La quatrième de couverture :
"Ben Du Toit, un professeur d'histoire afrikaner,
découvre les réalités de son pays et de l'apartheid
quand Gordon, le jardinier noir de son école et son fils sont arrêtés
et meurent en prison
Prix Médicis étranger, Une saison blanche et sèche
est le quatrième roman d'André Brink. Interdit dès
sa publication en Afrique du Sud, il est traduit dans une dizaine de langues.
Écrit dans un style somptueux, riche de couleurs et d'images, c'est
l'uvre la plus significative, la plus engagée, la plus achevée
d'un très grand romancier."
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André Brink
Une saison blanche et sèche
Nous avons lu ce livre en juin 2014.
Séverine (avis transmis)
Ma première impression en voyant le livre a été de
me dire "de la littérature engagée, chouette !".
Le "chouette" est plutôt ironique car je ne suis pas très
amatrice des romans politiques, qui mêlent fiction et engagement
militant. Mais bon, je me suis lancée et je suis rentrée
petit à petit dans le roman qui se lit facilement. Cela m'amène
à parler de suite du style que je qualifierai de neutre. On est
sur du narratif simple et je ne retiens pas un style qui me fait dire
"ah oui, c'est pas mal, ah oui, il se démarque". Et ce
style ou absence de style n'a pas permis de créer en moi la moindre
émotion vis-à-vis des personnages. Le seul moment dramatique
pour moi, c'est quand on apprend la trahison de la fille. Là, je
me suis dit : "on peut en effet pour des convictions (bonnes
ou mauvaises) trahir les siens". Globalement, je n'ai pas adhéré
à l'histoire et probablement par le fait qu'en tant que lectrice
d'aujourd'hui, je suis informée de l'apartheid (même si je
n'en connais pas toutes les subtilités, bien sûr, et que
l'histoire de l'Afrique du Sud ne m'est pas familière) et je suis
moins dans la découverte. Ce roman avait, je pense, à sa
sortie en 1980 valeur de témoignage, de révélateur
à la société de la réalité sud-africaine
et je comprends qu'il ait eu beaucoup de succès. Avec le recul,
son impact est moindre : le témoignage reste, mais il est
moins percutant qu'à une époque. Bref, le livre est plaisant
à lire (c'est bien sûr une façon de parler car les
horreurs décrites, elles, ne le sont pas), mais je ne manifeste
pas plus d'enthousiasme et je n'ai guère envie de lire d'autres
romans de cet auteur.
Manon
Pour ma part, les romans engagés m'intéressent beaucoup.
J'ai failli aller en Afrique du Sud, et je m'étais renseignée
sur cet auteur, mais sans le lire. Donc, j'étais très contente
qu'on l'ait programmé. À la lecture, c'est une déception.
Et nous avons lu trop de livres durs cette année : c'est trop
! Selon moi, le livre a vieilli. Est-ce un documentaire ou un roman ?
L'indétermination me gêne beaucoup. Je veux lire quelque
chose de plus léger ! Vivement Jonathan Coe !
Annick A
Je l'ai lu dans les années 80 et cela m'avait beaucoup intéressée.
Je n'ai pas eu envie de le relire. Mais j'ai beaucoup oublié le
contenu.
Rozenn
Ah c'est à moi déjà, je n'ai pas encore d'avis
J'aime beaucoup la fin : "Pour qu'il ne soit plus possible
de dire encore une fois : Je ne savais pas." Je
l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Le père de Mélanie est-il
blanc ? J'ai du mal à réaliser si chaque personnage
est noir ou blanc. J'ai été intéressée par
la description du quartier noir, du personnage de Stanley. Le héros
est trop ordinaire ! Les personnages sont inachevés, sauf
Stanley. C'est un grand plaisir de lecture, d'un grand intérêt.
Il faut dire que j'ai l'impression de sortir depuis peu d'un monde de
Bisounours et je vais depuis peu seulement vers le monde réel.
Mais je ne le conseillerai pas à qui que ce soit.
Jacqueline
Je ne connaissais pas André Brink, je n'avais pas lu son livre,
j'ai découvert cet auteur. Je suis très émue par
le poème d'introduction, très émouvant.
Annick L
Tu n'as qu'à le lire Jacqueline.
(Jacqueline lit le
poème.)
Jacqueline
Ce livre est profondément positif dans la résistance. Il
m'a rappelé Seul
dans Berlin. Ben part d'une réaction humaine normale et
se trouve embarqué dans le combat où il trouve la solitude.
Ce n'est pas vraiment un livre militant, c'est juste "tenir bon face
à des incompréhensions". Il rompt tous les liens sociaux
et ne peut pas faire autrement. Le journaliste romancier qui reçoit
les documents de Ben, ses valeurs : j'ai aimé ce personnage.
Les temps changent, les combats ne sont pas les mêmes. Mais c'est
moins sinistre que Chloe Hooper. Le regard n'est pas manichéen.
Richard
Je l'ai lu en anglais. La lecture est très facile, comme un script
de film. C'est le premier livre sur l'Afrique du Sud que je lis, à
part Pleure,
ô pays bien-aimé
Annick LJ
Aaaaahhhhhhh
.
Richard
Ces deux livres sont très différents. Ce n'est pas un livre
militant, ni anti-apartheid, mais c'est comme un livre personnel. Ben,
au départ, n'a pas grand chose pour lui. Il se trouve entraîné
dans cette histoire de refus vis-à-vis d'un pouvoir absolu. C'est
un livre très personnel de Brink ; l'auteur se livre personnellement
dans ce livre. Ce n'est pas une critique de la société de
l'époque. J'ai beaucoup apprécié certaines descriptions
et le dialogue avec le pasteur : "porridge lourd et solide" ;
la campagne est d'un "vert venimeux". Le personnage qui m'a
le plus intéressé est Stanley.
Rozenn
On ne voit pas si les personnages sont noirs ou blancs.
Plusieurs
C'est bien justement.
Claire
On pourrait mettre du gras quand c'est un Noir
Brigitte
J'ai un avis parallèle aux deux avis précédents.
Le titre est réussi, avec des allitérations qui sonnent
bien (ssaizzon ssssèche
), traduction directe de l'anglais
(a dryyyy whiiiittte
). Je trouve que le livre repose sur un très
beau projet qui a comme décor d'histoire de l'apartheid. C'est
comme Bartleby de Melville que nous avions lu qui dit "I prefer
not" - "j'aimerais mieux pas" - et cette
phrase déclenche toute une série de choses.
À partir d'un monceau de documents transmis par Ben, le procédé
littéraire n'est pas très réaliste, avec des descriptions
qui vont bien au-delà des documents dont le romancier dispose :
on pourrait s'en passer. Ben n'est pas nul, mais réservé,
effacé, il ne cherche pas à se faire remarquer ; il
n'a pas un métier formidable par rapport à ses études.
Il est marqué par son enfance. Dans l'Évangile, il y a des
graines qui tombent sur la terre sèche
Claire
On ne l'a pas encore programmé...
Brigitte
Mais on peut l'avoir lu
Rien ne pousse mais il y a une grande perméabilité
par rapport à ce qui l'entoure. Il comprend bien tout le monde,
y compris la police. Il trouve qu'il y a un ordre juste, justifié.
Il met beaucoup de temps à évoluer. Il est peu révolté.
Le projet est de voir comment avec son esprit sérieux, il ira plus
loin. Il tombe sur le porridge avec le pasteur. Il va jusqu'à comprendre
les bourreaux. Il ne renonce jamais : ce parcours, stérilisé
par la saison de son enfance, est renforcé. Dans l'épisode
de la boîte à outils, il n'agit pas comme un type des renseignements
généraux, mais c'est parce qu'on l'embête. Avec sa
fille, il devient subtil. C'est mené à bien : le cadre
de l'apartheid était adapté pour ce projet sur un parcours.
Ce n'est pas un livre militant. Parmi les liens que Claire a transmis,
j'ai regardé Apostrophes, mais surtout en regardant Pivot, jeune
Mireille
Je n'ai pas aimé la construction de départ, qu'on sache
dès le début que Ben va mourir. Ben est agaçant parfois ;
sa manie d'aller jusqu'au bout me déplaît. Sa vie de famille
est peu décrite. C'est son projet de vie, cette religion qui les
tient, la culpabilité. J'ai aimé le personnage de Stanley.
J'ai aimé la difficulté de pénétrer dans le
monde des Noirs. C'est un beau projet. C'est facile à lire, j'ai
été jusqu'au bout. Je m'intéresse à la relation
de Ben avec sa femme ; j'étais étonnée que sa
femme ne le lâche pas plutôt
Je ne l'offrirai pas facilement.
J'ai aimé le personnage du père de Mélanie, la femme
du jardinier.
Denis
C'est un document, mal écrit, et la lecture devient ennuyeuse.
L'auteur est héroïque : quel acte de courage ! L'Afrique
du sud a évolué depuis. Je reviens d'Afrique du Sud en tant
que touriste. On m'y a conseillé de lire Khayelitsha (c'est
le nom d'un township de la ville du Cap) d'un journaliste, Steven
Otter : on y retrouve beaucoup de situations semblables. Le livre
de Brink est un document sur l'apartheid. Cela me rappelle un roman policier
de Aharon Appelfeld. Et aussi la notion de droit à caractère
préventif vers lequel on s'oriente et que dénonce Mireille
Delmas Marty (on enferme non pas pour punir mais pour empêcher de
nuire).
Plusieurs
Comme à Guantanamo.
Denis
Ce livre est mal écrit et soulève plein de choses. C'est
le problème de la post-colonisation, les gens ne le racontent pas.
Cela m'évoque le film Tootsie et aussi Invictus et
Mandela. En Afrique du Sud, les touristes sont extrêmement bien
reçus. Certains quartiers du Cap ont été "purgés
de tous les Noirs". Les maisons de Blancs sont extrêmement
protégées. J'ai regardé Apostrophes. Selon Brink,
le héros Ben est un type de droite qui veut qu'on applique la loi.
Ouvert aux trois quarts.
Claire
C'est inattendu après ce que tu as dit !
Danièle
Ben est un personnage à part. Il est caractérisé
par le sens de la justice qui doit s'appliquer à tous, Noirs ou
Blancs. Pour lui, c'est égal. Les autres Afrikaners pensent que
la justice doit profiter seulement aux Blancs. Je me méfiais d'un
livre engagé. En fait, tout est personnel. J'ai pensé à
Voltaire avec l'affaire Callas. Je suis étonnée qu'on parle
très peu dans le livre des rebellions de cette époque.
L'aventure avec Mélanie n'apporte pas grand chose. Je suis déçue
quant à l'ampleur du livre : l'histoire est trop repliée
sur elle-même par rapport à l'importance du problème.
Claire
Sans le vouloir, nous avons constitué un triptyque, avec une forme
ascendante : Chloe Hooper
(un livre de journaliste même si on peut défendre sa valeur
littéraire : des faits, rien que des faits, qui font découvrir
de l'intérieur le monde et les problèmes des Aborigènes),
Americanah (d'une
jeune écrivaine qui nous fait découvrir de façon
originale ce qu'est être noire), Brink (un auteur confirmé
qui pour ma part me fait découvrir la réalité de
l'apartheid de l'intérieur). Sa démonstration est implacable.
Ben tend un miroir. J'ai été intéressée par
les relations, les couples. J'ai abandonné le livre avant la moitié :
trop dur et un peu ennuyeux. J'ai été gênée
par l'artifice littéraire qui pour moi n'a qu'un objectif :
la dernière phrase, pour montrer que l'engrenage continue. Le réalisme
est réussi mais pour moi ne tient pas sur la distance. La préface,
la postface et les notes sont très pédagogiques, un peu
comme le livre..., indiquant l'éventuelle valeur littéraire.
Par ailleurs, tout ce que j'ai découvert sur André Brink
m'a passionnée : il est extraordinaire, sympathique et quel
parcours (quand il découvre à la Sorbonne les Noirs, intelligents,
plus savants que lui). C'est un document, mais qu'en est-il du texte littéraire
: dans une émission
à France Culture, on lui pose clairement la question et la
réponse est assez décevante (Claire fait entendre un
extrait). Je reste sur ma faim littéraire. Et me languis d'un
styliste.
Annick
J'ai découvert Brink dans les années 80. J'ai lu Un
Turbulent Silence. J'aime donner ce livre, Une Saison sèche
et blanche, à lire (à des jeunes gens par exemple).
Je l'ai relu. C'est passionnant, le parcours de cet homme très
ordinaire. Ça pourrait se passer ailleurs que dans le contexte
de l'apartheid. Le personnage est terne, mais son parcours est remarquable.
Il est lent. Il découvre l'anonymat de cette machine, son énormité.
J'ai rencontré, alors qu'il n'était pas aboli, des Afrikaners
dans le discours était anti-apartheid, mais pour des raisons non
humanistes, c'était étrange. Brink décrit des personnages
blancs où l'on voit comment se situent ces Blancs quant à
l'apartheid. Émilie est un personnage plus stéréotypé,
comme beaucoup de Noirs, sauf Stanley. Cette lecture dépasse le
cadre très particulier de l'apartheid, c'est ça qui est
intéressant. Lui-même, Brink, a évolué tout
au long de sa vie concernant l'apartheid. Il attendait beaucoup de l'ANC,
il a été immensément déçu. J'ai lu
Zulu
de Caryl Férey, un polar, formidable, qui décrit toute la
violence.
Françoise D
Je l'ai lu en anglais. Je séparerais l'auteur et le personnage.
Brink est un homme remarquable, il a été menacé,
il a tenu bon. J'ai été déçu par l'écrivain.
Il emploie beaucoup le neutre (je ne sais pas ce que tu en penses Richard,
avec beaucoup de "one"). L'écriture n'est pas terrible !
On sait déjà que Ben ne s'en sortira pas. C'est le récit
d'une descente aux enfers. Cela montre bien que LES RÉVOLTES INDIVIDUELLES,
ÇA NE SERT À RIEN ! Je compare Brink et Cootzee :
Cootzee c'est bien mieux pour le style. Le sujet n'est pas l'apartheid,
mais la ségrégation, le racisme. Quand j'étais au
collège, j'ai fait un article sur l'apartheid dans le journal du
collège à partir d'un dossier des Temps
modernes
Plusieurs
Tu lisais Les Temps modernes au collège !
Claire
Frimeuse !
Françoise
Mon article n'a jamais été publié !
Annick LJ
Les profs étaient vexés car ils n'étaient pas au
courant
Françoise
C'est faible sur le plan littéraire, ce n'est pas dépassé
car des mécanismes de ce genre sont toujours d'actualité.
C'est en Europe que Brink découvre que les Noirs peuvent être
intelligents.
Claire
C'est étonnant : Brink découvre les Noirs en Occident
et donc l'antiracisme et Adichie découvre en Occident le racisme
et qu'elle est noire. C'est le contraire d'une certaine manière...
Manuel
Je suis content qu'on ait proposé ce livre. J'ai connu la fin de
l'apartheid en Europe, avec Johnny Clegg, Mandela. J'ai pris un vrai plaisir
à lire ce livre. Des passages sont très forts. Ben se demande
ce qu'il fera de grand de sa vie : il saisit cette opportunité.
Il n'est ni fade, ni conventionnel. Sa femme, elle, ne veut pas faire
de vagues. Cela m'a aussi fait penser à Seul
dans Berlin, et également au Procès de Kafka.
Le devenir du manuscrit, c'est passionnant. Le fait qu'on sache la fin
de Ben dès le début ne me gêne pas. J'aime la discussion
de Ben avec le père de Mélanie sur la liberté. Il
y a beaucoup d'émotion et de l'humour. Les personnages sont profonds,
bien campés. Les descriptions du bidonville sont très réussies.
La scène d'amour est très belle. Parmi les temps forts,
il y a le suicide d'Emily, la femme de Gordon, et à la fin Ben
est attaqué par les Noirs car il est blanc ! J'ai appris beaucoup
de choses. J'offrirais ce livre sans problème.
Ouvert en grand trois fois.
Denis
Ca se passe à Johannesburg. Est-ce qu'au Cap l'ambiance est la
même ?
Annick LJ
C'est très spécial Le Cap, avec le centre tout blanc.
Manuel
Il y avait hier une émission sur la cuisine en Afrique du Sud
Claire
on voyait des maisons
de toutes les couleurs.
Denis
Quand on est touriste, on a l'impression d'être en sécurité.
Mais effectivement dans les townships, c'est différent. Il y a
d'ailleurs des visites organisées en bus...
Annick
Il y avait des péages pour accéder à certains quartiers.
Denis
Gandhi raconte dans ses mémoires comment il réagit quand
on l'expulse du train, alors qu'il avait un billet de première.
Ce qui m'étonne c'est que la justice ne fait pas de différence
entre Noirs et Blancs.
Claire
C'est dans la mise en uvre
Denis
Je m'interroge sur la relation entre police et justice.
Annick
Il y a une apparence de justice pour les Noirs. Mais par exemple, leurs
témoignages sont différemment "appréciés".
Françoise
Les personnages noirs sont plus flous, l'auteur les saisit moins. Quand
je suis allée en Namibie, notre guide était sud-africain
et il expliquait qu'il n'avait rien vu, il acceptait comme allant de soi
l'apartheid, et la culpabilité ensuite l'a envahi.
Annick LJ
Intéressante est la relation nouée avec Stolz, l'espèce
de nazi. Stolz vient le voir pour fouiller, mais aussi pour discuter,
pour le dissuader de continuer, presque en lui rendant service.
Rozenn
Je ne crois pas à la fille qui collabore, ça arrive comme
un cheveu sur la soupe.
Annick
Elle sauve la famille.
Mireille
Mais ça abat le père.
Rozenn
Ça arrive comme un cheveu sur la soupe.
Mireille
Je ne le sens pas en tant que père
Claire
JE VOUS RAPPELLE QUE CE SONT DES ÊTRES DE PAPIER
Rozenn
C'est en tant que personnages qu'ils pourraient avoir plus d'épaisseur.
Mirelle
Il ne se pose pas de questions sur sa famille.
Rozenn
Il s'en fout.
Mireille
En tant que personnage
Jacqueline
Les enfants sont quasiment casés.
Mireille
La femme est patiente. C'est suicidaire.
Annick
C'est un parcours suicidaire de toute façon.
Danièle
Comme Manuel, ça ne gène pas de savoir comment ça
finit.
Claire
On sait pour le Titanic et c'est drôlement bien
Annick A
Ce n'est pas le souvenir que j'avais dans ce qui ressort. Car le livre
ne semble pas décrire l'apartheid lui-même.
Monique L (avis
transmis après la séance)
Ce qui m'a plu c'est que dans ce livre témoignage, Brink n'a pas
fait de son personnage un héros acquis à une cause humanitaire,
mais un homme révolté qui se bat pour comprendre pourquoi
les services de police peuvent en toute impunité tuer des hommes
parce qu'ils sont noirs. Cela confère une grande force au propos.
Ce livre est d'une bouleversante humanité. C'est une lecture coup-de-poing :
le roman qui date des années 1980, n'a pas pris une ride. Si l'apartheid
est révolu en Afrique du Sud, il y a bien d'autres pays qui souffrent
de ce genre de maux.
Le mécanisme de la machine infernale à broyer est très
bien montré : le professeur devient la bête
noire de la Section Spéciale qui veut se débarrasser de
lui à tout prix. Malgré l'aide de la journaliste, de son
père, de l'avocat et de Stanley, Ben ne pourra jamais faire changer
le fonctionnement de la justice. Il est abandonné par tout le monde
à part son propre fils "Johan" car tous ceux qui ont
voulu l'aider ont été détruits. Emily se suicide
en se jetant sous un train, l'autre enfant de Gordon a été
assassiné, Mélanie est constamment sous surveillance, son
père tombe gravement malade, Stanley disparaît à jamais.
Même sa fille est contre son camp. Heureusement, il arrive à
cacher ses preuves et à les remettre à temps à un
ancien ami journaliste qui est aussi le narrateur de cet ouvrage. Il est
victime d'un accident de voiture. Il ne fait pas de doute qu'il est froidement
assassiné à l'instar de beaucoup d'autres concitoyens blancs
qui ont dit "non" à la ségrégation raciale.
J'ai apprécié la rencontre de Ben avec Mélanie et
son père, et l'analyse qui est faite de ses relations avec son
épouse que l'on voit se dégrader au fur et à mesure
du récit. Ces deux femmes réagissent différemment
: l'une est prête à rester à ses côtés
pour défendre la cause des Noirs, l'autre renonce à lui
pour continuer à vivre au sein de la communauté blanche
et selon ses normes.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à
la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout
6 AVIS du groupe breton "VOIX
AU CHAPITRE Morbihan"
réuni le 29 mai 2015
Cotes d'amour : 51
Ce que nous avons aimé :
- l'écriture (très visuelle et très efficace)
- la construction du livre (en connaître la fin, dès le début
du roman, n'entame en rien le suspense qui tient le lecteur jusqu'à
la dernière page)
- la double voix du récit (Ben, réellement incarné
par ce "je")
- la force de ce livre, basé sur des faits réels
- la description minutieuse d'une dictature en action, sa perversité,
sa cruauté, son absurdité : la connaissance théorique
de l'apartheid prend terriblement corps dans ce récit, tout fonctionne
sur la peur et l'invisibilité de l'ennemi.
- de très belles pages sur l'altérité
- des personnages crédibles car nuancés (parmi eux, les
figures plus légères et fort sympathiques de Mélanie
et son père)
- la prise de conscience progressive de Ben (qui a été celle
de Brink)
- l'hommage au courage de tous les militants qui, dans une solitude totale,
vont jusqu'au bout de leur combat pour leurs valeurs de justice et d'humanité.
Ce livre nous confronte aux choix que nous pourrions avoir à faire
au cours de notre vie en fidélité à nos valeurs :
irions-nous jusqu'à sacrifier famille, amis et vie ???
- l'espoir porté, à la fois, par la présence permanente
de gens qui, malgré tout, résistent à cette horreur
et par la rébellion des jeunes générations de Noirs
qui rompent avec la résignation de leurs parents et se battent
pour leurs droits.
Nous avons admiré le talent et le courage de l'auteur, déterminé
à rester là où étaient ses racines et à
combattre, sur place, avec ses propres armes, sans se laisser impressionner,
les horreurs de ce régime.
Le petit bémol d'une lectrice : la relation amoureuse entre
Ben et Mélanie mal décrite (trop "fleur bleue").
QUELQUES ÉCLAIRAGES SUR ANDRÉ BRINK
ET SON UVRE
En vidéo
-
Le dernier discours de Brink avant son
décès où il parle de Charlie (février 2015,
1min 40)
- Une
interview à France 24 qui explique le chemin personnel qu'il
a parcouru (2010, 12 min)
- Apostrophes
sur Une saison blanche et sèche, alors que l'apartheid existe
(23 mai 1980, 7 min)
- Un documentaire très intéressant :André
Brink, lAfricain, qu'on peut obtenir en VOD pour trois sous
(2010, 45 min) ; un extrait de ce documentaire ICI
(2 min)
- La bande annonce du film Une
saison blanche et sèche, adapté du roman en 1989,
d'Euzhan Palcy, première réalisatrice noire produite par
un studio de Hollywood, la seule femme qui ait dirigé Marlon Brando
(dans ce film)...
Entretien avec André Brink sur les ondes
de France Culture
- La
Grande Table de Caroline Broué (10 octobre 2013, 35 min)
- Hors
champs de Laure Adler (20 mars 2013, 45 min)
- Sensualité
et littérature chez André Brink, un "territoire
hérissé de clichés", dit l'auteur (27 octobre
2006, 30 min)
- Littérature
et formes de l'uvre d'André Brink (23 octobre 2006, 30
min)
À l'écrit
Interview
dans Le Magazine littéraire (2010)
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