Céline en 1932
Extrait de Wikipedia
Prix Renaudot en 1932
Quatrième de couverture :
- Oh ! Vous êtes
donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes
répugnant comme un rat...
- Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout
ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne
pas moi... Je ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net, avec
tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire
avec eux, avec elle.
Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions
et moi tout seul, c'est eux qui ont tort, Lola, et c'est moi qui ai raison,
parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne
veux plus mourir.
Les personnages :
- Ferdinand Bardamu, le narrateur
- Léon Robinson
- Alcide, son collègue en Afrique
- Lola, américaine rencontrée à Paris et retrouvée
à Manhattan
- Musyne, violoniste rencontrée à Paris
- Molly, américaine rencontrée à Détroit
- Bébert, petit garçon rencontré dans la banlieue
parisienne
- La tante de Bébert
- La famille Henrouille (la bru, son mari et sa belle-mère)
- Parapine, médecin
- Baryton, psychiatre
- Madelon, amante de Robinson (et, à l'occasion, de Bardamu)
- Sophie, infirmière slovaque, amante de Bardamu
- Protiste l'abbé
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Louis-Ferdinand Céline (1894-1961)
Voyage au bout de la nuit
Le nouveau groupe parisien a lu ce livre
en juin 2017.
Nous avions lu ce livre en novembre
1993.
Nous avions lu également D'un
château l'autre en avril 2012.
Voir en
bas de page des réactions dans la presse
sur Le Voyage (et notamment au moment de sa sortie
en 1932), les livres et la vie de Céline.
Contrairement à des réactions
virulentes de contemporains du livre
et aux lecteurs de Voix au chapitre 24 ans auparavant,
les 10 lecteurs présents ce 9 juin 2017
(Ana-Cristina, Anne, Audrey, Flavia, François, Françoise,
Julius, Nathalie B, Nathalie F, Valérie) ouvrent tous
"en très grand"...
Valérie
Je suis en train de lire le livre de
Fabrice Luchini qui affirme que Proust et Céline sont deux
auteurs inépuisables.
Je suis une inconditionnelle de Proust. Quant à Céline,
j'ai lu Mort à crédit il y a 20-25 ans. Cela m'avait
beaucoup touchée car c'est un témoignage autobiographique.
Voyage au bout de la nuit
Sincèrement, je ne l'aurais
pas lu, s'il n'avait été au programme de Voix au chapitre.
Et pourtant, c'est une révélation ! Céline,
c'est un peintre de l'âme ! J'ai envie de vous lire deux petits
passages : "Il
n'y a de terrible en nous et sur la terre et dans le ciel peut-être
que ce qui n'a pas encore été dit. On ne sera tranquilles
que lorsque tout aura été dit, une bonne fois pour toutes,
alors enfin on fera silence et on aura plus peur de se taire. Ça
y sera." (p. 327) Le silence
et la parole, c'est un vrai sujet de débat.
"Il y a un moment où
on est tout seul quand on est arrivé au bout de tout ce qui peut
vous arriver. C'est le bout du monde. Le chagrin lui-même, le vôtre,
ne vous répond plus rien et il faut revenir en arrière alors,
parmi les hommes, n'importe lesquels. On n'est pas difficile dans ces
moments-là car même pour pleurer il faut retourner là
où tout recommence, il faut revenir avec eux."
(p. 328) On en est tellement là !
On accepte la misère humaine et on s'y fait !
Flavia
Oui, oui, j'ai également retenu ce passage :
"Je vais me tuer !
Qu'il me prévenait quand sa peine lui semblait trop grande. Et
puis, il parvenait tout de même à la porter sa peine un peu
plus loin comme un poids trop lourd pour lui, infiniment inutile, peine
sur une route où il ne trouvait personne à qui parler, tellement
qu'elle était énorme et multiple." (p. 329)
Julius
Oui, Céline dit aussi quelque chose comme "C'est
l'histoire de mentir ou mourir."
Ana-Cristina
Céline met les mains là où c'est très sombre.
Il dépasse l'idée de mort (de quelqu'un qui ne vit plus).
Il ose aller là où personne n'a osé aller.
Julius
Je ne comprends pas le Voyage au bout de la nuit comme le fond
de la misère humaine. Quand Céline décrit une scène
quotidienne, on voit les coutures, le fil, le ressort des personnages.
Pour Céline, le drame de l'homme c'est que l'existence est trop
grande pour lui et la misère, c'est d'être conscient de cette
petitesse. C'est un voyage dans le noir.
Ana-Cristina
Céline ce n'est pas le peintre de l'âme mais de la nature
humaine.
Nathalie B
Céline ce n'est pas le peintre de l'âme humaine mais de son
âme humaine.
Audrey
Céline c'est beaucoup moins universel que Proust.
Nathalie B
La lecture de Voyage au bout de la nuit m'a révélé
de l'intérieur ce que j'ai pu observer chez de nombreuses personnes.
Ana-Cristina
Cela veut dire que tu as compris leur vision ?
Nathalie B
Oui. Dans mon travail, je côtoie des gens qui sont dans la désespérance.
Céline me les fait comprendre de l'intérieur. Malgré
tous mes problèmes, j'ai eu la chance d'avoir cette lumière.
Audrey
La guerre, c'est un révélateur pour lui.
Nathalie B
Pour moi, c'était déjà le cas avant.
Julius
On est comme ça.
François
Céline, c'est un homme de l'extérieur. Ce n'est pas un introverti.
Voyage au bout de la nuit est un témoignage sur la guerre,
comment elle transforme les hommes. J'ai toujours peur de retrouver le
verbe de Céline, tellement cela le pousse au délire. Pour
Le
Clézio, Voyage au bout de la nuit est un massif incontournable.
Qu'est-ce que je peux en dire ? On peut s'interroger sur la jouissance
qu'on éprouve à le lire. Il suffirait de lire quelques pages.
Il y a du lyrisme et une telle richesse humaine et verbale. Ce qui reste
c'est la magie incomparable de son style.
Céline, c'est l'horreur aussi. Céline, il était médecin
et il a fait son boulot avec un grand soin. Il était très
compatissant avec ses malades. Il n'arrivait pas à les faire payer,
les malades les plus pauvres.
Dans Voyage au bout de la nuit, il fait ressortir ce qu'il peut
y avoir de dérisoire. C'est la grande entreprise de déniaisement.
Avec lui, tu reviens de tout : de la médecine, de la science,
des femmes, de la guerre
Céline est très conscient de son travail d'écriture.
A propos du métier d'écrire, il parlait d'un travail de
dentellière. Ce n'est pas du tout une transcription de l'oral.
Ce n'est pas le passage de l'oral à l'écrit, c'est autre
chose. Il a fait un idiome inoubliable. De surcroît, il écrit
le roman du Verbe
A condition d'ajouter qu'il a été
le plus compatissant des hommes. Il y a une telle humanité. Malgré
la répulsion, il est le plus compatissant des hommes. L'attraction
et la répulsion sont les deux versants de son uvre. Ce sont
les deux ressorts de son registre. Le lire cela dit toujours plus que
ce qu'on peut en dire. C'est un poète !
Audrey
J'ai été harponnée par l'entrée en matière.
C'est un homme abîmé par la guerre. Je n'ai jamais lu de
tel sur la guerre. On lit un dépucelage. La guerre avec l'ennemi
qu'il voit dans toute l'incompréhension. Évidemment le style.
Tout est bruit ! Et la guerre avec les gradés
Vous vous
rappelez quand il parle de la guerre où pour la première
fois il s'engage dans la nuit au doigt levé et qu'il doit partir
sur un cheval à vif ? Et puis le retour à Paris
Le moment où il se retrouve avec le mythe patriotique, le devoir
de silence, la peur muselée
Le parallèle entre le
choc de la guerre et cette femme, Lola, qui a pris deux kilos !...
L'immensité entre les deux France. Devant le stand des Nations,
Bardamu, il devient dingue ! Entre la guerre réelle et la
guerre imaginaire, comment il pourrait faire autrement que devenir fou ?
La première partie m'a emportée. J'ai une vision chronologique.
Pour moi, l'uvre se détache de manière nette. Il y
a d'abord la guerre. Et puis, on part sur un bateau. La violence humaine
s'inscrit dans cette traversée quand Bardamu est embarqué
avec ces gradés. En Afrique, j'ai vraiment vu l'anticolonialisme.
La description très éloquente sur les indigènes.
En particulier, dans le port quand il décrit ces femmes qui participent
au déchargement, il les compare à des fourmis. Vous vous
rappelez l'anecdote avec cette famille qui vient vendre sa récolte
de caoutchouc à l'homme du "corocoro" ? Céline
nous donne un morceau insupportable de la colonisation.
Les moments-clés, ce sont les rencontres avec Robinson et avec
Alcide. On sent chez Céline, une immense sensibilité, qui
m'a surprise.
Nathalie B
C'est vrai que c'est un moment où on découvre Céline.
Ensuite, Bardamu entre dans un état de survie. Moi, toutes ces
aventures, cela m'a fait penser à Candide.
Audrey
Il est très en avance sur son temps. Entre les deux guerres, on
commençait à critiquer la guerre. Mais lui, il questionne
en plus la colonisation !
François
Oui, Voyage au bout de la nuit, c'est une démystification
totale !
Ana-Cristina
Je me demande si ce n'est pas plutôt une uvre anti-bêtise ?
Nathalie B
Je dirais plutôt c'est une uvre sur les rapports dominants-dominés.
François
Le télescopage entre imaginaire et réalité
.
Céline a bien fait la guerre : il a reçu un éclat
d'obus à la tête.
Nathalie B
Avec Alcide, Céline ne va pas au bout parce que cela lui fait peur.
Ana-Cristina
On touche le point un peu ambigu. En tant qu'écrivain, il ne supporte
pas le sentimentalisme.
Nathalie B
En tant que personne, il ne supporte pas le sentiment. Il ne peut pas
aller au-delà.
Audrey
Il a un regard très acéré sur New York. Un véritable
ethnologue : les toilettes publiques, le cinéma, les usines
Ford
Quand Bardamu revient en France, on découvre en lui
un homme volontaire. La lecture devient plus dure. La nuit tombe. Le rythme
change. C'est un homme qui se perd, qui s'éteint, qui rentre dans
la nuit. Quelle noirceur ! Il est atteint par un mélange de
passivité et de déprime. Vous vous rappelez la scène
de la fille qui s'est fait avorter et qui perd son sang et rien ne se
passe alors que c'est lui le médecin ! Il est dans un état
complètement contradictoire. Comme quand, il se moque avec son
compère des couillons qui dirigent la guerre alors qu'il s'enrôle
juste après !
Céline, c'est aussi une écriture poétique :
vous vous rappelez la scène quand Bardamu, Robinson et Madelon
sont sur le chemin de halage ?
Nathalie B
Oui, oui, je pense à New York quand Céline dit que le cinéma
c'est une usine à rêves et aussi quand il dit qu'on s'emmerde
tellement qu'on a mis des artistes partout !
Audrey
Bardamu, je le vois comme un homme qui a tout perdu en route. Il se rend
compte qu'il n'a plus l'amour des autres.
Voyage au bout de la nuit, j'étais très très
heureuse de le lire.
Ana-Cristina
Javais presque terminé la lecture de ce livre et je ne savais
vraiment pas ce que jallais pouvoir vous dire sur ce chef-d'uvre.
Et, enfin, toutes les raisons pour lesquelles jaimais Le Voyage
au bout de la nuit me sont apparues en lisant les dernières
pages du roman. Elles ont littéralement jailli ! Le livre
ma beaucoup plu mais cette fin est une apothéose. Cette fin
est la clé dentrée, ma clé.
Voici donc quelques moments révélateurs (choisis dans les
dernières pages) pour moi de la valeur de ce roman :
- le passage, pp. 622-623 (Folio, 1990), est pour moi la profession de
foi de Céline. Lauteur la place non dans la bouche de Bardamu
comme on pourrait sy attendre mais dans celle de Robinson insultant
Madelon : "ça
te suffit de répéter tout ce que bavent les autres
Tu trouves ça régulier
Ça te suffit parce qu'ils
t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et
que ça prendrait avec tout le monde et toujours
Eh bien moi
je l'emmerde leur amour à tout le monde !
Tu m'entends ?
Plus avec moi que ça prend ma fille
leur dégueulasse
d'amour !
Tu tombes de travers !
T'arrives trop
tard ! Ça prend plus, voilà tout !
Et c'est
pour ça que tu te mets dans les colères !
T'y
tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce
qui se passe ?
De tout ce qu'on voit ?
Ou bien c'est-y
que tu vois rien ?
Je crois plutôt que tu t'en fous !
Tu fais la sentimentale pendant que t'es une brute comme pas une
Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à
la tendresse ?
Ça passe alors ?
Pas à
moi !
Si tu sens rien tant mieux pour toi ! C'est que
t'as le nez bouché ! [...] Tu cherches à savoir ce
qu'il y a entre toi et moi ?... Eh bien entre toi et moi, y a toute
la vie."
- la bête noire de Bardamu... ou de Céline : les bons
sentiments. Ils sont évincés définitivement et ridiculisés
avec brio. Page 624, les "hop ! hop !" qui accompagnent
Robinson jusquà la mort permettent à Céline
déviter le pathétique
- le style de Céline. Des images magnifiques. Je trouve quelles
sont dans cette fin comme posées dans un écrin en velours
noir, certes un peu usé. En voici une : "Il
[Robinson mourant] transpirait des si grosses gouttes que c'était
comme s'il avait pleuré avec toute sa figure".
Des remarques insupportables à lire tellement elles sont tristes,
pitoyables : "On
manque de presque tout ce qu'il faudrait pour aider à mourir quelqu'un".
Le style de Céline est dune maîtrise époustouflante.
Chaque mot est à sa place. Cest un terrifiant poème.
Lémotion que je ressens à la toute fin du livre est
comme un jet deau brûlante et non bénéfique
qui me désaltère.
Anne
Oui, je reprends l'idée du poème. La beauté de l'écriture
m'a transportée. Et pourtant, il y a des choses tellement insupportables.
Il parle de la mort et surtout de ce qui est irreprésentable dans
la mort. Il parle du dégoût de la vie. Son négativisme
J'ai dû relire Rimbaud :
"Comme je descendais
des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux
de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux
des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants."
J'ai été prise comme dans un long poème jusqu'au
moment où Bardamu arrive dans la banlieue. D'abord, il parle de
la terrible guerre. On pense à Alep, à l'Afrique
On
sent Bardamu triomphant, vers le sans-limite. Comme dans la vie. Mais
quand il va revenir de la guerre
ce qu'il a souhaité de triomphant
s'écroule. Il est en miroir de notre monde interne. Parfois, on
porte un enfer en soi. Surtout on a élaboré sa vie psychique
et on la trouve à l'extérieur.
Aussi, l'uvre est burlesque. Céline a un humour féroce.
Audrey
Où est l'humour ?
Flavia
Quand la mère Henrouille fait visiter les catacombes à Toulouse.
Ana-Cristina
Je trouve qu'on voit la distance entre l'histoire et le regard de Céline.
C'est d'ailleurs ce qui permet de lire Voyage au bout de la nuit.
Anne
Oui, cela m'a fait penser à En attendant Godot.
Voyage au bout de la nuit c'est un monde où tout se rétrécit.
La laideur est le fil rouge "Après
tout, pourquoi n'y aurait-il pas autant d'art possible dans la laideur
que dans la beauté ?"
Céline dit très peu de la vie affective de Bardamu. Il parle
rapidement de la relation avec sa mère. C'est le vide affectif.
C'est une vie désastreuse qui attend ce désastre.
Nathalie B
La banlieue, c'est l'éteignoir.
Nathalie F
La mère de Bardamu à propos de la guerre, elle pense que
c'est la mort assurée parce que les hommes ont fauté.
Julius
C'est très difficile pour moi de parler de Voyage au bout de
la nuit. Je suis habité par cette uvre depuis la première
fois que je l'ai rencontrée à l'âge de 15-16 ans.
En ce qui concerne la proximité et l'opposition entre Céline
et Proust, je pense qu'ils ont la même extraordinaire sensibilité
dans le regard et la perception des relations humaines, mais là
où Proust en tire des raisons de jouir, Céline en tire des
raisons de se retirer de la vie. Il n'en voit que l'absurdité parce
que l'ombre de la mort flétrit toute aventure humaine. D'ailleurs,
Mort à crédit est la suite. La trilogie allemande est
hilarante. Ensuite, il y a Guignol's band et Féerie pour
une autre fois. C'est vraiment dommage de s'arrêter à
Voyage au bout de la nuit. L'écriture devient plus syncopée.
Ce sont les fameux points de suspension.
Dans Voyage au bout de la nuit, l'âme n'est pas noire mais
elle est dans le noir. La vie est un bricolage auquel on fait semblant
de croire de bout en bout. L'homme n'est pas à la dimension de
la vie. Il n'y a personne pour nous sauver. Pour moi, Voyage au bout
de la nuit, c'est un immense pamphlet anticlérical. Pas de
Dieu, pas de savoir ! L'homme est tout seul et en plus, il doit se
subir lui-même ! Je pense à Catherine Ribeiro "Je
ne crois pas en Dieu parce que je crois en l'homme". Céline
ne croit pas plus en Dieu, mais il ne croit pas non plus en l'homme car
il ne croit pas à la fraternité ni à l'humanité.
Il ne croit pas aux grands mots. Il déteste les affaires de cur.
J'ai pensé à Jacques Brel dans "Pourquoi ils ont tué
Jaurès" :
"On ne peut pas dire
qu'ils furent esclaves
De là à dire qu'ils ont vécu
Lorsque l'on part aussi vaincu
C'est dur de sortir de l'enclave
Et pourtant l'espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux cieux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu'à la vieillesse
Oui notre bon Maître, oui notre Monsieur
Pourquoi ont-ils tué
Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?"
L'homme est encombré par lui-même et il est obligé
de composer avec la société ! Il doit être "raisonnable".
C'est un roman sur le temps. Systématiquement, il y a le temps
long ("no future") et le temps court (les émotions de
l'amour et il ne croit pas qu'elles vont durer !). Il y a quelque
chose qui me frappe : les jugements que porte Bardamu ne sont jamais
définitifs, comme par exemple, sur Robinson. Les opinions sont
changeantes. Et puis, il y a une telle dérision qui peut être
poussée jusqu'au bout. Dans Guignol's band, cela va jusqu'au
"délire euphorique" : par exemple, il y a une scène
où Bardamu crée à lui tout seul un embouteillage
à Londres !
Dans Entretiens avec le professeur Y, à propos de son écriture,
Céline a cette formule : "je
les lui fausse ses rails au métro, moi ! j'avoue !...
ses rails rigides !... je leur en fous un coup !... il en faut
plus !... ses phrases bien filées... il en faut plus !...
son style, nous dirons !... je les lui fausse d'une certaine façon,
que les voyageurs sont dans le rêve... qu'ils s'aperçoivent
pas... le charme, la magie, colonel !" Il crée
un langage qui n'existe pas.
François
Il a trouvé le moyen d'idiomatiser le silence.
Nathalie F
Céline n'est pas le seul à recréer la guerre. Déjà
Barbusse dans Le
Feu. D'ailleurs Barbusse reprend les patois utilisés par
les combattants.
Nathalie B
Céline fait parler les gens qui ne parlent pas.
Ana-Cristina
Est-ce que Céline éprouve de la compassion pour les gens
du commun ?
Nathalie B
Je pense que Céline ne juge pas. Il comprend, il perçoit.
Bien sûr qu'on se raconte des histoires
Julius
Céline méprise la bêtise, non pas les petites gens.
François
Il est passé au-dessus. Il théâtralise beaucoup.
Anne
Céline est proche de la folie. Je pense à
L'Intranquille de Gérard Garouste.
Nathalie F
Je suis désolée de vous quitter, je dois partir. Cette uvre
est trop écrasante. C'est du nectar. J'ai eu l'impression de la
découvrir quand je l'ai relue. C'est incroyable. Je n'arrive pas
en faire le tour.
Son manque d'empathie, aujourd'hui, cela paraît choquant.
Nathalie B
Je suis très sensible au fait que Céline touche une vérité.
Je n'avais pas réussi à le lire. La contrainte de Voix au
chapitre a fait que j'ai dû m'y plier. Je suis très contente.
Je n'ai pas terminé encore le livre.
Céline se dit essentiellement styliste. Pour moi, le style est
un outil pour parler des gens qu'on n'entend jamais. Ça fait passer
de l'autre bord : celui de la compréhension du sentiment d'humiliation,
de la petitesse. C'est une vision du monde noire. Pas d'once d'espoir.
Son regard n'est jamais décalé. La guerre est passée
par là. Quand on a passé la guerre, c'est très difficile
de revenir sur l'autre rive. Même si je ne suis pas sûre que
son regard était autre avant d'avoir fait l'expérience de
la guerre. Ce qui est terrible dans Voyage au bout de la nuit,
c'est le manque de beauté, c'est la tristesse.
François
Le bonheur de Céline, c'est qu'il a créé !
Valérie
Noirceur
Pour moi, c'est péjoratif.
Nathalie B
Ah c'est rapport à la mort
On vit pourquoi ? Alors qu'on
va mourir ! Malgré tout on meurt seul, même si on est
entouré. Il le décrit avec une telle acuité !
Ana-Cristina
Il dévoile nos mesquineries.
Anne
Il dévoile les dénis qu'on se fabrique.
Audrey
Je ne dirais pas qu'il est très humain.
Flavia
Il s'y plaît. Il est comme eux. C'est pourquoi, il se reconnaît
à cette mesquinité. Vous vous rappelez quand Bardamu cherche
à rencontrer la fille Henrouille ?
"Je m'en retournai
triste quand même du côté de Vigny, en pensant que
tous ces gens, ces maisons, ces choses sales et mornes ne me parlaient
plus du tout, droit au cur comme autrefois, et que moi tout mariole
que je pouvais paraître, je n'avais peut-être plus assez de
force non plus, je le sentais bien, pour aller encore loin, moi, comme
ça, tout seul." (p. 463)
A la fin du roman, Bardamu n'arrive plus à se reconnaître.
Dans l'épisode de Toulouse, il a retrouvé une famille.
Céline n'arrive qu'à décrire les mauvais côtés
de l'être humain. Tout ce qui est différent de lui, il n'arrive
pas à le décrire. Ce que je trouve agaçant, c'est
son nihilisme. Il passe à l'oubli ce qui reste de l'être
humain. C'est presque caricaturé. Par exemple, la description des
scènes de sexe. Les hommes sont pris dans leurs envies les plus
primaires, et puis, les femmes sont décrites sans nuances :
des putes, des bêtes, des garces sauf Molly (mais Bardamu ne sait
pas y faire avec elle !).
Julius
C'est intéressant
Bardamu ne se résigne pas, ne se
complaît pas, ne se révolte pas. La révolte n'est
pas chez Bardamu mais chez Céline ! Il attend que le lecteur
se révolte ! C'est le travail du lecteur que Céline
attendait !
Flavia
Dans la première partie, il y a une telle puissance littéraire
.Je
n'ai jamais lu quelque chose d'aussi intense, d'aussi lucide sur la guerre.
Après cela s'estompe.
Julius
Parce qu'on passe de l'horreur visible à l'horreur invisible.
François
L'importance de la guerre
C'est inimaginable aujourd'hui.
Je suis intéressé par un tel décalage : la guerre,
l'Afrique, New York, la banlieue
Bardamu ne réagit pas devant
ces scènes.
Julius
L'horreur est dans le fait de ne pas réagir à ces scènes.
Céline nous tend un miroir
Flavia
J'ai du mal à me faire à l'idée de Céline
comme connaisseur de l'âme humaine. Il révèle plein
de choses de l'époque. Il me fait penser à George Orwell.
Clairement, il est en avance sur son temps à démonter toute
cette croyance sur la guerre. Est-ce qu'il connaît le reste de l'âme
humaine ?
Anne
C'est quand même l'âme meurtrière !
François
Il y a un côté Dostoïevski.
Flavia
Je me suis interrogée sur Robinson. Pourquoi un double crapuleux ?
Ana-Cristina
Entre la première et la deuxième partie, le regard de Céline
s'ouvre sur les personnages périphériques. Robinson suit
la spirale. Robinson dévoile l'émotion qui est contenue
dans le livre.
Flavia
Robinson, c'est celui qui remet en jeu Bardamu. Robinson a envie de vivre.
Bardamu envie à Robinson cette étincelle.
Nathalie B
Robinson, c'est son double : c'est celui qui dit "Non !".
Ana-Cristina
Bardamu, c'est celui qui parle. Robinson, c'est celui qui agit.
Françoise H
Comme Anne, j'ai beaucoup pensé au "Bateau ivre" de Rimbaud.
C'est la structure de Voyage au bout de la nuit. On retrouve cette
même dérive qui aboutit à l'apocalypse. Bardamu, je
l'ai trouvé très attachant. Comme prof d'histoire, il m'a
fait comprendre l'expérience combattante de la Grande Guerre. Vous
vous rappelez de Bardamu pendant les permissions à Paris :
il ne peut pas se laisser aller tellement il est angoissé à
l'idée de retourner sur le front. Et puis, le démontage
de la gloire guerrière, toute cette comédie humaine inventée
par la propagande d'État. C'est vrai que c'est aussi un livre à
charge contre la colonisation : l'anecdote de la famille qui vient
vendre son caoutchouc, quel cauchemar ! J'ai aussi beaucoup aimé
le passage sur l'arrivée à New York, cette ville tellement
verticale dans le regard d'un habitant du Vieux monde habitué à
ses villes qui s'étendent le long des fleuves : ces villes
baisables !
Audrey
J'ai vu récemment au cinéma Cessez
le feu ! avec Romain Duris. C'est une critique de la Première
Guerre mondiale.
François
Cela me fait penser parfois à Pierrot
le fou.
Françoise
Voyage au bout de la nuit, c'est l'anti-romantisme !
Anne
Le romantisme, ce sont les ruines, Hubert
Robert
Françoise
A la différence près que les ruines des peintres romantiques
sont une évocation d'une gloire révolue. Dans Céline,
les ruines, ce sont les décombres, les gravats.
Qui a écrit une bonne biographie de Céline ?
François et Julius
La meilleure biographie de Céline, c'est celle d'Henri
Godard.
Alix (avis transmis après la séance)
J'avais déjà commencé ce livre sans réussir
à le continuer, je suis contente de l'avoir lu grâce au groupe
car j'ai bien aimé.
D'abord j'ai ressenti un peu de pitié, voire de mépris pour
le personnage de Bardamu. Je trouve qu'il passe quand même son temps
à se plaindre, puis peu à peu mon mépris s'est transformé
en admiration car en fait il est très malin ! Par exemple,
la façon dont il se tire d'affaire sur le bateau qui l'emmène
en Afrique alors que tout le monde lui est hostile : cela montre
qu'il intègre très vite les codes de la société
dans laquelle il vit.
Après cela, m'a étonnée le fait que l'auteur (et
le personnage) transforme la Grande Guerre en une quasi guerre des sexes.
Pour lui, il y a les morts en sursis tous ceux qui risquent
d'être renvoyés au front et les autres, dont
les femmes, évidemment. On le sent incroyablement rancunier contre
les femmes qui ne partent pas au front.
J'ai été choquée par la violence qui se dégage
de la scène de la famille de nègres qui vient vendre du
caoutchouc, même si la description des colonies m'a passionnée
par son côté cynique ! C'est un lieu où tout
le monde est malade, en permanence, où les colons ne se supportent
plus à force d'être ainsi en vase clos, où la chaleur
accable, rend malade
Je cite : "ils
passaient ainsi pendant des semaines et des années les uns devant
les autres, les colons, jusqu'au moment où ils ne se regardaient
même plus tellement ils étaient fatigués de se détester.
Quelques officiers promenaient leur famille (
) les enfants, sortes
de pénibles gros asticots européens, se dissolvaient de
leur côté par la chaleur, en diarrhée permanente".
Certains passages ont quelque chose de baudelairien car le narrateur se
complaît dans des détails très crus, très "glauques".
Il l'écrit lui-même : "après
tout, pourquoi n'y aurait-il pas autant d'art possible dans la laideur
que dans la beauté ? C'est un genre à cultiver, voilà
tout."
DES RÉACTIONS
dans la presse
sur Le Voyage (et notamment au moment de sa sortie qui fit... le
buzz en 1932), les livres et la vie de Céline
Les réactions en
1932 du Voyage au bout de la nuit, racontées par Le
Figaro ("Voyage
au bout de la nuit déchaîne
les passions") et par Libération ("Retours
de voyage")
Le
parcours de Céline est raconté à sa mort par Jacqueline
Piatier, "Louis-Ferdinand
CÉLINE dont la mort avait été tenue secrète
depuis samedi a été inhumé au cimetière de
Meudon" (Le Monde, 5 juillet 1961). Voir aussi un
article sans concession relatant sa vie "Vie
et mort de Louis-Ferdinand Destouches", par Paul Morelle (Le
Monde, 15 février 1969)
LE CLEZIO dit de
Céline : "On ne peut pas ne pas lire Céline.
Un jour ou l'autre on y vient, parce que c'est ainsi, parce qu'il est
là, et qu'on ne peut pas l'ignorer. La littérature française
contemporaine passe par lui, comme elle passe par Rimbaud, par Kafka et
par Joyce. Céline appartient à cette culture continuellement
naissante qui est en quelque sorte le rêve de la pensée moderne.
On vient à lui et pourtant il ne fait rien pour cela" (voir
la suite de son texte "Comment
peut-on écrire autrement ?", Le Monde, 15 février
1969)
Quand elle évoque
avec Céline "sa manière qui a fait scandale à
l'apparition du Voyage", voici ce que Céline répond
à Claude Sarraute qui lui dit que son style a bousculé
beaucoup d'habitudes : "Ça s'appelle inventer. Prenez les
impressionnistes. Ils ont sorti leur peinture au grand jour, ils sont
allés peindre à l'extérieur, ils ont vu comment on
déjeune vraiment sur l'herbe. Les musiciens ont travaillé
de leur côté. De Bach à Debussy il y a une grosse
différence. Ils ont fait des révolutions. Ils ont fait bouger
les couleurs, les sons. Moi c'est les mots, la place des mots. En ce qui
concerne la littérature française, alors là je vais
faire le savant, il ne faut pas m'en vouloir : nous sommes les pupilles
des religions catholique, protestante, juive... enfin des religions chrétiennes.
Ceux qui ont dirigé au cours des siècles l'instruction des
Français ce sont les jésuites. Ils nous ont appris à
faire des phrases traduites du latin, bien balancées, avec un verbe,
un sujet, un complément, un rythme. Bref du prêchi, du prêcha,
du sermon. On dit d'un auteur : "Il file bien la phraaas"...
Moi je dis : "c'est pas lisible." On dit : "Quel
magnifique langage de théâtre !" Je regarde, j'écoute
: c'est plat, c'est rien, c'est zéro. Moi, j'ai fait passer le
langage parlé à travers l'écrit. D'un seul coup."
(voir l'interview
de 1960 par Claude Sarraute en entier ; voir aussi "De
la parole à l'écriture", Le Monde, 15 février
1969, où Jean Guenot raconte ses rencontres avec Céline)
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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