Jaques Verdier s’est suicidé à son domicile. Il a laissé à l’attention du commissaire qui constatera les faits une courte lettre et un pli. Bien malgré lui, le défunt semble avoir provoqué depuis sa plus tendre enfance d’épouvantables accidents mortels...
Félix Vallotton (1865-1925)
La Vie meurtrière (rédigé en 1907, publié de manière posthume en 1927)
Nous avons lu ce livre en janvier 2014 (texte en ligne ici, avec sept dessins de l’auteur).
C'est l'exposition "Le feu sous la glace" au Grand Palais qui nous a décidés à découvrir ce livre.

Jacqueline
J'avais lu rapidement Machado de Assis, c'était un bon conte avec des résonnances voltairiennes... J'ai moins apprécié Vallotton : son livre me paraît non seulement daté mais dans son époque loin d'être à la pointe. Sur des sujets analogues, Maupassant, pourtant antérieur, me semble-t-il, était autrement percutant ! J’aurais bien voulu être sensible aux catastrophes successives provoquées par le narrateur, mais il aurait fallu plus de suspense dans le récit pour qu'il m'émeuve. Malgré le bonheur de quelques descriptions inattendues (est-ce le regard aigu du peintre ?), je cite par exemple "Déjà, par la fente du corsage ma main fouillait quand un cri m'échappa, un cri d'horreur et de dégoût. Au lieu de la douce chose espérée, mes doigts avaient senti je ne sais quel déchet grumeleux et desséché", tout cela est bien appuyé et lourdement amené... Reste la curiosité que peut susciter un peintre écrivain... Il semble qu'il ait écrit tard un autre roman que l'on dit être une somme désespérée... Je crois que j'en resterai là.

Monique D
J'ai bien aimé ce livre, j'ai été captivée par ces aventures. Le narrateur est assez terne, assez sinistre. Ce qui lui arrive est assez démoralisant ; il raconte de telle façon qu'on va inexorablement vers des meurtres. J'ai écouté une discussion entre Maryline Desbiolles auteur de Vallotton est inadmissible (Seuil), et Juan-David Nasio, auteur de L'Inconscient de Vallotton : Desbiolles était admirative, Nasio moins : il remarque l'amertume, la tristesse, la culpabilité, l'angoisse vis-à-vis de la femme qui séduit ; il souligne qu'il y a deux sortes de femmes chez Vallotton, la femme désirante qui le terrorise, et la femme maternelle qui le rassure. Le narrateur n'est pas "reluisant", est-ce une histoire vécue ? C'est bien écrit.

Annick A
Je l'ai lu il y a plusieurs semaines, j'ai eu du plaisir à le lire, mais l'histoire d'amour avec la femme mariée m'a lassée. La scène avec le sein montre la culpabilité, la répulsion et la pitié ; ça m'a rappelé Le Rouge et le noir. J'ai bien aimé, mais sans plus. Nasio explique que Vallotton a toujours porté en lui une culpabilité plus ou moins consciente. C'est bien qu'un peintre puisse aussi écrire. J'ai beaucoup aimé l'exposition.

Claire
J'ai adoré l’exposition que j’ai vu deux fois et beaucoup aimé le livre. Je n'ai pas associé le narrateur et le peintre, mais un tel peintre qui écrit un tel livre, c'est passionnant. J'ai lu d'autres écrits de Vallotton, c'est un personnage très sympathique. Mais le livre s'oublie très vite. J'ai trouvé délicieuses les expressions d’une autre époque : écrire un "poulet", "promenades à Robinson" (où j’ai habité). Le style est incisif, avec l’emploi du subjonctif un peu désuet mais très agréable. Je n'ai pas trouvé le livre sinistre, j'en garde un très bon souvenir.

Françoise
J'ai aimé ce récit, le style, l'écriture, les expressions anciennes. Je me suis demandé si c'était la même époque que Machado dont nous avions trouvé l'écriture très actuelle (mais c'est une traduction). Le narrateur porte Thanatos en lui et Éros en souffre ! Mais je veux penser qu'il nous raconte des accidents pas des meurtres.

Claire
L'artifice du premier chapitre est intéressant comme entrée en matière.

Françoise
Oui, j'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'une intrigue policière. Cependant il porte toute la faute sur ses épaules concernant Mme Montessac. C'est un cyclothymique, il change d'attitude sans arrêt avec Jeanne, avec Darnac. Je me suis demandé où était l'auteur dans tout ça ? Où il se situait vraiment ? J'ai eu du plaisir à lire ce livre tout à fait inhabituel, étrange, écrit par un peintre talentueux.

Brigitte
J'ai été décontenancée par la couverture. Je n'ai pas pu ne pas penser à une autobiographie, le fait que le personnage dise qu'il ne saisit pas le trait me le prouve. Ce qui est dit sur le modèle m'a rappelé la personne que j'avais connue comme modèle. Ce n'est pas Maupassant, mais il apporte sa personnalité. La dernière horreur est moins convaincante ; quel dommage que le sida n'existait pas encore. Contrairement à toi Françoise, j'ai apprécié les changements de "mood", c'est rare. Il aurait pu être écrivain et aller plus loin.
Marie-Thé
J'ai évidemment vu en Jacques Verdier Vallotton, le peintre. Dès les premières pages, la guerre et le flot des soldats sont des tableaux qui le marqueront à jamais, le conflit sera source d'inspiration (les nymphéas que Monet avait peints pendant la guerre ont d'autres couleurs). Le cadre de l'enfance, la nature, les maisons, les personnages, nous avons devant nous des tableaux, des portraits... Mais, l'ombre tuera Vincent, le "vert" empoisonnera Musso, le burin sera terrible chez le graveur Hubertin, Jeanne ne posera plus. A Paris, la description des toits me fait penser à Caillebotte. Quelquefois j'ai aussi pensé à Toulouse Lautrec, au Caravage... à Proust... Ce livre est une confession, c'est un livre sur la culpabilité, l'hérédité, "l'être malfaisant". J'ajouterai ceci : "Aimer est dangereux", je pense à Schopenhauer et à un autre livre bien différent mais où j'avais aussi dit cela, c'est La porte de Magda Szabo.


VOIX-AU-CHAPITRE Morbihan
13 cotes d'amour
s'échelonnent de FERME à GRAND OUVERT
exprimant la grande disparité de nos avis
concernant La vie meurtrière
     2       3       1       5         2


Ce qui a été apprécié :
- l'écriture, très 19e, syntaxe, emploi de l'imparfait du subjonctif, du passé-simple, vocabulaire précis, délicieusement suranné... des descriptions, des scènes, des portraits très visuels : une écriture de peintre... ; impossibilité de ne pas faire de liens entre l'artiste et l'écrivain, son œuvre dans sa diversité, la fiction et la réalité ; un réel plaisir de lecture
- une intrigue romanesque bien construite, une fine analyse des comportements : l'ordre et la lisibilité qu'aime Verdier (Vallotton ?)
- livre construit avec les ingrédients d'un récit fantastique : le chemin que prend le mal pour arriver à ses fins, faisant de Verdier une victime
- le titre : bel oxymore
- la beauté de la couverture
- les thèmes évoqués : la culpabilité et sa gestion quand aimer = danger pour autrui, la vie : ses hauts et ses bas, le temps qui passe sur les gens, les lieux, la vieillesse... ;
- le héros, humain dans ses failles et ses vertus, qui suscite compassion et/ou colère : une victime velléitaire ironique, sarcastique, lucide et cruel parallèlement lâche, égoïste, mesquin, arrogant, affichant un mépris pour les femmes, dans un univers proustien...
- la fonction de l'art exprimée ici : thérapie = aide à vivre...
- l'introduction du roman
- le marivaudage (histoire avec Madame Montessac).

Avis négatifs :
- histoire aléatoire, ennuyeuse, en particulier la seconde partie ; récit redondant dans les deux premiers tiers, manque d'élan ; très artificiel
- écriture gonflante, dialogues datés, "cuculs"
- gravures glauques, tourmentées
- noirceur, névrose du personnage.



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