Le
Figaro, 08/10/2015 Armée d'un magnétophone
et d'un stylo, Svetlana Alexievitch, avec une acuité, une attention
et une fidélité uniques, s'acharne à garder vivante
la mémoire de cette tragédie qu'a été l'URSS,
à raconter la petite histoire d'une grande utopie. « Le
communisme avait un projet insensé : transformer l'homme "ancien",
le vieil Adam. Et cela a marché
En soixante-dix ans et quelques,
on a créé dans le laboratoire du marxisme-léninisme
un type d'homme particulier, l'Homo sovieticus. »
C'est lui qu'elle a étudié depuis son premier livre, publié
en 1985, cet homme rouge condamné à disparaître avec
l'implosion de l'Union soviétique qui ne fut suivie d'aucun procès
de Nuremberg malgré les millions de morts du régime. Svetlana Alexievitch est née en 1948 en Ukraine. Elle a fait des études de journalisme en Biélorussie, où ses parents étaient instituteurs. Sa première publication, La guerre n'a pas un visage de femme, en 1985, sur la Seconde Guerre mondiale, dénoncée comme "antipatriotique, naturaliste, dégradante" mais soutenue par Gorbatchev est un best-seller. Chaque nouveau livre est un événement et un scandale : Les Cercueils de zinc, en 1989, sur la guerre d'Afghanistan, qui la fait connaître en France et sera adapté pour le théâtre par Didier-Georges Gabily ; Ensorcelés par la mort, en 1993, sur les suicides qui ont suivi la chute de l'URSS ; et La Supplication, en 1997, sur Tchernobyl. Elle vit de nouveau à Minsk, après un long séjour à Berlin. |
Svetlana Alexievitch
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HURLEMENTS DE ROZENN... |
Claire
Bon d'accord, lui parle d'une petite vie et elle d'un grand pays. Mais
ils ont en commun d'utiliser lui son vécu elle des paroles recueillies
et il dit que ce qui fait la littérature c'est la composition,
pour elle aussi, et ça elle n'en parle pas.
Et puis il y a cette question d'éthique, concernant ce qu'elle
fait des entretiens. Je cite l'article "Du
bon et du mauvais usage du témoignage dans l'uvre de Sveltlana
Alexievitch", je trouve que c'est une question très
pertinente à poser : «
Si les livres dAlexievitch navaient
pas ces mentions de noms de témoins et si elle les avait présentés
comme de la fiction (en somme, la littérature de fiction est le
plus souvent inspirée des histoires réelles), quelle aurait
été la réception de cette uvre ? Aurions-nous
eu le même engouement que provoque chez le lecteur le sentiment
de vérité ? Serions-nous bouleversés par ces histoires
dont beaucoup nous seraient parues, du coup, incroyables ? Le récit
prend ici son caractère dauthenticité et de vérité
qui exerce un travail émotionnel sur celui qui le reçoit.
Cest la fonction de la télé-réalité
et de lexposition généralisée du "vrai
malheur" de "vrais gens" qui a gagné les médias
depuis quelques années et qui substitue à la critique politique
des problèmes sociaux un espace intime dominé par les affects
et le psychisme. »
Monique S
Oui, c'est la question de la réception.
Claire
Est-ce un détail ?
Et toujours sur les questions éthiques... : « Une
précieuse possibilité de pénétrer dans le
"laboratoire" de lécrivain nous a été
fournie par Tatiana Loguinova, la cameraman de Minsk qui a accompagné
Svetlana Alexievitch dans son périple "tchernobylien".
Tatiana a filmé 41 heures dentretiens de lécrivain
avec la majorité des témoins qui figurent dans La
supplication, entretiens encore en notre
possession dont nous avons pu visionner les plus importants, dont
celui qui commence et celui qui clôt le livre. On se rend alors
compte à quel point les entretiens filmés furent modifiés
dans le livre, avec lutilisation des mêmes procédés
que ceux décrits précédemment. Cela est tout particulièrement
vrai pour le cas de Valentina Panassevitch, épouse dun liquidateur
défunt. Au cours de lentretien, Svetlana Alexievitch incite
cette femme, qui était follement amoureuse de son mari, à
raconter les rapports quelle a eus avec lui dans les derniers mois,
voire les derniers jours de sa vie, alors quil était littéralement
transformé en un déchet radioactif monstrueux et pourrissant.
Sous prétexte que "lon est entre femmes", Alexievitch
incite Valentina à lui livrer ses confessions intimes en lui annonçant
quelle a coupé le micro... ce quelle ne fait pas. Au
fil de leur dialogue, Alexiévitch commente le récit de Madame
Panasevitch par des phrases qui, dans le livre, sont finalement placées
dans la bouche de cette dernière. »
Ça coince quand même...
Fanny (après la soirée)
Je viens de relire l'article,
avec fraîchement en mémoire les débats de vendredi
soir. Je le trouve très riche et nuancé dans les perspectives
qu'il aborde. La question notamment d'une littérature qui soit
de la "non fiction" me paraît particulièrement
intéressante d'une part par rapport à la nature de luvre
d'Alexievitch mais aussi en regard de discussions que nous avons pu avoir
à propos du caractère romancé de certains témoignages
de type auto biographique.
Jacqueline (après la soirée)
Je trouve que la question éthique à propos des retranscriptions
de l'oral est un point extrêmement important que tu as soulevé.
Je pense qu'il est lié à la notion d'état de droit :
n'ayant pas les enregistrements nous ne pouvons juger du travail d'Alexievitch,
et quant aux reproches faits par la personne qui ne s'est pas reconnue
était-ce réellement de son fait ou le résultat de
pressions ? Svetlana trahissait-elle ses locuteurs ou les protégeait-elle
pour pouvoir conserver sa relation avec eux et une possibilité
de diffuser leur expression ?
Nathalie RB (encore plus affirmative)
Après avoir pris connaissance lors de la soirée de travail
de réécriture, je suis encore plus hostile à l'idée
de donner ce livre à quelqu'un et même si je l'ai terminé
hier soir, j'ai dû m'interdire de penser que c'était quelque
chose de retravaillé, autrement je n'aurais pas pu en lire une
page de plus. Je me suis sentie manipulée et je déteste
cela.
Jacqueline (également après notre soirée)
Ce que j'avais prévu de dire aussi est que c'est difficile dans
un groupe de discussion autour de livres (groupe littéraire?) de
parler de ce livre qui dresse un état des lieux et entraîne
forcément une réflexion politique. Et je me sens plus apte
à échanger autour de livres plutôt qu'autour de politique
où j'ai du mal à me situer par rapport à la "doxa"
(merci à Barthes de m'avoir fourni cette notion !)
Pour revenir au livre, son titre la fin de l'homme rouge ne reprend
pas le terme d'homo sovieticus passé justement dans la doxa
et fortement connoté après Zinoviev.
Il me semble que l'homme rouge est une création de Svetlana
Alexievitch comme homo sovieticus était une création
d'un écrivain yougoslave et que déjà, en soi, cette
création est une invite à la réflexion...
Denis (toujours après la soirée)
Je n'ai pas voulu porter une appréciation sur un livre que j'ai
seulement feuilleté. Mais je peux donner mon sentiment sur l'approche
du livre (comme on parle de l'approche du chenal entre les récifs).
Quand je pense à La fin de l'homme rouge, depuis ce dernier
vendredi soir, je suis travaillé par mes déclarations péremptoires,
à savoir que ce livre ne m'apprenait rien... C'est totalement faux,
la vérité étant plutôt que je ne supporte pas
tout ce que ce livre m'apprend. C'est trop angoissant. Les portraits des
staliniens nostalgiques comme ceux des victimes ou des assassins me sont
insupportables. J'ai suffisamment feuilleté ce livre pour me rendre
compte que je n'avais pas envie de le lire. Peut-être plus tard.
Rozenn
J'avais lu ce livre quand il est sorti et j'en avais parlé tout
en me demandant si c'était un livre pour le groupe puisque ce n'est
pas une fiction. J'avais été passionnée. J'y retrouvais
beaucoup de ce que je sentais plus ou moins quand je suis allée
en Russie, tous ces derniers étés. Pas des réponses
à mes questions mais des pistes de réflexion. Tout est rapporté
de façon subtile, ouverte. Au lecteur de tenter de saisir ce qu'il
peut au travers de ce kaléidoscope. Je l'ai relu pour cette soirée
du groupe et je suis encore plus emballée. Je l'ai donné
et recommandé largement autour de moi dès sa sortie.
Grâce à nos échanges, j'ai compris ce que peut être
"l'écriture" ! C'est Svetlana Alexievitch qui, à
partir de son vécu et d'un énorme et courageux travail de
recueil de témoignages, s'adresse à nous lecteurs et fait
sentir ce qu'a pu être cette époque, et la suite, ce qu'il
en reste. Et je comprends mieux en lisant ce qu'elle a "écrit"
comment (et surtout pas "pourquoi") une femme (âgée,
de mon âge à peu près) chez laquelle nous avons été
logés à Moscou peut se dire encore communiste ; comment
les gens questionnés ne peuvent pas nous répondre simplement
sur leurs options, leurs convictions ; comment une jeune étudiante
remarquable (une de nos Greeters ) peut se dire pro-Poutine ; l'importance
du théâtre, des livres, des cuisines. L'auteur a construit
une "uvre" (je crois que c'est la première fois
que nous utilisons ce terme pour un livre). Jacqueline m'a permis de penser
que peut-être le fait que je ne comprenne pas cette construction,
même après une deuxième lecture, tient au fait que
Svetlana Alexievitch nous installe dans le "chaos". Encore
une fois, l'effet produit par la lecture serait le projet de l'auteur.
N'est-ce pas là le signe d'une "écriture" ?
Ana-Cristina (avis
transmis par une internaute pour l'instant inconnue)
Page 242, pourquoi je n'arrive plus à lire ce... livre ? Comment
nommer cet ouvrage ? C'est plus qu'une compilation de témoignages.
Ce n'est pas un essai. Encore moins un roman... et pourtant...
Pourquoi ce blocage ? L'introduction m'a plu. Svetlana Alexievitch
a un vrai talent d'écrivain. Son style est d'une grande délicatesse
et a la légèreté d'une plume. Puis viennent les récits
des témoins de la grande Histoire, le corps de l'ouvrage. Beaucoup
sont émouvants, tous éclairent sur l'époque concernée.
Mais voilà : entre "éprouver de l'empathie"
et "être ému", il y a un monde. J'éprouve
de l'empathie pour une personne mais je suis émue par un personnage
c'est-à-dire par une idée. Ici, je suis émue. Et
pourtant il s'agit bien d'êtres en chair et en os. Svetlana Alexievitch
n'écrit pas un livre, elle se le fait dicter par les personnages
eux-mêmes. Du Pirandello ! Et alors ? Alors il y a une
tierce personne qui interfère, qui dirige... c'est l'auteure. C'est
là où le bât blesse car il ne s'agit pas d'une fiction.
P. 22 je lis "Moi, je regarde le monde avec les yeux d'une littéraire
et non d'une historienne. Je suis étonnée par l'être
humain." Phrase magnifique pour un romancier. L'auteure me présente
le résultat d'un travail de journaliste et je le lis tel un roman.
Je suis seule responsable de ma lecture ? Pas complètement.
Ma lecture est orientée par l'auteure.
De plus, si je me secoue et me souviens que je ne lis pas un roman, je
me retrouve face à cette observation : je me leurre quand,
naïve, je crois entendre des témoignages spontanés
participant d'une grande conversation. Ils ne sont, sans doute, que "la
crème" de la multitude de témoignages recueillis. Ils
sont donc sélectionnés. Puis ils sont agencés. Enfin,
ces paroles sont orientées par des questions. Ces questions n'apparaissent
pas. Pour ne pas alourdir sans doute, pour rendre la parole plus fluide.
Plus spontanée ? Pourtant elles révèlent beaucoup
sur la personne qui les pose, sur ses intentions. "Tout cela appartient
désormais à une époque, et non plus à un homme
en particulier." (p. 221) Cela se discute ! Et me donne
le vertige !
La liberté d'expression, Svetlana Alexievitch en use dans ce livre.
Pouvons-nous dire qu'elle en abuse ? La liberté. En lisant
les révélations faites par toutes ces personnes si différentes,
nous remarquons que chacun la souhaite. Je la désire. Nous tous
la voulons. Mais quel est son prix ?
AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN réuni le
13 mai 2016
Valérie
Je me suis rendue plusieurs fois en Russie depuis 1989, je parle le russe.
Je retrouve dans ce livre ce que j'ai moi-même pu connaître
lors de mes différents voyages ; il retranscrit très
bien le vécu de mes voyages et des rencontres que j'ai faites.
La deuxième partie du livre est dure, vous prend aux tripes. J'ai
abordé ce livre avec beaucoup d'appréhension, mais sa lecture
m'a énormément touchée : c'est un livre bouleversant,
poignant. Je relève ces relations filiales détruites, les
liens brisés entre parents et enfants qui ne se comprennent pas.
"Maman
avait passé 12 ans dans un camp, on avait
vécu ensemble 3 ans, et on avait été séparées
pendant 9 ans. Elle était envoyée en relégation,
et elle était autorisée à m'emmener
Quel bonheur !
Que d'émotions, que de joies !
Mais très vite
très vite, il s'est avéré que nous ne comprenions
pas du tout, maman et moi." (p. 302). Autre témoignage :
"Nous roulions tous les deux dans la steppe, moi, la fille d'une
victime et lui, le fils d'un
bourreau ? Un petit bourreau
et
de quoi parlions-nous ? Du fait que nous ne savons rien de nos parents,
ils se sont tus jusqu'à leur mort." (p. 310-311).
Cela révèle le système. Mais aussi l'histoire de
la Russie, le rapport des Russes à la Russie, leur souhait d'y
rester, le sentiment de fatalité
Françoise H
Lors de mes études d'histoire, à propos du totalitarisme,
nos enseignants mettaient beaucoup l'accent sur la terreur et sur la propagande
pour expliquer l'adhésion des populations aux régimes fasciste
nazi ou communiste. J'ai fini par croire qu'un Soviétique est une
pauvre victime soumise à la propagande depuis son plus jeune âge.
Ce livre a été une révélation : le communisme
a été un horizon, telle une religion, à laquelle
nombre de Soviétiques adhéraient, qui structurait leurs
valeurs et leurs projets de vie. La lecture des témoignages de
l'ancienne génération montre qu'ils voulaient construire
leur pays, leur société, faisant uvre collective,
en abdiquant volontairement leur individualité. Ce n'est pas par
la simple propagande qu'on peut être animé d'un tel idéal.
De nombreux témoignages attestent d'une conviction communiste.
Cela a ébranlé ma vision du communisme soviétique.
Les témoignages sont forts et pour nous les rendre aussi proches,
il y a une réécriture obligatoire. Son prix Nobel de littérature
était mérité car Svetlana Alexievitch s'est attelée
à restituer avec talent des émotions incroyables. Dans la
vie courante, il est rare que les personnes fassent preuve d'une telle
conviction par rapport à leurs valeurs et que, pour une idée,
ils soient prêts à se sacrifier corps et âme. Ce livre
est bouleversant.
François
Je suis d'accord ; j'ai été fasciné par la richesse
des témoignages et la reconstruction de ces témoignages.
Les récits se font sur plusieurs années et certains font
vraiment penser à des pièces de théâtre où
chacun renie son reniement. La manière dont l'auteure a capté
cette parole est remarquable. Il faut noter les didascalies : "Elle
est songeuse", "Il rit", "Elle se tait"
La façon dont l'auteure raconte cette histoire est un travail de
création. Elle se décrit elle-même comme une oreille.
Certains témoignages font penser aux camps de Primo Levi et font
ressortir des sommets de souffrances, de tortures
Le langage de
la souffrance qui fait ressentir profondément celle-ci, décrite
sans pathos, est saisissant. J'ai remarqué qu'une même personne
peut raconter son témoignage avec ses contradictions, et donne
à voir une vie qui évolue. Ce livre rend compte pour certains
d'une foi, qui structurait des individus et qui a disparu. Pour un des
personnages, "la consommation a détruit l'âme russe"
et le capitalisme est une hérésie : "Nous,
on est des mystiques, des gens spéciaux" ; la carte
du parti était sa bible. Cette foi pour une mission messianique
lui permet de tout justifier. Il y a l'impression qu'une culture a été
détruite. Cette transcription des souvenirs dépasse le journalisme,
c'est plutôt un montage qui fait penser d'ailleurs aux films russes.
Valérie
J'ai noté cette phrase : "Ma génération
a grandi avec des pères qui revenaient soit des camps soit des
guerres". Mais la plupart des gens n'étaient pas antisoviétiques,
tout ce qu'ils voulaient c'était une vie meilleure. Il y avait
une telle différence entre l'idéal communiste et la manière
dont il était mis en uvre, avec tout son cortège de
vies détruites, de déportations
La nomenklatura a
dévoyé l'idéal communiste, a profité de sa
position de pouvoir pour s'enrichir.
Des citations sont reprises en vrac par chacun,
parfois de mémoire : "C'était
peut-être une prison mais j'y étais bien au chaud",
"J'ai été une petite
stalinienne pendant très longtemps, nous étions tous comme
cela", "C'était
un monde tellement naïf", "Le
marché aux puces devenu notre université",
"Des morts, j'en ai eu autant que
des vivants", "Pour
nous, les livres remplaçaient la vie, c'était notre univers"
(p. 188), "Au lieu de la dictature
du prolétariat vous avez la loi de la jungle",
"Des victimes, des bourreaux, et
à la fin les bourreaux deviennent aussi des victimes"
(p. 330) "Quelqu'un qui a connu
l'amour, on peut toujours s'adresser à lui",
"C'est nous qui avions tout construit
et nous avons tout laissé à ces bandits"
(p. 487), "Les bavardages se
terminent toujours dans le sang. La guerre, c'était un loup qui
peut très bien aussi entrer chez vous
"
(p. 460)
Inès
J'ai adoré. J'avais hâte de me plonger dans la Russie contemporaine
que je connaissais surtout par Dostoïevski, Tolstoï
J'avais
hâte de savoir comment les gens vivaient pendant le communisme.
J'étais condescendante : j'ai fait partie de ces élèves
à qui on a appris qu'ils étaient les victimes de la propagande.
J'ai découvert des gens pleins d'idéaux. Pour moi, peu importe
que l'auteure ait ou non changé en profondeur les témoignages,
ou qu'elle les situe à une date qui ne soit pas exacte, comme cela
a pu lui être reproché ; ces récits sont plein
de vie mystique, plein d'amour, très profonds. Il n'est pas sûr
que si elle avait interrogé leurs enfants, ceux-ci aient parlé
d'amour avec la même vigueur. Cette soif d'idéaux et de livres
m'a vraiment attendrie, mais en même temps je suis atterrée
par le racisme, à l'égard des Tadjiks, des Juifs
Valérie
Si les hommes ont souffert, c'est pire pour les femmes qui en plus doivent
subir les comportements de leurs époux, qui boivent, les frappent
Inès
Après m'être sentie comme attablée avec ceux que l'auteure
fait si bien parler, j'ai vraiment envie de lire ses autres écrits.
Nathalie
J'avais acheté ce livre avant de faire partie du groupe de lecture.
Je suis moi-même de "culture communiste" et je retrouve
dans ce livre ce que de vieux communistes français m'ont raconté,
y compris sur le culte de Staline. Ces récits croisent également
ce que disait Artur London dans L'aveu, Gide dans Retour d'URSS,
les livres d'Evguenia Guinzbourg sur les camps (Le ciel de la Kolyma
et Vertige), ainsi que ce que j'avais retenu de mon voyage
à Saint-Pétersbourg en 1993. C'est vrai qu'on a l'impression
d'être dans la cuisine avec eux, ce texte nous les rend proches.
Je ne pense pas que cette violence, cette souffrance soient l'apanage
des Russes. On peut faire un rapprochement avec le génocide des
Tutsis, la guerre d'Espagne
Voire en France lors de la période
40-45 où des Français pouvaient dénoncer leurs voisins
juifs pour récupérer leur appartement
Il y a bien
eu une réelle adhésion à l'idéal communiste
sinon cela n'aurait pu durer aussi longtemps ; on le voit dans les
témoignages de ceux qui racontent avoir construit avec leur sueur
et leurs sacrifices l'URSS dont ils étaient si fiers. Ce qui est
terrible, et ce que montre si bien ce livre, c'est qu'au nom de l'émancipation
humaine, on a écrasé des hommes. "Le chemin vers
la liberté est difficile, douloureux, tragique". Quelqu'un
comme Romain Rolland, à qui pourtant la liberté de penser
avait été si précieuse, a accepté de fermer
les yeux pendant de nombreuses années sur les crimes commis. Au
nom de cet idéal.
Une curiosité cependant : cet amour du saucisson ! "Le
saucisson, chez nous, c'est la référence absolue."
Émilie
Je rejoins l'avis général. J'ai trouvé le livre bouleversant.
J'ai pleuré souvent. La vie réelle, qui nous touche autant,
est plus forte que la fiction. J'ai beaucoup aimé le ton, ai éprouvé
de l'empathie pour chacun. Même pour la wonder women qui indique
que le capitalisme est fait pour des gens comme elle, mais qui s'inquiète
pour ses parents qui appartiennent à un autre monde. Il n'y a pas
de jugement, de prise de position. Svetlana Alexievitch nous permet de
nous imprégner de leur vie quotidienne. Les "petites gens"
étaient valorisées et se sentaient des êtres humains
au temps du communisme, disent certains d'entre eux ; ils n'étaient
pas considérés comme des "ratés" parce
qu'ils n'avaient pas d'argent. La manière dont on nous enseigne
l'histoire laisse penser que c'était voué à l'échec.
Mais cela leur est tombé dessus du jour au lendemain. On peut se
demander si le socialisme est compatible avec la nature humaine. Mais
comme le dit l'un d'entre eux "un homme peut vivre sans argent,
mais pas sans idéal". La 4e de couverture évoque
le fatalisme, mais ils sont tout sauf résignés.
AVIS DES BRETONS qui se sont réunis le 31
mai 2016
Fany
J'aime les biographies et donc j'ai été gâtée
car il y a nombre de mini-biographies. C'est ainsi un kaléidoscope
qui donne une image de la Russie et de l'émotion. J'ai lu par ci,
par là comme si je rencontrais les gens. J'ai apprécié
la qualité de la retranscription. C'est une uvre littéraire
par la composition, une véritable uvre d'art. Elle nous met
en face du mal et je lui suis reconnaissante de nous éviter de
nous mettre la tête dans le sable. Je suis une grande lectrice des
Russes classiques, avec cette capacité d'amour qu'on retrouve ici.
Je connaissais ses autres livres et j'ai beaucoup aimé celui-ci,
sa belle écriture.
Marie-Claire
C'est horrible certes : que de souffrances, de trahisons ! Mais
aussi que d'humanisme de la part de l'auteure, avec une grande écoute
des personnes, un respect. Chapeau, la façon dont c'est retransmis !
C'est un documentaire réussi : il y a des passages très
beaux sur la nature, des moments très émouvants, des histoires
d'amour par exemple.
Claude
J'ouvre en très grand, j'ai été bouleversée.
On pourrait parler de chacun des cas, par exemple celui avec les différentes
générations réunies. Je me suis exclamée à
chaque page. C'est un livre immense : immense par l'épaisseur
certes, mais aussi par l'immensité du pays, de l'Histoire (avec
ces événements précipités en particulier),
par les témoignages (très variés), par le force de
l'écriture ; ils m'ont transmis intérêt et empathie
; leurs auteurs ont dus être confiés avec respect pour se
confier ainsi. Cependant j'ai un petit bémol car ils ont tous le
même ton, et on retrouve la même qualité d'écriture
- n'y a-t-il pas là une petite tricherie ? En tout cas, ces
petites voix dans la grande Histoire ("notre capital c'est notre
souffrance") font de ce livre un livre très important.
Laurence
Je n'ouvre qu'à moitié car je n'ai vu qu'un simple recueil
de témoignages. J'ai apprécié la façon de
retranscrire les interviews, je sens une tendresse pour les interviewés.
C'est sympa leur manière de traiter le capitalisme. Ce qui m'a
peinée, ce sont les traits humains horribles ; si je relisais le
livre, je serais plus attentive au fonctionnement mental.
Laurie
Je ne l'ai pas fini. Ce qui m'a marquée, c'est l'aspect historique,
avec des infos dont je ne disposais pas. C'était le cas pour Kamel
Daoud (Laurie a l'avantage de faire partie des benjamines du groupe,
ce qui explique ces différences d'informations par rapport aux
anciens qui se souviennent de la perestroïka). Il n'en va pas
de même au sujet de l'Allemagne dont on parle beaucoup. Je n'ai
pas été choquée par les violences car je trouve important
d'en faire part. Je suis surprise par la façon de penser des gens.
Et leur approche du capitalisme. J'ai hâte de le finir.
Françoise G
J'ai appris beaucoup de choses. Les témoignages sont très
intéressants. Des choses m'ont révoltée quand les
personnes parlent du temps du communisme : je ne comprends pas !
Je ne comprends pas qu'ils disent que c'était une meilleure époque !
Oui, ils étaient solidaires, mais il y avait des dénonciations
au sein même des familles. Ils n'ont pas pu s'adapter au capitalisme.
Et les ethnies qui se mettent à s'entretuer !
Lil
J'avais lu ce livre il y a plusieurs mois et j'avais été
enthousiasmée, énormément touchée. J'ai aimé
le lyrisme. Pour moi, il ne s'agit pas d'âme slave, mais d'âme
universelle quand on pense à toutes les horreurs ailleurs qu'en
URSS. Deux questions ont particulièrement retenu mon attention :
celle sur le mal et celle sur la liberté (avec, p. 23 des réponses
différentes à la question "c'est quoi, la liberté ?") ;
j'ai adoré les lieux de liberté, les cuisines. Ensuite,
j'ai été très troublée quand j'ai appris qu'elle
traficotait les entretiens. Du coup je n'ouvre qu'aux ¾.
Je me pose la question : est-ce un roman ? Est-ce de la littérature ?
Et si oui, qu'est-ce que la littérature ?
Édith
J'ai commencé ce livre, puis l'ai posé, puis l'ai repris,
comme une corvée... Je l'ai lu à moitié. La 4e de
couverture suffit : le livre l'illustre, avec l'émotion en
plus. Pour moi, c'est un documentaire, je m'y suis ennuyée et j'aurais
voulu être émue. J'ai eu une expérience de vie d'une
semaine à Moscou dans les années 80 ; j'ai fréquenté
un milieu attiré par le communisme. J'avais lu Zinoviev, Soljenitsyne,
je préfère Mo Yan.
Nicole entreet
Je vais être très courte... Pour moi ce recueil de témoignages
est un documentaire et un documentaire mal fait : on n'a aucun élément
qui nous précise qui sont les gens, la date des témoignages.
Ils s'expriment tous de la même manière. Oui, j'ai été
émue. On a l'impression qu'ils avaient une soif de culture à
l'époque du communisme. La liberté est très difficile
à appréhender. On sent l'amour de la Grande Russie. Nancy
Il est vrai que la lecture de ce livre ne tombait pas à un bon
moment, où j'avais peu de temps, mais en tout cas je l'ai trouvé
chiant, avec un ton très uniforme. J'avais lu plein de choses sur
la Russie et par conséquent je n'ai pas été surprise
et n'ai rien appris. On fait comme si l'histoire de ces violences commençait
au communisme, alors que lui-même a été destructeur.
Je ne l'ai pas lu en entier mais reste peu motivée pour le finir.
Chantal
Moi aussi j'étais très au fait des informations, mais j'ai
été terrassée. Je me souviens, à Pontivy,
à la CGT, le temps de la perestroïka, je me rends compte qu'on
était bernés, car après 1991 ça a été
horrible ! Et aujourd'hui, avec les nouveaux riches (ma fille travaille
avec ces nouveaux riches)... ! Et ailleurs qu'en Russie ? Je suis
allée écouter Boualem Sansal qui témoigne que l'humanité
est prête à n'importe quoi.
D'habitude, je suis plus attentive au livre lui-même, à son
écriture, mais là, le contenu m'a sauté à
la gueule. Je me suis toutefois posée la question de la réécriture
des témoignages.
Solène (qui n'a pas pu lire le livre)
Pour ma part, j'ai une formation en histoire, je connais bien cette période,
mais cela m'intéresse beaucoup de prendre connaissance de témoignages
individuels qui donnent des points de vue complémentaires sur les
événements.
Yolaine (avis transmis)
J'ai lu les trois quarts du livre et je ne sais si j'aurai un jour le
cur de le parcourir en entier (j'ai été contrainte
d'interrompre ma lecture pour cause d'opération : ç'aurait
été du suicide que de continuer à se flageller avec
un récit pareil, d'autant plus qu'il m'a semblé qu'au fil
des pages, l'horreur allait crescendo...)
J'avais déjà lu La
supplication qui m'avait fait une grosse impression et que je
relirai peut-être, mais pas tout de suite non plus... Mais ce n'est
pas la noirceur de cet ouvrage qui justifie mon recul par rapport à
cet écrivain. C'est essentiellement l'ambiguïté du
regard de l'auteur qui m'a beaucoup gênée, même si
je peux la comprendre. Certains témoignages sur la "liberté"
dont on pouvait jouir dans un système où l'insatiable recherche
de l'argent, omniprésente dans nos systèmes capitalistes,
n'avait pas de place, m'a paru assez juste, parce que j'ai pu la constater
par moi-même. Les rêves dans les cuisines aussi, j'ai vécu
ça, c'est normal qu'il y ait de la nostalgie.
Mais le fait que l'on ne sache pas vraiment de quel côté
se situe l'auteur me déroute, d'autant plus que d'après
ce que j'ai pu comprendre, il ne s'agit pas de témoignages bruts,
mais d'une réécriture. Si l'on recueille des témoignages,
c'est pour dénoncer et pour montrer une issue, sinon c'est le désespoir
absolu, et alors, mieux vaut se taire. Mais mon commentaire est à
nuancer par l'ignorance où je suis du dernier quart de l'uvre.
J'ai lu Une vie de Simone Veil, et cela m'a permis de passer de
la sinistrose à la reconstruction. C'est même étonnant
comme elle a réussi à surmonter une épreuve similaire
de façon aussi positive. Au delà des différences
de personnalités, le destin de la France a été plus
riant que celui de la Russie et de ses "satellites"...
Marie Thé
Gros livre et grand livre... documentaire. "Moi, je regarde le
monde avec les yeux d'une littéraire et non d'une historienne"
(4e de couverture) : je n'y vois pas vraiment de la littérature,
mais de l'histoire, l'histoire dite différemment. L'histoire de
personnes dans la "grande" histoire. Nous ne sommes pas chez
Tolstoï, Tchekhov ou Dostoïevski, nous sommes dans des récits,
des témoignages ; l'auteur est journaliste ? écrivain ?
(je pense à Jean Hatzfeld, journaliste ayant écrit par exemple,
sur le génocide rwandais) ; nous ne sommes pas non plus chez
Soljenitsyne, dans L'Archipel du goulag, un livre porté
par un écrivain d'envergure : j'ai lu cet essai, en partie
seulement, il y a longtemps, et je me souviens avoir été
admirative de ce texte, effarée de savoir que ce qui y était
dit était vrai, avec les témoignages de l'auteur ou ceux
écrits à partir de d'autres témoignages ; y
apparaissait aussi l'absurdité d'un système.
Tout cela est présent chez Svetlana Alexievitch, mais pour moi
il y manque quelque chose. Pourtant je pense que ce livre touche davantage
ma sensibilité, nous sommes vraiment dans le ressenti, c'est intense,
déchirant, réaliste. Mais cela ne suffit pas. Je retiendrai
cette phrase en exergue, de David Rousset : "La vérité,
c'est que la victime comme le bourreau étaient ignobles."
Je suis sidérée par ces flots de dénonciations, la
cruauté de l'époque communiste, et à présent,
par l'évocation du "capitalisme triomphant".
Nous avons tous lu le livre, je n'y reviendrai pas en détail, d'autant
plus que c'est répétitif. Je note pourtant ces interrogations
: "Qu'a-t-on fait de nous ?", "Que nous
est-il arrivé ?", "Mon époque a pris
fin avant ma vie." "Nous étions un grand peuple !
On a fait de nous des trafiquants et des pillards !", "Une
enfance communiste et une vie capitaliste". Pas besoin de la
religion, foi en la grande Russie : "La foi c'est quelque
chose qui dépasse la raison" et "Les livres remplaçaient
la vie.", "D'après la théorie de Darwin,
ceux qui survivent, ce ne sont pas les plus forts, mais ceux qui s'adaptent
le mieux à leur environnement. Ce sont les médiocres qui
s'en sortent et perpétuent la race" et encore, dans un
incroyable chapitre : "Je suis une chasseresse, pas une proie
soumise" recherchant "ceux qui ont réussi, ceux
qui sont heureux...et non les faibles et les ratés." A
l'opposé de cela, cette "culture de la pitié"
de femmes pour les hommes... L'amour est aussi évoqué :
"J'ai été aimé.", "On
m'aimait." "la force de m'aimer"... Effrayant
le récit d'un bourreau à son futur gendre, ce dernier disant :
"C'était terrifiant et intéressant... j'éprouvais
même plus de curiosité que de peur... Pourquoi ?"
"Je ne sais pas où se termine un être humain."
Et : "Le mal, le meurtre, pourquoi ?... Ce gouffre attire...
les ténèbres, cela attire."
Il y aurait encore à dire... Je terminerai en disant que j'ai pensé
au film
Good bye Lénine, à La
musique d'une vie de Makine, à La
mort est mon métier de Robert Merle, au film Soleil
trompeur
de Nikita Mikhalkov, etc. Et finalement, je regrette la léthargie
d'Oblomov.
Jean-Luc (avis transmis)
Livre grand ouvert, extraordinaire, d'une grande richesse d'information
sur le comportement humain et le fonctionnement des sociétés,
cela par le biais du cas particulier de l'histoire de l'effondrement du
système soviétique et de la confrontation du peuple russe
à une réalité nouvelle : la société
de consommation.
Ce moment décisif "la perestroïka" auquel il faut
ajouter les soulèvements dans les républiques associées
du Caucase et aussi la guerre en Afghanistan, a traumatisé une
société russe qui vivait depuis 70 ans dans le carcan de
l'idéologie soviétique, confortable pour certains, insupportables
pour d'autres.
Ce récit, que l'on peut définir comme une suite d'interviews,
nous montre à la fois l'aspiration déçue à
la société de consommation, le regret d'un système
où l'homo sovieticus était façonné et encadré
par l'ÉTAT.
C'est un véritable effondrement traumatique pour les Russes :
on ne sait plus comment vivre, que penser, où est le bon chemin
: DIEU et STALINE refont surface ; l'homme se montre un loup pour
l'homme, on perd ses repères.
C'est délirant, c'est très dur à lire. Ce livre nous
interroge aussi sur notre monde occidental plus darwinien que jamais.
Lona (avis transmis)
C'est un livre de géopolitique contemporaine. L'auteure pose un
regard très critique sur la période stalinienne et post-stalinienne :
les témoignages, les confessions sont chargés d'émotions,
de révolte, de dégoût ; parfois ils sont insoutenables.
Elle donne la parole aux témoins, aux victimes, aux humiliés,
aux trahis et sait bien transcrire les événements et faire
passer les sentiments. L'écriture est assez "hachurée",
avec des phrases courtes, beaucoup de points de suspension... Les récits
sont très documentés, avec beaucoup de références.
J'ai parfois peinée avec la chronologie et malgré le respect
dû aux victimes, les histoires sont assez répétitives.
Ce livre me ramène à celui de Roth, de Bayard (lus précédemment)
et surtout à Hannah Arendt.
Dans cette Russie, l'idéologie socialiste a été érigée
en dogme, en religion et chacun devait entrer dans le moule, sinon c'était
la mort pour l'exemple. L'État est tout, s'occupe de tout, pense
à tout (et pour tous), et veut transformer l'homme ancien en "homo
sovieticus" (j'ai bien aimé ce terme).
Quelques thèmes que j'ai appréciés :
- Tous vivaient dans la même mémoire communiste, du culte
des héros et des martyrs, dans la foi au Parti, mais également
dans la subordination à ce parti, dans l'utopie de la Liberté :
mais quelle liberté ? Cette liberté n'a pas été
enseignée, "on leur a tout juste enseigné à
mourir pour elle" ; pour les parents, liberté voulait
dire absence de peur, pour les enfants elle était argent, jeans
et supermarchés.
- Une conception très particulière du bien et du mal (cf.
Arendt et "la banalité du mal").
- Elle parle bien de la fierté des Russes : "au temps
de Gagarine, tout était possible", de l'importance du
Parti et de la carte du Parti, de l'amour (exagéré ?)
de la Patrie, toujours d'actualité sous Poutine - mais peut-on
reprocher à un dirigeant ou aux habitants d'aimer leur pays, de
le vouloir fort et respecté ?
- Le formatage des ados et des jeunes dans les "pionniers",
sorte de jeunesse hitlérienne : avec une soif d'idéal
et de collectivisme.
- La violence a toujours existé en Russie (sous les Tsars comme
Ivan le terrible, Pierre le Grand, ou Staline, Poutine (?), Alexandre
II libérateur a été tué)... "ça
a toujours été ainsi ; les enfants ont vécu
avec les morts dans la rue" ; les délations, les condamnations,
les suicides et les assassinats, la collectivisation, la koulakisation,
les déportations.
- Les conflits générationnels.
- J'ai bien aimé ces lieux de "cuisine", endroits de
lecture, de confidences, de réflexions, de discussions, de dissidence,
de psychothérapie : "nous étions des plantes
d'intérieur".
- Après la période sacrée et magique du communisme,
vient le temps de la nostalgie, du désenchantement, de la désillusion,
du rêve brisé, des regrets ; pourtant quelques-uns veulent
y croire encore et regrettent le temps du socialisme-communisme : "je
regrette tout ce que nous aimions".
- Quel avenir pour la Russie d'aujourd'hui ? Relent de communisme ?
Retour au culte de Staline ? Poutine va-t-il "recréer"
l'empire soviétique ? En tout cas c'est son rêve...
Certains réclament un procès de Nuremberg pour le Parti
communiste.
Marie-Odile (avis transmis)
Tout d'abord je suis frappée par la phrase de Friedrich Stepphun
mise en exergue. Elle me renvoie au problème
du Mal qui hante l'uvre de Jaume Cabré que nous avons lu
cette année : "Ceux qui sont responsables du triomphe
du mal dans le monde, ce ne sont pas ses exécutants aveugles, mais
les esprits clairvoyants qui servent le bien." Cela mérite
qu'on s'y arrête, mais cela m'incite aussi à aller voir ce
qui dans les pages suivantes se rapproche de ce propos. Et je trouve :
"Notre drame, c'est que chez nous, les victimes et les
bourreaux ce sont les mêmes personnes ". Plus d'un témoignage
va dans ce sens." C'était d'une logique géniale !
"Des victimes, des bourreaux, et à la fin les bourreaux
deviennent aussi victimes..." Voir la liste des coupables p. 418.
"Les bourreaux et les victimes peuvent très bien
s'entendre... Il existe ce qu'on appelle le consentement tacite. Un pacte.
Un grand arrangement" Mais, "ce sont toujours les victimes
qui restent pour témoigner. Les bourreaux eux, se taisent, ils
s'évaporent dans la nature".
Puis, le sommaire m'interpelle :
il y est toujours question d'une chose et
d'une autre, ce second aspect étant rattaché au premier
de façon parfois énigmatique. Avec son regard de littéraire
et non d'historienne, S. Alexievitch se dit "étonnée
par l'être humain". Et étonnée, je le suis
aussi en lisant tous ces témoignages, non, étonnée,
le mot est trop faible, il s'agit plutôt d'effarement face à
ce que des hommes peuvent faire à d'autres hommes. Ces témoignages
sont terrifiants, glaçants, à la limite du soutenable parfois,
et au fur et à mesure de ma lecture, mon impression de grande tristesse
n'a fait que s'accentuer. Ce désastre maintes fois renouvelé
au cours du XXème siècle m'a profondément sidérée.
On ne sort pas indemne d'une telle lecture, de ce "tombeau littéraire".
Je retiendrai cette parole recueillie qui coule comme un flot longtemps
retenu, jamais écouté.
Je retiendrai la folie collective de ce peuple russe à qui on a
inculqué une si haute estime de lui-même, de sa Patrie, de
son Pays.
Je retiendrai les horreurs de la guerre, celles subies et celles perpétrées.
Je retiendrai les trahisons, les dénonciations, les morts innombrables,
celles des nouveaux-nés et des autres, toujours violentes, les
suicides innombrables aussi.
Je retiendrai qu'il y a parfois trop de morts pour que les vivants puissent
les porter.
Je retiendrai cette sorte de résignation qui empêche de se
révolter et qui fait dire que c'est l'époque qui était
comme ça.
Je retiendrai les phénomènes d'incroyables résiliences,
d'instinct de survie qui font que ces hommes, ces femmes sont encore là
et parlent.
Je retiendrai les larmes versées, les destins détruits,
les parcours invraisemblables de ces êtres humains devenus inhumains.
Je retiendrai que tout un peuple peut perdre ses repères en quelques
années, qu'un modèle peut s'écrouler et que face
à ce désenchantement, on sombre parfois dans la nostalgie,
ou la folie, ou la mort.
Je retiendrai le bon sens qui pousse à fuir cet enfer-là.
Je retiendrai les hommes ivres qui tuent leur femme, les mères
douloureuses comme dans un Stabat Mater.
Je retiendrai les immigrés-réfugiés en proie à
la violence et à la peur dans Moscou.
Je retiendrai le fanatisme.
Et cela m'interroge sur d'autres fanatismes d'aujourd'hui.
Ces textes ont la force du témoignage direct, oral, souvent empreint
d'une grande et contagieuse force émotionnelle qui ne ménage
pas le lecteur, principalement lorsque ce sont des femmes qui parlent.
Pas de commentaires, pas de jugement.
Je me sens un peu comme cette femme qui s'étonne de pleurer en
parlant de sa vie alors qu'elle la connaît depuis toujours. J'ai
comme tout le monde entendu parler de Staline, des camps de Sibérie,
de la guerre etc., mais jamais je n'ai été à ce point
effarée
Pouvoir de la parole dite ou reçue...
Cela m'a interrogée sur les valeurs de nos sociétés
et je me suis dit que le bonheur pour l'être humain prend l'aspect
de ce qui lui manque, ou, s'il a la chance de ne pas trop manquer, de
ce qu'il ne voudrait pas perdre.
Les propos réconfortants sont très rares et pour qu'ils
le soient, il faut parfois oublier leur contexte : "Prendre sa
souffrance entre ses mains, la posséder pleinement, et en sortir,
en revenir avec quelque chose, c'est une telle victoire, c'est la seule
chose qui ait un sens", "La quantité d''amour
que nous avons reçue, c'est ce qui nous sauve".
C'est un livre qui fait peur, qui laisse muet ou qui fait hurler, un livre
que j'ai envie d'oublier, mais que j'ouvre en grand, en très grand.
Christophe (à qui on demande son avis et s'il a envie de livre
le livre après avoir écouté les lecteurs du groupe
breton)
Je trouve qu'il y a trop de questions sur le fait que ce ne serait qu'un
documentaire. C'est publié chez Actes Sud, non ? Et trop d'anecdotes
n'ont pas trait au livre.
Claire (qui surenchérit sur ce dernier point ; qui a donné
son avis plus haut dans le groupe parisien, mais est présente à
cette soirée bretonno-russe)
Pour aller dans le sens de Christophe, il existe d'autres groupes de lecture
qui ont d'autres manières d'approcher la lecture, tout aussi intéressantes,
mais différentes. Par exemple, certains groupes considèrent
le texte comme un simple prétexte et on peut associer librement,
renvoyer à sa vie personnelle, etc. À Voix au chapitre,
on essaie de partager d'une part les effets du livre sur soi et d'autre
part les raisons de ces effets qu'on essaie d'analyser et qui renvoient
à la façon dont le livre est fait (ainsi, comment c'est
fait renvoie à comment j'ai ressenti). C'est vrai que
pour Alexievitch, le fait d'apprendre qu'elle réécrit les
témoignages peut modifier son impression, mais n'est-ce pas aussi
un aspect de la littérature de jouer sur les rapports entre la
réalité et la fiction ? Enfin, même si le livre
est affiché comme livre littéraire (édition très
littéraire qu'est Actes Sud), rien n'interdit au lecteur de contester
la dimension littéraire du livre...
Nous avons lu ce livre pour le 20 mai
2016. Le nouveau groupe parisien pour le 13 mai. Les deux groupes bretons
l'ont lu pour le 31 mai, avec une soirée "russe" (dîner
russe + musiciens : pièces au piano, violon, violoncelle,
en particulier de Chostakovitch qui avait été menacé
sous Staline et les uvres attaquées).
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