Jean Cocteau
La difficulté d'être
Nous avons lu ce livre en juin 2015 et avons visité à Milly-la-Forêt sa maison, ainsi que la chapelle Saint-Blaise-des-Simples qu'il a décorée et où il est enterré avec son dernier compagnon, Marcel Khill.

Monique
J'ai eu un mal de chien avec ce livre qui m'est tombé des mains. Le style est lourd et ampoulé. Je ne dis pas que tout est inintéressant. C'est la manière, l'écriture. C'est le livre que j'ai le moins aimé depuis que je participe au groupe. J'ai du mal à analyser pourquoi je n'ai pas aimé. De façon brève, il y a des réflexions, des choses intéressantes. Mais c'est la façon dont c'est écrit… Je suis repartie plusieurs fois au début, mais en vain. Même le côté "people" n'a pas marché pour moi…

Annick LJ
Cela m'a ennuyée. C'est ampoulé : je me regarde écrire ! Je me suis forcée. C'est pourtant bien, le choix des fragments. J'ai aimé les autres œuvres de Cocteau que j'ai lues. Mais à chaque fois que je me préparais à arrêter, je tombais sur une réflexion lumineuse : sur lui-même, sur la littérature, sur des amis. La personne de Cocteau est narcissique et en même temps avec un doute permanent : ça c'est attachant. Mais il a un côté factice. J'étais partagée. Je ne suis pas emballée.

Rozenn
La maison t'a-t-elle réconciliée avec lui ?

Annick
Oui. La chapelle je l'ai vue autrement, par rapport à ses mondanités : cette chapelle montre en effet à la fin de sa vie quelque chose d'épuré, de plus essentiel. Il l'esquisse d'ailleurs dans le livre quand il parle de la sexualité, de l'amour.

Manuel
Je n'ai pas fini, j'ai beaucoup sauté… Il dit p.133 : "je contourne mon écriture, ce qui oblige à ne pas glisser en ligne droite, à s'y reprendre à deux fois, à relire les phrases pour ne pas perdre le fil". Je préfère presque perdre le fil... (Manuel lit un extrait de la préface en se gaussant…) Je le relirai quand je serai plus disponible. Je suis content d'être avec vous. J'aime l'œuvre cinématographique. On peut noter aussi que la visite comme le livre font l'impasse sur une certaine période.

Plusieurs
Laquelle ?

Manuel
Il suffit de dire qu'il est resté ami avec le sculpteur nazi qui a fait le buste dans la chapelle, Arnaud Breker :

Annick
Il a une position de dandy non engagé.

Sandrine
Je n'ai pas lu le livre. La Belle et la Bête, j'ai beaucoup aimé.

(le masque exposé que portait Jean Marais :
il fallait 5 heures pour le maquillage).

Sandrine
Ce que je ressens de la personne ne me donne pas envie de lire le livre : creux, superficiel.

Annick
Il vaut mieux lire Les Enfants terribles, Thomas l'Imposteur.

Mireille
J'ai lu un passage qui me plaisait à une amie. Elle me dit : "tu me relis pas, tu m'expliques". Bon… J'adore La Belle et la Bête. Ce qui m'a intéressée, ce sont les phrases lumineuses. Je n'ai pas compris sa maladie. Il est à un point incroyable touche-à-tout. J'ai beaucoup aimé le passage sur Proust. Cocteau m'a emmenée sur Internet pour en savoir davantage concernant des gens que je ne connaissais pas ; pour Genet j'ignorais le procès pour lequel Cocteau a témoigné en sa faveur. J'ai aimé ce qu'il raconte sur la frivolité. J'ai repris le livre en plusieurs fois. Il formule des autocritiques, mais pas l'envie de changer. J'ai été étonnée qu'il ne parle pas de Freud ; par exemple dans l'extrait qu'on a vu dans la maison du film Le Sang d'un poète, il s'agit bien de figurer l'inconscient. J'ai été étonnée aussi sur ce qui est dit de Jeanne d'Arc dont il est fan - je m'aperçois à ce sujet que je suis inculte. J'aime bien les descriptions de lui, des autres. Il est très mondain, au sujet de Picasso par exemple. Ce qu'il dit sur l'écriture m'a fait réfléchir. Il ne dit rien sur son enfance, sur sa sexualité.

Annick
Ça c'est étonnant.
(Nous avons remarqué que Cocteau avait un lit étroit. Jean Marais avait sa chambre à l'étage supérieur, mais quand même... Finalement cette statuette sur le bureau de Cocteau nous rassure : en effet, un petit lit suffisait.)

Lisa
Je l'ai lu en entier. J'ai beaucoup aimé.

Katell
Aaaah ! !

Lisa
J'ai fini il y a deux semaines, et je ne me souviens plus de rien. J'ai été embarquée. Il y a des passages intéressants, pertinents. L'écriture est pompeuse, mais j'aime (j'aime Nabokov...). Il y a une langueur. C'est un testament. Il y a de la nostalgie. Il est quand même critique à son sujet, c'est touchant, émouvant. Il y a des passages un peu plus philosophiques. J'ai commencé Les Enfants terribles, il y a la même atmosphère, même si l'écriture est différente. Quand je lisais La Difficulté d'être, j'étais hors du temps, j'ai failli rater ma station de métro, il m'emporte avec lui. Si j'avais à ouvrir, j'ouvrirais aux ¾.

Séverine
Je suis rassurée à vous entendre, car je me disais oh la la. Ce livre est entré en concurrence avec Americanah, et ne pèse pas lourd à côté ! Le livre me rappelle Les Propos d'Alain avec des thèmes.

Claire
C'est bien Les Propos d'Alain ?

Séverine
Oui. Cocteau, on ne s'approprie pas ce qu'il dit, il dérive par rapport au thème. Et avec ses name dropping ! On apprend des choses, mais ça ne parle pas. Comme Lisa je ne sais pas ce que j'ai retenu. Pourtant je pense que c'est un personnage intéressant. J'apprécie l'artiste, le touche-à-tout. Sa vie est un roman. Mais vos avis me rassurent car j'ai eu du mal à accrocher. Je vais essayer de le finir.

Brigitte
J'ai bien aimé, c'est facile à lire.

Claire
Ce n'est pas une qualité pour certains...

Brigitte
Ce que je trouve intéressant, c'est que je me sentais extérieure. Son écriture même est une œuvre d'art, il est polyvalent artistiquement. C'est un personnage très intéressant. Il est dans la création en permanence. Quelle panoplie ! Ce livre donne de l'unité à tout ce qu'il fait. On passe de l'autre côté du miroir. Ce qu'il dit de la création m'a plu ; il passe d'une idée à l'autre et pourtant il lui faut du temps. "Les mots ne doivent pas couler. Ils s'encastrent" ou encore "L'acte d'écrire se trouve lié à plusieurs contraintes : intriguer, exprimer, envoûter". Et sur la nature, p.126, qui est sans arrêt blessée : "la sérénité de la nature est une fable". J'ai lu La Machine infernale car ma petite fille l'a au programme de sa troisième. Bref, j'ai été beaucoup intéressée.

Jacqueline
J'avais plein de préjugés, pas très envie de le lire, mais de faire la visite, oui. J'avais lu Les Parents terribles. J'ai emprunté à la bibliothèque hier seulement le livre et je ne suis pas allée très loin. Le premier chapitre est très extraordinaire. Comme style, c'est original et intéressant. Quand il parle de son physique, c'est très touchant. J'avais emprunté aussi le livre chez Gallimard découvertes avec beaucoup de photos.Il y a un contraste entre son narcissisme et son manque de confiance, ça me touchait ça. Sur la littérature, j'ai abandonné. Ça part dans tous les sens, avec pourtant un style drôlement travaillé. C'est intéressant. Contrairement à mon habitude, j'ai finalement acheté le livre. Je ne suis pas convaincue que c'est un grand écrivain, il est touche-à-tout : mais c'est un jugement de valeur. C'est un bon titre, La Difficulté d'être, par rapport à l'homme qu'il était.

Sandrine
C'est un homme de com avant la com.

Jacqueline
Oui c'est la société du spectacle.

Annick
C'est quand même quelqu'un qui a cherché à faire de sa vie une œuvre.

Claire
Je n'avais rien lu de lui. J'avais fait une visite guidée de ses lieux à Paris dans le quartier de la Madeleine dont il parle dans le livre (rue d'Anjou il vivait chez sa mère, puis rue Vignon avec Jean Marais), j'ai visité à Menton un musée luxueux qui lui est consacré (mais je n'aime pas beaucoup ses tableaux, par contre je vous recommande la salle des mariages de la mairie qu'il a décorée…) et j'ai vu à la Philharmonie de Paris cette année le film La Belle et la Bête avec une musique de Philip Glass jouée en direct - j'ai adoré…

Katell
… c'est sans doute grâce à Philip Glass !

Claire
J'ai lu le livre en regardant le soleil de minuit en Norvège... et si j'ai des réserves (chapitres verbeux où on se perd sur le rêve, sur la frivolité, immodestie voire dédain pour autrui et modestie relevant plutôt de la pause), j'ai beaucoup aimé : je trouve le genre du livre original (cet autoportrait égrené avec des thèmes), il y a des portraits formidables (outre lui-même, Apollinaire, le chapitre sur Proust vraiment remarquable), sur la création c'est très intéressant (par exemple sur Le jeune homme et la mort - j'aime beaucoup ce ballet). Je trouve aussi l'écriture très intéressante : il dit que les mots le grisent et c'est vrai que parfois les formules ont un aspect "décoratif" comme son œuvre plastique (par exemple : "Thomas l'Imposteur est une histoire mais c'est un livre qui ne fait pas d'histoires"), mais d'autres sont percutantes (les "écrivains de table", vivre "la tête sous l'aile") ; l'écriture est rythmée, avec des variations (par exemple sur les mots "ils jouissent d'une vertu magique, d'un pouvoir de charme, d'une faculté d'hypnose, d'un fluide qui opère en dehors du sens qu'ils possèdent") ; les subjonctifs eux-mêmes peuvent donner du rythme ("faudrait-il que les critiques en explorassent la zone, en visitassent la mine, en admissent l'inconnu"…). Quand vous parlez du name dropping et dites qu'il n'est que mondain, je ne vous suis pas : tous ces artistes qu'il cite, ce sont ses collègues ! Du monde du cinéma (Chaplin, Dietrich), de la musique (Satie, Debussy), de la danse (Roland Petit, Isadora Duncan), de la peinture (Picasso) et de la littérature bien sûr (Colette, Genet, Alain Fournier…) : c'est vertigineux. Et sur son œuvre multiple, il dit à la fin de sa vie qu'il a tourné "sa cuiller dans tous les sens et qu'il ne reste rien au fond".

Katell
Ah ben oui !

Claire
Enfin, sur la lecture j'aime bien quand il parle de se déprendre d'un livre pour en lire un autre (p.109).

Serge d'Avignon
Quel plaisir de découvrir ses échanges avec Proust qui, chaque nuit, va lui lire Du côté de chez Swann, ses repas avec Marlène Dietrich, ses passages au cimetière pour des obsèques où "jamais le mort ne vient lui serrer la main", ses bavardages avec Colette, l'attention d'Apollinaire, ses copains Picasso, Max Jacob, André Salmon, sa résidence chez Louise de Vilmorin, un été avec Péguy, Mme Simone et Alain-Fournier. Sa faculté de rire aux éclats avec eux, le beau visage de Jean Genêt à qui il attribue "la beauté des criminels" et le fait d'être un grand écrivain français, les marins américains aux mœurs multiformes, Roland Petit qui le traduit en langage chorégraphique. C'est de toutes ses faiblesses jointes à ces rencontres extraordinaires qu'il nous offre une lecture aussi palpitante que passionnante. J'ai adoré ce livre, moi qui ne suis pas particulièrement fan de l'œuvre de Cocteau (alors que j'aime son œuvre cinématographique : je tiens Orphée pour un pur chef d'œuvre du 7e art). Il est vrai que j'aime à lire les créatifs lorsqu'ils explorent leurs œuvres et nous en donnent des clefs. Cocteau a été d'une grande franchise. Il ne triche pas, enlève tous les masques qui abondent dans son travail féérique et ainsi il nous devient très, très proche.

Katell
Je n'ai pas lu La Difficulté d'être, mais en entendant le goût de Brigitte, je le lirai.

Rozenn
Je l'ai lu jusqu'au bout. J'ai peiné. Je ne suis pas emballée. Il m'est antipathique. J'ai regardé Les Enfants terribles, le film, à 2,99 €. Puis j'ai repris le livre : la mort, la lecture, j'aime beaucoup. Il y a des pépites dans un bouquin prétentieux. Il voulait faire du Montaigne. La maison de me l'a pas rendu plus sympathique. La Belle et la bête, c'est magique. Je suis mitigée, partagée, et comme souvent d'accord avec vous tous. Je crois qu'il faut le reprendre par petits bouts. Mais je suis contente d'être avec vous et Cocteau : c'est fait...

Claire
Tu peux cocher : FAIT !

Liz
Je ne l'ai pas lu. Et je n'ai pas de désir de le lire après la visite de la maison. Il est égoïste, narcissique, et j'imagine que le livre est pareil. C'est fait pour la "fame", pour être dans la société, mais sans quelque chose de profond. Mais je suis très contente d'être dans ce village français avec vous. Et j'ai envie de voir La Belle et la Bête.


(dans la chapelle, sur la plaque où est enterré Cocteau)

D'autres photos de notre visite : ICI

Voici 6 AVIS du groupe breton "VOIX AU CHAPITRE MORBIHAN" réuni le 18 juin 2015 (Mone, Yolaine, Suzanne, Edith, Mariethé, Nicole)

Ce qui a emballé les unes, minoritaires :

- un chef d'œuvre intense, grand talent d'écriture
- la difficulté d'être particulièrement bien exprimée
- des pensées originales
- des portraits très réussis
- la laideur transcendée dans l'œuvre : la beauté est dans l'œuvre
- l'importance de la transmission dans l'œuvre
- de magnifiques pages sur l'amour, la mort, l'enfance, l'amitié, le rêve, le rire, la jeunesse, la beauté, le jardin
- l'univers de l'artiste, le contexte de l'époque
- la priorité donnée aux échanges oraux

et refroidi les autres :
- un livre inégal
- une écriture tarabiscotée, laborieuse, des passages obscurs, d'autres contradictoires
- une personnalité nombriliste, mondaine, agaçante
- un livre à côté duquel on peut passer et qui ne manque pas.
Marie Thé (avis transmis de Bretagne)
À l'opposé de Monique, c'est un des livres que j'ai préféré depuis que je fais partie du groupe... Fond et forme, j'ai tout aimé, même si certaines pages, sur l'art par exemple, me sont apparues difficiles, déroutantes, nous sommes ici chez Cocteau. Je retiendrai la beauté de l'écriture d'un auteur qui "confie aux mots sa douleur", évoque son physique non aimé et tant représenté : "ce désordre organique", "cette lèpre mythologique". La souffrance du corps et les tourments occupent une place importante dans le livre, les microbes : "Ils vivent de moi.", "Il est insupportable d'être l'habitacle d'une peuplade dont on ignore les usages." Cocteau dit : "les forces qui me machinent", "employer mon encre malade" et aussi : "ceux qui m'approchent ressemblent à Belle lorsqu'elle redoute un monstre et découvre une bonne bête qui ne veut qu'atteindre son cœur". Ou encore : "Vite que je construise mes traits d'encre pour remplacer ceux qui s'en vont" ; ou évoquant les ballets, "cette figure que tout poète, jeune ou vieux, beau ou laid, tâche de substituer à la sienne et charge de l'embellir." A noter l'importance de la conversation : "converser avec vous", "ma jouissance n'en est pas une si je ne peux en faire échange avec quelqu'un" ; le monde de l'enfance et "cette illusion qu'elle a de vivre dans des lieux uniques au monde" ; les maisons, nos maisons : "elles nous imitent et nous rendent ce que nous leur donnons", le Palais Royal : " j'y ai vécu quatre années, sous les insultes, frappé dans mon œuvre et dans ma personne", mais il est "un charme... que le Palais Royal opère sur certaines âmes". Et puis apparaît "La résidence où j'espérais trouver la paix. Son décor se superpose à ceux qui me servirent. Les arbres s'enchevêtrent..." et "...la maison qui m'attendait..." J'ai été sensible à toutes ces pages, comme à celles évoquant le travail et l'univers de l'écrivain, de l'artiste, ou encore l'amitié, le rêve, le rire, la jeunesse, la beauté, la sexualité. La beauté, "ruse de la nature pour attirer les êtres les uns vers les autres" ; "la beauté dans l'art... féconde les esprits." Encore ceci vers la fin : "Et je vous quitte. Sans vous quitter, cela va de soi, puisque je me suis mêlé à mon encre..." Ce livre est remarquable.
Voici ce qu'en disait Cocteau : "Je sais fort bien ce qu'on dira de ce livre. L'auteur nous exaspère avec sa personne. Qui donc fait autre chose ? A commencer par les critiques, lesquels ne jugent plus objectivement, mais par rapport à eux."
Je conseille moi aussi la visite du musée Cocteau à Menton, pour découvrir les univers de Cocteau, l'Ange Heurtebise représentant Raymond Radiguet, etc. J'arrête là, je n'en finirais pas de parler de Cocteau et de La difficulté d'être. Pour moi, il a fait de sa vie une œuvre d'art (j'ai entendu la même chose pour Visconti ce matin).




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La quatrième de couverture :
Cocteau le fabuliste, l’esthète, le moraliste. Un ludion, toujours partout et nulle part, insaisissable, virevoltant joyeusement dans tous les styles et tous les genres. Avec La Diffculté d’être se découvre un homme qui, mieux que beaucoup de ses contemporains, a éprouvé le sens du tragique. Confessions, anecdotes, réflexions sur les choses de la vie ordinaire, confidences sur l’époque, témoignages : autant de tableaux superbes qui composent les variations, à la fois graves et légères, d’une âme vagabonde.

"Je n’attache aucune importance à ce que les gens appellent le style et à quoi ils se flattent de reconnaître un auteur. Je veux qu’on me reconnaisse à mes idées ou, mieux, à ma démarche. Je ne cherche qu’à me faire entendre le plus brièvement possible. J’ai remarqué, lorsqu’une histoire n’accroche pas l’esprit, qu’il avait tendance à lire trop vite, à savonner sa pente. C’est pourquoi, dans ce livre, je contourne mon écriture, ce qui oblige à ne pas glisser en ligne droite, à s’y reprendre à deux fois, à relire les phrases pour ne pas perdre le fil."
Jean Cocteau.