D'où vient la midinette et quel rapport avec la lecture ?
Ce mot est
né dans la seconde moitié du XIXe siècle dans le
milieu de la mode, à Paris.
Le terme n'avait pas le sens péjoratif qu'il a acquis ensuite.
Les «
midinettes » étaient de jeunes employées
des maisons de couture parisiennes, qui faisaient « dînette
à midi », d'où leur nom : elles se contentaient
de petits repas (soucieuses de leur ligne...), qu'elles prenaient généralement
dans les parcs publics de la capitale, notamment aux Tuileries.
Les midinettes
furent socialement très impliquées dans la lutte pour de
meilleures conditions de travail : manifestations dans les rues de Paris,
réunions animées à la Bourse du Travail, grèves,
tous les moyens étaient utilisés pour faire entendre leurs
revendications. Leur grève la plus célèbre fut celle
de 1917, dont datent ces photos :
«
Rue de la Paix, les midinettes sortaient en bandes et traversaient
la place Vendôme et la rue de Rivoli en se donnant le bras. »
(Paul NIZAN, La
conspiration, 1938)
«
Le curé de la Madeleine me dit que dans la chapelle de l'Assomption
(au 1erarrondissement) qui peut tenir six cents personnes, ils réunissent
neuf cents midinettes. Elles prennent vingt minutes pour leur
déjeuner, puis arrivent mangeant encore un bout de saucisson
: "Nous ne vous parlerons pas du placement de vos économies,
de vos intérêts ; non, nous vous parlerons de vos âmes,
car vous ne le savez peut-être pas, vous avez une âme. Vous
êtes souvent malheureuses. Nous vous approcherons de votre perfectionnement."
Elles comprennent. Les couturières plus que les modistes. Ces
dernières gagnent plus d'argent. » (Maurice BARRÈS,
Mes cahiers,
tome 9, 1911)
Par extension
et on y arrive...
la midinette est une « jeune fille simple et frivole, à
la sentimentalité naïve » dit le Dictionnaire
du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) d'où
sont tirées ces citations littéraires.
«
"Je me suis monté la tête comme une midinette",
se disait Antoine en marchant. » (Roger MARTIN DU GARD,
Les
Thibault : Le Pénitencier, 1922)
«
Bref, elle n'osait avouer son rêve de midinette qui
lit toutes les semaines Ciné-Monde. » (Hervé
BAZIN,
Lève-toi et marche, 1952)
«
Ce que j'admire le plus chez les lecteurs assidus, ce n'est pas leur
science ni leur constance (...) mais leur faculté d'illusion,
et qu'ils ont tous en commun, et qui les marque comme d'un signe distinctif
(...) qu'il s'agisse d'un savant érudit spécialisé
dans une question hors série et qui coupe les cheveux en quatre,
ou d'une midinette sentimentale dont le cur ne s'arrête
pas de battre à chaque nouveau fascicule des interminables romans
d'amour à quatre sous qu'on ne cesse de lancer sur le marché,
comme si la terre qui tourne n'était qu'une rotative de presse
à imprimer. » (Blaise CENDRARS,
Bourlinguer,1948)
Nous
y voilà !
Chez des
lecteurs avertis, distanciés, sommeille une midinette :
c'est elle qui se réveille lors d'histoires en particulier d'amour
; toute distance s'affaisse, l'identification marche à fond, on
ferme les écoutilles de l'analyse, on se laisse aller aux émotions,
au premier degré, et on en jouit...
On en jouit
d'autant plus qu'on ne lit pas de romans roses, d'Harlequin, de romans
de gare ; on s'encanaille, donc, avec certains livres qui n'en sont pas
(des romans pour midinette), mais qui, par certains ressorts, prêtent
le flanc à ces abandons.
Parfois,
certains s'en veulent de s'être laissé aller et se retournent
contre le livre qui a tiré sur la corde : « je n'aime
pas son côté midinette »...
Si on se
réfère à la distinction mode participatif/mode
distant de Dominique Legallois et Céline Poudat, y a pas à
hésiter... :
«
En mode participatif, le sujet se prend volontiers au piège
de lillusion référentielle du texte, accorde aux
personnages des intentionnalités et des comportements de personnes
réelles, se projette lui-même dans le texte en ressentant
les émotions des personnages, en ayant de la sympathie pour eux,
etc. Le lecteur (qui nest pas nécessairement dupe, mais
joue également un rôle), "marche", "y croit",
mobilise sa propre expérience, sadapte aux contraintes
génériques et stéréotypiques, interprète
le texte de façon "littérale" (sans y chercher
des sens cachés). » (« Comment
parler des livres que lon a lus ? », Dominique Legallois
et Céline Poudat,
Semen, n° 26, 2008)
Quant à
la distinction entre l'« empathie sèche » et l'«
empathie humide », nul besoin d'être devin pour savoir
ce qu'il en est pour la midinette....
«
Si l'empathie sèche se caractérise par une compréhension
distante, dénuée de toute affectivité, l'empathie
humide n'est pas exempte d'une certaine dose de contagion émotionnelle
et conduit à ressentir en partie les émotions d'autrui.
Cette distinction est très intéressante pour l'analyse
littéraire : dans la lecture, l'empathie humide est variable
selon les lecteurs (certaines situations toucheront tel individu et
pas tel autre) ; en revanche, l'empathie sèche (dans la
mesure où elle est nécessaire à la compréhension)
s'impose à l'ensemble des destinataires. » (Vincent
Jouve, « Quand les personnages
vibrent en nous », Sciences humaines, dossier «
Le pouvoir des livres », n° 321, janvier 2020)
Ceux qui
ont la chance d'avoir repéré la midinette en eux, qui tout
à coup se réveille à la lecture d'un texte, savent
à quel point la lecture peut être encore plus plaisante.
Certains textes s'y prêtent plus que d'autres il est vrai. Et des
textes qui nous passionnent ne réveillent aucunement la midinette.
Parfois nous regrettons même qu'elle se soit réveillée,
un mauvais signe pour le roman pour les uns, tandis que les autres se
réjouissent qu'elle puisse prendre l'air.
Nous croyons
être deux, bien tranquilles... Il y a le texte. Il y a moi qui lis
le texte. Habitué.e à une certaine distance, car attentif
ou attentive à ma lecture dont je vais faire état dans le
groupe. Et là, sans crier gare, homme ou femme, je sens se réveiller
la midinette qui sommeille en moi (sic). Nous ne sommes
plus deux : bienvenue !
La
mère midinette d'Annick L
Je
ne savais pas que le terme midinette venait de là. Dans ce cas
ma mère était une midinette, « montée »
à Paris dans les années 1930 pour
travailler dans une grande maison de couture. Je connaissais l'expression
"les petites mains" pour désigner ces ouvrières
de la mode. Elle m'a souvent parlé de leurs conditions de travail
(absolument tout était fait à la main), et elle me racontait
que lorsqu'elles avaient fini une robe particulièrement sophistiquée
pour une cliente, elles espionnaient par la fenêtre la sortie de
celle-ci pour voir le résultat de leur travail (elles n'étaient
évidemment pas invitées à regarder l'essayage). Par
contre elle n'avait pas du tout l'âme militante, ni féministe
!
Une
histoire vache ajoutée par Monique S
L'histoire des « midinettes » ? Incroyable. Je
ne savais pas que c'était au départ des militantes féministes.
Ridiculiser le nom, c'est ridiculiser les femmes qui s'en prenaient sérieusement
aux différents exploiteurs... comme d'hab...
En ce qui me concerne, ce nom me ramène à un autre souvenir
: dans mon enfance, jai appris comme mes frères et
sur à traire les vaches sur Midinette. C'était
une jolie vache jaune et blanche, la plus douce du troupeau. Je ne sais
pas pourquoi elle s'appelait ainsi...
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