Lirelles

Nous avons lu pour le 6 avril 2025 :

Choses qui rendent heureux et autres notes de chevet
de Sei SHÔNAGON

préface, choix et notes Corinne Atlan

Folio Sagesses, 112 p.


Et voici NOS RÉACTIONS sur le livre


LES LECTRICES

Ce 6 avril 2025, nous étions 11 à participer de diverses manières à la séance :
- en direct : Claire Bo, Joëlle, Laetitia, Mar, Marie-Yasmine, Nelly, Patricia, Sophie de Paris
- en visio : Agnès
- par écrit : Felina, Véronique
- prises ailleurs : Anne, Aurore, Claire Bi, Flora, Sophie de Nice, Stefania.

LES TENDANCES

- Véronique n'est pas entrée dans le livre. Felina s'est ennuyée dès la première page.
- Sont mi
tigées : Joëlle, mitigée - ; Laetitia et Nelly mitigées +
- Sont très positives : Agnès, Claire Bo, Mar, Marie-Yasmine, Patricia, Sophie.

LA SUCCESSION DES AVIS

Puisque le livre est une suite de listes, c'était l'occasion d'ajouter, à notre avis sur le livre, quelques mots sur le rôle des listes pour nous.

Véronique
J'ai commencé la lecture du livre en me demandant pourquoi Claire avait proposé ce livre. L'époque - l'an mille - des listes de situations évoquées... : le livre m'est tombé des mains.
J'ai voulu insister et, non, je n'arrivais pas à m'intéresser au contenu. La forme ne me plaisait pas.
Par contre l'approche de certains écrivains sur le livre m'a intéressée.
Je n'ai certainement pas su aborder cet ouvrage.
Peut-être n'étais-je pas dans l'envie de lire ce type de document, si moderne parfois dans ces réflexions. J'ai peut-être manqué quelque chose, mais j'ai préféré lire le dernier livre de Lydie Salvayre sur les dimanches qui m'a passionnée (Depuis toujours nous aimons les dimanches).
J'espère grâce à vous toutes découvrir pourquoi ce livre est devenu un classique de la littérature japonaise.
Concernant mon rapport aux listes : dans la vie de tous les jours, j'écris très rarement de listes. S'il m'arrive d'en noter une sur mon smartphone, c'est synonyme de fatigue et de peur d'oublier des choses importantes à effectuer pour moi ou les autres. Dans la vie quotidienne, la liste me semble réduire les possibilités d'imprévus, de surprises, de rêverie. En fait, écrire une liste pour moi serait plutôt de l'ordre du domaine professionnel pour hiérarchiser mes tâches et les organiser. Vous aurez compris que je ne suis pas une adepte de la liste dans la vie quotidienne.

Felina
Tout en ayant une passion pour le Japon, sa finesse et sa tendance à des œuvres contemplatives…
Tout en reconnaissant la qualité du texte, sa grande sensibilité et la poésie qui se dégagent de ce livre…
Tout en appréciant le style d'écriture très beau…
… Je me suis ennuyée dès la première page, malheureusement, habituée à une structure narrative plus classique, j'ai trouvé cette compilation de listes et d'observations isolées un peu monotone et répétitive.

Quant aux listes, c'est vraiment mon truc ! Au travail, elles structurent mes journées, et dans ma vie perso, elles m'aident à organiser mes envies et mes courses. Étant anxieuse, le simple fait de noter les choses m'apaise. J'ai toujours un papier et un crayon à portée de main, et quelle satisfaction de rayer une tâche accomplie ! Bref, les listes sont essentielles à mon équilibre.

Marie-Yasmine
J'ai beaucoup apprécié ce petit recueil de listes qui a réussi, avec une simple énumération, à me plonger dans une époque et une destination lointaines. Ses réflexions sont parfois très proches des nôtres, et c'est très rassurant de se retrouver dans une expérience commune : cela m'évoque une universalité de l'expérience humaine.

Avec elle, je partage l’appétit pour les jolies choses, les nouvelles croustillantes, les romans passionnants et les interlocuteurs agréables.
Je partage aussi son aversion pour les moustiques, les hommes sans talent qui parlent trop et les fêtes où je ne connais personne.

Certains éléments nous rappellent toutefois la distance de laquelle nous provient cette énumération : les dents peintes en noir, les coupes de cheveux à porter en fonction de la condition de chaque femme, la relation avec les domestiques qui paraît bien compliquée.

J'ai particulièrement apprécié la sincérité que l'on sent dans ces notes, probablement venant du fait qu'elles n'étaient pas destinées à être lues.

Concernant mon rapport aux listes : elles ont une importance énorme dans ma vie, elles m'aident à ordonner mes pensées et ma vie et à ne pas me sentir submergée par le monde qui m'entoure. J'en ai des durables, dans des carnets que j'aime relire pour me rendre compte du chemin parcouru et des éphémères qui se jettent une fois le devoir accompli à la fin de la journée. J'en fais trop rarement des poétiques, destinées à ma femme (ouf elle a trouvé une place dans cet avis) mais j'aimerais en faire plus. Une amie est très amatrice des listes pour/contre afin de prendre des décisions, mais elles me paraissent beaucoup trop raisonnables pour être honnêtes, je me refuse à les utiliser.

Joëlle
D'emblée, l'idée m'a paru sympa et j'ai abordé le livre avec gourmandise.
Mais ce livre court m'a rapidement paru long, voire sans fin. D'ailleurs je ne l'ai pas terminé.
C'est super quand on a des phrases courtes, des formules lapidaires, quand on s'approche de l'aphorisme. Et là, on peut frôler le surréalisme. Exemple : "CHOSES QUI NE SERVENT PLUS À RIEN, MAIS QUI RAPPELLENT LE PASSÉ" : "Un peintre dont la vue s'obscurcit".
C'est décevant quand on lit une anecdote rédigée. Parce que là, ça tombe à plat. Est-ce un problème de traduction ? Une difficulté liée à l'éloignement spatio-temporel ? En tout cas, ça fait pschitt. Exemple : "CHOSES IMPATIENTANTES" (tout le chapitre).
À part ça, j'ai bien aimé la structure, les thématiques, que j'ai trouvées amusantes et fines - d'où ma déception devant certaines rédactions pas à la hauteur de la promesse initiale.

Quant au principe de "listes", ça ne me fait ni chaud ni froid. Personnellement, je n'en fais pas, même pour aller au marché. A la rigueur pour préparer une mini-valise, quand il faut aller à l'essentiel et ne pas déborder. Mais c'est une fois par an grand maximum. Ça ne tient pas trop de place dans ma vie.

Laetitia
Ces "notes de chevet", qui ont plus de 1000 ans, ont été une découverte totale. Je ne suis pas familière, il est vrai, de cette collection "Folio sagesses". Apparemment, l'auteure - Sei Shônagon - est très connue au Japon ! Et ces "notes" ont influencé la littérature japonaise jusqu'au développement du roman moderne.
J'ai trouvé la préface intéressante, nécessaire même, pour appréhender ces "CHOSES QUI RENDENT HEUREUX" ; j'ai ainsi pris des notes au fil des pages et ai appris des mots (par exemple, le terme "waka" qui signifie "poésie") et des éléments propres à la civilisation et la culture de l'ère Heian - par exemple l'importance de la place des femmes dans la littérature à cette époque.
J'ai cependant été décontenancée, aussi bien par le fond que par la forme de ce texte. Pas de narration, une sélection fantaisiste, avec plusieurs styles d'écritures : cf. "Les Notes de chevet de Sei Shônagon" par Christine Angot (L'édito culture, France Inter, 27 juin 2024).
Comme Joëlle, j'ai préféré les courtes phrases aux longs développements.

Ce que j'ai apprécié :
- une forme de raffinement, notamment à travers l'évocation des éléments naturels : j'ai particulièrement aimé les notes qui donnent à voir le soleil, la lune, le b
rouillard, les nuages (p. 85…) ; l'auteure saisit avec justesse et légèreté les petits moments d'émerveillement du monde ;
- la notion d'"impermanence", évoquée dans la préface ;
- le rapport à l'intime, la sensibilité de l'auteure ;
- l'humour discret.

Et deux réserves :
- j'aurais apprécié des illustrations en accompagnement des notes ;
- par ailleurs, il me semble nécessaire d'être "zen" et concentrée (une forme de mise en condition) pour apprécier ce livre qui est "à l'image de la conception japonaise du monde - fluctuant, à la réalité trompeuse, soumis à la loi du changement".

Mon rapport aux listes :
- au travail : les "TO DO" listes !
- je fais des listes de courses… que je ne suis pas forcément (voire pas du tout) !
- j'ai rempli de nombreux petits carnets lors de passages dans les librairies, les musées ou lors de voyages ; aujourd'hui, ces notes sont classées dans mon smartphone !

Mar
Je suis allée au Japon sur les lieux où l'autrice dont Sei Shônagon fut en quelque sorte la concurrente, Murasaki Shikibu, écrivit le Dit du Genji.
J'ai bien aimé ce livre.
Je suis surprise qu'il contienne cette chaleur humaine datant de 1000 ans et que je m'y reconnaisse.
Dans "CHOSES QUI NE SONT BONNES À RIEN", elle se questionne et n'a envie que personne ne lise : "
À la vérité, tout cela ne devrait être ni écrit ni montré ; mais je ne pensais pas que personne dût voir ces notes, et je les ai rédigées en me proposant d’y mettre absolument tout ce qui me viendrait à l’esprit, même les choses étranges, même les choses déplaisantes." C'est très intéressant de voir que l'écriture est en quelque sorte un outil thérapeutique, en écrivant sans filtre. C'est d'ailleurs quelque chose de difficile à apprendre à faire...

Je suis allée au Japon et j'ai visité le musée dédié au Dit du Genji. Ce musée préserve très bien les goûts esthétiques de l'époque, et il a été une bonne référence visuelle pendant ma lecture.

J'ai bien aimé ce livre. J'ai trouvé que l'autrice est extrêmement expressive et qu'elle a très bien capturé de nombreux aspects atemporels de l'expérience humaine. J'étais surprise de lire un texte écrit il y a plus que 1000 ans et d'y voir des parties de moi-même.

Dans "CHOSES QUI NE SONT BONNES À RIEN", elle explique qu'être lue n'est pas ce qui la motive à écrire ce récit et qu'au contraire pour elle, l'écriture est une fin en soi : "À la vérité, tout cela ne devrait être ni écrit ni montré ; mais je ne pensais pas que personne dût voir ces notes, et je les ai rédigées en me proposant d'y mettre absolument tout ce qui me viendrait à l'esprit, même les choses étranges, même les choses déplaisantes." Pour moi, l'écriture, telle qu'elle est décrite dans cette citation, est un outil thérapeutique très puissant et j'ai trouvé fascinant que l'autrice ait découvert cela par elle-même il y a si longtemps.

Quant à mon rapport aux listes : j'utilise des listes tous les jours parce qu'elles m'aident à organiser mon temps, il s'agit de to-do lists très simples. J'ai aussi des listes de choses positives que j'ai tendance à oublier, les petites victoires du quotidien. Mais quand il s'agit du type d'écriture (pour moi thérapeutique) que je reconnais dans ce livre, cela ne prend pas la forme d'une liste pour moi, mais plutôt celle d'un texte long et sans forme.

Agnès
Je suis contente d'avoir lu ce livre, dont je connaissais seulement l'existence. Toutefois, je ne l'ai pas aimé au point de lire l'ouvrage intégral, ces 80 pages de morceaux choisis ont suffi pour satisfaire ma curiosité.

J'ai tout d'abord été très impressionnée de lire une autrice qui a écrit voici plus de mille ans. En particulier parce qu'il s'agit d'un recueil de pensées intimes, d'impressions personnelles. Je trouve miraculeux d'avoir ainsi accès au cœur et au cerveau d'une femme qui a vécu à une époque si éloignée. C'est très émouvant.

On a tendance, par ignorance ou arrogance, à croire que les êtres humains sont, depuis leur apparition sur Terre, de plus en plus fins d'esprit et intelligents. On appréhende le temps comme un continuum de progrès. Ce livre nous montre le contraire grâce à notre rencontre avec la narratrice qui fait preuve d'une grande finesse d'analyse de ses sentiments et de ses impressions, ainsi que d'une impressionnante capacité à observer sa société, son environnement, qui sont extrêmement riches et raffinés.

J'adore les listes et j'en rédige en permanence, la forme de cet inventaire m'a donc comblée. D'ailleurs, après ma lecture, je n'ai pas arrêté pendant quelques jours de classer mentalement tout ce que je faisais !

J'ai également apprécié le style de l'ouvrage qui est d'une grande poésie. Les expressions utilisées pour désigner les couleurs m'ont particulièrement enchantée ("couleur de cerisier, couleur de glycine", "couleur de prunier rouge", etc.), ainsi que l'évocation de la nature et des animaux. La poule étalée sur ses poussins pour les protéger m'émeut, comme la narratrice, profondément.

Un livre que je classerais parmi les curiosités que Lirelles m'a permis de découvrir. Je suis cependant heureuse que nous poursuivions notre programme avec deux romans.

Nelly
Je n'ai pas lu ce livre de façon classique. J'ai quand-même lu la préface consciencieusement, puis je l'ai plutôt feuilleté, car à mon sens il n'y avait pas d'ordre préétabli. Le titre "Notes de chevet" reflète bien ce qu'on perçoit lorsque on ouvre le livre. On le prend, on le repose, on saute une page ou deux, on sourit sur un mot ou une expression, mais on n'a pas besoin de se concentrer pour comprendre le fil de l'histoire. En ce sens, cela peut-être assez distrayant. C'est amusant de lire dans le désordre. Cela permet de rêvasser.
Le contenu me semble difficile à commenter, car je trouve que les mots ou les courtes phrases des listes procurent juste des impressions fugitives, sur lesquelles on ne s'arrête pas. On n'approfondit pas. Certaines considérations de l'autrice sont intemporelles, d'autres datent, même si je reconnais bien sur le contexte de l'époque et que je suis consciente que le texte date du premier millénaire.
Il y a une alternance entre des phrases courtes et piquantes avec des passages presque naïfs.
"On n’aime plus une personne, c’est toujours la même, et il vous semble cependant que c’est une autre."
Les commentaires sur les rapports sociaux (serviteurs / servantes et les maîtres / princesses / impératrice) sont désuets, car nous les lisons avec la distance d'un millénaire.
Les listes sur les sujets classiques restent assez banales !
"LES CHOSES QUE L'ON NE PEUT COMPARER
L’été et l’hiver. (...) La jeunesse et la vieillesse. (...) Le noir et le blanc." !

Il y a un semblant de poésie mais un peu facile : le soleil, la lune, les nuages, la nature. Mais bien sûr je n'ai fait moi-même que survoler.
Je me suis demandé si l'humour n'était pas parfois involontaire.
"LES CHOSES QUI FRAPPENT DE STUPEUR
En nettoyant un peigne, on est arrêté par quelque chose, et il se brise."


Il y a un autre auteur qui a écrit des livres que j'aime consulter de la même façon (sous forme de listes) : Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française, Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale. C'est plus tonique.
Comme le titre l'indique, c'est très partial, complètement subjectif et cela alterne entre considérations personnelles et documentations sérieuses. Il parle des listes dans un de ses dictionnaires, comme la forme la plus rudimentaire de la littérature et cite Li yi Chan comme son inventeur (vers 800) : aurait-il inspiré Sei Shônagon ?
Bien que dans ses choi
x, je trouve qu'il donne trop de places aux hommes, ses remarques ne sont pas dénuées d'humour.
Je reprends deux choses des listes de Dantzig :
- "Une chose pénible" : "Converser avec qui n'a lu que des nouveautés".
- "Une chose charmante" : "L'enthousiasme de la naïveté".

Mon rapport aux listes : j'évite d'en faire trop car je trouve trop frustrant de ne pas en venir à bout. Je retiens néanmoins le commentaire de Marie-Yasmine : regarder ce qui a été fait plutôt que ce qu'il reste à faire. Mais j'utilise plutôt le principe des mini-listes quotidiennes dont je me sers comme des pense-bêtes.

Sophie
J'ai aimé cette lecture, courte, "atypique" et rafraichissante.
Ce livre est à la fois léger et profond, étonnamment moderne et désuet.
Il est poétique, historique, philosophique. L'air de rien, avec grâce.

C'est sa dimension contemplative qui m'a le plus touchée. L'observation minutieuse de la nature et des effets de la nature sur l'âme.
L'observation de la nature humaine, aussi, qui n'a pas changé.
C'est émouvant de penser qu'une femme a écrit ces lignes à la cour de l'an mille, au Japon.
L'universalité de ce qui est décrit est frappante.
J'ai aimé l'ironie et l'humour qui émergent parfois et qui sont comme des clins d'œil de l'autrice aux lecteurs de toutes les époques. Une forme de connivence qui traverse les siècles et les civilisations.
C'est mystérieux et apaisant.

J'aime les listes qui mélangent des choses de différente nature, comme :
"CHOSES QUI NE FONT QUE PASSER
Un bateau dont la voile est hissée.
L'âge des gens.
Le printemps, l'été, l'automne et l'hiver.
"

Je sais que je picorerai quelques lignes de ce livre de temps à autre. Comme on contemple un même paysage chaque jour, sans jamais tout à fait y voir la même chose.

Mon rapport aux listes ? Je n'en fais jamais. Sauf avant de faire les courses, parfois. Et en chemin, je me rends compte que j'ai oublié la liste…

Patricia
Je ne connaissais le livre que de vue, car je l'ai vu longtemps posé sur le bureau d'une amie qui le lisait. Au premier abord, je pensais que c'était plus de la littérature zen, donc je n'ai pas posé plus de questions.

[Commentaire au passage : nous retenons l'expression fort utile "connaître un livre de vue"...]

J'ai donc été surprise de voir que c'était un livre écrit il y a plus de mille ans et que c'était un grand classique de la littérature japonaise, un des premiers écrits par une femme. Sei Shônagon est la dame de compagnie d'une impératrice. Si j'ai bien compris à la fin du livre, elle explique que son livre n'était pas destiné à être diffusé, il l'a été par "accident". Elle l'a écrit sous forme de notes ici et là, comme un journal intime. D'ailleurs, elle y note des pensées intimes qu'elle ne voulait surtout pas qu'on lise, car ça pouvait être blessant ou choquant pour certaines personnes, comme elle l'explique dans un des chapitres.

Au début, je l'ai lu de façon aléatoire, en ouvrant une page au hasard, puis je l'ai repris d'un bout à l'autre. Je n'ai lu que la version réduite, ça suffisait pour le moment. Je ne dis pas que je ne lirai pas un jour la version complète. J'ai trouvé les références numérotées utiles pour la compréhension de certaines pensées. Je n'ai pas lu la préface.

Donc, j'ai beaucoup aimé, j'ai été séduite par ce charmant petit livre, plein d'esprit et d'émotions, d'amour de la nature, à la fois d'une grande finesse et aussi d'une certaine légèreté parfois. Notamment, elle pouvait accorder une très grande importance à des choses qui me paraissent à moi, occidentale du monde moderne, futiles voire incongrues.

Je l'ai lu avec beaucoup de plaisir, et j'ai beaucoup ri car il y a beaucoup d'humour, je ne sais pas si c'était voulu, si c'était du second degré ou si elle se moquait un peu. Il y a naturellement beaucoup de choses toujours d'actualité, universelles, qu'on devrait de temps en temps se rappeler, nous qui sommes pris dans notre monde moderne et stressant.

C'est une femme qui aimait avant tout la beauté, beaucoup la nature, les hommes et les femmes élégants, raffinés ; elle était très à cheval sur les rites, les coutumes, les fêtes, cérémonies, les valeurs et les principes. Dans les histoires amoureuses, ça sent le vécu et c'est très drôle souvent, avec des exemples très précis. Ça nous parle car c'est tellement vrai parfois : elle y montre la psychologie des hommes et des femmes et met en évidence une certaine hypocrisie parfois. On voit que c'est une femme du monde, de la cour, cultivée, élégante, aimant la poésie, l'art, etc. ; parfois il y a beaucoup d'émotion (parfois elle exagère les émotions), et par moment (mais pas trop souvent, quelques fois) un peu de mépris pour les gens du peuple et les gens laids, petits, etc. : je trouve que ça donne l'impression d'un côté snob, comme font les beaux parleurs dans les salons pour faire leur intéressant ou en cherchant à être drôles. Quand on pense que c'était il y a plus de mille ans, rien n'a changé…

J'ai tout de suite fait le lien avec les haïkus, car ce sont des pensées courtes qu'elle situe souvent à une saison de l'année, une heure de la journée, avec le temps qu'il fait, la nature, etc. ; et il y a toujours une émotion associée.
On y retrouve l'art japonais avec la description des arbres cerisiers, pruniers, orangers, les fleurs, les rameaux avec des bourgeons et des fleurs, etc.

Quelques remarques :
- p. 40 : la "guitare" existait déjà ainsi que les "voitures"
- les dents noires…
- sa compassion pour deux oiseaux séparés par un ravin, on a l'impression qu'elle se projette ; d'ailleurs beaucoup d'émotion se dégage du chapitre "Oiseaux" : elle devait passer beaucoup de temps à les observer.
- tellement vrai : "CHOSES QUE LES GENS IGNORENT" : "la vieillesse de leur mère."

Conclusion : très heureuse de l'avoir lu ! Très intéressant !

Remarques sur les listes :
- Duras était une spécialiste des listes dans La Vie matérielle ainsi que Susan Sontag dans son Journal (que nous avions lus).
- Je suis aussi une pro des listes dans ma vie professionnelle et personnelle. Je tapisse des cahiers entiers de listes, soit des tirets soit des numéros… Mais je ne les suis pas car je déteste les contraintes.

J'ai acheté le livre qui se trouvait là Ces choses qui font battre le cœur au Japon et ailleurs d'Elena Janvier (nom d'un trio de trois Françaises ayant vécu au Japon), qui s'inspire de Sei Shônagon, mais actuel, moderne… Donc pas pareil…

Claire Bo
Je vais d'abord tourner autour du pot. Pour être dans l'ambiance..., je suis allée au Parc de Sceaux ce matin voir la centaine de cerisiers justement en fleurs, magnifiques, la fête de Hanami devenant de plus en plus folklorique...
Vu ce livre, si ancien, si étrange a priori, et puis parce qu'il s'agit d'extraits du livre intégral et que je voulais comprendre les choix effectués, j'ai lu la préface avant, que j'ai trouvée, comme toi Laetitia, remarquable.
Je connaissais l'existence des deux grands classiques japonais, Le Dit du Genji, fréquenté si je puis dire, mais sans en avoir lu une ligne, par une exposition au Musée Guimet et le livre illustré magnifique d'une amie passionnée du Japon. Celui qu'on a lu, j'en avais aussi "entendu causer" et j'avais même le livre original qu'on m'avait donné - comme Patricia, je le connaissais donc de vue... - sans non plus en avoir lu une ligne.
J'ai aussi un livre qui s'intitule L'art des listes et j'ai vu qu'un signet se trouvait à la page concernant les Notes de chevet. J'en avais aussi entendu causer dans le livre de Georges Perec, Penser/Classer.
Bref, accéder à ce livre, est pour moi de l'ordre de découvrir pour de vrai un monument faisant partie des merveilles du monde (vous voyez le Taj Mahal ou le Pont des soupirs), ce qui n'assure en rien que la lecture est un plaisir.
Ce livre se situe pour moi entre le roman et la poésie, genre vis-à-vis duquel je me sens mal à l'aise.

Les titres m'ont semblé aussi importants que les listes qui les suivaient : j'ai été moins friande lorsque le titre est un nom - "Tissus", "Le vent" - et ai préféré les titres commençant par "LES CHOSES".
Je me suis demandé : entre les choses charmantes, ravissantes, magnifiques, enviables, qui rendent heureux : quelles différences ? Entre les choses qui emplissent l'âme de tristesse et celles qui paraissent affligeantes ? Entre les choses qui paraissent pitoyables et celles qui font honte ? Entre les choses excessivement effrayantes et les choses qui remplissent d'angoisse... Mais bon, j'ai accepté l'idée de variations et me revenait l'hypothèse évoquée dans la préface d'exercices, tel un atelier d'écriture.
Certains titres m'ont semblé très réussis, dans leur succession : "Choses qui perdent à être peintes", puis "Choses qui gagnent être peintes. "Choses qui sont éloignées, bien que proches", puis "Choses qui sont proches, bien qu'éloignées". Tout cela pour dire que les titres sont une partie du texte particulièrement accrocheur pour moi.
Il ne semble pas y avoir une construction d'ensemble. Comme dit Georges Perec, "Sei Shônogon ne classe pas ; elle énumère et recommence. Un thème provoque une liste, de simples énoncés ou d’anecdotes. Plus loin, un thème presque identique produira une autre liste, et ainsi de suite".
Aussi est-ce préférable, me suis-je dit, de se laisser aller, en me rappelant le classement fou de Borges : "les animaux se divisent en a) appartenant à l'Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un très fin pinceau de poils de chameau, l) et cætera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches."

J'ai aimé de rares scènes narratives ou simplement évocatrices d'un fil narratif : "On se sent encore défaillir quand une autre femme, devant vous, montre une lettre qu’elle a reçue de celui qu’on aime" - on pourrait tirer un roman... Et en me reportant au texte intégral, je me suis dit qu'il gagnerait à être lu pour avoir davantage de récits.
Il y a aussi des généralités : "on peut dire que tout ce qui est petit est délicieux".
Je suis étonnée du nombre de scènes galantes, donnant l'impression d'une liberté de mœurs alors que ces femmes sont des prisonnières de la cour.
Ne peut-on trouver quelque mauvaise foi dans cette phrase : "À la vérité, tout cela ne devrait être ni écrit ni montré ; mais je ne pensais pas que personne dût voir ces notes, et je les ai rédigées en me proposant d’y mettre absolument tout ce qui me viendrait à l’esprit, même les choses étranges, même les choses déplaisantes" ?

J'ai trouvé un lien avec notre lecture précédente, plaçant si haut l'amitié au point de rêver d'un mariage d'amitié: "Quand c’est un amant qui vient la voir, il n’est pas besoin de dire la joie qu’une femme ressent. Elle est heureuse encore, si c’est seulement quelqu’un avec qui elle est en relation d’amitié. Mais quel ennui lorsqu’un homme qui n’est ni votre amant ni votre ami vient sans motif particulier vous rendre visite ! "
Il y a aussi un certain sens de l'extase, notamment liée à la nature, mais aussi des préoccupations qui peuvent paraître dérisoires. De la subtilité, de la finesse, de la délicatesse mais aussi de la futilité. Et en tout cas, une grande préoccupation du paraître ; elle envie les dames "dont on parle d'abord, en toutes occasions" ; j'imagine des influenceuses avant l'heure...
Pensant qu'on lit et à ce qui lie notre groupe, j'ai noté parmi les "CHOSES QUI RENDENT HEUREUX" : "On trouve un grand nombre de contes qu’on n’a pas encore vus. Ou encore, on a lu le premier volume d’un roman passionnant, et l’on découvre le second. Il peut se faire, du reste, qu’on soit déçu" et encore : "J'ai complètement égaré un livre que j’ai besoin de consulter sur-le-champ ; je le cherche en dérangeant à plusieurs reprises quantité de choses, et je finis par le trouver. Je suis transportée de joie."

Enfin, j'ai découvert, autour du livre, qu'en 2009 Umberto Eco, auteur du Nom de la rose, invité par le Louvre pour une carte blanche, a choisi pour thème "le vertige de la liste" et à cette occasion a publié un livre, Vertige de la liste, que j'ai découvert et qui m'a enthousiasmée, par l'analogie entre les tableaux reproduits et les listes sans fin.

Quant aux listes personnelles, j'aime bien le pour/le contre (se quitter ou pas ?...). Dès que j'ai plus de trois choses à dire, il faut que j'écrive car ça ne tient pas dans ma mémoire. J'ai retrouvé la liste de toutes les choses que je ferais quand je ne travaillerais plus : "lire les romans à la mode, lire Les Hauts de Hurlevent, Sans Famille, Les Trois mousquetaires". Et j'ai retrouvé un poème-liste que Borges m'a en quelque sorte offert pour mes cinquante ans et que j'aime...


Quelques échos sur le livre


Trois points de vue d'auteur.es :
- "Les Notes de chevet de Sei Shônagon" par Christine Angot, L'édito culture, France Inter, 27 juin 2024, 3 min (vidéo).
- "Les Notes de chevet de Sei Shônagon", par Jean-Claude Carrière, On n'a pas fini d'en lire, Laura El Makki, France Inter,
7 juillet 2012, 35 min.
- Alberto Manguel (qui fut secrétaire de Borges), consacre aux Notes de chevet un mois de son Journal d'un lecteur, écrit en 2004, Actes Sud : voici ces pages consacrées aux Notes de chevet.

Un article assez récent d'une spécialiste, Evelyne Lesigne :
- "Des liasses de papier dont on fit un 'oreiller' : le registre de l’écriture de Sei Shônagon", revue Études littéraires, n°1-2, 2019 : Les Notes de chevet ont servi de source d’inspiration, au Japon comme ailleurs, pour permettre une écriture fragmentaire et discontinue, moyen d’expression spontané pour une écriture de l’intime. Pourtant, ce texte attribué à Sei Shônagon est avant tout le reflet d’une activité intellectuelle collective. Cet article présente et commente plusieurs extraits de l’œuvre pour étayer cette affirmation.

Différentes éditions :

préface, choix et notes Corinne Atlan, Folio Sagesses, 112 p.

Morceaux choisis des Notes de chevet, trad. André Beaujard
Première parution Gallimard en 1966, Gallimard / Unesco :
en ligne ici
Notes de chevet
coll. Connaissance de l'Orient, 1985, 378 p.
:
Citadelles & Mazenot, 2000, coffret :
La première édition, en 1934, était la thèse complémentaire du traducteur André Beaujard, diplômé de l’École des Langues Orientales, présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris, publiée par la Librairie Orientale et Américaine
G.-P. MAISONNEUVE :
Les NOTES DE CHEVET
de Séi SHÔNAGON'
Dame d’Honneur au Palais de Kyoto,
en ligne sur Gallica
avec une préface de son excellence M. Adatci, membre de l'académie impériale du Japon, ancien ambassadeur du Japon à Paris

 


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