Beloved, de Toni Morrison (1987). Première parution en français, Christian Bourgois (1989), rééd. 10/18 (2008). Traduit de l’américain par Hortense Chabrier et Sylviane Rué.

Quatrième de couverture : Inspiré d’un fait divers survenu en 1856, Beloved exhume l’horreur et la folie d’un passé douloureux. Ancienne esclave, Sethe a tué l’enfant qu’elle chérissait au nom de l’amour et de la liberté, pour qu’elle échappe à un destin de servitude. Quelques années plus tard, le fantôme de Beloved, la petite fille disparue, revient douloureusement hanter sa mère coupable.

Loin de tous les clichés, Toni Morrison ranime la mémoire et transcende la douleur des opprimés. Prix Pulitzer en 1988, Beloved est un grand roman violent et bouleversant.

Toni Morrison (1931-2019)
Beloved (1987, traduit en français en 1989)


Nous avons lu ce livre en janvier 2009 et lirons Home en septembre 2013. Le nouveau groupe parisien lira Beloved en novembre 2020.


Jacqueline 
Je me suis trompée, j’ai d’abord lu Love et du coup, je n’ai pas eu le temps de finir Beloved. Love m’a beaucoup plu, ce sont des portraits de personnages extraordinaires. J’en suis à la moitié de Beloved : c’est un grand livre, comme je les aime. C’est très imagé, il y a des descriptions de choses terribles, qu’on ne comprend pas très bien au début, il y a des descriptions très poétiques. J’aime, mais je trouve que c’est difficile à lire ; ça me rappelle une citation de Stendhal qui disait qu’on pouvait tout raconter, mais tout est question de manière ; et le lecteur doit deviner ce qui est le plus terrible. J’ai aimé le merveilleux, l’étrangeté ; l’amour entre l’héroïne et cet homme qui arrive, la façon dont la mémoire lui revient, et dont l’indicible pourra être dit.
Françoise O 
Au début, j’ai trouvé ça horrible, mais page 45 il est question de la soie peu prisonnière, fine et libre... j’ai compris qu’il y avait des moments de grâce, au milieu de bouillonnements d’idées ; il y a tellement de personnages, de vies décrites, détruites, c’est le morcellement du livre, c’est la vie des esclaves ballottés d’un maître à l’autre, d’un monde à un autre, séparés de leurs familles, tout est décousu, recousu, déchiré, rapetassé...
Rozenn 
Je l’avais déjà lu, je l’ai relu, c’est un livre magnifique qui m’a fait sangloter. L’histoire se passe en 1856, je compare avec le discours d’Obama, 150 ans après... quel chemin parcouru ! Ce livre est tellement magnifique, magique, que je ne veux pas démonter, voir comment il est fait, quelle est sa construction. Si ça reste un peu opaque, mystérieux, ça a d’autant plus de force. C’est un livre que je ne donne pas, je le garde...
Françoise D 
J’en suis à peine à la moitié. Je le lis en VO et j’ai du mal. Il y a des moments où j’ai l’impression de ne rien comprendre, je comprends les mots, mais ils ne font pas sens. Il faut être costaud pour traduire un tel texte. Et puis, je ne savais jamais dans quel registre on était : merveilleux, symbolique, onirique, réel, fantasmatique ? Ça m’a déroutée et j’aime bien savoir où je suis. Qui est Beloved ? Mais comme je ne l’ai pas terminé, peut-être que tout s’éclaire par la suite. En tout cas je me sens perdue, mais je reconnais qu’il y a des moments de grâce et de poésie. L’écriture et la construction sont très compliquées, est-ce le fait d’un grand écrivain ? Est-ce de la maîtrise ? Apparemment les Nobel ont décidé que oui.
Brigitte 
Je pense avoir participé au choix de ce livre, je l’avais lu il y a très longtemps, du temps d’Henri-Jean, mais nous hésitions à le proposer au groupe. Je ne l’ai pas relu. J’avais beaucoup aimé, frappée par Paul D et ses supplices, ces esclaves qui sont traités comme des animaux, mais qui ne le deviennent pas, des animaux. Ce livre réussit à raconter cette expérience. J’ai pensé aussi que c’était décousu, fantastique, poétique. Ce récit est encore proche de l’Afrique d’où viennent les personnages. J’ai découvert ce livre sans rien connaître, je l’ai beaucoup aimé, mais je comprends qu’on puisse rester à l’extérieur.
Annick A 
J’ai été bouleversée par ce livre, j’ai beaucoup aimé l’écriture. C’est un livre fait par une Noire pour les Noirs dans un monde qui n’est pas le nôtre. C’est l’histoire de Beloved, d’un fantôme ; pour les Noirs c’est une réalité. Je me suis vécue comme une Blanche introduite dans un autre monde, une autre culture où les fantômes sont présents. J’ai été tentée d’en faire une lecture psychanalytique. Dans ce décousu, j’ai retrouvé ce qu’expriment des gens qui ont vécu des choses terrifiantes et qui ne peuvent pas en faire un récit linéaire. On va à la pêche de ce qu’on va raconter. J’ai beaucoup aimé la description des femmes, de leur force. On peut parler de l’aspect moral de l’acte de cette femme. On ne la laisse pas raconter, elle ne peut pas dire et finalement elle devient folle. C’est un grand livre ; je le conseillerai.
Claire 
J’avais lu Sula, qui m’avait barbichonnée. Je reprends le propos de Stendhal cité par Jacqueline : tout est dans la façon de raconter plus que dans ce qu’on raconte. J’ai lu avec attention en vacances, je crois qu’après le boulot je n’aurais pas pu, c’est très compliqué, ce n’est pas fluide, j’ai avancé doucement, prudemment. Je n’ai pas été gênée par les fantômes, j’y ai cru. Il y a un art de désincarner les faits qui peut exaspérer, on peut ne pas comprendre, le lecteur est englué. Parfois, cela devient trop difficile à comprendre. L’écriture est intéressante : "se cogner contre un souvenir de quelqu’un d’autre", Beloved "luisante"... Je n’ai pas été bouleversée par les choses horribles qui sont évoquées. J’ai eu l’impression que l’auteure est incernable, où est-elle ? On suit les personnages mais on ne sent pas la présence de l’auteure, ce qui ajoute du mystère. La construction est savante, mais réussie. Cependant l’auteure abuse un peu de son lecteur. Ce livre vaut la peine d’être lu, mais ça demande de l’effort. Je n’ai pas envie d’en lire d’autres. Mais je suis très contente de l’avoir lu.


AVIS DU GROUPE BRETON

Nicole 
J'avais lu ce livre il y a longtemps et j'ai été très heureuse de le relire, d'autant que sur fond de victoire de Barack Obama, l'histoire avait encore plus de force. Le texte est difficile. C'est un livre qui se métrite, mais quelle puissance. Les personnages sont magnifiques.
Lona 
Roman, récit historique, fait divers, témoignage ? C’est sombre, dur, étouffant, impressionnant. La lecture n’est pas facile : les va-et-vient permanents entre réalités, fictions, rêves, brutalités, horreurs, violences, sorcellerie, destin, exorcisme, hystérie, folie ne facilitent pas la chronologie des faits !
Bien sûr, il y a l’histoire de l’esclavage : la misère, la pauvreté, la bestialité, les humiliations, les angoisses, les crimes. L’absence des hommes – maris, fils, frères ; une vie qui se construit autour et avec des femmes : belle-mère, filles, voisines.
Derrière ces situations noires, graves, angoissantes, j’ai trouvé tendresse, couleur (se mettre au lit pour penser à la couleur des choses (p. 246), richesse des rapports humains, affection, fusion, amour, recherche permanente de liberté et de sécurité. La culpabilité de Seth par rapport à son infanticide la poursuit comme un fantôme. C’était pourtant un acte d’amour. Qui est Beloved ? Un enfant de substitution, une culpabilité, un remords, un fantôme ? Comment refouler le passé (p. 107) ? Elle sait bien que les gens qui ont une mauvaise mort ne restent pas en terre ! Comment se "racheter" de sa faute ? Comment se sortir de cette voie sans issue et reprendre possession de soi-même (p. 136) ? Elle va sombrer dans la folie ! C’est Denver, sa fille, qui apportera la réponse : elle quittera la maison et la folie de sa mère pour trouver un travail. Faut-il faire un lien entre cette rupture et le fait qu’elle rejoigne un Blanc ? Je le relirai certainement : il reste des "choses" à approfondir et à découvrir.
Lil 
Un livre difficile – un de ces livres qui se méritent – difficile au niveau de la construction du récit, difficile au niveau de l'écriture qui passe d'un registre à l'autre, difficile au niveau du thème, puisque l'on chemine du réel à l'irréel, avec les esclaves, les fantômes, les esprits...
J'ai été bouleversée par ce livre de mémoire dédié au peuple noir, du temps de l'esclavage, à travers l'histoire de Sethe. L'horreur de cette époque si justement décrite dans ses conséquences tragiques que sont, entre autres, le meurtre des enfants et la folie de Sethe, m'est entrée dans la chair et le cœur, même si la compréhension que je puis en avoir, en tant que blanche, demeure purement intellectuelle.
Pour moi, Beloved n'est que l'incarnation de la culpabilité de Sethe et la possibilité d'exorciser son passé. J'ai beaucoup aimé ce personnage de femme, son courage, son humanité, sa force, son amour pour ses enfants qui va jusqu'à tenter de leur ôter la vie pour leur éviter le pire !
Un très, très grand livre à garder dans sa bibliothèque.
Jean-Pierre
Pour être compris le récit doit être reconstitué, et c'est tant mieux si on y parvient. J'avoue avoir eu le plus grand mal à le faire. C'est probablement un choix délibéré de l'auteur (*), et c'est un pari risqué car le livre est difficile à lire. De même, l'écriture est trop souvent absconse, des paragraphes et des chapitres entiers complètement incompréhensibles, le mélange entre réalité et cauchemar dérangeant. Sans doute la culture africaine noire est différente de la nôtre, et il peut être intéressant de la connaître. Mais la connaître n'est pas forcément la partager. A cause probablement d'un manque de recul, je ne suis pas entré dedans. J'aurais été plus entraîné par une vision extérieure, une sorte d'exposé à la lumière cartésienne d'un observateur. Ce n'est pas ce qu'a fait Toni Morrison. Elle est totalement partie prenante de cette horreur, et on peut le comprendre puisqu'il s'agit de son histoire.
Toute proportion gardée, c'est un peu comme si un martyre chrétien des premiers siècles tentait de me faire partager sa foi : le fait d'être torturé ne confère aucune vérité à sa croyance. Là n'est sans doute pas le projet de l'auteur (*) : elle raconte de l'intérieur et ne se soucie pas de savoir si son récit peut avoir une portée universelle, c'est-à-dire s'appuyer sur ce qui fédère tous les êtres humains, et donc peut atteindre tout un chacun.
Moi, les histoires de fantômes...
Mais on ne peut pas ignorer l'histoire horrible de l'esclavage. C'est ce qui fait la force de ce livre. Que de vies brisées, d'êtres souillés, en premier lieu bien sûr les esclaves mais aussi les esclavagistes qui tuent en eux tout sentiment humain ! Les événements contemporains nous font apprécier le chemin parcouru depuis cette époque maudite. Restons cependant d'un optimisme prudent, car « le ventre est encore fécond d'où peuvent surgir les bêtes immondes »
(*) Pour les militantes de l'égalité orthographique, auteur = auteure

Claire
En tant que militante de la symétrie, je propose d’écrire un vétérinair.


SUR TONI MORRISON

Une interview dans L’Express (1993) ; elle y parle des Aventures de Huckleberry Finn, notre lecture précédente.

Une rencontre dans Courrier international (2004)

D'autres articles ici lors de notre séance sur le roman Home ainsi que des émissions approfondies.

Et pour les potins…
- Ce qu’elle pense du slam et de Ségolène (2006)
- Elle a voté Obama (2008) ; il lui rendra hommage à sa mort (2019).


LES AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN
réuni pendant le 2e confinement le 8 novembre 2020
à distance par courrier électronique

Olivier
Lecture ô combien éprouvante !
On entre dans un cauchemar, c'est immédiatement oppressant et ça ne s'arrête quasiment jamais. Jamais une lumière, jamais une espérance, ou pas longtemps, jamais une échappatoire ! Il faut boire le calice jusqu'à la lie ! Tout y contribue, le style - parfois obscur -, l'histoire sans aucune concession (ou presque !), la construction du livre dans lequel les faits sont rapportés à plusieurs reprises avec une progression de détails. Parfois on ne comprend rien à ce qu'on lit ! Oui, on ne peut s'échapper, c'est horrible et c'est comme ça ! Il faut le prendre tel quel ! Pourtant, Toni Morrison ne surligne rien, elle montre l'horreur juste au détour d'une phrase, phrase presque anodine. J'ai noté ce passage parmi des dizaines d'autres :
"Petit déjeuner ? Tu veux ton petit déjeuner, négro ?
oui monsieur.
t'as faim, négro ?
Oui, monsieur.
Vas-y.

Parfois l'un des hommes agenouillés choisissait une balle dans la tête pour prix du bout de prépuce qu'il parviendrait peut-être à emporter avec lui chez Jésus."

Pour ma part, après 250 pages, je n'ai pas pu aller plus loin. J'avais envie de sortir de là, pire que le confinement, et en pensant à notre rendez-vous à tous, j'en suis venu à me demander (une nouvelle fois !) ce que j'attendais de la littérature...
Anyway ! Toni Morrison est un Écrivain. Son style est inimitable, son souffle, son énergie, sa radicalité, sa sincérité, sont impressionnants. Mais ce livre est un tunnel sombre, sans fin, sans rédemption, "ce que l'homme fait à l'homme".
Bravo pour ce prix Nobel !
Je l'ouvre en grand pour ceux qui seraient plus courageux que je ne le suis.
Ana-Cristina
"L'esclavage est un système juridique et social qui applique le droit de propriété aux individus, dits esclaves. Par opposition un individu ne faisant pas l'objet d'un tel droit de propriété est dit libre. Le propriétaire d'un esclave est quant à lui appelé maître." (Wikipédia)
La partie du roman que j'ai préférée est celle où Beloved n'est pas encore présente. Ensuite, j'ai parfois trouvé que le récit devenait un peu trop tarabiscoté, qu'il y avait des passages carrément inutiles et la fin du roman un peu longue. Il n'en finissait pas de finir ! 50 pages en moins et le roman aurait été parfait pour moi ! Mais cela n'en reste pas moins un livre qui ne m'a pas laissée indifférente. Loin de là ! Toni Morrison maquille la réalité des faits avec une couche de mystère, et sans dénaturer l'Histoire. Chapeau ! Je ne perds jamais de vue la réalité. En quelque sorte elle rajoute de l'inimaginable à de l'inimaginable. S'il n'y avait pas eu ce fard, je n'aurais sans doute pas pu lire le roman jusqu'au bout. La composition aussi, je l'ai trouvée très adaptée au sujet : rien n'est raconté une fois pour toutes. Petit à petit, l'histoire de chaque personnage se reconstruit. Chaque personnage a son histoire. Dans n'importe quel roman cela n'aurait rien de bien surprenant. Mais ici, c'est comme si ces hommes et ces femmes, on leur donnait enfin la possibilité d'être des individus à part entière. Certes ils ont un passé terrible, un présent problématique et un avenir plus qu'incertain, mais enfin Toni Morrison leur donne à chacun un passé, un présent et un avenir qui leur sont propres. Toni Morrison parvient à rendre son récit, malgré les horreurs qu'elle n'élude pas, audible. Elle arrive aussi à créer des images que je peux regarder les yeux grands ouverts, le cœur battant, l'esprit retourné, la bouche ouverte, les pieds inutiles, les mains inoffensives. Pour résumer, ce fut une lecture qui m'a bien secouée ! J'ouvre aux ¾.
Anne        
Pour commencer j'ai eu bien du mal à la lecture de Beloved que je n'ai pas fini. Je me suis arrêtée, j'ai repris, j'ai été rebutée par un langage que je n'arrivais pas à comprendre parfois : que se passe-t-il, où en est-on, de qui s'agit-il, la description des maisons ne me faisait pas plaisir, m'angoissait, m'embrouillait. Au début je ne comprenais rien au fantôme ni à l'histoire de l'arbre dans le dos. Je me disais il faut continuer, Toni Morrison est reconnue, appréciée, c'est une grande écrivaine, mais j'étais dans l'effort, toutefois le documentaire envoyé par Claire m'a amenée à admirer sa personnalité, le profond intérêt du thème, j'ai insisté, avancé dans le texte et subitement, au détour d'un chemin d'écriture que je trouvais rocailleux, compliqué, désagréable (comme par exemple l'histoires de la vessie p. 79), le texte est subitement apparu comme un beau paysage. Me sont apparues les atmosphères intéressantes, pénétrantes, des lieux, des situations, la complexité des sentiments, de l'amour, de l'attente, du présent, du passé intriqué à l'histoire comme une tresse, oui très beau par moment comme l'évasion des nègres enchaînés, la rencontre avec les Cherokees, même, l'écriture s'est avérée étonnante, dire des choses qui font travailler l'esprit "se libérer était une chose, revendiquer la propriété de ce moi libéré en était une autre" voilà qui fait penser à sa condition féminine... La condition des Noirs m'est apparue dans une vérité ténébreuse, terrible, une transmission vivante. J'ai pensé qu'il fallait sans doute à T. Morrison certaines circonvolutions des images, des idées, un mystère qui agace car il laisse confus, pour dévoiler ce qui n'est ni descriptible ni pensable. Étant donné les ralentissements de ma lecture, les arrêts même, je n'ai pas fini le livre mais le finirai, il le mérite (et moi aussi !). Il y a eu de l'effort, du désarroi, mais aussi du plaisir à lire Toni Morrison. J'ouvre aux ¾.
Monique M
Toni Morrison nous décrit dans ce livre une histoire terrible et vraie, ce qui est terrifiant, surtout à une époque où les suprémacistes blancs sont toujours bien vivants. La première lecture a été pour moi difficile ; je me perdais dans la compréhension des personnages et de l'intrigue ; il m'a fallu arriver au bout du livre et le reprendre pour que tout devienne intense, bouleversant. Toni Morrison fait vivre avec une grande justesse et intensité la vie de ces hommes et femmes noirs asservis, tués, attrapés, mutilés, brûlés, emprisonnés, fouettés, piétinés, violés, escroqués… comme de la chair à bétail par des hommes blancs qui se donnent sur eux droit de vie et de mort. Elle leur restitue dans ce livre leur courage et leur dignité, notamment avec l'histoire de Sethe, la révoltée, celle qui n'accepte pas que ses enfants subissent le même sort. Toni Morrison décrit cela de façon vivante, haletante, en le transcendant avec ce sortilège que représente Beloved. Un sortilège, un ensorcellement ou un songe, où se superposent tout ce qui a été vécu, les humiliations, les coups, la souffrance, l'exploitation de l'esprit et du corps conduisant à l'incapacité à se trouver et à se dire, et ce qui est en devenir le génie de Toni Morrison : Beloved, le fantôme du nourrisson, comme un chemin vers la délivrance et la rédemption. Il y a dans ces sortilèges, la flaque de lumière rouge ondoyante traversée par le visiteur du 124, la personnalité fantomatique de Beloved, qui apparaît et disparaît comme elle est venue, une histoire étrange, hors temps et hors monde, quelque chose entre la vie et la mort, à l'image de la vie de ces esclaves. On y sent aussi les croyances et sortilèges de l'Afrique ancestrale, à l'image des palabres de Baby Suggs dans la clairière. J'ai aimé ce livre et ressens un grand respect pour l'auteure d'avoir su de façon aussi juste, envoûtante et subtile nous faire ressentir cette terrible période de l'Histoire américaine. Je l'ouvre en grand.
Anne-Marie         
Je n'ai lu que la moitié du livre et je n'ai pas réussi à entrer vraiment dedans, je n'arrive pas à avoir d'empathie, c'est trop confus, je ne sais si c'est la traduction. Bref, je n'ai pas grand chose à dire sur ce livre. Je l'ouvre au quart.
Nathalie B          
Ce roman est extraordinaire. C'est un très grand roman qui m'a happée dès les premières pages, qui m'ont immédiatement fait entrer dans son monde. J'aime son écriture (et je sais la difficulté de traduire la langue riche de Morrison qui a en anglais utilisé différentes façons de parler que les traductrices ne pouvaient pas réellement rendre en français). J'ai adoré l'histoire du fantôme, de la maison hantée... Ce que l'autrice dit de la violence de l'esclavage, de ses conséquences sur l'âme humaine font toucher du doigt ce crime contre l'humanité, qu'en Occident, nous avons eu temps de mal à regarder vraiment ainsi. L'esclavage peut paraître abstrait, lointain. Morrison le rend concret dans son horreur et proche dans ses effets, mais par petites touches, qui permettent d'accepter de le considérer sans avoir immédiatement envie de s'enfuir pour ne pas y être confrontée. La langue imagée est fascinante. Lorsqu'elle raconte la scène de la première fois entre Sethe et Halle "Comment la soie était peu prisonnière ! Et le jus bien emprisonné lui", c'est d'une si puissante poésie. La romancière décrit si bien l'enfermement de la mémoire déchirante, le refoulement du passé, la fermeture du cœur qui pourtant continue de battre... Cette écriture au service d'un tel sujet me donne envie de pleurer mais de chanter aussi. Ce roman est vraiment incroyablement fort et troublant. Merci à Toni Morrison. Je l'ouvre en très grand.

Olivier
La citation donnée par Nathalie illustre la fulgurance de ce style, à la vitesse de la lumière, pour dire tant de choses en si peu de mots. Il y a aussi le passage où ils se tiennent par la main (ou l'épaule ?) sur le chemin, moment suspendu ! C'est poignant.

Ana-Cristina
Monique, je trouve que le lien que tu fais entre le nourrisson sacrifié et l'idée de rédemption très intéressante. Seth sacrifie son enfant et par ce geste offre en quelque sorte à tous les Noirs morts en esclavage une vie éternelle. C'est aussi ce que fait Toni Morrison en les immortalisant dans son roman. Les dernières pages avec la répétition "ce n'était pas une histoire à faire circuler" peut renvoyer à une litanie...

Nathalie B
Et aussi à la difficulté de raconter des histoires qui racontent des vérités tellement difficiles à pouvoir entendre. Nos cerveaux parfois ne parviennent même pas à les comprendre. C'est toute la question de raconter l'horreur. Comment le faire auprès de ceux et celles qui ne l'ont pas connu et ne souhaitent pas obligatoirement le savoir. Car c'est un savoir obligatoirement douloureux qui nous condamne à regarder un monde dans lequel on ne peut pas vivre.
Margot
J'ai profondément aimé ce roman qui dérange et bouscule comme le petit fantôme dans la vie et la maison de Sethe. Il remue les entrailles car il me paraît construit comme surgissements après surgissements, une série d'épuisements où s'enracine un nouvel élan encore et encore. Dans les entrelacs d'une parole à l'autre, entre Denvers et Sethe, naissent les récits et s'enclenchent les événements qui changent le cours de l'histoire et en changeant le cours se redessine la mémoire d'un passé. Et ce passé devient le présent (de ma lecture en tous cas). Très étrange écriture que celle-ci, qui fait de chacune des pages une invitation à entrer dans la maison, à accompagner les personnages, à se sentir dans une proximité de peau à peau avec eux, avec chacun d'entre eux, à ouvrir et apaiser les blessures. Chaque blessure est d'ailleurs la souche d'une nouvelle poésie, un peu comme dans les forêts primaires, alors le malheur, la mort, le pourrissement sont soutenables.
Je n'ai pas entièrement terminé et je sais déjà que ce livre est passé dans mes veines. J'ouvre en très grand.
Merci pour vos belles lignes.

Nathalie B
J'ai pensé aux propos de Christine Angot qui voulait distinguer la question de l'esclavage de la Shoah "l'idée était [que les esclaves] soient en pleine forme, en bonne santé, pour pouvoir les vendre et pour qu'ils soient commercialisables" : "Donc non, ce n'est pas vrai que les traumatismes sont les mêmes, que les souffrances infligées aux peuples sont les mêmes". À l'évidence, elle n'a jamais lu Beloved de Toni Morrison ! Mais quel souffle cette autrice ! Quelle puissance ! Quelle profondeur !

Ana-Cristina
Accepter de mettre nos pas dans les "empreintes" laissées afin qu'elles ne deviennent pas des fossiles. Nathalie, tu rappelles les différentes façons de parler difficiles à traduire. D'ailleurs, si cela apparaît (même un peu) dans la traduction, je dois bien avouer qu'il ne m'en reste rien. Deux traductrices ? Fichtre, elles auraient pu faire un effort.

Nathalie B
D'après mes réminiscences de lecture d'un article sur le sujet que je ne parviens pas à retrouver, c'était justement très difficile de rendre les différents parlers des personnages qu'offrait Toni Morrison en français. Il est vrai que cela n'apparaît pas particulièrement à la lecture en français.

Ana-Cristina
Anne, je n'arrive pas à trouver "l'histoire de la vessie" p. 79. Je ne me souviens pas du tout de quel épisode il s'agit. Si quelqu'un peut me rafraîchir la mémoire...

Nathalie B
Pour moi il s'agit du moment où rentrant de la foire, les personnages découvrent Beloved sur le pas de la maison et Sethe a une envie irrépressible de vider sa vessie, ce qu'elle fait derrière la maison, mais cela ressemble davantage à la rupture de la poche des eaux quand Bébé a décidé d'apparaître. Je rajouterai que Toni Morrison dans ce roman fait ressentir, voire toucher du doigt, ce que dit la musique de jazz, la vraie (pas la commerciale).

Monique M
J'ai oublié de vous parler du style si confus et difficile au début du livre avec une multitude de personnages et de mots jetés, crachés avec rage, qui s'entremêlent, trébuchent les uns sur les autres (à l'image de cet emprisonnement de ces Noirs américains, les sans-droits) qui embrouillent le fil de l'histoire, sauf lorsque p. 122 , récit de l'accouchement ou tout devient fluide et splendide du fait de la rencontre harmonieuse entre Sethe, femme noire et Amy la Blanche.

Ana-Cristina
Je dois dire que le début, moi, m'a beaucoup plu. La suite n'est que le prolongement de ce début, le cœur en quelque sorte du récit qui donne sa pulsation (pour prolonger l'idée de Nathalie).
Audrey          
J'avais juste besoin de ne pas rester complètement muette, bien que je n'aie pas encore terminé ce livre, de vous dire que je me reconnais complètement dans les propos de Nathalie. Cette auteure est pour moi une TRÈS grande poète, elle met des mots et des images magnifiques et parfois ô combien surprenantes ! Par exemple cet arbre dans le dos, quelle atroce beauté, quelle trouvaille ! Mais voyez donc des dos d'esclaves fouettés, on ne pourrait y voir qu'insoutenable abomination. Elle, elle transforme, elle sublime, mais garde toujours les racines de l'horreur bien profondément ancrées. Pas question d'édulcorer !). Sa forme littéraire m'éblouit littéralement, me donne les larmes aux yeux aussi. Elle dit l'horreur, elle dit la violence inouïe. Elle dit la vie, la mort et la survie qui s'entremêlent au sein d'un même être humain !!
Cette littérature est pour moi une des plus puissantes que je connaisse ! En effet comme le soulignent certains, on est parfois perdu ! J'ai toujours eu la sensation dans les livres de Toni Morrison d'entrer d'abord dans le brouillard, ou la pénombre. Puis, le brouillard se lève peu à peu, ou par touches, comme lumière sur la mémoire de ces personnes qui ne se laisse atteindre qu'avec une pénibilité immense. Les trouvailles de Toni Morrison qui puisent aussi dans les traditions des esclaves et plus largement des Africains-Américains sont, je trouve, d'une intelligence surprenante : le fantôme, pour donner l'exemple le plus parlant, mais aussi par exemple cette scène où lorsqu'elle voit Beloved pour la première fois, Sethe se vide de toute son eau ! avant d'atteindre les toilettes. T. Morrison représente pour moi une créatrice de la littérature, un peu comme Duras. C'est-à-dire qu'elles sont des innovatrices de formes — et de sens. Elles ouvrent des voies (inexistantes avant elles ?) Y a t- il eu une littérature sur les Noirs pour les Noirs et avec les Noirs de cette puissance là avant elle ? Je ne sais pas ! J'ouvre en TRÈS TRÈS GRAND. En immense. Et comme Nathalie, je dis Merci Toni Morrison.
Katherine       
Quelle œuvre magnifique ! J'ai été complètement conquise par le style à la fois sobre et poétique de Toni Morrison, qui confère d'autant plus de puissance aux paroles échangées et au récit des événements subis par les personnages. L'auteure nous fait ressentir avec acuité à chaque page l'horreur de cette époque, du traitement et du châtiment des esclaves, de la ségrégation et du mépris des Noirs, mais sans jamais verser dans les superlatifs. D'ailleurs, que ce soit à Sweet Home, lors des fuites et tentatives de fuite ou pendant la vie isolée menée au 124, il est intéressant de noter que jamais il n'est fait état de la moindre plainte ou doléance de Baby Suggs, Halle, Sixo, Sethe, ou des Paul. Sans pour autant accepter leur sort, ils font preuve à la fois de résilience et de lucidité, tout en entretenant un rêve de liberté que certains d'entre eux parviendront à réaliser. Cette liberté chèrement acquise s'avèrera néanmoins fragile, notamment pour Sethe qui, retrouvée par schoolteacher, préférera donner la mort à ses enfants plutôt qu'une existence en esclavage. J'ai toutefois eu du mal à bien comprendre le fantôme de Beloved. Elle sera accueillie à bras ouverts au 124, sera aimée jalousement par sa sœur Denver et fera l'objet d'un dévouement sans bornes de sa mère, mais couchera quand même avec l'amant de celle-ci (et en deviendra enceinte ?) et s'acharnera à faire payer à Sethe la mort qu'elle lui a infligée. Je n'ai pas réussi à faire sens de cette métaphore qui m'a laissée songeuse, mais qui n'a au demeurant pas affecté mon appréciation de l'œuvre dans son ensemble. J'ouvre en tout grand !
Françoise H           
Je n'ai pas pour l'instant terminé la lecture de Beloved (p. 168) par manque de temps. J'ai beaucoup peiné dans la lecture : il m'a semblé voir un chef-d'œuvre du cinéma étranger en version originale sans parvenir à lire le sous-titrage. Comme exemple, je vous renvoie à la page 168. En fait, la traduction me semble poser problème à chaque page. C'est rageant parce que Toni Morrison est vraiment une très grande écrivaine qui me fait penser à Tolstoï (La Guerre et la Paix), par la poésie de certaines situations (la route de la fuite de Paul D signalée par les fleurs), la maîtrise de la construction du roman, par la composition des personnages et surtout par l'intelligence à capter la vie (le passage à la foire) c'est-à-dire non pas l'habilité à suggérer l'ambivalence des situations ou le paradoxe des trajectoires de vie, comme font habituellement les écrivains, mais à décrire la vie pour elle-même. C'est la première fois où je saisis la condition d'un esclave africain aux États-Unis. Toni Morrison laisse de côté les maîtres, décrit de l'intérieur les sévices endurés par les Noirs et exprime les effets de ces violences : des vies à jamais brisées et des descendants traumatisés. Elle a l'idée géniale d'inventer cette maison hantée comme métaphore de la mémoire des Noirs hantée par leur condition servile passée. Je l'ouvre en grand mais dans une autre traduction.

Nathalie B
Malheureusement nous n'en avons pas d'autres.

Katherine
J'ai lu ce roman en anglais, et il me semble impossible de rendre justice notamment au parler des personnages (les fautes de grammaire, les mots escamotés) en français. Je serais curieuse de connaître vos impressions sur la version française si vous avez pu la comparer avec le texte original.
Séverine G          
Ce livre est une traversée éprouvante mais indispensable dans une des tragédies humaines des plus cruelles, les plus choquantes, l'esclavage, et l'infanticide qui en découlera. Malgré la connaissance du fait divers à l'origine de ce roman, on se sent au début comme emporté dans un torrent pierreux, au courant impérieux, une force qui nous déroute, nous blesse, nous désoriente. On résiste mais les mots, les images, les personnages s'imposent comme un tourbillon incontournable. On reprend souffle, on surnage, on prend des repères, peu à peu on s'adapte à la sauvagerie, à la violence, à l'apparente incohérence. On accepte ce charivari du récit morcelé, parcellaire, elliptique, inversé. On prend appui sur des pierres d'attente, on apprivoise le mystère, la folie, les fantômes et les survivants, on pénètre leur monde de rêves et de cauchemars, on commence à comprendre, à se sentir moins en danger. Ensuite on ne peut plus quitter ce flot jusqu'à la fin, l'auteure nous a pris dans ses filets et ne nous lâche plus. On en ressort éreinté de tous ces combats, de toutes ces effroyables vies de douleur que ce roman-torrent nous a fait traverser, mais reconnaissant d'avoir plongé les yeux grands ouverts dans ces réalités jusqu'alors seulement effleurées. J'ouvre en grand ce roman choc, pour son écriture mêlant fantastique et réalisme, sa construction dramatique, au service d'un questionnement lucide et sans jugement des limites de l'humain.

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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