Le premier homme est le roman auquel travaillait Camus au moment de
mourir. Les nombreuses notes en bas de page, hésitations ou rajouts
de l'écrivain retrouvés dans son manuscrit sont un émouvant
témoignage de l'oeuvre en cours. |
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Albert Camus (1913-1960)
Le premier homme (publié après sa
mort en 1994)
Nous avons lu ce livre en mars 2010.
Le groupe de Tenerife l'a lu en février 2020.
Le nouveau groupe parisien a lu La
peste en juin 3022.
Françoise D
Cest à la fois un récit très attachant et un
superbe document. Jai été très émue
par ce petit garçon. Je nétais pas lui, mais jétais
avec lui. Camus raconte son enfance de manière très convaincante
et très touchante. Cet amour incommensurable pour sa mère,
quelle merveille, (et comme je lenvie, Catherine Cormery) !
Il y a des scènes très belles et très bien décrites,
comme par exemple la partie de chasse avec son oncle, ou les jeux avec
Pierre le jeudi dans cette maison pour blessés de guerre, ou encore
le trajet pour aller au lycée, et le jour de la distribution des
prix ! Et combien dautres... La mère, éternelle
soumise, et la grand-mère, dragon domestique. Il parle très
peu de son frère.
On voit bien comment vivaient les pauvres petits blancs en Algérie
à cette époque. Et on peut comprendre pourquoi Camus a « préféré
sa mère à la justice », il est viscéralement
attaché à ce pays et il na certainement jamais eu
limpression de vivre sur le dos des indigènes. Est-ce en
partie pour expliquer cela quil a entrepris ce livre ? Il est
troublant quil parle de la mort à la fin. Intuition inconsciente
de sa propre fin ? Certes ce nest pas encore un livre, cest
un manuscrit, avec des inexactitudes, des maladresses, mais une spontanéité
quil naurait peut-être pas gardée une fois relu
et édité. Jai aussi trouvé très émouvantes
les lettres de Camus et de M. Germain à la fin du volume. Cest
tout de même un prodige que ce petit garçon soit devenu Prix
Nobel de littérature. Jai entendu son discours quand il a
reçu le Prix Nobel, cétait grand. Cétait
un grand humaniste. Je pensais louvrir ¾, mais finalement,
je louvre en grand pour le plaisir de lecture quil ma
procuré.
Jacqueline
Je nai pas fini le livre ; au départ jétais
déçue... javais lu des histoires dinstits en
Kabylie qui mavaient beaucoup émue. Jai été
gênée car il sagit dun premier jet, lécriture
est un peu pesant. Cest un document intéressant mais cest
dommage quil nait pas eu le temps de le terminer, de le travailler,
je ne le ressens pas comme un livre. La figure de la mère, de la
grand-mère, sont intéressantes, mais inachevées.
Le passage où il va en Kabylie à la recherche de son père
et lhistoire des immigrés de 48 mont beaucoup intéressé.
Devait-on publier ce livre inachevé ?
Brigitte
Je me retrouve assez dans ce que dit Jacqueline. Je lavais lu, pris
beaucoup de notes, et navais retenu que le début. Jai
été aussi déçue. Qui est ce premier homme ?
On ne sait pas. Jai beaucoup aimé La Peste. Beaucoup
de passages sont marquants : la pauvreté coupée du
monde. Mais ce nest pas assez construit, il y avait matière.
Je me suis demandé pourquoi on a choisi ce livre.
... Renée pousse des cris de protestation.
Françoise G
Jai eu une émotion extraordinaire à lire ce livre.
Lachèvement de ce livre est la mort de Camus. Cest
un projet... on voit comment il a travaillé. Cest une autobiographie.
Cest pour lui une nécessité : il doit rendre
hommage à sa famille, établir un pont entre son enfance
et lhomme célèbre quil est devenu. Il a envie
de tout dire, de ne rien oublier. Il veut faire revivre ces gens-là.
Tout est minutieusement décrit : on vit avec lui à
Alger dans le quartier pauvre. Cest fort et tragique. On ressent
sa force et son angoisse fondamentale. La quête du père reste
toujours là ; cest une souffrance qui court tout le
temps. M. Bernard est un portrait dinstituteur magnifique. Malou
quil rencontre à Saint-Brieuc, son rôle nest
pas totalement explicite.
Il veut garder quelque chose de ces pauvres qui senfouissent sans
rien laisser. Je suis frappée par la violence de certaines scènes,
le soleil qui sécrase, les pluies torrentielles, la tombée
brutale de la nuit, comme lannonce dune mort brutale. Quant
à lexécution de Pirette à laquelle le père
avait assisté, on raconte à lenfant langoisse
de son père et lui en prend le relais, cest le seul héritage
que son père ait laissé. « Chacun était
le premier homme ». Il est bizarre quil ne dise rien
de son frère ainé. Je suis éblouie par ce livre.
Lauteur a le souci daller au plus vrai du vrai.
Françoise O
Encore une fois, je suis abasourdie par ce que tu dis Françoise.
Je suis daccord avec les deux Françoise. Lauteur aurait-il
voulu que ce livre soit publié ? cest vraiment un questionnement
fort pour moi. Je nai pas aimé le chapitre avec Malou. Le
premier chapitre est absolument superbe. Enfant élevé sans
père dans une famille ignorante, il doit trouver seul sa morale
sur une terre sans aïeux et sans mémoire. Il réhabilite
les émigrés de 48. Jadmire sa générosité,
son absence de haine. En tout cas, lexamen, la bourse, linstituteur
sont la gloire de lenseignement public.
Renée rappelle la vie quelle a connue dans son enfance algérienne :
le centre des grandes villes nétait occupé que par
les Blancs.
Annick A
Le livre ma intéressée mais ne ma pas touchée.
Que vais-je dire ? me suis-je dailleurs demandée. Jai
été intéressée par lexistence de ces
pauvres blancs en Algérie, ce quont vécu les premiers
colons mourant de maladie, de pauvreté. Cest bien écrit,
les descriptions sont belles. Je nai pas pu mapproprier ce
qui est dit. Il y a de très belles pages sur lenfance où
avec rien on trouve la joie de vivre, cest exactement comme mon
mari dans son enfance... Lenfant ne se sent pas du tout humilié
par son mode de vie. Et la dernière phrase où il dit quil
espère vivre et mourir sans révolte... Je me refuse à
ouvrir ou fermer...
Claire
Je naime pas beaucoup les récits denfance. Je lai
lu il y a moins de deux semaines mais javais déjà
oublié ce quétait devenu le père... certains
passages mont paru longuets. Mais dès le début lécriture
simpose pour moi : la première page avec les nuages
est sensationnelle, cela ma rappelle la caméra du narrateur
dans La
Pierre de patience dans la première page aussi. Il y a
comme une mélodie qui simpose à moi. Quant aux phrases
longues (plusieurs pages p. 301), cela ma bien plu. Jai
été gênée par la troisième personne,
ce Jacques, cela crée une distance artificielle, pas juste, avec
lui-même. Il décrit un univers de formation, le rôle
formidable des maîtres, le respect des connaissances. Lamitié
avec Pierre est belle. Et la « folie de vivre »
dont il parle p. 305 est impressionnante. Il ny a pas de ressentiment
et de révolte dans cet univers souvent dur, mais il y a de la nostalgie.
Son projet est clairement formulé p. 338 : « Arracher
cette famille pauvre au destin des pauvres qui est de disparaître
de lhistoire sans laisser de traces. Les Muets. »
Il ne nous dit pas ses sentiments...
... Les deux Françoise manifestent leur
désaccord...
Claire
Quant à son destin, devenir Prix Nobel après cette enfance
pauvre, cela me rappelle les écrivains américains self made
men.
Renée
Je suis venue à cause de ce livre. Jai découvert Camus
à 18 ans. Je retiens une phrase du père de Jacques :
« un homme ça sempêche » ;
mettre une phrase si importante dans la bouche dun personnage presque
analphabète, cest un pilier du livre. Jai eu le souffle
coupé par la musicalité, le souffle, le rythme des phrases,
la chaleur, le bruit qui se dégage de lensemble du livre,
les martinets dans lair du soir, des descriptions fantastiques :
cest un des plus beaux livres que Camus ait écrits.
Mon père a écrit sur la guerre de 14 avec des phrases bien
appliquées en refoulant totalement sa personnalité juive.
Chez Camus on trouve la musique dune langue. Camus a hérité
du goût de la belle phrase, des adjectifs si peu à la mode
aujourdhui, qui vient peut-être de cet enseignement primaire.
Le premier homme est celui qui est seul. Il disait « je
suis solidaire et solitaire ». Il faut lire Noces qui
parle de sa joie de se baigner à Ti Posa, cest un texte très
poétique
Lexécution court à travers son uvre : LÉtranger,
La Chute, on y retrouve une culpabilité qui évoque
Dostoïevski.
Lona
Des phrases longues.
C'est bien écrit.
De belles descriptions.
Beaucoup de tendresse et daffection.
(Je nai lu que la moitié. Mais je terminerai la lecture)
Le groupe de Tenerife
a lu Le premier homme le 11 février 2020
Nieves Galván
On dirait que le 60e anniversaire de la mort de Camus a mis à la
mode sa pensée et ses écrits. Partout des entretiens, des
débats, des documentaires. On peut penser, peut-être que
ses points de vue, autrefois très polémiques, nous aident
mieux à comprendre le monde où nous vivons aujourd'hui.
Quant au Premier homme, ouvrage inachevé de lecture pas
facile à cause de son écriture (descriptions des fois trop
longues, manque de ponctuation
), j'avoue que j'en ai tout de suite
senti de l'empathie pour cette "histoire du sud".
Impossible de rester indifférent aux présentations des membres
de sa famille :
- Le père, si jeune disparu, qu'il essaie de connaître à
40 ans
- La mère, symbole d'un esprit pur qui ne sait que regarder les
passants depuis son balcon, mais pour qui il sent tant de tendresse et
d'amour.
- La grand-mère à caractère très dur, mais
modèle de survie dans les plus grandes difficultés.
- Ernest, qui parle à peine et a du mal à marcher, mais
qui arrive quand même à se construire un mode de vie.
Attachant également le maître, auteur du succès de
Camus dans les études, jouant le rôle du père qu'il
n'a pas connu.
Tous les personnages principaux ou secondaires sont présentés
avec une grande sincérité, sensibilité et affection,
ce qui rend ce livre si proche et nous donne de véritables leçons
du comportement humain.
Le monde des sens est aussi présent tout le temps, la mer, la plage,
le soleil, les couleurs et les odeurs : celle des pauvres, c'est
la sueur et le vinaigre ; celle des riches, la glycine et le jasmin.
Ça m'a particulièrement frappé
Bref, c'est ce côté des sentiments et de la sensualité
que je voulais remarquer.
José Luis
Le premier homme se présente à moi comme un aveu
d'impuissance de la part d'Albert Camus. J'ai lu ce livre pour la première
fois il y a 25 ans, dans le train qui, de Paris, me ramenait à
Madrid. Il venait, la veille, d'être mis en vente et je l'avais
acheté. J'avais alors 51 ans et la lecture que j'en ai refaite
il y a un peu plus d'un mois me laisse avec la même sensation. Ce
jugement d'impuissance que j'ose exprimer avec une désinvolture
impardonnable a une double justification : d'un côté
Le premier homme, tel que nous le connaissons, n'est autre chose
ou du moins c'est ainsi que je l'ai vécu et dans le
passé lointain et dans le passé récent
qu'une réécriture des thèmes principaux de "L'envers
et l'endroit", qu'il a fait publier à l'âge
de 24 ans ; d'un autre côté, et en conséquence,
ce roman inachevé ne tient pas les promesses que son auteur avait
plusieurs fois exprimées quand il affirmait être en train
d'écrire un roman qui serait le grand roman du XXe siècle.
De cet ambitieux projet n'est arrivé à nous à
part quelques petits paragraphes isolés, quelques notes d'écriture,
etc. que ce déjà vu et lu que je viens
d'indiquer et, dans la section "Notes et plans" des Annexes
du volume de Folio que j'ai utilisé, le schéma de projet
d'écriture que voici (p. 350) :
"1re Partie Les Nomades
1) Naissance dans le déménagement. 6 mois
après la guerre. L'enfant. Alger, le père en zouave coiffé
d'un canotier montait à l'attaque.
2) 40 ans après. Le fils devant le père au cimetière
de Saint-Brieuc. Il retourne en Algérie. 3) Arrivée en Algérie
pour " les événements ". Recherche. Voyage à
Mondovi. Il retrouve l'enfance et non le père.
Il apprend qu'il est le premier homme.
2e Partie Le premier homme
L'adolescence : Le coup de poing. Sport et morale
L'homme : (Action politique (l'Algérie), la Résistance)
3e Partie La mère Les
Amours
Le royaume : le vieux camarade de sport, le vieil ami, Pierre, le vieux
maître et l'histoire de ses 2 engagements.
La mère.
Dans la dernière partie, Jacques explique à sa mère
la question arabe, la civilisation créole, le destin de l'Occident.
" Oui, dit-elle, oui. " Puis confession complète et fin.
Il y avait un mystère chez cet homme, et un mystère qu'il
voulait éclairer. Mais finalement il n'y a que le mystère
de la pauvreté qui fait les êtres sans nom et sans passé".
Je sais que la mort prématurée de Camus explique, à
première vue, que ce projet d'écriture soit inconclu, mais
il est aussi vrai qu'il avait plusieurs fois dit et même écrit
que s'il n'arrivait pas à réécrire, en ce nouveau
livre, L'envers et l'endroit, alors le roman serait un échec.
Pour moi ceci montre deux choses : 1. Le lourd poids de l'enfance,
et en particulier du rapport à la mère, dans la vie et l'uvre
d'Albert Camus, un poids qui si, d'un côté, est source d'inspiration
et lumière et blessure créative, de l'autre est un lieu
d'où il lui est impossible de se dépêtrer : 2. Le
lourd poids de la renommée, après la réception du
prix Nobel, qui plombe son travail de l'auto-exigence de faire aussi bien
ou mieux qu'avant. Dans ces conditions, réécrire L'envers
et l'endroit et, en faisant cela, revenir à l'enfance et y
rester le plus longtemps possible, peut être vécu comme très
rassurant.
Il est vrai aussi, pour essayer de rester honnête, que Camus, dans
ce livre, est en train de s'inventer une nouvelle écriture et que
l'effort que cela représente peut être vécu moins
douloureusement si elle est essayée dans des situations de vie
qui ont été déjà élaborées.
Et, en effet, un des plaisirs, pour moi, de cette relecture de Le premier
homme, a été de découvrir cette nouvelle écriture,
chose qui m'était passée inaperçue il y a 25 ans.
Une écriture faite de longs paragraphes sans points, de descriptions
minutieuses et souvent distanciées de paysages urbains ou ruraux,
d'objets, etc., qui font parfois seulement parfois !
penser à ce que les auteurs du nouveau roman sont en train de faire
à la même époque.
Ceci dit avec, je le sais, effronterie , Le
premier homme ne peut-être lu qu'avec une émotion soutenue
et une inévitable tendresse à l'égard non seulement
des différents personnages qui peuplent le roman ce
qui est le fait de l'écriture seule de son auteur mais
aussi d'Albert Camus, de l'Albert enfant et du Camus adulte aux prises
avec son enfance et avec son travail d'écriture.
Beaucoup d'autres choses pourraient être dites, mais j'ai déjà
été trop long et écrit de grosses bêtises.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert
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beaucoup
¾ ouvert
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moyennement
à moitié
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un
peu
ouvert ¼
|
pas
du tout
fermé !
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