Extrait de Les Inrocks, 2010

Extrait du Monde, 2014


Flammarion, 2010, 432 p.

L'écrivain a obtenu le Prix Goncourt au premier tour de scrutin, avec 7 voix contre 2 à Virginie Despentes. Cette dernière a obtenu le Renaudot. J'ai lu, 2012, 416 p.
J'ai lu, 2019, 416 p.

Quatrième de couverture : Si Jed Martin, le personnage principal de ce roman, devait vous en raconter l'histoire, il commencerait par vous parler d'une panne de chauffe-eau. Ou de son père, architecte connu et engagé, avec qui il passa seul de nombreux réveillons de Noël. Il évoquerait Olga, une très jolie Russe rencontrée lors d'une première exposition de son travail photographique à partir de cartes routières Michelin - "la carte est plus intéressante que le territoire". C'était avant que le succès mondial n'arrive avec la série des "métiers", portraits de personnalités de tous milieux, dont l'écrivain Michel Houellebecq. Il dirait aussi comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une atroce affaire criminelle. L'art, l'argent, l'amour, le rapport au père, la mort, le travail, la France devenue un paradis touristique sont quelques-uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne. 

GF Flammarion, 2016, 490 p.

Quatrième de couverture :
"
Rendre compte du monde, simplement rendre compte du monde" : voilà ce que répond l'artiste Jed Martin lorsqu'on l'interroge sur le sens de son œuvre. Ce projet, qui lui apportera la fortune et une renommée internationale, l'amènera à croiser des personnages très divers : Olga, une jolie Russe, mais aussi le commissaire de police Jasselin, le présentateur de télévision Jean-Pierre Pernaut, et même l'écrivain Michel Houellebecq, dont Jed réalisera le portrait...
Roman réaliste qui tend vers l'anticipation, roman d'artiste qui flirte avec l'autofiction et s'achève en roman policier, La Carte et le Territoire brouille les pistes et estompe la frontière entre fiction et réalité. Dans cette œuvre à la construction virtuose, récompensée par le prix Goncourt en 2010, Michel Houellebecq mène une profonde réflexion sur notre monde contemporain et le rapport que nous pouvons encore avoir - ou non - avec la vérité.

Présentation, notes, dossier par Agathe Novak-Lechevalier
1. La Carte et le Territoire : le roman de l'artiste contemporain?
2. Le Moi et ses doubles
3. Un roman de la disparition
Petit Who's Who® houellebecquien

Michel Houellebecq
La carte et le territoire (2010)

Nous avons lu ce livre en mars 2019 et le groupe breton en avril.
Nous avions lu il y a plus de 20 ans Les particules élémentaires, en 1998.

Glen Baxter, Galerie Gounod
Voir en bas de page...
QUELQUES REPÈRES BIO ET BIBLIO
COMMENTAIRES ET INTERVIEWS
- Enfance, formation, métier
- Vers le succès
- Les 7 romans
- Poésies
- Essais
- Autres arts
- Sur La carte et le territoire :
quelques entretiens
- Sur La carte et le territoire 
 : quelques articles
- Et plus largement :
sur l'œuvre de Michel Houellebecq
 

Richard
J’écris cet avis bien des semaines après la réunion du groupe à laquelle je n’ai pu assister – et avant de lire les avis sur le site. Cela m’a donné plus de temps à lire le livre – et à y réfléchir à tête reposée. Avec cet intervalle de temps, mon avis a quelque peu changé. Au début, j’ai apprécié ses descriptifs originaux ("trois femmes octogénaires semblaient se recueillir sur leur salade de fruits", p. 23) ainsi que sa connaissance détaillée dans divers domaines (exemple : ses appareils photo). Cela me semblait admirable, mais assez vite lassant, surtout quand on réalise qu’il peut s’agir d’une connaissance résultant d’une recherche documentaire, et qui est montrée pour impressionner le lecteur. Par ailleurs, il y a trop de "name dropping", par exemple des références à un auteur non pas par son nom mais par le titre d’une de ses œuvres (surtout quand il s’agit de Houellebecq lui-même : "l’auteur des Particules élémentaires"). A noter aussi les erreurs dans sa documentation : la boutique à Pigalle s’appelle Rebecca Rils et non Rebecca Ribs (je le sais, c’était un de mes clients…)
A la longue, les jugements négatifs de Houellebecq sur la société et les individus (en ce qui concerne Picasso, il est carrément iconoclaste p. 172) et l’utilisation d’italiques (dont je n’ai pas compris la signification) sont ennuyeux et enlèvent le plaisir de lecture, surtout quand l’histoire se traîne à partir de la première moitié du livre. (J’avais eu le même sentiment en lisant Soumission).
Enfin ce livre est plutôt un essai sociologique qu’un roman. Je ne l’ouvre qu’à moitié.
Catherine (avis transmis)
Brièvement... Avec celui-ci, j’ai lu quatre livres de Houellebecq (Les particules élémentaires, Plateforme, Soumission). J’ai toujours trouvé insupportable et le personnage et le battage médiatique autour, mais au moins il ne laisse pas indifférent. On retrouve dans La carte et le territoire beaucoup des thèmes des autres livres, mais il est nettement moins provocateur que les autres (moins de sexe, moins misogyne...), d’où Le Goncourt sans doute.
J’ai accroché à l’histoire ; j’ai été intéressée par le thème de l’art et j’ai assez aimé l’autoportrait qu’il fait de lui-même en se mettant en scène dans son propre livre ; on le retrouve aussi sans doute à travers le personnage de Jed. Il y a des moments assez drôles ; l’assassinat, assez artistique d’ailleurs, est inattendu.
J’ai au total un avis plutôt positif. Il a quand même un vrai talent d'écrivain. J’ouvre à moitié. Bonne soirée que j’imagine animée...

Nathalie (avis transmis)
Je ne suis pas une lectrice de Houellebecq. Je n'ai lu que Les particules élémentaires à sa sortie en 1998. C'est donc avec enthousiasme et crainte que je suis entrée en littératie houellebecquienne.
Mais alors que je prenais le récit pour ce qu'il était – un récit plaisant et plutôt romanesque –, j'ai eu le malheur de commencer à lire les notes de bas de page (éd. GF), ce qui a eu deux conséquences fâcheuses : la première étant de ralentir lourdement la fluidité de ma lecture, la deuxième d'avoir eu l'impression d'être une imbécile.
Imbécile, oui... parce que les notes de Novak-Lechevalier insupportables, exaspérantes et pénibles m'ont fait comprendre que je ne pouvais pas comprendre le livre par moi-même et qu'elle se sentait obligée de tout m'expliquer. La conclusion étant que ce livre n'était pas pour moi parce que je n'étais pas assez intelligente pour le comprendre ou en comprendre la teneur. Ha ! Le piège ! J'ai pourtant la fréquentation des notes de bas de page depuis longtemps... Le problème est selon moi que les notes de bas de page de ce livre sont la plupart du temps inutiles et s'ingèrent scandaleusement à la fois dans l'écriture de l'auteur, mais aussi dans la lecture du lecteur. C'est un peu comme quand au cinéma, tu as quelqu'un qui ne cesse de vouloir t'expliquer ce qui se passe à l'écran et pourquoi ça se passe comme ça à ce moment-là, voire qui t'annonce la suite du film. Je vous entends déjà me dire que je n'avais qu'à ne pas les lire...

Tout le monde
Ouiiiiiiiii !...
Nathalie
Facile à dire, pas facile à faire. C'est un peu comme les cartels dans une expo, tu as peur de passer à côté de quelque chose d'important ! (voir mes exemples)
J'ai beaucoup aimé ce livre dans un premier temps. J'en ai aimé les personnages. J'ai adoré me représenter les univers (chez lui, chez le père, les tableaux). J'ai adoré avoir le vertige quand le personnage de Houellebecq intervient. J'étais complètement absorbée par le tour de force qu'il a réussi à faire. J'ai aimé lire sur l'art et – comme je n'ai lu aucune critique –, je me permets de dire que ce livre est pour moi une sorte de manifeste à la fois sur l'art et sa valeur, mais sur l'art de l'écriture également.
Je n'ai pas terminé le livre, il me reste environ un peu moins d'un quart. Je l'ouvre aux ¾.
Je suppose que vous verrez des choses que je n'ai pas vues...

Plusieurs, du genre houellebequien
Évidemment !

Nathalie
Mais ce qui est certain, c'est que je n'achèterai plus jamais une œuvre de cet auteur dans une édition commentée.
Katell
Je l'ai lu il y a très longtemps. J'ai lu tous les Houellebecq, mais je les oublie tous. J'adore les lire, c'est plaisant. Il est un examinateur affûté de notre société occidentale, il met le doigt sur des aspects essentiels. Après la lecture, je ne me souviens plus où il a mis le doigt... J'ai fini
Sérotonine récemment, et j'ai déjà oublié. Houellebecq est sympa à lire, avec son côté misogyne rigolo et son côté mâle blanc impuissant. J'ouvre trois quarts. Il écrit correctement, mais je ne vais pas me taper le cul par terre non plus. C'est de la littérature champagne*, c'est-à-dire ça se lit bien et après ça s'oublie.

*Henri propose d'estampiller cette expression "littérature champagne".
Annick A
Je l'ai eu il y a 15 jours, mais j'ai tout oublié. Y compris en le reprenant. C'est une œuvre facile, mais il n'a pas grand-chose à dire. J'ai aimé ce qui touche à l'art. J'ai trouvé agréable le côté people. Sur la dimension dépressive – la présentation qu'il se donne –, Houellebecq ne m'intéresse pas beaucoup. Même chose pour
Soumission : ce qu'il dit ne m'intéresse pas. Il y a beaucoup de passage Wikipédia, probablement copié, comme l'indiquent les remerciements. Il met en scène des gens profondément déprimés qui n'ont pas de désir. Je me suis demandé ce qui attire Jed par rapport à Houellebecq : c'est peut-être qu'il a trouvé plus déprimé que lui. J'ouvre un cœur. Je ne me suis pas ennuyée, mais ça ne m'intéresse pas. Je me demande pourquoi il a eu le Goncourt.
Henri
Je l'ai acheté deux euros en brocante, et sans les notes en bas de page. J'ai résisté à lire Houellebecq car je pensais que son influence serait contre-productive car j'ai des points communs avec lui. J'ai aimé
La Possibilité d'une île qu'un ami m'a obligé à lire. D'accord, j'ai trouvé que ça tacle bien, j'y ai vu un plagiat des critiques d'art, une approche de la France franchouillarde. J'ai aimé la manière dont il se met en scène, cela me le rend sympathique ; il a de la compassion pour lui-même. Il décrit bien les flics, mais il a dû aller chercher un autre polar. Il y a deux projets différents. J'ai aimé son approche de la société de consommation. Je n'ai pas aimé le côté Wikipédia et la facilité à s'appuyer sur ses connaissances des personnages publics, car cela lui donne une longueur d'avance sur le lecteur. Les passages sur la stérilité sont surjoués. Il y a une sorte de pot-pourri. Je comprends que l'on oublie rapidement. J'ouvre trois quarts pour le plaisir de lecture.
Manuel
Je vais être bref car je suis venu vous écouter. J’avais déjà lu
Plateforme et Les particules élémentaires. Je fais le même constat que pour ses précédents opus. Je trouve qu’il n’y a aucun style, c’est en effet "facile" à lire. Les personnages sont des caricatures : Olga, l’attachée de presse, Jed. Tout est énorme, je n’y ai pas cru.
Je ne crois pas du tout à son projet balzacien.
J’ai lu grâce à Etienne l’édition Garnier Flammarion. Même si la préface dévoile une bonne partie du livre, je l'ai trouvée intéressante et érudite... bien plus que le livre. J’ai adoré les notes en bas de page. Même plus besoin de lire ses autres livres !
Je me pose la question si ce n’est pas une fumisterie... un peu comme Jeff Koon.
Je ne peux donner plus mon avis car je n’ai pas fini de lire le livre.
Monique L
Ce roman se lit aisément. L'écriture est fluide, agréable ce qui en rend la lecture extrêmement confortable. Le style m'a plu : dépouillé, apathique voire dépressif avec une pincée d'humour mais rarement agressif.
Un bémol : j'ai parfois été agacée par des définitions genre Wikipédia et des listes d'éléments techniques qui coupent le récit ainsi que par des détails de la vie quotidienne - qu'il s'agisse des menus de restaurant, des marques de gadgets électroniques…
Beaucoup de thèmes abordés (trop ?) : vieillesse, maladie, déclin des hommes, de la France, et de l'Occident en général, argent, impostures artistiques et médiatiques, de l'art et de l'artiste et de ce que celui-ci nous apporte de sa vision du monde, de la société, des autres, la relation qui existe entre la réalité et la fiction, entre l'objet et sa représentation, entre l'être et la pensée.
Le territoire est le monde réel (imparfait et voué à la mort), la carte la représentation qu'on s'en fait (idéale et intemporelle), et Jed affiche en lettres capitales que "LA CARTE EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRITOIRE". C'est l'histoire d'un homme qui prend la vie comme elle vient. Rien ne semble atteindre Jed Martin, ni l'argent, ni les paillettes, ni la gloire. Il est indifférent au monde qui l'entoure. Il passe Noël avec son père mais ils n'ont rien à se dire. Sur le plan professionnel, il rencontre le succès sans effort et sans vraiment le mériter. Sa relation détachée avec Olga en dit long sur son égoïsme. C'est une solitude d'abord subie, puis choisie comme havre de paix.
Le roman est axé sur le monde de l'art contemporain, de l'argent et des médias avec de truculents passages sur des personnalités contemporaines et de nombreux noms de marques. Sa satire est vive et piquante. C'est une critique acerbe et pessimiste de notre société, promise à la déliquescence.
J'ai apprécié la mise en scène de Houellebecq par lui-même. Le comique prime sur la mégalomanie et il se décrit comme un écrivain asocial, dépressif, alcoolique, assidu des bordels thaïlandais et accro à la charcuterie. C'est pathétique, mais conforme à l'image qu'il veut donner de lui : suffisamment antipathique pour qu'on le laisse tranquille. Il excelle à déliter ce que le monde des médias à créer autour de sa personne. L'auteur s'amuse avec son image, qu'il nous renvoie sous formes multiples : le personnage Michel Houellebecq écrivain, c'est lui mais également Jed Martin, artiste peintre et photographe, et Jean-Pierre Jasselin, le commissaire qui mène l'enquête dans la troisième partie, ainsi que le chien dépressif comme par hasard prénommé Michel.
L'humour n'empêche pas une réflexion lucide et visionnaire sur notre époque, et sur l'importance de l'image qui masque la véritable personnalité : celle de Beigbeder, de Pernaud ou encore Lepers et bien entendu la sienne.
L'irruption imprévue d'un crime avec enquête policière dans le dernier chapitre, avant l'épilogue, donne un coup de fouet ultime, un second souffle, au rythme du roman. La fin et la fusion dans la nature m'a un peu soûlée. Trop long pour moi.
Au final, cela se laisse lire, mais je ne suis pas sûre d'en retenir quelque chose sauf une ambiance. J'ouvre à moitié.
Etienne, entre et
Je l'ai lu il y a deux ans (pour ce jour, j'ai lu en parallèle
Les particules élémentaires). Je suis très partagé. Cette lecture est très addictive, en lien avec l'architecture du roman très maîtrisée. Les chapitres sont ciselés. Cela tranche avec l'image de Houellebecq lors de ses interviews. De manière plus ambiguë, la lecture a un côté voyeuriste, un peu comme de la télé-réalité. Il y a une virtuosité des idées dont rend compte l'introduction de l'édition GF, qui montre tout ce que l'on suppose qu'il a voulu dire ; la préface est pour moi indispensable, elle m'a permis de rehausser mon appréciation ; mais je pourrais lui reprocher de ne pas se mettre à notre niveau. Ce n'est pas une lecture plaisir. Les personnages sont détestables. L'humour tend vers le cynisme. Dans Les particules, il y a de la poésie, qui manque dans La carte. J'ouvre entre moitié et trois quarts.

Rozenn
Je déteste. C'est complaisant et pas plaisant, faiseur, prétentieux. C'est du remplissage. J'avais apprécié
Extension du domaine de la lutte. Soumission, c'était intéressant, mais ça faisait flop. Les passages sur l'art m'ont ennuyée et je n'ai pas aimé son humour. Les notes de bas de page m'ont fait du bien. J'ai aimé le film où il se fait enlever, ça fait du bien tellement il est chiant. C'est du Céline : le procédé et les personnages sont détestables. Il y aurait peut-être eu quelque chose à tirer des relations avec son père. Pourquoi cette rallonge policière ? Je lis Le maître et Marguerite, je vais presque aimer. Je ferme et je jette.
Claire

Il y a 20 ans quand nous avions lu dans le groupe Les particules, j'étais la seule à avoir aimé. Pour l'instant je ressens la même chose (je parle d'aimer, ah que je souffre…). J'avais lu La Carte et le Territoire à sa sortie et avais beaucoup aimé (ayant oublié moi aussi, mais comme tout ce que je lis). J'ai lu Sérotonine qui m'a beaucoup plu, puis j'ai relu La Carte, mais dans l'édition annotée. Je trouve le livre remarquable, et j'en apprécie l'ambition. Je me souvenais qu'il traitait de l'art (et à ce moment-là, tout comme lorsque nous avions lu Autoportrait de Jean-Philippe Toussaint, qui a pour personnage de roman Jeff Koons, je n'avais pas vu l'exposition Jeff Koons super énervante que j'ai vue par la suite...), mais j'y ai trouvé bien davantage.
J'aime le jeu, les jeux : avec la langue, avec la fiction, notamment avec son personnage qui est lui-même, avec Wikipedia même. Je rejoins Etienne sur l'architecture du livre, avec les glissements temporels par exemple. J'aime le ton, la distance, la dérision mêlée au plus grand sérieux. Il y a une tension narrative tout le temps, il raconte des histoires. Et il embrasse plein de thèmes (dont l'art). C'est presque tout le temps profond, il donne à réfléchir. Et c'est ludique aussi. C'est jubilatoire à beaucoup de points de vue. Je suis enthousiaste.
Je le rapprocherai d'Annie Ernaux.

Etienne
Tout à fait d'accord.

Claire
J'ai deux petites réserves : quand il donne la parole longuement à un autre personnage, la voix n'est pas suffisamment personnelle ; j'aime bien les temps documentaires, mais j'ai ressenti une petite lassitude quand on suit Jed au centre commercial en attente de son vol... Mais je pardonne...
Pour ce qui est de l'édition d'Agathe Novak-Lechevalier, qui est devenue LA spécialiste, les notes oscillent entre deux défauts : simpliste et pédant ; mais entre les deux, on a de quoi apprécier.

Etienne
Tu les as toutes lues ?

Claire
Oui. Et j'aime bien quand elle renvoie aux autres livres. Quant à l'introduction, ça ne va pas du tout de la placer avant, ce n'est pas une préface, c'est une étude et elle dévoile tout, je l'ai heureusement lue après. Elle parle peu de l'écriture, mais surtout du contenu, et encore moins de l'effet sur le lecteur, dommage.
Christelle
Je me retrouve dans tout ce qui a été dit par ceux qui ont apprécié et par ceux qui au contraire ont peu aimé, car je suis vraiment partagée. Sur la construction, je trouve que c'est un tour de force. Il y a des choses profondes sur la vie artistique, l'inspiration, l'évolution de l'œuvre de Jed. Que Houellebecq réussisse à ce qu'on puisse "voir" les tableaux et autres œuvres de Jed, les apprécier, m'a impressionnée. Je me suis plutôt ennuyée à la fin. Est-ce parfois un produit marketing car il introduit des notions et des personnages people ? Il y a beaucoup d'humour et même de la dérision, notamment quand l'auteur parle de son propre personnage lors d'une visite de Jed en Irlande. J'ai eu parfois l'impression que son humour se retourne contre le lecteur : après la scène de crime, on attend une explication, l'enquête... et non, on a alors une description sur plusieurs pages des problèmes de fertilité du commissaire et surtout ceux de son bichon...
J'ai même oublié quel autre livre j'ai déjà lu, il y a bien longtemps. C'est peut-être lié au nombre de thèmes abordés.
De nombreux personnages sont dans une grande pauvreté affective. J'espère que ce n'est pas le reflet de la société actuelle. J'ouvre aux trois quarts.
Denis
Dans l'ensemble, j'ai été déçu par ce livre que j'ai trouvé plutôt anodin. Rien qui me donne à penser. Je l'ai lu sans déplaisir, mais ne suis allé au bout que par curiosité, pour voir comment cela se termine – et pour tenir mes engagements intérieurs vis-à-vis du groupe. J'admets que l'assassinat de Houellebecq, avec sa mise en scène, est inattendu. Mais elle me paraît totalement parachutée, sans lien avec l'histoire principale. Par ailleurs, cette mise en scène de sa propre mort, dans des conditions horribles, cela m'a d'abord paru original, "un bon truc narratif", mais c'est quand même horrible, et morbide, ou totalement narcissique.
J'ai trouvé le style assez plat, dans l'ensemble, mais assez agréable. Il y a de l'humour, de la satire – mais aussi des lon-gueurs (j'ai sauté des pages sans que cela perturbe trop ma lecture...). Et alors, recopier Wikipedia ! Sommes-nous censés lire tout cela ?
Les considérations sociologiques m'ont rappelé les Mythologies de Barthes. Je me trompe peut-être car je n'ai pas ressorti le bouquin, mais j'en ai un souvenir ébloui à côté duquel Houellebecq me paraît bien pâle.
Le profil du personnage principal, l'artiste, me paraît irréaliste. Tout lui réussit, comme c'est facile ! Un surhomme ! Certes, il se donne du mal, mais comment se fait-il que la sauce prenne aussi bien, que le succès lui vienne sans qu'il y soit pour grand chose ? Qu'a-t-il de si séduisant, que la plus belle femme de Paris, ou presque, soit amoureuse de lui ?
Et des opérations marketing bien montées ? L'excellente attachée de presse ?
C'est peut-être là que je pourrais faire une autre lecture du livre, non comme un roman, mais comme une étude de cas à la Bourdieu, en voyant le héros comme un archétype révélateur des mécanismes sociaux du marché de l'art. J'avoue que j'ai été très intéressé par les arguments de Claire en ce sens.
J'ouvre au quart, pour compenser la mode hallucinante des œuvres de cet auteur. Mais j'en lirai peut-être d'autres du même... Que de contradictions !

Danièle
Vous parlez d'enquête, d'art, ça ne me dit rien du tout. Je ne me suis pas aperçue tout de suite en vous écoutant que je m'étais trompée de livre, parce que Houellebecq, c'est un univers. La carte et le territoire, je l'avais lu auparavant.

J'ai été très soulagée de vous entendre dire que vous avez tout oublié de vos lectures d'Houellebecq, même si vous les avez trouvées intéressantes sur le moment. C'est mon cas également, même si je reste une fan d'Houellebecq. J'ai voulu lire Sérotonine dès sa parution, où j'ai retrouvé le même univers. J'aime cette langue, très contemporaine et sans fard. J'aime l'atmosphère, aussi, qui me fait penser à Vernon S ubutex Subutex, dans la lente déchéance que l'on retrouve dans Sérotonine. En entamant un livre de lui, on se retrouve dans un univers familier, avec des mises en scène quasi obsessionnelles, par exemple la mise en scène de sa mort dans La carte et le territoire, et, dans Sérotonine sa disparition sociale qu'il organise. À vrai dire, je ne sais pas à quoi cela correspond. Mais je constate qu'il a besoin de s'évader de sa propre personnalité.
J'aime aussi sa façon d'égratigner tous azimuts, en fait une manière assassine de critiquer d'un coup de plume, que l'on retrouve dans tous ses romans. Par exemple : "femme, au sens pré-féministe du terme" ou "la lecture de Christine Angot (enfin, des cinq premières pages)".
J'ai été étonnée de trouver dans Sérotonine des descriptions très poétiques et très émouvantes du bonheur, et même, l'apologie romantique d'un bonheur bourgeois, avec Camille. J'ai plutôt aimé.
Dans une interview donnée aux Inrocks, il dit "finalement je pense très peu". Cette remarque a rétro-éclairé ma lecture de façon lumineuse. En effet, il constate. Il a des intuitions, sans porter de jugement. Il vit en symbiose avec son temps, mais en même temps, il l'observe, en considérant les phénomènes de société. En effet, il ne pense pas, il est un niveau au-dessus.
J'ouvre Sérotonine aux trois quarts, à cause du début, où ses obsessions sexuelles, et l'image outrancière qu'il donne du narrateur, tombeur de filles toutes plus intelligentes et belles les une que les autres, laisse croire trop facilement que c'est l'image inverse de l'auteur. En fait, le doute plane. Mais ce n'est pas le côté le plus intéressant du livre à mon avis.

Fanny
Si c'est tous ses livres sont comme ça, je ne rempile pas. Et je n'ai pas eu le temps d'oublier. Je n'ai pas grand-chose à faire du chauffe-eau de Jed. Et quand arrive Houellebecq… j'ai l'impression qu'il devient le personnage principal et je trouve qu'il joue de la confusion entre l'auteur et le personnage. Il y a sûrement une analyse sociologique. Et de l'autodérision. Je peux comprendre, un peu, l'approche intellectuelle. Mais c'est très, trop, autocentré, il se fait plaisir. Et les trois pages sur les testicules du chien Michou !...
Pour ce qui est du style, ce n'est pas transcendant. C'est facile à lire. Je reconnais une forme d'originalité. Le passage policier m'a apporté un peu de piquant mais j'ai eu l'impression qu'il joue sur les registres littéraires sans aller au bout. La toute fin, pourquoi pas, mais l'explication non, il donne l'explication de ce qu'il suggère au lecteur ! Sans cela j'aurais ouvert un quart, mais du coup je ferme.
Jacqueline
Je ne l'aurais pas lu sans le groupe. Je n'ai eu aucun plaisir. Qu'est-ce que les gens y trouvent, me suis-je dit ? J'ai commencé par prendre les personnages du tableau comme des personnages qui allaient apparaître. Eh non ce sont des personnages du tableau, je me suis fait avoir. Je ne suis pas sensible à cet humour léger, sans plus. Je l'ai lu jusqu'au bout. C'est bien écrit. Il y a une distance, pas d'émotion. C'est un monde qui ne m'intéresse pas. Le monde est un peu celui de Virginie Despentes, mais qui elle a un langage adapté, là non. Il y a des piques sur Christine Angot. Il y a sûrement des choses intéressantes. L'intrigue policière ? J'ai tout de suite pensé que c'était le tableau le mobile du meurtre.

(Admiration de l'assistance)

Jacqueline
J'ouvre un quart. (Souffrance réitérée de Claire)
Geneviève
J'ai acheté par hasard l'édition Garnier Flammarion avec la préface et les notes. Je me suis auparavant laissé convaincre trois fois de lire Houellebecq. Avec Les particules élémentaires et Extension du domaine de la lutte, je me suis ennuyée. Plateforme m'a mise en colère. Cette fois j'ai donc traîné pour m'y mettre : chez Gibert, je cherche aux H en littérature française, pas de Houellebecq ; je demande au vendeur, qui m'indique que pour Houellebecq il y a une table entière, dédiée à son œuvre complète... J'ai personnellement trouvé la préface très bien, elle m'a facilité la lecture en la contextualisant et en donnant des éléments d'interprétation que je n'avais pas. Cela a rendu la lecture plus intéressante. J'ai notamment beaucoup aimé l'idée de la superposition entre la carte, la carte Michelin, et le territoire, le paysage réel et recréé par la photo et le dessin. Cependant, je suis toujours gênée par les stéréotypes grossiers comme la description d'Olga, caricature de la blonde ambitieuse. Malgré l'intérêt des notes, j'ai parfois l'impression qu'elles attribuent au texte une profondeur qu'il n'a pas. Je reste donc perplexe sur l'importance de Houellebecq comme auteur, même si je trouve l'interprétation de Danièle très intéressante. Je n'ai lu qu'à peu près la moitié du livre mais je vais essayer d'aller jusqu'au bout. Par conséquent, j'ouvre le livre à moitié.
Françoise D
J'ai lu tous les livres. J'ai aimé à divers titres. Je suis très contente qu'on l'ait choisi. Je l'ai relu. J'avais retenu de La carte et le territoire la France qui se transforme en territoire touristique. J'ai retrouvé beaucoup de choses. On peut dire c'est génial. Il pointe les lieux communs. Il met le doigt sur la façon dont fonctionne la société, il est très lucide. Soumission, je n'ai pas aimé mais il y a une fulgurance il va jusqu'au bout.
Michel Houellebecq se met en scène, sans complaisance, avec un recul sur lui-même ; c'est courageux comme disait Christelle.
Je ne connais pas d'autres exemples d'un.e écrivain.e qui se mette en scène dans son roman (je ne parle pas d'autofiction évidemment). Houellebecq le fait avec brio, et avec le recul nécessaire.
On dit souvent que les auteur.e.s français.e.s contrairement aux Américains ne parlent pas de la société et du monde actuels. Mais si, on a Houellebecq ! Ainsi dans La Carte, l'artiste s'adresse ainsi à son père : "il se mit à parler et ses tableaux, de ce travail qu'il avait entrepris il y a une dizaine d'années déjà, de sa volonté de décrire, par la peinture, les différents rouages qui concourent au fonctionnement d'une société" : je pense que c'est le projet de Houellebecq par l'écriture. Et on s'aperçoit qu'il est très au fait de tout ce qui se passe, dans les détails, et qu'il nous en rend compte avec une interprétation très critique. C'est salutaire !
Il y a aussi beaucoup d'humour. Je n'ai pas été gênée par Wikipédia. On ne le lâche pas. J'ouvre en grand.

Fanny
Je reviens à ce qui m'a gênée, il est vraiment très centré sur lui-même, je pense à la scène du cercueil, c'est comme si même sa mort ne pouvait pas être ordinaire.

Claire
C'est un personnage, pas l'auteur.

Henri
On confond la carte et le territoire.

Denis
Vous vous souvenez de Châtelus-le-Marcheix dans la carte Michelin ?
J'ai une petite maison là, et c'est aussi grâce à la carte Michelin que nous avons choisi ce coin, mais avant d'avoir lu La carte et le territoire... C'est également non loin de là que se situe une partie du roman d'Echenoz que nous avions lu (Envoyée spéciale, les éoliennes)... Je reste stupéfait de cette coïncidence. Mais... est-ce bien une coïncidence ?

Claire
Par ailleurs, je trouve extraordinaire ce qu'il fait sur la démarche de création d'art contemporain de Jed, il invente une véritable œuvre.

Annick A
Ça je suis d'accord !

Claire
Je voudrais lire deux petits textes :
- un commentaire d'Agathe Novak-Lechevalier qui montre bien les glissements temporels que je trouve formidables (éd. GF, p. 24) :

La Carte et le Territoire ne cesse d'enchevêtrer des dynamiques temporelles hétérogènes : sauts vers le passé, irruptions brusques du futur, le roman procède par bifurcations, par saccades qui rompent la linéarité chronologique. À peine fait-on la connaissance de Jed qu'on se trouve ramené "un an auparavant, à peu près à la même date" (p. 44) ; à peine le récit a-t-il résorbé cet écart que nous sommes à nouveau projetés en arrière, plus loin encore, pendant l'enfance de Jed – mais à cet ample retour en arrière se superposent soudain des commentaires issus des travaux des historiens de l'art qui, bien après sa mort, étudient l'œuvre de l'artiste. D'où parlent ces exégètes ? À quelle date situer l'"aujourd'hui" qui apparaît à plusieurs reprises dans le roman (p. 203 et 406) ? Difficile à dire, dès lors que la narration s'opère après la mort fictive de l'auteur du récit. Que la narration soit toujours ultérieure à l'histoire racontée, c'est le présupposé implicite de la plupart des romans (ce qui inverse le cours du temps : l'origine est toujours après). Mais le roman houellebecquien matérialise presque toujours cet après-coup de la narration, et en même temps qu'il la met en évidence, la rend problématique, impossible non seulement à situer mais concevoir.

- et un poème :

NON RÉCONCILIÉ

Mon père était un con solitaire et barbare ;
Ivre de déception, seul devant sa télé,
Il ruminait des plans fragiles et très bizarres,
Sa grande joie étant de les voir capoter.

Il m'a toujours traité comme un rat qu'on pourchasse;
La simple idée d'un fils, je crois, le révulsait.
Il ne supportait pas qu'un jour je le dépasse,
Juste en restant vivant alors qu'il crèverait.

Il mourut en avril, gémissant et perplexe ;
Son regard trahissait une infinie colère.
Toutes les trois minutes il insultait ma mère,
Critiquait le printemps, ricanait sur le sexe.

A la fin, juste avant l'agonie terminale,
Un bref apaisement parcourut sa poitrine.
Il sourit en disant : "Je baigne dans mon urine",
Et puis il s'éteignit avec un léger râle.

(extrait de La poursuite du bonheur)

Claire (devant les mines accablées)
J'adore...
Je me demande si ce qui explique le rejet par certains du roman, ce n'est pas ce genre de distance... qui tient... à distance.


LES AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN


Inès (avis transmis)
J'ai lu environ 230 pages (je me suis arrêtée lorsque Jed retrouve Olga).
Je le ferme complètement, je n'ai pas aimé ce livre, car j'ai trouvé l'écriture et le style plat et sans intérêt. Je trouve les personnages caricaturaux, ils n'ont rien à transmettre et rien à dire. Je ne comprends pas où va l'auteur ; peut-être que je le découvrirai en finissant le livre mais j'ai des doutes. Au bout de 150 pages, j'ai commencé à sauter des mots dans ma lecture et c'est vraiment le signe que je m'ennuie. La scène par exemple où il y a 4 pages de description du tableau de Jobs et Bill Gates (lors de l'expo) est d'une longueur... C'est à l'image du livre entier je trouve.
Ce n'est ni une fiction complète ni un "essai" complet, vraiment je ne comprends pas ce qu'a cherché à faire l'auteur et ce qu'il a cherché à transmettre et à dire.
Et Houellebecq qui parle de Houellebecq... quelle horreur... mais ça, c'est sans doute parce que je n'aime pas le personnage (le vrai).
Voilà, j'aurai aimé être là ce soir, pour entendre tous vos avis et peut être changer le mien. J'ai hâte de les lire en tout cas !
Françoise H
J'ai lu ce livre pendant le week-end, avec deux autres de Houellebecq. C'était une lecture facile, un page turner, même, presque trop facile. Après, j'ai fait une dépression !
L'auteur appuie sur les ravages du capitalisme libéral, la société atomisée, la parfaite indifférence, l'égoïsme, chacun se tourne vers ses instincts. Il nous parle de ses névroses. Par son côté scrupuleux et amoureux de la technique, il nous parle de la France d'avant, il a le fantasme de cette France des paysages, de cette société reconnaissable. Son imaginaire est réactionnaire. Il parle beaucoup à notre inconscient collectif. J'ouvre ce livre complètement.
Ana-Cristina
Houellebecq est un auteur qui est tellement doué qu'il semble s'amuser avec les mots comme un enfant joue avec les éléments d'un jeu de construction. Un enfant très éveillé qui jouerait non pas pour créer un monde à la mesure de ses rêves, mais à la mesure de ses cauchemars. Les mots sont pesés et bien placés. Les phrases sont posées et bien agencées. La composition est réfléchie et adéquate.
L'ensemble forme un style étonnamment aérien et terrien à la fois. Il y a dans ce roman à la fois de la sensibilité et de la pensée. Je dirais volontiers que son écriture est équilibrée. Cette œuvre illustre à merveille cette formule à laquelle je suis attachée : "Le propre de l'émotion vraiment littéraire, c'est de laisser de la place et de l'emploi à la pensée."
"Vérité", page 381, est un mot écrit en italique. Pourquoi ? Les mots écrits en caractères penchés dans ce roman sont nombreux. Je pense que c'est un procédé que Houellebecq a choisi pour attirer l'attention du lecteur sur leur "dévaluation".
L'auteur mêle avec beaucoup de talent et de façon inextricable l'humour, le désespoir et une vision poétique du monde. D'ailleurs, le désespoir n'est-il pas souvent à la source de l'humour ? Houellebecq jongle avec son désespoir avec beaucoup d'adresse. C'est du grand art. Et page 128 : "La dalle du centre commerciale Olympiades était déserte en ce matin de décembre, et les immeubles, quadrangulaires et élevés, ressemblaient à des glaciers morts.". De la poésie tout simplement.
Et pages 170 et 171, très drôle : Houellebecq (le personnage) pleure sur ses "trois produits parfaits : les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur portable-imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend" qui ne se vendent plus et qu'il aimait tellement. Il raconte son immense déception de façon magistrale. Il conclut son envolée lyrico-humoristique par "C'est brutal, vous savez, c'est terriblement brutal." Disproportion, entre les causes et la qualité de l'émotion éprouvée, provoquée par l'ivresse : "Il se mit à pleurer, lentement, à grosses gouttes, se resservit un verre de vin." Houellebecq a aussi indéniablement un don de conteur, cet exemple le prouve, mais aussi page 215, l'épisode qui relate le second repas de Noël entre Jed Martin et son père qui va bientôt mourir. Houellebecq a vraiment su trouver le ton juste, la bonne distance. De la pudeur : pourquoi la mère de J. Martin s'est-elle suicidée ? Réponse : "probablement est-ce qu'elle n'aimait pas la vie, et voilà tout." ; un détail qui rend si réelle la scène, lui donne du relief : le fils fatigué qui somnole ; et de l'humour, pour éviter de sombrer dans le pathétique, le dilemme autour des profiteroles : doit-il les servir ou non ? J'ouvre le livre en grand.
François
Je trouve Michel Houellebecq génial dans l'évocation du quotidien, il est romantique, mais sans illusion sur le réel. On peut le lire comme un mode d'emploi. C'est un très grand poète, j'ai beaucoup aimé ses poèmes lus par Hugues Kester, et notamment "Hypermarché Novembre".
MH a un côté midinette géniale, et en même temps il est très cultivé. Il exprime extraordinairement le malaise de notre société, avec un humour féroce, et l'art du portrait (Beigbeder, Julien Lepers). C'est presque proustien, ironique. Il a une grande lucidité, un vertige, on le sent très complexe, mais déchiré entre le romantisme et l'inhumanité du monde. Il a pris un sismographe de la société actuelle. Un peu mystique, peut-être, son écriture nous parle, il a un style. J'ouvre en grand.
Monique M
Je n'avais jamais lu Michel Houellebecq. Sa réputation sulfureuse m'en avait écartée. J'ai donc découvert l'écrivain et aimé ce livre moderne, sarcastique, lucide, intelligent, sans complaisance y compris vis-à-vis de l'auteur lui-même qui se met en scène avec autodérision. M. H. y développe de façon brillante une vision ultra pessimiste de notre société, porte un regard acéré, sans compromission sur le monde du business, de l'argent, des médias, des galeries d'art, dont les œuvres atteignent sans justification des prix faramineux, sur l'hypocrisie du monde, son aveuglement, la façon dont il court à sa perte dans sa course folle et son envie effrénée de consommation, par avidité, négligence ou simple insouciance. La fin est terrifiante pour l'avenir qui nous est promis.
Le regard de M.H. sur la société actuelle est distant, il observe le monde de loin, avec détachement, de façon lucide, comme un extra-terrestre. Il est partie prenante de ce qu'il dénonce tout en restant à l'écart : c'est très intéressant. Jed Martin, alias MH, lui sert d'alibi pour observer le monde et faire ses commentaires, tendres ou violents, car il y a aussi de la tendresse dans le livre, les passages avec le père notamment, lorsque celui-ci lui raconte sa vie, ses rêves d'architecte dans le sillage de Fourier et ses renoncements parce qu'il lui a fallu gagner sa vie, sont superbes.
Il flotte une odeur de mort, tout au moins de pourrissement tout au long du livre. A l'image du chauffe-eau qui émet des craquements sinistres, le monde peu à peu se délite. Les fleurs, (vagins bariolés livrés à la lubricité des insectes, SIC), ont une beauté triste car elles sont fragiles et comme toute chose, destinées à la mort… Le monde, le théâtre d'une parodie où les nantis et les peoples jouent leur partition entre eux, de façon convenue, se reconnaissent, fréquentent les mêmes lieux, ont leurs référents, leur vocabulaire… Tout ça est très noir !
Je salue l'audace du propos, aime, souris ou suis émue en découvrant :
- le style moderne, fluide, au vocabulaire cynique, drôle, prenant, de MH qui décrit avec justesse et humour ce qui se passe entre les participants au vernissage de l'exposition (p. 75, 76) ; peint de façon factuelle, ultra réaliste, sans ornement, les rues, les immeubles, les cours, les hypermarchés, les restos, les locataires, les SDF… Pas d'émotion, que des constats.
- Son regard ironique sur les dirigeants aux formules rabâchées et ridicules : "We are a team ! Nous sommes dans le win-win" sur l'attachée de presse, petite chose souffreteuse au vagin inexploré ! Celui, impitoyable et bien vu sur les people : le visage souriant et prévisible de Michel Drucker ; Julien Lepers en smoking soirées spéciales grandes écoles ; les présidents démocrates américains botoxés lubriques ; les membres du PAF, Jean-Pierre Pernaut dont la tache messianique guide le spectateur, terrorisé par l'actualité violente, rapide, frénétique, vers les régions idylliques d'une campagne préservée ; la soirée chez JP Pernaut ou MH caricature et ridiculise les participants.
- La construction du roman aux idées originales (une expo sur des cartes Michelin, le fait de se mettre lui-même en scène dans le roman, l'assassinat avec les morceaux des corps, découpés au laser, répartis sur le sol comme une œuvre de Pollock).
- Les moments décalés, mélancoliques : le rendez-vous dans le café ou un vieillard très maigre en pardessus gris, un petit ratier blanc et roux a ses pieds, s'assoupissait devant son Picon bière, pendant que Franz évaluait en millions d'euros le prix moyen des tableaux de Jed.
- Le dîner de Noël avec le père, homme entreprenant et dynamique qui avait dirigé parfois avec dureté des d'entreprises et que l'approche de la mort rendait humble, vulnérable… Ce passage est l'objet d'une évocation très intéressante de Fourier, des architectes des années 50, Van Der Hove et Le Corbusier, de Williams Morris, les préraphaélites, Gabriel Rossetti et Burne-Jones (qui dénonçaient l'art coupé de toute spiritualité dès le début de la Renaissance pour devenir purement commercial, que ce soit Botticelli, Rembrandt ou Léonard de Vinci), exactement comme Jeff Koons ou Damien Hirst aujourd'hui (p. 226, 227). Tout ce passage passionnant sur ces artistes est entrecoupé de visions du père suspendu dans ses souvenirs, puis se tassant sur lui-même, rapetissé amenuisé, repris par son âge avancé. Beaucoup de tendresse et d'émotion dans cet échange.
- C'est tellement foisonnant qu'on ne peut pas tout aborder. La fin est terrifiante. Après la violente critique des marchands de mort que sont les cliniques à euthanasie, usines à business aux dépens de la détresse humaine, on plonge dans un univers d'apocalypse : les crises financières se succèdent, le capitalisme est condamné à brève échéance, l'art n'est plus une valeur refuge, tout se délite… Jed tourne en rond et se surprend à parler à son chauffe-eau, a un cancer des voies digestives tandis que s'accomplit la fin de l'âge industriel en Europe. Les usines désaffectées, rouillées, à demi effondrées, se désagrègent, peu à peu recouvertes d'une sorte de jungle végétale (p. 428).
Ce récit est affreusement noir, mais on ne peut qu'admirer le talent de l'écrivain qui y souligne avec autant de justesse la dérive insensée de notre époque. J'ouvre en grand.
Anlon
"Son père tentait de sourire, un peu comme un homme qui cherche à montrer qu'il supporte vaillamment une amputation." Houellebecq tente de s'extraire du courant populaire tel le père qui tente de sourire – certes c'est un échec – son style s'abîme dans le ganachisme de tous ses contemporains ; la platitude de la langue populaire et infirme d'aujourd'hui infiltre les espaces entre les mots, entre les pages, les vidant de substance, de verve. Comparé à celui de Balzac qui est d'une grande préciosité, avec ses descriptions enluminantes de choses aussi animées qu'inanimées, de vraies relations humaines, de vraies étreintes émotionnelles, ou à celui d'Elena Ferrante, qui arrive dans Les jours de mon abandon à inséminer à foison la léthargie et l'état mortifère dans le personnage principal d'Olga, le style de Houellebecq paraît blême et dépourvu de caractère, simplet et sans singularité. Avec un lexique très élémentaire, ses tentatives de descriptions des personnages se limitent à la vulgarité et aux apparences physiques, ces dernières surtout quand il s'agit des femmes : d'Olga nous retenons sa beauté et ses fesses et d'Hélène ses seins en silicone ; la psychologie ou statique ou bipolaire des personnages n'aide guère à les faire sortir de l'unidimensionalisme et de l'irréalisme que peint le discours houellebecquien, d'une réalité livresque, illusoire, ni fait, ni à faire, qui est le sien. Il n'arrive par cela qu'à peindre les linéaments de ses personnages, linéaments grotesques et caricaturaux, sans leur y insuffler de la vie. Ces personnages vidés d'esprit, comme des ballons dégonflés, une réflexion de l'œuvre, sont ainsi, car, un des éléments indéniables de la lecture est l'après-coup : la stagnation des personnages et de l'entre-aperçu de leurs vies dans la mémoire du lecteur, même après que l'œuvre eût été lue des années auparavant, ces personnages qui prennent encore vie dans notre imaginaire quand nous y pensons aujourd'hui : ce que Houellebecq semble dans l'impossibilité de faire.
Même la juxtaposition entre les textes de fiction et de non-fiction est un artifice, une tentative de se distinguer non-réussie que Pauline Delabroy-Allard rend plus digest dans Ça raconte Sarah. Au contraire, les passages encyclopédiques et les dérisions de personnes qui souvenons-nous sont des êtres vivants dans le vrai monde, des êtres avec des émotions, avec des sentiments, sont comme des poids qui alourdissent l'œuvre : ils pèsent sur elle et sur sa moralité, la submergeant sous les vagues de la conscience, de l'attention du lecteur ; les citations d'articles de journaux, de traités d'art, qui sont d'une vilité sulfureuse dans une œuvre romanesque, n'ont elles aussi aucun apport autre que d'illustrer leur similitude avec l'écriture de Houellebecq : l'insipidité. Ce qui est gracieux par contre dans cette œuvre est que la dérision de personnes du monde culturel et économique est en elle-même une limitation de soi : elle ne peut qu'être comprise puis délestée par ceux qui côtoient ce monde – cette littérature ne peut donc pas être exportée vers un autre public, pourrir et empester une autre culture, les Français doivent la garder.
Encore y a-t-il l'ambiance littéraire qui doit être partagée par les deux parties, scène de vie d'homo viator et scène de crime, et qui par cela dénature le second, lui donnant un aspect d'édulcoration inaccomplie : la scène de crime ressemble à une ébauche, un gribouillis enfantin, comparé à l'aura macabre d'une morbidité hyperréaliste, capable de catharsis, que réussissent l'écrivain-couple suédois Lars Kepler dans le série Joona Linna et Jean-Christophe Grangé dans La terre des morts. Ainsi, la vacuité apparente des personnages et du style qui, jusqu'à vider de sens et d'intérêt la totalité de l'œuvre, fait de cette dernière une ouverture à un quart. Car, malgré autant de défauts, l'œuvre reste cependant digeste.
Pourquoi cette tendance d'entrecouper la trame narrative de passages encyclopédiques ? D'introduire à la fiction la non-fiction ? Est-ce une tentative d'augmenter le niveau intellectuel de la société en général ? Ou est-ce une tentative de saturer l'intellectualité, de représenter la saturation d'informations disponible aujourd'hui ?

Séverine (de l'ancien groupe, transfuge ce soir-là...)
Je suis contente qu'on ait programmé ce livre. La relation père-fils m'avait frappée dès la première lecture. Il ne raconte rien, mais dit plein de choses. Il pointe l'état de la société, c'est très riche, sa culture est incroyable. Son côté très cru par moments est atténué ici. Ce livre traite de l'art contemporain, qui renvoie bien à l'absurdité du monde actuel. Il a une vision de l'économie étonnante. Il se met en scène. C'est un auteur qu'on aime aimer ou bien détester. J'ai bien aimé sa vision de la France qui devient une attraction touristique. J'ouvre en grand.
Léonard
J'ai tout lu de Michel Houellebecq, et je ne me suis jamais ennuyé en le lisant. Il est presque pédagogue. Il y a ici mille sujets, politiques, sociologiques, sur l'art contemporain, c'est très complet. Il se lit aisément. Ce que j'aime c'est sa liberté, il peut tout dire, il sera décrié, mais il se permet tout. C'est une perle, et ça fonctionne. Ce livre a certes été formaté pour le Goncourt, mais c'est bien qu'il l'ait fait. J'ouvre en grand.
Audrey
Je n'avais lu que Les particules élémentaires avant ce livre. C'est moi qui ai proposé La carte et le territoire au groupe de lecture car je pensais en effet qu'il susciterait beaucoup d'échanges et de réflexions. Les particules était cru et posait un regard, une analyse de la société qui me paraissait innovante et riche, en noir certes, mais fine et souvent juste. Là, j'ai été déçue, j'ai eu le sentiment à certains moments de lire une caricature de ce que j'avais trouvé dans Les particules élémentaires par des phrases crues, oui et pourquoi pas, mais dans un souci davantage de provocation que de recherche de fond et d'analyses.
Néanmoins je reconnais avoir trouvé un humour savoureux et débordant qui est en grande partie responsable du fait que MH sait nous emmener dans son œuvre. J'ai aussi aimé la structure de ce livre, la façon dont il mène son récit et le construit, ses allers-retours temporels, notamment.
Et puis son humour se mélange étonnamment à une forme de cynisme dans un sens commun de mépris des conventions sociales, de refus d'une hypocrisie (et ce à la fois dans le style de Houellebecq et dans le tempérament de ses deux personnages principaux). Il me semblé évident que MH affiche un côté désabusé avec une intention de provoquer. Tout ça est très caractéristique chez lui je trouve.
Je lui reconnais une capacité à analyser des situations de manière très bien vue et j'ai trouvé aussi dans ce livre des fulgurances, notamment la scène de la femme de ménage sur une aire d'autoroute qui tord sa serpillière en y faisant passer sa haine du monde et la tristesse de sa vie ; ce sont parfois des petits croquis très justes comme ça. De même, le premier repas entre père et fils dans un silence et une solitude glaçantes – silence et solitude, deux grands thèmes importants de ce livre.
Néanmoins, j'ai quand même le sentiment que lorsque l'on décide de ne pas voir la vie sous cet angle là, c'est-à-dire sous l'angle d'une certaine noirceur et d'un certain cynisme, cela retire à Houellebecq une partie de son génie et de sa justesse, cela fait prendre au lecteur une distance et une hauteur qui l'éloignent de cette crudité que l'on trouve trop souvent juste d'office dans l'analyse de Houellebecq.
Dans ce récit j'ai vu deux Houellebecq : Houellebecq et Jed sont les deux parties d'une même personne ; ils se retrouvent d'abord par leur solitude, leurs difficultés à créer du lien social, à s'ouvrir un monde immédiat et de par leurs activités créatrices (moi j'ai beaucoup visualisée l'œuvre peinte par Jed et c'est un challenge).
Je ne dirais pas que MH est dans le désespoir, car il savoure des choses (la littérature, en particulier).
L'épisode du radiateur, évoqué comme pouvant être objet d'étude pour une œuvre peinte ou écrite lors de la rencontre de Jed et de Houellebecq en Irlande, annonce des passages descriptifs type Wikipédia et cela m'a fait beaucoup sourire de trouver dans les remerciements un clin d'œil à ce site que j'ai eu l'impression de lire dans plusieurs passages du livre !
Je veux dire aussi qu'il y a un aspect de son œuvre qui m'a beaucoup déplu, c'est la façon de nommer des personnes et de les dézinguer en trois coups de cuillère à pot : par exemple, Julien Lepers "type un peu stupide" ou Alain Gillot pétré "ce guignol". Je trouve que lorsque l'on est un auteur à succès, dépeindre de la sorte et nommément des personnes est absolument destructeur, j'y vois une forme d'abus de pouvoir, absolument dégueulasse. J'ouvre seulement à moitié.
Anne
J'ai lu ce livre d'un trait, j'avais envie de poursuivre. C'est comme un thriller, c'est très violent. Michel Houellebecq doit être drôlement dépressif pour se mettre en scène comme tel, tout en rebondissant dans l'humour. Sur l'art contemporain, on n'arrive pas à visualiser ce que fait l'artiste, sinon qu'il peint à partir de ses obsessions. MH décrit bien comment l'art peut générer des fortunes à partir du vide. C'est intéressant. L'évolution de cet homme qui a été photographe connu, et qui tout d'un coup se met à peindre des tableaux qui valent tout de suite des millions : cela décrit assez bien la perversité du monde moderne. J'ai bien aimé l'assassinat de MH, ce qui a fait rebondir le livre, avec des personnages différents. Cela m'a fait penser à Boris Vian. Il ne reste pas de vie dans ce qui lui reste après la vente des tableaux. MH a constamment une merveilleuse ambiguïté sur tout. Les objets sont parfois ennuyeux, il pousse leur description jusqu'à l'ennui. J'ouvre aux trois quarts.
Anne-Marie
Je trouve ce livre fascinant. J'avais lu Sérotonine juste avant, et ce sont un peu les mêmes ressorts. C'est un livre sur la solitude, comme les précédents, et sur ce monde que l'on ne contrôle plus. MH nous fait rire avec du désespoir. Ses personnages ne sont pas capables d'aimer. Jed passe à côté d'Olga, qui l'attend et qui l'aime, mais il ne la rejoindra jamais. On sent qu'il ne sait même pas pourquoi. Jed est un zombie, happé par l'art. C'est amusant qu'il rencontre Houellebecq, son double, avec cette coquetterie sur lui-même. Il nous fait rire en se décrivant comme un personnage dégoutant, consternant. Le reste du monde contemporain ne trouve pas davantage grâce à ses yeux. Il déteste Picasso (il ose détester Picasso, ce qui est rare, car personne n'ose le dire !), se moque des présidents américains "enthousiastes", "botoxés", "lubriques", déteste les journalistes, la presse stupide et conformiste. Même les enfants ne trouvent pas grâce à ses yeux, se sont de "vicieuses petites charognes". Il trouve que les enfants sont la continuité dans "ce monde de merde". Le PDG de Michelin est grotesque, il finit déguisé en crétin de banlieue dans une soirée en criant "yo"aux invités d'une soirée ultra chic.
Seule la relation de Houellebecq avec son chien est vivante. Le chien, seul ami fidèle qui ne demande rien en échange de son amour. Pourtant il existe quand même des valeurs au dessus de l'argent, ce qui apparaît dans la personnalité du père, qui travaille malgré tout pour autre chose que la renommée et le succès, qui regrette de n'avoir pas poursuivi ses rêves jusqu'au bout, et dans le personnage du commissaire de police, qui veut bien faire son travail et s'inquiète que son successeur ne trouve pas le coupable du meurtre. Même Jed veut "être utile" et aider le policier à éliminer un tueur. Ce sont des jalons d'espoir très discrets, montrant que l'homme n'est pas tout à fait perdu, dans un livre très pessimiste.
J'ouvre ce livre en grand.
Nathalie B
Je n'apprécie pas plus que ça Michel Houellebecq. Et contrairement à ce qu'il prétend, je trouve qu'il a plutôt les médias avec lui. Qu'il soit critiqué ou encensé, il fait parler de lui, ce qui est souvent le meilleur moyen de se faire connaitre et lire ! Il est agaçant de le voir se plaindre. Ce roman se lit vite et facilement. Mais je me suis ennuyée. Je m'attendais à ce que j'ai lu. C'était sans surprise. Il a une vision d'un monde, son petit monde. Dans ce livre dont un des sujets est l'art contemporain, il représente le petit monde de l'élite et de l'argent. Heureusement l'art contemporain ne se résume pas à Koons et Hirst qui ne sont que ceux qui se vendent le plus cher, plus businessmen qu'artistes selon moi. Si j'ouvre au quart, c'est pour l'humour et l'ironie. Le style est plat et gris et voulu tel. Le roman est plutôt morbide. Les hommes, il n'aime pas, il préfère les animaux. Vous parlez de sa lucidité mais sa lucidité s'exerce sur un certain monde, un certain milieu dans lequel il vit. Mais je préfère quand c'est Despentes qui en parle (comme dans Vernon Subutex). J'ai envie de lui dire : rencontre d'autres milieux, d'autres petits mondes, cela devrait aller mieux. À la fin, tout disparaît, hormis les plantes. Il est complaisant. Il faut lire à ce sujet Professeur de désespoir de Nancy Huston, où elle parle de lui.
J'ai bien compris qu'il n'avait pas reçu assez d'amour lorsqu'il était enfant. Très certainement c'est la raison pour laquelle il ne parvient pas à voir la vie en couleur mais uniquement en gris ou noir. On peut comprendre son point de vue, mais en aucun cas, je prétendrais qu'il est lucide. Il n'a qu'une vision étriquée du monde tel qu'il est. Beaucoup de choses lui échappent complètement, comme la solidarité, l'amitié. Je ne lui en veux pas. Je ne le déteste pas. Mais ce qui m'ennuie c'est qu'il puisse susciter un tel engouement. Il est vrai que notre société est un peu déprimée ces temps-ci. J'ouvre un quart.
David (avis transmis et lu en début de séance)
J'avais de ma première lecture il y a quelques années conservé un souvenir mitigé. Je trouvais je crois assez incongrue l'irruption du meurtre de Houellebecq, et d'une manière générale flottait autour du livre le soupçon d'avoir été formatté pour le Goncourt. Bref, pour un afficionado de la première heure, je craignais que ce livre fût un peu celui qui marquerait définitivement le passage d'un auteur fascinant à l'habitué des têtes de gondole de librairie, un peu comme quand j'avais découvert que tout le monde lisait désormais Murakami après que j'avais passé des années à le lire confidentiellement, presque pour moi.
A la relecture, il est certes vrai que Michel Houellebecq donne parfois l'impression de se parodier, mais il le fait avec une autodérision qui n'enlève rien à la portée profonde du livre. Alors, oui, certes, l'incessant name dropping du début peut irriter ou amuser, qu'il s'agisse d'artistes ou de produits de consommation à la manière de Brett Easton Ellis dans American psycho. Mais on retrouve vite le second degré, le style inimitable d'une phrase comme "rien décidemment ne semblait pouvoir stopper la progression des pâtes fraîches italiennes" ou les "organisations aériennes intrinsèquement fascistes".
Longtemps, j'ai cru qu'Houellebecq se désolait de l'emprise de la société de consommation sur nos vies, mais force est de constater qu'il trouve une poésie dans la fluidité des circuits, l'emprise des normes techniques et de la complexité des objets (comme le Perec des Choses mais dans un monde où la technologie a depuis longtemps dépassé les capacités d'entendement).
Houellebecq est tout sauf un écolo, voit "la voiture comme une des dernières zones d'autonomie", constate une déshumanisation implacable de notre monde ("le monde était tout sauf un sujet d'émotion artistique, le monde se présentait comme un dispositif rationnel"), mais n'attend rien des forces politiques (l'ultra-gauche qui devrait profiter de la désagrégation du monde capitaliste est assimilée à un ramassis de vieux marxistes masochistes). Jamais un dessein collectif ne semble trouver grâce à ses yeux, et c'est en décalage qu'il dépeint des personnages individuels qui auront à un moment de leur vie osé : le père de Jed par exemple. Ces personnages sont vertueux finissent la plupart du temps en échec.
Alors, tout flotte dans cet univers, les hommes sont pathétiques mais lucides, semblent danser dans une réalité désincarnée ; les femmes sont absentes ou plus précisément, comme souvent chez Houellebecq, elles interviennent comme forme rédemptrices, forme évitant le désastre humain total et que Jed ou le personnage de Houellebecq évoquent souvent sous la forme de souvenirs souvent érotiques ("on a vécu une vie pas si malheureuse que ça").
Une tyrannie du monde moderne sur les individualités, de rares personnalités qui surnagent comme Jed l'artiste mais qui ne tarde pas lui-même à voir son existence rattrapée par l'argent, et dont l'œuvre se focalise justement sur une vision un peu balzacienne des puissants (la conversation de Palo Alto…). Le livre est donc plus sombre que ses précédents où l'on pressentait une sortie par le haut des personnages (par l'amour notamment, même s'il finit tragiquement pour Bruno des particules ou pour le héros de Plateforme, mais aussi par la vision d'un sur-homme comme dans La possibilité d'une île).
Et malgré tout, quel style incroyable, quel humour (l'irruption des codes du porno dans l'imaginaire érotique des humains moyens), quel regard humain sur un monde qui l'est de moins en moins. L'ultra lucidité de l'auteur dénote certes un tempérament sans doute totalement dépressif, mais qui lui sert de matrice à l'analyse sans concession de notre monde, avec cette ironie mordante à la Philippe Murray qui rend cette lecture prodigieusement agréable, qui fait qu'on ne peut lâcher les livres de Houellebecq une fois qu'on les a entamés.


La synthèse des AVIS DU GROUPE BRETON réuni le 25 avril, rédigée par Jean (suivie de trois avis détaillés)

Christian (personnage clownesque sans intérêt)
Jean
(pas besoin de M.H. pour désespérer du monde)
Christine
(personnage "glauque")
+ Édith
(aurait aimé l'ouvrir plus, mais la troisième partie la dérangée)
Suzanne
(un livre "qui passe à côté de la vie")
Yolaine
Chantal
(paisible et sans joie)
Marie-Thé
Cindy

1 - Le livre : récit, construction
2 - L'écrivain, l'artiste
3 - Objet : drame de la mémoire et de l'attente
4 - Objet : l'art…
5 - Atmosphère


1 - Livre : récit, construction

Le récit est la description d'un monde dépourvu de sentiments, une description extrêmement précise et grinçante. Le fil conducteur est la décrépitude et la destruction : l'acide sur les claviers d'ordinateurs et les photos, laisser tourner le moteur de sa voiture… à laquelle rien n'échappe : sa maison est, pour un temps, un îlot de paix au milieu des usines de la Ruhr, lieu qui sera détruit, dans la dernière phase, par le triomphe de la végétation.

La description peut utiliser la métaphorique, sous forme de "vidéogrammes", d'une nature qui vient recouvrir les produits décrépis de l'industrie font l'objet de descriptions, forme très appréciée : "il perçut la surface gigantesque et ridée de la mer comme une peau de vieux en phase terminale".

La mise en scène est remarquée, voire appréciée, pour son humour et la dérision, mais considérée comme une vision globalement négative du personnage central - qualifié de "clownesque" à plusieurs reprises - et double de Michel Houellebecq qu'il va "tuer"... On s'interroge sur le sens de cette mise en scène macabre…. Pour effacer le semblant de bonheur qu'il avait trouvé à la campagne ?

On s'accorde pour trouver que les portraits sont justes, à défaut d'être intéressants.

Le livre est jugé très "people", original, avec des trouvailles dans l'expression. Détesté ou apprécié, les lecteurs/lectrices lui reconnaissent une écriture pulsionnelle (voir compulsionnelle à propos du sexe).
Ceux qui n'ont pas aimé trouvent que le récit ne fait pas rire, voire ennuie, et qu'il faut s'y reprendre à plusieurs fois pour trouver un intérêt. Ils sont incapables de trouver de l'intérêt aux descriptions des problèmes du chauffe-eau, sinon qu'il fait fil conducteur à travers le récit.

Bémol pour la partie polar… La troisième partie fait l'objet d'avis divergents : si tous y voient une énigme policière, elle a pu décevoir ou dérouter avec le sentiment mitigé que "ça arrive comme un cheveu sur la soupe".

2 - L'écrivain, l'artiste
Le livre retrace la vie d'un artiste, vie "rétrécie", d'un asocial. Un artiste qui n'est pas habité par son art et mène une vie "neutre". L'autodérision par laquelle il se met en en scène a plu. Mais les descriptions "fatiguent" certains lecteurs(trices) qui lui refusent la qualité de "littérature". Si le début est considéré comme bien écrit, avec humour, l'écriture semble (trop) facile dans la façon de décortiquer la vie contemporaine. "Ce n'est pas ce que j'attends de la littérature, je n'aime pas ce côté dépressif" (Yolaine)…

M.H. fait miroir social : il "tape" juste, il est dans l'air du temps".

Un visionnaire ? Artiste "fêlé" qui projette sa façon de fonctionner ?
Plusieurs lecteurs/lectrices y ont vu un auteur prémonitoire qui a une longueur d'avance, notamment par son livre Les particules élémentaires, considéré par certains(es) comme prémonitoire des attentats de Charlie Hebdo.

Est-il un artiste au sens de création soumise à l'appréciation du public ? Dans le livre, c'est une femme, sa compagne pour un temps, Olga, qui le met en la lumière : l'expo de son œuvre est portée par elle qui manage "pour attirer le chaland". Sans Olga aurait-il été "artiste" reconnu ?

Pour l'une, c'est une sorte de visionnaire de la décadence actuelle, qui surfe sur la névrose contemporaine. Cette haine de la modernité de notre écrivain national n'a rien d'original, homme à la recherche d'une mystique religieuse façon Pascal, diront certains, à la recherche d'un monde héroïque, moral et chrétien. Sexe contemporain ou culture chrétienne de la fornication !

Michel H. avance masqué et ne se laisse pas saisir (Christian) : est-ce la marque d'un véritable écrivain ? On pourrait y voir une sincérité cachée, marque d'un véritable écrivain nihiliste, façon Nietzsche. Baromètre de notre contemporanéité, Michel Houellebecq séduisant pour le public. Ce serait "le dernier homme", le nihiliste nietzschéen, parangon d'une civilisation sans Dieu.

Quel sens donné à la référence au peintre Pollock pour décrire la scène de crime, se demande Suzanne… Un lien factice ?
L'expression "Il a une tête à claque" fait quasiment l'unanimité !

3 - Objet : drame de la mémoire et de l'attente
Que faire du passé ? On peut voir dans le récit, une fable qui part de l'enfance… vers l'ennui ! La transmission, la filiation, s'avèrent impossible… Le chauffe-eau fait "point de mémoire". Le père se fera euthanasier sans l'avis de son fils.

4 - Objet : l'art
M.H. pointe le marché l'art… qui, de nos jours, justifie n'importe quoi et où les critiques du marché de l'art fixent des cotes qui se font et se défont en quelques jours. Sur ce sujet d'autres auteurs ont écrit, peut-être mieux que M.H.

Artiste, M.H. n'est pas surpris par son succès et, d'ailleurs, ne cherche pas à le comprendre.
L'artiste, pour lui, est soumis à des intentions créatrices, qui impliquent de détruire son œuvre. Il est sans projet (contrairement à son père) et met en scène sa propre destruction.

Il tourne ainsi l'art en ridicule, il détruit, l'œuvre doit être éphémère, lui-même fait des trucs laids qu'il n'aime pas. L'œuvre décrépie comme le corps décrépi dans le cancer...

5 - Atmosphère
Si le processus de création artistique est considéré bien fait (il y a de "l'épaisseur"), a-t-on besoin de M.H. pour savoir que le monde atroce et déprimant qu'il décrit, est le nôtre au quotidien ? Le titre lui-même pose question. S'agit-il d'attirer la curiosité pour le vendre ?

Le sentiment général est que le point de vue est très négatif. Certain trouve qu'il fait du bien par son humour féroce, d'autres estiment que quoiqu'il en soit, ce n'est pas un livre qui fait du bien.
Absence de sentiment humain à nuancer : un semblant d'humanité apparaît dans la relation au père, relation qui se met en place à travers l'art, l'architecture en l'occurrence. Construire un nid d'hirondelle : le regret de sa vie (du père).

C'est aussi un livre jugé "jubilatoire" par son cynisme à la Charlie Hebdo. Les animaux sont l'occasion de description cynique et rosse, le chien "Michou" pourrait être un dessin de Charlie Hebdo !

C'est un personnage qui passe à coté de sa vie. S'il n'est pas dans l'attente pour lui-même, il se moque de ce qui se passe autour de lui.
Plusieurs lecteurs/trices n'ont aucune envie de s'identifier au personnage de l'artiste.

Citation de Chantal : "Paisible et sans joie, définitivement neutre", pas gaie, pas gaie !

Yolaine
J'ai ouvert ce livre à moitié, non pas parce qu'il ne me plaisait qu'à moitié, mais parce qu'il m'a laissée partagée entre des sentiments contradictoires.
D'un côté j'adhère à l'enthousiasme que suscite cet écrivain contemporain et bien français : la qualité de l'écriture et l'humour ravageur permanent rendent la lecture jubilatoire. La complexité de la construction de l'ouvrage, qui a parfois été l'objet de reproches et d'incompréhensions lors de notre débat, me semble au contraire être une richesse. Livre sur l'art, sur la littérature, sur la création artistique en général, roman policier, chronique sociologique de notre quotidien contemporain, on peut y trouver tout ce qui fait notre vie, c'est une auberge espagnole, ou plutôt terriblement cadrée dans "l'hexagone", dans la "France profonde" puisqu'on finit par échouer du côté de Châtelus-le-Marcheix dans la Creuse. Cet art d'ironiser et de dénigrer tout ce qui tombe sous ses yeux de rapace est un sport national, même s'il atteint des sommets chez Houellebecq. J'admire également l'intelligence et la sensibilité exacerbée de l'auteur, sa présence aiguë aux choses et aux gens, sa grande sensualité, masquées sous des dehors de loup des steppes, son talent incroyable pour capter l'air du temps.
Mais je ne peux m'empêcher d'être un peu agacée par ses ricanements systématiques, ses critiques négatives qui me semblent être parfois des artifices un peu faciles et lassants, ses références omniprésentes à l'actualité parisienne et mondaine dans ce qu'elle a de plus factice. C'est sans doute une des raisons qui font que j'ai tendance à oublier ou à confondre ses livres dès que je les ai lus (et j'ai pu constater avec soulagement en lisant les commentaires des autres groupes que je ne suis pas seule dans ce cas). Vision apocalyptique du monde qui se termine en décomposition inéluctable et sans guère de réconfort. J'ai tendance à attendre de la littérature qu'elle me fasse réfléchir, mais aussi qu'elle me donne de l'espoir et me montre le chemin d'un monde meilleur – naïveté sans doute.
Il y avait toutefois aussi dans ce roman des pages de grande tendresse écrabouillée entre Jed et son père, de souffrance contenue à l'évocation de la mère disparue dans des circonstances inacceptables, de vraies larmes qui font aussi de cet ouvrage un roman d'amour et qui me font presque regretter de ne pas l'avoir ouvert aux trois quarts.
Chantal
D'abord, premières pages, le prologue m'a barbée, presque empêchée de continuer… Voix au chapitre oblige, j'ai persisté et peu à peu j'ai suivi le personnage… avec plaisir !
- J'ai été dérangée par Jed le personnage principal, peintre, souvent désespérant dans sa façon de regarder, de vivre les situations, de faire "une description objective du monde", sans sentiments ni émotions, même s'ils affleurent quelquefois…
- J'ai aimé l'écriture, l'extrême précision dans les descriptions des choses, des gens, des lieux, détails très prosaïques, humour féroce. En me demandant toutefois si le fait de citer les "vrais noms" (Mitterrand, Pernault, Nihous) voudrait encore dire quelque chose dans 10-20 ans.
- J'ai aimé plein d'expressions savoureuses, j'en cite une : "il aperçut la surface gigantesque et ridée de la mer, comme une peau de vieux en phase terminale" (sic !!!)
- J'ai été touchée par la façon de décrire la relation de Jed à son père, émue par la confession de son père vieux et malade sur ses rêves de jeunesse – rêves d'architecte, de maisons et de villes utopiques – que Jed retrouve, dessinées, après la mort de son père.
- J'ai été sensible à l'originalité de la composition du texte, qui nous emmène des objets industriels photographiés, aux cartes routières peintes, aux tableaux des métiers, et enfin à Michel Houellebecq écrivain dont il va faire le portrait, lui offrir… et provoquer sa mort horrible !
- J'ai vraiment adoré les passages de la toute fin du livre où l'on "voit", dans ces "vidéogrammes", les objets industriels disparaître dans les feuilles, les arbres, et les êtres humains connus et aimés se décomposer de même dans la nature, toute notre société recouverte par la Nature triomphante.
- Seul bémol : la partie polar, Houellebecq assassiné avec son chien, les cadavres mis en scène à la façon d'un tableau de Pollock. Je me suis quand même laissée embarquer par le suspense : qui ? Le chirurgien fou… ouais…
Je l'ouvre aux ¾. Citations :
                  "Paisible et sans joie, définitivement neutre"
                  "Je veux simplement rendre compte du monde"
Pas gai, gai…
Marie-Thé
J'ouvre ce livre aux ¾ après délibération avec moi-même...
J'ai beaucoup aimé ce livre drôle, à l'humour
souvent grinçant, et le talent de Houellebecq. J'ai aimé l'écriture, la provocation, que l'écrivain se mette en scène avec Jed Martin, son double ; j'ai assisté à une grande représentation.
La carte et le territoire vaut vraiment le détour. C'est foisonnant, dense, ça part dans tous les sens, d'où ma difficile synthèse...
J'ai vu dans ces pages une critique féroce de la société d'aujourd'hui, d'un monde perturbé. L'art (décadent), et surtout le marché de l'art, n'échappent pas aux griffes de l'auteur. Dans le marché de l'art, il y a plus de marché que d'art... A ce sujet, je note ceci : "des cotes se faisaient et se défaisaient en un éclair..." ou ceci : "il ne faut pas chercher de sens à ce qui n'en a aucun." Ou encore : "Sur ce dont je ne peux parler, j'ai obligation de me taire." (Wittgenstein)
J'ai aimé un livre sur l'art, la création, le cheminement tourmenté de l'artiste, les réflexions sur l'écriture : "On ne décide jamais soi-même de l'écriture d'un livre", "attendre dans une inaction angoissante, que le processus démarre de lui-même…", "être artiste…être quelqu'un de soumis à des intuitions" peuvent "impliquer de détruire une œuvre."
Il est d'ailleurs ici question de construction, de destruction, de décomposition, de lacération, de mort, des œuvres et de l'auteur. Cela culmine dans les dernières pages avec les usines de la Ruhr, qui elles aussi se désagrègent : "Le triomphe de la végétation est total."
J'ai été sensible aux passages sur la filiation, la transmission, depuis le grand père photographe : "il avait été le premier d'une longue lignée à sortir de la pure et simple reproduction sociale du même", jusqu'au petit-fils artiste, en passant par le père constructeur. Finalement, "son père n'avait jamais cessé de vouloir bâtir des maisons pour les hirondelles." "Pour son père, avoir un enfant avait signifié la fin de toute ambition artistique et plus généralement l'acceptation de la mort." J'ai été amusée par ceci : "des micro-regroupements, qualifiés de familles, ayant pour but la reproduction de l'espèce". L'homme occidental a d'abord "sa place dans le processus de production et non son statut de reproducteur." Il y a aussi le chien Michel, puis Michou, non reproducteurs, comme leur maître, le commissaire.
Tout ou plutôt tous y passent : les avocats (divorce de ses parents), les policiers (drôles), commissaire en tête, voyant par exemple les criminels comme "des animaux dégénérés... à abattre dès l'instant de leur capture." Il s'agit en fait de "pister le gibier", si enquête policière "le coupable déposé aux pieds du juge était à peu près vivant". Ce qui vaut à la France "de demeurer bien notée... par Amnesty international." Je retiens encore Beigbeder disant en s'esclaffant : "J'ai toute confiance dans la police de mon pays." La liste serait très longue : sont visées les maisons de retraite, ces lieux en Suisse où se pratique l'euthanasie (l'envers du décor est terrible, et puis ça pollue quand même le lac de Zurich). Humour grinçant, j'ai beaucoup ri, me disant que quand même je ne devrais pas, mais le talent de Houellebecq est plus fort que tout. J'ai aussi eu besoin de partager ce que je lisais, très souvent, impossible de garder tout ça pour soi.
D'autres descriptions de situations, de lieux, les portraits, m'ont aussi impressionnée. C'est caustique, mais cela reste drôle pour moi. Du "situationniste belge" à l"l'intellectuel prolétarien", de la serveuse à la serpillière "leur jetant des regards mauvais" à l'aide-ménagère, "une sénégalaise acariâtre et même méchante", en passant par l'obèse et ses frites, aux allures de technico-commercial. Les journalistes ne sont pas oubliés, d'ailleurs M. Houellebecq boit pour les supporter… Les profs d'économie enseignent "des absurdités contradictoires à des crétins arrivistes". Et les réceptions mondaines, et Christine Angot… Critique du monde de l'immobilier, des "bâtiments immondes", qui feront dire au père : "je ne pouvais pas continuer." En Irlande, le chauffeur de taxi est qualifié d'"imbécile malfaisant", l'enfant pénible dans l'avion de "vicieuse petite charogne." J'ai aimé les passages sur les animaux, le cochon intelligent, la vache "très surfaite", même si "Il n'y a pas plus con qu'un mouton." En relisant tout ceci, je suis quand même effarée… Enfin, il y a les zones rurales, qui n'aiment pas les "étrangers", qui peuvent se payer ce qu'eux ne peuvent pas, ici "un parisien un peu taré". J'arrête là mes errances sur le territoire.
Cindy
Je n'étais pas présente à la réunion "Houellebecq" : dommage car j'ai ouvert doublement le livre en grand. Lu à sa sortie avec grand plaisir et relu aujourd'hui avec encore plus d'intérêt et j'ai même savouré de longs passages.
Cela va donc faire remonter la moyenne bretonne et j'en suis ravie !
J'ai lu les commentaires parisiens et bretons et ce que je pense se rapproche de celui de Monique M (Paris) et de Marithé. A Paris c'est moins critique ! Merci Paris !
Mais je ne manquerai pas d'écrire quelques lignes sur le livre et l'écrivain que je compare depuis longtemps à un Zola et Balzac !
Nous avons cette opportunité formidable de lire ses œuvres de son vivant ! Vous savez comme beaucoup, je pense que sa vision du monde très lucide jaillit dans tous ses livres avec tous les points essentiels de la cohérence de son œuvre qui en résultent. Et c'est magistralement bien écrit. Et tout cela annonce aussi une forme moderne de "roman contemporain".
Ce n'est pas un hasard que ses romans se lisent dans le monde entier. Que des universitaires et autres têtes bien pensantes s'intéressent à son œuvre, qu'il soit invité et interviewé partout !
Bon, voilà je suis une fan !


UN PEU DE DOCUMENTATION

Quelques repères bio et biblio
- Enfance, formation, métier
- Vers le succès
- Les 7 romans
- Poésies
- Essais
- Autres arts

Des commentaires et des interviews
- Sur La carte et le territoire, quelques entretiens
- Sur La carte et le territoire, quelques articles
- Et plus largement sur l'œuvre de Michel Houellebecq


QUELQUES REPÈRES BIO ET BIBLIO

• Enfance, formation, métier
- Né en 1956 à La Réunion. Père (guide de haute montagne) et mère (médecin anesthésiste) le délaissent : à six ans, il est confié à sa grand-mère paternelle (communiste) dont il adoptera le nom de jeune fille comme pseudonyme.
- Études au lycée de Meaux et classes préparatoires au lycée Chaptal. Ingénieur agronome diplômé de l'Institut national agronomique. Puis diplôme de l'École Louis Lumière.
- Début d'
une carrière d’ingénieur en informatique. Il intègrera ensuite l'Assemblée Nationale en tant que secrétaire administratif.

• Vers le succès
- 1985 : il rencontre Michel Bulteau, directeur de la Nouvelle Revue de Paris, qui le premier va publier ses poèmes.
- 1991 : publie à La Différence le recueil La Poursuite du bonheur (prix Tristan Tzara), Rester vivant : méthode et un essai sur Lovecraft, H.P Lovecraft : contre le monde, contre la vie.
- 1994 : Maurice Nadaud édite son premier roman, Extension du domaine de la lutte qui le fait connaître à un plus large public. Il collabore à cette époque à de nombreuses revues (L’Atelier du roman, les Inrockuptibles, Perpendiculaires dont il est ensuite exclu…)
- 1996 : deuxième recueil de poèmes, Le Sens du combat, Prix de Flore.
- 1
998 : Les particules élémentaires connaît un large retentissement ; le roman sera traduit en plus de 25 langues et fera de lui l’un des romanciers français les plus célèbres à l’étranger.

• Les 7 romans
- 1994 : Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau ; poche J'ai lu 1999 ; poche J'ai lu 2010
- 1998 : Les particules élémentaires, Flammarion (prix Novembre) ; poche J'ai lu 2010
- 2001 : Plateforme, Flammarion ; poche J'ai lu 2010
- 2005 : La Possibilité d'une île, Fayard (prix Interallié) ; poche J'ai lu 2013
- 2010 : La Carte et le Territoire, Flammarion (prix Goncourt) ; poche J'ai lu 2012 ; GF Flammarion 2016 ; poche J'ai lu 2019
- 2015 : Soumission, Flammarion ; poche GF 2016 ; poche J'ai lu 2017
- 2019 : Sérotonine, Flammarion

• Poésies (recueils)
- 1991 : La poursuite du bonheur, La Différence ; Poche Librio 2015
- 1995 et 1996 : livres d'artiste avec Sarah Wiame La Peau et La Ville
- 1996 : Le Sens du combat, Flammarion
- 1997 : Rester vivant suivi de La Poursuite du bonheur, Flammarion ; Rester vivant et autres textes, poche Librio 2015.
- 1999 : Renaissance, Flammarion.
- 2000 : Poésies, poche J'ai lu ; Poche J'ai lu, 2010
- 2013 : Configuration du dernier rivage, Flammarion.
- 2014 : Non réconcilié : anthologie personnelle 1991-2013, Poésie/Gallimard.
- 2015 : Poésies, poche J'ai lu 2015 (Rester vivant ; Le sens du combat ; La poursuite du bonheur ; Renaissance ; Configuration du dernier rivage)

• Essais
- 1991 : H.P. Lovecraft : contre le monde, contre la vie, biographie, introduction de Stephen King, éd. du Rocher ; poche J'ai lu 2010
- 1991 : Rester vivant, méthode, La Différence.
- 1998 : Interventions, recueil d'articles, Flammarion ; éd. augmentée 2009
- 2008 : Ennemis publics, avec Bernard-Henri Lévy ; poche J'ai lu 2011
- 2017 : En présence de Schopenhauer, L'Herne.

• Autres arts
- 2000 : Lanzarote, récits et photos (coffret) ; poche Librio 2015.
Michel Houellebecq est également lecteur de ses propres textes, réalisateur et acteur. Aussi conviendrait-il de lister sa f
ilmographie (en tant que réalisateur, scénariste, acteur), sa discographie, ses spectacles sur scène, les adaptations qu'il a faites de ses textes (livres audio, théâtre, cinéma et télévision, poèmes mis en musique), ainsi que la réalisation d'une exposition (Michel Houellebecq - Rester vivant, Palais de Tokyo, Paris, 2016, donnant lieu à une publication).

DES COMMENTAIRES ET DES INTERVIEWS : une sélection réduite

• Sur La carte et le territoire, quelques entretiens
- avec Sylvain Bourmeau, sur Mediapart, septembre 2010, vidéo de 67 min en 7 épisodes ; et en 12 min à la Fnac Montparnasse, 3 décembre 2010
- avec Joseph Vebret, "Causeries littéraires : Michel Houellebecq, BibliObs, novembre 2010, vidéo de 9 min
- avec Martin De Haan, "La mise à distance du monde", Speakers Academy Magazine, mai 2011

•Sur La carte et le territoire, quelques articles
-
"Michel Houellebecq, même pas mort !", Raphaëlle Rérolle, Le Monde, 2 septembre 2010
- "Lecture préraphaélite de La carte et le territoire de Michel Houellebecq", Cynthia Biron Cohen, Synergies Royaume-Uni et Irlande, n° 6, 2013
-
"La carte et le territoire : du potin à l'autofiction", Anne Chamayou, Université de Perpignan, NRSC (Nouvelle Revue Synergies Canada), 2014

•Et plus largement sur son œuvre
- D'abord un excellent faux débat ("Houellebecq : pour ou contre ?") par deux jeunes surdoués qui ont tout lu de Houellebecq, Redek et Pierrot : Le Mock (15 mars 2019, vidéo, 21 min)
- Les "voix" de Michel Houellebecq, Actes du Colloque de Lausanne, 3-4 mars 2016, dir. Raphaël Baroni et Samuel Estier.
- Cahier Houellebecq, L'Herne, dir. Agathe Novak-Lechevalier, janvier 2017
- L’art de la consolation, Agathe Novak-Lechevalier, Stock, 2018, 306 p.
- "Le mystère Houellebecq", Alain Finkielkraut avec Agathe Novak-Lechevalier et Frédéric Beigbeder, France Culture, Répliques, 2 février 2019
- "Spécial Houellebecq", Stupéfiant !, France 2, émission de Léa Salamé, 4 mars 2019, 83 min (trois parties : Houellebecq politique, le style Houellebecq, Houellebecq érotique).

(Coïncidence... se tient en ce moment une exposition au Musée du Jeu de paume, intitulée "Luigi Ghirri. Cartes et territoires"...)

 

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout

 

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