Accueil Présentation du groupe – Livres lus Programme actuel
Programmation des années précédentes – Liens
Nous contacter

Nos RÉACTIONS à la lecture de

Les grandes oubliées : pourquoi l'Histoire a effacé les femmes
de Titiou LECOQ, préface de Michelle Perrot


Lors de ce 16 janvier 2022, nous étions 15 à avoir été complices de la résurrection de ces grandes oubliées et à exprimer nos réactions :
- en visio (10) : Agnès, Aurore, Brigitte, Claire, Flora, Laetitia, Lucie, Mathilde, Nelly, Sandra
- par écrit lu à haute voix
(5) : Joëlle L, Marion, Muriel, Nathalie, Sophie.
Étaient bien prises par ailleurs : Clara, Felina, Ingrid, Joëlle M, Marie-Claire,
Patricia, Stéphanie, Véronique.

Des réactions communes

Le livre, contrairement à bien d'autres, a suscité des réactions largement communes : ont été appréciés par toutes l'apport de connaissances (un livre instructif, j'ai appris beaucoup) et l'objectif atteint (redonner vie à toutes ces oubliées).

Le contentement de l'avoir lu est général. Un livre vraiment intéressant, enrichissant et très utile.

Le texte est facile à lire, accessible. Pas l'ombre d'un ennui. Aucune lassitude - qu'attendait Nelly d'un essai. Et pourtant il s'appuie sur de nombreuses recherches, historiques, sociologiques, linguistiques, et même scientifiques (voir le passage savoureux que nous a cités Mathilde sur les spermatozoïdes).

Le fait qu'il parcourt toute l'histoire, chronologiquement, est un très bon choix. Cela ajoute même une forme de suspense, sous-entend Nelly : que va-t-il se passer à la prochaine période ?

• Alors que l'on croyait bien connaître une période ou un combat, l'on a découvert d'autres aspects.
L'apport de connaissances se double aussi d'une prise de conscience des mécanismes en jeu que Titiou Lecoq met à jour. Elle construit en apportant des connaissances, tout en déconstruisant ce qu'on croyait savoir : "je vois d'une autre façon", conclut Flora ; pour Laetitia, "c'est un livre très construit qui déconstruit".

• La présentation, la démonstration, la désinvisibilisation, se font sans agressivité et lui donnent par là-même un aspect plus convaincant que Le génie lesbien, estime ainsi Nelly. Elle explicite les relations de pouvoir, analyse les ressorts des situations des femmes. C'est un système plus que des hommes épouvantables qui est pourfendu. Elle évite, apprécie Aurore, une confrontation hommes/femmes tout en ayant un aspect militant.

Le livre suscite divers sentiments : colère, admiration, horreur. On reste abasourdies que si tard les droits des femmes françaises soient restés si limités.

On apprécie de retrouver, parmi les innombrables inconnues, quelques figures connues : Olympe de Gouges (nous avions lu Des femmes rebelles : Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand de Michelle Perrot justement) ou Charlotte Perriand. Pénélope Bagieu, à sa manière, nous a aussi fait découvrir des noms avec ses Culottées ; et des documentaires contribuent également à la re-connaissance de ces femmes.

L'humour a surpris. Il a été en général apprécié pour traiter un sujet sérieux, la légèreté permettant de faire passer des aspects plutôt tragiques : fraîcheur contre noirceur...
C'est la seule particularité qui a donné lieu à des désaccords à fleurets mouchetés (voir ci-dessous)...
Pour Laetitia, la forme révèle la maîtrise des codes du web.
Elle contribue à rendre le livre accessible à des lecteurs qui ne liront jamais L'histoire des femmes en 5 tomes...

Un chapitre a suscité une attention particulière, concernant les aspects linguistiques : féminin des termes, écriture inclusive, accord de proximité...
L'humour s'estompe au 19e siècle, le ton devient plus grave.

La préface a été d'une part appréciée en tant que caution de la part d'une Michelle Perrot incontestable, et d'autre part jugée un peu décevante en tant que préface - aux gros caractères étonnants (pour faire du remplissage ?...). Cependant Sandra a aimé qu'elle utilise sur-le-champ le mot d'oublioir, si juste.

La fin est particulière, constructive, car il s'agit du présent et donc de travailler pour l'avenir. Le rôle de l'éducation apparaît considérable. Et donc des programmes scolaires.

Titiou Lecoq met à jour un aspect essentiel qu'ont souligné Mathilde puis Brigitte, à savoir l'oscillation entre des périodes d'avancées et de recul : rien n'est jamais acquis. À cette absence de linéarité de l'histoire qu'elle souligne aussi, Agnès ajoute le deuxième point fort du livre qui bat en brèche le mythe de la femme empêchée : elles étaient là, mais on les a effacées, oubliées.

Des sujets de discussion, des témoignages

Le terme d'essai a été débattu : essai ou pas essai ? Si l'on se réfère à la définition : "œuvre de réflexion portant sur les sujets les plus divers et exposés de manière personnelle, voire subjective par l'auteur", y a pas photo. Sans doute le ton est pour quelque chose dans ce questionnement.

Si l'on peut convenir que sérieux ne signifie pas grave, un bémol exprimé par plusieurs d'entre nous concerne l'humour, le ton, le registre, jugés parfois excessifs : trop familier (Sandra), trop sarcastique (Sophie), trop décalé (Flora) et pas assez sérieux (Brigitte). Claire au contraire l'a défendu - le ton - sur toute la ligne, prises à partie du lecteur comprises...

• 
Auteure ou autrice : les duos acteur/actrice, auteur/autrice existaient ; ce n’est pas seulement le mot autrice qui a disparu, on a rayé des manuels les femmes qui écrivaient, affirme Titiou Lecoq. On inventera récemment le mot d’auteure alors qu’on ne dit pas une "acteure". Donc : "reprendre le terme d’autrice, c’est rappeler l’histoire de notre matrimoine", tel est le raisonnement de notre auteure, euh... autrice ! Laetitia est convaincue sans problème. Si Sandra se rend à cette argumentation, elle continue à avoir l'oreille écorchée, dit qu'elle finira bien par s'habituer et l'employer un jour prochain. Aurore se souvient de son mémoire sur le genre et d'un débat avec sa directrice qui l'avait fait opter pour auteure, argh !

Lucie et Sandra ont fait des études d'histoire pendant lesquelles elles n'ont pas rencontré ces invisibles.
Encore aujourd'hui, Lucie est exaspérée de lire sous la plume de Camille Froidevaux-Metterie des expressions comme "domination immémoriale" qui entraîne à la résignation.
Évoquer la préhistoire, ajoute-t-elle, permet de commencer à répondre à la question : mais comment ça a commencé ?!

Agnès a été la seule à remarquer que les lesbiennes sont invisibles dans le livre. Et nous sommes bien d'accord. Pourquoi ? Pourquoi ? Qui peut transmettre la question à Titiou ?

Aurore de son côté a apprécié que dans les remerciements soit citée et louée l'agente Ariane Geffard. Encore une inconnue pour nous autres, mais pas pour Aurore...

• Les évocations personnelles de l'autrice, à savoir ses souvenirs scolaires, ont été appréciées, illustrant très bien son propos. Les nôtres s'y sont ajoutées...
Muriel a vu sa mère râler parce que son père devait donner son autorisation signée pour vendre quelque chose.
Si Joëlle a connu
Brunehaut et Frédégonde à l'école, on voit que l'invisibilité a sévi pour les autres : ces deux vamps ont disparu des manuels suivants. Agnès qui a gardé ses manuels nous a choisi cet exemple édifiant... :

Pour conclure

Suite à l'émission La Grande Librairie, Mathilde a proposé le livre, appuyée par Flora qui l'avait repéré.
Lucie a emporté conviction et décision, car elle l'avait lu : "Je l'ai lu et je vous confirme que ce livre est vraiment très bien, je serais ravie qu'il soit programmé à Lirelles ! Pour moi Titiou Lecoq n'est pas une découverte, j'ai lu Libérées ! et Honoré et moi ; je la connais aussi pour sa lettre d'information que je lis à sa sortie chaque vendredi. Elle traite de divers sujets d'actualité, ce sont souvent des sujets en rapport avec le féminisme, l'écologie ou l'éducation. Ces lettres d'informations sont publiées en tant qu'articles sur le site de Slate. Je partage avec vous le lien de la lettre d'information qui aborde le sujet de son dernier livre : http://www.slate.fr/story/215904/femmes-effacees-livres-histoire-nouveaux-programmes-manuels-scolaires-regression."
Le mot est revenu à plusieurs reprises : MERCI de l'avoir proposé.
C'est un livre à offrir (bien choisir bien sûr le ou la destinataire du présent...).

Lucie, seule à avoir lu d'autres livres, ajoute aux qualités de celui-ci la diversité des sujets que traite Titiou Lecoq.

Quelques avis individuels détaillés
d'absentes : Marion NathalieSophie Joëlle L Muriel
ou de présentes :
Brigitte Claire

Marion (attendant que son ordinateur soit réparé)
J'ai vivement apprécié ce livre que j'ai lu et relu.

Nathalie
Je n'ai, hélas, pas terminé la lecture Des grandes oubliées mais sachez que j'adore ce que je suis en train de lire.
L'idée de sortir de l'oubli/"oublioir" les femmes, auxquelles nous devons tant, est juste géniale.
Je trouve le propos intéressant, intelligent et très séduisant. L'autrice est plaisante à lire.
Son livre est un puits de connaissances et j'apprécie l'humour teinté de cynisme parfois.
J'ai toujours été ravie d'être née "fille " et en lisant Titiou je dois dire que je suis fière d'être "femme".
Cette réhabilitation est tout simplement juste et méritée. Remettre dans la lumière les grandes oubliées est, je trouve, une belle façon de leur rendre hommage, femmage (?).

Sophie
J'ai adoré cet essai extrêmement didactique et accessible, qui cependant s'appuie sur des recherches d'historien.nes. Les idées sont claires et bien argumentées. La lecture est fluide et plaisante.
Comme l'autrice, j'ai été bousculée dans mes représentations, notamment sur la Préhistoire et le Moyen-Âge, le féminisme des autres époques m'étant plus familier ; cependant certaines analyses des raisons de la domination masculine m'étaient inconnues.
Ce livre est un condensé de recherches et je pourrais le "prescrire" à toute personne voulant en savoir plus sur la raison de l'invisibilité des femmes dans l'histoire. Il est suffisamment riche pour en rester là, mais permet aussi par ses références d'aller plus loin.
L'autrice est intéressante. J'ai apprécié son calme, ses explications et ses réponses sans agressivité aux journalistes dans les émissions radios de France Inter et France Culture.
Je n'ai qu'un seul bémol à adresser, le petit ton sarcastique* qui ponctue certains argumentaires. Il m'a beaucoup irritée.
Merci pour cette lecture.
Merci Claire pour tous les documents mis en ligne notamment la modernité des sources, radios mais aussi FB et insta !

Claire
Tu te souviens dans quelle émission tu as noté le ton sarcastique ?

Sophie
Le ton sarcastique c’est à l’écrit dans le livre. À l’oral c’est parfait.

Claire
Aurais-tu un exemple ?

Sophie
Et même trois :

"Déjà, on imaginait que, forcément, ces primitifs forniquaient sans cesse : les femmes étaient sans doute engrossées en permanence, avec un enfant accroché à chaque sein."

[Si les statuettes étaient à destination des femmes et non des hommes, ne serait-il pas également envisageable qu’elles aient été sculptées par des femmes ?] "L’hypothèse préhistoporn a du plomb dans l’aile".

"Avec l’écriture, les femmes du passé vont pouvoir nous parler, et les hommes écrire des tartines sur ces êtres instables qu’elles sont."

Joëlle L
Je suis très contente d'avoir lu ce livre et je remercie Lirelles de l'avoir proposé. De moi-même, je n'aurais pas pensé à le lire.
Au début, j'ai été un peu refroidie par la préface. Il m'a semblé que Michèle Perrot n'était pas emballée par le livre et faisait juste un devoir de solidarité en préfaçant un ouvrage qu'elle n'approuvait pas totalement.
Ensuite, en entrant dans le texte, j'ai d'abord été agacée par le ton trop facile, qui m'évoquait plutôt un article dans un magazine. Une expression comme "on ne va pas se mentir" m'avait un peu hérissée. Allais-je lire un article de Cosmo étiré en longueur ?
Après, ça s'est arrangé. Est-ce que je me suis habituée ou est-ce que l'auteure a calmé son style ?
En tout cas, je l'ai lu jusqu'au bout. Pour être honnête, je n'ai pas retenu grand chose de ma lecture. Bon, les femmes ont été invisibilisées et on a des exemples en toutes époques. Voilà.
Sinon, tout de même une remarque en ce qui concerne Brunehaut et Frédégonde. L'autrice dit qu'on n'enseigne pas cet épisode de l'histoire de France et je ne suis pas d'accord. J'ai appris cette histoire à l'école. Mais il est vrai que c'était il y a un certain temps…
En parallèle, j'ai lu Une histoire des sexualités (ouvrage collectif, sous la direction de Sylvie Steinberg, aux PUF) et c'est un très bon complément, dans un registre plus universitaire.

Claire
Je suis curieuse du contenu de l’essai que tu as lu en complément (qui a l’air coton) ; est-ce que contrairement au livre de T.Lecoq tu en as retenu quelque chose ?...

Joëlle
En fait ce livre est très accessible (ne pas se laisser berner par son côté universitaire) : c’est un panorama chronologique et européen, qui part de l’antiquité grecque et arrive jusque vers nos jours, examine la question de l’homosexualité notamment, à travers les époques mais aussi la pédophilie, la chasteté, la prostitution, les mouvements féministes (suffragettes, #metoo…), le mariage, l’inceste... C’est assez fascinant de constater à quel point certaines valeurs sont fluctuantes !

Muriel
Ce livre de Titiou Lecoq m'a beaucoup plu. Parce qu'il est instructif. Ce n'est pas un livre littéraire, mais historique, qui apprend beaucoup sur la place des femmes au cours des siècles. Et ce qui est intéressant, c'est que Titiou Lecoq parcourt toute l'Histoire.
Il y a beaucoup d'humour, de vivacité, ce qui est très agréable. Je vais donner un exemple au sujet d'Émilienne, que les Allemands attendent, "cachés chez elle. Quand elle arrive, ils lui tirent dessus, la loupent, et elle parvient à s’enfuir par les caves. (Mais quelle femme, quelle femme !) Elle rejoint ensuite Londres", etc. C'est vivant, drôle, émouvant.
Ça m'a rappelé que dans les années 60, ma mère voulait vendre un terrain qu'elle tenait de ses parents et il a fallu que son mari signe pour donner son autorisation et là, elle a vraiment râlé alors qu'elle était d'habitude mollasse ou, plutôt, indifférente à tout. Et à la même époque, mon père me disait, à moi adolescente : "tu pourrais être secrétaire de direction ou pharmacienne, mais de toute façon tu te marieras, et tu auras des enfants, et tu arrêteras de travailler."
Ce livre n'est pas un roman pour notre groupe "littéraire", mais c'est un bon choix pour Lirelles.

Brigitte
Les grandes oubliées : pourquoi l'Histoire a effacé les femmes (ou plutôt pourquoi l'Histoire de France a effacé les femmes) : voilà un livre qui vient certainement remplir un vide sur les étagères, en donnant vie à ces femmes dont on avait voulu nous faire croire qu'elles n'avaient jamais été.
La lecture, cependant, m'a paru au départ difficile en raison d'un style volontairement familier, voire gouailleur, avec quelques vulgarités glissées ici et là comme pour faire branché. L'humour est bienvenu sur un sujet pareil, qui pourrait facilement susciter l'ennui ; ce qui m'a agacée, c'est cette volonté de faire familier, à tout prix, pour ratisser large parmi les lecteurs ou lectrices. J'ai failli abandonner la lecture, et la préface de Michelle Perrot m'a semblé elle-même manquer d'enthousiasme. Quand le ton change, pour aborder le 19e siècle, la teneur du livre change aussitôt, et je n'ai pas l'impression que cela enlève de l'intérêt au livre, au contraire.
Ceci dit, j'ai relevé plusieurs points intéressants qui m'ont semblé dignes d'être gardés en mémoire :
- d'une part c'est la sédentarisation qui a relégué la femme à la cuisine et aux soins de la progéniture ; j'ai été étonnée récemment de constater que Bouddha, à sa mère qui lui demandait de devenir nonne, répondit que c'était impossible, car une femme attachée aux soins de la maison et des enfants ne pouvait pas atteindre l'éveil ; il a fini par se laisser convaincre par Ananda d'accepter que les femmes entrent au couvent, mais à son corps défendant. Le bouddhisme n'est guère plus favorable aux femmes que le christianisme, et les religions dans leur ensemble, la femme étant toujours élément de dissension, de troubles et de scandale ;
- d'autre part, aucune avancée de la condition féminine ne peut être considérée comme assurée. L'histoire n'est pas linéaire et procède en dents de scie. Le Moyen-Âge a été favorable aux femmes, elles ont connu une certaine liberté, et en particulier économique, le 19evoyant la femme assujettie au mari au point de ne pouvoir lever un doigt sans avoir à lui demander l'autorisation. Tout cela, encore une fois, pour assurer un ordre de bon aloi pour le bon développement de la famille, avec la mise en place d'un système dont le pivot est le code civil ;
- enfin rien n'est gagné, c'est la conclusion finale, et franchement les retours sur l'IVG un peu partout le montent bien. L'une des priorités devrait être l'école, malgré les progrès réalisés.
Au total, je trouve que le livre aurait pu avoir bien plus d'impact si la dénommée Titiou avait su maîtriser des débordements familiers qui ont peut-être raison d'être sur un blog, bien moins dans un ouvrage qui veut convaincre et influer sur les esprits. L'humour peut être fin sans perdre de sa force, au contraire.
Sur les femmes au Moyen-Âge par exemple, je préfère de loin Régine Pernoud lue avec délectation dans le passé, et j'ai très envie de lire maintenant Chevaleresses : une chevalerie au féminin, de Sophie Cassagnes-Brouquet (qui a aussi écrit une Vie des femmes au Moyen-Âge et d'autres ouvrages sur la même période).

Claire
J'ai abordé cet essai avec une certaine lassitude concernant le sujet des femmes mal traitées. J'ai commencé par la préface que je n'ai pas trouvée transcendante (les noms de Brunehaut et Frédégonde "refoulés par le ressac de la mer" bof), tout en ressentant une confiance "historique" pour la suite, la Grande Michelle Perrot ne pouvant cautionner ce livre par le seul charme de son auteure (car j'avais vu dans l'émission la Grande Librairie comme elle la contemplait avec tendresse, sa Titiou...). Elle utilise un mot que je ne connaissais pas, l'agency des femmes que dessine Titiou Lecoq, un terme fréquemment utilisé dans les études de genre (traduit par agentivité au Canada), qui veut dire la capacité d'agir, par opposition à ce qu'impose la structure : utile !
Bref, j'ai attaqué la Préhistoire avec prudence voire méfiance, et ce qui m'a tout de suite surprise et frappée, c'est l'humour. En fait, c'est ce qui m'a le plus plu dans le livre : qu'elle parvienne à nous faire un panorama des oubliées avec ce ton, cette audace, qui tape dans le mille tout le temps.
Si je suis un peu comme Joëlle, qui retient juste que les femmes ont été invisibilisées et des exemples sont donnés pour chaque époque dont je serais incapable de citer des exemples sans rouvrir le livre, j'ajouterai que la légèreté qu'amène l'humour constant s'est doublée d'une réelle souffrance : quand on arrive au 19e siècle, j'ai trouvé que son recensement prenait une allure plus ambitieuse en analysant les ressorts d'une sorte de complot institutionnel contre les femmes ; j'ai trouvé le tableau horrible. Je pensais simultanément à toutes les horreurs actuelles faites aux femmes dans le monde entier, en pensant qu'on ne s'en sortirait jamais. Quelque chose de poignant accompagne la démonstration de l'injustice, insupportable à certains moments, avec cette forme de haine systémique des femmes. D'ailleurs, au début du 20e siècle, son humour disparaît et j'ai trouvé des passages insoutenables.
Il y a des étapes charnières qu'elle met en lumière qui sont vraiment intéressantes : par exemple, l'instauration de la propriété qui entraîne l'inégalité.
Des phénomènes sont stupéfiants : les reclusoirs par exemple, qui se trouvaient un peu partout en France. J'ai trouvé éclairante la façon de voir le shopping : cette démarche typiquement futile-féminine pour moi - aller faire du shopping -, je la relierai maintenant à cette liberté originelle possible que cela représenta.
Autre réaction qu'a suscitée ce livre : c'est l'admiration pour nombre des femmes qu'elle mentionne : par exemple... je feuillette... Julie-Victoire Daubié, la première à avoir le bac.
J'ai regretté une certaine incohérence concernant les notes : de loin en loin, il y a une référence précise, mais bien souvent, je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas une source citée, soit en note, soit à la fin du livre. Par exemple, elle cite à deux reprises Thomas W. Laqueur, sans même préciser de quand datent ses recherches (du 19e siècle ? l'année dernière ?) : en fait sa Fabrique du sexe date de 1990 (il y a plus de 40 ans donc). J'aurais aimé, outre celle des invisibles désinvisibilisées, avoir la liste des désinvisibilisateurs.trices.
J'ai trouvé pas mal du tout ces sortes de placards de-ci de-là, en gros caractères, qui rappellent les actions de rue. Et les quelques images, même un peu cheap, sont bien choisies.
Ce que Sophie n'aime pas et juge sarcastique, ce que Brigitte juge débordement d'écriture blogueuse, contribuent à ce ton que j'ai apprécié. J'ai essayé de comprendre les ressorts de son style :
- les formules : "le masculin l'emporte sur le rang et le sang"
- des onomatopées : "et puis, pouf, 'autrice' a disparu"
- l'argot ou la trivialité : "Voltaire est un peu dans la mouise"
- l'apostrophe au lecteur : "l'hystérie est une maladie unisexe figurez-vous", en prévenant des objections "vous trouvez qu'on s'éloigne des femmes"
- les ruptures de temps : au sujet de la la femme chevelue genre ectoplasme de la préhistoire, "il ne faudra pas compter sur elle pour nous mener jusqu'au royaume de la 5G" et les retours autobiographiques à l'école que j'ai trouvés très réussis.
Je serais curieuse de voir comment réagissent les chercheurs et chercheuses classiques à son livre.
Donc, je me joins aux remerciements, car je n'aurais pas lu seule ce livre, et le jeu en valait vraiment la chandelle.

Marion (une fois l'ordinateur réparé)
En lisant ce livre, je me suis retrouvée un peu comme il y a... euh... une trentaine d'années quand je découvrais les textes de la revue Amazones d'Hier Lesbiennes d'Aujourd'hui aux Archives de la rue Sedaine à Paris, puis ceux de Colette Guillaumin, puis ceux de Monique Wittig, suivies de ceux de Michèle Causse qui explique si bien ce qui se passe au fur et à mesure que nous lisons les textes politiques de nos grandes penseuses lesbiennes et que tombent les lunettes patriarcales : soudain on voit clair, on découvre l'imposture, et le traitement radical que subissent les femmes depuis l'enfance, l'étendue des dégâts qui se révèle un peu plus chaque jour pour la classe des femmes, au fur et à mesure des lectures, des conférences, des colloques, des voyages, des rencontres, etc. Je découvre en même temps les relations amoureuses entre femmes, et combien l'amitié est importante... Et je découvre la brûlure de la lucidité.
Prise entre la joie, la douleur, et la révolte et plus que tout par le vécu avec les militantes qui m'apprenaient à vivre lesbienne, je m'aperçois combien cette période me manque. Qu'ai-je découvert depuis ? Où sont passées joies, douleurs et révoltes ? Je m'interroge. Il a fallu le Génie lesbien d'Alice Coffin pour me secouer enfin, mais ce fut une petite secousse sans suite. Et voici Titiou Lecoq à son tour qui me redonne la joie d'apprendre, la douleur du réel et l'envie retrouvée d'écrire ma révolte.
Passionnée des origines de toutes choses, j'ai été captivée par chaque chapitre du livre. Les plus importants pour moi sont le 3e ("Au Néolithique, l'invention du culte du chef"), puis le 5e ("Au Moyen-Âge, reines et chevaleresses exercent le pouvoir"), ensuite le 13e ("Elles résistent à l'ordre masculin du XIXe siècle"), enfin le dernier : "La pensée sexiste toujours vivace". Et bien sûr la conclusion "LUTTER CONTRE L'OUBLIOIR".
J'ai quelques réserves quant à l'emploi du radical "Oubli" qui vient et revient, et pas n'importe où, dans le titre de couverture et la conclusion et encore dans la 4e de couverture. Je fais mienne la réflexion de Michelle Perrot dans Les femmes ou les silences de l'histoire qu'il ne s'agit pas là d'inadvertance, mais bien de décision délibérée d'effacer les femmes au profit des hommes. Un grammairien stipule en 1675 : "lorsque deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte". Un autre grammairien affirme à nouveau en 1767 que "le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle... C'est une évidence que l'homme est mieux que la femme et donc que la langue doit suivre."
Les académiciens s'emparent de cette nouvelle règle. Exit peu à peu l'ancienne règle de proximité qui permettait à Racine d'écrire "des jours et des nuits entières". Les éditions IXE ont publié récemment un petit livre : Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin.

9 numéros de 1982-1983 de la revue qu'évoque Marion, retrouvés sur Internet

 

Lirelles a programmé Les grandes oubliées de Titiou Lecoq en janvier 2022