Gallimard Quarto (avec illustrations)
Tel Gallimard


En 1930, alors que, surréaliste dissident, il travaillait à la revue Documents, Michel Leiris fut invité par son collègue l'ethnographe Marcel Griaule à se joindre à l'équipe qu'il formait pour un voyage de près de deux ans à travers l'Afrique noire. Ecrivain, Michel Leiris était appelé non seulement à s'initier à la recherche ethnographique, mais à se faire l'historiographe de la mission, et le parti qu'il prit à cet égard fut, au lieu de sacrifier au pittoresque du classique récit de voyage, de tenir scrupuleusement un carnet de route.

Michel Leiris
L'Afrique fantôme


Nous avons lu ce livre l'été 2007.
Nous avons eu une visite spéciale pour le groupe (parisien et breton) le 2 juin de la partie Afrique du musée du Quai Branly en rapport avec l'expédition que relate Michel Leiris.

Sabine
Bonne élève, j'ai commencé le pavé très tôt en juillet pour être sûre d'en avoir terminé la lecture fin août. Heureuse surprise : en deux semaines, la chose fut faite ! En voici les raisons.
13 juillet : j'ouvre le livre de M. Leiris. Je découvre une préface. Je la lis et la relis. C'est bien écrit. J'ai compris ce qu'est un "ethnographe". Je suis contente : moi qui ai vécu en Afrique, ce livre va me parler. Je me couche, il est tard.
14 juillet : le livre est toujours à la même place. Je lis la deuxième préface. Elle est un peu plus compliquée surtout la dernière phrase (relisez-la !). La carte de l'Afrique est très pédagogique. Je suis rassurée. J'entame avec conviction et entrain les premières journées en mer... oh ! Flûte, j'ai un début de nausée. Cela devrait passer.
16 juillet : j'ai été malade hier, j'ai préféré abandonner ma lecture 24 heures pour être en forme, car la route est longue. Bon, j'ai réussi à mémoriser les personnages principaux, Griaule, Larget et Mouchet. Mais je ne sens monter aucune odeur, ni couleur de cette Afrique où je suis restée pourtant trois ans.
27 juillet : les jours ont passé, les protagonistes ont parcouru des kilomètres et moi, j'ai sauté des pages, une, puis deux, puis vingt... l'ennui a triomphé. Je quitte le continent africain pour les Antilles, en espérant y découvrir des univers plus savoureux !
Il me tarde que l'un ou l'une d'entre vous me fasse partager son plaisir d'avoir lu Leiris.

Brigitte
J'ai lu le livre avec beaucoup d'intérêt. Après cette lecture, c'est un peu comme si j'avais fait moi aussi le voyage, mais de façon bien plus confortable !!! J'ai aussi apprécié de me retrouver plongée dans l'atmosphère des années 30 : les préoccupations, le langage, les développements technologiques, etc.
J'ai bien connu au CNRS le laboratoire "Systèmes de pensée en Afrique noire" (celui de Marcel Griaule) qui fut un temps dirigé par Alfred (Oscar) Adler, l'oncle de Sabine. J'ai vu plusieurs fois avec eux des films représentant des masques, où on les voyait pratiquer des danses rituelles.

Claire
Sabine, comment se fait-il que tu n'aies pas dans ton avis parlé de ta famille ? Heureusement que Brigitte est là !

Sabine
Brigitte a bien eu de la chance car mon oncle s'est bien gardé de nous faire les moindres commentaires sur ses recherches ethnologiques ! Qui plus est, ses bouquins sont absolument illisibles : il emploie des termes qui ne sont pas dans le dictionnaire... Mais si j'avais su, vous auriez pu le convier à votre soirée. Après le fils, le père !

Ève
Je ne pourrai malheureusement pas me joindre à vous mais j'ai tout de même mon petit grain de sel à vous passer : malgré tous mes efforts je n'ai pu me livrer à la lecture de L'Afrique fantôme. Pourtant, la visite du quai Branly m'avait bien motivée, j'avais d'ailleurs acheté le livre le jour même à la librairie du musée.
A ma grande honte, il m'est tombé des mains à chaque tentative de lecture. Je n'ai pas passé les 60 premières pages, frustrée tout de même à l'idée de manquer quelque chose de sûrement exceptionnel, si j'en crois la quasi unanimité des personnes qui m'en ont parlé... Désolée. J'attends impatiemment de connaître les autres avis.

Katell
J'étais chez une amie qui m'avait invitée à me détendre au bord de la mer (j'adore raconter ma vie, en voilà une tranche), quand négligemment posé sur la table de la salle à manger, je vois L'Afrique fantôme, légèrement orné et la tranche un peu marquée... Genre, j'ai tenté de le lire.
Négligemment, je jette un œil, l'emmène sur la plage... et plouf, c'est le bouquin parfait pour les gens insomniaques... C'est inintéressant, long et barbant. Ce n'est pas du tout de l'ethnographie mais une suite de faits et de personnes sans aucun recul, écrit au jour le jour (j'en ai lu... trois pages). Ça fait juste bien dans la bibliothèque.
Si je peux vous conseiller un bon roman qui se déroule en Afrique et que j'ai lu cet été : Les Yeux dans les arbres, de Barbara Kingsolver.
Françoise G 
J'ai ouvert Aurora, j'ai fermé au bout de trois pages. En Bretagne, il faisait froid, j'ai lu 460 pages. Je ne peux pas dire que j'ai aimé, mais je l'ai trouvé intéressant. Je l'ai lu comme une énigme policière. Je n'étais pas passionnée, mais désireuse de connaître la suite. J'ai vu dans ce livre l'Afrique. Il y a dans ce livre beaucoup de données comme dans une suite de photos ou un film qui passe devant les yeux. J'étais étonnée qu'il se flagelle autant. Leiris déteste les Blancs. Il a beaucoup d'états d'âme. Il y a de petites touches propres à Leiris. Il se donne à voir comme il donne à voir. Il écrit des petites notes avant d'aller se coucher. Il est dans l'excès, le paradoxe, la nuance poétique. J'ai embarqué à Bordeaux sur le bateau. Il note des petites choses de la vie quotidienne qui font que je suis près de lui. Leiris explique l'excision, la circoncision, de façon brutale mais a un parti pris en faveur des Noirs. Ce parcours m'a fait traverser les villages, les coutumes, les rituels. J'ai aussi passé les paysages, les marigots et les collines. J'avais une attente forte de Leiris puis ça été la déception. Ce qui est très long et lassant, pour lui aussi, c'est la négociation à la frontière de l'Abyssinie. Je me suis arrêtée peu après. C'est un beau livre utile. J'avais visité le musée du quai Branly que j'avais trouvé sombre. Ma prochaine visite aura plus de sens. C'est la première fois que je lis un livre obligé.
Françoise D
Je l'ai lu jusqu'au bout, mais je suis partagée sur ce livre. D'abord comme certains d'entre vous parce je l'ai trouvé long ; Leiris se perd dans des détails et des répétitions pénibles, mais en même temps on aimerait en savoir plus, avoir plus d'information sur les paysages traversés, les peuples rencontrés, le fonctionnement des différentes administrations. Contrairement à ce que dit Françoise G, je n'ai pas trouvé le style cinématographique, ni même imagé, ou à de rares moments ; je l'ai trouvé tortueux, lourd parfois. Comme Sabine, j'ai vainement attendu la couleur, les odeurs. Je sais, c'est un journal, mais il aurait pu le relire pour élaguer et reformuler parfois. Mais c'est un témoignage intéressant et si je l'ai lu il faut bien que quelque chose m'ait tenue. Je crois que c'est le narrateur lui-même ; on suit son parcours intellectuel et sa position de plus en plus critique sur leur situation et leurs méthodes. A ce sujet, je tiens à dire que notre (excellent) guide au quai Branly nous a "enfumés" en justifiant le vol des Konos ou des peintures ; alors que quand on lit Leiris, on voit bien qu'ils se sont conduits comme des bandits, et contre le gré des indigènes. D'ailleurs, Leiris à son retour est devenu anti-colonialiste et c'est tout à son honneur.

Manuel
J'étais parti pour ne pas le lire mais la visite au musée m'avait tellement passionné que je l'ai acheté le même jour. L'édition Quarto est indispensable. Les photos et la correspondance donnent un éclairage fascinant au récit. Malheureusement, soit ce n'était pas le moment, soit les répétitions m'ont pesé mais le livre m'est tombé des mains. J'y reviendrai promis. Personnellement, je me suis posé la question : est-ce une œuvre littéraire dans la mesure où tout est reporté dans les moindres détails, sans style... ? Je pense ne pas être allé assez loin dans ma lecture. J'ai apprécié les pics d'humour.

Jacqueline
Je l'avais lu il y a très longtemps. Je le relis et j'en suis à Gondar. Ce qui m'avait le plus intéressée c'est la façon dont il n'est pas dupe et en même temps il est impressionné voire amoureux. J'ai l'intention de continuer. Ce qui me parait le plus extraordinaire, c'est le côté "roman d'apprentissage". J'apprécie sa sincérité, il est candide mais jamais dupe. Mais qui sont ces ethnologues ? Dans le livre de Kourouma, les ethnologues étaient assimilés à des colonialistes. Leiris est animé d'idées généreuses : connaître l'autre. Mais il ne parle pas leur langue. J'aime beaucoup ce livre avec tout ce qui transparaît d'un rapport impossible. Il y a aussi ses souvenirs littéraires. Il cite beaucoup Conrad (Au cœur des ténèbres) et son point de vue m'a fait découvrir cet auteur. Au cœur des ténèbres est l'histoire d'un décalage. Du coup j'ai arrêté Leiris pour lire Conrad…

Marie-Jo
J'ai lu 170 pages jusqu'à Ouaga. Les Dogons m'intéressaient car j'y suis allée cette année. Ce qui est passionnant c'est la découverte d'une culture (Griaule a découvert la culture des Dogons). Ils n'y comprennent rien. En allant en Afrique, on est éberlué. On donne toujours des noix de cola au chef du village, l'excision existe toujours ainsi que la circoncision. L'importance des marabouts est étonnante. La croyance dans l'irrationnel me fascine. Il ne s'interroge pas assez sur ce qu'il voit. On ne comprend ni la langue ni les rites, mais c'est pourtant un humain. Le copain malien avec qui j'étais m'expliquait qu'à Paris il faisait encore des sacrifices de poulet.
Sa description n'est pas assez intellectuelle, ni charnelle. Je n'irai pas jusqu'au bout car il y a trop de détails. Je me suis quand même sentie en Afrique. On est partagé entre respecter une culture et être effaré : comment vont-ils s'en sortir. C'était un prétexte pour me replonger en pays dogon.
Monique
Je ne me suis jamais ennuyée. Je connaissais Leiris. J'ai eu envie de le lire après la visite au musée du quai Branly. Cela m'a passionnée de me promener comme avec une caméra. C'est une autre époque. Je trouve ça passionnant. C'est une œuvre importante présentant des ponts entre les deux cultures occidentale et africaine. A certains moments, Leiris est dans une grande détresse humaine. Il voudrait être intégré dans une communauté. Je suis très d'accord avec Françoise O, Marie Jo et Jacqueline. Ce qui est intéressant c'est de prendre conscience des différences entre nous et les Africains. Chez nous il y a la notion de vrai et de faux. Pour un Africain, la vérité bouge toujours. Pourquoi ça m'intéresse ? Parce que ça fait prendre conscience de ce que nous sommes. Je suis enseignante et j'ai de nombreux élèves de différentes cultures. Avec les enfants, quand la confiance est là, on tombe parfois des nues avec ce qu'on apprend de leur vie. Ce qui m'a beaucoup plu c'est le temps : 18 mois dans un milieu complètement différent, comme sur une autre planète. L'humain déborde de ces descriptions. Il y a aussi ses questionnements sur lui-même, avec ses rêves, son avenir. Ce qui m'a le plus passionnée : l'Erythrée ; le désir qui est très présent. Pour de nombreuses raisons, ils ne s'autorisent pas à le vivre. Je trouve extraordinaire quand il cherche à être présent dans les rites de possessions pour se trouver avec la fille.
C'est vrai que le journal n'est pas très exceptionnel, l'écriture est lâche, mais laisse passer beaucoup de choses.
J'ai souffert quand Claire a voulu le faire supprimer de notre programme et qu'elle a sucité l'adhésion.

Geneviève
Je suis très proche de ce qui se dit et je n'aurais pas lu ce livre sans le groupe lecture. Je me suis enfoncée dans un autre pavé puis je me suis mise à la lecture de L'Afrique fantôme en sautant de nombreux passages : les sacrifices de poulet avec la têtes là, la queue ici...
La visite du musée m'a beaucoup intéressée. La façon dont ils récupèrent les objets m'a fait penser qu'ils ont utilisé des méthodes de vrais gangsters. Dans l'Erythrée, à Gondar, j'ai été fascinée par sa fascination. Je suis dedans, je suis dehors, je ne me suis jamais donné pleinement, voilà Leiris ; il ne se fait jamais de cadeau de rien, il ne croit pas en l'ethnographie : qu'est-ce que ça vaut ? Je le trouve en retrait par rapport aux autres membres de la mission. Griaule n'a pas d'intériorité, de jugement. A Gondar, Leiris se fait taper sur les doigts. Plus j'ai avancé, plus j'étais dedans. Cela relève des problèmes d'étrangeté que j'ai connu en Afrique, avec des élèves. Le sacré m'est inaccessible. J'ai trouvé le livre facile d'accès et non abscons. Je suis très contente de l'avoir lu.
Françoise O
J'ai voyagé dans le livre. J'ai pris des morceaux, la fin, j'ai sauté des Dogons, j'ai recherché les régions qui m'intéressaient... Je ne peux pas parler de l'auteur. J'ai ressenti ce qu'a dit Françoise G. J'ai fait le voyage géographique et non rituel. J'ai été très sensible à l'aspect historique. Mon père a 98 ans et finalement les années 30 ne sont pas si loin... Des passages expliquent le mal que les Européens ont fait là-bas. Des petites régions avaient leurs micro cultures qu'on a essayé d'uniformiser. La différence c'est vrai est irréductible. Cela fait réfléchir. Ai-je le droit d'ouvrir au ¾ ? Je crois que je vais le faire car j'ai vu l'Afrique, la savane... Je roulais avec eux, depuis la Normandie ou j'ai passé mes vacances.

Christine
C'est un livre que j'avais lu il y a une quinzaine d'années. Je voulais savoir ce qu'il m'en restait. Ce livre pour moi est très important. Mais je ne l'aurais pas conseillé car il faut choisir le bon moment. Ce qui m'est resté, c'est le projet de Leiris, la démarche. Il se trouve dans cette position dedans/dehors. L'écriture du rapport à faire ne lui convenait pas, l'objectivité lui était impossible donc si on connaît ce qu'on vit celui qui voit on comprend mieux ce qu'il décrit. C'est ce qui m'avait éblouie. J'ai trouvé le projet innovant. J'aime le questionnement de Leiris, il se présente comme indécis alors qu'il s'est engagé. Il y a la démarche de la psychanalyse, de la littérature, l'art en général (Christine raconte le secret de la femme de Leiris...), bref il a plaisir à montrer ses faiblesses. C'est la première fois que je lisais quelque chose sur les Dogons, cela me fait penser à Jean Rouch. J'ai eu l'impression d'approcher l'Afrique. La longueur du livre est utile, car cela rend l'ennui de l'expédition. Il ne faut donc pas ramasser. Les profs en général résument le livre en 3 pages... Le livre reste actuel.

Emaouiche
Je n'ai plus rien à dire. J'avais le projet de lire ce livre depuis quelques années. J'ai lu par petits bouts. Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. Je m'y replongerai dans quelques années. Cela m'a donné envie de lire Conrad et Gide. Sa dénonciation est bien tranquille. Je suis d'accord avec Françoise O sur l'Afrique : le gâchis d'aujourd'hui. C'est inutile de revoir le passé. C'est si compliqué. Je garde l'idée de Christine sur l'implication de l'observateur. J'aime les journaux.
Claire
Je ne me serais pas crue capable d'ingurgiter les 869 pages dans Miroir de l'Afrique de L'Afrique fantôme, sans compter que j'ai feuilleté les 250 pages qui suivent. Je l'ai fait le soir pendant une semaine de randonnée. Je n'ai pas eu un instant l'envie d'abandonner. Et pourtant ! Qui d'autre que le groupe lecture lit L'Afrique fantôme, me disais-je, hormis les étudiants en ethnologie et les fans de Michel Leiris (notre échange aura montré à quel point j'avais tort puisque Jacqueline, Monique l'avaient déjà lu – Christine ne compte pas car elle travaille au Muséum d'histoire naturelle qui patronne le musée de l'Homme où travailla Leiris...). Comment n'ai-je pu ne pas laisser tomber ce pavé après des journées de plus de 1000 m de dénivelé ?... La raison est diverse : d'abord le bonhomme, énervant et attachant ; faisant preuve de puérilité, d'humeur fragile, de cafard, d'interrogations régulières (où suis-je ? où vais-je ? quel sens cela ?) : ces variations alimentent une forme de suspense. Ensuite l'écriture : avec la forme unique de ce journal non conventionnel (riche : moi, maintenant, plus tard – l'Afrique – les autres, ceux de la mission – l'Europe et les drames qui se fomentent – Zette), l'écriture (parfois poétique, et surtout révélant une profonde fantaisie jubilatoire). Et puis l'aventure est incroyable, digne des conquistadores, rappelant la Campagne d'Égypte, ou encore les routards vers la route des Indes. La découverte elle-même me retient moins (par exemple, les histoires de possession, de zar, me rasent...). Des personnages sont étonnants : le savant Abba Jérôme, certains administrateurs. Mais deux figures, en creux, me fascinent : Griaule, très chef, et Zette, très aimée.
Ce qui m'a aussi séduite, c'est l'édition de Jean Jamin, que j'ai trouvé délicate, raffinée : avec les lettres dans la marge, les précisions. J'ai lu toutes les notes !
Enfin, hier soir, je me suis rendue au musée du quai Branly pour faire avant cette soirée un pèlerinage sur les lieux de notre visite, avec en plus une exposition temporaire sur les "objets blessés". J'ai regardé plus les cartels que les objets et quand je voyais "Mission Dakar-Djibouti", je me recueillais... J'ai reparcouru notre itinéraire – le kono, les masques, les fresques... – quand tout à coup, oui, cette voix, c'est lui, notre guide était là conduisant un groupe sur un autre sujet : il était mais oui magnifique...
Nicole(du groupe breton)
Quel témoignage, d'autant plus intéressant que le journal de bord est également un journal intime ! J'ai été à la fois captivée par les descriptions des faits et gestes de la mission (bien que l'on oscille entre trop de détails et pas assez de précisions et que l'on reste souvent dans le flou ayant du mal à mettre toutes ces mots en images) et l'évolution psychologique de l'auteur. En particulier les diverses possessions par les Zar, où seule la fascination éprouvée par l'auteur nous fait prendre conscience de l'ampleur de ces réunions, dont la description bien que détaillée reste très technique.
Ses colères envers la colonisation m'ont fait du bien, car j'ai souvent été "choquée" des façons de faire de ces messieurs. Il faut toutefois reconnaître que les transactions n'étaient pas simples... Il est sûr que mon regard sur les œuvres du musée des arts premiers sera très différent lors d'une prochaine visite. J'ai trouvé le "portrait" de Michel Leiris, représenté sur la couverture, très ressemblant de ce qu'il nous donne à voir de lui-même pendant cette mission. Il l'a, paraît-il, accueilli avec humour.

Marie Thé (du groupe breton)
N’ayant pas lu assez le livre, je ne peux ni l’ouvrir ni le fermer... Mais comme souvent, j’ai beaucoup aimé ce que j’ai lu ; des descriptions de villes ou de régions plus reculées m’ont fascinée : la vie intense, les fêtes, le rythme, les objets sacrés ; les Africains mettant de l’Art dans la vie. Je retiens aussi cette solidarité, l’entourage toujours présent. Et encore la communion avec la nature...
Face à tout cela, une Europe matérialiste, destructrice. Une Europe colonialiste aussi : "Faire rentrer l’impôt, telle est la grande préoccupation. Pacification, assistance médicale n’ont q’un but : amadouer les gens pour q’ils se laissent faire et payent l’impôt..."
J’ai évidemment repensé par moments à Le Clézio, à Karen Blixen, et même à Paul Nizan, qui lui aussi cherchait sa place d’Europe en Afrique. J’ai vu dans ce livre un journal de voyage se changeant en journal intime. Tous ces tourments, et ces lignes écrites à Djibouti : "Pour moi le mirage exotique est fini. Plus d’envie d’aller à Calcutta, plus de désir de femmes de couleur (autant faire l’amour avec des vaches : certaines ont un si beau pelage !), plus aucune de ces illusions, de ces faux-semblants, qui m’obsédaient." (Choquant !).
J’ajouterai que je me suis attardée sur Dakar et Djibouti, deux villes où j’ai vécu ; j’avais l’impression de retrouver l’atmosphère et l’univers que j’ai connus là-bas.
Un beau livre me revient en tête pour Djibouti : Le pays sans ombre d’Abdourahman Wabiri (je l’avais d’ailleurs proposé).

Jean-Pierre (du groupe breton)
L’Afrique fantôme, je l’ai refermé (en même temps que mes yeux) dès la cinquante quatrième page. Voici mon avis sur le livre que j'avais choisi de lire pendant les vacances : Fils de ploucs, de Jean Rohou.
Voilà un livre qui, outre son humanisme, sa philosophie du quotidien, sa profonde humanité, sa poésie, sa nostalgie non passéiste, remet bien des choses en place.
Certes, cet ouvrage est très (trop ?) documenté : il fourmille de données sur les populations, les productions, les tendances historiques, de pourcentages, de comparaisons chiffrées entre les communes du Nord Finistère où se situe "l'action", entre les départements bretons et avec l'ensemble de la France, et même avec d'autres pays. Et c'est à la fois son point fort et sa faiblesse : on décroche assez vite sur le tonnage de patates, les taux de natalité ou le nombre des prisonniers de guerre. Mais cet ouvrage n'est pas un roman. C'est un témoignage qui se veut humble et surtout pas magistral, qui ne prétend pas tirer des conclusions péremptoires ou des vérités générales d'une expérience individuelle.
On boit en revanche du petit lait lorsque l'auteur tord le cou à la mode du retour aux sources, à la traque de la celtitude et de la bretonnité, aux penchants modernes quelque peu réacs de la quête de la pureté des origines, disant lui-même que LE Breton n'existe pas plus que LE Français, LE Belge ou Dieu sait qui. Il explique que nous sommes tous cousins plus ou moins éloignés, ce qui relativise nos différences qui ne sont finalement que culturelles, donc que les fruits du hasard, de la nécessité et des superstitions.
La plaidoirie féministe est prégnante et convaincante parce que non agressive, totalement et résolument progressiste. Les mâles en prennent pour leur grade, en même temps que leurs attitudes sont replacées dans leur contexte. Jean Rohou tord le cou à l'inné, et ça me plaît bien. Il développe la thèse selon laquelle nous sommes tous les produits de l'histoire et de la géographie, et argumente de façon claire et probante. Il fustige l'embellissement intellectualiste d'un passé pas si rose que ça qui a cours dans la gauche de salon plus préoccupée de constructions abstraites que de réalités contingentes et vulgaires, et Pierre Jakez Hélias n'est pas épargné pour son Cheval d'orgueil.
On ne saurait parler en une page d'un livre de plus de 500 pages et d'un siècle qui a vu la vie à la campagne se transformer, se bouleverser, se révolutionner, modernisation qui a broyé des existences, éradiqué des traditions, effacé des mémoires, tué une langue, désertifié les campagnes, pollué l'environnement, mais en même temps donné accès au confort au plus grand nombre, diminué la pénibilité des conditions de travail, augmenté l'espérance de vie, fait chuter la mortalité infantile, libéré les moeurs… Mais on peut conseiller de le lire, tant le propos est salutaire, le témoignage généreux, la galerie de portrait (y compris l'auto portrait) savoureuse et criante de vie et l'histoire familiale attachante. On aimerait avoir l'auteur en face de soi et lui dire merci.

 

 

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