L'avis de Marion sur :

La cloche de détresse de Sylvia Plath


  Une prose envahie de perceptions baroques, d'images inattendues, de réparties piquantes, d'un humour acide, ponctuée de feux follets politiques tellement lucides...

Nous pouvons ne pas sortir indemnes de la lecture du livre de cette jeune femme américaine tellement douée, qui se sent emportée inexorablement vers la mort, dans une lutte déchirante entre ses aspirations et l'avenir qui l'attend, entre gagner une petite vie, se marier, avoir des enfants et écrire tout son soûl, toute à la poésie qui la dévore du matin au soir.

La frustration lui est de plus en plus insupportable, confinée, explique-t-elle, sous une sorte de cloche de verre dont l'air vicié l'étouffe peu à peu, corsetée en ville si loin des chevauchées d'enfance sur son cheval Ariel.
Confinée également sous le maccarthysme, où le destin des femmes est tracé d'avance, entre mari, enfants, gâteaux maison et réunion Tupperware, où la brutalité politique s'affiche. Elle restera longtemps hantée par l'électrocution des époux Rosenberg.
Elle se bat pourtant, change d'air dès que possible, revit par exemple, jeune mariée, lors de son passage à Berk où elle s'enivre de l'air de la mer et de l'immensité des plages avant de découvrir le midi de la France.

Retour à Londres. Bientôt naissent deux enfants. Elle sollicite encore une bourse car elle a commencé à écrire La Cloche de détresse. La bourse enfin obtenue qui lui permet d'avoir du temps pour écrire en payant une femme de ménage et une baby sitter.
C'est alors qu'elle découvre que son jeune mari la trompe déjà.
C'est le coup de grâce. Elle y croyait tellement, à ce partage avec un autre poète. Elle commençait à être connue, reconnue, les soucis d'argent allaient peu à peu disparaître...
L'insupportable de sa condition de femme, trahie, abandonnée encore une fois par un homme après la mort de son père quand elle avait 9 ans, la rattrape avec une violence telle que cette fois sa tentative de suicide réussit.

C'était une femme à la fois forte et fragile, qui n'a pas trouvé sur sa courte route de témoins vraiment secourables. Elle aimait bien pourtant sa dernière psychiatre qui la traitait avec humanité et lui a permis de quitter l'institution et reprendre le travail. Mais peu après elle rencontre le poète anglais Ted Hughes.
Ses relations avec ses amies collégiennes ou étudiantes courent tout au long du livre, sans véritable amitié, semble-t-il et elle, qui a tant d'imagination, ne parvient pas à imaginer ce que deux femmes peuvent faire ensemble ! L'air raréfié sous la cloche ne permet guère d'ouverture aux autres en dehors des sentiers battus.

Elle vivra une suite d'accidents douloureux durant cette période de passage à la vie d'adulte, une intoxication alimentaire, un homme "misogyne" qui l'a maltraitée, une défloration qui se termine en hémorragie à l'hôpital, un avortement difficile...
Mais son courage et sa détermination, nourries du feu incroyable de ce désir d'écrire qui renaît perpétuellement tel un phoenix lui donnent encore la force à chaque fois de se régénérer. Elle écrit comme elle respire, souvent sur les mêmes thèmes, avec des formes différentes. Elle raconte, elle témoigne de ce combat qui n'a de cesse en elle, on pourrait même dire qu'elle ressasse...
Jusqu'au jour où vaincue, elle baisse les bras, après avoir tout dit. Elle n'a plus de mots, comme on n'a, parfois, plus de larmes.

Pour mon voyage avec ce livre, je disposais dans ma bibliothèque de la Cloche de détresse et du recueil Arbres d'hiver, précédé de La Traversée. J'ai emprunté à la Médiathèque près de chez moi le gros livre des Œuvres de Sylvia Plath, poèmes, romans, nouvelles, contes, essais, journaux. Bien sûr je n'ai pu tout lire en deux mois, mais j'ai envie de continuer à découvrir son œuvre peu à peu au fil du temps. Ces derniers jours, j'étais tellement imprégnée d'elle que le désir d'écrire aussi ma dépression et mon combat de chaque jour pour garder la tête hors de l'eau m'a saisie durant mes insomnies. Et les mots et les images sont arrivés du fond de la nuit... Comme avant.

 

Lirelles a programmé La cloche de détresse le 30 mai 2021 : http://www.lirelles/plath.htm