope suintante, et tente de recomposer le puzzle de sa vie tourmentée. Ce puzzle, c’est aussi celui de Chloé Delaume, prix Médicis 2020 pour le Cœur synthétique, et familière de l’autofiction depuis les Mouflettes d’Atropos, paru en 2000. Écrit dans une langue fluide qu’on dirait tissée de vers blancs, Pauvre Folle fait entendre toutes les voix de l’autrice : l’expérimentale, la déjantée, la féministe, la lyrique, la surréaliste... Un chœur chaotique et tendrement mélodieux.

- "Les confessions sans fards d'une quinquagénaire : une autofiction d'une irresistible clairvoyance", Marine Landrot, Télérama, 18 août 2023. Extrait :

De pareilles éclaboussures littéraires, aux couleurs rares et tranchées, à la trajectoire qui fait mouche, on en tapisserait volontiers son intérieur, murs, plafonds, planchers. Concentré de trouvailles lexicales, de clairvoyance à courte ou longue focale, et de drôlerie monumentale, chaque phrase de cette autofiction semble tenir du premier jet parfait.

- "La matière grise de Chloé Delaume", Raphaëlle Leyris, Le Monde, 17 septembre 2023. Un article qui élargit à son œuvre en général. Extraits :

Anciens ou nouveaux, les lecteurs de Chloé Delaume trouveront dans l’enthousiasmant Pauvre folle nombre d’éléments sur lesquels elle bâtit son œuvre depuis vingt-trois ans.

Alors que son œuvre fera dans quelques mois l’objet d’un colloque international, Chloé Delaume s’est livrée à une petite répétition en discutant avec « Le Monde des livres » de trois aspects de son travail. (AUTOFICTION, METRIQUE, JEU)

- Un article négatif (mais il a fallu chercher...) : "Pauvre Folle de Chloé Delaume", Shangols, 6 septembre 2023. Devinette : l'auteur de l'article est-il un homme ou une femme ? Extraits :

Avec son écriture heurtée, difficile à suivre, qui jongle avec la ponctuation sans parvenir à lui faire dire quoi que ce soit, Delaume énerve dès le départ.

Très vite, elle tombe dans des travers très dommageables : une écriture crâneuse, de petite maline, voulant à tout prix se ranger parmi les "guérillères", les sorcières, derrière les grands noms de l’activisme féministe le plus trash. C'est peu de dire que ça lui va mal au teint. Tout semble artificiel, insincère, faux, dans ce roman qui cherche absolument à en être, quitte à en rajouter trois louches. Delaume crâne ostensiblement avec ses motifs fatigants de femme en guerre qui a tout compris à la société de guerre des sexes, qui sait mieux que nous en tout cas. En se plaçant ainsi au-dessus de ses lecteurs (les hommes, parce qu'ils sont ridiculisés quelle que soit leur position sur les femmes ; les femmes parce qu'elles sont considérées comme des pauvres victimes un peu concons), elle se montre désagréablement prétentieuse, et produit un livre qui énerve.

Interviews

Des interviews, à lire, écouter et/ou regarder :
• à lire :
- par Marion Olité, sur le site Madmoizelle, 27 septembre 2023
• à écouter :
- par Eva Bester, Grand canal, France Inter, 7 septembre 2023, 50 min
- par Soazic Courbet, dans le podcast de la librairie lilloise L'Affranchie, 19 octobre 2023, 39 min
- par Marie Richeux, dans Le Book Club, France Culture, 28 août 2023, 58 min.
- par Lauren Bastide, Folie douce (qui a pris la suite du podcast La Poudre), 1er février 2024, 76 min.
• à écouter et/ou regarder :

- par Elisabeth Philippe, à la Maison de la poésie, avec des lectures par l'auteure, 10 octobre 2023, 1h, audio ou vidéo.

De la théorie à gogo

Chloé Delaume est la reine de l'autofiction. Voici ce qu'elle dit de la fiction :

J’ai un rapport particulier aux personnages de fiction, quels qu’ils soient. Parce que j’en suis devenu un moi-même. Parce que ce sont eux qui nous forgent, nous accompagnent et parfois veillent. La lecture et la vie, apprentissage commun, transmission et partage, le rapport au monde se modifie, l’âme relativise ses chagrins, le corps reste vivant, les héros se sacrifient sans que le papier ne tremble. Les héroïnes du XIXe, à part Nana, je n’en n’aime aucune. Emma Bovary m’insupporte, Madame de Rênal m’exaspère tout autant que Madame Arnoux, et quand Gervaise est enfin morte, j’étais bien aise qu’elle soit moisie. Mais Henriette de Mortsauf, c’est pire. Une véritable ennemie, une insulte à l’intelligence, ses bondieuseries, ce romantisme. L’existence par procuration, la jouissance dans le renoncement. (Chloé Delaume, à propos de l'héroïne de Balzac)

Chloé Delaume tente la réflexion littéraire avec La règle du Je : autofiction, PUF, 2010, 96 p. : un essai quand même bref ! D'autres vont se charger d'en écrire des pages...

Elle est en effet un objet d'études universitaires, dont voici quelques exemples :
- un article : "Virturéalité et autogenèse : les (re)constructions de 'Chloé Delaume' sur chlœdelaume.net", Laurent Milesi, Genesis, 50, 2020
- un numéro de revue : "S’écrire Chloé Delaume", textes réunis par Annie Pibarot et Florence Thérond, revue Komodo 21, n° 6, 2017, suite à une journée d'étude en 2014
- un colloque carrément, et carrément international : "Chloé Delaume : une œuvre intermédiale", 17-18-19 janvier 2024 - colloque dont le programme est impressionnant.


Et voici NOS RÉACTIONS sur le livre



Les lectrices

Ce 26 mai 2024, nous sommes 15 à avoir lu livre :

  • en direct (7) : Anne, Claire Bi, Claire Bo, Joëlle L, Marie-Yasmine, Muriel, Patricia
  • par zoom (2) : Agnès, Laetitia
  • par écrit (6) : Aurore, Felina, Flora, Nelly, Sophie, Véronique.
    Prises ailleurs : Joëlle M, Nathalie, Sandra, Stéphanie.
Les tendances
La succession des avis

Aurore (avis transmis)
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en lisant le livre, j'ai été ravie dès la page 19 (!) "la petite Aurore : tout le monde l'appelle Horreur" (un classique !). J'ai quand même poursuivi ma lecture après avoir pouffé de rire un bon coup. Clotilde, apparemment le double de l'autrice, est amoureuse d'un homme gay qui semble plutôt bi. Elle décide donc de prendre le train pour revivre sa vie et trouver une issue à son dilemme. J'ai beaucoup aimé le fait de la suivre au gré des stations, égrenées par les chapitres. J'ai aussi beaucoup aimé la poésie des souvenirs (Clotilde dit plusieurs fois qu'elle coud/pose le puzzle des souvenirs) et surtout, surtout, le langage de l'amour que les deux amants inventent (la clairière, les falaises), tout comme la réflexion : "Est-ce que la poésie suffit pour que vive une histoire d'amour ? Est-ce que ça se tricote avec des mots, une langue, plutôt qu'avec des gestes et des mouvements du corps, une histoire d'amour ?" (p. 84)
Le livre est assez difficile à résumer tant il est riche ; l'histoire d'amour, le retour et les retrouvailles avec cet être jadis tant aimé, représentent ce qui m'a attirée de prime abord, avant de commencer la lecture. J'ai aimé suivre cette histoire vouée à l'échec bien qu'elle m'ait également barbée au bout d'un moment (la technique de l'ignorance a fini de m'achever). Finalement, le début du livre est la partie qui m'a le plus intéressée, celle où la narratrice évoque son enfance et ses troubles psychiques (très bien décrits).
L'autrice aborde également de très nombreux thèmes, peut-être un peu trop, le livre devient un peu fourre-tout : troubles mentaux, célibat, prostitution, sororité, #MeToo, Virginie Despentes, Adèle Haenel (on se lève et on se casse, p. 62), luttes féministes, catégorisation des hommes (chapitre ultra savoureux !), misandrie, politique, industrie du cinéma vs industrie de la littérature. Tout ça pour écrire de longues lignes sur un amour impossible avec un homme gay qui devrait lui permettre de sortir de l'hétérosexualité patriarcale, ça ou le célibat comme seule solution puisque qu'elle a rencontré UNE femme avec qui tout s'est mal passé, mouais... Quant au devenir "politiquement lesbienne", cela me dépassera toujours.
Par contre, j'ai souvent été déconcertée par le style : "Plus le temps passait plus elle assimilait la vie de couple à un évier, un évier en inox, avec sa vieille éponge qu'il serait temps de changer, mais tout le monde a la flemme de passer au Franprix." (p. 56) (on a connu métaphore plus poétique...) Ou encore : "Elle ajoutait souvent que la désertion des hétéras vers le royaume des guerrières supposait que Goudouland soit l'Armée du salut" Ou encore : "qui exige un coup de vent peut en mordre la poussière" (p. 161).
En résumé... J'ai aimé livre sans l'aimer. Je ne me suis pas ennuyée, j'avais même hâte de le retrouver, mais certains éléments ainsi que le style m'ont déconcertée. Pas sûre de lire un autre Chloé Delaume...

Sophie (avis transmis)
J'ai beaucoup aimé avec malgré tout deux réserves.
Première réserve : au premier chapitre, l'entrée dans la lecture m'a été difficile, car je ne comprenais pas ce qu'elle disait, trop de références, trop de mots compliqués, un style complexe : "Le Saint-Jean gaze précède la collapsologie." Je n'ai rien compris, et je n'ai pas cherché à comprendre, car je déteste les lectures studieuses, chercher les références et les définitions, j'aime qu'elles se comprennent par le contexte. Donc ça commençait mal.
Ce que j'ai aimé
: Le second chapitre m'a immédiatement conquise, parce qu'il est question d'une narration. Comment l'héroïne tombe en amour pour la poésie et la littérature. Le récit intime, la passion palpable, les références aux années 80 (Arcopal, Dunhill, le Tang, the Cure, les Docmarteens, les keffiehs et bandanas) m'ont très vite fait ressentir de l'empathie pour le personnage de Clothilde.
Ses traumas qu'elle subit à 10 ans m'ont particulièrement touchée car cela fait vraiment beaucoup (d'autant qu'ils sont autobiographiques…) : féminicide de sa mère par son père, suicide de son père, puis arrivée dans une nouvelle famille "bac-5" dans laquelle elle doit ne pas mentionner son histoire et appeler sa tante "maman" et son oncle, "papa". Cette histoire paraît incroyable. Puis conséquences de ses traumas, dépression, TS, bipolarité et histoires sentimentales difficiles.
Sa passion pour l'écriture sera salvatrice et résiliente, même si elle se défend de ce concept. Et en même temps l'entraîne vers un monde irréel avec cette histoire amoureuse dans lequel le retour à la réalité sera un choc douloureux.
Le fil conducteur du voyage en train permet un départ et une arrivée, et un flux de pensées, entre narration, analyse et questionnement.
Les thèmes traités et leur questionnement, la découverte fulgurante et passionnelle de la poésie & littérature qui l'amèneront à la création par l'écriture, l'héritage maternel de cet amour, le féminicide et le suicide d'un parent, les conséquences des traumas, la dépression, les TDS, la bipolarité, le patriarcat et l'hétérosexualité, le lesbianisme, la prostitution, la voyance, les histoires d'amour, l'ennui dans le couple, l'idéalisation d'une relation passionnelle en dehors de toute réalité, l'emprise amoureuse, le réconfort de son chat citrouille, et, et, et*…
La couverture est remarquable tant elle résume son propos. Une image surprenante à la fois irréelle et construite, douloureuse et drôle à la fois, et hyper symbolique. La reine qui dégringole de son idéalisation, le chat citrouille transformé en lapin, que lui imposera son objet de fixation "son monstre". Le livre à la frontière de plusieurs styles, comédie dramatique et essais psychologique, sociétale voir même philosophique.
Le style est surprenant, poétique et drôle :

- les noms d'oiseaux : "Mademoiselle tête de Faon" et leur analyse symbolique "la Reine", "le Monstre", "elleetlui"
- la narration : "Le trio devint la Triade et s'inventait tant d'aventures que se rendre au supermarché relevait de l'épopée homérique".
- ses ressentis : "Se prendre un vaudeville dans la gueule, Clotilde n'apprécia pas des masses", "Ainsi sont morts les amants d'encre, la volupté en strophes, le chaos à la rime ; du lever au coucher reliés par la chaîne d'or d'un amour impossible"
- les références culturelles : "La voilà donc qui rêve qu'elle collabore avec Guillaume, qu'ils ont décidé de tourner une variation autour d'un film de Sophie Calle réalisé en 1995, No Sex Last Night, où l'artiste traverse en Cadillac les États-Unis avec Greg Shepard afin de sauver leur couple par un road movie ; caméscopes respectifs, une heure et douze minutes. Et pendant que son souffle parfaitement régulier s'échappe de sa bouche entrouverte, elle se voit avec lui partir, la Reine en crinoline".
- le titre des chapitre : "La vie cinéma"
- mon passage préféré parce qu'il reprend une question féministe des années 70 (enfin je crois que c'est des années 70…) : "Clotilde éprouvait de l'aversion pour les personnes exerçant le pouvoir patriarcal, pas pour tout être humain doté de testicules. En fait elle était juste antiphallocrate, mais le terme semblait éculé. Ce qu'elle détestait, ce n'était pas le couillidé par essence, c'est ce qui le constituait socialement et culturellement ; ce qu'elle méprisait, c'était son orgiaque brutalité à s'emparer de tout ce qu'il trouve. Seulement, évidemment, ça soulevait des questions. Le féminisme radical est-il compatible avec une histoire d'amour hétérosexuelle ? Tant que les privilèges ne seront pas abolis, comment ne pas se dire je couche avec l'ennemi, et se projeter tondue à la Libération ? ".

En dehors de cette lecture, j'ai aimé :
- les références à son prénom et nom d'autrice
- l'autrice, qui foisonne de projets et créativités avec son site riche +++
Ma seconde réserve
: *Les thèmes trop nombreux font un peu trop fourre-tout.
Conclusion
: super découverte malgré tout. Ce livre me trotte dans la tête. Et me donne l'envie de lire ses livres.

Nelly (avis transmis)
J'ai eu du mal avec ce livre car bien qu'il m'ait en quelque sorte captivée, j'ai ressenti des impressions différentes selon les chapitres, souvent du malaise, de l'exaspération et parfois même du dégoût.
Évidemment, on est saisi dès les premières lignes par la violence de ce qui arrive à la narratrice et aussi par la manière dont elle le raconte. Qu'il n'y ait pas de mesure dans sa haine envers son père et le système patriarcal est largement compréhensible, et qu'elle ait pu se reconstruire après un tel cauchemar force l'admiration, mais sa vision noire de l'existence la poursuit absolument dans tout ce qu'elle raconte, même quand elle parle d'amour. J'y ai vu surtout une détermination absolue à maîtriser ses émotions et une auto-analyse permanente qui donne l'impression que l'écriture lui permet juste de se regarder vivre. Elle est dans une constante stratégie : pas de spontanéité, pas de laisser aller, pas d'émotion. Quelques scènes laissent une place à la sensualité : la scène du coup de foudre par exemple, qui est assez jolie, à souligner par rapport à d'autres passages à l'opposé franchement écœurants (le chapitre sur sa période prostitution).
Il semble que rien ne l'impressionne. Cela met mal à l'aise, ce qui est probablement l'effet recherché.
Je peux apprécier le sarcasme, pas le mépris. Ce n'est qu'un détail, mais le surnom de l'évier pour le partenaire de Guillaume par exemple, est vraiment laid et méprisant.
J'aurais aimé être séduite par l'écriture, mais la volonté de dimension poétique par la richesse des mots ne m'a pas du tout charmée. Je n'y ai pas vu d'esthétisme.
Le côté politisation et militantisme autour du choix de sa sexualité m'a agacée. Je l'ai rencontré chez d'autres auteures, mais je n'adhère pas à l'expression "choisir d'être lesbienne". Le lesbianisme politique, je ne comprends pas, je n'ai pas été plus convaincue par ses démonstrations.
Curieusement, par ailleurs ce personnage n'échappe pas aux clichés hétérosexuels, quand il s'agit de se comporter comme une midinette dans l'attente de Guillaume chez elle, pour l'arrivée de Guillaume (talons aiguilles, petite robe).
Un détail qui m'a semblé incohérent : la première fois que Clotilde doit affronter le partenaire de Guillaume il s'appelle Stéphane, et à la fin c'est Juan : est-ce voulu ?
Je reconnais des qualités à ce livre dérangeant, un côté "coup de poing" qui ne laisse pas indifférent.e, mais je n'ai pas pris tellement de plaisir à le lire.

Agnès
J’ai lu Pauvre folle de Chloé Delaume il y a plusieurs mois et c’est un livre que j’ai beaucoup aimé. J’ai donc soutenu cette proposition de lecture, sans pour autant relire l’ouvrage.
J'ai le souvenir d’avoir été conquise par l’humour mordant de l’autrice (par exemple, je trouve sa galerie de portraits d'hommes depuis #MeToo savoureuse) et par son style vivant, vif, cru et poétique à la fois. Les chapitres consacrés au mouvement féministe actuel m’ont paru très intéressants et éclairants. Ce qui est dit au sujet des lesbiennes politiques aussi (et on pourrait la mettre en dialogue avec Virginie Despentes au sujet de la fameuse expression "devenir lesbienne").
Par ailleurs, le portrait de son père et la relation de ce qu'elle a vécu enfant est glaçant (je ne connaissais pas tout le déroulé de l'événement).
Seul bémol, le développement de l'histoire d'amour entre l'héroïne et cet homme (même gay) m’a semblé souffrir de quelques longueurs.
De Chloé Delaume, j’ai lu Les Sorcières de la République et l'essai Mes bien chères sœurs. En plus de son engagement dans le mouvement féministe, de son activisme qui fourmille de propositions, de sa lucidité (sur elle-même), j’apprécie sa gouaille et son énergie.

Marie-Yasmine
J'ai lu ce roman sourcils froncés et en soupirant régulièrement.
L'histoire d'amour ne m'a pas séduite, et plutôt navrée. Les scènes d'amour m'ont plutôt rebutée et le style d'écriture ne m'a laissée perplexe, même si je ne peux dénier un vrai travail.
J'ai été très agacée par les coupures régulières dans l'histoire, destinées à nous faire des leçons de féminisme, de psychanalyse ou de militantisme. Quand un roman est bien construit, il n'a pas besoin de s'interrompre pour exposer une idée aussi directement, les concepts doivent s'intégrer dans la narration. J'ai même sauté les pages "portraits post #MeToo" parce que j'avais l'impression de lire un article de Madmoizelle, et que je n'étais pas vraiment là pour ça.
C'était une lecture pénible, mais je suis tout de même heureuse de l'avoir achevée. Chloé Delaume a un style bien affirmé et c'est intéressant de le découvrir.

Claire Bi
Si Marie-Yasmine soupirait, pour ma part j'ai soufflé et levé les yeux au ciel tout du long. Je l'ai fini pour en parler ici, sinon, vraiment, j'aurai arrêté.
C'est le premier livre que je lisais de Chloé Delaume. Je savais qu'elle faisait plein de choses, qu'on partagerait probablement le même point de vue sur le féminisme et qu'elle avait un passé traumatique, mais je n'avais par contre pas mesuré à quel point c'était une star de l'autofiction, ni jusqu'où elle la pousse dans son travail. C'est un genre que je connais peu, mais pourquoi pas.
J'ai aimé le voyage en train où les souvenirs défilent façon Zone de Mathias Énard, ou quand elle interroge en creux ce que deviennent le désir et l'amour qu'on essaie de réveiller d'une histoire ancienne. Certains passages sont assez drôles : la comparaison laconique d'un couple avec un évier, certains portraits de la galerie
post #MeToo, même si elle est un peu longuette, comme le livre de façon générale : à la 40e fois où elle nous dit que Clothilde a le ventre troué par le 10050e mail du pauvre type qui l'obsède depuis douze chapitres, on a envie de crier ça suffit, et on ne peut qu'être d'accord avec les conseils de ses amis, et comme eux assez abattue.
Peut-être aussi que je n'avais pas envie de me plonger dans les paradoxes d'une féministe qui se retrouve dans toutes les impasses hétéros possibles - elle va quand même passer son année de résidence à la villa Médicis obsédée par cette histoire affligeante d'ennui et de mégalomanie à la 3e personne. Peut-être que le fait qu'elle soit capable de l'énoncer clairement, tout en ne pouvant s'empêcher de remettre une pièce dans la machine, m'a déprimée et que même si c'est un fonctionnement bien croqué, ce n'était pas ce que j'avais envie de lire. J'ai bien senti qu'il pouvait y avoir plusieurs fils à tirer, du côté de l'auto-sabordage, de l'enfance ou des troubles psychiques. Mais je n'accroche vraiment pas à son écriture. Je la trouve peu travaillée, voire j'ai parfois eu l'impression de lire un premier jet (je ne suis d'ailleurs pas la seule, une critique a écrit que c'était une sorte de 1er jet génial. Mouais.) Sa mère lui a appris à écrire des alexandrins quand elle avait huit ans ? Allez hop, on met des alexandrins partout. On adore L'écume des jours ? Allez, on fait des puzzles-gélatine de cerveau et autres images du même genre. Pour quelqu'un accordant tant d'importance à la poésie, j'ai trouvé le monde imaginaire censé surgir de leur correspondance bien pâlichon - c'est sans doute voulu de sa part, mais ça m'ennuie et ce n'est même pas beau.
À mi-chemin je suis allée voir ce que Claire avait mis en ligne sur son travail et sa biographie, et qui a forcément modifié ma lecture. Je suis restée songeuse concernant ce qu'elle a fait de son passé : là aussi, il y aurait des fils à tirer mais l'écriture me bloque. J'ai eu l'impression enfin de lire un fourre-tout d'opinions
post #MeToo qui ne m'a rien appris, fait en plus pour éduquer le lecteur, ce qui ne m'intéresse pas beaucoup.
[Après discussion avec le groupe et ayant compris jusqu'à quel point TOUT est autofiction dans ce qu'elle écrit, je comprends que le geste littéraire soit intéressant à étudier et malgré le côté règlement de comptes rive gauche, ça me l'a rendue sympathique. Elle est un peu givrée, dommage que son écriture me rebute. Son site m'en a appris plus sur sa démarche : j'hésite entre trouver ça intéressant drôle et troublant, ou alors mégalo et ennuyeux. Probablement un mélange des deux].

Anne
Au début j'ai cru que je n'allais pas aimer, car il y avait des phrases que je ne comprenais pas, comme par exemple "Le peuple des pyjamas bleus est de tant tellement proche, une épée de Damoclès en coton toujours rêche" ou "Au fond de ses pupilles s'étend si cru un ciel d'orage, Clotilde s'est construite sur des marais de fange que sa colère assainit". Mais ce n'était qu'au début.
Avec son humour, elle m'a conquise. J'ai pouffé de rire en lisant certains passages, ce qui ne m'arrive rarement en lisant un livre. Et j'ai lu le livre avec plaisir.
J'ai aimé les thèmes traités, comme celui de la "lesbienne politique", la sororité, la sorcellerie, l'écologie, les chats…
Le fil conducteur du train et du puzzle aux drôles de formes, ça m'a amusée.
Le moment où elle aborde le sujet de la prostitution m'a fait penser à King Kong Théorie de Virginie Despentes, et je me suis dit qu'il serait intéressant de les voir échanger, sur différents sujets qu'elles abordent toutes deux dans leurs livres.
Les petits "moi" qui dialoguent au sein d'elle-même, j'ai trouvé ça intéressant, et Relouta m'a bien fait marrer.
Certains passages m'ont rappelé que je suis contente de ne pas être hétéro pour ne pas avoir à me poser la question de ma place et de la place de l'homme dans le couple.
Pour finir, j'ai donc eu peur de ne pas tout comprendre au début dans ce livre, mais j'ai vite adhéré à ce mélange d'aspects dramatiques et d'autres drôles. Cela me donne envie de lire d'autres livres de cette autrice.

Patricia
J'ai beaucoup aimé ce livre, à mon avis un des meilleurs livres de cette saison Lirelles (après peut-être Louise Erdrich).
Je ne connaissais pas vraiment Chloé Delaume, je m'attendais plus à quelque chose comme Amélie Nothomb, peut-être à cause de leur ressemblance physique et de leur franc-parler, alors que finalement cela n'a vraiment rien à voir.
J'ai trouvé Chloé Delaume extrêmement talentueuse. J'ai surtout beaucoup, beaucoup aimé son écriture et la façon dont elle traite les sujets dans ce livre, qui sont, en fait, les thèmes autobiographiques récurrents favoris de son œuvre. Ici, elle traite tous ces sujets de façon très originale. J'ai connu peu d'écrivains contemporains qui soient aussi doués.
J'y retrouve l'inspiration de Boris Vian, dans le surréalisme, comme ses souvenirs qui sont des objets de forme et de texture variables qui évoluent, et se modifient dans le temps. J'y ai aussi vu certaines ressemblances avec l'écriture d'Hélène Cixous (par exemple, des formules qu'elle utilise souvent, et une certaine folie) ou Milan Kundera (onirique comme le dialogue avec son chat Citrouille)… Il y a également beaucoup d'humour et d'autodérision.
Ce que j'ai trouvé magnifique, c'est sa prose rythmée, sa poésie, qui se lit comme du slam sur presque 270 pages, je trouve ça très, très fort.
Concernant les sujets abordés, outre ses traumatismes d'enfance et sa maladie psychique, il y a une histoire d'amour qui est le fil conducteur du livre et, en tant que femme hétéro féministe, elle a des questions existentielles (histoire d'amour avec l'homme, l'ennemi). Profonde dans les analyses qu'elle en fait, elle a conscience de ses contradictions, ce que je trouve très honnête de sa part. C'est ce qui m'avait perturbée dans le livre Le Carnet d'or de Doris Lessing, assez démodé maintenant, que j'ai lu il y a quelque temps, c'étaient ces femmes hétéros féministes de l'époque complètement assujetties aux hommes dans leurs histoires amoureuses : je n'arrivais pas à comprendre comment elles pouvaient assumer cette contradiction (2e génération des féministes des années 70). Pas facile d'être hétéro pour une femme. C'est vrai, qu'être lesbienne règle le problème chez nous...
Cependant, dans ce livre, Chloé Delaume, elle, a réglé (temporairement) ce problème de façon très spéciale, en ayant une vie amoureuse épistolaire et fictionnelle (la Reine et le Monstre), quasiment platonique, avec un homme homosexuel vivant en couple avec un autre homme. Ce qui n'est pas dans le schéma homme/femme classique. Et donc il n'y a pas de contradiction pour elle (3e génération de féministes).
Durant une grande partie du livre, cet amour devient complètement dévastateur, et malgré les conseils de ses amis, elle ne peut se résoudre à mettre fin à cette relation épistolaire toxique, et elle y retourne toujours. C'est un passage assez long (mais drôle aussi) et à un moment, tout comme ses amis, on a envie (nous le lecteur) qu'elle en finisse une bonne fois pour toute avec cette histoire toxique qui la rend folle.
Son parcours en train me fait penser a posteriori à un cheminement psychanalytique qui se déroule comme une psychanalyse pour démêler tous ces problèmes, en partant de ses souvenirs et ses rêves, d'où le puzzle.
Je ne dévoile pas la fin pour garder le suspens. Mais c'est ce que nous mettons souvent en place après une histoire d'amour qui ne convient pas, essayer de trouver des stratégies pour tenter de passer à autre chose.
D'autres sujets : la prostitution et Griselidis Real, découverte à Lirelles.
Bref, j'ai aimé et trouvé très intéressant la façon dont elle aborde les sujets.

Laetitia
J'ai deux livres de Chloé Delaume que je n'ai pas encore lus : Le Cœur synthétique et Le Cri du sablier. Pauvre Folle est ainsi la première œuvre de cette auteure à laquelle je me confronte. A la lecture de son site, j'ai été très impressionnée par tout ce qu'elle avait déjà fait, alors même qu'elle n'a que 51 ans. Pour moi, c'est ainsi une découverte totale.
Mon avis sur le livre : mitigé.
J'ai été déroutée, aussi bien par le fond que par la forme.
Le livre est sous-titré "roman", cela interroge. N'est-ce pas plutôt un essai ?
Il y aussi la poésie (ou prose poétique), bien présente ; le livre mêle ainsi plusieurs genres, plusieurs niveaux de langues. Nous avons des mots rares comme "uxoricide" (meurtre de l'épouse), "anhédonie" (perte de la capacité à ressentir le plaisir) et des termes triviaux, vulgaires, crus, qui ne m'ont pas plu.
Chloé Delaume m'a fait penser à Virginie Despentes à travers des phrases "punchline", également à travers le lien à la musique : elle a enregistré un album avec le groupe The Penelopes (dans Pauvre folle, le groupe Ulysse et Télémaque).
J'ai écouté sa prestation à la Maison de la poésie : on la voit lire, avec beaucoup d'assurance, cela vaut la peine de visionner. On sent quelqu'un de lucide, avec un certain recul sur elle-même.
Le titre nous renvoie à la pathologie bipolaire. Elle dit bien "Je suis Clotilde" (autofiction). Bipolarité qui peut peut-être expliquer qu'on va ici, puis ailleurs (impression de livre "fourre-tout", alternance de périodes up/down) ? De la théorie, au tout dire, à la poésie. La bipolarité l'envoie à des confins. L'écriture a certes aussi un aspect cathartique.
Pour ce qui est des aspects psy ("EMDR", "forclusion", "psychologie inversée"...), elle a fait relire le livre par une amie psychologue. La bipolarité m'a fait penser à une auteure que nous avions lue, Delphine de Vigan (à son livre Rien ne s'oppose à la nuit et non D'après une histoire vraie que nous avions choisi il y a quelques années).
Quant à la construction jusqu'à la fin où elle semble avoir réglé le problème, passant à autre chose, elle recourt au puzzle dans le train, procédé narratif que j'ai trouvé totalement artificiel : elle n'aurait pas pris le train, cela aurait été pareil. Le livre est fait pour nous parler de nombreux sujets, tels que : comment peut-on être une femme "hétéra" à l'heure du mouvement #MeToo ? L'histoire d'amour permet une confrontation avec ses amies ; cela paraissait très mal parti dès le départ cette histoire avec un gay !
J'ai apprécié les références féministes, LGBTQ..., Monique Wittig, Alice Coffin, "iels", "cis/non binaire", la réflexion sur les définitions ("féminicide"). C'est vraiment un livre de notre époque, lequel, au-delà de l'histoire personnelle de Clotilde/Chloé, renvoie à l'actualité. Elle évoque aussi par ailleurs des auteurs classiques comme Stendhal et Balzac.
J'ai bien aimé la construction du livre : elle analyse tout, décortique. Les trois premiers chapitres sont bien faits et posent d'emblée la problématique de son histoire personnelle.
Il y a de l'humour indéniablement (chapitre consacré à la typologie du mâle hétérosexuel post #MeToo), je parlerais cependant plutôt d'ironie qui compense le côté très sombre et noir du livre.
En conclusion, je suis mitigée. Du fait de l'élargissement à l'époque, c'était une œuvre à lire à Lirelles. Mais celle-ci m'a parfois dérangée (avec par exemple avec beaucoup trop de détails : cf. chapitre sur la prostitution) souvent déroutée.
À noter : la question du "lesbianisme politique" interroge une fois de plus : à quand une confrontation avec Virginie ?...

Claire Bo
J'ai été partagée entre la rigolade, la sympathie, l'agacement et l'inintérêt.
Des aspects qui ne m'ont pas déplu
- des formules ou des mots qui font mouche : "hétéras", "ce qu'elle aimait, c'était être dans Word", sur l'appartement de Guillaume : "Du bon goût, de l'adulte"
- le mélange des registres : contrairement à Laetitia, j'apprécie
- le coup de foudre réussi et drôle :

En son for intérieur, Clotilde s'écria Quelle merveille que cet homme, alors que des fourmis rouges dévoraient tous ses membres. Guillaume lui sourit en plissant ses yeux bruns soudain piquetés d'éclats cuivrés, fauves, acajou. Le salon s'évapora et aussitôt ils disparurent dans un nuage de sucre glace, tandis que le silence s'épaississait tellement qu'il leur empoissait les bronches. Les molécules de saccarose s'infiltraient prestement, changeant leur cœur en pomme d'amour, engluant de sirupeux leur système nerveux central, tout en faisant scintiller leur peau. Ils étaient tous deux suspendus, flottant dans le tourbillon poudreux. Clotilde tendit sa main, Guillaume pressa ses doigts, un afflux de dopamine et de norépinéphrine confirent dans l'instant leur sourire, béatitude glacée, figée dans le glucose ; ce qui n'échappa nullement à Rebecca et son conjoint. Ils observaient la scène avec stupéfaction, pendant que leur enfant dessinait des bonshommes qui se jetaient dans le volcan bouche ouverte sur une bulle marquée d'un SOS au tracé dyslexique. (p. 81)

- elle déteste les géraniums, moi aussi
- j'aime bien les critiques vaches de ses copines
- l'idée de typologie des hommes ; mais il fallait tenir sur la distance, hélas…
- la difficulté à avoir des relations amoureuses pour les non lesbiennes, la difficulté de l'hétéro féministe : un vrai problème !
- je la suis sur la prostitution, n'étant pas abolitionniste
- je rejette en grande partie le livre tout en ne m'ennuyant pas : c'est un compliment…
Des points qui m'ont déplu
- je trouve l'autofiction trop grossière, collant trop à sa vie, ça me paraît presque enfantin, maladroit. Tout colle trop ("son tout dernier roman avait reçu un prix littéraire important" c'est elle ; pensionnaire à la Villa Médicis, elle l'était) ; d'ailleurs elle dit dans ses entretiens "Clothilde c'est moi", ce qui en rajoute une couche ; tout ça pour éviter un je qu'elle a essayé et c'était pathétique dit-elle, la 3e personne permettant la distance et l'humour
- plus grave pour adhérer au livre, est pour moi le voyage en train que je trouve artificiel ; l'histoire de puzzle m'a vraiment ennuyée, j'ai trouvé ça puéril (dans ses interviews elle appelle ça pour faire bien du "réalisme magique", pour moi ça tombe à plat) ; que fabrique-t-elle dans ce train où je n'embarque pas du tout !
- dès la première page, j'ai été gênée par des termes qui ne passaient pas, que je trouvais affectés, prenant la pose : "Clotilde observe la neige couvrir avril ", les "prés empoissés par des ruisseaux boueux", "elle vit et ne vivra plus qu'à l'aune du seuil franchi". Et ça continuera : elle a "assisté à l'acmé d'un cauchemar" ; ou alors des facilités genre "le ciel se fait couleur valium" (bof). Voilà un exemple dans la même phrase d'une expression qui me déplaît et d'une réussite : "Ils jouirent tour à tour comme d'autres rendraient l'âme (pitié !), Clotilde aurait voulu glisser cet instant sous verre" (joli !)
- l'histoire d'amour m'a paru une harlequinade ; elle aurait peut-être pu faire quelque chose de mieux si elle quittait la vraie vie pour fictionner
- ses hommages à la littérature vont aussi de la réussite - "elle se faisait des shots de Racine" - à l'entre-soi avec référence excluante : "son exemplaire dédicacé de Rose poussière" (c'est quoi c'est qui ?)
- la quatrième de couverture m'a semblé être une caricature de ce qu'il ne faut pas faire, mais c'est un détail
- quant à ce qui est dit sur les lesbiennes, je n'ai pas trouvé ça sympa du tout :

"Elle se définissait comme bisexuelle, mais les femmes lui faisaient de moins en moins d'effet, et elle n'en avait pas connu tant que ça. Elle était forcée de constater que la dernière qui l'avait touchée avait broyé ses illusions, saccagé le paysage du royaume utopiste : elle avait été le trophée d'une séductrice à tête de faon, qui l'avait soudainement plantée juste à l'orée du bois pour une proie génitalement plus audacieuse, après l'avoir cornardée à clito rabattu. Jamais un homme, non, aucun homme, ne l'avait traitée de la sorte. Et pourtant, les connards, elle avait pratiqués. C'était il y a quinze ans, soit plus que l'éternité, mais elle ne s'en remettait pas. Sa confiance envers les guérillères était morte avec sa candeur et l'espoir d'un amour certifié sororal. Tout ça l'avait comme écœurée. Ça, et la frénésie sexuelle de Mademoiselle tête de faon."

Par ailleurs, pour ce qui est de l'auteure et non du livre, je suis admirative de la variété de ses œuvres. Son site, qui en fait partie, est très beau.
Tout compte fait, je pense qu'il fallait programmer un Chloé Delaume à Lirelles, c'est une féministe qui a une voix particulière, qui compte par son œuvre et sa personne.
Outre Pauvre folle, j'ai enfin lu un livre que j'avais d'elle, La règle du Je, un essai très court sur l'autofiction, principalement celle qu'elle pratique : original, intéressant et elle n'y raconte pas sa vie !
Puisque nous lirons Triste tigre de Neige Sinno, j'ai remarqué le rapprochement qu'elle fait entre elles deux dans des entretiens : l'écriture ne la sauve pas, Neige Sinno, tandis que Chloé Delaume si, car cela lui "permet une réidentification en changeant d'identité". Maintenant, le lecteur a-t-il envie de servir son salut à coup de récits de traumas..., même assaisonnés par un humour indéniable, pas sûr.

Muriel (qui comme souvent n'a pas vraiment lu le livre)
Je l'ai lu il y a un moment, mais pas complètement, je me souviens juste qu'il ne m'a pas vraiment déplu. Il y a des réflexions marrantes. Je n'y crois pas trop à son histoire avec cet homo. Mais vous entendre me donne envie de le relire vraiment
.

Joëlle L (qui avait proposé le livre)
J'ai bien aimé ce livre, pas spécialement pour son histoire (qui ne m'intéresse pas trop, à vrai dire), mais pour la manière ! Le ton, la construction du récit, l'humour, l'autodérision (dès le titre) et une écriture poétique très travaillée. Il faut lire à haute voix certains passages pour en apprécier le rythme et la musicalité.

J'aime le départ, ce voyage en train, le paysage qu'elle voit par la fenêtre.
Je trouve très juste et astucieux de raconter une histoire pendant un long voyage en train, lieu et moment propice à la méditation, à la rêverie.
J'aime beaucoup la matérialisation des souvenirs, le fait de les extraire physiquement de son crâne, de les poser sur la tablette pour les examiner et les décrire, puis de les remettre plus ou moins en place quand il faut descendre du train.
Et quand elle assemble ses souvenirs, ils sont cousus de fil blanc…

Il y a une verve incroyable et des formules que j'ai retenues :
- (en parlant de la France) "pays du fromage et des anxiolytiques"
- (pour évoquer sa grande précarité) "Clotilde habitait une mansarde dont les deux Velux n'étaient pas étanches, elle avait une carte Electron et était fichée Banque de France".
- (à la suite d'une déconvenue amoureuse) "son cœur était plein de courbatures".
- (en rêvant à l'homme idéal) "quelqu'un qui s'intéresserait à ce qu'elle fait et lui roulerait des pelles au clair de lune avant qu'elle ne porte un dentier".
Le rythme et la poésie m'ont emballée :
- "Elle chérissait son célibat, le couple elle en avait assez. La charge mentale, la charge psy, les plages horaires, les compromis"…
- "travaillant sans relâche, enchaînant les nuits blanches, accédant à la transe"
- "il n'est fait que de mots hors desquels rien ne fut" (bel alexandrin !)

En lisant ce livre, je pensais à la définition de l'humour "politesse du désespoir". C'est vraiment ça pour Chloé Delaume dont la vie a été tellement saccagée et qui s'en sort à coup d'anxiolytiques (et peut-être de fromage…) et surtout d'humour.
L'humour est ce que je retiens vraiment de cette lecture, dans laquelle les interventions de la chatte Citrouille ne sont pas à négliger.
Libération, 27 août 2023

Flora (avis transmis après la séance)
C'est à partir du second chapitre que je suis rentrée totalement dans ce roman. J'ai dans un premier temps été rebutée par le style d'écriture, puis je pense m'y être habituée petit à petit.
J'ai beaucoup apprécié les multiples thèmes abordés : le féminisme, la santé mentale, les relations amoureuses/amicales.
C'est un roman très complet qui m'a tenue en haleine jusqu'à la fin. En effet, je me suis demandé que signifiait ce voyage en train, quel était son but et qu'elle allait être l'issue de cette histoire "d'amour".
Belle découverte !

Felina (avis transmis après la séance)
J'ai dans ma bibliothèque Le Cœur synthétique que je me souviens avoir acheté avec enthousiasme suite à l'apparition de l'auteure dans une émission littéraire. Le personnage m'avait intriguée et séduite par son féminisme et son originalité. J'avais commencé le livre mais il m'était rapidement tombé des mains car prise par lassitude devant les banalités et les clichés de cette histoire de femme vieillissante cherchant désespérément un mari.
J'ai commencé Pauvre folle avec l'envie de changer d'avis.
Mais mon avis est très mitigé. La première partie, celle dans laquelle elle évoque sa mère et puis sa vie sans elle et son amour pour la littérature, m'a vraiment intéressée. Mais l'intérêt s'est lentement transformé en ennui, puis en agacement, au fur et à mesure que la relation et le comeback de son amant gay ont pris quasiment toute la place dans le roman. J'ai retrouvé les mêmes sensations qui m'avaient déçue à l'époque de la lecture du Cœur synthétique. Mais j'ai quand même terminé le roman, sans trop d'efforts.
Ce sont les réflexions féministes parsemées tout au long du texte qui m'ont fait endurer le récit de la relation avec l'amant gay.

Véronique (a commencé le livre, ses impressions restent en attente)

Épilogue

Pauvre folle évoque à trois reprises la quatrième vague, ce qui nous a obligées à une mise à niveau... Voici ce qu'elle dit :

"Elle appelle la Violette, couleur du féminisme héritage suffragettes, cette révolution qui depuis #MeToo gronde. Pour Clotilde ce n’est pas que la quatrième vague, c’est le dernier tsunami et l’ultime soulèvement."

"Mais Clotilde était poreuse aux embruns du moment, elle observait la quatrième vague féministe libérer la parole, et cette parole, en déferlante, exprimait à toustes ce même réel : prédation et domination ; impunité sociale, ombilic culturel."

"En ce moment elle était sur une commande pour une collection féministe, un texte sur la façon dont elle percevait les changements liés à la Violette, à l’impact de la quatrième vague. Le titre c’était Aujourd’hui Mesdames".

Un article de l'historienne Bibia PAVARD (aux intéressants travaux, voir sa fiche wikipédia) détaille la métaphore marine qui désormais s'est imposée pour distinguer 4 vagues féministes : "Faire naître et mourir les vagues : comment s'écrit l'histoire des féminismes", publié dans un numéro de la revue Itinéraires consacré à "Féminismes quatrième génération", n° 2, 2017-2018.

- Une première vague féministe se déploie du XIXe siècle aux années 1930 autour de la question des droits civils et civiques.
- Une deuxième vague émerge dans les années 1960, davantage centrée sur la lutte des femmes contre le patriarcat et pour les libertés.
- Les années 1990 d'une troisième vague renouveau du militantisme féministe autour de courants et groupes constitués par des militant·e·s né·e·s dans les années 1970, n'ayant pas connu le MLF. Ce renouveau militant se caractérise par la poursuite de certaines revendications et l'émergence de nouvelles (le droit au mariage pour les personnes de même sexe, les droits pour les personnes trans, la parité, etc.) et de nouvelles solidarités transnationales.
- Une quatrième vague depuis les années 2010 serait portée par l'activisme en ligne.

L'article a une perspective internationale ; les États-Unis jouent à certaines périodes un rôle pionnier. Elle précise le contexte français. Attendons la cinquième...


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