Avis
de Claire |
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"Foire
aux femmes", organisée à la Cartoucherie de Vincennes
par le MLF en 1973
photos JANINE NIEPCE/ROGER-VIOLLET Sylvie Le Bon et Simone de Beauvoir |
La petite Boniface au fond à droite |
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J'adore
aussi Sartre, sans parler de
leur couple (aaaahhhh) et je refuse d'écouter toute critique,
je ne veux rien savoir par exemple des Mémoires
d'une jeune fille dérangée révélées
par Bianca
Lamblin... J'avais
lu pour de bon Les
belles images et La
femme rompue, dont je gardais un souvenir de gravité
(pas rigolo-rigolo). C'est moi qui ai lancé l'idée de lire ce livre des Mémoires d'une jeune fille rangée, à l'occasion de la lecture d'Annie Ernaux qui m'avait amenée à lire en même temps Didier Eribon, également transfuge de classe, et qui affirme dans Retour à Reims à quel point Mémoires d'une jeune fille rangée a compté, mais sans dire pourquoi : j'étais curieuse. J'ai été étonnée que l'idée soit acceptée et ravie... En découvrant l'épaisseur du volume (hérité de la bibliothèque de mes parents, dans la collection d'origine avec pages coupées et jamais lu), la taille microscopique des caractères, le genre (des mémoires), j'étais disposée à sauter "autant que de besoin" détails, voire pages... |
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Et
je vais enfin parler de ma lecture du livre
Alors que SdB est peu reconnue par son écriture, j'ai aimé son style, fait de netteté, de fermeté, et qui donne lieu à des formules qui m'ont beaucoup plu : Sartre "ne confondait pas les sentiments avec les idées et je me rendis compte, sous son regard impartial, que bien souvent mes états d'âme m'avaient tenu lieu de pensée" ; quant à Jacques, "s'il ressemblait à tous, alors que je le savais, sur un grand nombre de points, inférieur à beaucoup, quelles raisons avais-je de le préférer ?". Elle narre certes les années qui passent, mais le récit est fait de pensée, elle analyse sans arrêt, avec recul. Et si elle se montre parfois arrogante, elle est impitoyable avec elle-même de façon que je trouve jubilatoire, surtout quand elle se sait, respectivement, aveugle : "dénuée de sens psychologique" ; "mon indigence, mon impuissance m'auraient moins inquiétée si j'avais soupçonné à quel point j'étais encore bornée, ignare" ; "mes idées restèrent fumeuses", etc.). Les affaires du monde sont loin de ses préoccupations, ce qu'elle ne laisse pas passer : "Le redressement du franc, l'évacuation de la Rhénanie, les utopies de la SDN me paraissaient du même ordre que les affaires de familles et les ennuis d'argent". Comme
un roman, le récit vaut aussi par ses personnages,
et il y a de quoi faire ! Le père extraordinaire, assez féministe
paradoxalement, passionné de théâtre, avec une place
immense pour les lectures (j'imagine cette scène de la famille
qui lit à l'unisson tous les quatre ensemble), Zaza bien sûr,
Jacques (on a envie de lui donner des claques à Jacques, ainsi
qu'à Simone). J'ai
aimé l'évocation de Paris : elle prend l'autobus
S (qui donna lieu aux exercices de style de Queneau), va au Balzar (où
je prends parfois un café), au night-club Le Jockey au 146 boulevard
du Montparnasse (qui hélas n'existe plus), à la bibliothèque
Sainte-Geneviève, à la BN (je l'imagine travaillant "à
bride abattue" et Stépha qui l'emmène déjeuner),
à la librairie Picart boulevard Saint-Michel qui a des revues d'avant-garde,
elle est abonnée à La Maison des amis des livres
"où trônait en longue robe de bure grise Adrienne
Monnier" (la compagne de Sylvia
Beach qui tenait la librairie Shakespeare and Company et publia
l'édition originale d'Ulysses
de Joyce, avant qu'Adrienne Monnier pulbie la première traduction
en français). Elle est tout le temps fourrée au théâtre
ou dans les cinés : studio des Ursulines, le
Vieux-Colombier, le Ciné-Latin,
le cinéma des Agriculteurs dans la Nouvelle Athènes... Un seul bémol : alors que le suspense devient insoutenable vis-à-vis de Sartre, il y a une accélération en fin de livre, mais pas à propos de Sartre, on ne sait même pas si elle réussit l'agrég, s'ils couchent ensemble (remboursez !) et la mort de Zaza est trop longue : frustration de fin de volume donc. Je
n'ai rien lu sur sa jeunesse avant de lire ce livre et après, alors
qu'elle évoque les noms de Raymond Aron, Lagache, Levi-Strauss,
Simone Weil (rencontre gratinée ICI),
j'ai été vraiment impressionnée voire déçue
d'apprendre que des noms d'étudiants philosophes sont pseudoïsés
: Herbaud correspond à René
Maheu (entre autres futur directeur de l'Unesco), Clairaut à
Maurice de
Gandillac, Pradelle à Merleau-Ponty
(à cause de qui Zaza est morte...) : dommage, non ?
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