Le mur invisible, traduit de l'allemand par Liselotte Bodo, Patrick Charbonneau et Jacqueline Chambon, Actes Sud Babel, 352 p. Quatrième de couverture : Voici le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer, journal de bord dune femme ordinaire, confrontée à une expérience-limite. Après une catastrophe planétaire, lhéroïne se retrouve seule dans un chalet en pleine forêt autrichienne, séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble sêtre pétrifiée durant la nuit. Tel un moderne Robinson, elle organise sa survie en compagnie de quelques animaux familiers, prend en main son destin dans un combat quotidien contre la forêt, les intempéries et la maladie. Et ce qui aurait pu être un simple exercice de style sur un thème à la mode prend dès lors la dimension dune aventure bouleversante où le labeur, la solitude et la peur constituent les conditions de lexpérience humaine.
Quatrième de couverture : Une catastrophe sans doute planétaire mais dont lorigine chimique ou nucléaire restera indéfinie va bouleverser lexistence dune femme ordinaire. Elle se retrouve soudain séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble sêtre pétrifiée durant la nuit. Le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer. Ce livre a été adapté au cinéma par Julian Pölsler en 2012. |
Marlen Haushofer (1920-1970)
|
Ana-Cristina,
Émilie
Anne-Marie, Françoise, Monique, Nathalie |
Françoise
C'est moi qui effectivement ai proposé ce livre que j'ai lu il
y a un an et demi. Une amie me l'avait recommandé et j'y ai moi-même
trouvé beaucoup de plaisir. Dès les premières lignes,
il m'a happée, alors que la plupart du temps j'ai besoin de lire
plusieurs chapitres avant d'entrer dans l'univers de l'auteur. On comprend
tout de suite qu'il y a eu une catastrophe. L'enjeu initial comprendre
ce qui s'est passé disparaît assez rapidement.
C'est l'histoire d'une femme qui a échappé à la mort
et qui est confrontée à une question que chacun d'entre
nous se pose un jour : qu'est-ce que je fais de ce temps qui me reste ?
Je l'ai relu pour ce soir, et j'ai éprouvé le même
plaisir.
Émilie
Je n'ai pas beaucoup accroché. Je l'ai quand même lu pour
savoir ce qui se passait à la fin. C'est très descriptif.
On sait tout ce qu'elle fait, les tâches avec les plantations, les
récoles selon les saisons, sa vache
J'ai trouvé assez
rébarbative et peu palpitante cette succession de faits. Les animaux
finissent par être une raison de son existence qu'elle ne semblait
pas avoir vraiment trouvée auparavant. Je cherchais son message :
qu'est-ce qu'elle voulait nous dire ? Cela a un côté
un peu Robinson, mais elle a beaucoup plus que lui au départ :
un chalet, des vivres, une vache qui en plus est pleine. Quoiqu'il en
soit, la fin n'en est pas une, puisqu'elle continue ce qu'elle fait. Même
s'il y a dans les dernières pages l'épisode avec l'homme,
ce qui donne de la dramaturgie au récit.
Ana-Cristina
Je ne me souviens pas de la fin. Je l'ai lu il y a un an et ce que tu
dis ne me parle pas. Qu'est-ce qui se passe ?
Émilie raconte la fin à Anna-Cristina qui ne souvient vraiment plus du tout et en est très surprise.
Françoise
Son message ? On ne peut pas vivre sans amour. Elle a justement trouvé
un sens avec ses animaux. Ce qui est marquant également, c'est
qu'elle perd montre, réveils, elle n'a plus l'heure et ne connaît
le temps que par les corneilles qui viennent le matin. Elle s'écarte
complètement de la civilisation.
Nathalie
Il y a plus de 25 ans, j'ai parcouru ce livre, qui m'avait été
conseillé. J'avoue que je n'avais pas été emballée
par sa lecture qui m'ennuyait.
Je peux donc très bien comprendre Émilie car alors j'avais
ressenti la même chose. Comme très vite, on sait qu'elle
a perdu son chien, et que je déteste que les animaux meurent dans
les livres, je suis allée lire la fin. Et elle y tue le seul homme
qu'elle croise ! Un comble. Elle est la seule humaine, elle croise
un autre humain et elle le tue ! Bref, je l'ai parcouru en diagonale,
et je n'ai pas aimé. Cependant l'histoire m'avait profondément
marquée.
Lorsque j'ai relu ce roman ou plutôt réellement lu, j'ai
cette fois beaucoup aimé. J'ai aimé ce personnage de femme
qui prend la décision de ne pas renoncer, de continuer à
vivre, essentiellement pour ses animaux, quoiqu'il en coûte, et
d'accepter cette vie-là, aussi dure soit-elle. Elle a un sens du
devoir très développé. Avec courage et détermination,
même malade et parfois aidée par son chien, elle ne s'abandonne
pas. C'est la différence semble-t-il avec l'homme qu'elle croise
et qui est tombé dans la bestialité. Il est tout l'inverse
des animaux qui, eux, pour elle, sont des amis et qui ont des caractéristiques
humaines, tels qu'elle les décrit. Ainsi à la fin, elle
considère son chien comme un ami avec qui elle parle beaucoup :
"Cet été-là,
j'oubliais complètement que Lynx était un chien et pas un
homme. Je le savais, mais cette différence n'avait pour moi plus
aucun sens
Il avait fini par régner entre nous une tranquille
compréhension silencieuse" (Babel, p. 309).
Je note qu'en revanche il n'y a pas eu un mot échangé entre
l'homme et elle. Cette femme apprendra à être elle-même
et savoir qui elle est, accepter de voir bouger son être en fonction
de ce qu'elle vit. Elle semblait ne pas bien se connaître avant
la catastrophe. Ce roman a été écrit en 1963. Pour
la femme, encore plus en Autriche qu'en France, la situation n'est pas
simple. Les femmes sont ce que la société pense qu'elles
sont. Elles ont pris le masque qui leur a été alloué.
Notre héroïne, dure à la tâche, pugnace, n'a
plus de masque, n'ayant plus besoin de se travestir. Et elle apprend à
apprécier qui elle est, une femme vaillante, dévouée,
généreuse, imaginative, et en harmonie avec Mère
nature. En même temps, cette femme a avec ses animaux la même
relation qu'elle avait avec ses filles petites ou son mari malade. Elle
a besoin d'être nécessaire aux autres pour se sentir vivante.
Cela chez elle n'a pas changé. Ce qui explique sans doute l'éloignement
d'avec ses filles devenues adolescente ou "presqu'adultes".
Je crois deviner que dans sa vie d'avant, elle avait construit un mur
entre elle et les autres. Devant le mur extérieur, que l'on ne
peut voir à l'il nu, elle réintègre sa relation
aux autres que sont les animaux.
L'auteure décrit une femme qui a une quarantaine d'années,
en Autriche, où régnaient encore les 3 K (Kinder, Küche,
Kirche). Et elle se dit que si un homme avait été avec elle,
il l'aurait sans doute laissée travailler durement pendant qu'il
se serait prélassé dans son fauteuil. Elle vit aujourd'hui
dans un monde qui n'est pas régi par les hommes et où elle
a fait sa place, et non une place assignée. Ce livre a connu une
lecture féministe dès sa sortie.
Monique
Je ne l'ai pas tout à fait lu comme vous, mais plutôt comme
un polar existentiel (je dis polar car l'angoisse de la narratrice revient
régulièrement dans le récit), ou encore un conte
moraliste qui nous incite à ne pas nous déconnecter de la
nature, source d'émotions, de ressourcement.
J'ai aimé l'idée majeure de ce récit : faire
apparaître de façon inquiétante et fantastique un
mur entre deux mondes ; l'un autrefois trépidant, avide de
consommation et de plaisirs factices ; l'autre, naturel, authentique,
proche de sa nature originelle. On se demande ce qui va se passer, et
en fait, non, la vie de la narratrice va continuer de la même façon
bucolique et prégnante. Il y a là une façon de nous
faire comprendre l'absurdité de notre existence, de notre mode
de vie qui a élevé une barrière entre nous et nos
besoins profonds. Pourquoi ce mur invisible ? Est-ce une menace qui
va se mouvoir plus avant, envahir tout l'espace ? Ou la protection
plus avant, d'un lieu où persiste une nature encore intacte ?
Ce récit est un après-Houellebecq, de celui de la carte
et le territoire en tous cas.
Toutes les lectrices présentes sont d'accord avec le fait qu'effectivement,
on peut tout à fait situer cette histoire après la catastrophe
attendue par Houellebecq.
A ce stade, Monique fait un aparté sur notre précédente
lecture de Houellebecq, La carte
et le territoire, livre qu'elle avait déclaré ouvrir
en grand.
Monique
D'ailleurs, pour ma lecture de Houellebecq, j'ai réfléchis
après notre discussion. Aujourd'hui je n'ouvrirai La carte et
le territoire qu'aux ¾ : l'auteur m'a bluffée, il est
brillant, intelligent, mais il est antiféministe, et surtout, dans
ce livre, je n'ai senti aucune compassion pour l'humanité.
Après quelques échanges sur Houellebecq, nous reprenons
le cours de notre discussion.
Monique
La narratrice est du bon côté du mur. De l'autre côté,
plus rien ne vit. Les pages s'étirent, longues, transparentes,
à l'image de la nouvelle vie de la narratrice, dans la rudesse
des tâches du quotidien, ou dans la contemplation. Magnifique description
de l'orage dont on vit toute la progression, jusqu'au déchirement
de la toile du ciel
: c'est très finement observé.
On sent que fille de garde forestier, l'auteure a vécu elle-même
dans la forêt ; elle la connaît bien et réussit
à nous en faire percevoir les aspects changeants selon les heures
et les saisons, ainsi que la vie cachée des animaux sauvages qui
y vivent. J'admire la générosité, l'amour de cette
femme qui continue courageusement à vivre entourée de ses
animaux. Ce très beau récit est pour moi une fiction, un
conte existentiel, une expérience de survie, une réflexion
sur les valeurs essentielles qui devraient guider tout être humain :
l'ancrage ou, tout au moins, le maintien du lien avec la nature, terre
nourricière, source d'émotions authentiques.
Il y a quelque chose de biblique dans ce récit, comme si le mur
était né de la folie des hommes, de l'accentuation à
l'extrême de la faute originelle et que leur monde en aurait été
puni et pétrifié, alors que la narratrice, placée
de l'autre côté serait, entourée de ses animaux, le
Noé qui attend la rédemption. Le livre se termine d'ailleurs
sur la vision de la corneille blanche qui rappelle la colombe de Noé.
Ce texte est d'une grande poésie, j'en ressens la spiritualité
et l'amour de la nature ; certains passages sont d'une grande beauté ;
c'est aussi une ode à l'écologie. Je l'ai beaucoup aimé.
Anne-Marie
Je l'ai trouvé intéressant. Moi aussi, je suis entrée
dans le bouquin tout de suite. Sa lecture était fluide. Ce n'est
que l'écoulement des jours, la routine, les corvées, les
saisons
hormis ces deux événements que sont le mur
et la fin. Pourtant, ce n'est pas "chiant". La narratrice se
livre à des réflexions sur sa vie passée, sur la
liberté. L'a-t-elle trouvée ? Elle est quand même
assez esclave de ses animaux, sa vache, la traite, les plantations
Tout est très contraignant. Elle ne sait pas combien de temps elle
va vivre, elle refuse de se dire qu'elle est condamnée. Elle est
forte. En même temps, elle revoit le passé durant lequel
elle était seule, s'était éloignée de ses
filles. C'est une fable. Elle réapprend la solidarité, la
proximité avec ses animaux. Elle imagine parfois qu'elle peut creuser
sous le mur, mais cela semble fort peu crédible. Ce mur, c'est
une impasse. Mais l'être humain est déterminé :
"Le mur m'a obligée
à commencer une vie complètement nouvelle mais ce qui me
touche, ce sont toujours les mêmes choses qu'avant : la naissance,
la mort, les saisons, la croissance et le déclin. Le mur n'est
ni mort ni vivant, en vérité il ne me concerne pas et c'est
pourquoi je ne rêve pas de lui." Dans cette catastrophe
qu'elle pense être du fait de l'homme, y-a-t-il eu des vainqueurs ?
Quant elle voit l'homme, c'est comme s'il était l'envahisseur,
c'est pour ça qu'elle le tue. Elle-même est une rescapée
de guerre. J'ouvre en grand.
Ana-Cristina
J'ai lu il y a un an et n'ai absolument pas eu envie de le relire. Moi,
ce livre m'a angoissée. Je n'adorais pas sa lecture, mais j'ai
quand même voulu connaitre la fin. Je n'avais d'ailleurs pas du
tout ce souvenir. Monique dit que la lecture de ce livre est apaisante.
Je n'ai pas ressenti du tout cet effet ! Pour moi, ce mur représente
la solitude qu'il y a en chaque être. Et voilà ce qu'il n'y
a pas dans ce récit : aucune spiritualité et pas d'intériorité.
Le rapport au corps n'existe uniquement que par rapport aux blessures
(ampoules, mal de dos
). Il n'y a aucune sensualité. Aucune
libido. Un côté très puritain. Je n'ouvre qu'à
moitié.
Nathalie
Il existe une adaptation au cinéma, sortie en 2012, par un certain
Julian Pösler.
J'ai vu la
bande annonce. Le film a l'air d'être très fidèle,
reprenant des extraits du texte même. J'ai envie de le voir. Il
semble très beau.
Nos cotes
d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie - beaucoup-
moyennement - un peu - pas du tout
grand ouvert - ¾
ouvert - à moitié
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