Samuel Beckett
Molloy
suivi, dans l'édition de poche, de "Molloy : un événement littéraire une œuvre", par Jean-Jacques Mayoux
Nous avons lu ce livre en décembre 2014.

Françoise D
J'ai lu Molloy, mais sans aucun plaisir, plutôt avec colère et exaspération et comme pour Entre la vie et la mort de Sarraute, je pose la question : mais qui lit encore ce genre de récit ? La postface n'arrange rien, c'est plus une analyse psy que littéraire. Mais je suis sûre que les plus intellos d'entre nous y trouveront quelque chose...

Denis
Je trouve qu'au contraire c'est une lecture pas intellectuelle qui le fait aimer…
Rozenn
J'allais à reculons dans cette lecture, sans savoir sur Kindle le nombre de pages qui restent (j'ai lu 3% ne me dit pas combien il reste...). J'avais juste vu une pièce de Beckett "dans ma jeunesse". Et j'ai été séduite, fascinée, j'ai adoré : fascinée par les ruptures, les reprises, les similitudes. Je me suis délectée : c'est fascinant et envoûtant. Comme on peut voir des extraits d'autres livres, j'ai feuilleté des poèmes, Premier amour, son livre sur Proust, En attendant Godot : c'est toute la condition humaine, avec beaucoup de finesse, de subtilité. Et j'étais passée à côté de cet auteur ! Je me suis laissé transporter, je suis fascinée, mais sans savoir trop pourquoi.
Jacqueline
Je ne connaissais pas Beckett (sauf par ouï-dire). Au lieu de me plonger dans Molloy, je me suis renseignée sur lui, en lisant par exemple Alain Badiou (Beckett : l'increvable désir) ; finalement j'ai lu Molloy et me suis laissé embarquer, j'ai aimé. J'ai aimé cette espère d'errance dans des paysages extrêmement réalistes qui évoquent certainement de vrais paysages. Ils m'ont fait penser, même si le livre est très différent, à ceux de L'Arrache-cœur de Boris Vian que nous avions lu. J'ai adoré l'histoire des pierres à sucer. J'aime beaucoup la manière dont il écrit, sa simplicité, l'importance du rapport au corps, les descriptions, par exemple la crise d'asthme, l'image du pis de la vache… C'est plein d'humour. Et le passage où les doigts grattent sur le drap comme des bébés qui veulent attraper une image dans un livre... Quand Moran souhaite l'aphasie, la paralysie, c'est remarquable. Je regrette de n'avoir pas lu son texte sur Proust, cela m'empêche d'ouvrir aux 4/4…
Monique S
Je suis contente du choix de ce livre. J'avais essayé plusieurs fois sans succès de le lire. Je savais qu'il était important pour des écrivains qui comptent. Cette fois je l'ai fait, il me manque 20 pages. C'est un livre très déroutant. Une tentative poussée à l'extrême pour exprimer l'existence humaine. Comme l'enfant qui cherche sa mère, il exprime l'énergie vitale du début de la vie. L'image de la déchéance évoque les SDF alcoolisés ; on trouve les limites de l'asocial, de la vieillesse, dans un corps qui se paralyse petit à petit ; il finit par ramper, avec l'état limite de la conscience qui n'arrive pas à se rattacher à un tout. La seconde partie est moins forte…

Claire
Donc tu trouves la première partie forte ?

Monique
Quand il est recueilli par Lousse, sa vie est presque comme celle d'un chien. Le langage, l'écriture, permettent de mettre cette vie en mots et de la penser. L'écriture est pour lui une exigence dont il ne sait pas d'où elle provient.

Claire
Et tu aimes le livre ?

Monique
C'est une œuvre déconcertante qui frôle l'absurde, désespérée sur le plan philosophique, et parfois très drôle. Elle est désinvolte par rapport au récit classique.

Rozenn
Mais qu'est-ce que t'en penses ?

Monique
Les liens sont très problématiques entre les êtres. Le narrateur ne comprend pas l'affection que Lousse lui porte. Les sentiments d'entraide envers lui sont suspects, rejetés ; il est prêt à frapper ceux qui lui veulent du bien.

Mireille
Qu'est-ce que ça te fait ?

Monique
Chez Moran, l'amour pour son fils, il en fait un objet. Les relations affectives attentent à sa liberté. On retrouve les thèmes d'En attendant Godot que j'aime. J'adore Beckett à cause de cette exploration sur l'existence. C'est un livre fait penser.
Denis
A la fin, il retrouve ses abeilles qu'il met dans sa poche, mortes… Je suis très content d'avoir été contraint par le groupe de lire ce livre : au début, je me suis dit que je ne pourrais jamais lire cela ! On m'a alors conseillé de le lire à voix haute et alors j'ai été pris par l'écriture qui me plaît énormément ; c'est très original, avec des passages d'anthologie. Il y a des logiques locales qui mènent à des conclusions inattendues, mais logiques par la phrase elle-même : on entre dans un esprit étrange. C'est plein d'humour imperturbable ; il y a même du burlesque, comme le montre son film avec Buster Keaton. J'avais lu Le Dépeupleur. J'ai beaucoup aimé Molloy. C'est une expérience de lecture qui vaut le coup, même si je n'y comprends rien. Il y a une étude de la structure du livre à faire, des symétries et ton analyse, Monique, donne des éclairages. Et c'est un humoriste pince-sans-rire.
Mireille
Je connaissais le théâtre de Beckett, Fin de partie, Oh les beaux jours, mais ça me laissait froide. Ce n'a pas été le cas quand j'ai vu Sami Frey lire Premier amour : j'adore ! Avec Molloy, je me suis laissé emporter, l'écriture me fascine, l'écriture est fabuleuse. Le lecteur est provoqué constamment. Les personnages sont dans la décomposition, mais avec une maîtrise de la part du narrateur qui tient le texte, qui tient son personnage. Le personnage pense tout le temps, cela ne s'arrête jamais. Donc ce n'est pas le désespoir complet. Les pierres à sucer qui changent de poche… le chien… Lousse… l'interrogatoire par les flics…, c'est très bien maîtrisé. C'est parfois cru, mais pas vulgaire. A la page 94, j'ai eu besoin de faire une pause. Je suis repartie dans l'intrigue policière de Moran, fascinée par sa relation avec son fils : Beckett s'autorise à faire dire des choses à un père sur son fils que personne n'oserait dire. J'ai aimé le rapport à Marthe, l'histoire des poules, le retour final. Comprenant mieux qu'au théâtre, j'ai eu du plaisir et je trouve le livre d'une immense originalité.
Brigitte
Je reprends ce que dit Mireille. J'ai vu essentiellement En attendant Godot, où ça passe trop vite, tandis que là, j'ai passé plusieurs jours avec le livre. Une lecture non prévenue peut en effet entraîner la réaction "c'est chiant, à quoi ça sert ?" ; une lecture prévenue en voit la richesse. Je n'ai pas pris le livre comme un roman…

Claire
Tu peux préciser ce que recouvre "lecture prévenue"…

Brigitte
J'avais entendu parler, parce qu'il a eu le prix Nobel, de l'avancée dans la littérature qu'il a représentée. Ce qui m'a frappée, c'est qu'il n'écrit pas dans sa langue maternelle, comme l'a fait Conrad : la conséquence est une approche de la langue plus subtile que la nôtre, car il a une distance ; il y a quelques références à l'anglais. Il y a aussi des témoignages de la vie des années 50 : le vélo, le couteau, la communion chez le curé…

Jacqueline
... les porte-couteaux.

Brigitte
Il y a des choses très intéressantes du point de vue littéraire, je pense au "fausset de la raison". Proust, Beckett, Sarraute ont été essentiels - d'ailleurs Beckett a écrit sur Proust…

Claire
Et Céline ?

Monique
Ce sont des livres qui nous font franchir une étape de lecteur.

Brigitte
L'effort que ces auteurs impliquent nous fait progresser. Ce n'est pas un "petit" roman. Molloy et Moran, c'est la même personne ; l'objectif n'est pas de décrire des relations père/fils. L'état de Molloy m'a rappelé Sylvain Tesson et ses états extrêmes dans le désert ; et aussi Mo Yan, un autre prix Nobel que nous avions lu : il suçait des pierres pour tromper la faim. Il y a j'en suis sûre beaucoup de lectures de la part de Beckett dans ce livre. J'ai retenu de nombreux passages, je ne peux les citer. Ce livre m'a donc beaucoup intéressée, mais je ne peux dire que je l'ai aimé, je n'ai pas été transportée, à aucun moment je ne me suis identifiée…
Lisa
Je n'ai pas fini le livre. Je l'ai d'abord lu dans le métro, sans rien comprendre. Comme Le Bruit et fureur de Faulkner. J'ai repris ces 40 premières pages chez moi, sans succès. Hier j'ai réessayé de le lire à partir du début…

Claire
… tu as lu trois fois les 40 pages !

Lisa
… et je suis allée jusqu'au vélo et la jambe raide et j'ai commencé à apprécier. On dit qu'il y a de l'humour, mais où ?! C'est pathétique ! Au sens de "qui inspire de la pitié". J'héberge actuellement un SDF (non "alcoolisé") et je retrouve les mêmes attitudes de Molloy, ce que disais Monique : parano quand on veut l'aider, etc. Je m'identifie à Lousse ! Je suis moi aussi impressionnée par cette langue qui n'est pas sa langue maternelle. Je pense à Nabokov. J'ai lu 20 pages de la deuxième partie, avec la relation père/fils qui est paraît-il inspirée de celle de Beckett avec son père. Je vais continuer : j'aime bien sans vraiment bien aimer. Je loue l'effort et la réussite dans l'écriture, la grande perspicacité dans la lecture de la nature humaine.
Claire
J'aurai des potins sur Beckett pour après.

Rozenn
Commence par ça !

Monique
Après !

Claire
J'ai pour ma part trouvé de l'humour ("si je dois chercher un sens à ma vie, on ne sait jamais") ; j'aime que l'attention du lecteur soit forcément portée sur le langage ; l'espace-temps est bousculé, éclaté (comme l'espace de l'art plastique par exemple du cubisme) : si on suit de près le chemin décrit dans la campagne on se perd, finalement pour être dans l'espace intérieur du personnage. Mais cette grande attention que j'ai ressentie comme nécessaire n'a pas tenu, j'ai lâché le livre : elle n'est pas retenue car il n'y a pas assez de sens pour moi. Je décroche. Pourtant cette écriture me semble familière. J'ai vu plusieurs fois avec plaisir En attendant Godot et j'avais découvert ses romans à la fac : j'ai retrouvé une dissertation que j'avais faite il y a presque 40 ans…

Rozenn
Fais-voir ta note ! Bon, ça va, t'as eu une bonne note…

Claire
La dissertation portait sur cette expression dans L'innommable "Écrire, cette amère folie" : même si j'ai tout oublié, j'avais lu une série de livres de Beckett ; or à l'université on ne demande pas si on a aimé ; en revanche, et cela me rappelle tes propos Monique, je suis persuadée que j'ai été passionnée par l'analyse de son œuvre, là a été indéniablement le plaisir. Tout comme à propos de Nathalie Sarraute, je crois que son théâtre perdure et quant aux autres textes, je me demande qui les lit, à part les étudiants et… nous grâce à Charlotte. J'ajoute que comme pour Sylvain Tesson, je ressens de la réserve par rapport au livre lu, mais de l'intérêt pour un personnage remarquable. J'ai outre les potins parcouru un livre d'Anzieu sur Beckett et lu le livre de Charles Juliet (dont nous avions ici lu Lambeaux) Rencontres avec Samuel Beckett...

Charlotte
...ah ce livre ! Beckett accordait très peu d'interviews… Ce ne sont d'ailleurs pas des interviews, mais des rencontres entre deux écrivains, dont un tout jeune pétrifié d'admiration, au point que Beckett lui conseille de s'éloigner de lui. Oui, c'est moi qui ai parlé de Beckett et il a été choisi.

Claire
Tu as réussi ton coup !
Charlotte
Lire Beckett c'est souffrir.

Claire
Ben alors…

Charlotte
Les personnages souffrent tous, je pense d'ailleurs à Dante. Ils ont tous un gros problème identitaire. Il y a un coté un peu "mythe" de ces personnages : leur corps est dégradé, il y a souvent un "handicapé". Molloy commence dans la chambre de sa mère et c'est là aussi qu'il se termine, c'est cyclique. Moran, c'est le personnage bourgeois qui a une mission qui vient de Youdi via Gaber ; le rapport père/fils, c'est pour moi le rapport créateur/créature, donc Moran c'est Beckett : en effet, Moran se met à écrire à la fin. Beckett est investi de cette mission d'écriture : ainsi il recherche son personnage Molloy, métaphore de l'écriture, de la création ; on n'est pas dans la logique, le réalisme, mais dans la recherche de l'écriture au plus proche de l'être, l'essentiel de l'être. Ce n'est pas une écriture conventionnelle, c'est une écriture personnelle, liée à une expérience personnelle. Je l'ai lu plusieurs fois, je ne comprenais rien. On est dans son esprit, on erre et on accepte d'errer. Avec une deuxième lecture, on se donne des repères, le rapport à l'écriture m'est ainsi apparu.

Claire
Une écriture avec un personnage flou, un espace flou, pas vraiment d'histoire… tu as précisé que c'était une trilogie Molloy-Murphy-L'innommable : L'innommable commence justement par ces mots : "Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant ?"

Charlotte
Écrire est abstrait, il s'agit pour lui d'écrire sans vouloir, en lâchant prise.

Claire
D'ailleurs, il écrit des textes de plus en plus petits.

Charlotte
Il amène à un vide au plus près de soi.

Denis
C'est le zen…

Charlotte
Oui... Il a travaillé sur Proust : il s'agit par l'écriture de se rapprocher de soi.

Claire
Est-ce que tu t'attendais aux réactions de ce soir ?

Charlotte
Pas vraiment, surtout quand tu as insisté pour que je vienne…

Claire
Tu fais lire Beckett autour de toi ?

Charlotte
Oui ! Ce n'est pas du divertissement, mais on retrouve l'essence des mots.

Monique
Ca me touche dans la souffrance, cette désespérance, cette dimension tragique. Quelque chose pleure en moi à le lire. Heureusement qu'il y a de temps en temps de l'humour.

Charlotte
L'écriture est proche de l'oralité.

Rozenn
Les potins !

Mireille
Et comment il se situait politiquement ? Il n'avait pas d'engagement ?

Jacqueline
Si ! Il a participé à la Résistance. Je n'ai pas fini la biographie de Deirdre Bair qui le raconte.

Claire
Il fut l'amant de Peggy Guggenheim…

Monique
Celle qui a créé le musée à Venise ?!

Claire
Oui, celle aux petits chiens…

Elle raconte dans Ma vie et mes Folies : "Il me confia que, depuis sa naissance, il conservait de sa présence dans le ventre maternel un souvenir terrifiant dont il souffrait constamment au point d'en avoir de terribles crises de suffocation". Très marrant !... De toute façon, Beckett était bien atteint : il somatisait, très angoissé, c'est pourquoi il a entrepris une analyse. Il buvait : Anzieu fait une démonstration du rôle thérapeutique de son écriture par rapport à son alcoolisme, c'est pas inintéressant !
Quand Charles Juliet le rencontre la première fois, il dit : "Le silence est tel qu'il pourrait quasiment se solidifier. Je me rappelle soudain, non sans appréhension, que Beckett peut rencontrer quelqu'un - c'est Maurice Nadeau qui me l'a confié - et le quitter une à deux heures plus tard sans avoir émis un seul mot." Dans ce livre de rencontres, Molloy est évoqué, Juliet disant qu'à 22 ans il avait essayé de le livre : " je n'avais rien compris à cette œuvre, ni rien soupçonné de son importance." Beckett lui dit que "quand il a commencé Molloy, il écrivait l'après-midi. Mais alors, la nuit venue, il ne pouvait trouver le sommeil. Il s'est donc obligé à écrire le matin"...
Suzanne, la femme de Beckett, il faut le préciser, lui sacrifiera sa carrière de concertiste, fera largement bouillir la marmite, fut une mère de substitution semble-t-il ainsi que son agent littéraire. Ils se sont mariés "sur le tard" (lui à 55 ans et elle à 61). Juliet raconte : "Je lui parle des dizaines de refus qu'il a essuyés avec Watt, puis avec Molloy. Il m'avoue qu'il avait renoncé à se faire publier.
- C'est Suzanne, ma femme, qui a insisté et trouvé Lindon, aux Éditions de Minuit.
Et comme j'essaie d'analyser les raisons pour lesquelles il ne pouvait que se heurter à des rejets, il conclut :
- Oui, il y avait une sorte d'indécence… Une indécence ontologique…"
Jérôme Lindon quant à lui relate sa découverte de Molloy, le premier livre de Beckett qu'il a lu, lorsqu'on l'interroge à l'annonce du prix Nobel en 1969 (alors que Beckett ne le sait pas encore). Charles Juliet, toujours dans son petit livre, raconte qu'il demande à Beckett à l'occasion d'une relecture de Molloy qu'il a dû faire pour une nouvelle édition : " Quelle impression vous a laissée cette lecture ?" Au bout d'un long silence, Beckett dit : "Je ne m'y sens plus chez moi."
Au théâtre, je trouve extraordinaire ce que dit et montre Madeleine Renaud à propos d'Oh les beaux jours qu'elle a joué plus de 20 ans, notamment quand elle montre son accessoire, le sac - toujours le même -, et le livre de Beckett complétement dépenaillé annoté par elle et l'auteur, ceci lors de l'hommage anniversaire pour les 80 ans de Beckett en 1986.
Pour finir, j'ai trouvé un texte de Sollers très savoureux qui montre Beckett sous un jour bien moins sinistre :
"En 1959, à Paris, un bizarre écrivain marginal de 53 ans devient l'ami d'un couple étrange et réservé : un peintre et dessinateur, une poétesse d'origine américaine. Ils sont juifs, ils ont deux petites filles, le trio sort, boit et fume beaucoup la nuit, et elle décrit l'écrivain ainsi : "Un homme résolu, intense, érudit, passionné et par-dessus tout vrai, beau, habité par le souffle divin." Ou encore : "Il était poète dans la moindre de ses fibres et de ses cellules." N'est-ce pas exagéré ? Mais non, il s'agit de Samuel Beckett.
Avigdor Arikha connaît déjà Beckett, Anne Atik le découvre. Ils traînent ensemble jusqu'à 4 heures du matin à Montparnasse, surtout au Falstaff. Whisky, vin, bières, champagne. Ils rentrent en titubant et en se récitant des poèmes. L'austère femme de Beckett, Suzanne ("je suis une abbesse"), a vite abandonné la partie, mais Anne tient le coup malgré les volumes d'alcool (elle boit moins et observe avec intérêt ces deux fous lucides). Beckett n'a jamais l'air d'être saoul, sa mémoire est phénoménale, il a l'air de connaître par cœur des livres entiers et les détails de centaines de tableaux exposés aux quatre coins du monde. Ils croisent souvent Giacometti qui, après son travail et sans regarder personne, vient manger tous les hors-d'œuvre de la Coupole. Ils sont quand même aperçus, à leur insu, par un jeune écrivain français, très imbibé lui-même, qui marche très tard dans ces parages. Personne ne semble se douter de rien. C'est la vie.
La légende veut que Beckett ait été un sphinx ou une momie impassible, un squelette nihiliste, une froide abstraction inhumaine, un saint à l'envers, un mort-vivant montreur de marionnettes désespérées. Il s'est visiblement arrangé de ce montage pour avoir la paix, mais rien n'est plus inexact, et c'est en quoi le témoignage direct d'Anne Atik est si précieux, sensible, insolite.
Beckett ? Générosité, bonté, attention aux enfants, joueur (échecs, billard, piano), sportif (nage, marche, cricket, amateur de matches), et surtout présence d'écoute intensive au point de mettre mal à l'aise ses interlocuteurs qui ne savent pas que chaque mot peut être important. Silencieux ? Ça oui, mais pour interrompre l'immense bavardage humain, sa routine, son inauthenticité, sa rengaine. J'ai vu Beckett et Pinget déjeuner ensemble sans se parler. Une bonne heure et demie, motus. A la fin, le pot de moutarde, devant eux, était devenu une tour jaune gigantesque. Aucune animosité, de l'espace pur. Beckett sur le boulevard ? Un jeune homme souple dans ses baskets, envoyant valser les feuilles mortes de l'automne. Un ailier." (sur le site de Sollers)
Bénédicte
Je pensais venir, mais au dernier moment cela n'a pas été possible. Même avis que Claire, j'ai lâché le livre au bout de 100 pages, trop désespérant, je n'ai pu accrocher, je cherchais le message... En fait j'ai lu ce livre comme un "pensum", me rappelant certaines études de lettres par correspondance ! Ceci étant, certains passages m'ont touchée, notamment quand Molloy parle des relations avec sa mère.

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout

 

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Quatrième de couverture :

"De même que Dante chemine de cercle en cercle pour atteindre son Enfer ou son Paradis, de même Samuel Beckett situe-t-il, chacun dans un cercle bien distinct, les trois principaux protagonistes des romans de sa trilogie, Molloy, Malone meurt et L'Innommable, afin qu'ils atteignent, peut-être, le néant auquel ils aspirent. D'un roman à l'autre, ce cercle est de plus en plus réduit.
Si Molloy est enfermé dans un cercle, c'est celui-là même de son récit cyclique qui commence par la fin et se termine au commencement. Molloy n'est pas confiné dans un seul lieu, il possède encore un relatif degré de mobilité malgré sa mauvaise jambe. À bicyclette d'abord, muni de béquilles ensuite, puis ne pouvant plus que ramper, le voilà parti à la recherche de sa mère, dit-il. N'est-il pas plutôt en quête de lui-même, ou bien d'une certitude qui lui échappe toujours ?

Dans la deuxième partie du roman, la boucle que décrit la trajectoire de Molloy se dédouble : c'est le rapport, cyclique aussi, que rédige Moran. Détective de l'agence Youdi, Moran a reçu l'ordre de se lancer à la recherche de Molloy. Lorsque Moran entame sa poursuite, il est en pleine possession de tous ses moyens physiques, de toutes ses certitudes. Au fil de sa quête, peu à peu son état se modifie profondément et se détériore à tous égards : Moran va ressembler de plus en plus à Molloy lui-même. Moran trouvera-t-il Molloy ? Ne seraient-ils que deux facettes d'une seule et même personne ? Les deux boucles de leurs trajectoires respectives vont peut-être finir par se rencontrer pour former l'image du huit horizontal, signe de l'infini recommencement d'une impossible quête de soi."

(Maurice Blanchot, Le Livre à venir, 1963)