Quatrième
de couverture : « J'écris ces pages comme
on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire
et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne.
Les événements que j'évoquerai jusqu'à ma
vingt et unième année, je les ai vécus en transparence
- ce procédé qui consiste à faire défiler
en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles
sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup
d'autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence
et je ne pouvais pas encore vivre ma vie. »
Autres livres lus :
Catherine
Certitude, de Patrick Modiano, illustré
par Sempé, Gallimard Jeunesse, 1998
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Patrick Modiano
Un pedigree + un autre livre au choix
Une lecture associée à Un pedigree
avait été envisagée de surcroît :
Pedigree,
de Simenon, car le titre "Un pedigree" est de la part de Modiano
un hommage au livre de Simenon, roman autobiographique d'un auteur qui
lui est cher...
Nous avons lu le ou les Pedigree
en janvier 2015. Nous avions lu Fleurs
de ruine en 1991. Le nouveau groupe
parisien lira Rue
des Boutiques obscures en 2018.
Monique S
J'ai lu Un pedigree, je suis un peu partagée. C'est autobiographique,
il n'y pas vraiment d'histoire, c'est comme une liste de gens qui sont
apparus dans son enfance, des visages dans un brouillard qui cache parfois,
qui laisse apparaître une silhouette. J'ai fini par mélanger
les personnes. Le livre m'a émue, même bouleversée.
Comment cet enfant a été projeté dans la vie sans
pouvoir s'appuyer sur son père, ni sur sa mère ! Il ne pouvait
pas exprimer ses émotions. J'ai vécu moi-même 7 ans
en pensionnat et cela me parle. J'ai l'impression qu'il s'est raccroché
à la littérature.
Manon
Me demandant pourquoi il a eu le Nobel, j'ai lu Un pedigree puis
Dora Bruder. Je n'avais pas lu de livre de Modiano. Je suis désemparée
par Modiano, touchée par la distanciation, surtout quand il parle
de la mort de son frère. Cette distanciation l'aide à supporter
ses parents. Cette famille est pathétique, avec le père
qui a sur sa table de nuit Comment se faire des amis... Le
livre m'a beaucoup touchée. C'est la première fois que je
trouve un auteur qui a un style, que cela signifie vraiment quelque chose
pour moi. J'ai aimé la description de Paris, on a l'impression
d'y être. Dans Dora Bruder, j'ai retrouvé des éléments
: il y a des parts de lui dans chacun de ses livres, ce sont des épisodes
qui l'ont fortement touché et qui reviennent. Je suis frappée
par le fait que dans Dora Bruder, il part d'une petite phrase pour
reconstituer la vie : quel travail ! C'est l'écrivain
de la mémoire, de la sienne, celle des autres, celle de la France.
Ce n'est pas un travail d'imagination, mais de journaliste. Dora Bruder,
même s'il l'étudie à fond, elle garde une part qui
reste secrète. C'est la même chose aujourd'hui avec les réseaux
sociaux, même si on sait beaucoup, il reste une part secrète.
Bref, j'ai adoré, adoré, adoré. Je veux tout lire
de Modiano
Jacqueline
J'ai aimé beaucoup, beaucoup aimé et je ne sais pas pourquoi.
Je ne réussis pas à analyser les procédés.
En tant que lectrice, je suis accrochée, prête à greffer
des éléments de ma propre histoire sur ce qu'il raconte.
Pedigree comporte beaucoup de personnages évoqués
peu en détail ; c'est un travail de romancier ; il ne
saura jamais la vérité sur tous ces personnages ; il
espère que quelqu'un se reconnaîtra : est-ce un procédé
de romancier ? J'ai eu tort de lire alors Pedigree de Simenon
que j'ai trouvé infiniment lourd : Simenon s'y prend autrement,
c'est un roman où tout est vu du point de vue des parents ;
les personnages sont terribles, c'est plombant, seul le père est
un beau personnage. Il y a cependant des éléments communs
aux deux livres. Denis avait parlé de Remise de peine que
j'ai lu et qui m'a bouleversée. La mémoire joue sur les
lieux (Jouy-en-Josas). Je me suis rendu compte que j'avais oublié
que dans Un pedigree il parlait de son frère ; je l'ai
repris alors pour voir ce qui correspondait à la même période
évoquée dans Remise de peine : du coup, je ne
sais plus ce qui est dans l'un ou dans l'autre... Le style marche bien
sur moi, mais je ne sais pas l'analyser.
Bénédicte
J'ai lu Pedigree et Remise de peine, mais j'ai eu du mal
à les lire. Je m'intéresse à l'aspect psychologique :
comment après une telle enfance est-il devenu l'homme qu'il est,
qui semble triste ? Il y a une distanciation, un recul ; il
n'a pas été aimé ; or chacun de nous est façonnée
par son enfance. Lui s'en est sorti par l'écriture. J'aurais aimé
quelque chose de plus gai
Dora Bruder m'a ennuyée,
je me suis arrêtée au milieu. Il y a pas de style, c'est
un enchaînement de phrases sujet-verbe- complément :
une écriture facile.
Claire
Avec ce que tu dis "ouvert à moitié" c'est cher
payé
Monique D
J'aime beaucoup Modiano. Pedigree me parle beaucoup, mais je pense
que c'est parce que j'en ai lu d'autres ; à mon avis il vaut
mieux ne pas commencer par celui-là. C'est un livre implacable
avec un versant émouvant. C'est intéressant de voir toutes
les rencontres qu'il a faites dans ce milieu où il vivait, né
d'un Juif et d'une Flamande : sa mère, une jolie fille au
cur sec et son père, à la recherche de l'Eldorado.
Il a eu la chance de faire de belles rencontres, il s'en est sorti par
la littérature. J'ai beaucoup appris sur lui. Le livre est très
bien, je l'ai beaucoup aimé, il permet de comprendre le personnage.
L'écriture est une suite, comme une fiche d'état civil.
Je ne l'aurais pas aimé si je n'avais pas lu déjà
d'autres livres. Je n'analyse par l'écriture. Pedigree comporte
des personnages qui sont des fantoches pour qui il éprouve de la
tendresse et de la pitié. J'ai lu Rue des boutiques obscures
qui est plein d'humour : c'est une enquête presque journalistique
que j'ai beaucoup aimée. J'ai lu Pedigree de Simenon qui
m'a rasée.
Lisa pour
Pedigree,pour
Remise de peine
Je n'avais jamais lu Modiano. Ça commençait mal car je n'aime
pas les autographies et je suis lassée de la seconde guerre mondiale,
donc rien ne m'a intéressée : c'est plat, il n'y a
pas de rythme, pas de style. Il revient sur sa vie uniquement, c'est un
égocentrique, et donc il n'a pas d'imagination => il ne mérite
pas le prix Nobel. J'ai commencé Remise de peine que j'ai
beaucoup aimé. J'ai essayé de le considérer comme
une fiction, écrit du point de vue de l'enfant ; l'écriture
simple convient bien du point de vue d'un enfant.
Geneviève
Je lis Modiano depuis longtemps. Je suis inconditionnelle, même
si parfois je suis un peu déçue (par le dernier par exemple) ;
c'est comme Woody Allen. Je me fiche que ce soit autobiographique. C'est
en effet une écriture minimaliste, mais ce qui qui compte c'est
que ça marche. Pourquoi rentre-t-on ou pas dans un livre ? C'est
un mystère. Tous ces personnages constituent un spectacle d'ombres
chinoises. Ses parents c'est soit le sordide, soit le monde artistique :
cela en fait un personnage fascinant dans un monde interlope, un personnage
de roman avec un sentiment d'abandon total présent partout ;
Modiano ne réussit jamais à exister, nulle part, mais la
douleur n'est jamais dite. Je me souviens aussi de Catherine
Certitude, un livre pour la jeunesse de Modiano illustré
par Sempé (l'héroïne porte des lunettes qu'elle enlève,
ce qui lui permet de vivre dans deux mondes différents : le
monde réel, tel qu'elle le voit quand elle les porte, et celui
sans lunettes, dans le flou
). Modiano, je le sens comme de ma famille.
Françoise D pour
Pedigree, pour
Dora Bruder
J'ai lu Modiano depuis longtemps. Le livre qui m'a le plus frappée,
c'est Dora Bruder, très émouvant, où on retrouve
les thèmes habituels. Il ne faut pas, à mon avis, commencer
à lire Modiano avec Pedigree. Sinon, c'est chiant, c'est
plat, mais en même temps c'est terrible et cela éclaire son
uvre. L'écriture dans Pedigree est très factuelle.
Pourrait-il écrire autrement ? Et la mort de son frère ?
Une ligne ! Le détachement est à son paroxysme. Ce
livre était-il nécessaire ?
Manuel
Pedigree est le premier Modiano que je lis. Puis j'ai lu Dora
Bruder et Livret de famille. Il me semble que Pedigree
est une compilation de tous ses autres livres dont les personnages se
retrouvent en écho dans ce livre. Je n'ai pas été
déçu de commencer par Pedigree malgré un léger
ennui devant cette galerie de portraits assez déroutante ;
le personnage de la mère est scabreux. Dora Bruder m'a bouleversé :
c'est poignant jusqu'à la fin. Son style très minimaliste
est JUSTE, pour évoquer la mémoire, ce que l'on a voulu
effacer, les clefs, les bottines, avec cette volonté qu'on a eu
d'effacer un Paris un peu honteux, avec ces endroits cités -
existent-ils encore ? J'ai envie d'aller voir. C'est une mémoire
de Paris très réussie. J'habite La Varenne Saint-Hilaire
qui est évoquée. Dans Livret de famille, on a du
mal à séparer auteur et narrateur
On voit comment
il procède pour reconstituer l'histoire de son père.
Henri (par
politesse)
Absent depuis plus d'un an, je reviens pour un auteur qui, quand je l'avais
ouvert, m'était tombé des mains
J'ai acheté
Pedigree et je constate que Modiano est aussi handicapé
de l'écriture que de la parole. Il va de soi qu'un éditeur
recevant ce livre écrit sous un autre nom le refuserait. C'est
un type flou, imprécis qui brouille les cartes. Je ne marche pas.
Quant à l'écriture, alors que j'aime Duras, je n'aime pas.
Je ne comprends pas pourquoi il a eu le prix Nobel. Il a beaucoup souffert,
il est un peu autiste.
Annick L
Bien qu'il soit difficile de le dire après Henri, j'adore Modiano.
Je le lis depuis longtemps. Je m'y suis replongée : la musique
de Modiano m'emporte. C'est très écrit. J'aime les écritures
blanches. Ce minimalisme, cette distance, permettent que je ne sois pas
bouleversée par ce mur de souffrance, cette incompréhension
du monde dans un regard d'enfant. C'est très fort d'avoir ce parti
pris de refus d'émotion. Je ne sais pas pourquoi Modiano me bouleverse
à ce point. J'ai cherché sur Internet à propos de
certains des personnages évoqués dans Pedigree, sur
ce milieu bizarre, interlope, de l'après-guerre, que j'ai eu envie
de comprendre ; il y a un côté un peu polar ; les êtres
sont si étranges, si mystérieux que cela suscite en moi
une curiosité. Pedigree de Simenon est pour moi le contre-point
absolu de celui de Modiano : c'est ronflant, c'est chiant, on n'en
peut plus, c'est très ennuyeux et pas du tout écrit. La
fin est plus intéressante.
Ouvert en grand.
Claire
Quand j'ai appris que Modiano avait le prix Nobel, j'ai été
déçue. Déçue pour la France
J'avais
lu des Modiano il y a longtemps et avais l'impression qu'il rejoignait
des auteurs qu'on a lus, qui ont compté, puis qui passent, comme
Michel Tournier, Paul Auster, Christian Bobin
, comme s'ils ne tenaient
plus la route alors qu'ils ont compté. Bien qu'oubliant toutes
mes lectures, je sais que j'avais lu et aimé Dora Bruder ;
j'ai retrouvé dans ma bibliothèque Rue des boutiques
obscures, Fleurs de ruine qu'en feuilletant j'ai retrouvé annoté :
eh oui, me suis-je rendu compte, nous l'avions lu au groupe lecture
en juin 1991 - il y a bientôt 24 ans. J'ai adoré Pedigree,
j'ai beaucoup beaucoup aimé Remise de peine qui a très
bien suivi pour moi Pedigree. Ce ne sont pas des listes qu'est-ce
que vous racontez..., l'écriture est un petit bijou. Je n'ai pas
été bouleversée, mais charmée, par le mystère
dû en partie à cette distanciation du personnage à
lui-même et à l'univers interlope qu'il décrit dans
lequel il est ballotté. On voit bien le projet littéraire
de Modiano : "J'écris
ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à
titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était
pas la mienne. Les événements que j'évoquerai jusqu'à
ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence
- ce procédé qui consiste à faire défiler
en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles
sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup
d'autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence
et je ne pouvais pas encore vivre ma vie." Et il réussit
très bien. Il y a une pudeur, une retenue. Il évoque la
douleur, "une douleur
pour rien, de celles dont on ne peut même pas faire un poème."
J'ai aimé aussi la présence très forte des livres,
des personnages des livres, par exemple Divine de Notre-Dame-des-Fleurs
de Genet - avec des sortes de mise en abyme. De même, les personnes
qui peuplent sa vie sont des personnages de roman et lui-même constitue
un personnage de roman, cela contribue encore plus à brouiller
les repères auteur/narrateur.
Monique S
C'est à Brigitte...
Claire
Tu as raison, je finis... Je ne peux pas ne pas penser à Pour
en finir avec Eddy Bellegueule et l'affirmation du statut littéraire
de roman par Édouard Louis parce que c'est une CONSTRUCTION. Cela
me semble évident pour Un pedigree, qui n'a rien à
voir pour moi avec une liste ou une fiche d'état civil
Voici
ce qu'il dit d'ailleurs : "On
pouvait classer ce livre du côté des autobiographies - c'est
d'ailleurs ce que l'on a fait - mais j'ai toujours eu l'impression que
ce livre se rattachait aux romans". Il renvoie chacun
à nos propres lieux (par exemple il parle de l'Auberge du Père
Bise à Annecy où je suis allée) et encore plus pour
nous qui habitons Paris - à Paris il évoque un lieu
où notre groupe s'est rendu la maison de Boris Vian : "j'étais
ému de voir toute la collection des disques de Boris Vian"
dit-il à propos de sa visite avec Michèle Vian, mais nous
aussi nous l'avons vue
Quant à Pedigree de Simenon,
il m'est tombé des mains, j'ai lu des bouts et l'ai abandonné.
Brigitte
Il y a 20, 30 ou 40 ans j'avais lu Les boulevards de ceinture, Place
de l'étoile, Livret de famille, Dora Bruder, Fleurs de ruine (je
ne m'en souvenais pas). Avec Place de l'étoile, au début
donc (paru en 1968), j'étais fascinée par l'ambiance indéfinissable :
qu'est-ce que c'est que ce type ? A chaque fois, cela restait indéfinissable.
Avec Livret de famille, cela devait devenir plus clair : eh
bien non. Il essaie de s'accrocher à des choses précises,
mais on part dans du mystérieux. Dora Bruder c'est un peu
autre chose. Pedigree est une révélation, car il
me fait comprendre les autres. Des parents à ce point-là !
Lorsqu'il parle de la mort de son frère, cela va dans un autre
niveau de l'écriture : cette demi-ligne change le livre, fait
virer à autre chose.
Monique S
"A part mon frère Rudy, sa mort, je crois que rien de tout
ce que je rapporterai ici ne me concerne en profondeur."
Brigitte
Pour moi, c'est le centre de gravité du livre. J'aime bien cette
écriture minimaliste. Et l'effort pour maîtriser l'immaîtrisable.
En lisant son
discours du Nobel, je découvre qu'il comprend des choses. La
difficulté d'advenir au monde, c'est cela son uvre, et c'est
cela qui m'intéresse. Simenon, j'en suis à la page 340,
me plaît, car il s'agit bien de la même chose. Le style de
Modiano colle. Roger qui représente Simenon est ultra couvé
et son écriture colle aussi à ce même enjeu :
comment passer de l'indifférencié à la compréhension
du fonctionnement du monde.
Monique L
J'ai lu Pedigree, Dora Bruder, Rue des boutiques obscures :
dans Pedigree, j'aime cette distance, mais c'est un premier abord
de Modiano et j'ai de plus en plus aimé en lisant les autres. J'ai
beaucoup apprécié Dora Bruder, la recherche à
partir de documents. J'aime la distance qu'il prend par rapport à
ce qu'il ressent. Rue des boutiques obscures est plus accessible,
plus proche de ce qu'on a l'habitude de lire. Le style, avec ses petites
phrases simples, courtes, c'est du pointillisme : chaque petite chose
est à sa place, ce n'est pas simpliste.
Séverine
Pedigree est mon premier Modiano. J'ai beaucoup aimé, c'est
pour moi c'est très graphique, comme un arbre généalogique ;
mais c'est aussi géographique, très visuel, cela m'a rappelé
le scribing.
J'ai lu Pedigree de Simenon : avec Maigret, il s'agit de "comprendre
et ne pas juger", c'est justement l'attitude de Modiano. J'ai
lu La
lettre à ma mère de Simenon qu'il lui écrit
une fois qu'elle est morte ; comme Modiano il n'était pas
aimé par sa mère. Dans son livre c'est incroyable, il ne
parle pas du tout de son frère. J'ai pensé aussi Truffaut.
Cela m'a donné envie de lire d'autres Modiano.
Famille Simenon - Famille Modiano
(père, mère, les deux frères)
Denis
J'ai lu le Pedigree qui m'a pas mal ennuyé à la longue,
son principal intérêt étant de situer certains personnages
des romans dans leur réalité. Cela m'a beaucoup intéressé
par rapport à mon favori, Remise de peine, qui est bien
autobiographique. J'en ressors convaincu que Modiano est meilleur quand
il parle de ses propres expériences que quand il invente. Meilleur
au sens de : personnages plus convaincants, plus riches ; une
lecture plus prenante, pas ennuyeuse. J'en lis un autre, De si braves
garçons, en partie autobiographique lui aussi. Je n'aime pas
vraiment, le monde qu'il décrit me donne même la nausée,
mais je ne peux m'empêcher de poursuivre la lecture. J'oubliais
de mentionner, dans le Pedigree, l'incroyable portrait de son père.
Ce type est un salaud total, et pourtant Patrick ne lui en veut pas...
En ajoutant la mère, on comprend que Patrick soit un véritable
Droopy.
C'est une uvre que des spécialistes seraient capables d'approfondir,
allant étudier par exemple les nuances dans la façon de
décrire les lumières et les ombres : "Et nous,
nous restions derrière la grille à suivre des yeux la tache
tendre de sa robe dans le crépuscule", genre de phrase qui
termine souvent un chapitre. Ses personnages ne sont eux-mêmes que
des ombres, alors...
Claire
Je suis allée à la bibliothèque de Beaubourg pour
lire des trucs autour de Modiano, par exemple le livre de Denis
Cosnard, un journaliste du Monde fou malade de Modiano (son
livre s'appelle Dans
la peau de Modiano et il a un blog consacré à Modiano
Le réseau
Modiano) ou la thèse
de Dervilasur Modiano. A l'époque où nous avions lu
dans le groupe Modiano, il y a plus de 20 ans donc, Internet n'existait
pas pour nos recherches d'information sur les écrivains :
j'allais à la bibliothèque de Beaubourg, à un petit
guichet et je demandais qu'avez-vous sur tel écrivain et on vous
apportait une chemise avec des articles de journaux découpés ;
je photocopiais certains pour en lire des petits extraits au groupe et
j'avais alors une carte de photocopie. J'ai gardé cette carte que
je n'avais plus utilisée. J'ai voulu photocopier un article en
2015 ; 20 ans plus tard, ma carte marchait encore
Sur l'autisme dont parlait méchamment Henri, j'ai lu dans les Cahiers
de l'Herne (2012) le certificat manuscrit reproduit du docteur
Ferdière qui s'est occupé d'Artaud. Modiano avait 23 ans
quand il l'a rencontré avant son service militaire. De cette "personnalité
tendant à se structurer de façon névrotique",
le Dr Ferdière écrit : "Angoisse
profonde d'incomplétude, de manque ; agressivité - et besoin
de s'identifier à l'image paternelle idéale -, agressivité
d'ailleurs refoulée par des mécanismes de défense
phobique avec craintes de passage à l'acte."
J'aime bien ce que dit Dervila dans un article en quelques lignes pour
caractériser Modiano : "The
atmosphere of a Modiano novel is instantly recognisable: enigmatic, and
somehow pent-up. His main characters are usually first-person narrators
who often bear a remarkable similarity to Modiano himself, and who play
interpretative games with the reader. Despite the clarity of the prose,
a general blur is created around time levels, imagination and fact, and
around the narrator's identities and those of the other characters."
(article dans l'Irish
Times du 10 octobre 2014). J'aime bien les mots de pent-up (retenu)
et blur (flou)...
Enfin j'aime aussi quand dans son discours du Nobel, à propos de
la relation roman/lecteur, Modiano parle de l'"art
qui ressemble à l'acupuncture où il suffit de piquer l'aiguille
à un endroit très précis et le flux se propage dans
le système nerveux", c'est très beau.
Nous avions lu en 1991, bien avant que ce site existe, Fleurs de ruine.
Voici ICI
les 13 avis de cette soirée 24 ans avant que nous ne lisions
Pedigree. Monique S, Brigitte et Claire, toujours présentes,
retrouvent ainsi leurs avis oubliés.
D'autres éclairages
- un entretien
avec Modiano sur Pedigree (2005)
- le discours
du Nobel de Modiano (décembre 2014)
- de Dervila Cooke, ancienne participante du groupe quand elle était
étudiante à Paris pour préparer une thèse
sur Modiano, et qui maintenant enseigne à l'Université de
Dublin :
interview
à la BBC (Arts Show Front Row on BBC4 le 9 octobre 2014)
article dans l'Irish
Times du 10 octobre 2014
sa bibliographie,
notamment sur Modiano.
- Une lecture associée à Un pedigree avait été
suggérée : Pedigree, de Simenon, car le titre
"Un pedigree" est un hommage de Modiano au livre de Simenon,
Pedigree,
roman autobiographique d'un auteur qui lui est cher...
"J'ai
beaucoup lu Simenon. Cette précision m'aide à exprimer des
choses, des atmosphères où tout se dilue."
(Magazine littéraire, n°302, Entretien avec Patrick
Modiano, propos recueillis par Pierre Maury, septembre 1992)
"Les
livres de Simenon, on se dit que ça va être très facile
d'en faire l'adaptation, parce que c'est déjà très
cinématographique, tout est en place. Mais, au fur et à
mesure, on a l'impression que c'est comme du sable, ça vous file
entre les doigts. Ça prouve qu'il y a un truc très bizarre.
C'est comme un chandail dont la laine se défait..."
(Synopsis 10, entretien avec Judith Louis à propos de l'adaptation
de Dimanches d'Août)
"Qu'est-ce
qui vous rapproche de Simenon ?
Ce qui me rapproche de lui, c'est qu'il avait besoin lui aussi de savoir
exactement dans quelle topographie et dans quels décors ses personnages
évolueraient. Il suggérait une atmosphère ou décrivait
des comportements très troubles dans un style épuré
et grâce à des phrases courtes, ce que j'ai toujours essayé
de faire. Et je lui ai toujours envié la rapidité avec laquelle
il pouvait écrire un roman et sa faculté, dès la
première page, d'avoir tout le livre en tête avec toujours
le même nombre de chapitres - alors que j'avance très lentement
sans savoir très bien ce qui va suivre, à l'aveuglette."
(entretien dans Le Monde du 4 octobre 2007, à l'occasion
de la sortie du romanDans le café de la jeunesse perdue)
Dans le numéro de L'Herne
consacré à Simenon (en 2013), un article sur Pedigree
montre le travail du romancier sur le genre autobiographique en rapport
avec Gide ("Pedigree
et les délivrances littéraires de Georges Simenon").
13 AVIS du groupe breton "VOIX AU CHAPITRE
MORBIHAN" réuni le
16 janvier 2015 (Yolaine, Marithé, Chantal, Suzanne, Jean-Luc,
Lona, Edith, Odile, Mone, Nicole, Lil, Claude et Marie-Odile)
Cotes d'amour : 1 avis
2 avis entre et
3 avis
2 avis entreet
1 avis
3 avis
et une impossibilité de donner une appréciation.
Les points forts
- écriture fascinante, d'une apparente simplicité, mais
extrêmement dense, condensée, qui exprime, en transparence,
les émotions, les souffrances de l'auteur et enveloppe le récit
d'une atmosphère singulière, mystérieuse ; du
grand art ; une musique très particulière
- un récit-documentaire, une nomenclature, énoncés
dans une sorte d'urgence, voulue par l'auteur pendant que le courage de
le faire est présent ; la précision des lieux est surprenante
- un livre étrange, intense et déchirant, dans une tentative
de reconstruction d'une enfance cauchemardesque et de la reconstruction
de l'auteur, une tentative pour tourner la page : se souvenir pour oublier ;
MAIS, de ce terrible passé, est née cette uvre magistrale
- extraordinaires portraits, tracés en quelques lignes
- l'errance (auteur et lecteurs !)
- atmosphère parisienne excellemment rendue (résonances
sympathiques pour plusieurs d'entre nous) ; Paris est un personnage
- portrait de 60 années du 20e siècle : politique (2
guerres), culture (théâtre, cinéma, littérature,
musique), modes, classes sociales... petite histoire dans la grande histoire
(rappelle Les années d'Annie Ernaux)
- un auteur sauvé par la lecture et l'écriture - incessant
rappel de l'importance des livres dans l'enfance et l'adolescence de Modiano
au fil des pages
- l'humanité de l'auteur
- la place de la mémoire dans son uvre
- la sympathie mutuelle de l'auteur et de Queneau pour les chiens !
Un pedigree éclaire les autres livres de l'auteur.
Les restrictions
- thème dérangeant ;
- regard extérieur sur ses expériences désarçonnant ;
- monde restreint, très parisien ;
- énumération foisonnante de lieux, de personnages :
une sorte de brouillon en prévision d'un livre - une espèce
de résumé bâclé qui laisse sur sa faim ;
- écriture et expression orale non abouties ;
- ennui.
Claude
Quand d'emblée, j'ai décidé 3/4 ou +, je me suis
étonnée moi-même, parce qu'objectivement, rien ne
m'a tenue en haleine : des faits flous, des personnages qui ne font
que passer... si nombreux d'ailleurs que leurs noms ou leur relation avec
le narrateur ou ses parents se font oublier. "Des voyageurs louches
qui traversent des halls de gare", des lieux sans résonance.
Comme une histoire plate, sans fait exaltant, sans héros, sans
lumière, racontée de façon détachée
comme si elle n'appartenait pas au narrateur et n'avait eu sur lui que
peu d'impact. Seulement, de loin en loin, le souvenir d'un ressenti (connivence
avec le chow-chow, souvenirs de pension...). C'est un livre qui peut apparaître
anecdotique évoquant l'histoire d'un inconnu sans portée
plus large. ET POURTANT, c'est un livre intéressant qui donne à
voir, de l'intérieur, des comportements de parents défaillants,
d'individus opportunistes. Un point de vue rare. Une réalité
sombre d'après guerre. C'est un livre émouvant parce qu'il
parle d'une vie, d'une vie qui se construit avec des manques, des blessures,
des absences. Cela pourrait être mélodramatique et plombant.
C'est un livre ouaté qui dit, entre les lignes, un enfant mal aimé,
ballotté, laissé sans réponse. Je ne pense pas que
le propos de l'auteur ait été de mettre cela en avant et
de s'en plaindre. Il a su, adulte, restituer l'enfant et l'adolescent
qu'il a été dans une acceptation directe des faits, des
faits dont à l'époque il n'avait qu'une perception partielle.
Les touches, les nuances, l'éclairage furtif mais intense de quelques
faits, leur absence de hiérarchie traduisent parfaitement le manque
de clefs de l'enfance, marquent aussi l'incompréhension d'un jeune
d'autant plus qu'il vit dans une période trouble et entouré
d'adultes aux agissements "bizarres". Cette distanciation est
faite aussi de "la masse d'oubli qui recouvre", le temps est
passé qui a gommé. Il s'y est ajouté les oublis nécessaires,
ceux qui occultent le trop difficile. Cette posture-là donne d'une
façon magistrale de l'intensité et de l'authenticité
à l'écriture. La façon de dire a plus compté
pour moi que ce qui était dit. Du grand art sous de la simplicité
apparente.
Je vais lire Modiano.
Marie-Odile
J'ai lu Un Pedigree avec dans la tête la voix de Patrick
Modiano dans son beau discours de Stockholm. Sans cela j'aurais sans doute
été moins réceptive. A part la Genèse je n'ai
jamais rencontré de texte contenant autant de noms propres (patronymes,
toponymes...) Or, c'est bien d'une genèse qu'il s'agit ici aussi :
celle de l'écriture. Quel terreau ou quel fumier l'engendre ?
Ces noms interviennent comme un balisage à moitié effacé
que l'auteur se propose de reconstituer : un travail de mémoire...,
une recherche à partir de documents dont certains sont mentionnés
(lettres...) ; j'ai suivi ce parcours, retenant surtout les déplacements
perpétuels, les rencontres mystérieuses et troubles du père,
l'absence de la mère, le vide affectif, la mort du frère
juste mentionnée, la révolte de l'adolescent, l'absence
de rancur finalement, évoqués dans un style simple,
documentaire, à distance, dépourvu de métaphores
comme il le fait remarquer. Or, c'est dans les rares métaphores
qu'il me touche le plus : celle de la dernière phrase qu'on
attend comme un soulagement et qui dit comment grâce à l'écriture,
il "prend le large avant
que le ponton vermoulu ne s'écroule". On sait aujourd'hui
que le navire le conduira jusqu'au prix Nobel. La métaphore du
titre aussi qu'il reprend à deux reprises "Je
suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree",
"comme un chien sans
pedigree et qui a été un peu trop livré à
lui-même". Peu d'éléments réconfortants
dans ce texte qui me donne cependant envie de lire d'autres.
Dora Bruder est un livre bouleversant qui me touche de plus en
plus au fur et à mesure de la lecture. Le "chien sans pedigree"
suit ici des pistes à travers Paris, avec un flair exceptionnel
qui le mène en des lieux où à son insu parfois des
événements marquants ont été vécus
que ce soit par les Bruder ou par des écrivains ou par des anonymes
auxquels il donne une présence très forte. Car ce ne sont
pas seulement des lieux qui sont évoqués, mais ce qui s'est
passé en ces lieux (qui a dormi dans telle chambre, qui a emprunté
telle rue) quelques décennies plus tôt, pendant l'Occupation,
comme si c'était aujourd'hui. Je me dis qu'après avoir lu
ces pages, on perçoit différemment ces lieux où des
individus ont suivi leur sort tragique et impensable comme pour servir
de "paratonnerre" aux autres. Pages bouleversantes évoquant
à travers des destins précis, des détails concrets
ce moment de l'histoire où l'humanité s'était mise
à dérailler vers une folie terrifiante, on ne peut s'empêcher
de se poser des questions sur les autres Parisiens : où sont-ils?
que font-ils? Et leur absence les transforme en témoins silencieux,
hormis ces femmes non juives qui exhibent l'étoile jaune et le
paient de leur vie). Curieusement, j'ai trouvé ici le narrateur
plus présent que dans l'autobiographie précédente,
comme si passer par le personnage autorisait à parler de soi avec
plus de sensibilité. On retrouve parfois le récit d'un épisode
déjà raconté dans l'ouvrage précédent,
mais l'écriture est différente, moins brute, à la
fois plus fluide, plus étoffée, plus accessible et plus
élaborée, par exemple concernant l'expérience du
panier à salade avec le père. Ce passage est présenté
comme une sorte de répétition a posteriori de ce que nombre
de Juifs ont vécu sous l'Occupation, sans qu'il y ait eu de retour
pour eux. Le vécu du narrateur prend son sens dans le lien qui
s'établit avec le vécu d'autres êtres quelque temps
auparavant, dans une sorte d'abolition du temps. De la même manière,
différentes approches d'un même lieu se superposent (rue
Picpus) : celle du narrateur, celle du personnage Dora, celle de
Victor Hugo qui y place la fuite de Jean Valjean, comme si tous ces êtres
communiquaient, par une sorte d'anticipation, de voyance, le narrateur
par une sorte de pressentiment, une impression étrange qui se confirme
ensuite à la découverte du vécu de Dora... Tout est
dit dans un style sobre, beau, émouvant. Un très beau paragraphe
sur la fugue p. 80 sur les séparations/recherches /disparitions
p. 84. Bref c'est dans ce livre que je rencontre Modiano, plus que
dans le précédent.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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