Henri
(qui participe au groupe depuis septembre 2012)
Par principe (et par ignorance),
j'aborde chaque livre proposé par le groupe de lecture tel quel,
sans rien savoir de l'auteur, de l'uvre, en négligeant la
quatrième de couverture, bref sans intermédiaire, car "il
semble que la rencontre directe soit regardée comme une façon
plus noble de nouer connaissance" (Ernst Jünger, Jardins
et routes).
Après avoir surtout
lu des essais, des trucs sérieux et verbeux, je me pique (aïe)
d'aborder la littérature comme la chambre d'écho de la philosophie.
Loin de "cette espèce
de pensées qui, marchant sur des échasses, n'a qu'un minuscule
point de contact avec l'expérience", laquelle est, selon
Musil (L'homme
sans qualités), "suspecte de naissance irrégulière",
je suis particulièrement sensible à la manière dont
les choses sont exprimées, construites et ancrées avec justesse
dans l'existence. C'est pourquoi, j'aime à suivre les flux de pensée
de Gombrowicz et le rythme tranquille de Richard Ford. Mon inclination
me porte vers les formulations qui cristallisent l'indicible. (exemple
: " l'imperceptible démangeaison entre les épaules
qu'on ressent parfois à travailler, assis à sa table, le
dos à une porte ouverte sur les couloirs d'une maison vide",
Gracq, Le
rivage des Syrtes).
L'intrigue (la fabula) ne
m'intéresse pas vraiment (à moins d'être racontée
à la façon de Malaparte). Je me fiche de démêler
ce qui est vrai de ce qui est faux, de deviner si l'auteur ne parlerait
pas en définitive un peu/beaucoup/pas du tout de sa petite personne
ou d'éprouver de l'empathie pour ses personnages. Malgré
tout le livre doit m'interpeller. A l'opposé d'un produit de consommation,
je n'exige pas qu'il me procure du plaisir : il peut me déranger,
me déplaire, qu'importe, du moment qu'il imprime sa marque sur
moi, par le biais de la rêverie et/ou de la réflexion. Je
ne voudrais conserver sur mes étagères que deux sortes d'ouvrages :
ceux où l'on peut se replonger au hasard des pages et aussitôt
goûter le style, la narration, l'univers de l'auteur
et ceux,
à l'inverse, dont on a oublié de quoi ils causent, dont
on sait pourtant que pour toujours ils comptent Le
marin de Gibraltar (Duras), L'écriture
ou la vie (Semprun),
Un temps pour tuer (Flaiano) fruits d'une alchimie
avec les périodes de la vie, fragiles, au point que l'on craint
de s'y replonger de peur que leur substance se soit gâtée.
La pratique du groupe lecture
a des vertus cachées. Découvrir "par choix des autres"
de nouveaux auteurs permettra de faire le malin en société.
Certes. Mais, il y a plus important : ça vous extirpe de vos
ornières (complaisamment et insidieusement creusées avec
le concours des algorithmes à l'unisson de nos inclinations et
de nos autismes). C'est pourquoi ma gratitude à l'égard
du groupe tient à l'éducation prodiguée : tous les
quinze jours, me faire éprouver à quel point l'Autre est
singulier en me laissant subjuguer par des avis qui diffèrent,
se répondent et se fécondent
Décembre 2016
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