|
Nos RÉACTIONS à
la lecture de
Les
grandes oubliées : pourquoi l'Histoire a effacé les femmes
de Titiou LECOQ, préface de Michelle Perrot
Lors de ce 16 janvier 2022, nous étions 15
à avoir été complices de la résurrection de
ces grandes oubliées et à exprimer
nos réactions :
- en visio (10) : Agnès, Aurore, Brigitte, Claire, Flora, Laetitia,
Lucie, Mathilde, Nelly, Sandra
- par écrit lu à haute voix
(5) : Joëlle L, Marion, Muriel,
Nathalie, Sophie.
Étaient bien prises par ailleurs : Clara, Felina, Ingrid, Joëlle
M, Marie-Claire, Patricia,
Stéphanie, Véronique.
Le livre, contrairement à
bien d'autres, a suscité des réactions largement communes
: ont été appréciés par toutes l'apport de
connaissances (un livre instructif, j'ai appris beaucoup) et l'objectif
atteint (redonner vie à toutes ces oubliées).
Le contentement de l'avoir
lu est général. Un livre vraiment intéressant, enrichissant
et très utile.
Le texte est facile à
lire, accessible. Pas l'ombre d'un ennui. Aucune lassitude - qu'attendait
Nelly d'un essai. Et pourtant il s'appuie sur de nombreuses recherches,
historiques, sociologiques, linguistiques, et même scientifiques
(voir le passage savoureux que nous a cités Mathilde sur
les spermatozoïdes).
Le fait qu'il parcourt toute
l'histoire, chronologiquement, est un très bon choix. Cela ajoute
même une forme de suspense, sous-entend Nelly : que va-t-il se passer
à la prochaine période ?
Alors
que l'on croyait bien connaître une période ou un combat,
l'on a découvert d'autres aspects.
L'apport de connaissances se double aussi d'une prise de conscience des
mécanismes en jeu que Titiou Lecoq met à jour. Elle construit
en apportant des connaissances, tout en déconstruisant ce qu'on
croyait savoir : "je vois d'une autre façon", conclut
Flora ; pour Laetitia, "c'est un livre très construit qui
déconstruit".
La
présentation, la démonstration, la désinvisibilisation,
se font sans agressivité et lui donnent par là-même
un aspect plus convaincant que Le
génie lesbien, estime ainsi Nelly. Elle explicite les relations
de pouvoir, analyse les ressorts des situations des femmes. C'est un système
plus que des hommes épouvantables qui est pourfendu. Elle évite,
apprécie Aurore, une confrontation hommes/femmes tout en ayant
un aspect militant.
Le livre suscite divers sentiments
: colère, admiration, horreur. On reste abasourdies que si tard
les droits des femmes françaises soient restés si limités.
On apprécie de retrouver,
parmi les innombrables inconnues, quelques figures connues : Olympe de
Gouges (nous avions lu Des
femmes rebelles : Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand
de Michelle Perrot justement) ou Charlotte Perriand. Pénélope
Bagieu, à sa manière, nous a aussi fait découvrir
des noms avec ses Culottées
; et des documentaires contribuent également à la re-connaissance
de ces femmes.
L'humour a surpris. Il a été
en général apprécié pour traiter un sujet
sérieux, la légèreté permettant de faire passer
des aspects plutôt tragiques : fraîcheur contre noirceur...
C'est la seule particularité qui a donné lieu à des
désaccords à fleurets mouchetés (voir ci-dessous)...
Pour Laetitia, la forme révèle la maîtrise des codes
du web.
Elle contribue à rendre le livre accessible à des lecteurs
qui ne liront jamais L'histoire
des femmes en 5 tomes...
Un chapitre a suscité
une attention particulière, concernant les aspects linguistiques :
féminin des termes, écriture inclusive, accord de proximité...
L'humour s'estompe au 19e siècle, le ton devient plus grave.
La préface a été
d'une part appréciée en tant que caution de la part d'une
Michelle Perrot incontestable, et d'autre part jugée un peu décevante
en tant que préface - aux gros caractères étonnants
(pour faire du remplissage ?...). Cependant Sandra a aimé qu'elle
utilise sur-le-champ le mot d'oublioir, si juste.
La fin est particulière,
constructive, car il s'agit du présent et donc de travailler pour
l'avenir. Le rôle de l'éducation apparaît considérable.
Et donc des programmes scolaires.
Titiou Lecoq
met à jour un aspect essentiel qu'ont souligné Mathilde
puis Brigitte, à savoir l'oscillation entre des périodes
d'avancées et de recul : rien n'est jamais acquis. À cette
absence de linéarité de l'histoire qu'elle souligne aussi,
Agnès ajoute le deuxième point fort du livre qui bat en
brèche le mythe de la femme empêchée : elles
étaient là, mais on les a effacées, oubliées.
Des
sujets de discussion, des témoignages
|
Le terme d'essai
a été débattu : essai ou pas essai ? Si l'on
se réfère à la définition
: "uvre de réflexion portant sur les sujets les plus
divers et exposés de manière personnelle, voire subjective
par l'auteur", y a pas photo. Sans doute le ton est pour quelque
chose dans ce questionnement.
Si l'on peut convenir que
sérieux ne signifie pas grave, un bémol exprimé par
plusieurs d'entre nous concerne l'humour, le ton, le registre, jugés
parfois excessifs : trop familier (Sandra), trop sarcastique (Sophie),
trop décalé (Flora) et pas assez sérieux (Brigitte).
Claire au contraire l'a défendu - le ton - sur toute la ligne,
prises à partie du lecteur comprises...
Auteure ou autrice : les duos acteur/actrice,
auteur/autrice existaient ; ce nest pas seulement le mot autrice
qui a disparu, on a rayé des manuels les femmes qui écrivaient,
affirme Titiou Lecoq. On inventera récemment le mot dauteure
alors quon ne dit pas une "acteure". Donc : "reprendre
le terme dautrice, cest rappeler lhistoire de notre
matrimoine", tel est le raisonnement de notre auteure, euh...
autrice ! Laetitia est convaincue sans problème. Si Sandra se rend
à cette argumentation, elle continue à avoir l'oreille écorchée,
dit qu'elle finira bien par s'habituer et l'employer un jour prochain.
Aurore se souvient de son mémoire sur le genre et d'un débat
avec sa directrice qui l'avait fait opter pour auteure, argh !
Lucie et Sandra ont fait des
études d'histoire pendant lesquelles elles n'ont pas rencontré
ces invisibles.
Encore aujourd'hui, Lucie est exaspérée de lire sous la
plume de Camille
Froidevaux-Metterie des expressions comme "domination immémoriale"
qui entraîne à la résignation.
Évoquer la préhistoire, ajoute-t-elle, permet de commencer
à répondre à la question : mais comment ça
a commencé ?!
Agnès a été
la seule à remarquer que les lesbiennes sont invisibles dans le
livre. Et nous sommes bien d'accord. Pourquoi ? Pourquoi ? Qui peut transmettre
la question à Titiou ?
Aurore de son côté
a apprécié que dans les remerciements soit citée
et louée l'agente Ariane
Geffard. Encore une inconnue pour nous autres, mais pas pour Aurore...
Les
évocations personnelles de l'autrice, à savoir ses souvenirs
scolaires, ont été appréciées, illustrant
très bien son propos. Les nôtres s'y sont ajoutées...
Muriel a vu sa mère râler parce
que son père devait donner son autorisation signée pour
vendre quelque chose.
Si Joëlle a connu Brunehaut et Frédégonde à
l'école, on voit que l'invisibilité a sévi pour les
autres : ces deux vamps ont disparu des manuels suivants. Agnès
qui a gardé ses manuels nous a choisi cet exemple édifiant...
:
Suite à l'émission La
Grande Librairie, Mathilde a proposé le livre, appuyée
par Flora qui l'avait repéré.
Lucie a emporté conviction et décision, car elle l'avait
lu : "Je l'ai lu et je vous confirme que ce livre est vraiment
très bien, je serais ravie qu'il soit programmé à
Lirelles ! Pour moi Titiou Lecoq n'est pas une découverte, j'ai
lu Libérées !
et Honoré
et moi
; je la connais aussi pour sa lettre d'information que je lis à
sa sortie chaque vendredi. Elle traite de divers sujets d'actualité,
ce sont souvent des sujets en rapport avec le féminisme, l'écologie
ou l'éducation. Ces lettres d'informations sont publiées
en tant qu'articles sur le site de Slate.
Je partage avec vous le lien de la lettre d'information qui aborde le
sujet de son dernier livre : http://www.slate.fr/story/215904/femmes-effacees-livres-histoire-nouveaux-programmes-manuels-scolaires-regression."
Le mot est revenu à plusieurs reprises : MERCI de l'avoir proposé.
C'est un livre à offrir (bien choisir bien sûr le ou la destinataire
du présent...).
Lucie, seule à avoir lu d'autres livres, ajoute aux qualités
de celui-ci la diversité des sujets que traite Titiou Lecoq.
Quelques avis individuels
détaillés
d'absentes : Marion
Nathalie
Sophie Joëlle
L Muriel
ou de présentes
: Brigitte
Claire
|
Marion (attendant
que son ordinateur soit réparé)
J'ai vivement apprécié ce livre
que j'ai lu et relu.
Nathalie
Je n'ai, hélas, pas terminé la lecture Des
grandes oubliées mais sachez que j'adore ce que je suis en
train de lire.
L'idée de sortir de l'oubli/"oublioir" les femmes, auxquelles
nous devons tant, est juste géniale.
Je trouve le propos intéressant, intelligent et très séduisant.
L'autrice est plaisante à lire.
Son livre est un puits de connaissances et j'apprécie l'humour
teinté de cynisme parfois.
J'ai toujours été ravie d'être née "fille
" et en lisant Titiou je dois dire que je suis fière d'être
"femme".
Cette réhabilitation est tout simplement juste et méritée.
Remettre dans la lumière les grandes oubliées est, je trouve,
une belle façon de leur rendre hommage, femmage (?).
Sophie
J'ai adoré cet essai extrêmement didactique et
accessible, qui cependant s'appuie sur des recherches d'historien.nes.
Les idées sont claires et bien argumentées. La lecture est
fluide et plaisante.
Comme l'autrice, j'ai été bousculée dans mes représentations,
notamment sur la Préhistoire et le Moyen-Âge, le féminisme
des autres époques m'étant plus familier ; cependant certaines
analyses des raisons de la domination masculine m'étaient inconnues.
Ce livre est un condensé de recherches et je pourrais le "prescrire"
à toute personne voulant en savoir plus sur la raison de l'invisibilité
des femmes dans l'histoire. Il est suffisamment riche pour en rester là,
mais permet aussi par ses références d'aller plus loin.
L'autrice est intéressante. J'ai apprécié son calme,
ses explications et ses réponses sans agressivité aux journalistes
dans les émissions radios de France Inter et France Culture.
Je n'ai qu'un seul bémol à adresser, le petit ton sarcastique*
qui ponctue certains argumentaires. Il m'a beaucoup irritée.
Merci pour cette lecture.
Merci Claire pour tous les
documents mis en ligne notamment la modernité des sources,
radios mais aussi FB et insta !
Claire
Tu te souviens dans quelle émission tu as noté le ton sarcastique
?
Sophie
Le ton sarcastique cest à lécrit dans le livre.
À loral cest parfait.
Claire
Aurais-tu un exemple ?
Sophie
Et même trois :
"Déjà, on imaginait que, forcément, ces
primitifs forniquaient sans cesse : les femmes étaient sans doute
engrossées en permanence, avec un enfant accroché à
chaque sein."
[Si les statuettes étaient à destination des femmes et
non des hommes, ne serait-il pas également envisageable quelles
aient été sculptées par des femmes ?] "Lhypothèse
préhistoporn a du plomb dans laile".
"Avec lécriture, les femmes du passé vont
pouvoir nous parler, et les hommes écrire des tartines sur ces
êtres instables quelles sont."
Joëlle L
Je suis très contente d'avoir lu ce livre et je remercie Lirelles
de l'avoir proposé. De moi-même, je n'aurais pas pensé
à le lire.
Au début, j'ai été un peu refroidie par la préface.
Il m'a semblé que Michèle Perrot n'était pas emballée
par le livre et faisait juste un devoir de solidarité en préfaçant
un ouvrage qu'elle n'approuvait pas totalement.
Ensuite, en entrant dans le texte, j'ai d'abord été agacée
par le ton trop facile, qui m'évoquait plutôt un article
dans un magazine. Une expression comme "on ne va pas se mentir"
m'avait un peu hérissée. Allais-je lire un article de Cosmo
étiré en longueur ?
Après, ça s'est arrangé. Est-ce que je me suis habituée
ou est-ce que l'auteure a calmé son style ?
En tout cas, je l'ai lu jusqu'au bout. Pour être honnête,
je n'ai pas retenu grand chose de ma lecture. Bon, les femmes ont été
invisibilisées et on a des exemples en toutes époques. Voilà.
Sinon, tout de même une remarque en ce qui concerne Brunehaut et
Frédégonde. L'autrice dit qu'on n'enseigne pas cet épisode
de l'histoire de France et je ne suis pas d'accord. J'ai appris cette
histoire à l'école. Mais il est vrai que c'était
il y a un certain temps
En parallèle, j'ai lu Une
histoire des sexualités (ouvrage collectif, sous la direction
de Sylvie Steinberg, aux PUF) et c'est un très bon complément,
dans un registre plus universitaire.
Claire
Je suis curieuse du contenu de lessai que tu as lu en complément
(qui a lair coton) ; est-ce que contrairement au livre de T.Lecoq
tu en as retenu quelque chose ?...
Joëlle
En fait ce livre est très accessible (ne pas se laisser berner
par son côté universitaire) : cest un panorama chronologique
et européen, qui part de lantiquité grecque et arrive
jusque vers nos jours, examine la question de lhomosexualité
notamment, à travers les époques mais aussi la pédophilie,
la chasteté, la prostitution, les mouvements féministes
(suffragettes, #metoo
), le mariage, linceste... Cest
assez fascinant de constater à quel point certaines valeurs sont
fluctuantes !
Muriel
Ce livre de Titiou Lecoq m'a beaucoup plu. Parce qu'il est
instructif. Ce n'est pas un livre littéraire, mais historique,
qui apprend beaucoup sur la place des femmes au cours des siècles.
Et ce qui est intéressant, c'est que Titiou Lecoq parcourt toute
l'Histoire.
Il y a beaucoup d'humour, de vivacité, ce qui est très agréable.
Je vais donner un exemple au sujet d'Émilienne, que les Allemands
attendent, "cachés chez elle. Quand elle arrive, ils lui
tirent dessus, la loupent, et elle parvient à senfuir par
les caves. (Mais quelle femme, quelle femme !) Elle rejoint ensuite
Londres", etc. C'est vivant, drôle, émouvant.
Ça m'a rappelé que dans les années 60, ma mère
voulait vendre un terrain qu'elle tenait de ses parents et il a fallu
que son mari signe pour donner son autorisation et là, elle a vraiment
râlé alors qu'elle était d'habitude mollasse ou, plutôt,
indifférente à tout. Et à la même époque,
mon père me disait, à moi adolescente : "tu pourrais
être secrétaire de direction ou pharmacienne, mais de toute
façon tu te marieras, et tu auras des enfants, et tu arrêteras
de travailler."
Ce livre n'est pas un roman pour notre groupe "littéraire",
mais c'est un bon choix pour Lirelles.
Brigitte
Les
grandes oubliées : pourquoi l'Histoire a effacé les femmes
(ou
plutôt pourquoi l'Histoire de France a effacé les femmes)
: voilà un livre qui vient certainement remplir un vide sur les
étagères, en donnant vie à ces femmes dont on avait
voulu nous faire croire qu'elles n'avaient jamais été.
La lecture, cependant, m'a paru au départ difficile en raison d'un
style volontairement familier, voire gouailleur, avec quelques vulgarités
glissées ici et là comme pour faire branché. L'humour
est bienvenu sur un sujet pareil, qui pourrait facilement susciter l'ennui
; ce qui m'a agacée, c'est cette volonté de faire familier,
à tout prix, pour ratisser large parmi les lecteurs ou lectrices.
J'ai failli abandonner la lecture, et la préface de Michelle Perrot
m'a semblé elle-même manquer d'enthousiasme. Quand le ton
change, pour aborder le 19e siècle, la teneur du livre change aussitôt,
et je n'ai pas l'impression que cela enlève de l'intérêt
au livre, au contraire.
Ceci dit, j'ai relevé plusieurs points intéressants qui
m'ont semblé dignes d'être gardés en mémoire
:
- d'une part c'est la sédentarisation qui a relégué
la femme à la cuisine et aux soins de la progéniture ; j'ai
été étonnée récemment de constater
que Bouddha, à sa mère qui lui demandait de devenir nonne,
répondit que c'était impossible, car une femme attachée
aux soins de la maison et des enfants ne pouvait pas atteindre l'éveil
; il a fini par se laisser convaincre par Ananda d'accepter que les femmes
entrent au couvent, mais à son corps défendant. Le bouddhisme
n'est guère plus favorable aux femmes que le christianisme, et
les religions dans leur ensemble, la femme étant toujours élément
de dissension, de troubles et de scandale ;
- d'autre part, aucune avancée de la condition féminine
ne peut être considérée comme assurée. L'histoire
n'est pas linéaire et procède en dents de scie. Le Moyen-Âge
a été favorable aux femmes, elles ont connu une certaine
liberté, et en particulier économique, le 19evoyant la femme
assujettie au mari au point de ne pouvoir lever un doigt sans avoir à
lui demander l'autorisation. Tout cela, encore une fois, pour assurer
un ordre de bon aloi pour le bon développement de la famille, avec
la mise en place d'un système dont le pivot est le code civil ;
- enfin rien n'est gagné, c'est la conclusion finale, et franchement
les retours sur l'IVG un peu partout le montent bien. L'une des priorités
devrait être l'école, malgré les progrès réalisés.
Au total, je trouve que le livre aurait pu avoir bien plus d'impact si
la dénommée Titiou avait su maîtriser des débordements
familiers qui ont peut-être raison d'être sur un blog, bien
moins dans un ouvrage qui veut convaincre et influer sur les esprits.
L'humour peut être fin sans perdre de sa force, au contraire.
Sur les femmes au Moyen-Âge par exemple, je préfère
de loin Régine Pernoud lue avec délectation dans le passé,
et j'ai très envie de lire maintenant Chevaleresses
: une chevalerie au féminin, de Sophie Cassagnes-Brouquet
(qui a aussi écrit une Vie des femmes au Moyen-Âge et
d'autres ouvrages sur la même période).
Claire
J'ai abordé cet essai avec une certaine lassitude
concernant le sujet des femmes mal traitées. J'ai commencé
par la préface que je n'ai pas trouvée transcendante (les
noms de Brunehaut et Frédégonde "refoulés
par le ressac de la mer" bof), tout en ressentant une confiance
"historique" pour la suite, la Grande Michelle Perrot ne pouvant
cautionner ce livre par le seul charme de son auteure (car j'avais vu
dans l'émission la
Grande Librairie comme elle la contemplait avec tendresse, sa Titiou...).
Elle utilise un mot que je ne connaissais pas, l'agency des femmes
que dessine Titiou Lecoq, un terme fréquemment utilisé dans
les études de genre (traduit par agentivité au Canada),
qui veut dire la capacité d'agir, par opposition à ce qu'impose
la structure : utile !
Bref, j'ai attaqué la Préhistoire avec prudence voire
méfiance, et ce qui m'a tout de suite surprise et frappée,
c'est l'humour. En fait, c'est ce qui m'a le plus plu dans le livre
: qu'elle parvienne à nous faire un panorama des oubliées
avec ce ton, cette audace, qui tape dans le mille tout le temps.
Si je suis un peu comme Joëlle, qui retient juste que les femmes
ont été invisibilisées et des exemples
sont donnés pour chaque époque dont je serais incapable
de citer des exemples sans rouvrir le livre, j'ajouterai que la légèreté
qu'amène l'humour constant s'est doublée d'une réelle
souffrance : quand on arrive au 19e siècle, j'ai trouvé
que son recensement prenait une allure plus ambitieuse en analysant les
ressorts d'une sorte de complot institutionnel contre les femmes ;
j'ai trouvé le tableau horrible. Je pensais simultanément
à toutes les horreurs actuelles faites aux femmes dans le monde
entier, en pensant qu'on ne s'en sortirait jamais. Quelque chose de poignant
accompagne la démonstration de l'injustice, insupportable à
certains moments, avec cette forme de haine systémique des femmes.
D'ailleurs, au début du 20e siècle, son humour disparaît
et j'ai trouvé des passages insoutenables.
Il y a des étapes charnières qu'elle met en lumière
qui sont vraiment intéressantes : par exemple, l'instauration de
la propriété qui entraîne l'inégalité.
Des phénomènes sont stupéfiants : les reclusoirs
par exemple, qui se trouvaient un peu partout en France. J'ai trouvé
éclairante la façon de voir le shopping : cette démarche
typiquement futile-féminine pour moi - aller faire du shopping -,
je la relierai maintenant à cette liberté originelle possible
que cela représenta.
Autre réaction qu'a suscitée ce livre : c'est l'admiration
pour nombre des femmes qu'elle mentionne : par exemple... je feuillette...
Julie-Victoire Daubié, la première à avoir le bac.
J'ai regretté une certaine incohérence concernant les
notes : de loin en loin, il y a une référence précise,
mais bien souvent, je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas une source
citée, soit en note, soit à la fin du livre. Par exemple,
elle cite à deux reprises Thomas W. Laqueur, sans même préciser
de quand datent ses recherches (du 19e siècle ? l'année
dernière ?) : en fait sa
Fabrique du sexe date de 1990 (il y a plus de 40 ans donc). J'aurais
aimé, outre celle des invisibles désinvisibilisées,
avoir la liste des désinvisibilisateurs.trices.
J'ai trouvé pas mal du tout ces sortes de placards
de-ci de-là, en gros caractères, qui rappellent les actions
de rue. Et les quelques images, même un peu cheap, sont bien
choisies.
Ce que Sophie n'aime pas et juge sarcastique, ce que Brigitte juge débordement
d'écriture blogueuse, contribuent à ce ton que j'ai apprécié.
J'ai essayé de comprendre les ressorts de son style :
- les formules : "le masculin l'emporte sur le rang et le sang"
- des onomatopées : "et puis, pouf, 'autrice' a disparu"
- l'argot ou la trivialité : "Voltaire est un peu dans
la mouise"
- l'apostrophe au lecteur : "l'hystérie est une maladie
unisexe figurez-vous", en prévenant des objections "vous
trouvez qu'on s'éloigne des femmes"
- les ruptures de temps : au sujet de la la femme chevelue genre ectoplasme
de la préhistoire, "il ne faudra pas compter sur elle pour
nous mener jusqu'au royaume de la 5G" et les retours autobiographiques
à l'école que j'ai trouvés très réussis.
Je serais curieuse de voir comment réagissent les chercheurs
et chercheuses classiques à son livre.
Donc, je me joins aux remerciements, car je n'aurais pas lu seule
ce livre, et le jeu en valait vraiment la chandelle.
Marion (une
fois l'ordinateur réparé)
En lisant ce livre, je me suis retrouvée un peu comme il y a...
euh... une trentaine d'années quand je découvrais les textes
de la revue Amazones
d'Hier Lesbiennes d'Aujourd'hui aux Archives de la rue Sedaine
à Paris, puis ceux de Colette
Guillaumin, puis ceux de Monique
Wittig, suivies de ceux de Michèle
Causse qui explique si bien ce qui se passe au fur et à mesure
que nous lisons les textes politiques de nos grandes penseuses lesbiennes
et que tombent les lunettes patriarcales : soudain on voit clair,
on découvre l'imposture, et le traitement radical que subissent
les femmes depuis l'enfance, l'étendue des dégâts
qui se révèle un peu plus chaque jour pour la classe des
femmes, au fur et à mesure des lectures, des conférences,
des colloques, des voyages, des rencontres, etc. Je découvre en
même temps les relations amoureuses entre femmes, et combien l'amitié
est importante... Et je découvre la brûlure de la lucidité.
Prise entre la joie, la douleur, et la révolte et plus que tout
par le vécu avec les militantes qui m'apprenaient à vivre
lesbienne, je m'aperçois combien cette période me manque.
Qu'ai-je découvert depuis ? Où sont passées joies,
douleurs et révoltes ? Je m'interroge. Il a fallu le
Génie lesbien d'Alice Coffin pour me secouer enfin, mais
ce fut une petite secousse sans suite. Et voici Titiou Lecoq à
son tour qui me redonne la joie d'apprendre, la douleur du réel
et l'envie retrouvée d'écrire ma révolte.
Passionnée des origines de toutes choses, j'ai été
captivée par chaque chapitre du livre. Les plus importants pour
moi sont le 3e ("Au Néolithique, l'invention du culte du chef"),
puis le 5e ("Au Moyen-Âge, reines et chevaleresses exercent
le pouvoir"), ensuite le 13e ("Elles résistent à
l'ordre masculin du XIXe siècle"), enfin le dernier : "La
pensée sexiste toujours vivace". Et bien sûr la conclusion
"LUTTER CONTRE L'OUBLIOIR".
J'ai quelques réserves quant à l'emploi du radical "Oubli"
qui vient et revient, et pas n'importe où, dans le titre de couverture
et la conclusion et encore dans la 4e de couverture. Je fais mienne la
réflexion de Michelle Perrot dans Les femmes
ou les silences de l'histoire qu'il ne s'agit pas là d'inadvertance,
mais bien de décision délibérée d'effacer
les femmes au profit des hommes. Un grammairien stipule en 1675 :
"lorsque deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble
l'emporte". Un autre grammairien affirme à nouveau en
1767 que "le genre masculin est réputé plus noble
que le féminin à cause de la supériorité du
mâle sur la femelle... C'est une évidence que l'homme est
mieux que la femme et donc que la langue doit suivre."
Les académiciens s'emparent de cette nouvelle règle. Exit
peu à peu l'ancienne règle de proximité qui permettait
à Racine d'écrire "des jours et des nuits entières".
Les éditions IXE ont publié récemment un petit livre
: Non,
le masculin ne l'emporte pas sur le féminin.
9
numéros de 1982-1983 de la revue qu'évoque Marion, retrouvés
sur Internet
|