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Lao She
Le Pousse-pousse
(publié en Chine en 1936, traduit en France en 1995)
Nous avons lu ce livre en septembre 2005.
Le nouveau groupe parisien le lira en septembre
2018.
Florence
Il se trouve que mes copines cubaines sont à Paris et donnent un
concert à 20h30 à la Maison de l'Amérique latine.
Et entre Almayniurka et Lao She, mon cur ne balance pas ! Un
petit mot quand même sur Le Pousse-pousse. J'y allais pleine
d'entrain mais j'ai vite été stoppée dans mon élan
par une narration... disons... poussive. Ce gentil garçon plus
proche du pigeon que du chameau (dans nos représentations occidentales),
né pour se faire plumer et dont la chute annoncée nous est
contée... ne réussit ni à me faire rire, ni à
m'émouvoir. Peut-être que la Chine est un pays trop lointain
pour que je m'y intéresse vraiment (mais j'ai quand même
étudié le chinois pendant deux ans et j'aime certains auteurs
chinois comme la contemporaine Chi
Li par exemple). Peut-être est-ce l'époque qui est trop
lointaine, ou le style haché, froid, qui nous met à distance...
ou peut-être que je n'ai pas de cur tout simplement ?
Toujours est-il que les malheurs du tireur de pousse m'ont laissée
de marbre.
Rozenn
Trop malade pour venir ce soir, je vous envoie un avis très succinct
et un peu mitigé : j'ai d'abord été embarquée
dans le projet du héros et puis lassée par sa misère,
misère sur tous les plans, par son extériorité à
ce qui lui arrive. Gênée aussi par la violence de cette société,
violence présentée comme naturelle, des rapports riches-pauvres,
hommes-femmes, le portrait de Tigresse me paraît trop caricatural ;
seule l'humanisation progressive du héros, au fil de ses renoncements,
assure un semblant de lien entre les épisodes. Si le projet du
livre est de laisser un grand malaise, c'est gagné, mais il manque
quelque chose pour que l'ensemble garde pour moi la force du début.
Geneviève
Quand je l'ai commencé, et que l'auteur a annoncé que les
choses allaient de mal en pis et la chute était prévisible,
j'ai pensé que j'allais décrocher rapidement de cette série
de catastrophes. Finalement, je me suis prise au jeu. Je fais un parallèle
avec Être
sans destin : c'est quelqu'un qui vit les choses extérieures
(mimique de Monique), mais qui n'est pas
vraiment humain. La Tigresse est monstrueuse, limite caricaturale, mais
intéressante (mimique de Françoise).
Petit à petit, j'ai été intéressée
par la découverte cet univers décrit avec minutie, et par
la logique du personnage. Par moment l'accumulation des déboires
frôle l'invraisemblance...
Françoise
C'est un pousse-pousse qui mérite un coup de pied au cul !
Comme Florence, je me suis barbée ! C'est un cas social, un
loser. Il fait tout ce qu'il ne faut pas et le récit perd de sa
force. Je n'ai pas été intéressée, Tigresse
est caricaturale. Le seul intérêt est d'entrevoir la vie
du petit peuple de Pékin dans les années 20. Comme on sait
qu'il ne va pas s'en sortir, il n'y a aucun suspense, pas de ressort dramatique,
c'est très plat. J'ai lu dans la préface que le premier
traducteur anglais avait arrangé la fin. On le comprend !
On a envie de dire au héros : "Arrête de te comporter
comme un crétin !" Et la façon dont le personnage
est décrit lui ôte sa dimension sociale.
Brigitte, entre
et
Je ne suis pas du tout d'accord. Ça m'a bien plu. Le style est
bien adapté à l'histoire et je pense que dans l'ensemble,
c'est encore valable de nos jours. Au Viêt-Nam, par exemple, il
n'y a pas de pousse-pousse mais des cyclo-pousses ou des sampans qui n'appartiennent
pas à leurs conducteurs. La situation est à peu près
la même : ils gagnent très peu (50 dongs, c'est-à-dire
¼ d'euro), ils sont misérables. Le culte du pourboire est
très présent, le tarif est à la tête du client.
J'ai retrouvé des choses similaires, toutes proportions gardées.
Le héros a des illusions, il est honnête, de l'estime pour
lui-même, il est "réglo", ne veut pas casser ses
brancards, par exemple.
Claire
C'est le réalisme du livre qui t'a plu ?
Brigitte
Cela m'a fait découvrir un monde. Je suis rentrée dedans,
dans l'évolution de sa pensée, dans ses valeurs à
lui, son amour du travail bien fait, sa mentalité paysanne. Il
découvre la ville, là où personne ne doit perdre
la face. Après, on s'aperçoit qu'il est content d'être
en ville, il est vraiment devenu un pousse-pousse de Pékin. Nous
vivons la transformation du personnage. Nous allons dans les méandres
de la vie d'un pousse : les maisons de thé, chez les particuliers,
dans les garages. C'est bien dans notre existence de se dire que nous
organisons nos vies. Mais il y a des anicroches. Il devient désespéré,
un pauvre loser qui est passé à côté de tout.
A un moment, il est près de se marier avec Petite Fou-Tsé
mais il n'a rien à lui donner. Le personnage de Tigresse est intéressant,
on imagine bien cette femme qui devient grosse, avec des bijoux, manipulatrice
mais incapable de gérer sa grossesse. Tous ces personnages sont
attachants, mais pas forcément sympathiques. Cela fait découvrir
un univers qu'on connaît mal. Il y a une écriture qui n'empêche
pas le contact avec le personnage, mais qui est bien au service de ce
projet et c'est un projet réussi.
Monique
L'image de couverture est jolie, mais sans rapport avec l'histoire. J'étais
assez tentée après en avoir beaucoup entendu parler. Je
ne connais pas du tout la littérature de cette époque. J'ai
été déçue. Le personnage ne m'est pas sympathique
et en réfléchissant les autres non plus. On dit qu'il y
a de l'humour ? L'histoire du chameau, je ne l'ai pas trouvée
drôle. Et le reste n'est pas drôle du tout. Je n'ai pas aimé
le personnage de Tigresse. Et entre cette femme monstrueuse et l'autre,
petite colombe victime qui meurt de prostitution... La seule chose, ce
sont les descriptions qui m'ont fait voir la Chine des années 20
(p. 41). Il y a des moments d'éloquence, voire de lyrisme, qui
ne vont pas avec le livre. P. 145, on décrit la vie dans les
arrière-cours, les occupations des habitants en haillons, c'est
une scène de vie. Mais je ne vois pas trop le projet de l'auteur :
ce n'est pas de nous faire aimer son pays et ses personnages. Son projet,
est-ce de dénoncer l'individualisme, parce qu'un être individualiste
ne peut pas réussir ? Ça me gêne. J'ai l'impression
qu'il a voulu nous prouver que l'individu ne peut que se casser la figure.
J'ouvre ¼ à cause des scènes de vie, du grouillement
des gens, mais pas pour l'histoire et le personnage. S'il y a une critique
sociale, il y avait plein de moments pour la faire et elle n'apparaît
pas. Il aurait pu changer. Il est esclave dans sa tête. Je pense
que c'est un livre idéologique.
Katell
Je partage l'opinion que c'est un roman idéologique, écrit
certes par un écrivain avec quelques jolis moments d'écriture,
mais le propos est très clairement de lutter contre l'individualisme.
C'est exactement l'antithèse du roman américain. Mais c'est
quand même très ennuyeux.
Jacqueline
Je n'ai pas senti ce livre comme une critique de l'individualisme. Cela
m'a bien plu. Je reprochais son naturalisme à Fallada et là
je marche, car c'est une société que je ne connais pas.
Je ne l'ai pas trouvé antipathique, mais très naïf,
avec un équivalent de son rêve américain à
lui. Son évolution est intéressante, il y a des moments
poignants : quand il se retrouve devant le vieux tireur de pousse
et son petit-fils et il se projette. Ce n'est pas un loser : quoi
qu'il fasse, il en arrivera là. Il y en a très peu qui s'en
sortent. J'ai accroché à ce qui est pour moi le projet de
l'auteur de décrire une société sans beaucoup d'espoir.
Dans l'ensemble, les patrons vivent bien. Il y a beaucoup de naïveté
quand il fait ce qu'il ne faut pas. Mais j'ai l'impression que quoi qu'il
fasse, ça ne se passera pas bien. Et il devient une pauvre épave
qui défend son bout de gras. Je l'ouvre seulement aux ¾
à cause de la fin qui est moraliste, je n'aime pas beaucoup.
Manu
Le projet, la durée, tout cela m'ennuie... Les histoires qui se
suivent et n'ont pas de grand rapport entre elles sinon nous prouver que
la fin est inéluctable. Il y a parfois des passages assez jolis,
on est en Chine, les ponts, les temples mais tout est distant, comme une
espèce de paysage qui passe et dont je me sens exclu. Je n'ai jamais
ressenti ce livre. Il n'y a pas de moments où l'on est accroché
par l'action... mais on imagine qu'on aurait pu l'être comme la
poursuite en vélo. Je garderai de ce livre le souvenir d'un grand
moment d'ennui et une écriture très naïve.
Annick L
J'ai bien aimé, est-ce l'attrait de l'exotisme ? Quand j'étais
jeune, je lisais Han Sun Yin, Pearl Buck... Cela m'a intéressée
de découvrir cet univers, où sont mises en scène,
de façon vivante et précise, ces scènes de rue, le
petit peuple, les activités, les cérémonies, la grandeur
de Pékin, l'orage, la neige, la chaleur... L'auteur rend de façon
très sensible le passage des saisons. J'ai été très
intéressée par le livre lui-même et son projet. Je
l'ai lu bizarrement. Ça ne peut que se terminer mal et on a mal,
mais c'est toujours la même chose. Cela m'a énervée.
A chaque fois, on se dit "Encore !" Alors je l'ai lu au
rythme de ses déchéances. J'ai trouvé que ce livre
avait une vision idéologique : les pauvres restent pauvres,
et de l'autre côté on a les bourgeois, le patron qui le traite
quand même comme un domestique. Dans sa tête il est cassé !
Cette espèce de distance, cette mécanique sociale, c'est
assez brechtien, même si les personnages ont plus d'épaisseur.
Il y a un rythme, une durée, un tempo d'écriture qui correspond
au projet, sur 20 ans de sa vie. Et ça dure, ça dure et
même si ça durait moins, il serait quand même un raté !
Il n'y a pas d'humour, mais une distance : par exemple pour montrer
comment il attrape la chaude-pisse ; le maître qui a des hauts
et des bas et qui va régulièrement à la pharmacie.
Ce n'est pas écrit avec de l'idéologie, c'est un vrai roman,
écrit mais avec un arrière-plan idéologique, d'engrenage
assez marxiste. Un peu comme les machines à broyer de Zola.
Claire
Je me situe du côté des amateurs. Je l'ai lu il y a deux
mois mais je me souviens d'avoir apprécié. Même si
on devine le cours des événements, c'est plein de rebondissements
même si c'est déceptif. J'ai lu la préface après
qui souligne l'humour mais je ne l'ai pas vu... De temps en temps, il
y a des échappées triviales ("Ce
n'est pas de la rigolade... ").
J'ai eu envie de lire d'autres textes, comme Histoire de ma vie
et ce fut une déception : c'est une resucée du Pousse-pousse ;
un autre destin, mais tout va mal : on a déjà donné !
Ce qui m'a intriguée, c'est le destin de cet écrivain, avec
ce faux suicide, raconté dans Gens
de Pékin qui inclut Histoire
de ma vie. Dans la préface, on indique que Lao She est
l'un des premiers écrivains chinois à avoir employé
la langue parlée dans la littérature, ce qui explique les
échappées remarquées : "quiconque
a lu ou fait lire à haute voix du Lao She s'en souvient comme d'une
musique originale. Dès la première note, comme s'il était
à l'opéra, le lecteur ne peut plus se tromper : il est à
Pékin, au milieu de Pékinois."
Liliane
Cela m'est tombé des mains, je l'ai abandonné. Je suis en
train de lire Attentat de Yasmina Khadra (c'est un pseudonyme).
A un moment, j'ai été rassérénée et
je l'ai repris, persévérante. Mais je ne suis pas arrivée
à la fin. Certes, il dit quelques vérités, mais ce
n'est pas pour cela que c'est intéressant. Je trouvais que Fallada
manquait de densité et que c'était trop dilué. C'est
un roman populiste dans toute son ampleur, c'est pathétique.
Muriel
Jai aimé la peinture de murs, la vision sociale, qui
montre bien que quand on est petit et faible, on est écrasé.
Cest très vraisemblable, on rentre tout de suite dedans,
ce nest pas comme
Louis Guilloux. La peinture psychologique
est intéressante et celle historique, sociologique, également.
Lil (du groupe breton dont les avis suivent)
Relire ce livre a été un grand moment de lecture. Le talent
de Lao She nous plonge d'emblée dans ce monde pékinois des
années 30. Impossible, dès les premières pages, d'ignorer
le sort de ces tireurs de pousse : "une
voie de mort où s'engagent ceux qui n'ont aucun espoir de gagner
leur vie". Hallucinante, la description de hiérarchie
établie au sein de la profession, selon l'âge, le lieu, les
qualités du pousse-pousse, le costume, l'allure et combien succulente
la description des différents styles (cf. p. 15 et 16)
Dès le départ, on comprend que ça n'est pas gagné
pour le héros
Le lent processus d'écrasement, par
la société, de cet homme pauvre, sans éducation,
nous rappelle combien le déterminisme social, toujours présent,
lamine les individus. Les conditions de vie des plus défavorisés
(p. 168-169) pourraient être transposées totalement,
en d'autres lieux, aujourd'hui. L'exploitation de l'homme par l'homme
est un comportement universel et intemporel malheureusement. Et que dire
de la condition des femmes ?!! Traitées de "marchandise
détériorée" lorsqu'elles ne sont
plus vierges, épousées par intérêt, vendues,
si elles sont jolies, le prix de 2 pousses-pousses, et contraintes à
devenir prostituées pour survivre... Vite, de l'air !!! Le
personnage magnifique de petite Fu Tsé en est une tragique illustration.
Notre héros n'échappe pas au machisme ambiant : il
n'agit toujours que dans son propre intérêt et je ne sais
pas s'il aurait tergiversé longtemps avant de vendre l'une de ses
filles (il n'en avait pas, ouf !) afin d'acquérir deux pousses...
Laissons-lui le bénéfice du doute ! Chaque fois qu'une
société va mal, les femmes et les enfants sont toujours
les plus touchés. J'ai aimé les petites phrases, semées
tout au long du livre, du style : "Un
homme libre n'est pas à vendre", " Il
n'y a aucune raison de se jeter dans un fossé avant qu'on ne vous
y précipite ", "Il
est inutile d'espérer voir pousser une pivoine dans un désert",
"Quand on vit dans l'espoir, on en est comme enveloppé
d'une lumière chaude qui protège des rigueurs du temps",
"Dans ce monde injuste, un pauvre ne peut se défendre qu'avec
un cur dur". Et cette dernière qui ravirait
Michel Onfray : "en
cette période de troubles, la superstition pouvait seule provoquer
de l'animation, consoler les pauvres" (il s'agit d'un
pèlerinage !).
Plongée sinistre dans une société, dans nos sociétés,
dans lesquelles, en règle générale, plus on possède
et plus on veut posséder... L'homme devient un loup pour l'homme
et, pour la femme... n'en parlons pas ! Quelques notes optimistes,
cependant : la solidarité présente parfois, l'humanité
d'un employeur, un professeur progressiste, l'expression de sentiments
authentiques... Accrochons-nous !
Yolaine
J'ai beaucoup aimé Le Pousse-pousse. Ne lisant pas beaucoup
de romans et ayant une préférence pour les récits
de voyage et les ouvrages d'histoire, j'ai été séduite
par l'aspect documentaire de cette narration dans la Chine des années
trente. Description précieuse et précise d'un Pékin
disparu, dont les noms de rue permettraient presque d'en tracer le plan.
L'exotisme et le pittoresque participent au charme et à l'envoûtement
qui empoignent le lecteur et l'obligent à avaler cet ouvrage d'un
trait.
Revenue récemment d'Asie où j'ai passé quelques mois,
j'ai également apprécié la contemporanéité
de l'écriture de Lao She et sa sensibilité. On reconnaît
les Chinois d'aujourd'hui dans sa peinture du petit peuple, certes accablé
de misère, mais débordant de vitalité, d'intelligence
et d'ingéniosité pour essayer de s'en sortir ; au-delà
du contexte proprement asiatique, où le courage, la maîtrise
de soi et le sens de la dignité sont encore bien souvent les seules
richesses largement distribuées, la peinture des tribulations de
notre chinois tireur de pousse atteint une dimension universelle. Au-delà
des coutumes et particularités locales, la nostalgie de l'enfance,
la quête du profit, le mariage, les contraintes sociales, l'amour,
la paternité, la souffrance, la vieillesse et la mort sont des
étapes communes à toutes les civilisations, et l'épopée
de Siang-Tse les traverse de façon plus symbolique que réaliste.
Le caractère intimiste du récit, la tendresse et l'humour
omniprésents contribuent à nous rendre le héros très
proche.
La qualité de l'écriture, à la fois précise
et poétique, achève d'emporter l'adhésion. Plaisir
de lecture qui invite en même temps à la réflexion,
au fil d'images aussi amusantes qu'esthétiques : "Son
cur ressemblait à une feuille de mûrier qu'un ver à
soie enrobe de fils inextricables". Quelle jolie façon
d'exprimer la complexité de l'existence !
On ne peut enfin pas rester insensible à la morale de l'histoire :
"Lui, le malheureux,
le déchu, l'individualiste qui croyait pouvoir réussir tout
seul, quand donc serait-il enterré avec cette société
cruelle et pourrie qui l'avait enfanté ?".
Si la réponse envisagée par Lao She qui écrivit ce
texte en 1936 ne peut plus nous apporter aucun espoir, ainsi que semble
le confirmer la fin tragique de l'auteur, assassiné par des gardes
rouges en 1966, la question, lancinante, ne cesse de se poser à
nous.
Mone
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce livre. Siang-tse est un
personnage vivant, on le suit avec passion dans sa vie quotidienne, ses
aventures et mésaventures. Sa simplicité et son honnêteté,
son absence de révolte, la lutte obstinée contre sa persistante
malchance, me le font comparer à un "Sisyphe dérisoire".
Je suis restée immergée dans la vie quotidienne du quartier
de Pékin où se passe l'histoire. C'est un monde de misère,
d'injustice et d'inégalité ; le sort des femmes y est encore
plus atroce. C'est ce monde cruel connaît pourtant des moments forts
de fraternité.
Jessica
Sans contexte, le meilleur livre que le groupe de lecture m'a fait connaître.
Merci à celles à qui je dois cette découverte. Dès
les premières pages, je me suis sentie accrochée par ce
personnage très humain, sincère, qui sait se contenter de
peu et se réjouir devant les choses simples de la vie (rien que
cela, c'est louable et rare.) P. 45 l'auteur résume bien son personnage
du début "un
type doué d'un fond excellent, qu'il conservait en n'importe quelle
circonstance" ; l'histoire nous prouvera que ce ne
fut pas toujours vrai, son personnage évolue tout doucement au
fil des événements de sa vie ("un
homme est façonné par ses expériences").
On comprend vite que la plus incroyable des mésaventures pourrait
lui arriver ; il va de déveine en déveine, ce qui le
rend très attachant, mais presque pathétique. Sa vie est
cyclique : travail acharné=courage et espoir=économies
réalisées= catastrophe/retournement de situation=déchéance=
retour à la case départ... et toujours ce pousse-pousse
en point de mire. Cela en serait presque drôle s'il n'y avait pas
toujours cette ténacité qui le caractérise et qui
nous fait vite comprendre que la fin ne sera pas idyllique. Il y a beaucoup
de passages émouvants, voire profondément tristes, mais
c'est toujours écrit avec pudeur, sans débordement de sentiments.
Tous les personnages sont très fouillés et contrastés,
ils auront tous une fin sombre que ce soit Siang-Tsé le Chameau,
Tigresse, Quatrième Seigneur ou Petite Fou-tsé. Le fait
de rencontrer régulièrement les personnages secondaires
crée des liens entre eux et le lecteur, lien qui faisait défaut
dans bien des livres lus dans ce groupe de lecture.
C'est une Chine à double vitesse qui est dépeinte :
sans que ce soit le fond de l'histoire. Lao She nous apprend beaucoup
de choses sur son pays des années 1920-30, sur les coutumes, ce
qui rend le livre, en plus de toutes ses qualités évidentes
pour moi, très instructif.
Jean-Pierre
Voici un roman de la descente aux enfers chinois, qui ne sont pas tant
que cela éloignés des enfers occidentaux, pour peu que l'on
fasse partie du peuple d'en bas, lequel a vécu et continue de vivre
sous la férule des bienséances bourgeoises, voire aristocrates.
On apprend en effet aux pauvres à se conformer à la morale,
être honnête, courageux, poli, respectueux des valeurs en
place et des gens bien placés, être propre sur soi, travailleur,
sobre, discret et tutti quanti. Bien sûr toutes ces qualités
ne sont pas des défauts, comme dit l'autre, mais elles sont destinées
en premier lieu à reproduire des situations dans lesquelles les
petites boîtes sont bien rangées, où chacun est à
sa place, où les évidences sont unanimement partagées,
comme "il
y a toujours eu des riches et des pauvres et il y en aura toujours" ;
idem pour la guerre, les traditions, la crasse... sauf pour ceux qui veulent
se donner la peine de se donner la peine. Pour ceux-là, il y a
l'espoir de s'en sortir si les convenances sont observées à
la lettre.
Notre ami Siang-tse ne déroge pas à la règle commune.
Il est pétri de cette glaise et il croit à sa bonne étoile.
C'est sûr qu'il y arrivera. Et vas-y que je coure aux brancards
de mon pousse-pousse, outil exotique certes, mais finalement emblématique
de tous les outils du monde, que tous les ouvriers du monde manient pour
avoir de quoi rester ouvrier, tout au plus. Là réside son
erreur : il ne peut y avoir aucun surplus à mettre de côté,
et même s'il y en a, on te le vole. Et au bout de ce compte à
mourir misérable, il y a la déchéance et le désespoir.
Un peu tard, bien que les événements lui aient fournis un
semblant de conscience de la solidarité qui fait la force des humbles
(cf. le vieux et Petit Cheval), il comprend que les solutions individuelles
sont des leurres (p. 208).
Il reste quelques difficultés géographiques et quelques
longueurs touristiques, mais ce ne sont que de légers handicaps.
Ce roman m'a plus et j'ouvre le livre en entier.
Lona
J'ai apprécié le style, l'écriture : simple,
agréable, des chapitres courts, des mots de tous les jours :
une vraie histoire ! J'ai évolué sans difficulté
dans cette Chine des années 1920-30. La société y
est parfaitement décrite, avec la hiérarchisation des divers
groupes sociaux, autant au travail (statuts des pousses en fonction de
leur âge, de leurs performances), que dans le milieu familial. Le
statut très particulier des femmes, des filles et des enfants est
bien souligné : vente d'enfants, exploitation, soumission,
violence, importance de la virginité ("marchandise
avariée"), importante du mariage pour les femmes
("faire
bombance et être seule à essuyer la poêle").
La moyenne bourgeoisie, celle qui exploite le plus vulnérable,
est représentée par Quatrième Seigneur, généreux
mais roublard, avec un passé de voyou, voire de brigand. La Chine
d'en bas, celle qui trime, la vie dans cette cour des miracles, avec son
lot de misère et de pauvreté, de promiscuité, de
petits boulots, de prostitution, de vente d'enfants, ce n'est que la France
d'autrefois ! Mais toujours, en filigrane reste le rêve Siang-tse :
devenir propriétaire de son pousse-pousse et se louer à
un particulier. Il se donnera toutes les peines du monde pour y arriver,
de sortir de ce fossé fait de misères, d'humiliations, de
servitude, de souffrances. Le personnage de Siang-tsé est attachant :
travailleur, honnête, plein d'ambition, généreux,
mais suffisamment naïf pour se faire exploiter, utiliser, voler et
rouler par tous : par les militaires-voleurs, par le flic racketteur,
par Tigresse qui se fera épouser, (mais dans cette histoire, qui
a utilisé qui ?), par Quatrième Seigneur, exploiteur
et méprisant à ses heures, par Mme Hia la séductrice
qui lui laissera sa syphilis. Le décès de la Petite Fou
Tse marquera définitivement et encore plus cruellement sa descente
aux enfers : il optera pour l'alcool, le tabac, le mutisme et la
solitude. Sa déchéance est à l'image du déclin
du Pékin d'alors, qui a perdu son âme en s'occidentalisant.
Dans cette nouvelle Chine, Siang-tse pense qu'il ne reste que les cérémonies
de mariages et d'enterrements qui soient restées authentiques :
nous l'y retrouverons avec son outil de travail.
Ce personnage m'est resté sympathique jusqu'au bout, même
dans son choix de déchéance, car il a su garder sa fierté,
il refuse de mendier ou de voler, il est resté authentique.
Nicole
J'avais lu ce livre il y a quelques années, et je n'ai pas été
déçue par sa relecture. Au contraire, n'étant pas
happée par le récit, j'ai pu d'autant mieux apprécier
la vie de chacun des personnages qui font de ce roman un véritable
"reportage" de la vie du "petit peuple" de Pékin.
Une fois le livre fermé, j'ai eu le sentiment d'avoir lu une histoire
universelle sur la misère résumée en une phrase adressée
au Chameau (page 109) : "tu
as tiré le mauvais numéro. Pour avoir du pot, fallait déjà
être riche dans le ventre de ta mère !",
et un outil politique également car il est constamment montré
que toute tentative individuelle honnête est vouée à
l'échec contrairement aux tentatives collectives (voir p. 208
les sauterelles). La seule chose qui semble avoir été oubliée
est que plus la condition des femmes est catastrophique, et dans ce livre
on ne peut guère mieux faire dans le sordide, et plus un pays s'appauvrit.
Mary
J'ai reçu la traduction anglaise cet après-midi et n'ai
eu que le temps de lire la préface et de vérifier ainsi
que cette traduction n'avait rien à voir avec la traduction américaine
de 1945... !
Mais tout ce que j'ai entendu me donne une grande envie de poursuivre
ma lecture.
Marie-Thé
Un petit mot au sujet du livre de Lao She. Je ne peux mempêcher
de réagir (rapidement) à ce qui a été dit
du côté de Paris. Jai limpression que certains
sont passés à côté du livre. Entre yin et yang
On part avec les tireurs de pousses, et puis on suit Siang-tse, qui "continuait
à pousser, bel homme, beau pousse, et quel pousse !"
et cette harmonie entre lui et son pousse, tel un cavalier et son cheval.
Et ensuite, "les nouvelles
se répandaient comme les blés qui poussaient. Les épis
et les baïonnettes symbolisaient lespoir et la peur".
"Seul le clignotement des étoiles accompagnaient les battements
de son cur."
Autant de lignes à savourer. Bien sûr, il y a "la
marche" terrible de Siang-tse vers lanéantissement,
mais il est lui, détruit par les autres.
Et puis je vous conseille la lecture du livre de François Cheng
Le
Dit de Tiany, jusquau bout
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