site Fabula RECHERCHE EN LITTÉRATURE

La quatrième de couverture : "Pour quelqu'un de ma génération, né après la Seconde Guerre mondiale et désireux de savoir comment il se serait comporté en de telles circonstances, il n'existe pas d’autre solution que de voyager dans le temps et de vivre soi-même à cette époque.
Je me propose donc ici, en reconstituant en détail l’existence qui aurait été la mienne si j’étais né trente ans plus tôt, d’examiner les choix auxquels j’aurais été confronté, les décisions que j’aurais dû prendre, les erreurs que j’aurais com­mises et le destin qui aurait été le mien."

TABLE DES MATIÈRES

Prologue

Première partie : Esquisse d’un modèle
Chapitre premier : De la personnalité potentielle
Chapitre II : Du conflit psychique
Chapitre III : De la bifurcation

Deuxième partie : La contrainte intérieure
Chapitre premier : Du désaccord idéologique
Chapitre II : De l’indignation
Chapitre III : De l’empathie

Troisième partie : La réticence intérieure
Chapitre premier : De la peur
Chapitre II : Des cadres de pensée
Chapitre III : Du défaut de créativité

Quatrième partie : Le point de bascule
Chapitre premier : De soi-même
Chapitre II : Des autres
Chapitre III : De Dieu

Epilogue

BIBLIOGRAPHIE
DE BAYARD :

1. Balzac et le troc de l'imaginaire : lecture de La Peau de chagrin (Lettres modernes-Minard, 1978).
2. Symptôme de Stendhal : Armance et l'aveu (Lettres modernes-Minard, 1980).
3. Il était deux fois Romain Gary (PUF, 1990).
4. Le Paradoxe du menteur : sur Laclos (Minuit, 1993).
5. Maupassant, juste avant Freud (Minuit, 1994).
6. Le Hors-sujet : Proust et la digression (Minuit, 1996).
7. Qui a tué Roger Ackroyd ? (Minuit, 1998).
8. Lire avec Freud : pour Jean Bellemin-Noël, dir. Pierre Bayard (PUF, 1998).
9. Comment améliorer les œuvres ratées ? (Minuit, 2000).
10. Enquête sur Hamlet : le Dialogue de sourds (Minuit, 2002).
11. Le Détour par les autres arts : pour Marie-Claire Ropars, dir. Pierre Bayard et Christian Doumet (L'Improviste, 2004).
11. Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ? (Minuit, 2004).
12. Demain est écrit (Minuit, 2005).
13. Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? (Minuit, 2007).
14. L'Affaire du chien des Baskerville (Minuit, 2008).
15. Le Plagiat par anticipation (Minuit, 2009).
16. Et si les oeuvres changeaient d'auteur ? (Minuit, 2010).
17. Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? (Minuit, 2012).
18. Aurais-je été résistant ou bourreau ? (Minuit, 2013).
19. Il existe d'autres mondes (Minuit, 2014).
20. Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ? (Minuit, 2015).



 

Pierre Bayard
Aurais-je été résistant ou bourreau ?

Les deux groupes parisiens ont lu ce livre pour le 3 juin 2016 et le groupe "VOIX AU CHAPITRE Morbihan" pour le 22 mars.

Une petite revue de presse  : ICI

Nous avions auparavant lu :
- en 2007 : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?
- en 2012 : Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?

Annick A (avis transmis)
Ce livre m'a beaucoup intéressée. Qui de ma génération ne s'est pas demandé s'il aurait été résistant durant la guerre ? Mais ce n'est pas tant la réponse qui est intéressante que la façon dont l'auteur cherche à y répondre en nous faisant part des recherches et nombreux écrits sur cette question qui nous permettent de repérer les différents éléments qui rentrent en jeu et la complexité du genre humain. Le choix littéraire de mélanger essai est fiction est original.
J'ai appris beaucoup de choses que j'ignorais. Je connaissais l'expérience de Milgram, mais j'ignorais tout sur le 101e bataillon et la possibilité qui était donnée aux soldats de refuser. Le conflit intérieur est très bien analysé. Milena m'a beaucoup touchée et impressionnée par son courage, sa liberté, sa générosité. J'ai admiré la capacité de Sousa Mendes de sortir du cadre, de créer des solutions et de sauver ainsi des milliers de vies. J'ai aimé me rappeler les activités de la Rose blanche et le courage de la jeunesse.
Ce livre nous fait découvrir des personnes admirables, inventives dans la lutte mais il porte d'avantage son analyse sur les résistants que sur les bourreaux.
Quant à Pierre Bayard, sa question est prise dans sa relation à son père qui n'a pas été résistant et qui influence la réponse qu'il va se donner. Permet-elle au lecteur de répondre à la sienne ?
Danièle(avis transmis)
Le titre interpelle terriblement, et pour une fois, je ne me suis pas lancée tout de suite dans la lecture, mais j'ai pris le temps de réfléchir à cette question posée aussi à chacun d'entre nous. Je me suis donc fait toute seule un débat interne avant les éventuels commentaires des uns et des autres et avant même la lecture…
Déjà, je ne me suis jamais posé la question sous cette forme "Aurais-je été résistant ou bourreau ?", car la réponse aurait été nette : je n'aurais jamais envisagé que je puisse accepter, dans quelle que condition que ce soit, d'être le bourreau. En revanche, la question que je me suis déjà posé souvent est plutôt : "aurais-je été résistante ou collaboratrice pendant la deuxième guerre mondiale ?", question beaucoup plus inoffensive d'apparence. D'abord parce qu'à voir le nombre de pétainistes (dont ma grand-mère maternelle) à l'époque de l'occupation allemande, on se dit que ce devait être une pente facile ; ensuite parce que je me serais peut-être - certainement ? - laissé prendre par le côté sauveur de vies humaines revendiqué par Pétain. Quand aurais-je compris que finalement, être collaborateur sous ce régime c'était cautionner l'antisémitisme et l'holocauste, c'était être le bourreau ? L'aurais-je compris ? Combien l'ont compris à temps ?
A mon avis, le livre de Pierre Bayard s'empare admirablement de cette problématique et l'étend à toutes les dictatures totalitaires et génocidaires de différentes civilisations. J'aime son travail d'universitaire qui s'appuie systématiquement sur trois types de données : sa connaissance des grandes lois scientifiques qui régissent le comportement en temps de crise, les situations comparables auxquelles nous avons été confrontés, l'influence éventuelle des comportements parentaux pendant les périodes de crise. Il s'appuie de manière classique sur les recherches, les expériences, les investigations de chercheurs scientifiques (Milgram, Browning, etc.), mais nous livre un processus de réflexion original et inédit : une fiction dans laquelle l'auteur "place son personnage délégué et cherche à trouver un état intermédiaire entre [son] moi maintenant et le moi différent, produit des déterminations d'une autre époque" (p. 53 et 60).
C'est aussi, comme il le dit dans le prologue, un livre sur la lecture, pour qui cherche à se "mettre à la place de". Mais à la longue, je me satisfais mal de cette prétendue fiction, que je trouve un peu sèche et dans laquelle j'ai du mal à me sentir emportée. Le sort du personnage délégué m'importe peu. Les réflexions théoriques m'intéressent davantage. Parce que sa réflexion nous concerne aussi, nous construisons avec lui le "livre dont nous sommes le héros", et nous cherchons à découvrir avec lui notre personnalité potentielle.
J'aime la clarté des mots-clés qui jalonnent sa réflexion : "personnalité potentielle", "bifurcation", "contrainte intérieure"… et qui marquent les différences subtiles des différents types de résistance ou de non résistance. J'ai appris, avec l'exemple du commandant Trapp, que certains bataillons donnaient la possibilité de se soustraire au massacre de femmes et d'enfants juifs.
Et j'aime la fin ouverte, qui insiste, malgré tout le travail scientifique qu'il vient d'entreprendre, sur le caractère énigmatique du comportement des résistants, jusqu'à parler de la force qui est en chacun de nous comme une idée de Dieu.
J'ai regretté que l'auteur ne s'intéresse qu'au voyage dans le temps et non aux situations actuelles similaires. Dans ce même genre de fiction, j'ai pensé au roman d'Éric-Emmanuel Schmitt La part de l'autre (si Hitler avait été reçu au concours des Beaux-Arts !) Par antithèse, j'ai pensé à Brecht, pour qui la notion de héros n'a pas de sens. Un héros mort ne peut continuer la lutte. J'ai adoré le film Lucien Lacombe.
Séverine (avis transmis)
Je suis loin de Paris et donc loin de vous, mais je serai parmi vous avec ces quelques impressions sur le livre qui nous occupe ce soir.
Tout d'abord, merci au groupe de m'avoir offert cette expérience de lecture. J'avais entendu parler de Pierre Bayard pour son livre Comment parler des livres que l'on n'a pas lus. Mais je n'avais rien lu de lui (et je n'ai pas fait semblant de parler de ses livres :-)). J'ai été intriguée par l'exercice annoncé de se projeter dans le temps et d'essayer de définir de quel côté l'auteur aurait été durant la guerre. J'ai été surprise car je m'attendais à un exercice plus romancé et à ce que le thème soit au cœur du livre ; or la projection personnelle n'est finalement, pour moi, qu'un élément mineur. Car ce qui m'a le plus intéressée est l'analyse qu'il fait des différents cas possibles de réactions devant la problématique de la guerre (ou de l'horreur quelle que soit la forme qu'elle prend) et les exemples qu'il associe à chaque fois. C'est très bien structuré, agréable à lire, enrichissant et cela donne vraiment envie d'en savoir plus sur chaque cas historique évoqué. Quant à savoir si j'aurais été résistante ou bourreau, je me suis toujours dit que la réponse n'était pas simple. Je pense présomptueux de se placer du côté des résistants et il est tout aussi impossible de dire que l'on ne fera jamais de mal. Les circonstances peuvent conduire à des réactions surprenantes. Je pense, en tout cas, que la plupart des gens ne sont dans aucune des extrémités mais entre les deux, là où on n'agit ni en bien ni en mal mais où on est uniquement spectateur passif.
Pour finir, je dirais juste qu'au moment de la lecture de ce livre, je lisais Les mains du miracle de Joseph Kessel, histoire romancée (mais vraie) de Kersten qui fut le médecin masseur de Himmler et qui fut partagé entre l'obligation morale de soigner l'homme (mais aussi "de soigner le Mal") et celle de résister, car écœuré par le personnage et toutes les horreurs qu'il commettait. Il décida de le soigner pour mieux obtenir des choses de sa part (il a ainsi "manipulé" le chef des SS dans tous les sens du terme, physiquement et moralement) : il sauva ainsi nombre de vies en usant de la sympathie/reconnaissance qu'Himmler avait pour lui. Kersten a été à la fois résistant et soutien d'un bourreau. Je vous invite à lire ce roman que j'ai trouvé à ce moment-là comme un bel écho à la problématique soulevée par Bayard. Et pour finir sur Bayard, je dirais que j'ai hâte de lire Qui a tué Roger Ackroyd ? Quelqu'un l'a lu ? Lire l'original et la réinterprétation doit être un exercice intéressant. Bon, j'arrête là, mon temps de parole est dépassé :-) Je dirai juste que j'ouvre en grand.
Monique L
J'ai bien aimé les rappels historiques, les faits. Mais j'ai été gênée quand il se projette comme s'il avait vécu : je n'ai pas aimé le ton, j'ai été agacée par cette fiction, par exemple quand il devient bibliothécaire. Cela m'a rappelé mon grand-père devenu super préfet en zone occupée. La question n'est pas si simple que ça : il se pose une question qui ne se formule pas dans ces termes aussi nets. Les liens avec son père, j'y sens quelque chose de faux, je ne peux pas adhérer.
Claire
J'avis pris connaissance des avis bretons (ci-dessous) dont certains très négatifs et le sujet m'intéressait peu... j'avais donc une sorte d'a priori. C'est un livre que j'ai envie de rapprocher de livres que nous avons lus cette année : Chalandon, Kamel Daoud, Genet, Édouard Louis, Alexievitch, Ph. Roth. Pourquoi ? Parce que ce sont des livres transgenres...
Dans ce livre, j'ai trouvé un personnage principal auquel je me suis identifiée, des personnages secondaires variés ; j'ai trouvé une histoire fictive, des histoires nombreuses, extraordinaires, des rebondissements et une énigme ; j'ai trouvé une forme, une composition (mathématique presque quand on regarde la table des matières), une plume ferme, précise ; j'ai trouvé un projet, ambitieux, paradoxal, avec des thèmes essentiels. J'ai donc trouvé tous les ressorts de la littérature. J'ai aimé le genre, cette narration théorique. J'ai aimé la concentration sans excès qui m'a permis de progresser sans aucune baisse d'intérêt, avec passion.
Je partage comme Danièle l'intérêt pour les mots-clés qui ponctuent le livre. Je comprends qu'on puisse sentir un artifice, mais pour ma part j'apprécie ce jeu qui m'a rappelé ce que disait Milan Kundera qui définissait le roman comme une forme "où l'auteur, à travers des ego expérimentaux (personnages), examine jusqu'au bout quelques thèmes de l'existence" : c'est ce qu'a fait Bayard dans ce livre.
Richard (qui est écossais)
J'ai pris conscience des ces questions en arrivant en France après avoir vécu en Allemagne. Pour moi, tout est relié à son père, c'est le ressort principal du livre. C'est comme à l'Opéra, il y a une convention, on l'accepte pour entrer dans l'œuvre. Je sens l'universitaire qui a les outils et une culture ; j'aime beaucoup le style, facile à lire, qui se lit vite. De nombreux éléments illustrent son propos. Je retire de ce qu'il dit un mélange, comme doivent être des gens de l'époque, bien pensants, et moraux. Ce qui m'a un peu troublé c'est quand on lit au début du livre que c'est une œuvre vaine : c'est démotivant…
Pour son intérêt, sa nouveauté, j'ouvre ½ (parce qu'il y a quelque chose d'artificiel même si je l'accepte) et j'aimerais lire d'autres choses de Bayard.
Je pense à un film danois Le Fils de ton voisin, qui parle de tortionnaires pendant la dictature des colonels en Grèce.
Françoise D
J'aime beaucoup Pierre Bayard, j'en ai lu plusieurs : Qui a tué Roger Ackroyd ?, Le Paradoxe du menteur, Comment parler… Les sujets sont très divers et là, avec ce livre, c'est encore une démarche différente. Je comprends la réaction à un aspect artificiel, mais c'est sa démarche, son projet, celui relatif à cette question qu'on s'est tous posée et moi, ça m'intéressait de voir comment répondre quand on tente d'y répondre. J'ai été passionnée du début à la fin par ce livre qui se lit facilement. Pour moi, c'est un essai et un objet littéraire. On apprend plein de choses. Et sa théorie de la bifurcation ! Ce qui fait que tout à coup… Le livre renvoie à notre propre réflexion, mais je ne m'identifie pas. C'est l'exercice qui m'intéresse, j'adore sa démarche intellectuelle.

Monique L
Mais moi justement, je trouve sa démarche intellectuelle pas rigoureuse.
Katell
J'ai beaucoup aimé tous les exemples (les Tutsis par exemple, Mendes, etc.). J'aime bien qu'on me raconte des histoires. Mais je suis d'accord avec Monique, il use d'un artifice. En ce moment, je lis Une jeunesse française de Pierre Péan.

Richard
Ah oui je l'ai lu, c'est très bien.

Katell
Et on voit à quel point c'est difficile de "choisir". Ma famille était sans doute un peu collabo, entre les maréchalistes et les pétainistes. Bayard m'emmène toujours et j'ai aimé…

Claire
Dommage que Rozenn ne soit pas là, elle qui avait aimé le livre, mais en disant que ce n'était pas un livre pour le groupe lecture, alors que...

Françoise
... sans parler de cette question dont nous continuerons de gloser à l'envi..., c'est un livre qui me donne le plaisir d'être tirée vers le haut, avec une véritable stimulation intellectuelle.

Nous lisons les avis des Bretons, leur synthèse collective et quelques avis qui parlent du livre en tant que tel.
Oui, le livre peut renvoyer à des situations d'aujourd'hui et à notre relation à celles-ci. Quant à la citation de Primo Levi en exergue qui laisse entendre qu'on ne peut pas répondre à la question, qu'il n'est pas possible de prévoir son comportement, elle renvoie à la collection dans laquelle le livre est publié : "Paradoxe". Françoise D rappelle que tous les livres de Bayard sont fondés sur des paradoxes (parler des livres qu'on n'a pas lus par exemple). Par rapport à l'accusation de plagiat du livre de Michel Terestchenko qu'il cite d'ailleurs à plusieurs reprises, elle n'est pas compatible avec la rigueur universitaire de Pierre Bayard. Nous n'avons pas non plus repéré un regard constant de psychanalyste. Enfin, le projet de Bayard - même si on le trouve raté ou artificiel - est très différent : le livre de Terestchenko est strictement un essai et n'est pas à la première personne (ou on trouve le "nous" académique).

Rozenn (avis transmis après la soirée)
Le livre m'avait intéressée quand il est paru. Je l'ai lu aussitôt parce que j'aime beaucoup les partis pris de Bayard et la clarté avec laquelle il déroule son raisonnement, ainsi que l'abondance d'exemples. De plus c'est une question que je me suis toujours posée. Et comme l'indique Bayard, les expériences de Milgram - qui m'ont beaucoup troublée quand on a commencé à en parler en France - peuvent nous faire douter de nous-mêmes.
Mais à la relecture - quand on l'a choisi je l'ai relu à moitié - il m'a semblé que "ce n'était pas un livre pour le groupe lecture". Quels échanges peut-il susciter ?
Je l'ai relu en entier, avec intérêt, je l'avais beaucoup oublié. Il est clair pour moi que sans être bourreaux, nous sommes témoins le plus souvent muets et impassibles d'horreurs, d'injustices et de barbaries qui nous entourent quotidiennement, lointaines ou proches. Que faire ? Nous ne pouvons avoir que des petites actions, de minuscules engagements de fourmis. Ils sont essentiels pourtant. Bon ça donne un avis très moralisateur.
Et la littérature là-dedans ? Et l'écriture ? Celle de Bayard est comme toujours claire ; les exemples argumentatifs sont intéressants. Mais en choisissant de se centrer sur une situation de crise nette, il passe à côté de la question de la responsabilité et de l'engagement dans notre quotidien, au jour le jour. Bayard a peut être tort de quitter le domaine de la critique littéraire.

AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN (avec deux transfuges venues ce soir-là du groupe ancien...)
Françoise H
J'ai commencé la lecture avec un a priori négatif car le questionnement me semblait vain. Je ne comprends pas pourquoi l'auteur a voulu situer le sujet dans la Seconde Guerre mondiale alors que celui-ci est tout à fait d'actualité. Nous vivons dans une société violente, où la question de résister ou de persécuter peut se poser tous les jours. Pourquoi faire le détour par la guerre alors que nous avons sous nos yeux plus qu'assez de matières pour nourrir la réflexion ? Il ne s'agit là que de la première d'une série d'irritations qui m'ont agitée pendant la lecture.
J'ai d'abord trouvé la démonstration très peu rigoureuse. Pierre Bayard étaie chaque étape de sa démonstration par la présentation d'un personnage mais c'est trop hâtif de réduire une personne à un trait de caractère. De plus, son argumentation est une suite de spéculations : pour lui, la liberté d'action de Milena Jesenska à Ravensbruck s'inscrit dans le sillage de sa passion avec F. Kafka : pourquoi expressément faire mention de cette relation amoureuse ? Ensuite, Pierre Bayard part du postulat que toutes les situations historiques sont comparables alors que c'est faux ! Enfin, il explique en introduction que pour que la perception d'une œuvre littéraire soit réussie, il faut que le lecteur s'identifie aux personnages de l'œuvre. Cela me met mal à l'aise à la fois parce que je tiens à garder ma liberté et à faire vagabonder mon imagination pendant ma lecture et parce qu'en littérature, ce qui me touche, c'est l'ambivalence des personnages ou des situations. Pour moi, cette ambivalence est l'une des choses qui font la noblesse de la littérature. L'individu est infiniment complexe et peut réagir de manière énigmatique et imprévisible. Dans le dernier chapitre, Bayard rattache cela à Dieu, moi je le rapporte à la nature humaine.
J'ai l'impression d'avoir perdu 4 heures de ma vie. Cela m'a fait penser à un mauvais livre sur le développement personnel (s'il en existe de bons)...
Nathalie B
Ce livre décrit ce que j'ai pu analyser en toute une vie : le point de bascule entre l'inaction et la lutte, l'émergence de la bataille, les préoccupations et les convictions que l'on retrouve dans l'être humain. Ce livre évoque beaucoup de choses : le regard des autres, le regard de soi, l'indignation…
Je trouve l'analyse assez juste et l'argumentation, bien menée. Je pense que l'auteur a raison de situer le questionnement dans la Seconde Guerre mondiale. Certes, aujourd'hui nous avons aussi des sujets d'indignation, mais les sujets sont souvent moins graves. Nous prenons des risques aujourd'hui, mais qui menacent rarement la vie. En comparaison, les exemples que prend l'auteur présentent des situations extrêmes, comme le génocide des Tutsis au Rwanda. Les personnes qui proposent leur aide mettent leur vie en péril et cela, l'auteur le décrit très bien. Il souligne à juste titre que les personnes n'ont pas le choix. Que ce soit à travers l'expérience de Milgram ou les personnes venant au secours des Juifs durant la guerre, Pierre Bayard met très bien en avant le fait que les actes de solidarité ou de sacrifice sont souvent indépendants d'un choix rationnel. Cela m'éclaire dans mon propre comportement. Je suis quelqu'un qui me bats même quand je me dis que je ne le dois pas !
En littérature, j'aime à me projeter dans les personnages. Parfois cela peut constituer une expérience frustrante, comme ça a été le cas quand j'ai dû me projeter dans Emma Bovary mais il y a des expériences formidables aussi comme pour Jacques Thibault dans Les Thibault de Roger Martin du Gard.
Inès
Avant de commencer la lecture, j'avais peur de devoir me prendre la tête car je préfère les fictions d'habitude. Finalement j'ai trouvé que le livre était facile à lire, mais je suis déçue par le contenu. "Aurais-je été résistant ou bourreau ?", c'est une question que je me suis déjà posée et j'attendais que le livre me guide vers une réponse. Ça ne m'intéressait pas de savoir ce que l'auteur aurait fait. Or il a bien trop contextualisé et sa réflexion ne m'a pas aidée à trouver ma propre réponse. Ma famille vient d'Algérie et l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale ne me parle pas : elle ne fait pas partie de mon histoire familiale ou personnelle et n'a rien de comparable avec cette dernière. Dans les situations difficiles que l'on peut rencontrer aujourd'hui, il s'agit plus du devoir d'entraide et de solidarité et non de la survie. Ainsi, je ne pouvais m'identifier aux situations qu'il a décrites dans son livre et ne pouvais me projeter dans son personnage.
La notion de "personnalité potentielle" m'a fait peur car elle laisse entendre que je ne pourrais me connaître qu'au travers d'une situation de crise. Par conséquent, s'il ne m'arrive pas de vivre ce genre de situation, je ne me connaîtrai jamais.
J'ai aimé deux choses dans le livre : l'idée de la bifurcation et la description de la vie pendant la Seconde Guerre mondiale. J'ai toujours imaginé cette dernière comme une période où la vie s'était arrêtée mais je me rends compte que ce n'était pas du tout le cas.
Jacqueline
Je n'aime pas beaucoup Pierre Bayard. Je n'ai pas aimé les précédents ouvrages que j'ai lus de lui. Le titre de celui-ci ne m'a pas donné envie. Il a fait un travail de bon normalien : c'est argumenté, bien construit, mais ça m'agace.
J'ai vécu la guerre, ce qui présente un barrage supplémentaire pour apprécier le livre. La question me paraît vaine. On ne peut pas savoir ce qu'on fait dans telles ou telles circonstances. J'ai essayé de suivre le personnage dans sa progression mais n'y parvenais pas. Avec un peu d'esprit chevaleresque, j'aurais été résistante. Mais comment aurais-je réagi dans la réalité, je l'ignore.
J'avais constamment envie de le contredire. Pour l'expérience de Milgram par exemple : l'auteur la décrit comme une expérience sur l'obéissance, mais je trouve que c'est une expérience artificielle. Il y a beaucoup de facteurs qui auraient pu biaiser les résultats, à commencer par le fait que celle-ci se déroule dans une université prestigieuse et que les personnes ayant accepté d'y participer étaient en confiance.
Je n'ai pas compris la notion de "personnalité potentielle" car elle sous-entend que la personnalité serait quelque chose d'inamovible et cela me dérange. Bayard l'identifie à "l'inconscient de Freud" : dans ce cas-là, pourquoi ne pas l'appeler "l'inconscient de Freud" tout simplement ? De plus, il me semble que l'inconscient freudien est bien plus riche que son concept de "personnalité potentielle".
Sur un sujet similaire, j'ai lu plus tôt dans l'année avec le groupe Où j'ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari que j'ai trouvé bien plus fin et incitant bien plus à réfléchir.
Fanny
Avant de commencer la lecture, j'avais peur qu'un essai sur un tel sujet soit compliqué à lire. Le titre m'a d'abord paru racoleur, manichéen et dès l'introduction, un doute s'est installé en moi. Le livre est certes assez construit, mais il n'a pas l'ampleur d'un essai. L'auteur fait étalage d'un grand nombre de citations et d'exemples, mais on n'entend pas son avis à lui.
La notion de "personnalité potentielle" me paraît assez vaseuse. Le fait que chacun réagit différemment dans des contextes différents me paraît assez évident. L'auteur se rattache trop à son père dont les actes déjà réalisés lui ont servi de dispense à l'analyse de lui-même.
Les analyses sont très réductrices dans le livre. Par exemple, l’auteur explique le comportement des Justes comme découlant d’une situation familiale stable. Ce raccourci me fait douter de la justesse clinique de son approche.
Le thème est très intéressant mais le livre l'a traité très pauvrement. J'attendais mieux de la part d'un professeur de littérature et psychanalyste. Ce livre, s'il a la prétention d'un essai, n'aide pas à la réflexion. Si la vocation du livre n'était qu'une fiction, elle n'est pas plus réussie. J'ai lu La part de l'autre d'Éric Emmanuel Schmitt. Bien que ce ne soit pas une œuvre littéraire, celui-ci m'a plus incité à réfléchir que Aurais-je été résistant ou bourreau ?
Eléonore
Le livre m'a bien plu. Contrairement à vous, je n'avais aucune attente avant d'entamer l'ouvrage. J'ignorais même qu'il s'agissait d'un essai. Cet état d'âme m'a sans doute permis de mieux me délecter de la lecture.
J'ai d'abord trouvé que c'était une dissertation bien construite, sans doute quelque peu académique. Mais il se trouve que j'apprécie la rigueur et l'organisation d'une belle dissertation. J'ai trouvé les idées claires, les thèses bien étayées et les arguments bien décrits. L'auteur a concentré un nombre important d'exemples dans ce livre que j'ai assimilé à un recueil de culture générale pour ma culture personnelle.
L'auteur a fait un effort de conceptualisation et d'objectivation d'un sujet infiniment complexe, soumis à de multiples incertitudes et subjectivités. Je pense que Pierre Bayard a juste essayé de montrer un exemple de la façon dont la réflexion peut être menée, sans avoir l'ambition de résoudre le problème qui trouvera autant de réponses que d'individus. Par conséquent, je n'ai pas essayé de m'approprier le parcours du personnage pendant ma lecture.
Je n'avais aucune attente quant à la capacité de l'essai à me guider à trouver une réponse à la question de "Aurais-je été résistant ou bourreau ?". Eminemment romantique, la question ne se pose pas pour moi : bien sûr que j'aurais été résistante !
Quant à la notion de "personnalité potentielle", je ne pense pas qu'elle existe dans la réalité. Je considère la personnalité comme constamment en mouvement et son adéquation avec le comportement parfois difficile à établir. Malgré une constante qui marque chacun, j'estime qu'on ne peut réduire l'explication d'un comportement à une personnalité figée qui n'existe pas.

AVIS du groupe "VOIX AU CHAPITRE Morbihan" (Jean-Luc, Claude, Lona, Marie-Claire, Chantal, Mon, Marie Thé, Suzanne, Nancy, Édith, Nicole et Lil)

un peu
moyennement
beaucoup
passionnément
ouvert ¼
½ ou entre½ et ¾
¾ ou ¾+
grand ouvert !
2
4
5
2

Avis général des Bretons : un livre intéressant qui pose des questions essentielles et nous amène à nous interroger sur notre engagement présent : c'est ce qui a motivé la majorité des cotes d'amour positives.
Mais le projet du livre ou "comment parler des vies que l'on n'a pas vécues ?" et le procédé utilisé semblent, pour la plupart d'entre nous, vain, artificiel, pas du tout convaincant et en totale contradiction avec la citation de Primo Levi qui précède le prologue.
Jean-Luc
C'est un livre de chevet, tellement il est riche d'investigations sur le comportement des hommes dans les situations d'exception : soviétisme, nazisme, dictature des Khmers rouges, massacre des Tutsis, invasion de la France par les armées allemandes, guerre récente dans les Balkans, etc.
Pierre Bayard a l'idée fort intéressante de se mettre lui-même en situation : il s'interroge sur lui tout en interrogeant la réalité des comportements des bourreaux et des résistants.
Son analyse fouille le détail des réactions possibles. Il montre que notre choix, résistant ou bourreau, est le résultat de nombreux facteurs liés à notre personnalité et à notre vécu. De plus, ce choix est comme une marche sur une ligne de crête, un rien, souvent inexplicable, nous fait tomber d'un côté ou de l'autre. Ce choix est aussi un mystère, car il met en jeu une connaissance de nous même que nous ignorons, à savoir notre capacité réelle à résister dans les situations d'exception, faisant ici avec beaucoup de pertinence la distinction du Moi et du Soi.
Ce livre est d'une telle richesse d'analyse qu'il ne m'est pas possible d'en dire plus sinon qu'elle est aussi une très bonne mise en garde pour les années qui viennent.
Chantal
C'est un livre "inconfortable" dirait un auteur coréen (au nom imprononçable !) qui était au salon du livre à Paris. Inconfortable et qui m'a "bousculée" tout au long de ma lecture. Si le prologue de Primo Levi est en contradiction avec la suite, cela ne m'a pas gênée ; pour moi le but de l'auteur n'était pas tant le passé (la 2ème guerre mondiale) que le présent : nous, moi, AUJOURD'HUI !
Et là, c'est une autre affaire ! L'individu, tiraillé entre tous les paramètres très bien disséqués par l'auteur, cet individu, c'est moi, nous ! Nous qui sommes informés, abreuvés d'images, et qui sommes bien confortablement installés dans notre routine en voyant, une tasse à la main, des bébés dans la boue de Calais...
Je suis contente d'avoir lu ce livre qui continue en moi le questionnement et la réflexion...
Lil
J'aurais été très intéressée par ce livre et les questions essentielles qu'il propose si je n'avais lu auparavant le livre du philosophe Michel Terestchenko, Un si fragile vernis d'humanité : banalité du mal, banalité du bien, livre où a été prélevée la majorité des exemples cités dans le livre de Pierre Bayard qui, pour moi, est une compilation et une vulgarisation du livre cité, avec le regard d'un psychanalyste.
Et, si j'ai trouvé le livre de Bayard facile à lire, fond et forme, le procédé utilisé, à savoir se replacer dans un contexte historique passé pour en déduire quel chemin, celui du bourreau ou du résistant, on aurait pris, m'a semblé totalement artificiel et le projet du livre, raté.
"Chaque individu est un sujet tellement complexe qu'il est vain d'en prévoir le comportement, davantage encore dans des situations d 'exception, et il n'est même pas possible de prévoir son propre comportement". (Primo Levi)
Si le livre de Bayard a pour objectif de nous faire réfléchir sur nous-mêmes, nos valeurs, nos comportements, nos engagements passés et présents, la réflexion philosophique menée par Térestchenko, sur le bien et le mal, à partir d'exemples scientifiques, me paraît plus complète, plus efficace et me convient beaucoup mieux.
Marie Thé
Immédiatement je pense à ce livre lu dans le groupe, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?, du même auteur. Ici ce serait : "comment parler d'une vie que l'on n'a pas vécue ?" Et puis ce titre de notre livre d'aujourd'hui, cette question, elle me surprend et spontanément, je réponds : je n'aurais été ni l'un ni l'autre. "Se poser ce type de question nécessite de s'impliquer personnellement dans la réponse" dit P. Bayard. Une autre question me vient : suis-je lâche, coupable, si je ne m'engage pas ? Réponse : non. Au passage, je glane ceci dans le livre : "Le devenir résistant est pour moi plus singulier que le devenir bourreau", "La force qui se trouve en chacun de nous ne se développe que chez quelques uns." Pas d'engagement dans la résistance pour l'auteur, à cause de "la peur physique d'être arrêté, maltraité, torturé." Par ailleurs, s'engager impliquerait de renoncer à une institution prestigieuse, à un avenir prometteur et confortable, et surtout de "s'extraire" d'un cadre. Je marche dans ses pas, je me cacherais parmi les livres. Difficile de passer de l'indignation à l'action concrète. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe aujourd'hui avec les migrants, sujet sensible en plus...
Livre original et honnête, que j'apprécie ; par contre cela me gêne de m'associer ainsi à ce que dit l'auteur, mais il se trouve que mon chemin dans ce livre passe par là.
Je retiens ce mot "bifurcation", en ayant eu la possibilité de refuser de participer aux massacres (décrits par Browning) : après le discours de Trapp, les soldats se sont trouvés à une bifurcation. "Chaque vie est ainsi une succession de bifurcations".
Daniel Cordier est quelqu'un que j'apprécie, j'ai aimé le rappel de son parcours... J'ai été sensible à celui de Romain Gary ; chez eux, on va de bifurcation en bifurcation, à noter aussi que R. Gary est porté par "une forme d'indignation incarnée par sa mère." Pour aboutir à une action de résistance, bien des seuils sont à franchir, là le psy, il m'ennuie un peu. Je m'arrêterai sur "La rose blanche", Sophie Scholl et les autres : il fallait "briser les barrières de la peur". Incroyable histoire de Aristides de Souza Mendes, cet homme remarquable qui invente un "nouveau cadre".
Avec l'évocation de l'expérience de Milgram, on bascule du côté des bourreaux, il y a soumission à l'autorité, peu d'empathie. "C'est le sentiment de faire leur devoir qui va l'emporter chez la majorité des sujets." Et comme cela se passe dans le cadre prestigieux de Yale...
J'ai vu Fritz Bauer un héros allemand récemment ; arrêté, Eichmann disait n'avoir tué personne... (en fonctionnaire zélé il avait obéi aux ordres). Je me souviens de Lacombe Lucienmontré ici comme "vierge de toute culture", pouvant aisément basculer, n'ayant pas de "déterminations politiques" mais psychologiques... J'ai une pensée pour Au revoir les enfants, film de Louis Malle aussi, déchirant...
J'ai oublié, le "conformisme de groupe" évoqué lors de massacres par exemple.
A propos de l'expérience de Milgram et la capacité d'empathie : nous serions plus enclins à aider celui qui nous ressemble... Je parlerai aussi de générosité sélective... (Afrique, Europe...)
Pour Milgram quand même, qu'aurait fait P. Bayard? Qu'aurais-je fait ?

Lona
Je n'avais pas aimé le livre de Bayard Comment parler des livres qu'on n'a pas lu. J'ai apprécié celui-là, car j'ai su me couler dans ses interrogations au sujet de la guerre de 1939-45, pour avoir baigné dès mon jeune âge dans des récits et des engagements de guerres.
Je classe ce livre entre science-fiction, autobiographie, témoignage, mais aussi comme un livre politique actuel, avec beaucoup de références livresques plus que des récits de vécu. Son modèle est son père (Œdipe réglé ou pas ?). Bayard s'invente son histoire, se substitue à son père et se fait vivre à travers lui. Ils ont pratiquement le même parcours intellectuel. Il décrit souvent le père comme quelqu'un de commun (entrée ratée à l'ENS sans vouloir se présenter une seconde fois au concours), d'immobile, de tiède. Lui-même se classe dans le camp des tièdes ; l'engagement politique des étudiants de l'ENS amenait à l'exclusion de l'Ecole et visiblement cette obligation l'arrange bien. Il ne réagit pas aux rafles des Juifs, mais se sent concerné uniquement quand il est question de STO pour lui. Son entrée en résistance consiste à se faire porter pâle et être nommé bibliothécaire à l'ENS et éviter ainsi le départ pour l'Allemagne. Il reste plus ou moins planqué entre Bordeaux, Bayonne et Vichy et l'Ecole lui assure une sorte de carapace et d'abri. En somme, c'est un engagement tiède, comme la plupart des Français d'alors !
Il parle souvent de bifurcations de vie, de conflit éthique. De belles pages sur l'amitié de Miléna et Margaret dans les camps : "un être libre parmi les humiliées" p.114-115. L'expérience de Milgram et l'opération Trap sont intéressantes et l'expérience de Batson ouvre la porte de l'empathie. Je ne connaissais pas. Le non-engagement ou l'engagement "aurions-nous eu leur force d'âme ?" (p. 93). La résilience me renvoie aux écrits de Boris Cyrulnick, qui en parle très bien ! On s'engage par opposition au crime, par désaccord idéologique, par indignation, pour la liberté de penser et d'expression, pour sa foi religieuse, par sentiment de responsabilité, pour sa capacité d'empathie. Ou alors, on fuit sa responsabilité, en revendiquant son obéissance aux ordres, ou sa neutralité. La peur est omniprésente ! C'est elle qui "empêche de penser" : la peur du regard de l'autre, peur de la police, de la dénonciation, de la torture, de la sévérité de la répression, de la mort.
Bourreau ou résistant ? Je suppose que chacun d'entre nous se rêve résistant plutôt que bourreau : c'est à la fois plus confortable et plus honorable ! Peut-on objectivement se situer quand on connait la suite de l'Histoire ? Peut-on se mettre "à la place de" l'autre ? On ne sait même pas ce qu'on ferait en étant à sa propre place, devant un événement réel, et d'autant plus lors d'un fait de guerre… Est-ce qu'une route de vie est toute tracée ? Le serait-elle alors en fonction de l'éducation, de la religion, de la culture, des rencontres, des hasards et des lieux de vie, de l'influence ou de l'engagement de sa famille, du goût pour la paix ou pour la violence, etc. ? Serait-on alors programmé ? A mon avis, le sens du devoir et des responsabilités se transmet et l'engagement est donc plus facile quand il y a des modèles proches.
Ce livre pose beaucoup de questions, mais clarifie-t-il mon propre questionnement ? En tous cas, il m'interroge, par rapport au vécu de mes anciens. Qu'est-ce que j'aurais fait ? Aurais-je combattu notre ennemi ancien et résisté ou aurais-je été du côté allemand (qui avait fait ses preuves de conquête) ? Aurais-je su choisir entre le Bien et le Mal ? Comment aurais-je pu déterminer de quel côté était le Bien, chaque antagoniste restant campé dans sa propre logique : les SS étaient des gens cultivés, diplômés - certains ont dénoncé le régime nazi (Schnidler lui-même nazi, le réseau de la Rose Blanche, des réseaux de femmes résistantes à Berlin, depuis 1933… l'Histoire en a peu parlé), mais la grande majorité, illuminée par son idéologie, a marché d'une même cadence dans les traces du Führer.
J'ajoute mon témoignage.

Mireille (de l'ancien groupe, maintenant à Nice)
J’ai eu des difficultés avec le livre Aurais-je été résistant ou bourreau ? que j’ai lâché, repris à plusieurs reprises sans l’abandonner, mais le trouvant trop théorique pour moi… Aussi ai-je apprécié le lien sur France Culture, j’ai écouté attentivement l’interview de Pierre Bayard avec Laure Adler, j’ai lu tous les avis sur le site, ce qui m’a ouvert différemment à Pierre Bayard, à son écriture, me donnant envie de lire un autre livre.

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout



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