Lao She
Le Pousse-pousse
(publié en Chine en 1936, traduit en France en 1995)

Nous avons lu ce livre en septembre 2005.
Le nouveau groupe parisien le lira en septembre 2018.

Florence
Il se trouve que mes copines cubaines sont à Paris et donnent un concert à 20h30 à la Maison de l'Amérique latine. Et entre Almayniurka et Lao She, mon cœur ne balance pas ! Un petit mot quand même sur Le Pousse-pousse. J'y allais pleine d'entrain mais j'ai vite été stoppée dans mon élan par une narration... disons... poussive. Ce gentil garçon plus proche du pigeon que du chameau (dans nos représentations occidentales), né pour se faire plumer et dont la chute annoncée nous est contée... ne réussit ni à me faire rire, ni à m'émouvoir. Peut-être que la Chine est un pays trop lointain pour que je m'y intéresse vraiment (mais j'ai quand même étudié le chinois pendant deux ans et j'aime certains auteurs chinois comme la contemporaine Chi Li par exemple). Peut-être est-ce l'époque qui est trop lointaine, ou le style haché, froid, qui nous met à distance... ou peut-être que je n'ai pas de cœur tout simplement ? Toujours est-il que les malheurs du tireur de pousse m'ont laissée de marbre.

Rozenn
Trop malade pour venir ce soir, je vous envoie un avis très succinct et un peu mitigé : j'ai d'abord été embarquée dans le projet du héros et puis lassée par sa misère, misère sur tous les plans, par son extériorité à ce qui lui arrive. Gênée aussi par la violence de cette société, violence présentée comme naturelle, des rapports riches-pauvres, hommes-femmes, le portrait de Tigresse me paraît trop caricatural ; seule l'humanisation progressive du héros, au fil de ses renoncements, assure un semblant de lien entre les épisodes. Si le projet du livre est de laisser un grand malaise, c'est gagné, mais il manque quelque chose pour que l'ensemble garde pour moi la force du début.
Geneviève
Quand je l'ai commencé, et que l'auteur a annoncé que les choses allaient de mal en pis et la chute était prévisible, j'ai pensé que j'allais décrocher rapidement de cette série de catastrophes. Finalement, je me suis prise au jeu. Je fais un parallèle avec Être sans destin : c'est quelqu'un qui vit les choses extérieures (mimique de Monique), mais qui n'est pas vraiment humain. La Tigresse est monstrueuse, limite caricaturale, mais intéressante (mimique de Françoise). Petit à petit, j'ai été intéressée par la découverte cet univers décrit avec minutie, et par la logique du personnage. Par moment l'accumulation des déboires frôle l'invraisemblance...
Françoise
C'est un pousse-pousse qui mérite un coup de pied au cul ! Comme Florence, je me suis barbée ! C'est un cas social, un loser. Il fait tout ce qu'il ne faut pas et le récit perd de sa force. Je n'ai pas été intéressée, Tigresse est caricaturale. Le seul intérêt est d'entrevoir la vie du petit peuple de Pékin dans les années 20. Comme on sait qu'il ne va pas s'en sortir, il n'y a aucun suspense, pas de ressort dramatique, c'est très plat. J'ai lu dans la préface que le premier traducteur anglais avait arrangé la fin. On le comprend ! On a envie de dire au héros : "Arrête de te comporter comme un crétin !" Et la façon dont le personnage est décrit lui ôte sa dimension sociale.
Brigitte, entre et
Je ne suis pas du tout d'accord. Ça m'a bien plu. Le style est bien adapté à l'histoire et je pense que dans l'ensemble, c'est encore valable de nos jours. Au Viêt-Nam, par exemple, il n'y a pas de pousse-pousse mais des cyclo-pousses ou des sampans qui n'appartiennent pas à leurs conducteurs. La situation est à peu près la même : ils gagnent très peu (50 dongs, c'est-à-dire ¼ d'euro), ils sont misérables. Le culte du pourboire est très présent, le tarif est à la tête du client. J'ai retrouvé des choses similaires, toutes proportions gardées. Le héros a des illusions, il est honnête, de l'estime pour lui-même, il est "réglo", ne veut pas casser ses brancards, par exemple.

Claire 
C'est le réalisme du livre qui t'a plu ?

Brigitte 
Cela m'a fait découvrir un monde. Je suis rentrée dedans, dans l'évolution de sa pensée, dans ses valeurs à lui, son amour du travail bien fait, sa mentalité paysanne. Il découvre la ville, là où personne ne doit perdre la face. Après, on s'aperçoit qu'il est content d'être en ville, il est vraiment devenu un pousse-pousse de Pékin. Nous vivons la transformation du personnage. Nous allons dans les méandres de la vie d'un pousse : les maisons de thé, chez les particuliers, dans les garages. C'est bien dans notre existence de se dire que nous organisons nos vies. Mais il y a des anicroches. Il devient désespéré, un pauvre loser qui est passé à côté de tout. A un moment, il est près de se marier avec Petite Fou-Tsé mais il n'a rien à lui donner. Le personnage de Tigresse est intéressant, on imagine bien cette femme qui devient grosse, avec des bijoux, manipulatrice mais incapable de gérer sa grossesse. Tous ces personnages sont attachants, mais pas forcément sympathiques. Cela fait découvrir un univers qu'on connaît mal. Il y a une écriture qui n'empêche pas le contact avec le personnage, mais qui est bien au service de ce projet et c'est un projet réussi.
Monique
L'image de couverture est jolie, mais sans rapport avec l'histoire. J'étais assez tentée après en avoir beaucoup entendu parler. Je ne connais pas du tout la littérature de cette époque. J'ai été déçue. Le personnage ne m'est pas sympathique et en réfléchissant les autres non plus. On dit qu'il y a de l'humour ? L'histoire du chameau, je ne l'ai pas trouvée drôle. Et le reste n'est pas drôle du tout. Je n'ai pas aimé le personnage de Tigresse. Et entre cette femme monstrueuse et l'autre, petite colombe victime qui meurt de prostitution... La seule chose, ce sont les descriptions qui m'ont fait voir la Chine des années 20 (p. 41). Il y a des moments d'éloquence, voire de lyrisme, qui ne vont pas avec le livre. P. 145, on décrit la vie dans les arrière-cours, les occupations des habitants en haillons, c'est une scène de vie. Mais je ne vois pas trop le projet de l'auteur : ce n'est pas de nous faire aimer son pays et ses personnages. Son projet, est-ce de dénoncer l'individualisme, parce qu'un être individualiste ne peut pas réussir ? Ça me gêne. J'ai l'impression qu'il a voulu nous prouver que l'individu ne peut que se casser la figure. J'ouvre ¼ à cause des scènes de vie, du grouillement des gens, mais pas pour l'histoire et le personnage. S'il y a une critique sociale, il y avait plein de moments pour la faire et elle n'apparaît pas. Il aurait pu changer. Il est esclave dans sa tête. Je pense que c'est un livre idéologique.
Katell
Je partage l'opinion que c'est un roman idéologique, écrit certes par un écrivain avec quelques jolis moments d'écriture, mais le propos est très clairement de lutter contre l'individualisme. C'est exactement l'antithèse du roman américain. Mais c'est quand même très ennuyeux.
Jacqueline
Je n'ai pas senti ce livre comme une critique de l'individualisme. Cela m'a bien plu. Je reprochais son naturalisme à Fallada et là je marche, car c'est une société que je ne connais pas. Je ne l'ai pas trouvé antipathique, mais très naïf, avec un équivalent de son rêve américain à lui. Son évolution est intéressante, il y a des moments poignants : quand il se retrouve devant le vieux tireur de pousse et son petit-fils et il se projette. Ce n'est pas un loser : quoi qu'il fasse, il en arrivera là. Il y en a très peu qui s'en sortent. J'ai accroché à ce qui est pour moi le projet de l'auteur de décrire une société sans beaucoup d'espoir. Dans l'ensemble, les patrons vivent bien. Il y a beaucoup de naïveté quand il fait ce qu'il ne faut pas. Mais j'ai l'impression que quoi qu'il fasse, ça ne se passera pas bien. Et il devient une pauvre épave qui défend son bout de gras. Je l'ouvre seulement aux ¾ à cause de la fin qui est moraliste, je n'aime pas beaucoup.
Manu
Le projet, la durée, tout cela m'ennuie... Les histoires qui se suivent et n'ont pas de grand rapport entre elles sinon nous prouver que la fin est inéluctable. Il y a parfois des passages assez jolis, on est en Chine, les ponts, les temples mais tout est distant, comme une espèce de paysage qui passe et dont je me sens exclu. Je n'ai jamais ressenti ce livre. Il n'y a pas de moments où l'on est accroché par l'action... mais on imagine qu'on aurait pu l'être comme la poursuite en vélo. Je garderai de ce livre le souvenir d'un grand moment d'ennui et une écriture très naïve.
Annick L
J'ai bien aimé, est-ce l'attrait de l'exotisme ? Quand j'étais jeune, je lisais Han Sun Yin, Pearl Buck... Cela m'a intéressée de découvrir cet univers, où sont mises en scène, de façon vivante et précise, ces scènes de rue, le petit peuple, les activités, les cérémonies, la grandeur de Pékin, l'orage, la neige, la chaleur... L'auteur rend de façon très sensible le passage des saisons. J'ai été très intéressée par le livre lui-même et son projet. Je l'ai lu bizarrement. Ça ne peut que se terminer mal et on a mal, mais c'est toujours la même chose. Cela m'a énervée. A chaque fois, on se dit "Encore !" Alors je l'ai lu au rythme de ses déchéances. J'ai trouvé que ce livre avait une vision idéologique : les pauvres restent pauvres, et de l'autre côté on a les bourgeois, le patron qui le traite quand même comme un domestique. Dans sa tête il est cassé ! Cette espèce de distance, cette mécanique sociale, c'est assez brechtien, même si les personnages ont plus d'épaisseur.
Il y a un rythme, une durée, un tempo d'écriture qui correspond au projet, sur 20 ans de sa vie. Et ça dure, ça dure et même si ça durait moins, il serait quand même un raté !
Il n'y a pas d'humour, mais une distance : par exemple pour montrer comment il attrape la chaude-pisse ; le maître qui a des hauts et des bas et qui va régulièrement à la pharmacie. Ce n'est pas écrit avec de l'idéologie, c'est un vrai roman, écrit mais avec un arrière-plan idéologique, d'engrenage assez marxiste. Un peu comme les machines à broyer de Zola.
Claire
Je me situe du côté des amateurs. Je l'ai lu il y a deux mois mais je me souviens d'avoir apprécié. Même si on devine le cours des événements, c'est plein de rebondissements même si c'est déceptif. J'ai lu la préface après qui souligne l'humour mais je ne l'ai pas vu... De temps en temps, il y a des échappées triviales ("Ce n'est pas de la rigolade... "). J'ai eu envie de lire d'autres textes, comme Histoire de ma vie et ce fut une déception : c'est une resucée du Pousse-pousse ; un autre destin, mais tout va mal : on a déjà donné ! Ce qui m'a intriguée, c'est le destin de cet écrivain, avec ce faux suicide, raconté dans Gens de Pékin qui inclut Histoire de ma vie. Dans la préface, on indique que Lao She est l'un des premiers écrivains chinois à avoir employé la langue parlée dans la littérature, ce qui explique les échappées remarquées : "quiconque a lu ou fait lire à haute voix du Lao She s'en souvient comme d'une musique originale. Dès la première note, comme s'il était à l'opéra, le lecteur ne peut plus se tromper : il est à Pékin, au milieu de Pékinois."
Liliane
Cela m'est tombé des mains, je l'ai abandonné. Je suis en train de lire Attentat de Yasmina Khadra (c'est un pseudonyme). A un moment, j'ai été rassérénée et je l'ai repris, persévérante. Mais je ne suis pas arrivée à la fin. Certes, il dit quelques vérités, mais ce n'est pas pour cela que c'est intéressant. Je trouvais que Fallada manquait de densité et que c'était trop dilué. C'est un roman populiste dans toute son ampleur, c'est pathétique.

Muriel
J’ai aimé la peinture de mœurs, la vision sociale, qui montre bien que quand on est petit et faible, on est écrasé. C’est très vraisemblable, on rentre tout de suite dedans, ce n’est pas comme… Louis Guilloux. La peinture psychologique est intéressante et celle historique, sociologique, également.


Lil (du groupe breton dont les avis suivent)
Relire ce livre a été un grand moment de lecture. Le talent de Lao She nous plonge d'emblée dans ce monde pékinois des années 30. Impossible, dès les premières pages, d'ignorer le sort de ces tireurs de pousse : "une voie de mort où s'engagent ceux qui n'ont aucun espoir de gagner leur vie". Hallucinante, la description de hiérarchie établie au sein de la profession, selon l'âge, le lieu, les qualités du pousse-pousse, le costume, l'allure et combien succulente la description des différents styles (cf. p. 15 et 16)… Dès le départ, on comprend que ça n'est pas gagné pour le héros… Le lent processus d'écrasement, par la société, de cet homme pauvre, sans éducation, nous rappelle combien le déterminisme social, toujours présent, lamine les individus. Les conditions de vie des plus défavorisés (p. 168-169) pourraient être transposées totalement, en d'autres lieux, aujourd'hui. L'exploitation de l'homme par l'homme est un comportement universel et intemporel malheureusement. Et que dire de la condition des femmes ?!! Traitées de "marchandise détériorée" lorsqu'elles ne sont plus vierges, épousées par intérêt, vendues, si elles sont jolies, le prix de 2 pousses-pousses, et contraintes à devenir prostituées pour survivre... Vite, de l'air !!! Le personnage magnifique de petite Fu Tsé en est une tragique illustration. Notre héros n'échappe pas au machisme ambiant : il n'agit toujours que dans son propre intérêt et je ne sais pas s'il aurait tergiversé longtemps avant de vendre l'une de ses filles (il n'en avait pas, ouf !) afin d'acquérir deux pousses... Laissons-lui le bénéfice du doute ! Chaque fois qu'une société va mal, les femmes et les enfants sont toujours les plus touchés. J'ai aimé les petites phrases, semées tout au long du livre, du style : "Un homme libre n'est pas à vendre", " Il n'y a aucune raison de se jeter dans un fossé avant qu'on ne vous y précipite ", "Il est inutile d'espérer voir pousser une pivoine dans un désert", "Quand on vit dans l'espoir, on en est comme enveloppé d'une lumière chaude qui protège des rigueurs du temps", "Dans ce monde injuste, un pauvre ne peut se défendre qu'avec un cœur dur". Et cette dernière qui ravirait Michel Onfray : "en cette période de troubles, la superstition pouvait seule provoquer de l'animation, consoler les pauvres" (il s'agit d'un pèlerinage !).
Plongée sinistre dans une société, dans nos sociétés, dans lesquelles, en règle générale, plus on possède et plus on veut posséder... L'homme devient un loup pour l'homme et, pour la femme... n'en parlons pas ! Quelques notes optimistes, cependant : la solidarité présente parfois, l'humanité d'un employeur, un professeur progressiste, l'expression de sentiments authentiques... Accrochons-nous !
Yolaine
J'ai beaucoup aimé Le Pousse-pousse. Ne lisant pas beaucoup de romans et ayant une préférence pour les récits de voyage et les ouvrages d'histoire, j'ai été séduite par l'aspect documentaire de cette narration dans la Chine des années trente. Description précieuse et précise d'un Pékin disparu, dont les noms de rue permettraient presque d'en tracer le plan. L'exotisme et le pittoresque participent au charme et à l'envoûtement qui empoignent le lecteur et l'obligent à avaler cet ouvrage d'un trait.
Revenue récemment d'Asie où j'ai passé quelques mois, j'ai également apprécié la contemporanéité de l'écriture de Lao She et sa sensibilité. On reconnaît les Chinois d'aujourd'hui dans sa peinture du petit peuple, certes accablé de misère, mais débordant de vitalité, d'intelligence et d'ingéniosité pour essayer de s'en sortir ; au-delà du contexte proprement asiatique, où le courage, la maîtrise de soi et le sens de la dignité sont encore bien souvent les seules richesses largement distribuées, la peinture des tribulations de notre chinois tireur de pousse atteint une dimension universelle. Au-delà des coutumes et particularités locales, la nostalgie de l'enfance, la quête du profit, le mariage, les contraintes sociales, l'amour, la paternité, la souffrance, la vieillesse et la mort sont des étapes communes à toutes les civilisations, et l'épopée de Siang-Tse les traverse de façon plus symbolique que réaliste. Le caractère intimiste du récit, la tendresse et l'humour omniprésents contribuent à nous rendre le héros très proche.
La qualité de l'écriture, à la fois précise et poétique, achève d'emporter l'adhésion. Plaisir de lecture qui invite en même temps à la réflexion, au fil d'images aussi amusantes qu'esthétiques : "Son cœur ressemblait à une feuille de mûrier qu'un ver à soie enrobe de fils inextricables". Quelle jolie façon d'exprimer la complexité de l'existence !
On ne peut enfin pas rester insensible à la morale de l'histoire : "Lui, le malheureux, le déchu, l'individualiste qui croyait pouvoir réussir tout seul, quand donc serait-il enterré avec cette société cruelle et pourrie qui l'avait enfanté ?". Si la réponse envisagée par Lao She qui écrivit ce texte en 1936 ne peut plus nous apporter aucun espoir, ainsi que semble le confirmer la fin tragique de l'auteur, assassiné par des gardes rouges en 1966, la question, lancinante, ne cesse de se poser à nous.
Mone
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce livre. Siang-tse est un personnage vivant, on le suit avec passion dans sa vie quotidienne, ses aventures et mésaventures. Sa simplicité et son honnêteté, son absence de révolte, la lutte obstinée contre sa persistante malchance, me le font comparer à un "Sisyphe dérisoire". Je suis restée immergée dans la vie quotidienne du quartier de Pékin où se passe l'histoire. C'est un monde de misère, d'injustice et d'inégalité ; le sort des femmes y est encore plus atroce. C'est ce monde cruel connaît pourtant des moments forts de fraternité.
Jessica
Sans contexte, le meilleur livre que le groupe de lecture m'a fait connaître. Merci à celles à qui je dois cette découverte. Dès les premières pages, je me suis sentie accrochée par ce personnage très humain, sincère, qui sait se contenter de peu et se réjouir devant les choses simples de la vie (rien que cela, c'est louable et rare.) P. 45 l'auteur résume bien son personnage du début "un type doué d'un fond excellent, qu'il conservait en n'importe quelle circonstance" ; l'histoire nous prouvera que ce ne fut pas toujours vrai, son personnage évolue tout doucement au fil des événements de sa vie ("un homme est façonné par ses expériences"). On comprend vite que la plus incroyable des mésaventures pourrait lui arriver ; il va de déveine en déveine, ce qui le rend très attachant, mais presque pathétique. Sa vie est cyclique : travail acharné=courage et espoir=économies réalisées= catastrophe/retournement de situation=déchéance= retour à la case départ... et toujours ce pousse-pousse en point de mire. Cela en serait presque drôle s'il n'y avait pas toujours cette ténacité qui le caractérise et qui nous fait vite comprendre que la fin ne sera pas idyllique. Il y a beaucoup de passages émouvants, voire profondément tristes, mais c'est toujours écrit avec pudeur, sans débordement de sentiments. Tous les personnages sont très fouillés et contrastés, ils auront tous une fin sombre que ce soit Siang-Tsé le Chameau, Tigresse, Quatrième Seigneur ou Petite Fou-tsé. Le fait de rencontrer régulièrement les personnages secondaires crée des liens entre eux et le lecteur, lien qui faisait défaut dans bien des livres lus dans ce groupe de lecture.
C'est une Chine à double vitesse qui est dépeinte : sans que ce soit le fond de l'histoire. Lao She nous apprend beaucoup de choses sur son pays des années 1920-30, sur les coutumes, ce qui rend le livre, en plus de toutes ses qualités évidentes pour moi, très instructif.
Jean-Pierre
Voici un roman de la descente aux enfers chinois, qui ne sont pas tant que cela éloignés des enfers occidentaux, pour peu que l'on fasse partie du peuple d'en bas, lequel a vécu et continue de vivre sous la férule des bienséances bourgeoises, voire aristocrates. On apprend en effet aux pauvres à se conformer à la morale, être honnête, courageux, poli, respectueux des valeurs en place et des gens bien placés, être propre sur soi, travailleur, sobre, discret et tutti quanti. Bien sûr toutes ces qualités ne sont pas des défauts, comme dit l'autre, mais elles sont destinées en premier lieu à reproduire des situations dans lesquelles les petites boîtes sont bien rangées, où chacun est à sa place, où les évidences sont unanimement partagées, comme "il y a toujours eu des riches et des pauvres et il y en aura toujours" ; idem pour la guerre, les traditions, la crasse... sauf pour ceux qui veulent se donner la peine de se donner la peine. Pour ceux-là, il y a l'espoir de s'en sortir si les convenances sont observées à la lettre.
Notre ami Siang-tse ne déroge pas à la règle commune. Il est pétri de cette glaise et il croit à sa bonne étoile. C'est sûr qu'il y arrivera. Et vas-y que je coure aux brancards de mon pousse-pousse, outil exotique certes, mais finalement emblématique de tous les outils du monde, que tous les ouvriers du monde manient pour avoir de quoi rester ouvrier, tout au plus. Là réside son erreur : il ne peut y avoir aucun surplus à mettre de côté, et même s'il y en a, on te le vole. Et au bout de ce compte à mourir misérable, il y a la déchéance et le désespoir. Un peu tard, bien que les événements lui aient fournis un semblant de conscience de la solidarité qui fait la force des humbles (cf. le vieux et Petit Cheval), il comprend que les solutions individuelles sont des leurres (p. 208).
Il reste quelques difficultés géographiques et quelques longueurs touristiques, mais ce ne sont que de légers handicaps. Ce roman m'a plus et j'ouvre le livre en entier.
Lona
J'ai apprécié le style, l'écriture : simple, agréable, des chapitres courts, des mots de tous les jours : une vraie histoire ! J'ai évolué sans difficulté dans cette Chine des années 1920-30. La société y est parfaitement décrite, avec la hiérarchisation des divers groupes sociaux, autant au travail (statuts des pousses en fonction de leur âge, de leurs performances), que dans le milieu familial. Le statut très particulier des femmes, des filles et des enfants est bien souligné : vente d'enfants, exploitation, soumission, violence, importance de la virginité ("marchandise avariée"), importante du mariage pour les femmes ("faire bombance et être seule à essuyer la poêle"). La moyenne bourgeoisie, celle qui exploite le plus vulnérable, est représentée par Quatrième Seigneur, généreux mais roublard, avec un passé de voyou, voire de brigand. La Chine d'en bas, celle qui trime, la vie dans cette cour des miracles, avec son lot de misère et de pauvreté, de promiscuité, de petits boulots, de prostitution, de vente d'enfants, ce n'est que la France d'autrefois ! Mais toujours, en filigrane reste le rêve Siang-tse : devenir propriétaire de son pousse-pousse et se louer à un particulier. Il se donnera toutes les peines du monde pour y arriver, de sortir de ce fossé fait de misères, d'humiliations, de servitude, de souffrances. Le personnage de Siang-tsé est attachant : travailleur, honnête, plein d'ambition, généreux, mais suffisamment naïf pour se faire exploiter, utiliser, voler et rouler par tous : par les militaires-voleurs, par le flic racketteur, par Tigresse qui se fera épouser, (mais dans cette histoire, qui a utilisé qui ?), par Quatrième Seigneur, exploiteur et méprisant à ses heures, par Mme Hia la séductrice qui lui laissera sa syphilis. Le décès de la Petite Fou Tse marquera définitivement et encore plus cruellement sa descente aux enfers : il optera pour l'alcool, le tabac, le mutisme et la solitude. Sa déchéance est à l'image du déclin du Pékin d'alors, qui a perdu son âme en s'occidentalisant. Dans cette nouvelle Chine, Siang-tse pense qu'il ne reste que les cérémonies de mariages et d'enterrements qui soient restées authentiques : nous l'y retrouverons avec son outil de travail.
Ce personnage m'est resté sympathique jusqu'au bout, même dans son choix de déchéance, car il a su garder sa fierté, il refuse de mendier ou de voler, il est resté authentique.
Nicole
J'avais lu ce livre il y a quelques années, et je n'ai pas été déçue par sa relecture. Au contraire, n'étant pas happée par le récit, j'ai pu d'autant mieux apprécier la vie de chacun des personnages qui font de ce roman un véritable "reportage" de la vie du "petit peuple" de Pékin. Une fois le livre fermé, j'ai eu le sentiment d'avoir lu une histoire universelle sur la misère résumée en une phrase adressée au Chameau (page 109) : "tu as tiré le mauvais numéro. Pour avoir du pot, fallait déjà être riche dans le ventre de ta mère !", et un outil politique également car il est constamment montré que toute tentative individuelle honnête est vouée à l'échec contrairement aux tentatives collectives (voir p. 208 les sauterelles). La seule chose qui semble avoir été oubliée est que plus la condition des femmes est catastrophique, et dans ce livre on ne peut guère mieux faire dans le sordide, et plus un pays s'appauvrit.

Mary
J'ai reçu la traduction anglaise cet après-midi et n'ai eu que le temps de lire la préface et de vérifier ainsi que cette traduction n'avait rien à voir avec la traduction américaine de 1945... !
Mais tout ce que j'ai entendu me donne une grande envie de poursuivre ma lecture.

Marie-Thé
Un petit mot au sujet du livre de Lao She. Je ne peux m’empêcher de réagir (rapidement) à ce qui a été dit du côté de Paris. J’ai l’impression que certains sont passés à côté du livre. Entre yin et yang… On part avec les tireurs de pousses, et puis on suit Siang-tse, qui "continuait à pousser, bel homme, beau pousse, et quel pousse !" et cette harmonie entre lui et son pousse, tel un cavalier et son cheval. Et ensuite, "les nouvelles se répandaient comme les blés qui poussaient. Les épis et les baïonnettes symbolisaient l’espoir et la peur". "Seul le clignotement des étoiles accompagnaient les battements de son cœur." Autant de lignes à savourer. Bien sûr, il y a "la marche" terrible de Siang-tse vers l’anéantissement, mais il est lui, détruit par les autres.
Et puis je vous conseille la lecture du livre de François Cheng Le Dit de Tiany, jusqu’au bout…


 

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Le Pousse-pousse, ce sont les aventures de Siang-tse le Chameau dans le Pékin des années vingt et trente. Sa grande ambition est de posséder son propre pousse-pousse. Siang-tse ira de désillusion en désillusion et ne connaîtra que la déchéance et le désenchantement.