Photo extraite de Wikipedia

Au Brésil en 1940 - Photo extraite du site Arts in exile

Traduction Serge Niémetz, 1982, Belfond

Quatrième de couverture
 : « Rédigé en 1941, alors que, émigré au Brésil, Stefan Zweig avait déjà décidé de mettre fin à ses jours, Le Monde d'hier est l'un des plus grands livres-témoignages de notre époque. Zweig y retrace l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, le destin d'une génération entière d'hommes confrontés plus brutalement que d'autres à l'Histoire et à toutes les "catastrophes imaginables". Chroniqueur de l'Âge d'or européen, Zweig évoque avec bonheur sa vie de bourgeois privilégié dans la Vienne d'avant 1914 et quelques grandes figures qui furent ses amis : Schnitzler, Rilke, Romain Rolland, Freud ou Valéry. Mais il donne aussi à voir la montée du nationalisme, le formidable bouleversement des idées qui suit la Première Guerre Mondiale, puis l'arrivée au pouvoir d'Hitler, l'horreur de l'antisémitisme d'État et, pour finir, le "suicide de l'Europe". "J'ai été témoin de la plus effroyable défaite de la raison", écrit-il. Analyste de l'échec d'une civilisation, Zweig s'accuse et accuse ses contemporains. Mais, avec le recul du temps, la lucidité de son testament intellectuel frappe le lecteur d'aujourd'hui, de même que l'actualité de sa dénonciation des nationalismes et de son plaidoyer pour l'Europe, que la nouvelle traduction de Serge Niémetz restitue dans toute sa vigueur. »

Traduction Serge Niémetz en Livre de poche, avec 4 éditions et couvertures différentes :
Quatrième de couverture : « Le monde d’hier, c’est la Vienne et l’Europe d’avant 1914, où Stefan Zweig a grandi et connu ses premiers succès d’écrivain, passionnément lu, écrit et voyagé, lié amitié avec Freud et Verhaeren, Rilke et Valéry… Un monde de stabilité où, malgré les tensions nationalistes, la liberté de l’esprit conservait toutes ses prérogatives.
Livre nostalgique ? Assurément. Car l’écrivain exilé qui rédige ces "souvenirs d’un Européen" a vu aussi, et nous raconte, le formidable gâchis de 1914, l’écroulement des trônes, le bouleversement des idées, puis l’écrasement d’une civilisation sous l’irrésistible poussée de l’hitlérisme...
Parsemé d’anecdotes, plein de charme et de couleurs, de drames aussi, ce tableau d’un demi-siècle de l’histoire de l’Europe résume le sens d’une vie, d’un engagement d’écrivain, d’un idéal. C’est aussi un des livres-témoignages les plus bouleversants et les plus essentiels pour nous aider à comprendre le siècle passé... »

Traduction Dominique Tassel, 2013, Pléiade et Folio


Quatrième de couverture
 : « Rédigé en 1941 au Brésil où le triomphe du nazisme en Autriche a contraint Zweig à émigrer, Le Monde d'hier raconte une perte celle d'un monde de sécurité et de stabilité apparentes, où chaque chose avait sa place dans un ordre culturel, politique et social qui nourrissait l'illusion de l'éternité. Un monde austro-hongrois et une ville sans égale, Vienne, qu'engloutira le cataclysme de 1914. Dans ce qui est l'un des plus grands livres-témoignages sur l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, Zweig retrace dans un va-et-vient constant la vie de la bourgeoisie juive éclairée, moderne, intégrée, et le destin de l'Europe jusqu'à son suicide, sous les coups du nationalisme, de l'antisémitisme, de la catastrophe de la Première Guerre mondiale et de l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, sans oublier le rattachement de Vienne au Reich national-socialiste. Ce tableau d'un demi-siècle de l'histoire de l'Europe résume le sens d'une vie, d'un engagement d'écrivain, d'un idéal d'une République de l'intelligence par-dessus les frontières. Chemin faisant, le lecteur croise les amis de l'auteur : Schnitzler, Rilke, Rolland, Freud, Verhaeren ou Valéry. »

Traduction Jean-Paul Zimmermann, 2013, Les Belles Lettres

Quatrième de couverture
 : « Rédigé en 1941, alors que, émigré au Brésil, Stefan Zweig avait déjà décidé de mettre fin à ses jours, Le Monde d'hier est l'un des plus grands livres-témoignages de notre époque. Zweig y retrace l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, le destin d'une génération confrontée brutalement à l'Histoire et à toutes les "catastrophes imaginables". Chroniqueur de l'Âge d'or européen, Zweig évoque avec bonheur sa vie de bourgeois privilégié dans la Vienne d'avant 1914 et quelques grandes figures qui furent ses amis : Schnitzler, Rilke, Romain Rolland, Freud ou Valéry. Mais il donne aussi à voir la montée du nationalisme, le formidable bouleversement des idées qui suit la Première Guerre Mondiale, puis l'arrivée au pouvoir d'Hitler, l'horreur de l'antisémitisme d'État et, pour finir, le "suicide de l'Europe". "J'ai été témoin de la plus effroyable défaite de la raison" , écrit-il.
Analyste de l'échec d'une civilisation, Zweig s'accuse et accuse ses contemporains. Mais, avec le recul du temps, la lucidité de son testament intellectuel frappe le lecteur d'aujourd'hui, de même que l'actualité de sa dénonciation des nationalismes et de son plaidoyer pour l'Europe. »

Table des matières :
- Préface
- Le monde de la sécurité
- L'école au siècle passé
- Éros matutinus
- Universitas vitae
- Paris, la ville de l'éternelle jeunesse
- Détours sur le chemin qui me ramène à moi
- Par delà les frontières de l'Europe
- Les rayons et les ombres sur l'Europe
- Les premiers jours de la guerre de 1914
- La lutte pour la fraternité spirituelle
- Au cœur de l'Europe
- Retour en Autrich
e
- De nouveau par le monde
- Coucher de soleil
- Incipit Hitler
- L'agonie de la paix

La dernière maison
de Stefan Zweig
au Brésil à Petropolis :

photo extraite de ce blog

Des potins ?
Nous nous intéressons à la littérature et non à la vie privée des écrivains. Mais Zweig, dans le récit de son parcours personnel, parle si peu de sa vie sentimentale (4 ou 5 fois seulement est mentionnée d'un mot sa femme) qu'on a envie d'en savoir plus... Il était atteint d'une véritable "addiction" sexuelle ("si cette fièvre qui me harcèle pouvait s'apaiser" dit-il le 2 mai 1913 dans son Journal). Moins glorieux aurait été son exhibitionnisme, mentionné même par Thomas Mann. Zweig, redoutant d'être pris en flagrant délit par la police, aurait fait rédiger par Freud un certificat attestant qu'il était son patient et qu’il suivait un traitement pour ce genre de comportement (voir ICI) : stupéfiant, non ?


Stefan Zweig (1881-1942)
Le monde d'hier

Nous avons lu ce livre à Paris et en Bretagne en novembre 2016 et le nouveau groupe parisien en mars 2017.
Nous avions lu et aimé La confusion des sentiments en 1988.

Voir en bas de page des infos sur le livre et l'auteur. 

Frédéric (internaute inconnu)
J'ai vu que le livre à l'affiche de votre prochaine réunion était Le monde d'hier. Je me permets d'intervenir avec mon avis, car c'est tout simplement un de mes livres préférés (ainsi qu'un de mes auteurs). J'avais notamment été frappé par certains passages concernant la société viennoise de cette fin d'empire austro-hongrois, que j'avais trouvés tout à fait d'actualité pour notre propre époque. J'ai trouvé ce témoignage très riche, et je voulais, suite à l'invitation faite sur votre site, vous faire partager mon sentiment.
Henri (avis transmis)
Ce livre n’est pas un roman et pourtant il l’est comme l’est toute vie confrontée à l’Histoire (avec un grand H) dès lors qu’elle est racontée sans romance mais en laissant place à la subjectivité. Je l’ai lu plutôt rapidement, le style est fluide et élégant, précis et plaisant. Nombre de réflexions du narrateur ont fait profondément écho chez moi.
On en sort durablement imprégné, pris entre la nostalgie d’un temps révolu — se laissant couler sous le charme et la tranquille assurance de ce qui a été — et le désenchantement des mauvais plis sur lesquels se referme notre société. Le mensonge et l’intox médiatisés ont supplanté l’hypocrisie des familles. Le témoignage de Zweig marque le moment d’inversion/consolation entre liberté d’aller et venir et liberté des mœurs. A croire que la liberté fonctionne par vases communicants. Avant 1914 on voyageait partout dans le monde sans passeport ; aujourd’hui on ne fait pas trente mètres sans saisir un code, sans badger électroniquement, être pisté par GPS ou interpellé par un vigile du lumpenprolétariat.
Le livre est sombre et le désespoir de Zweig ne semble pas devoir être tempéré. Au vu de la situation géopolitique actuelle, je lui trouve une vertu : celle de nous infliger l’angoisse prémonitoire de la récurrence de la guerre. Tout peut sombrer, nous sommes tous des migrants en puissance. Sur ce, hardis lecteurs et lectrices, ne vous laissez pas conter, buvez un bon coup à ma santé, offrez-vous un shoot calorique et méditez cette phrase d’Orwell "un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des voleurs et des traîtres n’est pas victime : il est complice".
Ce témoignage produit presque les effets qu’un grand roman. Je l’ouvre au ¾.
Geneviève (avis transmis)
J'ai lu Le monde d'hier avec un intérêt grandissant tout au long du livre, avec de plus en plus l'impression de lire un policier dont je connaîtrais malheureusement la fin. Je me suis également défendue tout au long de m'identifier totalement, même si certains passages sont inquiétants d'actualité. Quelques exemples : le passage sur la nouvelle génération, son refus des traditions et sa remise en cause de la notion de genre, dirait-on maintenant ("on ne parvenait plus à distinguer (les filles)des vrais garçons"), le rôle des médias et le fait que les citoyens étrangers sont informés beaucoup plus vite que les personnes sur place ("n'importe quel lecteur de journaux était mieux informé que nous") et que "partout on se défendait contre l'étranger, partout on l'excluait". Je trouve passionnante la manière dont il retrace avec une grande précision ce que suscite en lui la reconnaissance mondiale puis la perte de tout son statut social, notamment dans ses voyages successifs en Angleterre. J'avais été plus mal à l'aise avec le début, où transparaissaient certains préjugés, néanmoins intéressants, notamment sur l'homosexualité mais aussi une vision essentialiste de la race, et notamment des Juifs. Cette vision de la judéité m'a beaucoup rappelé Irène Nemirovsky. J'étais aussi un peu dérangée par ce que je percevais comme une forme de fausse modestie alors même qu'il décrit une succession ininterrompue de réussites. En fait, j'ai trouvé que ça devenait de plus en plus passionnant au fur et à mesure que l'horizon politique s'assombrissait. Les passages sur l'humiliation des Juifs par les nazis, leur déshumanisation sont glaçants et terriblement instructifs parce que décrits par quelqu'un qui est touché dans sa vie même.
C'est bien sûr très bien écrit, même si là aussi j'ai trouvé le début parfois un peu verbeux, ce qui est paradoxal vu ce que Zweig décrit de sa technique d'écriture et surtout de relecture.
Bref, je suis vraiment ravie d'avoir lu ce livre, dont j'avais beaucoup entendu parler. Je l'ouvre en grand et je le conseillerai autour de moi, notamment pour comprendre mais aussi tenter de mettre en perspective les évolutions de notre monde d'aujourd'hui.
Monique L
Ce n'est ni une autobiographie classique, ni un roman, mais un document historique et sociologique. J'ai été agacée au début, il est privilégié, tous partagent son point de vue, comme s'il existait une fraternité universelle ; il n'aborde jamais l'aspect affectif, ne parle jamais des femmes. Ensuite, j'ai beaucoup aimé : il y a des portraits excellents, justes et fins. J'ai aimé sa fascination pour la manière dont les artistes cités passent à l'acte créatif. J'ai aimé les passages sur l'inflation. La montée du pouvoir d'Hitler racontée ainsi est pour moi une découverte. J'ai aimé sa vision de l'Europe, les pages concernant le passeport dont on n'avait pas besoin, et puis également son ressenti d'apatride. C'est instructif, plaisant, bien maîtrisé, j'ouvre en grand.
Danièle
J'aime beaucoup Stefan Zweig, ses biographies comprises, et je n'avais jamais lu ce livre. J'ai trouvé sa vision du monde agaçante : tout n'était-il pas mieux avant ? C'est un plaidoyer pour une Europe qui concerne surtout les acteurs culturels. J'ai éprouvé un malaise avec sa fausse modestie ou des éloges sur autrui qui comportent aussi des parties très dures. En arrière-plan, il y a la phrase de Valéry "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles", mais nous ne savons pas comment. Zweig n'a pas connu l'holocauste, ce fut donc encore pire que ce qu'il décrit ici. Un autre malaise : le livre fait penser à la société d'aujourd'hui ; actuellement il y a un conflit de valeurs dont on ne connaît pas l'issue. Il fait de l'histoire, mais il est très subjectif et il fait l'impasse sur beaucoup de choses. C'est bien un livre pour le groupe lecture. J'ouvre en grand.
Rozenn
J'ai beaucoup de mal à avoir un avis. Je suis très admirative. J'étais frustrée quand je suis arrivée à la fin. J'ai eu plusieurs moments d'agacement. Il me faudrait du temps pour approfondir ma connaissance de tous les personnages rencontrés, lire Romain Rolland. J'ouvre en grand.
Catherine
Je connaissais seulement les nouvelles. J'avais lu Les derniers jours de Stefan Zweig. C'est un livre très riche, foisonnant. J'ai été passionnée par ce livre. Et son côté très actuel : sommes-nous à la veille de la même chose ?... J'y ai trouvé un peu de complaisance vis-à-vis de lui-même. Je n'avais pas la même idée de l'Autriche qu'il donne, en particulier de Vienne, ce qui m'a donné envie d'y retourner... Pour moi, ce livre est de la littérature. J'ouvre en grand.
Brigitte
Oui, c'est de la littérature. Ce qu'il raconte, ce pourrait être ennuyeux : il choisit ce qu'il nous dit et comment il le dit. Par exemple quand il raconte qu'il se fait voler sa valise à Paris et qu'il montre le changement d'attitude des Français qui lui reprochent d'avoir pardonné au voleur, c'est du savoir-faire ! La construction du livre, c'est très bien fait. Comme Zweig, j'ai vu la tombe de Tolstoï, qui est restée la même : c'était en 1982, nous étions obligés de payer le voyage jusqu'à Iasnaia Poliana à deux personnes de l'Intourist pour qu'ils nous surveillent... Ce qu'il dit sur la traduction, la création artistique, c'est très intéressant, comment il sabre son écriture. J'ai été surprise de ce qu'il dit sur Joyce - je ne l'imaginais pas comme ça, réservé... J'ai pensé à ce qui se passe en Turquie actuellement, analogue à ce que décrit Zweig, qui sent les choses et les fait sentir. J'ouvre ¾.

Annick L
Pourquoi ¾, après ce que tu as dit ?

Brigitte
A cause d'autres, qui me transportent encore plus...
Annick L
Je suis heureuse d'avoir découvert ce livre. Je n'avais lu que des nouvelles. Je l'ai lu comme un polar. C'et un très grand auteur. C'est un observateur ouvert et curieux de tout ce qui l'entoure. Je pense aux pages sur l'été 14, un été merveilleux. Il a une plume extraordinaire. C'EST DE LA LITTÉRATURE. Et en même temps, il a un regard de journaliste. C'est passionnant à lire. J'ai été touchée par son témoignage. J'ai été émue pas ce regard rétrospectif sur le monde d'hier de celui qui a tout vécu, a tout perdu, cela m'a profondément touchée. J'ai été glacée par les pages sur la montée du nationalisme, du populisme, et à la capacité des hommes à oublier l'histoire et à se lancer dans les mêmes postures qui mènent au mal. A la fin, j'en avais les larmes aux yeux. C'est bien écrit, bien construit. C'est un témoignage extraordinairement intéressant. J'ai découvert des mécanismes que je n'avais pas compris. Ouvert en plus que grand…
Manuel
Je n'ai pas fini. J'ai lu dans l'édition Belles Lettres et des choses me sont restées obscures, avec des phrases mal fichues, j'interroge la traduction… Tout ce que dit Zweig me passionne. Il raconte la montée des extrêmes. Il me rappelle Musil (Les Désarrois de l'élève Törless), le film La Vague, avec la manipulation de groupes dressés l'un contre l'autre. Je suis étonné comme Catherine du portrait de Vienne que je ne reconnais pas, ni l'Autriche quand on se rappelle qu'en 2015 elle a été le premier pays à fermer ses frontières. Zweig note que ce sont les Juifs qui ont "élevé" la société autrichienne et présente une caricature des Autrichiens. J'aime toutes les petites anecdotes, c'est vivant. Il y a aussi de l'humour noir, par exemple avec l'épisode des acteurs qui meurent les uns après les autres et ne peuvent jouer sa pièce. Je pense à Donald Trump, l'exemple de l'inculture, et j'ouvre en grand.
Séverine
Je n'ai pas fini la lecture, j'en suis à la Première Guerre mondiale et je cale un peu. Mais Geneviève disait qu'il faut dépasser cette réaction. Ce que je préfère, c'est le détail. J'aime la description de Rilke. Je suis moi aussi étonnée de ce qu'il dit de Vienne. Et ce qu'il dit des femmes qui se dévoilent - quelle actualité !... Je vais continuer la lecture après vous avoir entendus. J'ai vu hier la pièce adaptée de ce livre où il y a des phrases retenues du livre que j'ai aimées (par exemple sur Rodin). Pour l'instant, j'ouvre à moitié…
Fanny
Globalement j'ai beaucoup aimé. J'avais moi aussi lu des nouvelles de Zweig. Le livre m'évoque La Fin de l'homme rouge que nous avions lu : on voit l'Histoire de l'intérieur des témoignages. Je suis contente de l'avoir lu, bien que la lecture ait été laborieuse : un plaisir de lecture, mais une difficulté de lecture après le travail prenant en ce moment. Arrivée à la fin, comme toi Rozenn, je me suis sentie frustrée. Le livre est aussi un bel hommage à Freud. J'ouvre aux ¾.
Claire
J'ai eu une lecture en deux temps, sans rien savoir du livre et en n'ayant lu que les nouvelles ou romans courts (dont La Confusion des sentiments avec le groupe il y a... 28 ans). J'ai trouvé ce livre extraordinaire, il m'a enthousiasmée ; on accompagne Zweig comme si on était une petite souris et qu'on regardait la grande Histoire en train de se faire ; comme tu le disais Manuel, c'est formidablement vivant, impossible de citer les nombreuses scènes que j'ai trouvées hyper romanesques, le fanatisme pour le théâtre montré par la cuisinière en pleurs qui n'est jamais allée au théâtre quand une actrice célèbre meurt, une belle fresque presque féministe des mœurs corsetés amenant la tante de Zweig à fuir, outrée, parce que son mari a essayé de la déshabiller… Et avec des artistes, la rencontre avec Verhaeren à qui il doit tenir la jambe pendant qu'il pose, la scène avec Rodin qui oublie sa présence dans son atelier…
J'ai trouvé très éclairante sa comparaison entre les deux guerres, avec dans la première l'élan et la confiance dans les dirigeants. Et l'anecdote dans le cinéma en France en 14 quand l'empereur Guillaume apparaît sur l'écran des actualités et que la salle se déchaîne ! Et la fin de la monarchie dans une gare ! Il frôle les puissants et les pires : Mussolini en faveur d'une de ses connaissances, Hitler qui décide que son opéra sera joué... J'ai adoré son côté cosmopolite, voire citoyen du monde : il voyageait sans passeport, comme le notait Henri, parlait plusieurs langues, connaissait l'intelligentsia européenne, et parlait déjà de "l'épidémie morale de notre siècle, la xénophobie."
J'ai aimé ce qu'il dit de la passion estudiantine pour la littérature, ce qu'il dit de son écriture et de son succès, de son amour des manuscrits. J'aime son art de narrer, ses formules (les hommes qui vivent "en amphibie entre deux nations"). J'ai aimé sa capacité d'admiration, son enthousiasme (que je sens parfois excessif).
Je me suis interrogée sur trois points : avec quel argent il voyage à ses débuts, pourquoi ses amours sont absentes de ce parcours et de quoi parle Jean-Pierre Lefebvre dans sa préface à ce livre en Pléiade à propos des "réceptions moins favorables, dénonçant les omissions, les ambiguïtés et les dissimulations plus ou moins conscientes de l'ouvrage sur lesquelles les lecteurs non avertis ou aveuglés risquent de passer naïvement". Et c'est le deuxième temps de ma lecture avec des livres sur Zweig dont je parlerai après, car il s'agit plus de l'homme que du livre. J'ouvre en grand ce grand livre ! Je l'ai lu comme un livre d'histoires, vraiment romanesque, qui captive.
Annick A
Je commence par dire que j'ouvre en grand. Je l'avais lu il y a 20 ans : j'en ai retiré cette dimension européenne, frappée par le fait que Zweig vivait en amitié avec tous les intellectuels européens. Ma deuxième lecture a été plus critique. Je récuse le fait que Zweig déclare qu'il n'y avait pas d'antisémitisme à Vienne dans son enfance : ainsi le père de Freud fut agressé dans la rue en tant que Juif, on lui jeta son chapeau par terre et son père le ramassa, cette scène d'humiliation l'a fortement marqué. La vie à Vienne, contrairement à ceux qui en ont parlé, c'est tout à fait l'image que j'en avais, d'une ville de culture. Zweig n'évoque jamais les rapports de classe, or il ne connaît pas le monde des ouvriers. C'est un livre d'une classe… Je suis admirative devant sa façon de voyager, sa curiosité des gens. J'ouvre en grand et C'EST DE LA LITTÉRATURE.

Jacqueline
Je n'ai pas fini de le lire, j'en suis au retour en Autriche après la Première Guerre. Le livre me paraît daté dans la manière de raconter. J'admire la construction. C'est SON point de vue. C'est attendrissant, la vision de quelqu'un qui pense à un passé révolu merveilleux. Quant à ce qu'il dit sur l'éducation qu'il a reçue à l'école, il la rejette…

Rozenn
Pas toi ?...

Jacqueline
Je suis très touchée par les gens extraordinaires qu'il a fréquentés, dont beaucoup sont oubliés aujourd'hui…

Plusieurs
Et si on lisait Romain Rolland ? Et Les Thibault ? Et Sans famille ?...

Annick L
Ça ne passe pas du tout à la relecture…
Jacqueline
Je vais finir ce livre, que pour l'instant j'ouvre à moitié…
Richard (qui avait proposé qu'on lise Zweig)
Je l'ai lu en allemand et l'ai trouvé plus facile à lire dans cette langue que ses autres livres que j'ai quasiment tous lus. J'avais suggéré cet auteur, mais pas cet ouvrage… En fait ce n'est pas de l'Histoire, c'est la vision personnelle d'un personnage, qui est extraordinaire. Les anecdotes sont très éclairantes. Je suis très touché par les réactions de Zweig dans certaines situations : par exemple lors de l'escale au port de Vigo quand il voit les militaires, se réfugie dans le bateau et révèle son extrême sensibilité. J'ai découvert Hofmannsthal. Zweig est juif, extrêmement intelligent, j'ai pensé à un reportage sur Arte sur les Aryens : il y a deux races dans le monde, les Aryens et les Juifs, donc c'est eux ou nous ! J'ouvre ½ car j'ai moins aimé ce livre que les autres que j'ai lus, les anecdotes ne me convainquent pas dans le sens où il faudrait les remettre dans le contexte.

Claire
Je repense à ce que tu as dit Fanny, c'est vrai que le livre rappelle La Fin de l'homme rouge ; je le rapprocherai de deux autres livres lus avec le groupe, Le Tournant de Klaus Mann et Le lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann, qui donnent aussi l'impression d'avoir vécu avec ceux qui font l'Histoire.
Pour les coulisses de Zweig, dans Stefan Zweig : autopsie d'un suicide, Dominique Fischer, mettant en lien ses Journaux, ses correspondances (sa première femme, Freud, Klaus Mann, Romain Rolland, Joseph Roth, etc.) et Le Monde d'hier, retrace son histoire et répond à mes questions :
- l'argent : il était riche, avait une rente de sa famille et même s'il n'avait pas gagné beaucoup d'argent avec ses livres, il n'aurait pas eu besoin de travailler ; je rejoins Annick au sujet de son point de vue de "classe" qui joue un rôle dans son approche ou ses habitudes : par exemple il était exclu (c'eût été inconvenant !) qu'il tapât à la machine pour écrire et c'est pour cela qu'il avait besoin d'une secrétaire ; toutes ses œuvres ont été dictées
- les amours : il était addict au sexe ; une sorte de contrat le liait à sa première femme, et du coup il voyageait seul en effet et appréciait les relations passagères nombreuses ; à la soixantaine qui le désolait, il n'avait pas encore le viagra et prenait des saloperies ; embêtantes furent ses tendances exhibitionnistes... (voir des précisions)
- ses ambiguïtés et dissimulations : d'une part il arrange dans ce livre sa prise de conscience du danger nazi et d'autre part d'accord il est pacifiste, mais il refuse de s'insurger verbalement ; on lui reprochera vraiment de ne pas s'être prononcé contre le IIIe Reich (alors qu'il avait un succès phénoménal et que sa parole comptait) ; il incitera même les Juifs exilés ayant laissé leurs proches et leurs biens en Europe à ne pas s'exprimer contre les Allemands. Romain Rolland dont l'autorité morale était extraordinaire le désapprouvait voire le désavouait.
Quant au suicide, il avait proposé à sa première femme, mais ce fut non merci, la deuxième a consenti...

Rozenn
Tu nous refroidis avec tout ça...

Claire
Ça n'empêche pas que le livre est génial. En fait, il me semble que son aspiration immense à la liberté individuelle ne s'accommode d'aucun engagement collectif.

Annick A
La politique ne l'intéresse absolument pas ! Il a une curiosité extraordinaire pour les personnes, on le sent, lors de ses voyages.

Échos brefs du film Stefan Zweig, adieu l'Europe (passionnant) et au théâtre de l'adaptation du Monde d'hier (appréciations diverses sur la mise en scène minimaliste et l'acteur peu zweiguien, mais positive sur l'adaptation cohérente : pas de noms de lieux, pas de noms de personnes, à part Rodin, ce qui est audacieux étant donné la multitude de rencontres dans le livre).

 

SYNTHÈSE DES AVIS DANS LE GROUPE BRETON suivie de plusieurs avis individuels
: Marie-Thé, Marie-Odile, Yolaine : Robert

Tout le monde n'a pas eu le temps de lire jusqu'au bout ce deuxième ouvrage (le groupe ayant choisi de lire également Réparer les vivants), accompagné de la sortie d'une adaptation cinématographique qui enrichit et actualise notre propos.
Pour ceux qui ont eu le temps de se plonger dans ce témoignage historique (témoignage plus que biographie) d'une époque révolue (500 pages quand même), celle, à la fin du XIXe siècle, d'une Europe prospère, libre et ouverte à la pluralité des langues et des cultures, ensuite tragiquement déchirée par les nationalismes et les guerres, Stefan Zweig fait l'unanimité, par la clarté et la fluidité de son style, la richesse de son regard rétrospectif, lui qui a fréquenté la crème des intellectuels de son époque de part et d'autre des frontières de l'Autriche, et qui en fait de si remarquables portraits, avec le sens de l'analyse et du détail qui le caractérisent. Il s'agit d'un grand écrivain, mais aussi d'un "honnête homme", européen et pacifiste convaincu. On se prend à regretter son absence de militantisme alors qu'il occupait une place éminente dans la société et dans la littérature de son époque, et que ses analyses étaient souvent plus clairvoyantes que celles de nombre de ses contemporains. Même si ce reproche fait facilement fi de sa pudeur et de sa souffrance alors qu'il s'est vu dépossédé de tout et réduit au douloureux statut de "migrant" qui le pousse à aller jusqu'au bout de la tragédie.
Enfin nous sommes aussi tous sensibles aux résonnances contemporaines de ce plaidoyer pour une Europe solidaire dans sa culture et fraternelle.
Marie-Odile
J'ai aimé ce livre d'un bout à l'autre. D'abord :
- pour son écriture que j'ai dès le départ trouvée extrêmement fluide, d'une grande clarté et très belle ; j'ai apprécié aussi la qualité de la composition, ensuite :
- pour l'homme, Stefan Zweig, en raison de sa sincérité, de son honnêteté, des grandes amitiés qui ont jalonné son parcours, de sa sensibilité, de sa constante lucidité, de sa fidélité envers ses valeurs (la liberté, l'indépendance, la solidarité intellectuelle par-delà les frontières et les langues)
- pour les nombreuses analyses : de la société viennoise sclérosée, des causes de la guerre, de la restriction dans la liberté de mouvement après 1914, de la force imposant aux Juifs "une communauté dont ils avaient perdu la conscience depuis des siècles" - ce ne sont là que quelques exemples
- pour l'évocation des temps de paix, de prospérité, d'optimisme puis de la guerre, puis du chaos qui a suivi
- pour les paradoxes : la déclaration de guerre (en 14) s'accompagne d'un élan de solidarité, de fraternité, en fait de ce qu'on devrait éprouver en temps de paix !
- pour la force et la précision du témoignage, qui donne du monde d'hier une vision personnelle bien loin des documents ou des livres d'histoire fastidieux
- pour les descriptions, telles que celles de la tombe de Tolstoï et les portraits, reconnaissants (Romain Rolland), émus (Freud), pittoresques parfois (Gorki). Je note cependant que pas une femme n'y figure...
- pour la pudeur dans les rares allusions à sa vie privée
- pour la définition de l'exil : "apprendre à prendre congé de tout ce qui avait été un jour notre orgueil et notre amour" ; après la censure de ses œuvres, l'écrivain est comme "un homme qui marche vivant derrière son cadavre".
Ce texte ne tombe jamais dans le détail insignifiant des biographies anecdotiques ennuyeuses, mais il témoigne d'un monde, d'une époque, et de son évolution. J'ai beaucoup aimé le passage où il parle de la création littéraire : "Seul un livre qui se maintient à chaque page au niveau le plus élevé et vous entraîne tout d'un trait jusqu'à la dernière page sans vous laisser le temps de respirer me donne un plaisir sans mélange."
C'est ce que j'ai ressenti à la lecture de ce livre que j'ouvre en grand.
Chantal
J'ouvre en entier Le monde d'hier, je l'ai lu avec grand plaisir.
Je ne juge pas le style, qui est peut-être celui du traducteur !... Mais le contenu m'a intéressée et atterrée en même temps : les résonnances avec aujourd'hui sont tellement fortes... cette montée de la violence partout dans le monde, cette incrédulité de chacun. Naïveté ? Aveuglement ? Confiance aveugle dans les traités qui seront jetés sans scrupules par des fous... élus !!! Traversant deux guerres où personne ne voyait rien venir ou ne voulait rien voir, quel désespoir devait être le sien... et quelle inquiétude nous transmet-il !!
Marie-Thé
J'ouvre ce livre en grand (même si je ne l'ai pas encore terminé). Stefan Zweig, un grand parmi les grands, un grand écrivain. Je suis admirative de l'écriture, du style, fond et forme, j'ai tout aimé. Je vois ce livre comme un témoignage, comme la traversée d'une époque, traversée de l'espace aussi. Jusqu'à cette journée de septembre 1939 : point final d'une époque - arrêt du récit. Ne restent que les souvenirs : "un reflet de ma vie, avant qu'elle sombre dans les ténèbres." C'est cela Le monde d'hier. Le paradoxe n'est jamais loin : "Dans le temps que notre monde reculait moralement d'un siècle, j'ai vu cette même humanité s'élever par l'intelligence et la technique à des prodiges inouïs..." De même, cette culture foisonnante, riche, qui illumine la vie de l'auteur, sera en partie réduite en cendres, les ténèbres après la lumière, jusqu'au dernier paragraphe du livre. Derrière des ombres menaçantes, j'ai aimé voir ou percevoir un "personnage" lumineux.
Je ne peux m'empêcher de penser au film Stefan Zweig, adieu l'Europe  ; je n'avais pas compris que S. Zweig refuse de condamner le nazisme, comme cela lui était demandé, son attitude de refus aussi lorsque sa première femme lui demandait d'aider ces personnes qu'il avait connues et qui étaient menacées en Europe. Je lis ceci : "Ce m'est un supplice de m'asseoir à une table officielle, et la pensée d'avoir à présenter une requête, même en faveur d'un tiers, me dessèche la gorge." (p. 23) C'est Stefan Zweig, le fils, qui parle ; et voici ce qu'il dit quand il évoque son père : "De n'avoir jamais rien demandé, de ne s'être jamais engagé dans la voie des requêtes et des remerciements, il en concevait une secrète fierté..."
J'ai adoré les descriptions de la vie à Vienne, "synthèse de toutes les cultures occidentales" où "nulle part il n'était plus facile d'être un Européen." Cette idée de l'Europe accompagnera S. Zweig jusqu'au bout, jusqu'au Brésil. "L'Europe, notre patrie, pour laquelle nous avions vécu était ravagée pour un temps qui s'étendrait bien au delà de notre vie" (fin du livre) Vienne du début encore, avec "ce cosmopolitisme qui répudie tout nationalisme étroit...dignité de citoyen du monde." Et ceci : "A l'intérieur, on sentait que la ville avait cru comme le tronc d'un arbre qui ajoute un anneau à un autre... le cœur précieux de la cité était enfermé dans le Ring..." (Wagner ?) Et puis, après la lumière de nouveau des ombres menaçantes : "la guerre de tous contre tous avait déjà commencé", "Les masses se levaient, et nous écrivions et discutions des poèmes." S. Zweig se reprochera aussi de n'avoir pas vu venir le danger.
A présent, je sens qu'il est temps que j'abrège, difficile, suis arrêtée par la beauté du texte. Donc, je trouve ce livre très moderne : évocation de la libération des mœurs, de la condition féminine, la mode n'étant plus au service de la morale, les femmes pouvant enfin montrer leurs formes. Modernité aussi dans ces milieux artistiques de Vienne ou de Berlin... ou encore ceci : "Notre époque vit trop rapidement et vit trop de choses pour en conserver un souvenir fidèle." J'ai été très sensible à cette "passion de liberté" qui, après le "joug invisible" de l'école, accompagnera l'auteur jusqu'au bout. Au passage, je note encore : "Pour la première année de ma liberté conquise, je m'étais promis Paris pour récompense." J'ai encore aimé les portraits, Émile Verhaeren, Théodore Herzl, etc. J'ai été très surprise de ne pas avoir rencontré Walter Benjamin dans ce monde d'hier, mystère...
La traduction m'a beaucoup plu, et cela me ramène à cette très belle page où S. Zweig parle de son travail de traducteur, de "joie artistique." (p. 132)
Je m'arrêterai à la guerre de 1914 pour cet avis, et penserai à la tristesse de Stefan Zweig au Brésil, puis à cette forme de détachement qui l'emmènera jusqu'à la mort.

 

9 AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN réuni le 17 mars
Françoise H
J'ai gardé le souvenir radieux d'une ancienne lecture et j'ai récemment entendu parler dans une émission sur France Culture de l'écriture élégante de Stefan Zweig. Plusieurs lectures du Monde d'hier sont bien possibles : il peut s'agir de l'histoire d'un écrivain célèbre dépossédé de sa gloire, du tableau de la société dans laquelle il a vécu, mais aussi du regard d'un homme blessé. Vu ces considérations, pas étonnant de voir surgir Freud et son acuité psychologique qui n'a d'égale que celle de Stefan Zweig. Je serais en revanche plus réservée sur sa vision très mythique de l'empire austro-hongrois qu'il idéalise beaucoup, surtout si l'on tient compte du sort fait aux minorités et du peu de place qu'il accorde aux autres cultures. Stefan Zweig pose sur ce monde le regard très idéalisé et typiquement viennois du grand bourgeois juif parfaitement assimilé et il oublie beaucoup de monde au passage. Mais c'est sans doute un point de vue d'historienne. Je persiste à trouver la lecture agréable en particulier pour l'art avec lequel Stefan Zweig démasque les faux semblants. Même si avec le temps je suis devenue plus critique, je conseillerais de lire La marche de Radetzky de Joseph Roth. J'ouvre en entier.

Julius
Je reste sur ma faim comme avec d'autres œuvres de Stefan Zweig. Son écriture ne m'émeut pas beaucoup. Je l'ai lu sans beaucoup de plaisir. En dehors des descriptions de Vienne que j'ai bien appréciées, les autres me semblent sans émotion, très extérieures, prudentes et convenues...

Nathalie
...retenues mais pas convenues...
Julius
... un livre sans surprise avec un style bien allemand (qui rappelle Thomas Mann). C'est parfois intéressant sans doute, mais à part quelques beaux portraits (Verhaeren, Romain Rolland), je suis gêné par le côté anecdotique et superficiel. Vu le poids du suicide final, l'émotion s'impose forcément. Étant donné le moment de l'écriture, on ne peut pas traiter ce livre à la légère. Je suis aussi gêné par le positionnement de l'auteur, sa conscience de classe (cf. sa fuite de la misère et de la pauvreté en Suisse). Il fait aussi souvent preuve de fausse pudeur et de complaisance. Je suis déçu parce qu'il n'y a rien sur l'écriture. Tout de même des passages historiques intéressants – la vision du Berlin des années 20. Mais je m'attendais à plus de profondeur et suis resté extérieur. J'ouvre à moitié.
Ana-Cristina
Je comprends le point de vue de Julius. Mais j'apprécie l'honnêteté de Stefan Zweig de ne parler que de ce qu'il connaît. En effet, c'est un grand bourgeois, un auteur du XIXe siècle qui passe à côté de l'expressionnisme par exemple, mais il ne s'attarde pas à critiquer ce mouvement artistique, il préfère écrire sur ce qu'il aime.
Comme beaucoup d'entre vous, je lis ce livre pour la deuxième fois. J'avais surtout retenu sa simplicité "naturelle" et la façon qu'à Zweig de rendre compte de l'évolution du mal. Cette nouvelle lecture m'a permis d'apprécier vraiment la délicatesse, la finesse de cet artiste.
Le Monde d'hier est aussi un livre sur la mémoire, les souvenirs. J'ai été très impressionnée par les portraits qu'il fait de ses amis. Je vous donne deux exemples, presque par hasard tellement la liste de ses amis est longue. Le portrait qu'il fait d'Émile Verhaeren est extraordinaire, très émouvant. Celui de Romian Rolland me donne envie de connaître son œuvre. La mémoire est une chose étonnante. Alors que j'avais presque oublié (du moins je le croyais) ces beaux portraits, il a suffi parfois que je lise les premiers mots et les portraits surgissaient de façon fulgurante avant même que je les relise dans leur intégralité.
Zweig parle très bien de ce qui fait le charme de ses livres. Page 374 : sans doute vous avez ces lignes en mémoire. Il s'interroge sur les raisons de son succès. Il écrit : "Je crois qu'il est dû à un défaut de ma nature : au fait que je suis un lecteur impatient et plein de fougue. Toutes les redondances, toutes les mollesses, tout ce qui est vague, indistinct et peu clair, tout ce qui est superflu et retarde le mouvement dans un roman, dans une biographie ou une discussion d'idée m'irrite."
Je suis moins d'accord sur ce qui suit, sur ce qu'il écrit à propos du "superflu" dans certaines grandes œuvres. Supprimez chez Balzac et Dostoïevski ce que Zweig appelle le superflu et vous enlevez ce que moi j'appellerai "le supplément d'âme". En clair, Balzac ne serait pas Balzac et Dostoïevski, Dostoïevski. Et Zweig, sans doute, pas Zweig ! Car après tout, ce que recouvre ce terme de "superflu" est bien subjectif !
J'apprécie les livres de ces auteurs et ceux de Zweig aussi parce qu'il n'y a en eux rien à enlever, mais juste tout à relire et chaque fois, en ce qui me concerne, avec beaucoup de plaisir.
Émilie
Je me souviens du Joueur d'échec que j'ai beaucoup aimé, un livre important pour moi. Du Monde d'hier, je retiens l'éloge de la jeunesse galvanisée au début de la première guerre. J'ai été déçue par le côté mondain et anecdotique des descriptions de jet-setter..., Paris et ses petits restaurants ! Je n'ai pas eu le temps d'aller plus loin, jusqu'au moment où l'avenir doit devenir plus sombre. J'ouvre au ¾ pour l'intérêt historique.
Nathalie B
Je l'ai déjà lu trois fois... j'ai arrêté à cause de l'actualité que je ne peux pas oublier et dissocier du livre. J'aime l'écriture des nouvelles qui décrivent avec concision mais de manière fulgurante la force des passions. (La description des mains du joueur dans Vingt quatre heures de la vie d'une femme est inoubliable.) La lecture de ses biographies montre qu'il écrit pour dire non. A Calvin, en 1936, il préfère Castellion grand humaniste opposé au fanatisme protestant. Grand ami de Romain Rolland, il partage avec lui sa foi dans l'être humain. La dernière phrase du Monde d'hier recèle bien un message d'espoir dans la lumière. Il voit son monde qui s'effondre. Il a été conscient de ses privilèges mais sans arrogance. Il y a chez lui une vraie retenue. Son suicide est bouleversant, mais comment aurait-il pu survivre ? Ce qu'il écrit nous renvoie tellement à la violence de notre actualité que je n'ai pas pu continuer. J'ouvre en grand.
Valérie
Je suis passionnée par la littérature de la Mitteleuropa. J'aime ce libre européen qui met entre parenthèses son intimité. Je suis choquée par vos propos. Stefan Zweig un mondain ? Je suis au contraire fascinée par sa passion de l'amitié et la qualité de sa correspondance. Il est l'égal de Marcel Proust. A propos de la judéité de Stefan Zweig, il faut lire sa première nouvelle. Freud le considérait comme un grand psychanalyste de l'âme. Il décrit bien sa naissance dans un milieu privilégié, mais aussi la passion avec laquelle il dévorait les journaux de Vienne. Il témoigne de l'émulation littéraire et artistique qui régnait dans cette ville. Son parcours de vie est ce qu'il est. Le moins convaincant est sa conscience européenne, je n'y crois pas trop. J'ouvre complètement.
Flavia
Je n'ai lu que cinquante pages et je vais continuer à le lire. Cette lecture m'a apporté beaucoup de plaisir. J'aime beaucoup l'écriture très élégante et très fine. Je ne la trouve pas distante. Plutôt émouvante avec beaucoup de pudeur. J'ai tout aimé : l'enfance, les parents, la famille. Et aussi son amour de la jeunesse qui fuit l'école par besoin d'épanouissement culturel. Je ne connaissais pas son œuvre. Elle représente un témoignage historique incroyable et son écriture est très belle. J'ouvre complètement.
Alix
J'ai le souvenir d'une première lecture, il y a cinq ans. La relecture est marquée par le côté européen. J'ai aimé la nostalgie communicative des descriptions de Vienne. Autre point essentiel : le rappel de ses relations avec les autres grands écrivains, Valéry notamment, avec qui il partage l'idée que tout peut s'écrouler un peu comme dans Le guépard de Lampedusa. C'est vraiment un livre qui incarne l'idée européenne. Un roman européen. J'ouvre en grand.
François
Même si je comprends les critiques qui ont été faites, c'est un livre essentiel surtout par les temps qui courent. Son thème récurrent est finalement notre aveuglement devant l'histoire surtout quand elle devient menaçante : " C'est une loi inéluctable de l'histoire : elle défend précisément aux contemporains de reconnaître dés leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque.". C'est la première phrase du chapitre consacré à l'irrésistible ascension d'Hitler. Lire Le monde d'hier, c'est comprendre comment le monde peut basculer dans la barbarie même (et surtout...) quand tout semble s'y opposer. Les Allemands d'après Stefan Zweig n'ont jamais pu croire qu'un vulgaire histrion pourrait parvenir au sommet du pouvoir dans un pays gouverné par l'esprit et la raison, dont Stefan Zweig est un des plus beaux fleurons. En dehors de cet intérêt immédiat, Le monde d'hier contient de très beaux portraits d'écrivains et d'artiste, ceux de Freud, Romain Rolland, Rodin, R.M. Rilke notamment. Celui de Freud agonisant et totalement lucide sur ce qui se passe est bouleversant. L'idéalisation (parfois naïve mais pas toujours...) est un des principaux traits de Stefan Zweig. Elle s'étend à tout aux pays, aux amis, aux humains en général malgré les terribles vicissitudes de l'histoire. Il faut aussi reconnaître que l'écriture sans doute classique (S. Zweig n'est pas Joseph Roth ou Walter Benjamin qui s'est lui aussi suicidé) ne manque pas d'une profonde acuité et d'une réelle "magie suggestive". J'ouvre en grand.


DOC SUR LE LIVRE ET L'AUTEUR

AU CINÉMA ET AU THÉÂTRE
Plusieurs d'entre nous ont vu :
- l'adaptation théâtrale de ce livre au Théâtre des Mathurins (sur scène : Jérôme Kircher, adaptation : Laurent Seksik
qui a écrit par ailleurs Les derniers jours de Stefan Zweig)
- un film sur les dernières années de Zweig au Brésil : Stefan Zweig, adieu l'Europe, réalisé par Maria Schrader.

À LA RADIO (France Culture, La Compagnie des auteurs, 29 août au 1er septembre 2016)
-
Stefan Zweig (1/4) : Le réfugié littéraire avec Catherine Sauvat, journaliste et écrivain, auteure d’une biographie de Stefan Zweig publiée chez Gallimard et de Stefan Zweig et Vienne aux éditions du Chêne
- Stefan Zweig (2/4) : Un orfèvre des formes avec Jean-Pierre Lefebvre, professeur émérite de littérature allemande à l’École normale supérieure et directeur de l’édition en Pléiade des œuvres complètes de Stefan Zweig, pour analyser le travail des formes dans l'œuvre de Stefan Zweig, ainsi que des enjeux de sa traduction.
- Stefan Zweig (3/4) : Échos freudiens avec Edmundo Gomez Mango, psychiatre et professeur de littérature, auteur notamment de Freud avec les écrivains, et Pierre Deshusses, maître de conférences et éditeur de La confusion des sentiments et autres récits de Zweig dans la collection Bouquins aux éditions Robert Laffont, qui poursuit la réflexion autour des rapports de Zweig à l’inconscient en évoquant à la fois sa correspondance et la psychologie des personnages de ses œuvres.
- Stefan Zweig (4/4) : Souvenirs d'un européen
avec Serge Niemetz auteur d’une biographie de Stefan Zweig chez Belfond, et un des traducteurs du Monde d’hier, qui explore la pensée de celui qui se définissait avant tout comme un européen et qui maintint toute sa vie son engagement pacifiste.

UNE PRÉSENTATION ET UNE ANALYSE DE CETTE ŒUVRE
par Jean-Pierre Lefebvre, qui a dirigé l'édition complète de Zweig en
Pléiade
=> Il analyse les facteurs de succès de cet ouvrage lu avec émotion, depuis sa parution en 1942 :
- l'inscription du Monde d'hier dans la partition historique traumatisante du XXe siècle
- l'indulgence nostalgique à l'égard d'une Autriche-Hongrie exemptée de toute responsabilité dans les catastrophes de l'époque
- la qualité d'écriture de l'ensemble
- l'absence de tout équivalent "autobiographique" concurrent dans le monde du livre : l'équilibre original entre l'objectivité apparente du vaste matériau historique évoqué et la subjectivité de la mémoire ou du jugement de l'individu Zweig
- la reconnaissance de l'auteur de nouvelles tant aimées, où les lecteurs se sont eux-mêmes reconnus.
=> Il indique aussi des réceptions moins favorables, dénonçant :
- les omissions
- les ambiguïtés
- et les dissimulations plus ou moins conscientes de l'ouvrage sur lesquelles les lecteurs non avertis ou aveuglés risquent de passer naïvement.

La présentation complète de Jean-Pierre Lefebvre : ICI (2 pages)

À PROPOS DE LA TRADUCTION
En 2013, 71 ans après sa mort, Stefan Zweig "tombe dans le domaine public", expression juridique consacrée qui signifie qu'il n'est plus nécessaire de demander des autorisations aux ayants droit pour publier, traduire, etc. Une série de nouvelles traductions paraissent en 2013. Stefan Zweig fait ainsi son entrée dans la Pléiade en avril 2013.

Trois traductions sont disponibles dans les différentes éditions présentées ci-contre.
Voici la comparaison des traductions de la première phrase du livre :
Ich habe meiner Person niemals so viel Wichtigkeit beigemessen, daß es mich verlockt hätte, anderen die Geschichten meines Lebens zu erzählen (le livre en allemand : ICI).

  • Je n'ai jamais attribué tant d'importance à ma personne que j'eusse éprouvé la tentation de raconter à d'autres les petites histoires de ma vie. (Serge Niémetz, 1982, Belfond et Livre de poche)
  • Jamais je n'ai donné à ma personne une importance telle que me séduise la perspective de faire à d'autres le récit de ma vie. (Dominique Tassel, 2013, Pléiade, Folio)
  • Je n'ai jamais attaché à ma personne assez d'importance pour être tenté de raconter aux autres l'histoire de ma vie. (Jean-Paul Zimmermann, 2013, Les Belles Lettres)
    Il est à noter que cette dernière traduction, plus séduisante, est celle choisie par ceux qui ont adapté le livre pour la scène, actuellement au Théâtre des Mathurins à Paris.

Voici un extrait d'une interview (2013) de Pierre Deshusses qui a dirigé l'équipe de huit traducteurs qui a œuvré au recueil La Confusion des sentiments et autres récits (recueil de fictions, qui ne comporte pas Le Monde d'hier), pour la collection Bouquins (2013).

Vous dites dans votre introduction que Stefan Zweig se lit avec bonheur et facilité en allemand mais que le traduire en français fait s'arracher les cheveux. Expliquez-nous.
Pierre Deshusses : Traduire Stefan Zweig, c'est s'apercevoir que l'allemand et le français ne se rejoignent pas toujours. C'est un phénomène linguistique assez étrange. Zweig en allemand se lit effectivement facilement et agréablement. Mais quand il s'agit de le traduire en français, on s'aperçoit que certaines choses ne passent pas. La luxuriance de son style, par exemple, qui est particulièrement riche comme un repas peut l'être. Par tradition littéraire et académique, le français résiste aux répétitions, préfère l'ellipse. Par exemple, Stefan Zweig n'hésite pas à écrire : "
Elle sortit soudain précipitamment, dans un mouvement brusque, son porte-monnaie." Ces répétitions ne gênent absolument pas un Stefan Zweig comme elles ne gênaient pas un Goethe. En français, elles ne passent pas. Il s'agit parfois d'élaguer, de dégraisser. Ce qui ne relève pas encore du casse-tête.
Ce qui relève du casse-tête réside dans les très longues phrases de Zweig où la cohérence grammaticale n'est pas toujours au rendez-vous. Nous avons fait le choix de ne pas les couper, de respecter leur souffle. Mais certaines sont obscures, voire ahurissantes.

Par exemple ?
Il écrit des phrases relatives qui ne se raccrochent à rien. Ou qui sont contradictoires, comme dans La Confusion des sentiments : "Je me précipitai dans le couloir éclairé et buttai sur une forme molle dans le noir."

Comment est-ce possible ?
Sans doute qu'il ne se relisait pas et qu'il n'était pas relu non plus par les correcteurs des maisons d'édition. Il est possible aussi qu'il écrivait en sténo comme le personnage principal de La Confusion des sentiments.

Mais ces erreurs ne rebutent pas en allemand ?
Non, pas du tout. Aucun germanophone n'a jamais été défrisé en lisant Zweig ! Moi-même comme lecteur je n'ai pas été arrêté par ces erreurs ou ces contradictions. Dans le mouvement de la lecture, on corrige d'emblée. On surfe sur Stefan Zweig et c'est très agréable.

Les traducteurs se retrouvent donc à corriger l'original ?
Traduire Zweig tel qu'il a écrit reviendrait à le dénaturer. Les traducteurs de Zweig ont toujours veillé à corriger certaines phrases. Notre équipe a continué dans ce sens. Alzir Hella, son premier traducteur en français, dans les années 1920-1930, lissait plus que nous. Face à une difficulté, il la supprimait, il coupait les phrases trop longues.

Est-ce que Zweig aurait eu autant de succès s'il avait été traduit plus littéralement ?
La traduction est toujours motivée par un désir, égoïste (se tester soi-même) ou altruiste comme celui de faire connaître un auteur dans une autre langue. A partir de là, les traducteurs ont envie de sauver l'écrivain et pas de l'enfoncer. C'est automatique, machinal. Zweig dirait que c'est machinalement inconscient. On essaye de faire au mieux pour lui.

C'est la première fois qu'un traducteur aborde les faiblesses de Stefan Zweig aussi directement, non ?
Je tenais simplement à dire que Stefan Zweig n'est pas un grand styliste. Sa grandeur réside ailleurs, dans ce que Romain Rolland a tout de suite pointé, cette façon de suivre les anamorphoses, les circonvolutions des sentiments. Là, il est génial. D’autres auteurs entrent dans le domaine public en 2013, comme Robert Musil par exemple. Lui était un grand styliste. Il a été écrasé et il s’est enterré lui-même sous les 1700 pages de L’Homme sans qualités. Pourtant, il a écrit des textes brefs aussi. Mais je n’ai pas vu de projets de nouvelles traductions comme pour Zweig.

(Extrait du site Histoire et société
, 29 mars 2013)

Pour télécharger ces précisions sur la traduction en format pdf : ICI

 

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout


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