Journal
du voleur, Folio, 1982
La quatrième de couverture :
« Je nomme violence une audace au repos amoureuse des périls.
On la distingue dans un regard, une démarche, un sourire, et c'est
en vous qu'elle produit des remous. Elle vous démonte. Cette violence
est un calme qui vous agite. On dit quelquefois : "Un gars
qui a de la gueule." Les traits délicats de Pilorge étaient
d'une violence extrême. Leur délicatesse était violence. »
Jean Genet
Portrait de Genet par Giacometti (Centre Georges
Pompidou)
Voici comment Jean-Paul Sartre avait présenté ce livre
en 1952 :
"Montrer les limites de l'interprétation psychanalytique
et de l'explication marxiste et que seule la liberté peut rendre
compte d'une personne en sa totalité, faire voir cette liberté
aux prises avec le destin d'abord écrasée par ses fatalités
puis se retournant sur elles pour les diriger peu à peu, prouver
que le génie n'est pas un don mais l'issue qu'on invente dans les
cas désespérés, retrouver le choix qu'un écrivain
fait de lui-même, de sa vie et du sens de l'univers jusque dans
les caractères formels de son style et de sa composition, jusque
dans la structure des images, et dans la particularité de ses goûts,
retracer en détail l'histoire d'une libération : voilà
ce que j'ai voulu ; le lecteur dira si j'ai réussi."
Jacqueline a apporté de quoi rappeler "une scène d'amour"
du livre (p. 57) :
"D'un geste de sa main vivante il me fit signe qu'il voulait se
déshabiller. Comme les autres soirs je m'agenouillai pour décrocher
la grappe de raisin.
A l'intérieur de son pantalon il avait épinglé une
de ces grappes postiches dont les grains, de mince cellulose, sont bourrés
de ouate. (Ils ont la grosseur d'une reine-claude et les femmes élégantes
à cette époque et dans ce pays les portaient à leurs
capelines de paille dont le bord ployait.) Chaque fois, à la Criolla,
troublé par la boursouflure, qu'un pédé lui mettait
la main à la braguette, ses doigts horrifiés rencontraient
cet objet qu'ils redoutaient être une grappe de son véritable
trésor, la branche où, comiquement, s'accrochaient trop
de fruits."
Photo prise à Barcelone par Marie Odile :
"j'ajoute une photo que j'ai faite à
Barcelone ce week-end de fin octobre. J'y ai flâné en pensant
à Cabre, Zafon, Mendoza, Genet et j'ai rencontré par hasard
ce petit signe à l'entrée du Bario Xino... qui est en pleine
évolution."
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Jean Genet
Journal du voleur
Nous avons lu ce livre en octobre 2015.
Nous avions lu de Jean Genet Notre-Dame-des-Fleurs,
en 1989.
Richard (avis transmis)
Décidément, je suis un mauvais élève, car
je dois encore renoncer à la réunion de ce vendredi soir.
Je suis d'autant plus déçu car j'aurais voulu entendre les
commentaires du groupe sur le livre de Genet, car il ne m'a pas plu (c'est
rare) : le début est difficile à lire (j'ai fait lire
la deuxième phrase à trois Françaises* bien éduquées
et aucune ne pouvait m'en expliquer le sens). La suite est plus facile,
mais je n'arrivais pas à m'y adhérer. Faut-il lire le commentaire
édité par Folio pour bien comprendre... ?
*Richard est écossais...
Rozenn (non avis transmis)
J'ai pas lu Genet. Sauf les trois premières pages et je n'ai pas
eu le temps ni l'envie de poursuivre. Je suis en train de lire Sapiens,
c'est intéressant et drôle !!!
Serge (d'Avignon)
J'ai hâte de lire les "retours" sur le Journal du Voleur...
Nous voici au bagne avec l'auteur, presque en uniforme rayé des
Daltons... Mais là où Morris nous offrait le rire, Genet,
lui, nous entraîne dans la misère des forçats et surtout
dans leur érotisme, leurs désirs qu'avec la grandiloquence
de l'époque (cela m'a paru très daté après-deuxième
guerre mondiale) il épanche. "Sex addict" Genet ?
Sans aucun doute. J'ai de la compassion pour lui qui a dû affronter
la misère dès l'enfance. D'où ce style pompeux, où
il raconte trop, et face à son lyrisme le lecteur que je suis perd
pied et ne prend pas le sien. Le mérite de ce texte est de relater
une réalité. Ça a existé. Et il n'est pas
sans me rappeler le bouquin de Denis Belloc Néons.
Mais je dois avouer qu'il me barbe ce journal qui n'en est pas vraiment
un.
Monique L (avis transmis)
J'ai eu beaucoup de mal à lire ce livre ; principalement à
cause de son écriture baroque, ses phrases inversées, ses
digressions, ses répétitions. Il a écrit : "Pour
me comprendre une complicité du lecteur sera nécessaire.
Toutefois je l'avertirai dès que me fera mon lyrisme perdre pied".
Je n'ai pas réussi à être complice. Certaines phrases
que j'ai relues plusieurs fois me paressaient artificielles : une enfilade
de mots qui pour moi ne faisaient pas sens. Je trouve que c'est un texte
qui a vieilli.
Mais j'ai également été gênée par son
contenu provocateur : inversion des valeurs, extraordinaire séduction
exercée par le mal, fascination pour des hommes brutaux Cela m'est
apparu comme une reconstruction a posteriori et du coup j'ai eu du mal
à m'y intéresser. Le lyrisme sur l'art du voleur ne m'a
pas touchée et j'ai été gênée par les
répétitions à ce sujet.
Il y a cependant de bons passages de descriptions, comme le passage des
bourgeois étudiant et photographiant les mendiants à Barcelone.
L'épisode du tube de vaseline mêlé à la rêverie
autour d'une vieille femme qui pourrait être sa mère est
plutôt cocasse...
Lisa (avis transmis)
Je ne pourrais pas être des vôtres ce soir : pour faire
court, je suis envoyée 4 mois à Lyon pour mon travail. Je
devrais revenir certains week-ends à Paris, je ferai en sorte que
ce soit les week-ends où le groupe lecture se réunit !
Concernant Jean Genet, je dois reconnaître que ce livre m'est tombé
des mains... Je n'ai pas pu dépasser 50 pages. Oui, le style est
beau, on voit l'effort que Genet a mis dans la construction de chaque
phrase. Mais c'est pompeux ! Au bout de deux pages, j'en avais assez
de certaines figures de style et des inversions nom/adverbe, verbe/adverbe.
Par exemple : "La police française sur moi exerce...",
"Pour sélectionner le fil téléphonique qui
très imprudemment passait..." Ce ne sont que deux exemples,
mais on retrouve cette construction de phrase très (trop !)
souvent. D'habitude j'aime ce style de livre (dans le fond j'entends),
assez sombre, quelque peu "malsain", mais le style pompeux et
lourd m'a perdue. C'est dommage.
Je l'ouvre d'un quart, pour l'effort de style et pour le fond qui, j'en
suis persuadée, m'intéresserait beaucoup.
Laurène (avis transmis)
Jai apprécié le style, mais jai eu du mal du
fait que ce nest pas linéaire. Ma gênée
aussi de ne pas savoir si cest une réalité fantasmée
ou pas. Mais jai trouvé intéressant la construction
de la beauté à partir de lunivers décrit.
Nathalie (avis transmis)
Une des raisons qui motive mon désir d'intégrer ce groupe
de lecture, c'est bien d'être confrontée à des mondes
ou des écritures que je ne connais pas. Me voici servie avec Jean
Genet ! Saisie en plein fouet au milieu de ma méconnaissance
totale de cet auteur dont le nom résonnait en moi comme ceux considérés
comme les plus nobles de la littérature dite classique !
Quel étonnement quand, passées les premières pages,
j'ai dû plusieurs fois faire demi-tour car je n'y comprenais rien !
Et de relire un paragraphe et puis un autre, m'arrachant à la construction
des phrases qui me semblaient complètement aberrantes voire absconses.
Je me suis sentie bien stupide et bien limitée dans ma capacité
à aborder son univers. Encore plus quand j'essayais de repérer
une trame narrative cohérente. Bref, peu à peu, il m'a semblé
évident que je devais lâcher prise et glisser dans une lecture
plus poétique de son texte.
Genet semble annoncer son projet en page 80 : "nous savons
que notre langage est incapable de rappeler même le reflet de ces
états défunts, étrangers", [le journal]
n'est pas une recherche du temps passé, mais une uvre d'art
dont la matière prétexte est ma vie d'autrefois".
Cette annonce aurait pu trouver sa place au début de son uvre,
cela m'aurait peut-être réconciliée avec cette dernière.
J'ai souvent forcé mon cerveau à remettre les propositions
dans un ordre à peu près cohérent afin d'appréhender
en une seule lecture, le contenu du texte. Mais comme cela a été
pénible et contrariant. L'univers complètement étrange
de celui des "mariconas", brutal et proche d'un ballet maudit
dans un monde qui ne semble plus exister avait beau m'intéresser,
j'ai été très vite découragée par l'absence
apparente de logique interne.
Même si, une fois apprivoisée, j'ai pu enfin prendre du recul
et trouver matière à me mettre quelques perles sous la dent ;
une petite merveille que la description de la prison p. 98 :
"Au détenu la prison offre le même sentiment de sécurité
qu'un palais royal à l'invité d'un roi [
] deux
bâtiments construits avec le plus de foi, ceux qui donnent la plus
grande certitude d'être ce qu'ils sont" ou le passage au
cours duquel le narrateur devient l'abri universel du soleil (bas de la
p. 78) ! Genet annonce une victoire "verbale" qu'il doit
"à la somptuosité des termes mais qu'elle soit bénie
la misère qui [lui] conseille de tels choix", mais
pour la lectrice que je suis, j'avoue que je referme le livre parce que
je n'y ai pris que très peu de plaisir.
Il me tarde d'avoir vos retours.
Jacqueline
J'ai eu beaucoup de mal à le lire au début, je n'accrochais
pas. J'en suis arrivée à la moitié. Je garde de Notre-Dame-des-Fleurs
un souvenir extraordinaire, du mélange de détails concrets,
sordides et de lyrisme : je l'avais lu comme un poème. Querelle
de Brest m'a rasée. J'aime le théâtre de Genet
(Les Bonnes, que j'ai envie de voir dès qu'elles passent) ;
j'aime le côté provocateur et un peu outrancier de certaines
pièces. J'essaie de comprendre pourquoi je n'y arrive pas avec
le Journal du voleur. Peut-être parce que cela parle du désir
d'un homme : que peut-on comprendre du désir de l'autre ?
Comment le mettre en mots ? En tant que femme, le désir de
l'homme est étranger, comment le comprendre ? D'autant plus
quand un homme parle du désir pour un autre homme, c'est opaque.
Il y a beaucoup de détails provocateurs : la vaseline, la
grappe de raisin (voir photo ci-contre). Mais ce n'est pas si concret
que cela, cela me demandait un effort de lecture. Après son départ
de Barcelone, il parle de son enfance (Jacqueline lit une page)
: c'est une vision qui me touche énormément, je trouve ce
passage de toute beauté. Si ce livre me fait réfléchir,
je l'ouvre aux 3/4 (je ne sais pas quels critères adopter pour
savoir comment l'ouvrir
). Mais j'ai eu tellement de mal à
lire le début que je n'ai pas pu (encore) le finir. Au moment de
sa parution, il s'agit d'un brûlot dans son époque sur le
monde.
Brigitte
"Immonde" peut être entendu comme "en dehors du monde".
Claire
J'aime bien quand il y a des liens entre les livres qu'on lit : je
trouve intéressant qu'on ait commencé l'année avec
Cabré et de la fiction, Ferrari lui s'inspire de faits réels
mais qu'il n'a pas vécus, avec Genet et ce faux journal il s'agit
de matière autobiographique, comme pour Édouard Louis la
prochaine fois il s'agira d'autobiographie mais intitulée "roman"
Et on retrouve aussi dans Genet la Barcelone de Cabré
Au début je n'ai rien compris. Sans un voyage en train qui m'a
permis de ne pas interrompre la lecture, et sans le groupe, il est certain
que j'aurais abandonné ce livre. D'abord, une interrogation sur
le genre : un journal ? C'est un genre fragmentaire, et ça
ne l'est pas ou alors si on considère que c'est "des notes"
comme le narrateur d'ailleurs le dit : ça sent donc déjà
l'imposture ; ce n'est pas un journal intime, pas des mémoires,
plutôt des confessions, des anti-confessions
J'ai apprécié
l'aspect documentaire sur son errance (ça m'a renvoyée aux
migrants d'aujourd'hui) et les bas-fonds, m'interrogeant sur le voyeurisme
auquel il se prête en construisant sa légende comme il le
répète. L'aisance par rapport à l'homosexualité
est étonnante en 1949. J'ai été sensible au fait
qu'il y a beaucoup d'amour de la part du narrateur alors que les relations
sont hyper dures ; c'est un des contrastes, avec celui de la langue,
belle, pour décrire des horreurs. Oui, comme dit Lisa, il y a des
procédés. Certaines scènes sont fortes, comme celle
qu'a relevée Monique : les "touristes" qui regardent
les mendiants comme au zoo (cela m'a rappelé les tour-opérateurs
dans les banlieues dans le livre qu'on avait lu de Lydie
Salvayre). Mais dans l'ensemble, le livre me donne l'impression d'un
simple matériau, de notes, sans composition d'ensemble, sans progression,
c'est répétitif, souvent monotone.
Je ne comprends pas sa morale, cette morale de l'amoral, avec la "réhabilitation
de l'ignoble". J'ai lu plein de choses autour (y compris le livre
commentaire dont parle Richard qui ne m'a pas fait valoriser le texte
davantage) et je suis allée consulter le gros livre de Sartre en
bibliothèque, vous proposant de lire quelques extraits du chapitre
"Prière pour le bon usage de Genet". Sartre dit en effet
qu'il ne s'agit pas d'une simple autobiographie, mais "d'une cosmogonie
sacrée" : blablablabla.
Je n'avais pas été emballée par Notre-Dame-des-Fleurs
tout en appréciant la langue. J'ai vu plusieurs fois Les Bonnes,
une grande pièce, et l'an dernier Les
Nègres, monté par Bob Wilson, après avoir
lu la pièce à laquelle je n'ai rien compris (comme au
début du Journal du Voleur) : pénible !
Brigitte
J'avais découvert Genet avec Notre-Dame-des-Fleurs
dans le groupe, surprise par le titre. Le Journal évoque
aussi un tube de vaseline... Il faut 160 pages avant qu'il y ait un alinéa...
Claire
Si, des alinéas il y en a, c'est des espaces...
Brigitte
Oui. Pas de chapitres, pas de table des matières... C'est un livre
bilan d'une étape de sa vie. Une série de notes publiées
peut-être parce qu'il était déjà célèbre.
Pourquoi a-t-il intéressé tous ces intellectuels de l'époque ?
Il y a un beau passage vers la fin : la description d'un corps lors
d'un meurtre, qui fait penser au "Dormeur
du val" avec une écriture extraordinaire, avec notamment
le sang comme des fleurs. Il y a une glorification de l'abjection. Je
suis tout à fait en accord avec le
prologue de Sartre : Genet est comme un Narcisse qui ne peut donner
que des reflets de lui-même, différentes facettes qu'on n'arrive
pas à coordonner. Je pense aussi à la description de Stilitano,
perdu dans un labyrinthe, reflet de Genet peut-être... L'homosexualité,
la trahison, le vol, qu'il annonce comme les trois thèmes du livre,
vont-ils vraiment ensemble ? Qu'est-ce que la trahison ? Genet
tend à la sublimer dans le Journal. Être son ami devait
pas être de tout repos
Claire
Il était très ami avec Giacometti qu'il admirait et il lui
aurait piqué un Matisse
Brigitte
Je suis contente de l'avoir lu, c'est un livre intéressant, mais
dur à lire.
Denis
J'ai commencé et dans un premier temps j'ai trouvé cela
épouvantable. Déjà, la dernière fois, je n'ai
pas pu lire Ferrari
à cause des tortures (c'est pour cela que je ne suis pas venu)
Qu'est-ce que la vaseline goménolée ?
Françoise
C'est à la menthe, et en plus ça pique.
(Voir détails d'importance...
sur Genet et la vaseline goménolée
ICI
dans Jean Genet Une jeunesse perdue, de Louis-Paul Astraud, éd.
Au Diable Vauvert)
Denis
Il faut rendre grâce à Genet d'être très pudique
et de parler d'amour plutôt que de détails sexuels. Il doit
avoir des pulsions spéciales et une forme de perversion (au sens
des sexologues). Par ailleurs, il parle à l'imparfait du subjonctif,
c'est artificiel.
Claire
Ça frise parfois le ridicule : "La coutume permettait que
j'empochasse mon argent, et que je partisse".
Denis
On est dérouté par sa prose, mais il ne faut pas trop lui
jeter la pierre étant donné ce qu'il est.
Claire
Genet n'est pas cinglé !
Brigitte
Il n'a pas été en hôpital psychiatrique
Mais
il a été en prison...
Denis
Comme tu disais, Jacqueline, pour le désir, c'est difficile d'appréhender
une parole qui m'est étrangère. L'homosexualité est
également difficile à appréhender ; quand on est
hétérosexuel, on sait bien que l'homosexualité peut
aussi vous concerner. Il y a des moments où je ne comprends plus
rien, il déconne complétement. Il essaie de valoriser des
choses odieuses pour des hommes "ordinaires". Je suis arrivé
à la moitié, en zappant un peu. J'ai trouvé cela
très ennuyeux : il n'y a pas d'intrigue et on ne sait pas
où il va. Il y a tout de même des moments beaux même
si les douceurs sur l'amour sont parfois gnangnan.
Plusieurs
Gnangnan !...
Denis
Il y a aussi des passages rigolos. Est-ce vraiment autobiographique, ou
inventé, ou expression de ses fantasmes ? Le travail du lecteur
n'est pas facile.
Françoise
Je l'ai survolé
J'ai retrouvé chez moi la biographie
la
biographie d'Edmund White avec laquelle je me suis rafraîchi
la mémoire : dans ce livre, il s'appuie sur sa réalité
vécue et modifie des points. C'est répétitif, un
peu pesant. L'écriture m'a plu, je trouve qu'il y a une belle écriture,
même si c'est un style auquel on n'est plus habitué. Le récit
n'est pas rigoureux, il exagère beaucoup son vécu, magnifie
et fait des raccourcis. Il cache notamment ses années d'armée.
Claire
Six ans !
Françoise
Il exagère un peu son expérience en prison.
Claire
Il est arrêté de nombreuses fois, mais grâce à
ses amis intellos (pétition à l'initiative de Sartre et
Cocteau), il finit par être gracié par le président
de la République
Françoise
En prison, il n'était pas du tout au mitard, comme il dit ;
il était seul, et installé pour écrire. Il est dans
la provocation permanente, il prend toujours parti pour le Mal :
comment peut-on dire que le bagne, c'est magnifique ! Il avait une
sorte de magnétisme, de charisme. Il était brillant, ce
qui lui a permis de se faire une place auprès des intellectuels.
Claire
Il a eu plusieurs "esclaves" femmes : Paule
Thévenin, Monique
Lange, la femme de Goytisolo (dont nous avions lu Pièces
d'identité), qui se pliaient en quatre pour lui...
Françoise
Il prend toujours le contre-pied pour être du mauvais côté.
Claire
Finalement l'intérêt pour l'homme prime sur le livre ?
Françoise
Oui, c'est vrai, l'homme est intéressant et je rejoins ceux qui
disent que le livre peut être barbant. J'étais en train de
lire Les Voix du Pamano de Cabré et cela me perturbait de
lire Genet. Le livre est peut- être dépassé pour l'époque.
Jacqueline
Il n'y a plus la peine de mort, ni le même regard sur l'homosexualité.
Denis
Et si l'on compare avec d'autres livres écrits par des malfrats...
Françoise
Mais ce ne sont pas des livres littéraires. Bref, j'ouvre à
moitié.
Fanny
J'ai pas aimé. Mais j'étais curieuse d'avoir les avis des
autres. Les deux premières pages, je n'ai rien compris. Puis je
me suis dit je vais aller à la moitié, puis au bout
Mais je me suis ennuyée. Je trouve le style mauvais, pas beau.
Il y a eu quelques passages pseudo philosophiques, par exemple p. 230
sur le signifiant/signifié : "Le raccourci
que propose le symbole porté par ce qu'il doit signifier donne
et détruit la signification et la chose signifiée" ;
ça ne valait pas la peine de relire pour comprendre
Et le
passage sur la moquette p. 170 ! Le style lourd, haché, reflète
peut-être son état. L'éloge de la crasse, de la laideur
ne m'a pas convaincue. Le passage sur les poux était quand même
très drôle. Même le titre se pose comme modèle :
ce n'est pas le journal "d'un voleur", ce n'est pas "le
journal du voleur", c'est "Journal du voleur". Bref :
aucun plaisir de lecture !
Mireille
J'ai eu des difficultés jusqu'à la moitié. Je l'ai
lu, mais je ne comprenais pas grand-chose. Mais j'ai été
très intéressée à partir de la page 150, lorsqu'il
rencontre Lucien : sa relation à Lucien m'a beaucoup touchée.
Il va dans les détails de l'amour dans la relation à ses
hommes, mais ce n'est jamais vulgaire. Il parle souvent d'amour. Il a
dû profondément aimer les hommes et en être aimé.
Julien et Robert sont plus falots, Stilitano et Armand l'aiment. Stilitano
disparaît et revient plusieurs fois dans le livre. Mais au-delà
de cet amour, il y a toujours un moment où il faut voler l'ami.
Genet ne peut pas aimer jusqu'au bout. Ces rapports entre hommes, qui
se terminent mal, m'ont intéressée. J'aime beaucoup les
polars, et je n'avais jamais entendu parler de ce rapport au vol, de ces
rapports entre hommes. Les répétitions ne m'ont pas gênée :
c'est répétitif d'accord, mais la vie c'est un peu ça,
routinier
Le livre a tout de même été écrit
en 1949, il y avait alors peu d'écrits sur la pédérastie.
C'est inventé ou pas ? Peu importe. Moi ce qui m'a intéressée
c'est leurs rapports à la fois tendres et violents. Il y a de la
philosophie, j'ai essayé de m'accrocher, mais c'était dur
à suivre.
Brigitte
Qu'est-ce qu'il y a derrière la bonté : "La
bonté d'Armand ne consistait pas à faire le bien" ?
Son sens du mot bon est celui de ce pain est bon". Il passe son temps
à penser ce que pensent les autres de lui.
Mireille
C'est plus compliqué lorsqu'il mène une réflexion
sur le coupable. Il parle beaucoup de l'orgueil : ces passages, je
les trouve beaux.
Brigitte
Ce ne sont pas nos références.
Mireille
C'est peut-être ça qui m'a intéressée
J'ai été intéressée car il décrit des
sentiments contradictoires et il parle du mal. Il discourt beaucoup. Je
ne connais pas de gens comme cela. C'est loin de moi ? Je ne sais
pas. L'orgueil et la culpabilité m'ont fait réfléchir.
Claire-Lise
Je n'avais pas d'a priori sur Genet. Je n'ai pas compris les deux premières
pages, mais j'ai continué, et sans me poser de questions sur le
genre. Mais j'ai été gênée par l'inversion
des valeurs. Son écriture ne m'a pas convaincue. J'ai trouvé
qu'il y avait une forme de complaisance malsaine dans l'avilissement.
J'ai également trouvé cela très égocentrique
et je n'y ai rien trouvé d'universel. Vos commentaires m'ont intéressée,
m'ont donné d'autres formes d'approche. Je me suis arrêtée
au quart du livre. Je n'ai pas senti l'amour. Le début est compliqué,
il ne nous mène pas par la main. Cela me donne une porte d'entrée
sur un auteur que je ne connaissais pas et j'ai envoie d'aller voir sa
pièce.
Roger Nimier
(avis
transmis d'outre-tombe..., nous avions lu son livre Les Épées)
Jean Genet est un peu comme ces danseuses qui se sont montrées
surtout dans les cercles privés. On les admire et on les ignore
à la fois. Malheureusement, Journal du Voleur est un livre
détestable. Deux ou trois pages sont touchantes ; et avec un peu
de patience, on pourra lire encore ceci : "Le talent est une politesse
à l'égard de la matière". Ou bien :
"C'est parce qu'elle n'est pas achevée qu'une action est
infâme". Le meilleur Genet, cette fois-ci, est moraliste.
Dans Miracle de la Rose et même dans Querelle de Brest,
il y avait un véritable romancier. Nous en sommes bien loin à
présent. À la trentième page de ce nouveau livre,
les prestiges du crime sont déjà dissipés, toutes
ces aventures galantes nous endorment et Jean Genet n'est plus bientôt
qu'une Mlle
de Scudéry du bagne. (La Table ronde, n° 22, octobre
1949)
Séverine (avis transmis)
Lire vos avis à l'instant me conforte dans mon ressenti du peu
que j'ai lu du Journal du voleur. J'ai presque lu la moitié
lors d'un voyage en train, mais une fois en gare, à la maison et
par la suite, impossible de remettre le nez dedans. Je n'ai pas du tout
accroché, et c'est peut-être dommage car j'étais curieuse
de lire le sulfureux Genet. Je suis d'accord avec vous que le style n'aide
pas à vouloir aller plus loin. Je n'ai rien d'autre à en
dire ayant déjà effacé de mon esprit ces quelques
pages lues.
Claire
Au fait, L'homme blessé de Chéreau est une adaptation
du Journal du voleur.
Plusieurs
Ah bon ?
Claire
Je ne suis pas d'accord avec toi Denis quand tu parles de perversion.
Sexuellement, c'est sado-maso, ordinaire quoi !
Denis
Je parlais de perversions au sens où elles sont répertoriées
en tant que telles par les sexologues, dans les rapports scientifiques
Claire
Par contre, dans le domaine moral, je trouve qu'il y a là de la
perversion avec cette admiration du mal pour le mal.
Brigitte
Est-ce qu'aujourd'hui il admirerait Daesh ?....
Claire
Je n'arrive pas à comprendre son rapport à la moralité,
son exigence morale, dont il parle ("la sainteté est mon
but") et qu'on lui attribue : Sartre mais aussi Cocteau
qui dit de Genet qu'il faudra bien un jour le "considérer
comme un moraliste, si paradoxal que cela paraisse, car on a coutume
de confondre le moraliste et l'homme qui nous fait la morale",
(dans le livre La
Difficulté d'être qu'on a lu en juin dernier (quand
on a visité la maison de Cocteau).
Claire-Lise
Il grossit le mal, revendique l'étiquette qui lui est posée
pour se distinguer des autres.
Mireille
Il provoque peut-être à travers le crime - ce pourrait
être une autre façon de parler de son homosexualité
assumée, qui était considérée comme un crime
à l'époque.
(Après vérification ultérieure
à nos échanges, ce n'était pas un crime : voir
"Une rapide histoire
juridique de l'homosexualité")
Denis
Chez Genet, la jouissance le guide. Le terme de "perversion"
s'appliquait à l'approche de la sexualité pour l'époque.
Mireille
Genet fait bouger les frontières et les lignes de la morale.
Claire
Je ne comprends pas que Genet soit à ce point encensé. Je
l'associe à Sade qui est porté aux nues : quand j'ouvre
un livre, il me tombe des mains tellement c'est atroce. C'est le parcours
de ces hommes, la place de l'écriture dans leur vie, leur style,
qui sont exceptionnels, qui construisent leur légende. L'écriture
a sauvé Genet de la fange.
Brigitte
Comment il a pu acquérir cette culture si tout ce qu'il dit est
vrai ?
Jacqueline
Il a beaucoup lu en prison.
Claire
C'est intéressant quand il parle de la façon
dont il parle de la façon dont il a "appris les subtilités
de la langue française" (voir ci-dessous en rouge).
8 AVIS du groupe "VOIX AU CHAPITRE
Morbihan"
réuni le 17 novembre 2015
(Lona, Marie-Claire, Marie Thé, Marie, Lil, Chantal, Edith, Marie
Odile)
2 lecteurs "ouvrent aux ¾", 4 à ½,
2 à ¼
Chantal (de Bretagne)
Une lecture qui bouscule !
D'abord ce qui m'a rebutée, ce que j'ai détesté :
- l'apologie, la déification qu'il fait du crime, qui le fascine,
qui le hante dit-il, du mal
- la "décision" qu'il prend de magnifier, de sublimer
sa vie de mendiant, de voleur, de prostitué ; de se placer
hors de la société bien-pensante qu'il abhorre
- j'ai ressenti du dégoût lors de certains passages :
sa description des crachats de Stilitano et des scènes dans les
pissotières.
Bref, je n'adhère pas au "fond"... surtout après
ce 13 novembre ! Le mal absolu pour enfin trouver une place.
Mais j'ai beaucoup aimé :
- son amour revendiqué de la langue française : comment
a-t-il pu acquérir une telle maîtrise de cette langue, à
l'école de la république de cette époque ?
- la richesse de son écriture, de son style : quelquefois
c'est vrai on s'y perd, notamment sur le thème de la sainteté ;
mais quel talent dans les descriptions : celle de cette vieille dame
qui pourrait être sa mère, celle des rues de Barcelone avec
ses mendiants, ses voyous, ses prostituées...
- les passages poétiques, ces étincelles qui jalonnent le
livre : "à ce moment, je connaissais la joie inquiète,
aussi fragile qu'un pollen sur la fleur de noisetier, la joie matinale
et dorée de l'assassin qui s'échappe..." et ses
pages sur son amour ! Un régal !
- un style qui secoue, qui passe du langage ordurier à des tournures
"savantes" qu'on n'a plus beaucoup de chances de rencontrer
dans les romans contemporains
- sa façon de nous prévenir "qu'on sache donc que
les faits furent ce que je les dis, mais l'interprétation que j'en
tire c'est ce que je suis devenu"
- sa phrase qui reste mystérieuse : "on ne peut supposer
une création n'ayant l'amour à l'origine".
Enfin, à la relecture de certains passages, j'ai été
touchée par ce gamin de 20 ans, abandonné à la naissance,
rejeté ou plutôt se sentant rejeté par la société,
tombé dans la déchéance totale, oui, touchée
par la grande solitude qui se dégage de ses lignes et par sa recherche
constante, désespérée de l'amour.
Lona
J'ai eu de la peine à entrer dans ce livre, tellement je l'ai trouvé
dur, inaccessible pour moi. Je me suis fixé l'objectif de ne pas
le lâcher avant la centième page... j'ai tenu bon... j'ai
même essayé de le reprendre !
Alors comment parler d'un livre dont je n'ai lu qu'une petite moitié
et que je ne compte pas finir ? Une biographie de l'auteur, dédiée
à JP. Sartre et à Simone de Beauvoir (du beau monde, ma
foi !)
Les vols, les cambriolages, les larcins, les bagarres, les luttes, la
criminalité (j'ai bandé pour le crime), la misère
de la rue, la mendicité, l'errance, la délation, la destruction,
la violence, l'enfermement en milieu carcéral, les milieux sombres
des jeux et de la prostitution, des travestis... Genet utilise ces "éléments
ignobles de misère purulente, il s'en sert et s'y complait"
(p.80). Il parle beaucoup d'homosexualité, surtout de la sienne :
il faut replacer cette publication à son époque, où
il était difficile, voire impossible, d'aborder ce sujet (donc
Genet est un précurseur). Mais je me pose la question : assume-t-il
son homosexualité puisqu'on est sans cesse dans le rôle de
dominant/dominé ? La violence est partout, comme "une
audace au repos amoureuse des périls... une violence qui vous piège..."
(p.14) On retrouve cette même violence dans la beauté du
corps de Stilitano, le manchot.
Quelques belles phrases :
- la description des genêts de la lande
- la rencontre de la vieille qui sort de prison et qui pourrait être
sa mère => donc il est capable de sentiments (p. 18)
- cette mère qui a accouché d'un enfant monstre et qui la
tue dans un incendie volontaire (p. 30)
- son attachement à la France uniquement par la langue française
- et les poux !!! (p. 29)
- une note d'humour avec les Carolines qui tricotent ou font du crochet
devant les pissotières en attendant le client, les Tapettes travesties,
ou la grappe de raisin dans la culotte de Stilinato !
L'écriture est relativement facile, claire, les mots sont simples,
les personnages sont fouillés, bien décrits, mais que de
violence, de misère, de laideur, de déchéance dans
lesquelles l'auteur semble s'installer durablement. La solitude est omniprésente,
collante, la fascination pour le Mal étouffante ! Si l'écriture
est "salvatrice" pour Genet (mais je ne suis pas arrivée
jusque-là dans ma lecture), je conclus que rien n'est jamais définitivement
perdu, ni acquis...
À quand un livre plus joyeux ?
Je l'ouvre au 1/4 à cause de l'espoir de réhabilitation
que permet l'écriture.
Lil
J'ai été, à la fois, fascinée, abasourdie,
intriguée et écurée par ce journal.
Fascinée et surprise - sans doute à cause de mes a priori
sur Genet - par l'écriture qui peut être alambiquée,
ampoulée, absconse, avec des constructions de phrases inhabituelles
(de récurrentes inversions, par exemple), mais aussi sublime, lyrique,
poétique. J'ai adoré - à chacun ses petites
faiblesses ! - les imparfaits du subjonctif et les conditionnels
passé deuxième forme... Il y a des passages admirables sur
l'enfance, la prison, les miséreux du Barrio Chino, les poux, les
photos, la nature, la solitude, le tourisme social (qui rappelle le livre
de Lydie Salvayre), son uvre, la création, l'amour
J'ai aussi été très sensible à l'utilisation
des différents niveaux de langue : lyrisme et langage de gouape
mêlés, par exemple. La langue française, l'écriture
furent, sans nul doute, la résilience de Genet.
L'objet du livre (Une volonté de réhabilitation des êtres,
des objets, des sentiments réputés vils... une uvre
d'art dont la matière-prétexte est ma vie d'autrefois...,
je me forçais à considérer cette vie misérable
comme une nécessité voulue, les signes les plus sordides
me devinrent signes de grandeur), m'a permis de mieux appréhender
ce texte qui nous écartèle sans cesse entre l'horreur et
le sublime : une tragédie joyeuse, le suprême bonheur dans
le désespoir...
Me sont revenus en mémoire les livres d'Édouard Louis, de
Pierre Jourde, d'Annie Ernaux, également récits de vie devenus
uvres littéraires.
Grâce à ce journal, intriguée et abasourdie, j'ai
effectué un voyage découverte en voyouland : les malfrats,
leurs rituels, leurs valeurs, leur fascination pour le mal absolu - quelques
fréquentations de Genet avait rejoint la Gestapo française
et en font l'apologie (sinistres personnages dont les actes et paroles
résonnent bien tristement dans le contexte actuel). Tout ce qui
est choquant dans les contre-valeurs, exposées ici, m'a tenue à
distance du récit : je n'ai pas connu la sensation si agréable
d'adhérer pleinement à un texte dans sa forme et son contenu,
de s'y sentir confortée et réconfortée.
Heureusement, dans tout ce glauque, quelques rires (jaunes, il est vrai) :
le vol des couronnes mortuaires, la Grande Thérèse, tricotant
sur son tabouret dans les vespasiennes, entre chaque passe, la tenue vestimentaire
des macs, l'étron sentinelle
Voyage également étonnant
dans ce monde où les relations homosexuelles masculines semblent
devoir s'exprimer uniquement sur le mode dominant/dominé avec toutes
les humiliations qui vont avec
: Je connus le vertige de
rencontrer la brute parfaite indifférente à mon bonheur
! Gloups !
Et Genet, si ambivalent entre ce désir de reconnaissance de la
société qu'il rejette et la revendication de son infamie
dans ce monde, en le magnifiant par les mots ; Genet, si touchant
dans son regard sur son enfance, sa mère, dans sa solitude absolue
(34 références dans le livre), sa détresse (Je
transportais avec moi un tel fardeau de détresse
Ma misère
était si grande qu'il me parut que j'étais composé
d'une pâte pétrie d'elle
Elle était mon essence
même), dans sa quête d'amour (être important pour
quelqu'un, quels que soient les actes à accomplir ou les conséquences,
sa sensibilité face à la nature dont sa détresse
physique et morale le rapprochent, son côté fleur-bleue (Il
me sourit pour le 1ère fois, cela suffit, je l'aimai) et son
amour de la langue française dont il utilise le pouvoir (Dominer
Guy, à mon tour, par une autorité que m'accordait ma maîtrise
du langage).
La lecture de ce livre, que je ne regrette absolument pas, me donne l'impression
d'avoir essayé de maintenir sans cesse l'équilibre dans
le grand écart imposé à chaque instant par ce journal,
c'est peut-être pour cela que je ne l'ouvre qu'à moitié !
Marie Odile
Au départ, je me refuse à accorder à l'auteur/narrateur
"cette nécessaire complicité du lecteur"
qu'il réclame pour être compris (j'abordais pourtant ce texte
avec un réel appétit qu'avait ouvert la lecture de la biographie
amoureuse de Lydie
Dattas par G. Gallienne sur France inter). Puis, petit à petit,
ma réticence s'est estompée. Petit à petit, ce livre
au départ "fermé", s'est ouvert de plus en plus
grand avant de finir tout de même par me lasser un peu.
Le récit est celui d'un être à part, d'une vie en
oxymore où l'ignoble tend au sublime et le sordide à la
grandeur, où la fragilité côtoie l'insensibilité,
la victoire la déchéance, la force la faiblesse, la délicatesse
la violence, etc.
Avant même de m'interroger sur la finalité
d'un tel texte, je rencontre des éléments de réponse
:
Il peut s'agir d'une écriture rédemptrice dans "la
volonté d'utiliser à des fins de vertus, mes misères
d'autrefois", dans "une volonté de réhabilitation
des êtres, des objets, des sentiments réputés vils".
Mais le texte se veut surtout, quoi qu'en disent les dernières
pages "une uvre d'art dont la matière-prétexte
est ma vie d'autrefois. Il sera un présent fixé à
l'aide du passé et non l'inverse". Cette notion de vie-prétexte
revient plus loin "Ma vie doit être légende, c'est
à dire lisible, et sa lecture donner naissance à quelque
émotion nouvelle que je nomme poésie. Je ne suis plus rien
qu'un prétexte."
L'écriture au départ me dérange :
composition fracturée, phrases heurtées où les mots
ne sont pas à la place attendue. Mais très vite, j'ai été
sensible à l'originalité du texte. Genet tord les mots et
les phrases pour être au plus près de lui-même, ex
: "les pauvres, je les suis" (du verbe être
et non pas suivre). Puis, je rencontre des pages sublimes sur le
mendiant, la prison, le pauvre... En frère de Rimbaud, le narrateur
nous offre sa bohème, son errance dans la solitude de ses 17 ans.
Il vogue entre ascension et déchéance, passe de l'humiliation
à l'humilité, de l'humilité à l'orgueil...
Moment fondamental que celui de l'enfance où il décide de
devenir ce qu'on l'avait accusé d'être. "Je me reconnaissais
le lâche, le traître, le voleur, le pédé. Je
devins abject".
Le narrateur appréhende le corps des hommes
rencontrés, les détaille avec l'acuité de son regard,
les définit, cerne l'essentiel de leur force et de leur beauté.
Les portraits de salauds sont parfois émaillés d'un vocabulaire
religieux, avec un certain goût du sacrilège. Ils deviennent
divinité à qui se sacrifier.
J'ai pensé parfois en lisant ce texte à la définition
de la perversion par M. Tournier, à savoir que c'est la beauté
du Mal. J'ai aussi parfois eu le sentiment de retrouver une sorte de Gavroche
devenu adulte, celui dont V. Hugo dit que "les perles ne
se dissolvent pas dans la boue". Mais sans doute suis-je là
victime d'une confusion entre ce qu'est le narrateur et ce que je voudrais
qu'il soit. Malgré cette désagréable impression d'être
dans le contre-sens, et même de "me faire avoir",
je suis restée étrangement sensible à l'écriture
ce journal.
Mathieu, internaute (en décembre 2024)
Ayant lu les divers avis publiés sur le site à propos du livre
de Genet, c'est apparemment d'un bien curieux auteur - aux yeux de la plupart
des lectrices et lecteurs du groupe - dont vient ma rencontre avec votre
site internet. Je vous partage mon avis et mes ressentis sur ma lecture,
qui remonte toutefois à il y a plusieurs mois maintenant. J'en profite
pour adresser quelques éléments de réaction aux remarques
des uns et des autres que j'ai pu lire en ligne, qui ont retenu mon attention
tout en re-questionnant mon propre rapport à ce Journal du voleur.
J'ai passé de bons moments de lecture avec ce livre, que j'avais
hâte de reprendre sur mon chevet quelques soirs dans la semaine. L'entrée
dans le livre m'a été facilitée par le visionnage de
l'adaptation à
l'écran par Fassbinder de Querelle
de Brest. Il m'était plus facile de projeter dans le livre
une atmosphère après cette mise en image qui rend bien compte
du type de personnage qui intéresse Genet en leur proposant une incarnation.
Lire Genet a impliqué pour moi d'accepter un pacte avec l'auteur
: il ne s'agira pas d'une biographie, mais d'une légende, où
le faux assumé comme tel se fait plus authentique que la tentative
de revenir à la réalité des errances de l'auteur. Comme
l'écrit Genet : "[Le journal] n'est pas une recherche du
temps passé, mais une uvre d'art dont la matière-prétexte
est [sa] vie d'autrefois" (p. 80 éd. Folio).
Une fois ce saut effectué, il m'a été possible d'apprécier
l'absence de temporalité claire dans le récit, qui souligne
la poésie qui s'en dégage, et le travail de perversion de
la langue française, en employant un langage littéraire à
des fins de description jusqu'alors inédite (décortiquer la
vie en marge des milieux bourgeois dont les auteurs reconnus étaient
pour la plupart issus).
Concernant la préface de Sartre, j'ai l'habitude de dire qu'il s'agit
davantage d'un essai de Sartre ayant Genet pour prétexte qu'une préface
sur l'uvre de Genet écrite par Sartre. Les 100 premières
pages valent toutefois le détour pour les éléments
biographiques à propos de Genet et l'idée de Sartre d'une
"scène d'interpellation originaire" qui serait le point
de départ du processus de subjectivation de Genet (pris la main dans
le sac en train de commettre son premier vol), rendant possible son devenir
d'écrivain.
En somme, cette lecture m'a donné envie de lire les autres textes
de Genet. J'ai apprécié la mise en scène des Paravents
produite par l'Odéon il y a environ un an, les textes sur Giacometti
sont également très beaux, ceux sur Rimbaud sont une véritable
curiosité, ne serait-ce que pour le style atypique utilisé
pour produire un essai d'histoire de l'art. Un dernier passage du Journal
pour conclure : "Le talent, c'est la politesse à l'égard
de la matière, il consiste à donner un chant à ce qui
était muet. Mon talent sera l'amour que je porte à ce qui
compose le monde des prisons et des bagnes" (p. 123).
À propos de
Journal du Voleur, voici un extrait d'un entretien avec Pierre
Vicary de 1981 diffusé à la radio australienne Australian
Broadcasting Commission, publié dans Ptry
Nation Rewiew, 1983
-
Pierre Vicary : C'est une uvre très autobiographique n'est-ce
pas, un roman très autobiographique ?
- Jean Genet : Oui. Dans la mesure où... Non, c'est exactement
l'histoire de ma vie. Mais, bien sûr, il vous faut tenir compte
de choses comme la mémoire, qui change ou magnifie certains faits
et en oblitère d'autres totalement. Il y a aussi d'autres facteurs.
Et aussi, quand j'ai commencé à écrire le Journal,
j'essayais d'écrire un livre, une uvre d'art si possible,
de sorte que j'étais forcé de faire ressortir certains faits
et d'en minimiser d'autres. Mais dans l'ensemble, c'est l'histoire de
ma vie.
- Pierre Vicary : Vous parlez du besoin de faire de Journal du Voleur
une uvre de littérature, et pourtant vous aviez si peu d'expérience
littéraire... (...) vous n'aviez pas de tradition dans laquelle
écrire. Je me demande simplement d'où provenaient les idées
qui vous ont permis de mettre en forme votre livre ?
-Jean Genet : Pour commencer, je me demande si la question que vous posez...
si cette question est bien originale dans mon cas. Ce que je dis, c'est
qu'aucun écrivain, je le redis, aucun écrivain ne se met
à écrire avant d'avoir rejeté tout ce qu'il a appris,
que ce soit à l'École ou à Université. Je
me demande si tous les écrivains, dans la mesure où ils
écrivent sur eux-mêmes, sur leurs propres expériences,
ne sont pas des autodidactes. Prenez par exemple le cas qui me vient à
l'esprit - celui de Proust. Si vous prenez ses premiers essais littéraires,
ses pastiches ou même Du côté de chez Swann,
le premier volume de sa grande uvre À la recherche du
temps perdu. Eh bien, Du côté de chez Swann n'est
pas du Proust, pas encore. Proust ne commence en tant que Proust qu'avec
À l'ombre des jeunes filles en fleurs et il continue avec
Sodome et Gomorrhe et Le Côté de Guermantes.
Proust alors est Proust, mais il n'écrit plus alors dans le style
de n'importe qui ; dans le style qu'on lui a ou non enseigné
pour passer ses examens. Il écrit différemment et j'ai fait
pareil. J'ai eu la chance, si vous voulez, de pouvoir aller à l'école
de 1915 (j'avais cinq ans à l'époque) jusqu'à treize
ans et de rencontrer des instituteurs laïcs. Comprenez bien qu'à
cette époque, les instituteurs en France étaient surtout
ce qu'on appelle des vétérans de guerre. De même qu'ils
enseignaient dans les petits villages (j'ai été élevé
dans un petit village), ils étaient membres du conseil paroissial
et comme tels considérés parmi les gens importants de la
communauté, d'une importance pareille à celle du maire,
du prêtre ou des conseillers municipaux. Vous voyez le tableau.
Et comme j'étais pupille de la nation, j'étais toujours
le premier en classe, presque toujours. Vous savez pourquoi ? Parce que
la maison de la famille qui m'élevait touchait l'école,
pile la porte à côté. Bref, il n'y avait rien à
faire pour éviter l'école et faire l'école buissonnière.
Pour couronner le tout, l'Assistance publique avait un inspecteur qui
venait nous visiter tous les mois pour contrôler que j'allais bien
à l'école tous les jours. Pas moyen pour les gens qui m'élevaient
de m'envoyer dehors pour travailler, m'occuper des vaches. De fait, ils
me l'ont fait faire, ainsi qu'écorcer des arbres pour le tannage
du cuir, mais ils ne l'ont pu qu'après les heures de classe. Pendant
les heures de classe, j'étais toujours présent, seul parfois,
aussi j'étais obligé d'être le premier. Les autres
dans ma classe étaient fils de paysans ; ils avaient mon âge
mais pouvaient s'occuper des vaches, travailler la terre, des choses comme
ça, des choses que je ne pouvais pas faire. Mais j'ai appris chez
ces maîtres d'école, ces instituteurs laïcs, à
l'époque de la Troisième République. C'est grâce
à eux que j'ai appris les subtilités de la langue française.
Journal du Voleur
est dédié à Sartre et au Castor. Sartre, dans Saint
Genet, comédien et martyr, publié en 1952 trois
ans après Journal du Voleur, intitule le dernier chapitre
"Prière pour le bon usage de Genet". En
voici un extrait, brillant mais peut-être pas si convaincant que
cela...
«
Essayons de dire quel est le "bon usage" de Genet.
Il joue son uvre à qui perd gagne et vous êtes son
partenaire : donc vous ne gagnerez qu'en acceptant de perdre. Laissez-le
tricher ; surtout, ne vous défendez pas par des attitudes
: il ne servirait à rien de vous mettre en état de charité
chrétienne, de l'aimer par avance et d'accepter le pus dont ses
livres ruissellent avec l'abnégation du Saint qui baise les lèvres
du lépreux. De belles âmes se sont penchées sur cette
âme infectée : elle les remerciait d'un pet et c'était
bien fait car leur bienveillance de commande n'était qu'une précaution
pour désarmer ses ruses ; vous ne déplorez les malheurs
qu'il subit que pour vous masquer sa libre volonté de nuire ;
or, c'est aider un voleur que de lui chercher des excuses ; en chercher
au poète, c'est lui faire injure. Ne vous réfugiez pas non
plus dans l'esthétisme, il vous en débusquera. J'en ai vu
qui lisaient sans broncher les récits les plus crus : "Ces
deux messieurs couchent ensemble ? puis ils mangent leurs excréments
? Après quoi, l'un court dénoncer l'autre ? la belle
affaire ! C'est si bien écrit." Ils s'arrêtaient
au vocabulaire de Genet pour se garder d'entrer dans son délire ;
ils admiraient la forme pour se défendre de réaliser le
contenu. Mais forme et contenu ne font qu'un : c'est ce contenu qui
exige cette forme ; tant que vous jouerez l'amoralisme, vous resterez
au seuil de l'uvre. Alors ? Alors il faut vous laisser faire,
vous laisser duper, rester vous-même, vous indigner naïvement.
N'ayez point honte de passer pour un sot : puisque cette contestation
fanatique de tout l'homme et de toutes ses amours est expressément
destinée à choquer, soyez choqué, ne luttez pas contre
l'horreur et le malaise qu'on veut provoquer en vous ; vous n'apprécierez
les traquenards de ce sophiste que si vous tombez dedans. "Mais,
dira-t-on, si je m'indigne, qu'est-ce donc qui me distinguera de M. Rousseaux ?"
Je vous entends : les foudres de M. Rousseaux sont dérisoires
et ce critique est d'une incompétence si soutenue qu'on est tenté
de prendre en tout le contre-pied de ce qu'il dit. Pourtant c'est l'épreuve
nécessaire : si nous voulons gagner, il faut pousser l'humilité
jusqu'à nous rendre pareils à M. Rousseaux. »
*André
Rousseaux est une figure du Figaro littéraire ; il
a écrit un article sur Genet, titré "Décomposition
littéraire"
Genet se voit proposer une émission à
la radio "Carte blanche" : le texte qu'il propose et publiera
en 1949, L'enfant criminel, est refusé. On peut comprendre
pourquoi... Voir aussi sa note introductive concernant le refus (ICI).
Puisqu'on
se divise - depuis nous avons voulu, qui osâmes cette rupture
- entre non coupables (je ne dis pas innocents), entre non coupables dont
vous êtes, et les coupables que nous sommes, sachez que c'est toute
une vie qui vous conduisait de ce côté de la barre d'où
vous croyez pouvoir, sans danger, et pour votre confort moral, tendre
une main secourable. Quant à moi j'ai choisi : je serai du côté
du crime. Et j'aiderai les enfants non à regagner vos maisons,
vos usines, vos écoles, vos lois et vos sacrements, mais à
les violer. (...)
Ce
qui les conduit au crime, c'est le sentiment romanesque, c'est-à-dire
la projection de soi dans la plus magnifique, la plus audacieuse, enfin
la plus périlleuse des vies. (...)
Notons
que je distingue très vite le Bien du Mal, mais qu'en fait ce sont
des catégories que vous seuls pouvez distinguer après coup
; toutefois, c'est encore à vous que je m'adresse, je vous accorde
cette politesse - si l'on entreprend, dis-je, d'accomplir le Bien,
on sait où l'on va et que c'est le Bien, et que la sanction sera
bénéfique. Quand c'est le Mal, on ne sait pas encore de
quoi l'on parle. Mais je sais qu'il est le seul à pouvoir susciter
sous ma plume l'enthousiasme verbal, signe ici, de l'adhésion de
mon cur.
En effet, je ne connais pas d'autres critères de la beauté
d'un acte, d'un objet ou d'un être, que le chant qu'il suscite en
moi, et que je traduis par des mots afin de vous le communiquer :
c'est le lyrisme. Si mon chant était beau, s'il vous a troublé,
oserez-vous dire que celui qui l'inspira était vil ? (...)
Votre
littérature, vos Beaux-Arts, vos divertissements d'après-dîner,
célèbrent le crime. Le talent de vos poètes a glorifié
le criminel que dans la vie vous haïssez. Souffrez qu'à notre
tour nous méprisions vos poètes et vos artistes. Nous pouvons
dire aujourd'hui qu'il faut une rare outrecuidance au comédien
qui ose feindre sur la scène un meurtre quand il y a chaque jour
des enfants et des hommes dont le crime, s'il ne les conduit pas toujours
à la mort, les charge de votre mépris ou de votre délicieux
pardon. (...)
Cependant vos héros dans vos livres, vos tragédies, vos
poèmes, vos tableaux sont gonflés, ils continuent d'être
l'ornement de votre vie quand leurs modèles malheureux vous les
méprisez. Vous faites bien : ils refusent votre main tendue.
Pour sourire, un extrait de la rubrique des chiens
écrasés d'un quotidien de 1940, suite à un vol commis
chez Gibert...
«
A l'étalage d'un libraire du quartier Latin, un homme dérobait
hier trois volumes : une histoire de France, une histoire du Consulat
et de l'Empire, et un ouvrage de philosophie, saine lectures.
Conduit au commissariat du quartier Saint-Germain-des-Prés le bibliophile
déclara se nommer Jean Genet, 31 ans, ce qui fut admis sans trop
de réticence.
Mais on se permit de sourire lorsqu'il exposa le mobile de son larcin.
"N'eussé-je
pas été voleur, dit-il, je serais ignare, toutes les beautés
de la littérature me seraient étrangères car c'est
pour apprendre l'A.B.C. que j'ai dérobé mon premier volume.
Un second a suivi, puis un troisième.
J'ai, ainsi, pris goût aux nourritures spirituelles. Certes, je
ne lisais pas n'importe quoi, je choisissais des auteurs de qualité.
Les Dix de l'Académie Concourt avaient toute ma confiance ; chaque
année je me procurais le roman de leur lauréat. Sauf de
rares exceptions, j'ai toujours approuvé le choix de ces Messieurs.
Les lauréats, je peux tous vous les citer, d'Antoine Nau à
Philippe Hériat. Peu de critiques en pourraient faire autant.
Au début, je revendais les livres après en avoir humé
la substantifique mlle, mais j'en ai eu bientôt un amer repentir.
C'est pourquoi, après avoir pris connaissance des volumes que je
me trouve dans la triste obligation d'emprunter, je les dépose
discrètement dans les étalages ou dans les boîtes
de bouquinistes. Je m'éloigne ensuite sur la pointe des pieds,
le cur réchauffé d'avoir fait incognito une bonne
action. Car la discrétion, messieurs, a toujours présidé
à tous les actes de ma vie."
Genet,
envoyé au Dépôt, y sera vraisemblablement privé
de sa distraction favorite, mais il lui restera la ressource de se pencher
sur son casier judiciaire, d'une lecture, paraît-il, copieuse et
fort édifiante. »
Aujourd'hui
était un quotidien français
créé en juin 1940 par Henri Jeanson pour remplacer Le
Canard enchaîné avec l'accord des Allemands.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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