Klee : Scène guerrière
de l'opéra-comique fantastique
"Le navigateur" (détail)
Quatrième
de couverture :
"Errant seul de nouveau dans ces étendues
sans fin où il lui semble que personne avant lui n'a été
tenté de s'aventurer... Aucune trace nulle part. Aucun jalon ici
ni point de repère qui permette de conserver le sens des proportions.
La plus inoffensive bestiole alerte toute l'attention, paraît aussi
effrayante qu'un tigre...
Tâtonnant, cherchant, mais quoi ? Il n'en sait trop rien. Cela
ne porte aucun nom..."
Là où une uvre littéraire
prend naissance, grandit, ou meurt...
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Nathalie Sarraute
Entre la vie et la mort
En présence d'Ann
Jefferson, professeure à Oxford, qui a contribué à
l'édition de la Pléiade, et qui prépare une biographie
sur Nathalie Sarraute.
Nous avons lu ce livre en septembre
2014. Nous avions lu auparavant dans le groupe Les
Fruits d'or en 1991 et Enfance
en 1997.
Mireille
J'ai eu beaucoup de mal, j'ai été déroutée.
J'avais aimé Enfance
et Pour
un oui pour un non. Ici, je n'ai pas toujours compris qui est
"il" ou "elle". J'ai été intéressée
à partir de "Combien t'a-t-on pris pour publier ça ?"
Et quand une mère, peut-être, parle à son fils. Et
le passage aussi où c'est ce qu'"il" a lu de mieux depuis
6 mois, l'impression qu'un journaliste intervenait
Manu
C'est un livre déroutant mais qui me plaît et m'intrigue.
J'ai aimé la couverture avec le tableau de Paul Klee qui introduit
des changements comme N. Sarraute le fait dans la narration. J'ai
aimé les jeux de mots, les répétitions. Malgré
tout c'est déroutant car on a envie de comprendre et on ne comprend
pas forcément.
Françoise D
J'ai laissé tomber avant même la moitié, on ne comprend
rien. Ce sont des effets de langage. Il y a la musique des mots, mais
sur la longueur c'est insupportable, je n'ai pas tenu.
Claire
Je me suis rendu compte que j'avais une série de livres de Sarraute
dans ma bibliothèque ; j'ai surtout souvenir des pièces
que j'avais appréciées, fortes (Isma,
Elle
est là, Pour
un oui pour un non que j'ai vu plusieurs fois dans différentes
mises en scène). J'ai lu ce livre avec effort, me demandant qui
peut lire ce type de livre aujourd'hui - innovant hier - à part
des étudiants : cette écriture fait partie de l'histoire
de la littérature, à connaître donc. Je fais l'hypothèse
que son théâtre perdure bien davantage. J'ai tapé
dans Google "Nathalie Sarraute + chiant" et il y a de quoi lire
Annick A
Je n'avais rien lu. Le théâtre, j'avais aimé. Au début
de ma lecture, j'étais paumée, puis j'ai énormément
aimé. Elle dit sans dire. On voit ce que c'est qu'écrire,
que l'écrivain devient écrivain, les moments de découragement
et les moments de "création", fantastiques, inédits.
Les mots sont des êtres vivants Je n'ai pas eu le temps de finir.
Je vais en lire d'autres. Et c'est parfois très drôle, par
exemple les réactions d'écrivains, les tableaux vivants
qu'elle dresse. On n'écrit plus maintenant des livres comme ça.
Brigitte
J'en ai lu d'autres et Enfance,
plus facile. Elle me fait penser à Picasso. Elle est capable d'écrire
comme on aimerait qu'elle écrive et elle ne veut pas. Dussolier
et Trintignant ont bien rendu la subtilité de Pour
un oui pour un non. Vous
les entendez ? m'avait énormément plu. Celui-là
je me suis dit oh la la et puis je me suis dit je vais me laisser emporter.
J'ai testé sur ma petite fille le passage avec l'enfant, elle dit
qu'elle n'aimerait pas qu'on lui trace ainsi sa voie. J'ai pensé
à nous dans l'épisode de la salle d'attente de la gare :
chacun ne voit pas la même chose que les autres (comme pour les
livres). Le livre est très intéressant, mais 600 pages je
n'aurais pas pu
Sandrine F
J'ai découvert Nathalie Sarraute grâce à mon fils
car Pour
un oui pour un non était au bac de français. J'ai
regardé aussi la pièce. Si lui n'a pas aimé, ce n'était
pas mon cas et heureusement que je l'avais lu avant ce livre. Au début
c'était le désarroi, mais tout en ayant envie de continuer.
J'ai ressenti le dédoublement de l'écrivain entre la vie
et la mort. L'écrivain quand il écrit peut s'affranchir
des règles, puis il doit retourner à la vie quand il faut
faire connaître son livre. Ce qui l'intéresse est l'indicible,
l'invisible ; Paul Klee disait justement : "L'art ne reproduit
pas le visible, mais le rend visible". Pour Nathalie Sarraute,
écrire semble un besoin, puis il faut revenir dans la vie réelle.
Je l'admire car c'est une femme libre qui fait fi du lecteur ; elle est
entièrement dans ce qu'elle fait. Quand on met bout à bout
ses mots, cependant on a du mal à s'y retrouver. Je cherchais un
personnage conventionnel puis j'ai renoncé et du coup c'était
mieux. Quand je m'en suis libérée, j'ai pris du plaisir
à cette lecture. Mais je devrai la reprendre
Monique S
J'avais lu Enfance
et l'avais étudié à la fac dans un cours de Jean-Yves
Tadié. J'ai lu Tropismes
que je trouve une bonne entrée dans cette uvre. Nathalie
Sarraute s'attache à des résonnances dans les banalités ;
c'est une littérature novatrice, expérimentale, donc datée.
Elle a un rapport avec la psychanalyse ; c'est l'époque de
Butor, de Queneau, qui travaillaient sur la langue. Au début j'ai
eu du mal : les 20 premières pages paraissent difficiles, compliquées.
Plus j'ai avancé, plus j'ai été prise : la réaction
du père quand son fils lu annonce qu'il est publié, la description
de la communauté des écrivains, comment se fait la genèse
de l'uvre littéraire (en général les auteurs
ont beaucoup de mal à expliquer comment ils écrivent, elle
traite là de ce sujet). Cependant, je n'aime pas comment elle sacralise
l'écriture et l'écrivain, je préférerais qu'elle
les réfléchisse comme un artisanat ; elle présente
une vision très classique de l'écrivain. De même,
elle utilise énormément les métaphores et cela aussi
c'est très classique. Elle est à la fois novatrice et classique.
Monique D
Je viens d'aller à un colloque de plusieurs jours sur Marguerite
Duras et j'ai eu du mal avec Nathalie Sarraute, il m'a fallu me forcer
un peu, car c'est sec, intellectuel. Je suis touchée par la femme,
par sa démarche, par le sous-texte. Mais ça me reste extérieur
(je préfère Duras).
Geneviève
J'ai lu la moitié. Nathalie Sarraute, c'est un souvenir de fac.
Les Fruits d'Or m'ont ennuyée. Pour un oui pour un non
avec Balmer, avec Dussolier, cela m'avait plu ; c'est un texte
très important. J'ai beaucoup aimé Enfance. Entre
la vie et la mort, je ne pensais pas que je réussirais
à y entrer : cela se lit comme de la poésie. Je suis
surprise, j'ai même réussi à ressentir ce que propose
Nathalie Sarraute. Je vais sans doute aller jusqu'au bout. J'admire cette
finesse, ce ressenti du minuscule. A mon avis, ce n'est pas daté.
Je suis contente d'être parvenue à entrer dans le livre.
Jacqueline
Pour moi, le livre n'est pas daté mais, ici, j'ai le sentiment,
moi, d'être datée : quand j'étais jeune, c'était
l'engouement pour le nouveau roman et j'avais une estime paticulière
pour Sarraute ou Claude Simon. Comme Claire, j'ai encore plusieurs de
ses livres, Le
planétarium bien usé, d'autres quasi neufs...
Enfance
que j'ai beaucoup aimé y tient une place à part que je regrette
de ne pas avoir su faire partager à ma mère (je le lui avais
offert !). J'y ai appris que l'enfant forme sa pensée à
travers les désaccords des adultes plus que face à leur
unité et je m'y réfère souvent... Je ne connais pas
son théâtre. Pour l'instant je n'ai encore lu qu'un tiers
de Entre
la vie et la mort, une lecture parcellaire sans vision globale,
mais c'était un émerveillement. J'ai trouvé des choses
extraordinaires sur les réactions de prestance, les relations aux
autres, les bribes de conversations... J'ai aimé les passages sur
l'enfance, les jeux de mots évoqués par le bruit du train.
J'ai pensé à Walter Benjamin qui, un peu différemment,
parle aussi de ce qu'évoquent les assonnances. Aussi vais-je continuer
cette belle lecture...
Lucie
Ça m'est tombé des mains, ce roman sans personnages, cette
réflexion sur l'écriture juxtaposée sans structure
aucune. C'est comme une peinture cubiste.
Petronela
C'était ma première rencontre avec Nathalie Sarraute. J'ai
beaucoup aimé, je me suis laissé aller sans me poser de
questions, dans cette relation entre l'écrivain et les mots, comme
un sculpteur avec la matière. J'ai beaucoup aimé ce qu'elle
dit de l'écrivain, de l'uvre comme une cathédrale
vide ; cela m'a fait beaucoup réfléchir, notamment
comment un mot mal prononcé retarde la mort d'un soldat (p. 645
dans la Pléiade), l'épisode de Michel Ange l'écrivain
élaguant son texte comme un sculpteur (p. 647), la relation
d'attraction, de rayonnement entre les mots (p. 661) qui s'appellent,
se donnent rendez-vous, se recherchent.
Ann
C'est très intéressant pour moi d'entendre les remarques
négatives et les perspectives plus enthousiastes. Je suis frappée
par la place qu'occupe Pour un ou pour un non. Je prépare
une biographie de Nathalie Sarraute et ce qu'elle représente pour
les lecteurs d'aujourd'hui m'intéresse beaucoup. C'est vrai que
le début n'est pas clair, c'est vers la fin du livre qu'on s'y
retrouve mieux. Le texte évoque la fragilité de l'écrivain
quand il va dans le monde et essaie de partager son expérience
et le monde lui renvoie une image de lui-même qu'il ne projette
pas ; ces images qu'on lui renvoie lui font honte, il veut s'en évader,
ne pas être enfermé par elles, mais parfois il se laisse
aller dans ces projections. Cette instabilité, dont il fait l'expérience,
quand on essaie de la partager, tout d'un coup, ça ne communique
plus, l'autre devient l'ennemi. Je constate que la Pléiade n'est
pas assez aérée. L'édition folio est plus facile
à lire.
(Nous comparons avec l'édition de poche qui a des chapitres,
des aérations entre paragraphes.)
C'est un texte je crois qu'il ne faut pas lire d'un trait. Nathalie Sarraute
pense par morceaux mais pas de façon continue
Claire
A nous entendre, on voit que ceux qui ont aimé, s'ils ont été
déstabilisés au début, se sont rapidement "laisser
aller" : ne faudrait-il pas donner un mode d'emploi au lecteur
?
Ann
Il y a aussi des gens qui sont sensibles aux expériences qu'elle
raconte et d'autres qui ne le sont pas.
Ann Jefferson répond à nos questions :
- pourquoi-comment elle s'est intéressée à Nathalie
Sarraute : elle l'a découverte étudiante à Aix-en-Provence
alors que dans ses études on n'allait pas plus loin que Gide
,
elle a fait sa thèse sur elle
- l'édition de la Pléiade dirigée par Jean-Yves Tadié :
l'auteure aurait aimé qu'il n'y ait pas d'appareil critique
,
elle a écrit un texte après les uvres complètes
- l'attitude du mari
, les trois filles
, une petite fille très
engagée dans la protection de l'uvre
- les manuscrits
accessibles seulement 40 ans après sa mort.
Ann consulte en revanche toute la correspondance
elle gardait les
brouillons de lettres
elle connaissait "tout le monde"
- Sarraute était très sollicitée et comme elle parlait
plusieurs langues (anglais très bien, elle est née en Russie,
elle a passé un an à Berlin
), c'était pratique
pour les conférences
- etc.
Le groupe a programmé plusieurs fois Nathalie
Sarraute :
- en 1991 : nous avions lu Les Fruits d'Or car nous avions
repéré que le texte était adapté au théâtre
(de la Villette) et mis en scène par Élisabeth Chailloux ;
nous avions eu une rencontre avec elle (rien que "pour nous"
après la pièce)
- en 1997, il y a donc 17 ans : nous avions lu Enfance ;
avaient aimé Brigitte, Monique S, Marie-Christine, Christophe.
Étaient plus ou moins réservés : Henri-Jean,
Christine, Claire, Sabine, Céline, Rebecca.
- en 2019, le nouveau groupe Voix au chapitre lira à son
tour Enfance ;
aimeront : Anne, Ana-Cristina, Anlon, Audrey, François, Monique M,
Valérie ; seront réservés : David, Emilie ;
n'aimera pas du tout : Françoise H.
Des publications d'Ann Jefferson
- "Nathalie
Sarraute comme comédie de la critique", communication
lors de la soirée dhommage à Nathalie Sarraute à
la BnF, 9 mai 2001, publiée sur remue.net
- Un article savant sur le livre que nous avons lu : "Entre
la vie et la mort : Nathalie Sarraute devant l'histoire littéraire",
Ann Jefferson, The Romantic Review, Columbia University, vol. 100,
n° 1-2, janvier-mars 2009.
- (Après sa visite dans le groupe) "Amitiés
féminines et entrée en littérature : Simone
de Beauvoir, Violette Leduc et Nathalie Sarraute", Ann Jefferson,
Perspectives (Journal du Réseau
français des Instituts détudes avancées),
n° 14, printemps-été 2016
- La biographie : Nathalie
Sarraute, Flammarion, coll. "Grandes biographies", 2019.
Claire rend compte de sa lecture enthousiaste ICI.
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