PhotoThe
Telegraph, 04/12/2015 Extrait de son discours du prix Nobel : "je souhaite que mon uvre de romancier guérisse ceux qui s'expriment à travers les mots et ceux qui les reçoivent, des maux individuels et des maux de leur temps, et qu'elle panse les blessures de leurs âmes. J'ai déjà dit que nous étions déchirés par l'ambiguïté d'être japonais, mais c'est avant tout pour adoucir et guérir ces souffrances et ces blessures que j'ai poursuivi mes efforts dans le champ de la littérature." Le discours complet de Kenzaburô Ôé : ICI
|
Kenzaburô Ôé
|
Autour du livre : - Le discours du Prix Nobel de Kenzaburô Ôé en 1994, "Moi, d'un Japon ambigu" : ici - Ce qu'Ôé dit du travail d'écriture du roman et de la poésie comme épine intérieure : là (1 p.) - Comment je suis devenu l'écrivain que je suis (2006) : là (60 p.) - Pour l'entendre, une émission de radio de 2015 (Hors-champs, de Laure Adler) : ici - Un échange de lettres virulent en 1995 entre les deux prix Nobel, Claude Simon et Kenzaburô Ôé... : là (4 p.) - Pour percevoir l'homme, écrivain, avec des questions de toutes sortes posées par un Japonais et des réponses brèves, "112 questions" : ici (8 p.) - Un choix d'interviews, articles, émissions de radio, film : ici (15 p.) - La chanson des "happy days" du héros de la dernière nouvelle : là |
Brigitte (avis transmis)
La première nouvelle est sidérante. De quels critères
dispose l'homme pour identifier un autre être humain ? Un prisonnier
noir américain est-il un être humain ? C'est à
cette question fondamentale que son confrontés les paysans d'un
village montagnard japonais.
La dernière nouvelle est, elle aussi, impressionnante. A l'instar
du héros, le lecteur est aveuglé par des lunettes de plongée
recouvertes de cellophane et ne comprend pas grand chose aux propos que
le narrateur dicte à son exécutrice testamentaire ;
puis peu à peu tout s'éclaire et l'on finit par revivre
avec lui les jours qui ont précédé la capitulation
du Japon, les 15 et 16 août 1945.
Cet ensemble de nouvelles tourne autour de la guerre, de la naissance
et du handicap mental. L'écriture tente avec succès de rendre
compte de ces expériences fondamentales et dramatiques pour l'Homme.
L'auteur n'hésite pas à mettre le lecteur à contribution
pour le faire progresser avec lui dans le mystérieux labyrinthe
des sensations de ses héros.
Séverine (avis transmis)
Tout d'abord, ma première impression : positive car un auteur
japonais (je suis fan de la culture japonaise) et un titre accrocheur.
Puis un second sentiment, une certaine réticence en découvrant
qu'il s'agit de nouvelles : je ne suis pas adepte du genre. Mais sentiment
vite remis en cause car les quatre nouvelles forment en fait un tout cohérent
sur la folie. Je dois dire que mon intérêt a été
croissant. "Gibier d'élevage" ne m'a pas éblouie
plus que cela. J'ai commencé à trouver cela vraiment intéressant
avec la seconde nouvelle qui donne son titre à l'ouvrage. Il y
a un côté surréaliste, absurde dans l'entrée
en matière, qui donne envie d'aller plus avant. On sent se dessiner
des thèmes qui vont être communs à toutes les nouvelles :
la nature, le corps (et ses déformations : jambe de bois,
bec de lièvre, obésité
et les nombreuses comparaisons
de ces corps à des animaux), la filiation (le rapport père-fils)
et des clins d'il qui rebondissent entre les nouvelles comme l'évocation
des éléphants, des "globes oculaires"
Je
reste très fan de la troisième nouvelle, la plus intéressante
à mes yeux, avec ce personnage qui a décidé de ne
pas vivre dans la vie réelle pour ne pas souffrir. Mon intérêt
est retombé avec la dernière nouvelle
au point que
je ne l'ai pas finie, attirée que j'ai été par le
livre de Iain Levison, entré à ce moment-là en ma
possession et qui a eu ma préférence en termes de priorités
de lecture... Mais je n'en dirais pas plus sur ce livre qui fera l'objet
de notre prochaine rencontre. Je conclurai en disant que j'ouvre le livre
du jour à moitié car même si j'ai apprécié
le style, l'atmosphère générale qui se dégage,
je ne peux pas dire que j'ai été dans un état de
frénésie et d'intérêt plus poussés que
cela...
Annick A (avis transmis)
En commençant ce livre j'en ignorais totalement le contenu, ne
connaissais pas l'auteur et n'avais pas repéré qu'il s'agissait
de nouvelles, si bien que je me suis plongée dans la lecture de
"Gibier d'élevage" dans l'illusion qu'elle allait s'étendre
sur 372 p. Je me suis totalement laissé transporter par l'ambiance
de cette nouvelle, l'atmosphère d'un monde étranger, dur,
renfermé sur lui même qui me rappelle le livre d'Akika Yoshimura
Le
convoi de l'eau que j'avais tant aimé. L'originalité
de la situation, l'évolution de la relation du narrateur avec ce
Noir américain perçu au départ comme un monstre effrayant
plus proche de l'animal que de l'homme, l'impact sur la vie du village,
laissaient présager un monde d'aventure dans lequel s'était
engouffré mon imaginaire et qui fut stoppé net à
la p. 98. J'en fus fort marri ! Quelle frustration !!
Les autres nouvelles m'ont laissée dans un sentiment d'étrangeté
et de malaise. Dans la seconde c'est la relation du père à
son fils qui m'a le plus intéressée, particulièrement
le moment où il prend conscience que la dépendance n'est
pas là où il la pensait. Le personnage de D. dans "Agwîî"
m'a beaucoup touchée : j'ai trouvé cette histoire poignante
et davantage encore lorsque j'ai découvert la biographie de l'auteur.
J'ai failli m'arrêter au début de la dernière nouvelle
tant je la trouvais foutraque, désordonnée, incompréhensible ;
je me suis cependant obstinée, ce qui m'a permis de comprendre
l'intrigue politique assez compliquée.
L'écriture est déroutante. De très longues phrases
parfois un peu lourdes. J'aurais encore bien des choses à dire
sur ce livre fascinant et regrette beaucoup de ne pas être là
pour en débattre avec vous.
Ana-Cristina (internaute)
L'histoire de cet enfant et de ce prisonnier, si j'en ressens la violence
incroyable, n'en reste pas moins belle. La délicatesse de l'expression
n'ôte rien à la puissance du récit. Ma stupeur prend
de l'ampleur grâce à la beauté du texte. Ainsi, lors
du meurtre à coup de serpe, mon cri, qui accompagne alors celui
poussé dans la cave, n'est pas accompagné de grimaces. Je
lis cette première nouvelle comme un poème : je l'entends.
Les multiples notations sensorielles qui sont comme la trame du texte
m'encouragent à faire cette comparaison. L'appel lancé aux
sens du lecteur est lancinant. Je lis, p. 97 : "L'herbe
drue commençait à se charger de rosée et mouillait
mes mollets nus; des brins desséchés venaient s'y coller
et me chatouillaient [...]. Déjà la nuit tombait. Seule
la voix des enfants restés au haut de la pente faisaient vibrer
le fin tissu de l'air dont croissait la consistance et qui était
devenu d'un noir opaque."
Le silence d' "huile" que l'auteur installe et qu'il bouleverse
en artiste dans "Gibier d'élevage" n'est plus un élément
fondateur de "Dites-nous comment survivre à notre folie",
ni de "Agwîî le monstre des nuages". Sévère
car déçue, je juge alors le style de ces deux derniers textes
relâché, etc. Je suis désorientée. L'empreinte
laissée par la première nouvelle dans mon esprit est une
barrière à ma compréhension des nouvelles suivantes,
fort différentes. Ces récits glissent sur moi comme l'eau
sur les plumes d'un canard ; je ne trouve aucune porte d'entrée
à ces textes. Parvenue à la dernière nouvelle du
recueil intitulée "Le jour où Il daignera Lui-même
essuyer mes larmes", je décide de la lire à haute voix.
D'ailleurs, il s'agit bien de cela : "Il", raconte son
histoire à quelqu'un qui la transcrit. J'ai ma clé. Grâce
à la lecture à haute voix, je peux alors suivre les méandres
de la parole (du souvenir, du cheminement de la pensée, de l'investigation
psychologique) et revoir mon jugement hâtif : le style n'est
nullement "relâché, etc." !
J'aimerais, pour terminer, avoir une pensée pour le texte original.
La lecture d'une traduction provoque souvent chez moi une question :
jusqu'à quel point puis-je faire confiance au traducteur qui est
"un acrobate dont les torsions douloureuses se voudraient naturelles
pour faire le pont entre deux langues" (Nelly Guiched, traductrice)
? Je décide de parier sur le talent de contorsionniste de Marc
Mécréant, traducteur de Dites-nous comment survivre à
notre folie.
Denis
J'ai été très pris par la première nouvelle.
Les Japonais sont souvent déroutants - je pense à La
Ballade de Narayama. Le premier texte est le moins déroutant
pour moi, avec l'univers de l'enfance. Puis avec le deuxième texte,
on entre dans la folie, comme dans La
Méprise de Nabokov que nous avons lu l'année dernière.
La relation père-fils est à couper le souffle. Le troisième
est évanescent, étrange. Le quatrième, j'ai laissé
tomber. Il y a une qualité littéraire, avec notamment la
description de la nature ; et le livre crée un changement
d'optique radical. Oui, j'ouvre en grand.
Richard
J'ai été marqué par le Maître
ou le tournoi de go de Kawabata. Dans le premier récit,
je trouve une même ambiance, un même intérêt
à la nature. Tout est centré sur l'enfant, qui devient adulte.
J'ai réussi à lire la seconde nouvelle : je n'ai pas
adhéré, je ne suis pas entré dedans. Et je n'ai pas
eu le temps - comme souvent - de lire la fin. Je vais le faire.
Le titre "Dites-moi comment survivre à la folie" vient
d'un poème anglais de W.H.
Auden, un auteur que je ne connaissais pas, très concerné
lui aussi par les changements du monde. Je vous traduis les vers où
se trouve cette phrase* "O teach me to outgrow my madness".
Françoise D
Je ne sais pas ce que tu en penses, mais la traduction modifie un peu
le sens. Pour moi, il y a une notion de dépassement ("Apprends-moi
comment dépasser ma folie"), tandis que comment
"survivre à la folie", c'est plutôt...
déprimant.
Richard
Oui, "dépasser" est bien la meilleure traduction
de "outgrow" disponible, mais il manque la notion de
croissance/devenir mature.
Donc finalement j'ouvre en entier pour la première nouvelle et
½ pour la deuxième.
Claire
Manu me rappelait qu'on avait lu dans le groupe (en 1996, il y a donc
20 ans) L'Âge
d'or du roman de Guy Scarpetta (qu'est-ce qui nous avait pris ?!
et le livre nous avait plu) qui a un chapitre consacré à
Kenzaburô Ôé. Je suis très contente d'avoir
découvert cet auteur. J'ai pris ce livre comme un ensemble :
je le trouve bien construit avec ces quatre textes dont la longueur de
certains renvoie plutôt au roman ; l'ordre des textes est très
bien choisi. Tout en étant très différentes par leur
ton, les nouvelles renvoient les unes aux autres, par les situations (réclusion
par exemple), les caractéristiques des personnages, des gros par
exemple (ou grosses d'ailleurs : "elle était grasse
à souhait, ou davantage"...).
La première nouvelle m'a énormément plu, la situation,
la sensualité (entre les êtres, vis-à-vis de la nature).
Dans le livre, j'ai aimé les situations ou personnages hors norme
(noir, obèse, enfant avec protubérance, gardien de propriétaire
de fantôme, fou malade, êtres étranges : Bec de
lièvre, Gratte-Papier), aux histoires de familles pas possibles
avec des haines folles et des attachements incroyables (frères,
fils/père). J'ai apprécié la cocasserie, l'humour,
un aspect truculent. La narration retient, en recourant à des je
(sauf le texte n°2) divers, multiples (trois je dans le dernier !)
et ce sont des je auxquels je trouve il est difficile de s'identifier :
ça tient à distance. Ça m'a amusée de voir
que Philippe Forest, dans son essai sur le
roman et le réel, lie ensemble Philip
Roth que nous avons lu la fois dernière et Kenzaburô
Ôé pour les jeux sur l'autobiographie.
J'ai aimé le contraire de clichés, par exemple des
"larmes dénuées de signification",
un bâillement "distendait ma cavité buccale",
je mordillais "mes lèvres parcheminées qui faisaient
un léger bruit d'élytres". J'ai bien aimé
aussi le jeu limite parodie avec les comparaisons animales incessantes
: "il soufflait comme un phoque en croisière",
"proéminer ma lèvre supérieure à la
façon des tapirs" et le top, avec la double comparaison
: "L'ophtalmologiste, contractant convulsivement sa face de mante
religieuse boucanée comme une peau de hareng saur" !
Il y a un arrière-plan historique, mais on peut l'ignorer et ce
n'est pas ce qui m'a retenue. Quant à la dernière nouvelle,
elle m'a vraiment posé problème : un gros gâteau
à la crème, un pensum, j'ai trouvé ça raté...
L'auteur - ce que j'ai lu sur lui - m'a passionnée ;
mais on met plus en avant son engagement, sa relation avec son fils handicapé,
que son écriture - dommage. J'ai aimé le mélange
de réalisme avec ce qui n'est pas du fantastique, mais un léger
décalage, avec des invraisemblances qui passent bien. Je comité
du prix Nobel a je trouve bien formulé ça en 1994 en consacrant
cet écrivain "qui, avec une grande force poétique,
crée un monde imaginaire où la vie et le mythe se condensent
pour former un tableau déroutant de la fragile situation humaine
actuelle".
Emmanuel
C'est une découverte. Et j'ai eu beaucoup de plaisir. Je ne sais
pas si la traduction y est pour quelque chose, mais j'attendais de l'exotisme
que je n'ai pas trouvé. Il y a du réalisme, quelque chose
de camusien qui m'a étonné. La folie ? Je vois une
quête en permanence de communication, c'est d'une grande beauté,
d'une humanité profonde. En lisant le parcours de l'auteur, j'ai
mieux compris. La balance entre réel et fantastique est très
créative. On suit l'auteur très occidentalisé, avec
un parfum érotique. Avec le problème de l'"Autre",
de sa nomination, de son identification. Dans le premier texte, on est
dans le naturalisme, avec les animaux, les jeux d'ombres ; mais aussi
dans le mythe. J'y ressens beaucoup de dynamisme, et l'enfant s'émancipe
vers l'âge adulte. Les deuxième et troisième nouvelles
sont haletantes. Celui qui soutient l'autre n'est pas celui qu'on attend.
Quant à la dernière nouvelle, où l'empereur se retrouve
de nature humaine, j'ai adoré. J'aime la fantaisie, la créativité.
C'et une magnifique découverte, même si ce n'est pas trop
japonais. J'ouvre donc en grand.
Nathalie RB
Jai peu lu la littérature japonaise. Cest une découverte.
La première nouvelle ma donné la nausée. La
deuxième ma révulsée. La troisième ma
réconciliée avec luvre. Je me suis dit que je
ne pourrais la lire qu'à partir du moment où j'acceptais
de me décentrer. Personnellement, je considère qu'il ne
s'agit pas d'un simple recueil de nouvelles, mais bien d'une uvre
complète et structurée. Quelque chose détroit
(la première nouvelle) amène à quelque chose de très
large (la dernière). Un fil rouge traverse l'ensemble. Je le formulerais
sous la forme d'une question : comment, vraiment, communiquer avec
les autres ? Tous sont concernés par ce thème :
le personnage noir de la première nouvelle, l'enfant handicapé,
l'homme malade, le père reclus, la mère éloignée...
"Dites-nous comment survivre à notre folie" développe
une magnifique relation, entre le père et lenfant :
je me suis complètement identifiée à cet homme et
ce qui me paraissait formidable c'est que, pour une fois, c'est la mère
qui était écartée. Quand il évoque régulièrement
"The Man", cela m'a fait penser à une uvre d'Elizabeth
Von Arnim Elizabeth
et son jardin anglais, elle y évoque en permanence son
mari sous le terme de "The Man of Wrath". L'écriture,
même s'il s'agit d'une traduction, présente des passages
merveilleux. Je suis toujours subjuguée par cette capacité
à mettre en mots des émotions que je partage. On y trouve
une transcription exceptionnelle des sensations. Ainsi, p. 301-302 le
narrateur évoque le peu de souvenirs d'enfance qu'il a réussi
à faire remonter en lui : il s'agit de la vision d'un jeune
garçon qui plonge dans les trous du torrent avec un harpon sans
pointe de fer ; ce passage est d'une beauté à couper
le souffle. Parmi de nombreux exemples qui cherchent à mettre en
mots le monde chaotique qui entoure le narrateur, on trouve des tentatives
de définitions. Sur la vie des hommes : "la vie des
hommes consistait à surgir des ténèbres, à
rester pendant quelque temps groupés autour de la flamme d'une
bougie, puis à retourner chacun à ses propres ténèbres
et y disparaître" p. 164 ; sur le temps : « je
ne connaissais pas encore cette impression torturante du "temps"
qui, dans votre dos, vous vrille du regard et, en avant, vous tend une
embuscade » p. 170. Les thèmes de cette uvre sont
constants et forment son unité : la peur, la mort, l'amour,
Éros-Thanatos réunis. La dernière nouvelle demande
une énorme concentration. Bref, malgré la difficulté,
je l'ouvre aux ¾ !
Monique L
Moi aussi, je lis peu d'auteurs asiatiques. J'ai été agréablement
surprise, car ici ce sont des thèmes universels. J'aime l'écriture
poétique, avec une certaines retenue. La première nouvelle,
je l'ai beaucoup appréciée. Avec la deuxième, j'ai
eu un malaise, me sentant voyeuse ; le père me mettait mal
à l'aise. La troisième est très poétique,
avec un mélange du fantastique et du réel. La quatrième,
je n'ai pas tout compris. Ces textes sont puissants, bien écrits.
Je mettrais un bémol pour la traduction. Il y a aussi une importance
de la musique. L'univers est sombre, oppressant. Il y a un tressage de
nombreux thèmes, et une façon de dévoiler les choses
au fur et à mesure.
Rozenn
J'ai moi aussi trouvé que cela formait un tout. Je n'ai pas aimé
la troisième nouvelle. L'ensemble est d'une violence extrême.
Les relations humaines sont cauchemardesques. Pas de droit à l'ignorance.
La quatrième je ne l'aurais pas lu si ce n'était pas pour
le groupe, puis tout à coup j'ai été happée,
je ne pouvais plus sortir du texte. C'est un puzzle horrible. C'est trop
! Ça suffit ! C'est un monde monstrueux
rien qui adoucit
Les rapports humains sont de l'ordre du vampirisme. Mais je suis totalement
séduite. Je relirai par quelques bouts. Je ne l'offrirai qu'à
des gens assez forts.
Françoise D
Je ne suis pas du tout d'accord : ce n'est pas un roman, mais bien des
nouvelles. Et je n'aime pas les nouvelles !
La première est totalement différente, ce ne sont pas les
mêmes thèmes, c'est ma préférée :
elle plus simple, plus réaliste. J'ai retrouvé aussi quelque
chose du
Convoi de l'eau que nous avions lu. Les trois autres nouvelles
ont des échos par rapport à la folie, les rapports père/fils,
du fils à la mère. La quatrième, j'ai laissé
tomber ! Pour les trois premières, j'ouvre ¾ :
j'aime l'univers, c'est bien écrit.
Claire
A Monique qui, il faut le préciser, a gagné des prix de
haïku au Japon !**
Monique S
J'ai lu énormément de littérature japonaise et Ôé,
je n'y entre pas. J'ai l'impression que ce n'est pas japonais.
Claire
Mais c'est incroyable, Monique et Emmanuel ! Bonjour les stéréotypes !...
Monique S
J'aime quand la culture japonaise était coupée du monde
occidental. Ôé ne fait référence qu'à
la culture occidentale et ça m'intéresse moins. J'ai assisté
à une table ronde récemment à la
Maison du Japon avec Philippe Forest qui a été évoqué,
Éric Faye et une écrivaine japonaise, Ryôko Sekiguchi,
qui disait qu'elle attendait qu'on ne parle plus d'écrivain japonais,
mais d'écrivain tout court.
J'ai beaucoup aimé la première nouvelle, le rapport de l'homme
à la nature, des hommes entre eux. Ôé semble avoir
pris l'occupation américaine - même les programmes scolaires
étaient sous la tutelle américaine - comme une appétence,
des possibilités. Quand l'empereur cesse d'être divin après
la guerre, c'est un effondrement total. Dans la deuxième nouvelle,
le père de l'homme a été une sorte de collabo ;
et à un an près il aurait été un héros.
Rozenn
C'est Bayard
qu'on va lire.
Monique entreet
Je n'ai pas accroché. La relation du père au fils est monstrueuse.
Le passage au fantastique ne me parle pas. La problématique ne
m'intéresse pas. J'ouvre entre ¼ et ½.
Jacqueline
J'ai lu plusieurs de ses romans et j'ai beaucoup aimé Ôé.
Je ne voulais pas le proposer au groupe pour le
protéger.
Mais je suis ravie ce soir. Car même moi qui l'aime, j'ai du mal.
Je rentre difficilement dans ses livres
J'aime ce monde, différent
du nôtre, et en même temps, avec une place bien à part.
Il n'est pas très "japonais", avec sa culture très
occidentale. Par exemple dans Adieu
mon livre !, le personnage se définit comme non japonais
et souhaite que le Japon disparaisse.
Ce livre, je l'ai bien lu trois fois... appréciant de plus en plus
au fur et à mesure. Dans la deuxième nouvelle, la description
des relations père/fils est exceptionnelle. La quatrième
me rappelle l'atmosphère de Faulkner. Le rôle des femmes
n'est pas négligeable. C'est une belle uvre, à partir
des matériaux de sa vie.
Fanny
C'est Jacqueline qui m'avait conseillé de lire ces nouvelles. C'est
le premier livre d'Ôé que je lis et c'est une découverte.
J'avais écouté une émission
de Laure Adler en août dernier. Je distinguerai la première
et les trois autres, la première ayant été écrite
avant la naissance de son fils handicapé. J'ai lu le livre il y
a quelques mois, et j'ai voulu m'y replonger, mais simplement en feuilletant.
Je l'ai relu en entier, impossible de le lâcher ! J'ai eu beaucoup
de plaisir à la relecture, découvrant de nouveaux aspects.
C'est un univers violent et dérangeant. On est dans la folie
et dans l'étrangeté : mais au fond, est-ce si loin
de notre réalité ? On s'y reconnaît. Il brouille
les frontières entre la normalité et l'anormalité.
La deuxième et la dernière nouvelle sont très liées :
avec ce rapport au corps, la genèse de la folie sur plusieurs générations.
La troisième est plus poétique, métaphorique.
Claire
J'ai pensé à Agwîî en visitant l'exposition
sur le Douanier Rousseau, parce que le peintre est en vrai comme le
personnage de la nouvelle. Voici ce que dit Apollinaire du rapport du
Douanier Rousseau aux fantômes :
"Ceux qui ont connu Rousseau se souviennent du goût qu'il
marquait pour les fantômes. Il en avait rencontré partout
et l'un d'eux l'avait tourmenté pendant plus d'une année,
au temps où il était à l'octroi.
Le brave Rousseau était-il en faction, son revenant familier se
tenait à dix pas de lui, le narguant, lui faisant des pieds de
nez, lâchant des vents puants qui donnaient la nausée au
factionnaire. À plusieurs reprises, Rousseau essaya de l'abattre
à coups de fusil ; mais un fantôme ne peut plus mourir. Et
s'il essayait de le saisir, le revenant s'abîmait dans le sol et
reparaissait à une autre place
"
Nathalie RB
J'ai l'impression qu'à la page 208 on a le projet littéraire
: "Conformément aux conseils de l'infirmière, je
m'étais bien juré de ne pas laisser disparaître le
poids de bon sens dont j'étais lesté et de ne pas jouer
ces personnages de farces bouffonnes, mystérieuses, mais loufoques,
comme l'arroseur arrosé ou le gardien d'une maison de fous qui
devient fou lui-même ; et je n'avais cessé de me cramponner
solidement aux suggestions de ma raison claire."
Claire
A propos de "Lui" ou "Il", qui est dans le titre "Un
jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes",
l'auteur a une étrange réponse à une
question :
- Quest-ce qui vous vient immédiatement à lesprit
si on vous demande "le genre de personne que vous naimez pas" ?
- "Lui", cest-à-dire laltérité
totale, qui nexiste pas.
8 avis du nouveau groupe parisien
(Françoise, Annick, François,
Inès,
Émilie, Nathalie, Valérie, Éléonore)
Françoise H
Tout ce que l'on a dit traduit les thèmes chers à Kenzaburô
Ôé. Vous m'avez aidée à comprendre la complexité
de l'uvre, qui est très difficile d'accès.
Nathalie B
Les pères et mères des 2ème et 4ème nouvelles
sont les mêmes, porteurs de la même histoire. Les personnages
de femmes sont pour le moins peu sympathiques. Et sont dans une absence/présence
pesante. Mais elles apportent souvent des analyses très éclairantes
sur les personnages masculins qui ne cessent de vouloir se débarrasser
d'elles.
Françoise H
On est dans le saisissement de l'autre, mais il y a un choc.
Éléonore
L'expérience de l'altérité est plus ancienne en Europe.
C'est plus de la curiosité ; on s'interroge sur les autres,
ça n'est pas méchant.
Françoise H
Jusqu'en 1952, le Japon était occupé par les Américains,
ce qui explique l'influence américaine, et notamment le Pepsi-Cola ;
les GI ont été plutôt bien accueillis par la population
en dépit d'Hiroshima/Nagasaki et des bombardements de Tokyo qui
ont fait des centaines de milliers de morts. Seuls les soldats japonais
l'ont très mal vécu, sans parler des prostituées
"de force".
Annick N
Il faut rappeler que cet accueil des Japonais est sans doute de façade.
Nathalie B
Il est difficile de trouver des critiques littéraires sur son uvre.
J'aimerais avoir des clés.
Les images que transmettent ces nouvelles m'ont fait penser aux films
d'animation de Miyazaki (Le voyage de Chihiro, Mon voisin Totoro, Le
château ambulant
).
Annick N (une fois la séance passée)
la lecture de la première nouvelle de Kenzaburo Ôé
ma rappelé leffet que mavait fait la lecture
de Trois femmes puissantes de Marie NDiaye : cest bien
écrit, mais cest quasiment insupportable à lire tellement
la narration fait violence au lecteur. La dernière page lue, on
a envie de se débarrasser du livre, ne pas le garder dans sa bibliothèque.
Le texte reste vif dans la mémoire. Pour Kenzaburo Ôé,
la lecture des deux nouvelles qui suivent la première tempère
le choc de cette première nouvelle.
7 avis du groupe "Voix au chapitre-Pontivy"
(Laurence, Laurie, Solène, Édith, Nancy, Nicole et Lil,
réunis le 10 février 2016), recueillis nouvelle par nouvelle
:
Gibier d'élevage
|
|||
|
|||
½
|
¾
|
¾+
|
grand ouvert
!
|
moyennement
|
beaucoup
|
encore
plus
|
passionnément
|
2
|
3
|
1
|
1
|
Dites-nous
comment survivre à notre folie
|
|||
ouvert ¼
|
entre ¼
et ½
|
½
|
¾
|
un peu
|
un peu
plus
|
moyennement
|
beaucoup
|
1
|
2
|
1
|
2
|
Agwîî
le monstre des nuages
|
|||
fermé ! |
ouvert ¼
|
½
|
¾
|
pas du
tout
|
un peu
|
moyennement
|
beaucoup
|
1
|
1
|
3
|
1
|
Un jour où
Il daignera Lui-même essuyer mes larmes
|
|||
fermé ! |
ouvert ¼
|
½
|
¾
|
pas du
tout
|
un peu
|
moyennement
|
beaucoup
|
2
|
1
|
1
|
1
|
Ce texte, conclut le groupe breton, mériterait vraiment que l'on s'y attarde et c'est fort dommage que la complexité du style et de la construction aient fait barrage !
* Extrait du poème de W.H. Auden "Night
falls in China" :
As now I hear it, rising round
me from Shanghai,
And mingling with the distant mutter of guerrilla fighting,
The voice of Man : "O teach me to outgrow my
madness.
Ruffle the perfect manners of the frozen heart,
And once again compel it to be awkward and alive,
To all it suffered once a weeping witness.
Clear from the head the masses of impressive rubbish;
Rally the lost and trembling forces of the will,
Gather them up and let them loose upon the earth,
Till they construct at last a human justice,
The contribution of our star, within the shadow
Of which uplifting, loving, and constraining power
All other reasons may rejoice and operate".
Comme maintenant
je l'entends, se levant autour de moi depuis Shanghai,
Et se mêlant avec le murmure lointain de la guérilla,
La voix de l'homme : " Ô apprends-moi
à dépasser ma folie.
Remue les manières parfaites du cur gelé,
Et une fois encore oblige-le à être maladroit et conscient,
Pour tout ce qu'il a subi alors témoin en pleurs.
Efface de la tête la masse impressionnante de bêtise
Rallie les forces perdues et tremblantes de la volonté,
Rassemble-les et lâche-les sur la terre,
Jusqu'à ce qu'elles construisent enfin une justice humaine,
La contribution de notre étoile, dans l'ombre
De laquelle, édifiante, aimante, avec son pouvoir,
Toutes les autres raisons puissent se réjouir et agir ".
**Au Japon, Monique Leroux Serres a reçu le second
prix du Mainichi
Haïku Contest 2011, puis le second prix du Mainichi
Haïku Contest 2013
Dialogue quasiment hors sujet et hors groupe :
Dialogue assez hors sujet après la séance...
Claire
Toi qui es calée en histoire, comment comprends-tu p. 192,
quand le personnage d'Agwîî va rencontrer l'ex-femme du propriétaire
de fantôme, l'allusion au courage du "fameux boucher qui menaça
Louis XIV" : qui est ce boucher ?
Brigitte
Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, Anne d'Autriche et ses deux enfants
(Louis XIV et Philippe d'Orléans, alors duc d'Anjou) quittent secrètement
Paris pour Saint-Germain-en-Laye. Ils fuient la Fronde parlementaire.
Ensuite eurent lieu diverses péripéties de la Fronde qui
conduisirent Mazarin à quitter la France eu début de février
1651. Anne d'Autriche envisage alors de le suivre avec ses enfants ;
mais le peuple de Paris (se rappelant du 6 janvier 1649) envahit le Palais-Royal
le 8 février et défile devant le lit de Louis XIV endormi
(ou plutôt faisant semblant de dormir).
C'est
vraisemblablement là que se situe l'épisode du boucher menaçant
le jeune roi. En effet, les bouchers constituaient alors l'une des plus
importantes "confréries" de la ville.
Cet épisode est rapporté entre autres par Mme de Motteville
dans ses mémoires pour l'année 1651. Je n'ai pas vu de mention
d'un boucher, mais d'un certain M. Du Laurier (qui était peut-être
boucher ?).
Claire
Et d'où Kenzaburô Ôé a-t-il bien pu tenir l'info
que tu réussis à reconstituer avec un point d'interro sur
le boucher ?
Brigitte
Kenzaburô Ôé a vraisemblablement lu Vingt ans après,
suite des Trois mousquetaires, où Alexandre Dumas raconte
cette histoire à sa façon, c'est-à-dire romancée.
Le personnage de Dulaurier (alias Planchet, valet de d'Artagnan) se présente
à Anne d'Autriche comme marchand drapier rue des Bourdonnais. Ôé
a peut-être oublié un peu l'épisode et a transformé
en boucher le marchand drapier.
Je ne crois pas pouvoir aller plus loin dans cette recherche...
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens