Dans cette édition ci-dessous, Moderato cantabile
est
suivi de "Moderato cantabile dans luvre de Marguerite
Duras"
par Gaëtan Picon
et de "Moderato cantabile et la presse française".
La quatrième de couverture : "Quest-ce que ça
veut dire, moderato cantabile ?
Je ne sais pas."
Une leçon de piano, un enfant obstiné, une mère aimante,
pas de plus simple expression de la vie tranquille dune ville de
province. Mais un cri soudain vient déchirer la trame, révélant
sous la retenue de ce récit dapparence classique une tension
qui va croissant dans le silence jusquau paroxysme final.
"Quand même, dit Anne Desbardes, tu pourrais ten souvenir
une fois pour toutes. Moderato, ça veut dire modéré,
et cantabile, ça veut dire chantant, cest facile.
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Marguerite Duras
Moderato cantabile
+ un autre livre au choix
Les couvertures des 29 livres que nous avons lus ou
évoqués figurent ci-contre.
Nous avons lu ce livre en février
2015. Nous
avions lu auparavant Le Ravissement de Lol V. Stein (en 1989) et
La Douleur
(en 1993).
Monique L
J'ai lu Moderato Cantabile et L'Amant. L'écriture
m'a fascinée. L'attention va croissante. J'ai essayé d'analyser
l'écriture, une écriture en creux et très évocatrice.
On ressent le malaise. C'est court et épuré. J'ai préféré
la lecture au film. L'écriture faire ressentir avec peu de moyens
une tension, un malaise. Moderato Cantabile : ouvert en grand.
L'Amant, ce n'est pas l'histoire qui m'intéresse spécialement,
mais la manière dont c'est raconté. C'est mieux qu'Un
Barrage contre le Pacifique. Il y a des allers-retours entre
le passé et le présent. Beaucoup d'émotion. Duras
conjugue avec finesse pudeur et impudeur. Le style est décousu,
mais c'est comme ça que ça marche dans le souvenir. L'Amant :
ouvert aux ¾.
Manon
Duras, c'est mon auteur absolu. C'était le sujet de mon mémoire
de maîtrise. Je les ai tous lus. J'ai aimé surtout Le
barrage, L'Amant, L'Amant de la Chine du Nord. J'aime moins Moderato
Cantabile car c'est plus loin de sa vie. L'Amant, je relis
quand je vais mal. J'aime tout en fait. J'ai lu comme deuxième
livre Cet amour-là d'Yann Andréa que je n'ai pas
aimé : c'est une redite informe, c'est très long ;
cela me donne une image de Duras qui me perturbe.
Monique S
J'ai tout lu de Marguerite Duras. J'ai relu Moderato Cantabile.
Marguerite Duras dit quelque chose du désir féminin, ce
quelque chose va au-delà des mots, au-delà de la raison.
Ce sont des fêlures qui se caressent entre l'homme et la femme,
d'inconscient à inconscient, la liberté qu'on se donne dans
la faille du désir. En même temps, il y a l'instinct de vie
et l'instinct de mort : la femme demande à son amant de mourir
de sa main. Elle ne dit pas tout. L'homme qui marche autour de sa maison
semble déjà bien connaître les lieux : on peut se
demander s'ils n'ont pas déjà "consommé".
L'Homme assis dans le couloir, où on ne sait pas trop si
la femme est endormie ou morte, peut susciter un très grand malaise
- je l'ai vécu dans des ateliers d'écriture. Je ne
connais pas d'autres écrivains du XXe siècle qui ont pu
parler ainsi du désir de la femme. Ouvert en grand.
Annick A
J'avais lu quand j'étais plus jeune Le Ravissement de Lol V.
Stein sans comprendre, à part le début et la fin. Maintenant
j'aime. J'ai lu Moderato Cantabile, L'Homme dans le couloir qui
est très érotique. Le Ravissement de Lol V. Stein
a beaucoup intéressé les psychanalystes ; Lacan a rencontré
Marguerite Duras : il lui parle alors de Lol pendant deux heures ;
ce livre a provoqué de nombreux écrits sur l'identité
féminine (cf. l'hommage
rendu par Lacan, en 1965 dans les Cahiers Renaud-Barrault, lu par
Christine Angot) ; quand la femme n'est plus sous le regard de l'homme
qu'elle aime, elle se perd. L'écriture de Moderato est très
belle. J'ai beaucoup aimé la scène du repas quand l'héroïne
rentre chez elle. Elle est avec les autres et est totalement ailleurs
: et on la voit ! Dans Lol V. Stein, Duras sait écrire
ce qu'est le vide, ce qu'est le rien : elle a dit qu'elle aurait
voulu être Lol V. Stein. J'ai vu l'interview
donnée à Dumayet, extraordinaire. Duras se tente de traduire
ce qui est en elle l'indicible.
Lisa
J'ai lu Moderato Cantabile et L'Amant. Je découvre
Marguerite Duras. Moderato Cantabile a une écriture poétique,
assez simple. Je vois l'innovation littéraire, mais je ne vois
pas le plaisir du lecteur. Je ne comprends pas le livre. C'est chiant
comme la pluie ! Sauf l'écriture. Mais pas d'histoire, pas
d'intérêt. Livre fermé.
L'Amant, c'est un peu mieux. Le style est agréable. Il se
passe quelque chose. Des descriptions sont réussies avec ce style
épuré où elle a réussit à faire ressortir
l'ambiance. Je ne vois pas du tout de passion, pas de désir :
c'est froid. À demi ouvert.
Liz
Je découvre Marguerite Duras. C'est un plaisir de lire une uvre
d'un auteur très célèbre. Lire en français
pour moi c'est comme une histoire. J'ai observé les temps qui évoluent
dans le roman : passé simple très difficile en français
pour moi, puis imparfait, après le présent et, à
la fin, le futur. L'histoire est vague, suggestive, combinée avec
mon français en développement, c'est difficile à
comprendre. Je ne comprends pas toujours qui parle dans les dialogues.
J'ai vu le film qui est plus facile à comprendre : les dialogues
sont plus clairs. J'ai été intéressée par
la relation entre Anne et Chauvin, intéressée aussi par
l'enfant qui est obstiné pour refuser de jouer du piano. Pour Chauvin,
cette relation est la chose la plus importante de sa vie. De même,
pour Anne. C'est une bonne expérience, cette lecture, mais on est
un peu dans le brouillard
Henri
Duras exprime aussi énormément le désir masculin.
J'ai lu Moderato Cantabile, heureusement très différent
de Modiano ! Un style qui explose d'emblée : pouf ! Cela me
fait penser à la technique de Miles Davis, de ses notes fantômes
(elles ne sont pas jouées, mais dans la foulée d'autres
notes, l'esprit les entend) : tout se joue dans les blancs, sans
qu'il y ait pour autant d'ambiguïté. Je trouve que certaines
phrases de Duras sont du même ordre, on les complète ou elles
se complètent d'elles-mêmes). Dans le livre, tout se passe
à la même heure, le soleil éclaire le fond de la salle.
J'ai aimé les critiques à la fin. À partir d'une
des dernières rencontres, on commence à sentir le procédé,
comme le signale l'une des critiques. Duras écrit comme elle parle,
ce sont les mêmes silences. J'ai lu Le Ravissement de Lol V.
Stein, mais je suis passé à côté (sauf
le style). J'ai lu Le Marin de Gibraltar il y a longtemps, qui
m'a fait énormément d'effet. J'avais eu l'impression d'être
en symbiose avec une portion d'indicible. Mais je n'ose plus le relire.
ON RENTRE OU PAS dans les livres de Duras. Pour moi, elle ne représente
pas seulement le désir féminin, mais plutôt quelque
chose d'existentiel. Moderato Cantabile ouvert 4/5 ou 8/10, Le
Marin de Gibraltar en grand.
Danielle
Moderato Cantabile, c'est une merveille de style. Elle me renvoie
à L'Année dernière à Marienbad :
c'est un peu la même ambiance. Il y a une part de mystère,
de non-dit, de suggéré, de décalage : c'est
perturbant et fascinant. Anne est un peu distante, Chauvin semble percer
un peu son intimité. Je pense qu'ils n'ont pas eu de rapports avant,
que Chauvin fait le voyeur depuis longtemps autour d'elle. Elle ne répond
jamais à ses efforts d'approche. On trouve la même distance
avec l'enfant. Dans ce trio prof-enfant-mère, la mère est
bienveillante et aussi distante. Les subtilités sont très
bien rendues par le style, la confiance, le mal à l'aise
L'effet de distance que Duras laisse planer contribue au mystère.
Chauvin essaye de la séduire, c'est surtout dans la suggestion.
J'ouvre 100%.
J'ai lu Le Barrage dans le Pacifique, c'est beaucoup plus une histoire
qui est racontée. J'ai moins aimé. La solitude dans un pays
hostile, avec l'emprisonnement dans sa condition.
Rozenn
"Des femmes, à la cuisine, achèvent de parfaire
la suite, la sueur au front, l'honneur à vif, elles écorchent
un canard mort dans son linceul d'oranges. Cependant que rose, mielleux,
mais déjà déformé par le temps très
court qui vient de se passer, la saumon des eaux libres de l'océan
continue sa marche inéluctable vers sa totale disparition..."
: cela me fait rigoler ! J'ai lu La Douleur, que je mets à
part, et que j'ai aimé. Les autres, je n'aime pas. Je ne supporte
pas la vision qu'elle donne des rapports hommes femmes. Des femmes bêlantes,
passives...
Annick A
Pas du tout !
Rozenn
Je suis stupéfiée par le fait que les féministes
adorent. Il y a quelque chose de très séduisant, mais ça
m'emmerde. C'est surfait ! Ça relève du procédé,
ça sonne faux !
Manu
Pour Moderato Cantabile, je rejoins Rozenn. Je trouve cela trop
obscur. Est-ce du français ? Les dialogues ne sont pas toujours
cohérents. C'est du procédé. J'avais l'impression
de voir Modiano avec des phrases inachevées... et quand elles se
terminent, on ne sait pas ce que ça veut dire. Je ne comprends
pas cette femme, ce meurtre, c'est surréaliste, abstrait. C'est
une époque : je trouve ça daté, comme Sarraute
; la recherche formelle est datée, démodée même
je trouve. Je suis interloqué par le titre : y a-t-il de la
musique ? Par rapport à ce que dit Henri de la musique, Miles Davis,
pour moi c'est Céline, avec ses points de suspension, qui laissent
toute la place dans la suggestion. Ici, elle suggère, mais on ne
sait pas quoi ! C'est pathétique. J'ai vu le début
du film, c'est bien retranscrit.
Charlotte
J'aime beaucoup Duras et je l'ai beaucoup lue. J'ai aimé tout ce
que tu as détesté, Manuel... J'ai aimé l'ambiance,
cette femme enfermée dans une grande solitude, ses mouvements circulaires,
ses déplacements limités : tout est fermé, avec un
sentiment d'étouffement. Ce meurtre, c'est ce qui permet l'ouverture.
Ce meurtre existe déjà dans le livre Dix heures et demie
du soir en été. L'héroïne assiste à
un crime passionnel qui la fait sortir de son enfermement, de sa routine.
L'écriture va avec, avec l'indicible, le sous-entendu. L'écriture
est si forte qu'elle devient un peu le personnage principal, c'est le
sens de la force des mots. Il y a un aspect poétique qui nous emporte.
C'est un peu proche du nouveau roman (Sarraute). Tous ses textes sur l'écriture
sont magnifiques ; de même, ceux sur le désir frustré.
La Vie matérielle comporte un chapitre sur les hommes :
"Les hommes sont des homosexuels. Tous les hommes sont en puissance
d'être des homosexuels, il ne le manque que de le savoir, de rencontrer
l'incident ou l'évidence qui le leur révélera."
Claire
Mais est-ce que ça veut pas dire que les hommes sont inaccessibles
à ses yeux ? Je l'interprète comme cela.
Charlotte
J'interprète comme la part homosexuelle des hommes avec une forte
propension à la sensibilité féminine.
Jacqueline
J'ai découvert Moderato Cantabile : je l'ai pris comme
un coup de poing. La scène avec l'enfant et d'une violence extrême.
J'ai lu aussi Ernesto, un livre pour enfants, que je n'ai pas aimé.
Annick L
Oui ce n'est pas une réussite.
Jacqueline
J'ai été subjugué par Moderato Cantabile,
tout au long : cette rencontre cette femme bousculée, la scène
du repas. J'ai marché complétement, j'ouvre en grand. Mais
le lecteur doit mettre dans ce livre ce qu'il a envie d'y mettre. On lui
laisse on lui laisse beaucoup de place. C'est la même atmosphère
dans Dix heures et demie du soir en été, l'atmosphère
du port. J'ai relu La Douleur qui m'avait bouleversée. À
la nouvelle lecture, je n'ai rien retrouvé, sauf l'attente.
Monique et Annick L
Mais il n'y a pas que l'attente, il revient.
Annick L
Oui, et c'est terrible, elle ne l'aime plus.
Jacqueline.
Je n'ai pas vu ça, je n'ai lu que l'attente je vous assure. J'ouvre
à moitié.
Claire
Quand tu auras lu la deuxième moitié du livre, tu ouvriras
en grand.
Denis
J'ai trouvé Moderato Cantabile difficile à lire,
j'ai eu tendance à sauter des pages. J'avais aimé Les
Petits chevaux de Tarquinia, l'homme qui est bien campé. J'ai
lu Dix heures et demie du soir en été, qui commence
comme Moderato Cantabile. Moderato - on n'a pas insisté
sur l'enfant - s'ouvre sur l'enfant : chez Duras, les enfants ont
toujours un rôle central, tout en étant en marge du récit.
On trouve très souvent chez elle la souffrance des enfants. Et
aussi l'alcool. J'ai moyennement aimé Moderato. Il y a de
très belles descriptions, les dialogues sont
plouf. J'ai
vu le film qui est beaucoup plus classique : il y a de quoi tomber amoureux
de Jeanne Moreau qui joue Anne ! Le film éclaire le texte,
il perd son caractère énigmatique. La prose de Duras est
angoissante, je ne vous conseille pas de faire ce que j'ai fait :
réveillé à cinq heures du matin, je suis plongé
dans le livre, ce n'est pas une bonne idée. Bref c'est une expérience
de lecture et une époque que je ne regrette pas. Ouvert à
moitié.
Claire
Je me demande, à entendre les réticences des jeunes, si
ce n'est pas un auteur pour les vieux...
Manon
Et moi j'adore Duras !
Claire
Mais tu l'as découverte et aimée par l'étude.
Manon
J'ai choisi Duras pour mon mémoire parce que je l'aimais !
Claire (avis trop long)
Duras, comme Modiano, pour moi c'est une époque : des pièces
de théâtre de Duras, des acteurs (Madeleine Renaud, Bulle
Ogier...), un metteur en scène (Claude Régy), un théâtre
même (celui des Renaud-Barrault qui a changé plusieurs fois
de quartier), une musique (India
Song), des films (j'ai arrêté au Camion), et bien
sûr des livres : ce qui me frappe, dans la vingtaine que j'ai
retrouvés dans ma bibliothèque, c'est leur diversité :
romans, scénarii, adaptations pour le théâtre (dont
Les
papiers d'Aspern d'Henry James que nous avions vu avec le groupe),
des textes qui ne sont pas des romans (La Maladie de la mort) que
j'ai relu, un livre de cuisine (La cuisine de Marguerite) qu'avait
interdit Yann Andréa et qu'après sa mort son fils a publié,
un livre pour enfant (Ernesto), des livres d'entretiens soit bruts
(Les Parleuses, La vie matérielle que j'ai beaucoup
aimé et qui montre plein de palettes de M. Duras), des livres sur
Marguerite Duras (Marguerite Duras tourne un film, la biographie
de Vircondelet, Cet amour-là le livre de Yann Andréa
que la midinette que je suis avait dévoré). Parmi ses livres,
j'en ai quelques un de la période où elle s'est mise à
déconner : Les yeux bleus cheveux noirs, Écrire,
Yann Andréa Steiner, C'est tout... Et du coup je trouve que
Virginie Q, de Patrick Rambaud, est un pastiche mérité.
Moderato Cantabile, je l'ai découvert. Immédiatement,
le charme. D'emblée l'écriture. Les mots qui ralentissent
la lecture. Par exemple : "Une, puis deux gammes en sol majeur
s'élevèrent dans l'amour de la mère" (force
ramassée dans ces mots). Il commande le vin : "La
patronne s'exécuta ans un mot, déjà lassée
sans doute du dérèglement de leurs manières" :
ce "sans doute" crée du trouble : qui parle ?
La syntaxe même joue : "Chauvin s'approcha de la table,
la rechercha, la recherchant, puis y renonça." Une musique
vient du non dit, du silence donc, mais aussi du rythme par exemple quand
Chauvin parle du couloir : "Rien ne s'y passe, rien, la nuit."
ou par les noms propres entièrement répétés
(Anne Desbaresdes). Le repas est un morceau d'anthologie : "La
dévoration du canard commence". L'importance du couchant
joue aussi un rôle, comme un personnage : "Le couchant
se vautra, plus fauve encore sur les murs de la salle". Et puis
bien sûr c'est la tension qu'accompagne cette écriture :
une tension faite du mystère, de l'absence de simplicité,
ces deux couples en miroir. MAIS, MAIS : trop de mystère,
parfois mal dosé. Par exemple : "Peut-être que
je ne vais pas y arriver, murmura-t-elle" : pénible...
Dans l'écriture : "Pendant qu'il buvait, dans ses
yeux levés, le couchant passa avec la précision du hasard."
Non ! Ou encore : "Un jour, dit Anne Desbaresdes,
j'ai eu cet enfant-là". Et enfin : "L'homme
a lâché les grilles du parc. Il regarde ses mains vides et
déforcées par l'effort. Il lui a poussé, au bout
des bras, un destin" : ridicule ! Je trouve l'adaptation
formidable : le film m'a fascinée. Et je trouve intéressant
- c'est pourquoi je vous ai envoyé cette petite
note sur G. J. le dédicataire - les liens entre l'écriture
et l'amour, je trouve passionnant le travail de création à
partir de sa veine autobiographie.
Annick L
Duras, j'adore : j'ai lu et relu. J'ai lu Moderato Cantabile,
j'ai relu La Douleur. Beaucoup a déjà été
dit. Je suis fascinée par cette uvre : l'affleurement
de l'indicible sur le désir, l'addiction, le désir jamais
assouvi, la plongée dans l'alcool, la difficulté à
être. Dans La Douleur, elle fait émerger la douleur
de l'attente, avec le retour d'un homme qu'elle n'aime plus, la scène
de torture, la relation trouble avec un milicien. Elle suggère
des choses qui ne se disent pas, sans expliquer ni commenter. Ce surgissement
me fascine. J'ai envie de la comparer à Virginia Wolf, différente
pourtant, mais qui saisit aussi des choses impalpables. J'ai aimé
La Vie matérielle. Pour Moderato Cantabile, la rencontre
dans ce café est hors du temps, c'est éternel ce genre de
situation ; elle parle de choses profondément universelles,
humaines. La scène du repas est géniale. Ces personnages
sont absents eux-mêmes et à la situation qui vivent, par
exemple lors du repas.
Françoise D.
Avec Moderato Cantabile, il y a pour moi un passage dans l'écriture,
une frontière. Quand elle écrit Moderato Cantabile, c'est
une transition. J'aime beaucoup cette écriture. Le cri pour moi
a une importance dans le récit. Le film a pollué ma perception.
C'est un livre très cinématographique, et j'ai été
contente de le lire. J'ai lu L'Amant, L'Amant de la Chine du Nord,
La Douleur. J'ai lu les critiques à la fin, intéressantes,
en effet. Pour moi Sarraute est dépassée, mais pas Duras.
J'ai aimé les titres des critiques, positives ou pas : "Une
voie nouvelle", "L'étouffant univers de Marguerite Duras",
"Une noix creuse", "La caverne de Platon", "Mme
Bovary réécrite par Bela Bartok"... Moderato Cantabile
: ouvert aux 3/4, La Douleur entièrement.
Brigitte
J'ai lu après d'autres livres L'Eden Cinéma : dans
Le Barrage contre le pacifique, je trouve formidable le passage
sur le cinéma que les enfants découvrent. J'avais lu La
Douleur, Le Ravissement de Lol V. Stein : j'ai été
emballée par ce personnage, empêchée d'être
(j'avais vu aussi l'interview
sur ce livre de Dumayet). Moderato Cantabile, je l'avais lu mais
ne me souvenais que du repas : ce livre m'a beaucoup plu. Il y a d'une
part beaucoup de choses qui sont fixes : le décor (café,
maison, usine), les habitudes (10 min après la sonnerie les ouvriers
sont au café, la patronne tricote toujours), le piano (fixe car
écrit) ; Anne Desbaresdes, c'est long à dire, sans
aspérité. Et puis, il y a le cri qui déchire en profondeur,
rupture dans la fixité horizontale, il y a le vin. L'interrelation,
elle, non fixe, transverse, traverse, verticale, déchirée.
Ainsi, l'amant tue, il se met près d'elle, c'est bouleversant.
Je reviens sur ton saumon Rozenn : on part du poisson classique,
puis il se transforme, disparaît ; les canards écorchés
sont à mon avis à la limite entre le plat convenu dans ce
genre de dîner et l'acte de violente dévoration, de mise
à mort (cf. le crime du début). Elle a eu l'expérience
avec Gérard Jarlot l'envie de mourir, elle en fait ce livre. L'enfant
est fixe, lui, la relation reste inchangée ; il joue quand
sa mère le demande, car elle le fait avec amour. Il joue à
l'extérieur quand elle est au café, puis il revient la voir
et repart, après avoir rechargé les accus. Elle communique
bien avec l'enfant, elle est sereine.
Annick A
Elle n'est pas sereine, l'enfant lui est tombé dessus, c'est ce
que la phrase dont se moquait Claire voulait dire.
Brigitte
Mais elle n'a pas de problème pour le vivre, cela lui est donné.
Mireille
J'espère être parmi vous en mars. J'ai lu Moderato Cantabile
et vu le film. Modéré et chantant ! En rupture avec
le roman classique ! Les repères sont flous, le style est
dépouillé, au bord du vertige, l'écriture précise
est travaillée, musicale ! Des personnages solitaires, une femme
comme une funambule le long du boulevard de la mer enfermée dans
un rituel bourgeois, l'enfant, la sonate de Diabelli qu'il résiste
à interpréter, un cri, la sirène, le vent de la mer...
Le roman n'explique pas, suggère ; notre imaginaire flotte,
devine, enrichit ce qui est effleuré. Le rythme, le mystère
des personnages nous enveloppe. Une femme assassinée par son homme !
L'aimait-elle ? Lui a-t-elle demandé de la tuer ? Qui
est cette femme en rupture avec le quotidien banal et tranquille de ce
quai sur la mer ? Et un homme et une femme dans le bistrot du crime.
Elle est enflammée d'interrogations. Ils cherchent tels des limiers
si amour et mort vont de pair. Une histoire, qui peut frôler l'absurde.
J'aime ! Je l'ouvre en grand. Ce livre m'a rappelé le mystère
(pour moi) de La Maladie de la mort de Marguerite Duras lu et vu
au théâtre avec Michel Piccoli et Lucinda Childs, mis en
scène par Bob Wilson.
LES 21 AVIS des groupes bretons "VOIX AU CHAPITRE
Pontivy" et "VOIX AU CHAPITRE Morbihan"
réunis les 6 et 11 février 2015 (Laurence, Stéphanie,
Françoise, Laurie, Sophie, Édith, Lil, Nancy, Nicole, Claire
T, Claire B, Claude, Marie, Chantal, Marie-Claire, Lona, Jean-Luc, Marie-Odile,
Marie-Thé, Mone, Odile)
Les cotes d'amour se répartissent ainsi :
3 avis:
3 avis:
8 avis:
5 avis:dont
1+ et 1- et 2 avis:
Ce qui a été apprécié :
- une écriture concentrée, dense et forte, très visuelle,
cinématographique
- l'atmosphère, certaines descriptions : lieux (ville, maison,
bistrot), situations (repas, cours piano, scènes de bistrot avec
la patronne et son tricot rouge, les ouvriers, Anne et Chauvin)
- les jeux de lumière, odeurs, bruits
- les portraits, en particulier celui d'Anne, sa transgression :
crime et alcool, déclencheurs
- l'évocation forte de la solitude : une solitude insupportable
- la relation mère/enfant, la place de cet enfant, l'enfant-prétexte
- la soumission d'Anne dans ses relations aux autres et à son milieu
- l'interrogation sur le cheminement de la passion amoureuse
- la tension croissante, liée à une érotisation de
la mort : l'amour uni à la mort
- les silences qui ponctuent le récit, les non-dits qui en disent
long !
- le rythme du récit
- un joli titre
- le charme de l'écriture
- le talent de l'auteure : moyens apparemment minimalistes et texte
fort (écriture forte dans sa brièveté), complexité
et ambivalence des sentiments face à une simplicité évidente,
tout est suggéré, tout est possible, tout est laissé
au lecteur avec un récit ouvert à toutes les interprétations
qui fait du lecteur un personnage à part entière
- un roman étrange, intéressant qui s'apparente au nouveau
roman
- des scènes théâtrales ou relevant d'un scénario
de film
- le parallèle avec Madame Bovary : Duras rénovant
le thème
- les thèmes chers à Duras : l'alcool, une rencontre, l'enfant,
les bateaux, la distance sociale, le cri.
Des romans de l'attente et du désir, jamais de l'accomplissement
(cf. la critique de Gaétan Picon du Mercure de France à
la fin du livre).
Les réactions négatives :
- Une lecture-punition, dérangeante : écriture gavante,
répétitive, agaçante... ; ponctuation insolite ;
des tournures parfois bien lourdes ; les tics d'écriture de
Marguerite, lassants ! Dialogues parfois improbables, surréalistes...
- récit lent, statique et fastidieux
- atmosphère glauque, morbide
- nombrilisme de l'auteure
- pas de thème, pas de fin, pas d'histoire
- personnages glaçants
- davantage une pièce de théâtre qu'un livre
- un texte à entendre plutôt qu'à lire soi-même
- une construction déroutante.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
QUI EST G.J. ?
QUI EST LE DÉDICATAIRE DE MODERATO CANTABILE ?
De plus co-scénariste avec Marguerite Duras du film Moderato
Cantabile de Peter Brook (1960), avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo,
qui peut être regardé sur Internet (ICI).
Des réponses... amoureuses concernant ce mystérieux
G.J.... : LÀ
D'AUTRES INFOS
L'exposition
"Duras song" s'est tenue au centre Pompidou jusqu'au 12
janvier 2015 ; on peut accéder :
- au dossier de presse donne
de nombreuses informations et l'on voit ses manuscrits travaillés
avec acharnement...
- à des interventions qu'on peut visionner sur le thème
"Écrire
après Duras" ; trois écrivains d'aujourd'hui
parlent de leur rapport à Duras : Oliver Rohe, Emmanuelle Pireyre,
Christine Angot (qui se range dans la catégorie Duras tendance
Vuillemin, sic) ; s'y ajoutent deux universitaires spécialistes
de Duras : Florence de Chalonge, Joëlle Pagès-Pindon.
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