Quatrième de couverture :
« "Il faut savoir tuer qui on aime, dit la vieille
femme, c'est plus humain que laisser souffrir." Par moments le
livre retrouve, naturellement, la réflexion antique de la quête
du sens, ou du grotesque shakespearien. C'est aussi qu'Emerence a je ne
sais quoi des figures de la tragédie antique, capable d'engueuler
les dieux et de ramasser dans la poussière les viscères
des morts. Ou de parler le langage des oiseaux et des chiens. Qu'est-ce
donc qu'un personnage, sinon un masque que l'art emprunte pour parler
de ce que nous n'apprendrons jamais. à savoir du bonheur de vivre
et de la sagesse de mourir ? Bref, un livre original, superbe, émouvant.
Excellemment traduit. » Claude Michel Cluny, Le Figaro.
Magda Szabó est née à Debrecen en
1917. Considérée comme un classique vivant de la littérature
hongroise, traduite dans de nombreux pays, elle était peu connue
en France avant que ne paraisse La Porte, qui obtient le Prix Femina
étranger en 2003. Les Éditions Viviane Hamy poursuivent
avec La Ballade d'Iza, la publication de l'uvre de la grande
dame des lettres hongroises.
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Magda Szabó (1917-2007)
La porte (1987)
Nous avons lu ce livre en
novembre 2005. Le nouveau groupe parisien, dont les avis suivent,
l'a lu à son tour le 30 juin 2017.
Valérie
C'est un auteur que je connaissais
et dont j'ai lu tout ce qui a été traduit (notamment
La Ballade d'Iza, sur le rapport entre une mère et sa fille).
Une amie de 80 ans m'avait conseillé La
Porte (pour lequel elle a reçu le prix Femina en 2004).
Quand j'avais lu le livre j'avais beaucoup aimé, mais la trame
de l'histoire est maintenant assez floue. C'est un livre qui m'a beaucoup
touchée, je vais vous lire des extraits dont je ne suis pas sûre
de les avoir compris mais qui sont très bien écrits : "Si
Émerence croyait à quelque chose, c'était au temps,
dans sa mythologie personnelle, le Temps était le meunier d'un
moulin éternel, dont la trémie déversait les événements
de la vie dans le sac que chacun apportait à son tour. Personne
n'y échappait selon la foi d'Émerence, elle était
persuadée, sans toutefois le comprendre, qu'il moulait aussi le
blé des morts et remplissait leur sac, seulement c'était
quelqu'un d'autre qui emportait la farine sur son dos pour en faire du
pain." Cette analogie du meunier et de la farine avec
la vie et la mort m'a beaucoup interpellée, mais je m'interroge
sur la fidélité de la traduction par rapport au hongrois.
J'ai beaucoup aimé l'histoire en elle-même et me suis beaucoup
attachée aux deux personnages, mais ai été surtout
intéressée par ce qu'elle dit de l'affection : "Aujourd'hui,
je sais ce que j'ignorais alors, l'affection ne peut s'exprimer de manière
apprise, canalisée, articulée, et je n'ai pas le droit d'en
déterminer la forme à la place de quelqu'un d'autre."
ou "Je n'avais pas
analysé à fond à quel point l'affection est un sentiment
illogique". C'est très difficile en littérature
de parler de sentiments et c'est ce qui m'a touchée, plutôt
que la relation entre ces deux personnages qui s'apparentent pour moi
à une mère et sa fille (résonnant en cela avec La
Ballade d'Iza).
La question du statut social est très vite dépassée,
la relation entre maître et domestique n'est vraiment pas au centre
du livre. Émerence aurait dû être une intellectuelle
(d'ailleurs quand la narratrice la voit pour la première fois sans
foulard elle parle de son "grand front d'intellectuel"). Toutes
deux appartiennent au même clan. Émerence exerce une emprise
concédée sur les sentiments de cette femme.
François
Ce livre tourne autour des notions de la place, du rôle et de la
fonction. Émerence nomme la narratrice (et l'humanise) à
la fin du livre en l'appelant par un sobriquet, elle "accouche"
de sa maîtresse et lui fait devenir qui elle est. Elle lui parle
d'un ton inouï parce qu'elle n'est pas la servante, elle est souveraine.
Elle lui transmet cette souveraineté et la possibilité d'être.
Valérie
La porte qu'on ne peut franchir représente clairement l'inconscient
des gens et est un symbole de la psychanalyse.
François
C'est un personnage crypté. La question réelle est d'entrer
dans une relation réelle avec quelqu'un.
Valérie
L'histoire d'Émerence est aussi très liée à
celle de la Hongrie, puisque cette femme a été brimée
sur le plan intellectuel.
François
Elle a tout refusé, le nazisme, le communisme, jusqu'à l'histoire
de l'Empire.
Françoise H
Je l'ai lu une fois et demi. Quand je l'ai relu la semaine dernière,
j'ai eu d'abord beaucoup de mal, j'ai eu l'impression que c'était
mal traduit. Ce personnage de la servante m'a fait penser à un
personnage de Zola, ou encore aux servantes de mon enfance (à la
campagne), des femmes habillées en violet ou en noir que j'avais
du mal à relier à ma parenté, inexplicablement irritables,
infatigables, farouches et mutiques.
Mais surtout, c'est une allégorie de Dieu. A la page 9, Magda Szabo
place son uvre sous le regard de Dieu et des hommes ("Je
n'ai pas écrit ce livre pour Dieu, il connaît mes entrailles,
ni pour les ombres, elles sont témoins de tout, me surveillent
à chaque instant, éveillée ou endormie, mais pour
les hommes"). Or, Émerence ne dort jamais, elle
a un visage complètement lisse, elle est omniprésente, parfaite
dans son travail, invisible. Elle entre dans l'intimité de sa maîtresse
sans aucune réciprocité, leur relation est non contractuelle.
Dans son rôle de concierge, elle s'apparente à une vigie.
C'est un dieu protestant, intraitable, qui vous met au défi de
vos actes.
Je n'ai pas relu vraiment le livre, seulement 50 pages, mais ça
m'a donné envie de le relire.
Je n'avais jamais lu de livre dont le personnage central était
Dieu (des figures christiques, oui) et je fais appel à votre sagacité
pour des références.
Ana-Cristina
Au début je m'ennuyais, je cherchais une porte d'entrée
(c'est le cas de le dire).
Puis je me suis dit ce personnage représente tous les personnages.
Derrière cette porte se trouve son histoire, et ce n'est pas pour
rien si en face se trouve l'écrivain. Elle ouvre la porte seulement
quand elle le veut. C'est le personnage qui intervient dans la vie de
la romancière, et non l'inverse, et c'est son inspiration qu'on
a sous les yeux. Cela rejoint l'idée du Christ. Cette femme est
presque irréelle. (Je vais maintenant revenir à mes notes)
Je m'étais ennuyée pendant le premier tiers du livre, et
j'ai retenu mes larmes plusieurs en lisant les derniers chapitres, difficilement
en lisant les dernières pages. Émerence, "E-m-e-r-e-n-c-e"
comme l'écrit le cordonnier sur la vitrine de sa boutique quand
il se rend à son enterrement. Émerence est sortie de son
carcan de personnage comme une porte sort de ses gonds. Voilà le
tour de force de l'auteure : elle a fait de son personnage un être
qu'on peut pleurer. La fantaisie dramatique écrite par Magda Szabo,
telle la tragédie antique qui avait pour vocation de purger les
passions, aurait-elle pour vertu de purger les remords accumulés
et intériorisés de ses lecteurs ?
Arrivée à la fin, j'ai relu les premières pages,
comme la construction en boucle du livre m'y invitait. J'ai alors eu l'impression
de lire un autre livre. Magda Szabo avait réussi son pari :
la lecture de son roman avait été vécue comme une
expérience qui transforme (même imperceptiblement) son lecteur.
N'est-ce pas le rôle de tout bon livre ?
A ma première lecture je n'ai pas aimé le premier tiers
du roman, mais estimant qu'ici la fin justifie les moyens, j'ouvre aux
¾.
Nathalie B
J'ai adoré dès le départ, ça m'a rappelé
mes livres d'enfant. Cette personne est tellement énigmatique.
Si d'autres ont parlé de Dieu, pour moi c'est bien une personne,
énigmatique comme le sont toutes les rencontres, finalement. L'auteure
arrive à faire ressortir le mystère avec ce personnage très
charismatique, difficile à vivre, riche de plein de choses, avec
son petit côté "Ni Dieu ni maître", très
autoritaire, qui réprime toutes ses émotions
C'est une histoire d'amour entre ces deux femmes qui ont des points communs
certes, mais surtout en termes de préjugés respectifs. L'auteure
est parfois très agaçante, mais elle va peu à peu
apprendre à s'ouvrir. J'ai beaucoup aimé, à la fois
pour l'écriture qui recèle elle-même sa part de mystère
(à cause de la Hongrie en arrière-plan ?), et pour
ce que l'on apprend de l'auteur au travers de sa relation avec Émerence.
Et n'oublions pas Viola qui est un vrai personnage à lui tout seul !
Émilie
Je l'ai lu il y a un an, la première fois que Valérie en
avait parlé. Il y a beaucoup de choses que j'ai aimées :
- Le fait qu'il y ait deux personnages de femme crédibles, avec
des personnalités, des émotions.
- On ne connaît chacun des deux personnages qu'en relation avec
l'autre.
- Le rapport est inversé entre les deux : la maîtresse
se sent déstabilisée, elle cherche sa place et sa légitimité.
Elle avoue son manque de confiance en elle. Je rejoins Valérie
sur l'analogie avec le rapport mère-fille, dans la mesure où
le rapport de force va s'inverser avec le temps : le personnage idéalisé
va devenir dépendant, elle sera responsable d'elle.
- La finesse de leurs rapports et la richesse avec laquelle elle les décrit.
En tant que lectrice, j'apprécie l'écriture et la construction
du roman avec le renversement qui s'opère au milieu.
Valérie
Tant qu'elle n'a pas compris, elle se met le voile sur la tête pour
signifier qu'elle ne veut pas parler.
Nathalie B
Il y a aussi l'épisode des cadeaux qui soulève la question
du don, et que j'ai trouvé finement analysée. Une fois qu'ils
acceptent de mettre le cadeau à sa juste place, elle le détruit.
Anne
Cela me fait du bien ce qu'Émilie et Nathalie ont dit car ce sont
de beaux aspects du livre, des aspects mystérieux et poétiques
que j'ai pu ressentir ainsi parfois, mais j'aurai un discours plus négatif
vis-à-vis de la relation entre Émerence et Magda qui m'a
laissée très ambivalente.
Ce roman pourrait prendre l'allure d'un conte où une petite fille
se sauve de la chaumière telle un Petit Poucet pour échapper
à une marâtre en emmenant avec elle ses frères et
surs. Si ce n'est qu'il s'agit en fait d'une tragique situation
où les fantasmes infantiles de meurtre de la mère et des
frères et surs rivaux se réalisent : les enfants
sont foudroyés et transformés en un amas de cendres et la
mère se jette dans le puits et disparaît. La petite Émerence
en reste sidérée et au cours de sa vie les objets d'importance
ne bougeront plus, j'ai pensé au roman Les
grandes espérances de Dickens. Elle restera seule et stérile
avec l'obsession de construire un tombeau. Sa révolte la rend libre
mais l'enferme, elle est une Antigone qui veut une sépulture pour
son frère et finit emmurée. J'ai aussi pensé aux
Mémoires
d'Hadrien de Marguerite Yourcenar. Les deuils impossibles et les
souvenirs seront désormais fétichisés et la dévotion,
seule réparation possible de sa faute, prend des allures d'exigences
dominatrices. Elle se rend indispensable, se maintient dans des positions
de toute puissance, elle a avec les autres des relations complexes, parfois
infernales, où elle inverse les situations comme lorsqu'elle rend
Magda dépendante d'elle alors que c'est en fait elle qui l'est
de Magda. Je me suis donc en général sentie happée
dans une histoire psychologique remarquablement bien traitée, mais
je me suis sentie captée et je m'en suis échappée
parfois par l'ennui.
Après le deuil d'Émerence de son père, son beau-père
l'empêche d'aller à l'école sous prétexte que
son admirable mère est une "fée" qui passe son
temps à lire et il lui faut travailler à l'atelier qui manque
de "mains d'hommes", on lui assigne donc une place puissante
et virile. Mais Émerence est aussi une Cendrillon en manque de
chausson de verre, de chaussons à sa taille et d'ailleurs tout
part en cendres à la fin, comme son frère et sa sur
A cette mère elle ne peut pas dire avec colère "propre
à rien ! Tu ne fous rien avec tes livres !", elle
ne peut pas lui dire sa rage d'être obligée de sacrifier
son intelligence et c'est ce qu'elle ne manque pas de transférer
indéfiniment sur Magda qu'elle envie, qu'elle hait et qu'elle adore,
et celle-ci se prend au jeu pour des raisons qui lui appartiennent et
en est constamment honteuse et coupable. L'emprise fait son effet mais
elles finissent par s'aimer, d'un amour qui m'a laissé très
ambivalente. Culpabiliser, faire honte et posséder l'autre pour
se sentir puissant, pour se venger tout en ayant l'air de dire des vérités,
est-ce si touchant que cela ? L'agacement ainsi m'a rattrapée,
Émerence ne cesse d'ériger comme un trophée triomphant,
avec un visage "sans larme et sans rire", ses secrets extra-ordinaires.
Elle accuse Magda d'être ordinaire dans les minables réalités
de la vie et je dois dire que je n'ai aucune sympathie pour Émerence
même si elle impressionne avec sa figure de mère dévouée
soignante, de chef de tribu ou de Walkyrie mythologique pure et magique,
avec ses vérités qui tuent (sous la forme d'interprétations
psychanalytiques sauvages). Elle dit vrai, elle est vraie, elle est intègre,
elle a des intuitions profondes, elle aime la loyauté
qui
à la figure d'une toile d'araignée et dans laquelle elle
attrape Magda. Magda en est très touchée (dans tous les
sens du terme) résiste. Les victimes aiment parfois leur persécuteur,
mais, paradoxalement une fois de plus, cette résistance est pleine
de qualités thérapeutiques.
Dans cette relation archaïque mère/fille, elles peuvent parfois
se sentir aimées, écoutées. Pour Magda en effet,
son enfance s'est passée d'une façon lisse, elle n'a jamais
été grondée et ses parents l'abandonnaient cruellement
au silence.
Ces deux femmes représentent aussi la métaphore de l'affrontement
de civilisations aux valeurs et traditions différentes et de luttes
des classes. J'ai trouvé ce livre très intéressant
pour tous ces points de vue, mais la relation duelle et exclusive entre
ces deux femmes m'a semblé n'en pas finir, évacuant les
hommes (mari transparent, lieutenant général vaguement protecteur,
les amoureux du passé se sont tirés, Viola est un chien
soumis qui porte un nom féminin). Je n'ai pas parlé de Viola
dont la présence est essentielle et émouvante. La littérature
est parfois très belle. Si ce livre avait été plus
court et ramassé, j'aurais pu l'ouvrir aux trois quarts, mais trop
long, je l'ouvre à moitié
Nathalie B
Ce livre est comme toutes les relations, il faut le temps de le connaître
et de le comprendre ; et je l'aime comme ça. Cette femme est
effectivement sa propre prisonnière, mais socialement elle est
libre. C'est le paradoxe entre vie privée et vie publique.
Julius
Difficile pour moi de dire si j'aime ce livre. En tout cas j'ai été
gêné car j'ai eu l'impression nette d'une manipulation par
l'auteure (peut-on parler d'une perverse narcissique ?).
Elle nous fait découvrir un personnage initialement désagréable,
puis elle va peu à peu l'éclairer d'éléments
positifs.
Par rapport à la discussion autour de Dieu, je vois dans cette
relation en miroir l'opposition entre les deux faces d'un même personnage :
le naturel, sans surmoi, qui exprime ses affects et instincts ; et
l'autre, le personnage socialisé.
Il y a des scènes très bien décrites qui happent
mais la construction est telle, on sent qu'il faut que la narration avance
et donc c'est un peu une fuite en avant, avec deux personnages qui en
font toujours plus. On va vite vers des virages de bord de plus en plus
violents. A la fin de l'histoire, j'avais l'impression d'être "hors
sol", je n'y croyais plus, la trame du récit n'était
plus plausible.
J'ai fini sur une mauvaise impression, un peu comme j'avais commencé.
Mais les personnages et leurs relations sont intéressants. Je vois
surtout des binômes (le mari et Viola, Chouchou et Adélka
)
qui croisent le couple central.
J'ai vraiment ressenti un manque d'honnêteté intellectuelle
de la part de l'auteure. J'ai trouvé l'écriture aride, avec
une utilisation anarchique des temps (j'ai finalement compris que l'usage
du présent correspondait au style direct). En revanche j'ai beaucoup
aimé le passage du voyage dans la famille d'Émerence (qui
au passage signifie "celle qui mérite").
Au final je retiens de ce livre une idée intéressante mais
qui n'a pas été maîtrisée.
Nathalie B
Pourquoi dis-tu que ça n'a pas été maîtrisé
? Il y a une part de fantastique, certes
Julius
Oui mais là je ne m'attendais pas à lire du fantastique.
Il y a tromperie sur la marchandise dans la mesure où les personnages
ont au début une certaine épaisseur, puis à la fin
ça n'est plus plausible.
François
Le roman est intéressant tant qu'il y a cette tension psychique
entre les deux personnages. Mais effectivement, la fin du roman traîne
un peu. Je me demande d'ailleurs quel est le point de vue de l'auteur
sur ses personnages.
Claire
C'est autobiographique...
François
On revient au train-train quotidien à la fin, après une
parenthèse qui a duré 20 ans. C'est vraiment un roman avec
beaucoup d'épaisseur.
Ana-Cristina
C'est vrai que tout s'effondre à la fin, mais la continuité
du roman en boucle fait que la relation ne cesse de vivre. Il y a une
immortalité dans les rêves que fait Magda.
Nathalie B
Mais personne ne meure jamais, puisque l'on continue toujours à
vivre dans les autres
François
C'est en quelque sorte l'inconscient qui est immortel, puisque même
après sa mort, il reste la porte.
Alix
Je n'ai pas vraiment accroché au début et j'ai vécu
ça comme une crise existentielle dans mon rapport à la fiction !
J'avais lu beaucoup de critiques saluant le personnage d'Émerence
pour lequel je n'éprouvais aucun intérêt.
Celui-ci s'est réveillé à la scène où
Émerence emprunte la maison pour recevoir. Et je me suis dit ouf,
je pourrai continuer à lire des romans !
La question de l'inversion du rapport entre maître et domestique
est intéressante. Émerence fait preuve d'un cynisme surprenant
(notamment sur la question du suicide). Mais à la fin, j'ai trouvé
qu'on voyait les ficelles. On voit transparaître le message de l'auteure :
ce personnage a aussi ses faiblesses
Je ferais le parallèle avec un autre livre où tout s'effondre
à la fin : Le
guépard. Sauf que là, c'est mal fait.
J'ai eu finalement un sommet de satisfaction entre deux moments de scepticisme,
du fait du côté improbable du personnage.
François
Émerence est toujours à sa place, alors que Magda ne sait
pas où est la sienne et veut en faire toujours plus (trop). Cette
scène du suicide où elle l'accuse d'avoir voulu l'aider
(côté Boudu
sauvé des eaux), c'est vrai que c'est un peu trop.
Françoise H
Oui mais elle viole son intimité quand même !
Nathalie B
On fait ce qu'on veut !
Ana-Cristina
Cette relation dépasse tous les modèles existants. Elle
est unique et on ne peut rien en déduire pour les autres.
Nathalie F
Je me suis mise à la prise de notes aujourd'hui car je n'ai pas
eu le temps de finir le livre, je l'ai lu dans un état de stress
intense, et je dois dire que cet huis-clos immobile et tout à fait
étrange a agi sur moi comme un baume apaisant ! D'autant que
je l'ai lu sur Kindle, sans m'être absolument renseignée
à son sujet (j'en reviens à la question du choix des livres,
j'aime lire sans rien savoir avant), je ne savais pas du tout où
j'étais ni quel objet bizarre était entre mes mains.
François
Inquiétante étrangeté...
C'est un livre ou en tout cas un personnage inoubliable. Et c'est plus
spécialement l'infinie distance qu'Émerence est capable
de mettre entre elle et les autres qui retient l'attention et ne manque
pas d'interpeller le lecteur, voire de susciter un certain malaise. Émerence
n'est pas un personnage facile. La totale inversion qu'elle opère
dans les rapports entre maître et domestique est incroyable. Car
ce n'est pas seulement le lien de subordination qu'elle remet en cause,
mais la place qui est habituellement attribuée à chacun.
Émerence n'est pas qu'une serva padrona, c'est toute la
vie de sa patronne qu'elle finit par remettre en question. Elle s'exprime
comme un chef d'état qui dicte ses conditions et pourtant son langage
reste toujours crédible même quand elle va très loin
dans la subversion. En dépit (ou peut-être à cause)
de son état, elle reste toujours souveraine... je repense à
l'instant au Servant de Losey. Mais d'une manière plus générale,
elle incarne le refus de tous les systèmes. Sa révolte est
totale. Aux pires régimes qui se sont succédé dans
son pays, elle a toujours répondu par une indifférence de
marbre. "Son mépris avait quelque chose de monstrueux"
dit sa patronne qui est aussi la narratrice à qui elle oppose non
seulement la loi du cur et du travail mais aussi celle de l'esprit
"qui toujours nie". L'auteur la compare même à
Méphisto.
Dans la vie de sa maîtresse, Émerence agit comme un catalyseur
(faut-il aller jusqu'a dire comme un analyste... ?) C'est non seulement
la vie d'Émerence qui remonte à la surface du récit
et vient s'ajuster comme dans un puzzle, mais la vérité
de sa maîtresse pleine de bonne volonté mais prisonnière
de ses certitudes. Elle semble souvent aussi enfermée dans sa tour
d'ivoire qu'Émerence dans son capharnaüm.
Pour terminer sur une autre note, ce roman m'a fait penser à la
Félicité du conte de Flaubert parce que sous la dureté
d'Émerence se cache sans doute un " cur simple "
et toute la détresse du monde.
Claire
Je n'ai pas relu le livre que j'avais lu avec l'ancien groupe en 2005,
mais rien qu'en lisant 90 pages, je suis retombée sous le charme
de ce livre que j'avais beaucoup aimé. Je trouve intéressant
le tableau en arrière-plan du régime. J'ai relu les avis
de l'époque : nous étions 16, et 9 ont ouvert aux ¾
ou en entier. J'ai retenu des avis positifs sur les personnages, sur la
construction de l'uvre, les relations finement décrites,
une traduction louée, et par ailleurs une discussion entre nous
sur le thème de la culpabilité (un fil important selon certains,
absent pour d'autres). Pour les réserves, l'antipathie que suscitent
les personnages y contribue ; plusieurs ont fait état d'une
difficulté au début et d'une fin faible. L'une témoigne
d'une lecture douloureuse de ce livre qui "s'ouvre
et se clôt par un rêve, comment ne pas y voir une structure
psychanalytique : la narratrice s'allonge et raconte."
Comme personne ici n'a rejeté le livre, j'ai plaisir, pour contrebalancer...,
à vous lire l'avis de Katell qui y va carrément, dans
le plaisir de le descendre sans pincettes... : "J'ai
laissé tomber à mi-chemin. J'étais pourtant curieuse
de découvrir cette auteure. Même si l'on s'attache un peu
au personnage d'Emerence, comment ne pas être agacée par
ces rapports poussifs et sans intérêt. Des dizaines de pages
autour d'un chien ! J'avais déjà subi Fox, le chien
du narrateur de Houellebecq, mais là, ça dépasse
tout. On ne voit rien de la Hongrie. Est-ce que ça se passe à
Budapest ? A quelle époque exactement ? Les personnages
secondaires sont inconsistants. La narratrice tape de temps en temps sur
une machine, promène son chien qui se dirige tout seul, est mariée
à un homme qui ressemble à un ectoplasme. Il aurait mieux
valu faire une biographie de la vie d'Émérence. Un livre
nombriliste et rébarbatif."
Pour ma part, j'avais ouvert aux ¾. L'écriture m'avait captée,
avec ce genre de phrases denses : "Je
la laissai là, allai dans ma chambre et mis un disque pour ne pas
entendre ce que je ne voyais pas." Le ¼ manquant
doit venir d'une légère invraisemblance parfois (trop c'est
trop) pour aller dans le sens de Julius.
Ah oui, l'une d'entre nous estimait que c'est un livre intéressant
car l'identification est impossible.
Nathalie B
Nabokov disait qu'un bon lecteur ne s'identifie pas.
Claire
Ah ?... La narratrice choisit de se dépeindre d'une manière
toujours négative, et quand on le lit, à aucun moment on
imagine que c'est autobiographique, c'est sidérant de l'apprendre.
En reprenant ce livre, j'ai pensé à d'autres livres que
j'ai lus depuis :
- Sur une héroïne femme de ménage, le livre passionnant
de de Florence Aubenas (femme de ménage) : Le
quai de Ouistreham.
- Sur le rôle envahissant (meurtrier même...) d'une employée
de maison : Une
chanson douce de Leïla Slimani.
- Sur la manipulation, y compris du lecteur : D'après
une histoire vraie de Delphine de Vigan.
Anne
Elle arrive à se détacher d'Émerence en écrivant
Miscellanées.
Nathalie B
Vous avez déjà eu une femme de ménage ? Une
secrétaire ?
Parce que moi aussi j'ai eu l'impression qu'elle faisait absolument ce
qu'elle voulait chez moi, c'est une relation où l'on n'est absolument
pas le maître ! J'ai trouvé ça très vraisemblable.
Et quand le personnage fort devient malade, on est renvoyés à
nos propres peurs.
François
La seule chose en laquelle elle a confiance reste son travail. Et à
la fin elle va perdre son intérêt pour lui, son seul repère,
sa ligne directrice.
Françoise H
Ça me rappelle une histoire que ma sur m'avait raconté,
qu'elle avait embauché une femme de ménage qui bougeait
les meubles !
Julius
Si je puis me permettre, c'est pire avec une secrétaire qu'avec
une femme de ménage, parce qu'elle au moins, on la choisit !
Nathalie B
Pour moi, ce style très mystérieux est un des éléments
qui me l'a fait beaucoup apprécier.
Anne
Le mari est un élément de stabilisation dans une relation
très dépersonnalisante pour Magda, qui n'a pas confiance
en elle.
Nathalie B
Magda est un personnage en perpétuelle évolution alors qu'Émerence
est fixe
Valérie
N'oublions pas que le mari est gravement malade, d'où son effacement
Nathalie B
Est-ce que vous y avez vu un rapport (ndlr : la maladie du mari)
avec les camps de concentration ? Il y a cette phrase sibylline sur
les biens spoliés des Grossman
Claire
À propos de l'auteure, le régime était tel qu'elle
prétendait ne plus écrire. En fait, elle avait rejoint
une communauté d'écrivains où elle avait décidé
de ne pas faire d'enfants qui grandiraient sous le régime communiste.
C'est Hermann Hesse qui l'a fait connaître.
Suggestions d'auteurs hongrois par Valérie :
- Imre
Kertész
- Sándor
Márai
- Sándor
Petofi
- Lajos
Zilahy, avec la trilogie Les
Dukay
Claire ajoute un livre proposé par Denis dans l'ancien groupe :
- Épépé
de Ferenc Karinthy.
Les avis de l'ancien groupe en 2005 : ICI
Un article éclairant : "Magda
Szabó, toujours insoumise", Raphaëlle Rerolle, Le
Monde, 24 octobre 2003
Et aussi : "Traduire,
dit-elle. Rouvrir Magda Szabo", Alice Zéniter, Le Monde,
26 janvier 2017
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cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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