Une jeune enfant est retrouvée morte, assassinée. Nous sommes en hiver 1917. C'est la Grande Guerre. Qui a tué Belle de jour ? Le procureur, solitaire et glacé, le petit Breton déserteur, ou un maraudeur de passage ? Des années plus tard, le policier qui a mené l'enquête raconte toutes ces vies interrompues : Belle de jour, Lysia l'institutrice, le médecin des pauvres mort de faim, le calvaire du petit Breton... Il écrit avec maladresse, peur et respect. Lui aussi a son secret.
Philippe Claudel
Les Âmes grises
Nous avons lu ce livre en décembre 2005.
La plupart d'entre nous ont vu le film adapté du livre par Yves Angelo, Les âmes grises.
Le groupe de Tenerife lira Le Rapport Brodeck en 2020.

Jacqueline
Je l'ai lu une première fois, je n'ai pas beaucoup aimé le titre, je ne comprenais pas, ça faisait "éminence grise" ; et la marchande de peaux qui donne l'explication ça passe bien ; mais en fait personne n'est gris : tantôt on est blanc ou noir. Le gris, c'est plutôt le désespoir. En lisant on a l'impression que tout est noyé dans l'eau, comme le jugement du narrateur ; avec ce qui se passe à la fin - le refus de l'enfant - il prête sa grisaillerie, son indécision aux autres. Je n'ai pas tellement aimé ce roman à cause de la noirceur. Je ne peux être d'accord sur le fait que les groupes c'est comme les individus ; le narrateur (l'auteur ?) porte un jugement sur les hommes et idéalise les femmes ; elles sont lumineuses, ce ne sont pas des âmes grises. Je n'avais pas compris, j'avais couru un peu vite sur les descriptions de soldats, j'avais trouvé très fort le typographe ; j'étais gênée par le narrateur : il est policier ? Il est écrivain ? Je trouvais que l'écrivain était dans un parti-pris de noirceur, dans une complaisance.
Sur ces entrefaites, je vais voir le film. Télérama dit que c'est un film académique. J'ai l'impression de voir une autre histoire. J'en prends plein la figure : la guerre, les personnages prennent vie, je comprends l'histoire avec une autre lecture. L'ouvrier est vulgaire, ce qui me choque. Le film m'émeut beaucoup, sans la mort du bébé ce qui change la noirceur. J'avais lu que l'auteur a participé au scénario, garantie de fidélité.
Puis j'ai relu le livre : il y a des invraisemblances. Je suis agacée par les noms des personnages, caricaturaux : Le Floch pour le Breton, Mierck pour le juge…
Je vais lire La Petite fille de M. Linh.
Françoise D
Je l'avais lu il y a deux ans, j'avais beaucoup aimé. Puis je suis allée voir le film ; ça ne m'a pas frappée que le bébé ne soit pas tué. Les comédiens sont très bien choisis (sauf peut-être la marchande de peaux) ; c'est vrai que le film est assez académique, mais quand j'ai aimé un livre, j'attends de l'adaptation qu'elle soit fidèle, ce qui est le cas. Puis, chose très rare pour moi, j'ai relu le livre et y ai trouvé autant de plaisir, j'ai admiré une fois de plus la construction, les retours en arrière sans qu'on soit perdu, l'émergence subtile du narrateur peu à peu au long du récit, la fin inattendue. C'est très bien écrit. Seul bémol par rapport à ma première lecture : connaissant l'histoire, je me suis plus attachée à l'écriture, et j'ai trouvé parfois l'abus du cliché, de la métaphore ; mais le ton est très juste, il est bien imprégné de l'atmosphère de sa région.
Muriel
Je trouve invraisemblable que le Breton se laisse nu dans le froid. Je croyais que Destinat avait tué la petite parce qu'elle lui rappelait sa femme. Ça m'a plu, mais je l'ai lu par tronçons, ce qui m'a perturbé les neurones. J'ai aimé le personnage du typographe. Je me suis attendue au meurtre de l'enfant.
Annick
Le fait que le Breton soit coupable justifie presque ce que les salauds lui font subir. J'ai adoré.
J'étais sous le charme, j'ai été portée, je cherchais une petite musique, c'est la voix du narrateur, je l'entends, elle m'a captivée. Si on n'accroche pas à cette voix, bien sûr…
L'image des âmes grises, je trouve ça joli, je m'en souviendrai, l'âme grise c'est aussi la tristesse posée sur les personnages ; beaucoup de gens ont une âme grise ; je trouve ça beau comme idée, c'est désespérant. Qu'est-ce qui reste ? Rien. Il n'y a pas que la guerre. Sans la guerre, le procureur aurait été gris. C'est un roman social, un thriller psychologique ; le fait qu'on se fasse balader est dû à la complexité de ce personnage. Je n'ai pas envie de voir le film car je me suis fait des images. C'est un roman fait avec talent, ce rythme des chapitres équilibré qui n'emmène jamais trop loin. Ce rythme contribue à embarquer.
Dans certains romans il y a puissance, une allégorie. Ici, c'est une musique. Il y a un jeu de miroirs entre Destinat et le narrateur. Je ne vois pas quoi dire de négatif. C'est une musique délicate comme certains vins, un grand plaisir.
Geneviève
Je suis un peu perplexe. Je l'ai lu il y a deux ans, et j'avais bien aimé, sans enthousiasme. Je n'aime pas relire. Je l'ai feuilleté hier soir. Annick m'en avait parlé avec précision, cela ne me rappelait rien. Ah oui, elle va mourir. Alors qu'objectivement je n'ai rien à lui reprocher.
"Je vais faire défiler beaucoup d'ombres" : c'est comme un théâtre d'ombres, comme avec Modiano, je me souviens de l'atmosphère, d'un personnage, mais je ne saurai raconter. J'avais oublié que c'était un polar. Il y a un côté un peu fabriqué (la France de la guerre 14, les noms) assez bien écrit. Il ne m'en est rien resté, c'est une jolie histoire qui ne m'a pas emportée. Il y a un manque de puissance.

Rozenn
J'ai lu le livre et vu le film. J'ai lu aussi La Petite fille de M. Linh. J'ai bien aimé Les Ames grises, et beaucoup La Petite fille… Le film ne peut pas marcher. Il y a des couleurs grises, la chambre de l'instituteur ne passe pas. J'étais avec quelqu'un qui n'avait pas lu le livre, je me disais il ne peut pas comprendre, il a compris. C'est de la trahison de ne pas tuer le bébé. J'ai adoré La petite fille..., le procédé apparaît moins, on sent qu'on est embarqué.
Claire
Je l'ai lu une fois et j'ai vu le film. J'ai beaucoup aimé le livre, mais aussi le film avec le plaisir constant de la comparaison. Moi aussi j'étais avec quelqu'un qui n'avait pas lu le livre et je me disais qu'on ne pouvait rien comprendre au début surtout, ce qui fut le cas... L'auteur a écrit le scénario, cela donne du crédit. Dans le film, le procureur ouvre les lettres. La comparaison est passionnante. Dans le livre, on ne sait que le narrateur est policier qu'à la page 143. Dans le film forcément on le sait tout de suite. J'étais enthousiaste, mais en vous entendant, je suis influencée par vos réserves. Le titre, bof. Ça a quelque chose de fabriqué mais non ne sait pas dire comment et où. Je ne reviens pas sur le grand plaisir que j'ai eu à lire ce livre. Parfois, il change de période avec beaucoup d'aisance (par exemple p. 135) il y a beaucoup de fluidité dans la narration. Un des plaisirs du film ce sont les décors : le parc du château, le petit pavillon, c'est un plaisir. Moi, j'attendais beaucoup de l'institutrice pour faire un peu de pédagogie... Dans le film on comprend qu'elle charme le procureur mais ce n'est pas aussi subtil que dans le livre.
Florence
Enfin un vrai et bon roman ! Il y a tellement de livres actuellement qui se disent "roman" et qui n'en sont pas. Ici, l'histoire est réellement construite et c'est un vrai plaisir de s'y laisser entraîner jusqu'au rebondissement final (la culpabilité du petit Breton) totalement surprenant et plutôt dérangeant, même s'il était annoncé et surtout prévisible étant donné la philosophie du livre : aucune âme n'est toute blanche ni toute noire... De victime à coupable, il n'y a qu'un pas...
Les âmes grises est un beau titre-clef. Et cette couleur grise reflète bien toutes les nuances et les subtilités des personnages. A commencer par le narrateur qui s'incarne peu à peu au cours de la lecture. Son récit est effectivement le dévoilement d'une âme, une longue confession qui aboutira à l'aveu final de son crime à lui.
J'ai tout aimé dans ce livre : la reconstitution de la guerre vue par les " planqués ", la galerie de personnages d'une petite ville de province, le point de vue d'un homme du peuple qui se voudrait simple et juste mais qui ne l'est pas tant que ça, son style parlé, les méandres de sa narration, et le sourire de l'institutrice...
Je n'irai certainement pas voir le film. Pas envie qu'on abîme mes images. (Quoique... Après vous avoir entendues... Finalement... Peut-être...)

Rozenn
En fait ce n'est pas en lisant le livre que j'ai pensé qu'il était écrit selon des procédés, même pas en lisant ensuite La Petite fille de Monsieur Linh, c'est en voyant le film : pour que le spectateur puisse comprendre, il y a des coupures, des changements, des grossissements, des brusqueries. On force le trait et le charme est rompu. Par effet d'accumulation, le souvenir qui me reste - pour Les Ames grises, livre et film mêlés - est celui de quelques passages comme forcés. Le film pour moi a cassé quelque chose du livre et pourtant je suis d'accord avec Claire, c'était fascinant de rechercher comment avait été tentée la transposition. J'essaie d'imaginer le film qui pourrait être tiré de La Petite fille... et cela me paraît impossible à faire.

 

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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