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Choses
impatientantes
On a envoyé, à une couturière, de létoffe
pour un vêtement que lon voudrait avoir tout de suite, et
on attend quelle lapporte.
Lhumeur dont on est lorsquon sest dépêché
pour aller voir quelque spectacle. On se demande avec anxiété :
« Est-ce maintenant ? Est-ce maintenant ? »
Tout en sinstallant dans la tribune, on a les yeux fixés
sur le point où doit apparaître le cortège.
Une femme est près daccoucher, le terme normal passe, et
rien ne montre que lenfant va venir.
Quand on reçoit, dun endroit éloigné, une lettre
dune personne chère, il est impatientant douvrir la
missive, que la colle de riz tient solidement fermée. [
]
Quand on a longtemps attendu, avec impatience, la naissance dun
bébé, il atteint à peine son cinquantième
ou son centième jour60 que lon voudrait déjà
le voir grand.
Enfiler une aiguille lorsquon doit se dépêcher de coudre
et que le soir tombe. Mais moi, quand je vois que je vais avoir à
faire une chose aussi agaçante, je me saisis dune partie
de louvrage, déjà commencée, où doit
se trouver fichée une aiguille enfilée ; je laisse
le soin den préparer une autre à quelquune de
mes compagnes. Sans doute parce quelle se hâte aussi, elle
ny parvient pas rapidement, et je lui dis : « Allons !
laissez donc cela pour le moment. » Cependant, elle a lair
de penser : « Et pourquoi donc narriverais-je pas
à enfiler cette aiguille ? » Elle ne peut abandonner
les morceaux détoffe quelle a pris ; à
son impatience, sajoute de laversion pour moi.
On est pressé de partir pour voir quelque chose, quil sagisse
dune fête, dune procession, de nimporte quoi,
et lon attend la voiture quune autre personne a prise en disant
quelle en avait besoin, dabord, pour aller à quelque
endroit, mais quelle la renverrait bientôt. Quelle impatience !
Une voiture passe sur la grand-route, et lon se réjouit en
pensant que cest celle quon attend ; mais elle sen
va dans une autre direction ! Cest désolant. [
]
En voiture, on va chercher les personnes qui doivent aller avec vous voir
quelque chose, ou visiter un temple. Mais quand on a fait approcher le
véhicule, elles ne se pressent pas dy monter, vous font attendre.
On en est tellement agacé que lon se sent dhumeur à
partir en les laissant là.
On veut se dépêcher dallumer le feu. Que la braise
est longue à senflammer !
Quelquun vous a envoyé une poésie ; il faut que
lon compose bien vite un « poème en réplique »,
et lon reste cependant un moment sans pouvoir rien écrire.
Cest bien impatientant !
Pour répondre à un amant, on na pas besoin de tant
se hâter. Il est néanmoins des cas où lon doit,
naturellement, le faire. Dailleurs, à plus forte raison,
quand il sagit dune correspondance ordinaire, soit avec un
homme, soit avec une femme, on risque de commettre de désagréables
bévues si lon pense quil importe seulement de répondre
vite.
La nuit, quand on est mal à son aise, angoissé, on attend
avec impatience que le jour vienne.
On simpatiente aussi, quand on a mis du noir sur ses dents, pendant
quil sèche.
À lépoque où lon gardait le deuil du
défunt Seigneur (1), lImpératrice dut quitter le Palais
Impérial au moment de la Purification célébrée
le dernier jour du sixième mois. Daprès les devins,
la direction quil lui aurait fallu prendre pour aller au palais
où sont les bureaux de sa Maison était alors néfaste ;
et notre maîtresse se rendit à lendroit où lon
prépare les repas des nobles personnages, dans le Palais du Conseil
dÉtat. Le soir de son arrivée, il faisait assez chaud,
et les ténèbres étaient profondes.
On ne pouvait sempêcher de trouver le bâtiment très
étroit. Il était couvert de tuiles, ce qui lui donnait un
aspect particulier. On ny voyait pas, comme dans la plupart des
palais, des fenêtres treillissées, mais seulement des stores,
suspendus tout autour de lédifice ; et, contrairement
à ce que lon pourrait penser, cela paraissait merveilleusement
joli.
Tous les jours, les dames descendaient dans les jardins pour se divertir.
Dans celui quil y avait devant le bâtiment,
étaient plantées des hémérocalles, en très
grand nombre, qui formaient une haie et dont les fleurs amoncelées
attiraient le regard. On avait du plaisir à les voir dans le jardin
dun palais où tout semblait harmonieusement disposé.
[
]
(1) Le régent Michitaka, père de
l'impératrice Teishi, mort en 995.
Sei
SHÔNAGON
Choses
qui rendent heureux et autres notes de chevet,
Folio Sagesses, p. 72
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