LA MOUCHE La nuit qui a suivi lannonce de ma libération, impossible de dormir. Javais beau avoir rêvé de ce moment, la réalité memplissait dun mélange de terreur et deuphorie. Jai remercié mon dieu minuscule. Une fois, pendant que jétais à lisolement, assise sur mon lit dans un état dabsence, un tout petit esprit mavait rendu visite en ojibwé, « insecte » se dit manidoons, petit esprit. Une mouche irisée sétait posée sur mon poignet. Je navais pas bougé, me contentant de la regarder caresser son bijou de carapace avec des pattes qui auraient pu être des cils. Plus tard, jai fait mes recherches. Ce nétait quune mouche verte, Lucilia sericata, mais, à lépoque, elle représentait tout ce je pensais ne plus jamais connaître : lextraordinaire beauté ordinaire, lextase, la surprise. Le lendemain, elle avait disparu. Je me suis dit quelle était retournée aux poubelles et aux carcasses. Mais non. Elle était écrasée sur la paume de ma main. Je lavais tuée dans mon sommeil. Jétais foutue. Le cliché cruel dans lequel je vivais mavait ôté le sens de lironie, mais tout ce qui vient perturber le désespoir de la routine est comme un signe radieux. Ce petit esprit avait été le présage quun jour je serais libre jen resterais convaincue des semaines durant. Et je lavais tué. Louise
Erdrich, La
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