Dans un palazzo de Venise, à moitié en ruine, la vieille miss Bordereau n'en finit pas de mourir. Elle a été, dans sa jeunesse, le grand amour de Jeffrey Aspern, célèbre poète anglais, et la rumeur veut qu'il lui ait légué de nombreux manuscrits inédits. Le narrateur, qui écrit un livre sur Aspern, est prêt à tout pour les acquérir. Prêt a tous les mensonges, toutes les bassesses, toutes les ruses, y compris tenter de séduire la malheureuse nièce de la vieille dame. Mais il n'a pas mesuré la force de celle qui, au fil des pages, devient peu à peu le plus redoutable des adversaires.

Henry James
Les papiers d'Aspern

Nous avons lu ce livre en février 2003.
Nous en avons vu une adaptation au Théâtre du Vieux-Colombier
par la troupe de la comédie Française : voici ›ici quelques images de la pièce, suivies de la critique du Monde.


Régine
J'attends avec impatience les commentaires sur la pièce de théâtre que certains ont vue. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup apprécié cette étincelante petite nouvelle de Henry James, très maîtrisée, subtile et cruelle, qui n'est pas sans évoquer certaines nouvelles de Guy de Maupassant (cf. Les contes de la Bécasse). L'atmosphère claire-obscure, mystérieuse, lunaire, irréaliste, suggère la ruse et le complot qui se trament. Chacun des personnages est enfermé dans son obsession que l'on devine être étanche, incommunicable. Le suspens habilement déployé met en valeur la chute, inattendue.
Brigitte
Je suis surprise que le nom du personnage Tita soit changé en Tina dans mon édition ; de même pour le titre du livre The Aspern Papers, traduit dans mon édition par Les papiers de Jeffrey Aspern. J'ai beaucoup aimé le livre et la pièce, ses décors. Le sujet n'est pas courant : le non amour. Il suffirait que Tita ait 20 ans de moins, que ses mains soient un peu plus propres et tout serait réuni pour que le personnage masculin tombe amoureux d'elle.
La tante a vécu quelque chose de très fort dans sa vie : sa relation avec le poète. Son attitude est monstrueusement égoïste : la nièce est complètement écrasée, incapable de vivre toute seule, de sortir. La fin est très intéressante, pas très bien rendue au théâtre : dans le livre, la proposition de Tita n'est pas immédiatement comprise par l'écrivain.
Jacqueline
J'ai lu le livre avec énormément de plaisir : une vraie découverte, une lecture facile. L'ironie, la distance ne sont pas rendues dans la pièce qui déçoit car il manque la voix du narrateur qui donne cette distance. La cruauté d'Henry James est absente de la pièce. Le jeu du personnage sonne faux. Seigner est trop lourde, sans ironie.
Que de questions on se pose : que contiennent les papiers ? Y a-t-il un secret de famille qui expliquerait la situation de ces deux femmes cloîtrées dans Venise ? Que cherche le critique ? Des éléments biographiques, des écrits du poète ? On ne peut s'empêcher de penser à Sainte-Beuve. Le texte est très riche, mais finalement… je n'aime pas tellement Henry James : trop de persiflage, trop de légèreté…
Monique
J'avais lu Le Tour d'écrou sans enthousiasme. J'ai lu Les papiers d'Aspern deux fois et je suis tombée dans le monde d'Henry James : je me suis mise à lire des tas de nouvelles. Celle-ci m'a particulièrement plu, pour Venise aussi, avec l'opposition entre les papiers cachés et une ville toute en exposition, entre le jardin qui revit et l'intérieur de la maison où tout s'est arrêté, avec le rapport entre les pétales de fleurs et les feuillets des papiers… Le plus souvent, James dit des choses qui ne vont ni dans un sens ni dans l'autre, en créant une sorte de connivence avec le lecteur. On ne sait pas ce qu'Aspern a écrit, il est présent, on ne sait rien sur lui. Les revenants sont souvent présents dans les nouvelles de James : Aspern hante le personnage masculin. Celui-ci est pervers : il sait parfaitement ce qu'il veut : les papiers. Il sait bien quel jeu il joue avec la nièce, même s'il fait semblant d'avoir des scrupules. L'écrivain sort parfois, il n'est pas enfermé comme la nièce. Son personnage à elle est très intéressant : naïve, à qui aucun homme ne s'est jamais intéressé, elle est lucide, courageuse. Elle peut avoir complètement inventé l'histoire de la tante qui aurait voulu faire entrer le narrateur dans la famille. On a une vision des personnes selon nos besoins. Puis c'est le décalage entre Tita et l'écrivain quand il pense encore pouvoir se saisir des papiers et qu'elle sait déjà qu'elle les a brûlés.
Geneviève
Je suis inconditionnelle de James. J'ai beaucoup aimé cette nouvelle, bien que ce ne soit pas ma préférée. Le côté indécidable d'Henry James, le jeu, le changement d'éclairage - ombre et lumière - rendent sans doute les traductions difficiles et différentes. Le personnage de la nièce est très fort, parfois simplette, parfois pas du tout. Elle joue aussi ; il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas savoir sur elle. Le personnage de la tante est plus caricatural. L'écrivain est aussi intéressant, changeant. La tante manipule les deux autres. C'est vrai qu'il y a quelque chose de léger dans cette nouvelle. Je préfère Henry James en Angleterre.
Manu
Je n'ai pas terminé et ai vu la pièce en cours de lecture. Pour moi, la lecture est pénible, n'est pas facile, ne coule pas de source. Je rapproche James de Forster, avec un même aspect fabriqué. Je ne ressens rien pour les personnages. C'est fatigué, vieillot, ennuyeux même. Connaissant la fin après avoir vu la pièce, je ne pense pas terminer le livre, en raison de sa forme. Dans la pièce, Venise n'est pas présente si ce n'est dans le costume de l'écrivain qui est celui du viel homme de Mort à Venise.
Claire
Les imparfaits du subjonctifs de la traduction ("autant que je le susse", "à moins que les papiers n'en révélassent") m'ont gênée au début et puis je ne les ai plus vus ou il n'y en avait plus. Le plaisir du théâtre l'emporte sur celui de la lecture, même si la pièce est moins parfaite ; mais le plus grand plaisir est l'attente pleine de questions créée par le fait d'aller voir une adaptation de la nouvelle au théâtre, suivie de la découverte des espaces (réussis), des choix de mise en scène et de l'incarnation par les personnages. J'avais lu Le Tour d'écrou, L'Image dans le tapis, L'Élève, et j'ai la même impression de malaise. L'indécidable dont on parle donne un sentiment de frustration ; de plus, tout ça pour que les papiers soient brûlés ! La déception ne joue d'ailleurs pas contre le livre. Comme dans L'Image dans le tapis, le sujet est l'écriture. L'émotion est en effet absente ; on ne peut pas s'identifier. J'avais catalogué la nièce nunuche parmi les souris et au théâtre où l'on voit ses différents aspects, une certaine force même, j'ai été obligée de la reconsidérer. La vieille est parfaite, sauf qu'elle enlève sa visière, infidèlement à la nouvelle. Le jeu de l'écrivain est vraiment raté, surtout dans la première partie, mais la critique du Monde est particulièrement sévère sur la pièce.
Françoise
J'ai été charmée par l'atmosphère surannée, secrète, de ce récit. Plus que son côté "policier", c'est son mystère qui est prenant. Mystère de la situation, mystère des personnages, mystère de l'évolution des rapports des protagonistes, des sentiments de miss Tita ; jusqu'où ira le narrateur ? James manie parfaitement l'ambiguïté, le secret, l'illusion. Il évoque Venise à merveille, la transformation du jardin, le vide de cette grande maison, le spectre qu'est la vieille dame. Bref, on y est ! Pour moi, c'est un récit en vase clos, le vase n'étant pas la maison ou le jardin, mais Venise. Je trouve que c'est une performance, c'est très théâtral. Il paraît que James est difficile à lire en anglais, à cause de ses adjectifs précieux, ses phrases à tiroir, et c'est sans doute ce qui rend si bien cette sorte de légère "brume" qui imprègne le lecteur et qui fait qu'il ne sait jamais à quoi s'attendre, il est toujours maintenu dans le doute. J'en lirais bien un autre !
Christine
J'ai eu beaucoup de plaisir, c'est une gourmandise. J'ai été tout de suite happée, j'étais bien dans le décor, j'ai aimé les lieux, les personnages, leur ambiguïté, la subtilité de la façon dont ils sont traités. Personne n'est sympathique. On se pose tout le temps des questions sur ce qui se passe, qui manipule qui. J'aime beaucoup la façon dont le narrateur prend possession des lieux, la période où dans la maison il ne rencontre jamais les demoiselles Bordereau. Je n'avais pas imaginé la fin. J'ai bien aimé les dernières scènes, où la nièce mène le jeu ; quand elle lui propose le mariage, c'est poignant.
Françoise Delphy
J'ai lu plusieurs fois cette nouvelle. Du théâtre où il avait d'ailleurs échoué, James disait "au théâtre, on met des potirons sur les i" ("In the theater they dot their Is with pumpkins"). La pièce est donc plus explicite que le texte et le metteur en scène a mis quelques potirons sur ses i, par exemple là où les personnages sont décrits en négatif : "her face was not young, but it was simple ; it was not fresh but it was mild". En anglais, la visière est "a green shade", moins précis que visière.
"Long fine hands which were - possibly - not clean" : le possibly souligne l'impossibilité de transcrire le réel. Quant à la visière dans la pièce, c'est un contresens terrible que de montrer les yeux de Juliana : sans doute Françoise Seigner ne voulait-elle pas cacher ses yeux pendant presque toute la pièce. La visière verte, ainsi que le nom de Juliana, me semble empruntée à A.Marvell, un poète du XVIIème, faisant partie des "poètes métaphysiques".


 

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