Jean-Louis Perrier (Extrait Le Monde du 2 février 2003)
L'adaptation de Jean Pavans, pourtant fin connaisseur de Henry James,
réduit les ombres de la pièce. Seul le jeu pudique de Catherine
Hiégel laisse filtrer l'esprit de l'auteur.
Il vaudrait mieux oublier, ne serait-ce qu'un instant, Henry James. Mais
comment ? Chaque nouvelle mise en scène ou mise en film d'une de
ses uvres n'est-elle pas une chance de retourner à la source
? Comment ne pas relire Les Papiers d'Aspern ? D'autant que Jean Pavans,
l'adaptateur, en est aussi l'éminent traducteur, et l'un des meilleurs
connaisseurs de l'uvre. Alors, il faut bien constater qu'il a préservé
l'architecture extérieure de la nouvelle, mais bouleversé
son ordonnancement intérieur. Ses personnages se nourrissent plus
d'une dramaturgie analytique que de l'élan jamésien. Ce
qui était suggéré paraît asséné
; les pistes, les hypothèses, multiples, obéissent au sens
unique ; les éblouissements, soudains, et les élans, proches
de la folie, s'effacent sous le convenu.
La reprise, mot pour mot, de dialogues romanesques n'en fait pas forcément
des dialogues de théâtre. Là où le traducteur
découvrait des équivalences aux subtiles ambiguïtés
jamésiennes, le dramaturge résume, condense, et souligne
d'un crayon gras - celui qui fait rire -, tandis que le metteur en scène
contresigne. Il n'est pas jusqu'à la langue qui ne soit affectée.
La mode ou la manie de reprendre un mot ou un fragment de phrase dans
la phrase suivante n'assure pas la théâtralité. Le
système est d'autant plus éprouvant que le malheureux narrateur,
tracé d'emblée dans le ridicule, appuie systématiquement
sur la dernière syllabe de chaque réplique, comme s'il devait
ramener la scie au point initial, avant de reprendre sa course.
UNE AFFAIRE DE BIJOUX
S'il s'agissait de boulevard, l'ensemble paraîtrait digne, courageux
peut-être, mais nous demeurons, ne l'oublions pas, sous le regard
sans complaisance de Henry James. Les insaisissables papiers d'Aspern
deviennent une simple cagnotte, homologue d'une liasse de billets de banque
capables de se transformer, d'un mouvement de menton, en quelques pièces
d'or, en attendant d'être changés pour leur poids de sexe.
Transaction, comme de bien entendu, effectuée en scène,
au risque du grivois. La "concupiscence" de l'homme de lettres
est prise au pied de la lettre, et sa quête du "divin"
poète disparu réduite à une affaire de bijoux de
famille, disputés à une vieillarde vénale (Françoise
Seigner) par un gandin sans scrupules (Jean-Damien Barbin).
Heureusement, entre la vieille muse et le jeune fat, il y a Tita (Catherine
Hiégel). Par un de ces curieux sursauts de mise en scène
- ou de distribution bien comprise -, Catherine Hiégel apparaît
comme la créature même du romancier. Son maintien assure
timidité et droiture, candeur et pudeur, et le découpage
savant de ses répliques restaure l'improbable. Chacune de ses apparitions
laisse filtrer un peu de la lumière estivale tamisée par
Henry James à travers les vénitiennes d'un palais déserté
par le monde. Elle devient le secret poétique de Jeffrey Aspern.
Le vrai suspense de chaque instant.
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