Extrait de Les Inrocks, 2010 Extrait du Monde, 2014
Quatrième de couverture : Si Jed Martin, le personnage principal de ce roman, devait vous en raconter l'histoire, il commencerait par vous parler d'une panne de chauffe-eau. Ou de son père, architecte connu et engagé, avec qui il passa seul de nombreux réveillons de Noël. Il évoquerait Olga, une très jolie Russe rencontrée lors d'une première exposition de son travail photographique à partir de cartes routières Michelin - "la carte est plus intéressante que le territoire". C'était avant que le succès mondial n'arrive avec la série des "métiers", portraits de personnalités de tous milieux, dont l'écrivain Michel Houellebecq. Il dirait aussi comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une atroce affaire criminelle. L'art, l'argent, l'amour, le rapport au père, la mort, le travail, la France devenue un paradis touristique sont quelques-uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne. GF Flammarion, 2016, 490 p. Quatrième
de couverture : Présentation, notes, dossier
par Agathe
Novak-Lechevalier |
Michel Houellebecq
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Christian
Fanny Inès
Jean Manuel
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Richard
Jécris cet avis bien des semaines après la réunion
du groupe à laquelle je nai pu assister et avant
de lire les avis sur le site. Cela ma donné plus de temps
à lire le livre et à y réfléchir
à tête reposée. Avec cet intervalle de temps, mon
avis a quelque peu changé. Au début, jai apprécié
ses descriptifs originaux ("trois
femmes octogénaires semblaient se recueillir sur leur salade de
fruits", p. 23) ainsi que
sa connaissance détaillée dans divers domaines (exemple :
ses appareils photo). Cela me semblait admirable, mais assez vite lassant,
surtout quand on réalise quil peut sagir dune
connaissance résultant dune recherche documentaire, et qui
est montrée pour impressionner le lecteur. Par ailleurs, il y a
trop de "name dropping", par exemple des références
à un auteur non pas par son nom mais par le titre dune de
ses uvres (surtout quand il sagit de Houellebecq lui-même :
"lauteur des Particules élémentaires").
A noter aussi les erreurs dans sa documentation : la boutique à
Pigalle sappelle Rebecca Rils et non Rebecca Ribs (je le sais, cétait
un de mes clients
)
A la longue, les jugements négatifs de Houellebecq sur la société
et les individus (en ce qui concerne Picasso, il est carrément
iconoclaste p. 172) et lutilisation ditaliques (dont
je nai pas compris la signification) sont ennuyeux et enlèvent
le plaisir de lecture, surtout quand lhistoire se traîne à
partir de la première moitié du livre. (Javais eu
le même sentiment en lisant Soumission).
Enfin ce livre est plutôt un essai sociologique quun roman.
Je ne louvre quà moitié.
Catherine
(avis transmis)
Brièvement... Avec celui-ci, jai lu quatre livres de Houellebecq
(Les
particules élémentaires, Plateforme,
Soumission). Jai toujours trouvé insupportable
et le personnage et le battage médiatique autour, mais au moins
il ne laisse pas indifférent. On retrouve dans La
carte et le territoire beaucoup des thèmes des autres livres,
mais il est nettement moins provocateur que les autres (moins de sexe,
moins misogyne...), doù Le Goncourt sans doute.
Jai accroché à lhistoire ; jai été
intéressée par le thème de lart et jai
assez aimé lautoportrait quil fait de lui-même
en se mettant en scène dans son propre livre ; on le retrouve
aussi sans doute à travers le personnage de Jed. Il y a des moments
assez drôles ; lassassinat, assez artistique dailleurs,
est inattendu.
Jai au total un avis plutôt positif. Il a quand même
un vrai talent d'écrivain. Jouvre à moitié.
Bonne soirée que jimagine animée...
Nathalie (avis transmis)
Je ne suis pas une lectrice de Houellebecq. Je n'ai lu que Les particules
élémentaires à sa sortie en 1998. C'est donc
avec enthousiasme et crainte que je suis entrée en littératie
houellebecquienne.
Mais alors que je prenais le récit pour ce qu'il était un
récit plaisant et plutôt romanesque , j'ai eu
le malheur de commencer à lire les notes de bas de page (éd.
GF), ce qui a eu deux conséquences fâcheuses : la
première étant de ralentir lourdement la fluidité
de ma lecture, la deuxième d'avoir eu l'impression d'être
une imbécile.
Imbécile, oui... parce que les notes de Novak-Lechevalier insupportables,
exaspérantes et pénibles m'ont fait comprendre que je ne
pouvais pas comprendre le livre par moi-même et qu'elle se sentait
obligée de tout m'expliquer. La conclusion étant que ce
livre n'était pas pour moi parce que je n'étais pas assez
intelligente pour le comprendre ou en comprendre la teneur. Ha !
Le piège ! J'ai pourtant la fréquentation des notes
de bas de page depuis longtemps... Le problème est selon moi que
les notes de bas de page de ce livre sont la plupart du temps inutiles
et s'ingèrent scandaleusement à la fois dans l'écriture
de l'auteur, mais aussi dans la lecture du lecteur. C'est un peu comme
quand au cinéma, tu as quelqu'un qui ne cesse de vouloir t'expliquer
ce qui se passe à l'écran et pourquoi ça se passe
comme ça à ce moment-là, voire qui t'annonce la suite
du film. Je vous entends déjà me dire que je n'avais qu'à
ne pas les lire...
Tout le monde
Ouiiiiiiiii !...
Nathalie
Facile à dire, pas facile à faire. C'est un peu comme les
cartels dans une expo, tu as peur de passer à côté
de quelque chose d'important ! (voir
mes exemples)
J'ai beaucoup aimé ce livre dans un premier temps. J'en ai aimé
les personnages. J'ai adoré me représenter les univers (chez
lui, chez le père, les tableaux). J'ai adoré avoir le vertige
quand le personnage de Houellebecq intervient. J'étais complètement
absorbée par le tour de force qu'il a réussi à faire.
J'ai aimé lire sur l'art et comme je n'ai lu aucune
critique , je me permets de dire que ce livre est pour moi
une sorte de manifeste à la fois sur l'art et sa valeur, mais sur
l'art de l'écriture également.
Je n'ai pas terminé le livre, il me reste environ un peu moins
d'un quart. Je l'ouvre aux ¾.
Je suppose que vous verrez des choses que je n'ai pas vues...
Plusieurs, du genre houellebequien
Évidemment !
Nathalie
Mais ce qui est certain, c'est que je n'achèterai plus jamais une
uvre de cet auteur dans une édition
commentée.
Katell
Je l'ai lu il y a très longtemps. J'ai lu tous les Houellebecq,
mais je les oublie tous. J'adore les lire, c'est plaisant. Il est un examinateur
affûté de notre société occidentale, il met
le doigt sur des aspects essentiels. Après la lecture, je ne me
souviens plus où il a mis le doigt... J'ai fini Sérotonine
récemment, et j'ai déjà oublié. Houellebecq
est sympa à lire, avec son côté misogyne rigolo et
son côté mâle blanc impuissant. J'ouvre trois quarts.
Il écrit correctement, mais je ne vais pas me taper le cul par
terre non plus. C'est de la littérature champagne*,
c'est-à-dire ça se lit bien et après ça s'oublie.
*Henri propose
d'estampiller cette expression "littérature champagne".
Annick A
Je l'ai eu il y a 15 jours, mais j'ai tout oublié. Y compris en
le reprenant. C'est une uvre facile, mais il n'a pas grand-chose
à dire. J'ai aimé ce qui touche à l'art. J'ai trouvé
agréable le côté people. Sur la dimension dépressive
la présentation qu'il se donne , Houellebecq
ne m'intéresse pas beaucoup. Même chose pour Soumission :
ce qu'il dit ne m'intéresse pas. Il y a beaucoup de passage Wikipédia,
probablement copié, comme l'indiquent les remerciements. Il met
en scène des gens profondément déprimés qui
n'ont pas de désir. Je me suis demandé ce qui attire Jed
par rapport à Houellebecq : c'est
peut-être qu'il a trouvé plus déprimé que lui.
J'ouvre un cur. Je ne me suis pas ennuyée, mais ça
ne m'intéresse pas. Je me demande pourquoi il a eu le Goncourt.
Henri
Je l'ai acheté deux euros en brocante, et sans les notes en bas
de page. J'ai résisté à lire Houellebecq car je pensais
que son influence serait contre-productive car j'ai des points communs
avec lui. J'ai aimé La
Possibilité d'une île qu'un
ami m'a obligé à lire. D'accord, j'ai trouvé que
ça tacle bien, j'y ai vu un plagiat des critiques d'art, une approche
de la France franchouillarde. J'ai aimé la manière dont
il se met en scène, cela me le rend sympathique ; il a de
la compassion pour lui-même. Il décrit bien les flics, mais
il a dû aller chercher un autre polar. Il y a deux projets différents.
J'ai aimé son approche de la société de consommation.
Je n'ai pas aimé le côté Wikipédia et la facilité
à s'appuyer sur ses connaissances des personnages publics, car
cela lui donne une longueur d'avance sur le lecteur. Les passages sur
la stérilité sont surjoués. Il y a une sorte de pot-pourri.
Je comprends que l'on oublie rapidement. J'ouvre trois quarts pour le
plaisir de lecture.
Manuel
Je vais être bref car je suis venu vous écouter. Javais
déjà lu Plateforme
et
Les
particules élémentaires.
Je fais le même constat que pour ses précédents opus.
Je trouve quil ny a aucun style, cest en effet "facile"
à lire. Les personnages sont des caricatures : Olga, lattachée
de presse, Jed. Tout est énorme, je ny ai pas cru.
Je ne crois pas du tout à son projet balzacien.
Jai lu grâce à Etienne lédition Garnier
Flammarion. Même si la préface dévoile une bonne partie
du livre, je l'ai trouvée intéressante et érudite...
bien plus que le livre. Jai adoré les notes en bas de page.
Même plus besoin de lire ses autres livres !
Je me pose la question si ce nest pas une fumisterie... un peu comme
Jeff Koon.
Je ne peux donner plus mon avis car je nai
pas fini de lire le livre.
Monique L
Ce roman se lit aisément. L'écriture est fluide, agréable
ce qui en rend la lecture extrêmement confortable. Le style m'a
plu : dépouillé, apathique voire dépressif avec
une pincée d'humour mais rarement agressif.
Un bémol : j'ai parfois été agacée par
des définitions genre Wikipédia et des listes d'éléments
techniques qui coupent le récit ainsi que par des détails
de la vie quotidienne - qu'il s'agisse des menus de restaurant, des marques
de gadgets électroniques
Beaucoup de thèmes abordés (trop ?) : vieillesse,
maladie, déclin des hommes, de la France, et de l'Occident en général,
argent, impostures artistiques et médiatiques, de l'art et de l'artiste
et de ce que celui-ci nous apporte de sa vision du monde, de la société,
des autres, la relation qui existe entre la réalité et la
fiction, entre l'objet et sa représentation, entre l'être
et la pensée.
Le territoire est le monde réel (imparfait et voué à
la mort), la carte la représentation qu'on s'en fait (idéale
et intemporelle), et Jed affiche en lettres capitales que "LA CARTE
EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRITOIRE". C'est l'histoire
d'un homme qui prend la vie comme elle vient. Rien ne semble atteindre
Jed Martin, ni l'argent, ni les paillettes, ni la gloire. Il est indifférent
au monde qui l'entoure. Il passe Noël avec son père mais ils
n'ont rien à se dire. Sur le plan professionnel, il rencontre le
succès sans effort et sans vraiment le mériter. Sa relation
détachée avec Olga en dit long sur son égoïsme.
C'est une solitude d'abord subie, puis choisie comme havre de paix.
Le roman est axé sur le monde de l'art contemporain, de l'argent
et des médias avec de truculents passages sur des personnalités
contemporaines et de nombreux noms de marques. Sa satire est vive et piquante.
C'est une critique acerbe et pessimiste de notre société,
promise à la déliquescence.
J'ai apprécié la mise en scène de Houellebecq par
lui-même. Le comique prime sur la mégalomanie et il se décrit
comme un écrivain asocial, dépressif, alcoolique, assidu
des bordels thaïlandais et accro à la charcuterie. C'est pathétique,
mais conforme à l'image qu'il veut donner de lui : suffisamment
antipathique pour qu'on le laisse tranquille. Il excelle à déliter
ce que le monde des médias à créer autour de sa personne.
L'auteur s'amuse avec son image, qu'il nous renvoie sous formes multiples :
le personnage Michel Houellebecq écrivain, c'est lui mais également
Jed Martin, artiste peintre et photographe, et Jean-Pierre Jasselin, le
commissaire qui mène l'enquête dans la troisième partie,
ainsi que le chien dépressif comme par hasard prénommé
Michel.
L'humour n'empêche pas une réflexion lucide et visionnaire
sur notre époque, et sur l'importance de l'image qui masque la
véritable personnalité : celle de Beigbeder, de Pernaud
ou encore Lepers et bien entendu la sienne.
L'irruption imprévue d'un crime avec enquête policière
dans le dernier chapitre, avant l'épilogue, donne un coup de fouet
ultime, un second souffle, au rythme du roman. La fin et la fusion dans
la nature m'a un peu soûlée. Trop long pour moi.
Au final, cela se laisse lire, mais je ne suis pas sûre d'en retenir
quelque chose sauf une ambiance. J'ouvre à moitié.
Etienne, entre
et
Je l'ai lu il y a deux ans (pour ce jour, j'ai lu en parallèle
Les
particules élémentaires).
Je suis très partagé. Cette lecture est très addictive,
en lien avec l'architecture du roman très maîtrisée.
Les chapitres sont ciselés. Cela tranche avec l'image de Houellebecq
lors de ses interviews. De manière plus ambiguë, la lecture
a un côté voyeuriste, un peu comme de la télé-réalité.
Il y a une virtuosité des idées dont rend compte l'introduction
de l'édition
GF, qui montre tout ce que l'on suppose qu'il
a voulu dire ; la préface est pour moi indispensable, elle
m'a permis de rehausser mon appréciation ; mais je pourrais
lui reprocher de ne pas se mettre à notre niveau. Ce n'est pas
une lecture plaisir. Les personnages sont détestables. L'humour
tend vers le cynisme. Dans Les particules, il y a de la poésie,
qui manque dans La carte. J'ouvre entre moitié et trois
quarts.
Rozenn
Je déteste. C'est complaisant et pas plaisant, faiseur, prétentieux.
C'est du remplissage. J'avais apprécié Extension
du domaine de la lutte. Soumission,
c'était intéressant, mais ça faisait flop. Les passages
sur l'art m'ont ennuyée et je n'ai pas aimé son humour.
Les notes de bas de page m'ont fait du bien. J'ai aimé le film
où il se fait enlever, ça fait du bien tellement il est
chiant. C'est du Céline : le procédé et les
personnages sont détestables. Il y aurait peut-être eu quelque
chose à tirer des relations avec son père. Pourquoi cette
rallonge policière ? Je lis Le
maître et Marguerite, je vais presque aimer.
Je ferme et je jette.
Claire
Il y a 20 ans quand nous avions lu dans le groupe Les
particules, j'étais la seule à avoir
aimé. Pour l'instant je ressens la même chose (je parle d'aimer,
ah que je souffre
). J'avais lu La
Carte et le Territoire à sa sortie et avais beaucoup aimé
(ayant oublié moi aussi, mais comme tout ce que je lis). J'ai lu
Sérotonine
qui m'a beaucoup plu, puis j'ai relu La Carte, mais dans l'édition
annotée. Je trouve le livre remarquable, et j'en apprécie
l'ambition. Je me souvenais qu'il traitait de l'art (et à ce moment-là,
tout comme lorsque nous avions lu Autoportrait
de Jean-Philippe Toussaint, qui a pour personnage de roman Jeff
Koons, je n'avais pas vu l'exposition
Jeff Koons super énervante que j'ai vue par la suite...), mais
j'y ai trouvé bien davantage.
J'aime le jeu, les jeux : avec la langue, avec la fiction, notamment avec
son personnage qui est lui-même, avec Wikipedia même. Je rejoins
Etienne sur l'architecture du livre, avec les glissements temporels par
exemple. J'aime le ton, la distance, la dérision mêlée
au plus grand sérieux. Il y a une tension narrative tout le temps,
il raconte des histoires. Et il embrasse plein de thèmes (dont
l'art). C'est presque tout le temps profond, il donne à réfléchir.
Et c'est ludique aussi. C'est jubilatoire à beaucoup de points
de vue. Je suis enthousiaste.
Je le rapprocherai d'Annie Ernaux.
Etienne
Tout à fait d'accord.
Claire
J'ai deux petites réserves : quand il donne la parole longuement
à un autre personnage, la voix n'est pas suffisamment personnelle ;
j'aime bien les temps documentaires, mais j'ai ressenti une petite lassitude
quand on suit Jed au centre commercial en attente de son vol... Mais je
pardonne...
Pour ce qui est de l'édition d'Agathe Novak-Lechevalier, qui est
devenue LA spécialiste, les notes oscillent entre deux défauts :
simpliste et pédant ; mais entre les deux, on a de quoi apprécier.
Etienne
Tu les as toutes lues ?
Claire
Oui. Et j'aime bien quand elle renvoie aux autres livres. Quant à
l'introduction, ça ne va pas du tout de la placer avant, ce n'est
pas une préface, c'est une étude et elle dévoile
tout, je l'ai heureusement lue après. Elle parle peu de l'écriture,
mais surtout du contenu, et encore moins de l'effet sur le lecteur, dommage.
Christelle
Je me retrouve dans tout ce qui a été dit par ceux qui ont
apprécié et par ceux qui au contraire ont peu aimé,
car je suis vraiment partagée. Sur la construction, je trouve que
c'est un tour de force. Il y a des choses profondes sur la vie artistique,
l'inspiration, l'évolution de l'uvre de Jed. Que Houellebecq
réussisse à ce qu'on puisse "voir" les tableaux
et autres uvres de Jed, les apprécier, m'a impressionnée.
Je me suis plutôt ennuyée à la fin. Est-ce parfois
un produit marketing car il introduit des notions et des personnages people ?
Il y a beaucoup d'humour et même de la dérision, notamment
quand l'auteur parle de son propre personnage lors d'une visite de Jed
en Irlande. J'ai eu parfois l'impression que son humour se retourne contre
le lecteur : après la scène de crime, on attend une
explication, l'enquête... et non, on a alors une description sur
plusieurs pages des problèmes de fertilité du commissaire
et surtout ceux de son bichon...
J'ai même oublié quel autre livre j'ai déjà
lu, il y a bien longtemps. C'est peut-être lié au nombre
de thèmes abordés.
De nombreux personnages sont dans une grande pauvreté affective.
J'espère que ce n'est pas le reflet de la société
actuelle. J'ouvre aux trois quarts.
Denis
Dans l'ensemble, j'ai
été déçu par ce livre que j'ai trouvé
plutôt anodin. Rien qui me donne à penser. Je l'ai lu sans
déplaisir, mais ne suis allé au bout que par curiosité,
pour voir comment cela se termine et pour tenir mes engagements
intérieurs vis-à-vis du groupe. J'admets que l'assassinat
de Houellebecq, avec sa mise en scène, est inattendu. Mais elle
me paraît totalement parachutée, sans lien avec l'histoire
principale. Par ailleurs, cette mise en scène de sa propre mort,
dans des conditions horribles, cela m'a d'abord paru original, "un
bon truc narratif", mais c'est quand même horrible, et morbide,
ou totalement narcissique.
J'ai trouvé le style assez plat, dans l'ensemble, mais assez agréable.
Il y a de l'humour, de la satire mais aussi des lon-gueurs
(j'ai sauté des pages sans que cela perturbe trop ma lecture...).
Et alors, recopier Wikipedia ! Sommes-nous censés lire tout
cela ?
Les considérations sociologiques m'ont rappelé les Mythologies
de Barthes. Je me trompe peut-être car je n'ai pas ressorti le bouquin,
mais j'en ai un souvenir ébloui à côté duquel
Houellebecq me paraît bien pâle.
Le profil du personnage principal, l'artiste, me paraît irréaliste.
Tout lui réussit, comme c'est facile ! Un surhomme !
Certes, il se donne du mal, mais comment se fait-il que la sauce prenne
aussi bien, que le succès lui vienne sans qu'il y soit pour grand
chose ? Qu'a-t-il de si séduisant, que la plus belle femme
de Paris, ou presque, soit amoureuse de lui ? Et
des opérations marketing bien montées ? L'excellente
attachée de presse ?
C'est peut-être là que je pourrais faire une autre lecture
du livre, non comme un roman, mais comme une étude de cas à
la Bourdieu, en voyant le héros comme un archétype révélateur
des mécanismes sociaux du marché de l'art. J'avoue que j'ai
été très intéressé par les arguments
de Claire en ce sens.
J'ouvre au quart, pour compenser la mode hallucinante des uvres
de cet auteur. Mais j'en lirai peut-être d'autres du même...
Que de contradictions !
Danièle
Vous parlez d'enquête, d'art,
ça ne me dit rien du tout. Je ne me suis pas aperçue tout
de suite en vous écoutant que je m'étais trompée
de livre, parce que Houellebecq, c'est un univers. La carte et le territoire,
je l'avais lu auparavant.
J'ai été
très soulagée de vous entendre dire que vous avez tout oublié
de vos lectures d'Houellebecq, même si vous les avez trouvées
intéressantes sur le moment. C'est mon cas également, même
si je reste une fan d'Houellebecq. J'ai voulu lire Sérotonine
dès sa parution, où j'ai retrouvé le même univers.
J'aime cette langue, très contemporaine et sans fard. J'aime l'atmosphère,
aussi, qui me fait penser à Vernon
S ubutex Subutex, dans la lente déchéance que l'on
retrouve dans Sérotonine. En entamant un livre de lui, on
se retrouve dans un univers familier, avec des mises en scène quasi
obsessionnelles, par exemple la mise en scène de sa mort dans La
carte et le territoire, et, dans Sérotonine sa disparition
sociale qu'il organise. À vrai dire, je ne sais pas à quoi
cela correspond. Mais je constate qu'il a besoin de s'évader de
sa propre personnalité.
J'aime aussi sa façon d'égratigner tous azimuts, en fait
une manière assassine de critiquer d'un coup de plume, que l'on
retrouve dans tous ses romans. Par exemple : "femme, au sens
pré-féministe du terme" ou "la lecture
de Christine Angot (enfin, des cinq premières pages)".
J'ai été étonnée de trouver dans Sérotonine
des descriptions très poétiques et très émouvantes
du bonheur, et même, l'apologie romantique d'un bonheur bourgeois,
avec Camille. J'ai plutôt aimé.
Dans une interview donnée aux Inrocks, il dit "finalement
je pense très peu". Cette remarque a rétro-éclairé
ma lecture de façon lumineuse. En effet, il constate. Il a des
intuitions, sans porter de jugement. Il vit en symbiose avec son temps,
mais en même temps, il l'observe, en considérant les phénomènes
de société. En effet, il ne pense pas, il est un niveau
au-dessus.
J'ouvre Sérotonine aux trois quarts, à cause du début,
où ses obsessions sexuelles, et l'image outrancière qu'il
donne du narrateur, tombeur de filles toutes plus intelligentes et belles
les une que les autres, laisse croire trop facilement que c'est l'image
inverse de l'auteur. En fait, le doute plane. Mais ce n'est pas le côté
le plus intéressant du livre à mon avis.
Fanny
Si c'est tous ses livres sont comme ça, je ne rempile pas. Et je
n'ai pas eu le temps d'oublier. Je n'ai pas grand-chose à faire
du chauffe-eau de Jed. Et quand arrive Houellebecq
j'ai l'impression
qu'il devient le personnage principal et je trouve qu'il joue de la confusion
entre l'auteur et le personnage. Il y a sûrement une analyse sociologique.
Et de l'autodérision. Je peux comprendre, un peu, l'approche intellectuelle.
Mais c'est très, trop, autocentré, il se fait plaisir. Et
les trois pages sur les testicules du chien Michou !...
Pour ce qui est du style, ce n'est pas transcendant. C'est facile à
lire. Je reconnais une forme d'originalité. Le passage policier
m'a apporté un peu de piquant mais j'ai eu l'impression qu'il joue
sur les registres littéraires sans aller au bout. La toute fin,
pourquoi pas, mais l'explication non, il donne l'explication de ce qu'il
suggère au lecteur ! Sans cela j'aurais ouvert un quart, mais
du coup je ferme.
Jacqueline
Je ne l'aurais pas lu sans le groupe. Je n'ai eu aucun plaisir. Qu'est-ce
que les gens y trouvent, me suis-je dit ? J'ai commencé par
prendre les personnages du tableau comme des personnages qui allaient
apparaître. Eh non ce sont des personnages du tableau, je me suis
fait avoir. Je ne suis pas sensible à cet humour léger,
sans plus. Je l'ai lu jusqu'au bout. C'est bien écrit. Il y a une
distance, pas d'émotion. C'est un monde qui ne m'intéresse
pas. Le monde est un peu celui de Virginie Despentes, mais qui elle a
un langage adapté, là non. Il y a des piques sur Christine
Angot. Il y a sûrement des choses intéressantes. L'intrigue
policière ? J'ai tout de suite pensé que c'était
le tableau le mobile du meurtre.
(Admiration de l'assistance)
Jacqueline
J'ouvre un quart. (Souffrance réitérée de Claire)
Geneviève
J'ai acheté par hasard
l'édition Garnier Flammarion avec la préface et les notes.
Je me suis auparavant laissé convaincre trois fois de lire Houellebecq.
Avec Les
particules élémentaires et Extension
du domaine de la lutte, je me suis ennuyée. Plateforme
m'a mise en colère. Cette fois j'ai donc traîné pour
m'y mettre : chez Gibert, je cherche aux H en littérature
française, pas de Houellebecq ; je demande au vendeur, qui
m'indique que pour Houellebecq il y a une table entière, dédiée
à son uvre complète... J'ai personnellement trouvé
la préface très bien, elle m'a facilité la lecture
en la contextualisant et en donnant des éléments d'interprétation
que je n'avais pas. Cela a rendu la lecture plus intéressante.
J'ai notamment beaucoup aimé l'idée de la superposition
entre la carte, la carte Michelin, et le territoire, le paysage réel
et recréé par la photo et le dessin. Cependant, je suis
toujours gênée par les stéréotypes grossiers
comme la description d'Olga, caricature de la blonde ambitieuse. Malgré
l'intérêt des notes, j'ai parfois l'impression qu'elles attribuent
au texte une profondeur qu'il n'a pas. Je reste donc perplexe sur l'importance
de Houellebecq comme auteur, même si je trouve l'interprétation
de Danièle très intéressante. Je n'ai lu qu'à
peu près la moitié du livre mais je vais essayer d'aller
jusqu'au bout. Par conséquent, j'ouvre le livre à moitié.
Françoise
D
J'ai lu tous les livres. J'ai aimé à divers titres. Je suis
très contente qu'on l'ait choisi. Je l'ai relu. J'avais retenu
de La carte et le territoire la France qui se transforme en territoire
touristique. J'ai retrouvé beaucoup de choses. On peut dire c'est
génial. Il pointe les lieux communs. Il met le doigt sur la façon
dont fonctionne la société, il est très lucide. Soumission,
je n'ai pas aimé mais il y a une fulgurance il va jusqu'au bout.
Michel Houellebecq se met en scène, sans complaisance, avec un
recul sur lui-même ; c'est courageux comme disait Christelle.
Je ne connais pas d'autres exemples d'un.e écrivain.e qui
se mette en scène dans son roman (je ne parle pas d'autofiction
évidemment). Houellebecq le fait avec brio, et avec le recul nécessaire.
On dit souvent que les auteur.e.s français.e.s contrairement aux
Américains ne parlent pas de la société et du monde
actuels. Mais si, on a Houellebecq ! Ainsi dans La Carte,
l'artiste s'adresse ainsi à son père : "il
se mit à parler et ses tableaux, de ce travail qu'il avait entrepris
il y a une dizaine d'années déjà, de sa volonté
de décrire, par la peinture, les différents rouages qui
concourent au fonctionnement d'une société"
: je pense que c'est le projet de Houellebecq par l'écriture. Et
on s'aperçoit qu'il est très au fait de tout ce qui se passe,
dans les détails, et qu'il nous en rend compte avec une interprétation
très critique. C'est salutaire !
Il y a aussi beaucoup d'humour. Je n'ai pas été
gênée par Wikipédia. On ne le lâche pas. J'ouvre
en grand.
Fanny
Je reviens à ce qui m'a gênée, il est vraiment très
centré sur lui-même, je pense à la scène du
cercueil, c'est comme si même sa mort ne pouvait pas être
ordinaire.
Claire
C'est un personnage, pas l'auteur.
Henri
On confond la carte et le territoire.
Denis
Vous vous souvenez de Châtelus-le-Marcheix
dans la carte Michelin ?
J'ai une petite maison là, et c'est aussi grâce à
la carte Michelin que nous avons choisi ce coin, mais avant d'avoir lu
La carte et le territoire... C'est également non loin de là
que se situe une partie du roman d'Echenoz que nous avions lu (Envoyée
spéciale, les éoliennes)... Je reste stupéfait
de cette coïncidence. Mais... est-ce bien une coïncidence ?
Claire
Par ailleurs, je trouve extraordinaire ce qu'il fait sur la démarche
de création d'art contemporain de Jed, il invente une véritable
uvre.
Annick A
Ça je suis d'accord !
Claire
Je voudrais lire deux petits textes :
- un commentaire d'Agathe Novak-Lechevalier qui montre bien les glissements
temporels que je trouve formidables (éd. GF, p.
24) :
La Carte et le Territoire ne cesse d'enchevêtrer des dynamiques temporelles hétérogènes : sauts vers le passé, irruptions brusques du futur, le roman procède par bifurcations, par saccades qui rompent la linéarité chronologique. À peine fait-on la connaissance de Jed qu'on se trouve ramené "un an auparavant, à peu près à la même date" (p. 44) ; à peine le récit a-t-il résorbé cet écart que nous sommes à nouveau projetés en arrière, plus loin encore, pendant l'enfance de Jed mais à cet ample retour en arrière se superposent soudain des commentaires issus des travaux des historiens de l'art qui, bien après sa mort, étudient l'uvre de l'artiste. D'où parlent ces exégètes ? À quelle date situer l'"aujourd'hui" qui apparaît à plusieurs reprises dans le roman (p. 203 et 406) ? Difficile à dire, dès lors que la narration s'opère après la mort fictive de l'auteur du récit. Que la narration soit toujours ultérieure à l'histoire racontée, c'est le présupposé implicite de la plupart des romans (ce qui inverse le cours du temps : l'origine est toujours après). Mais le roman houellebecquien matérialise presque toujours cet après-coup de la narration, et en même temps qu'il la met en évidence, la rend problématique, impossible non seulement à situer mais concevoir.
- et un poème :
NON RÉCONCILIÉ
Mon père était un con solitaire et barbare ;
Ivre de déception, seul devant sa télé,
Il ruminait des plans fragiles et très bizarres,
Sa grande joie étant de les voir capoter.Il m'a toujours traité comme un rat qu'on pourchasse;
La simple idée d'un fils, je crois, le révulsait.
Il ne supportait pas qu'un jour je le dépasse,
Juste en restant vivant alors qu'il crèverait.Il mourut en avril, gémissant et perplexe ;
Son regard trahissait une infinie colère.
Toutes les trois minutes il insultait ma mère,
Critiquait le printemps, ricanait sur le sexe.
A la fin, juste avant l'agonie terminale,
Un bref apaisement parcourut sa poitrine.
Il sourit en disant : "Je baigne dans mon urine",
Et puis il s'éteignit avec un léger râle.
(extrait de La poursuite du bonheur)
Claire (devant les mines accablées)
J'adore...
Je me demande si ce qui explique le rejet par certains du roman, ce n'est
pas ce genre de distance... qui tient... à distance.
LES AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN
Inès
(avis transmis)
J'ai lu environ 230 pages (je me suis arrêtée lorsque Jed
retrouve Olga).
Je le ferme complètement, je n'ai pas aimé ce livre, car
j'ai trouvé l'écriture et le style plat et sans intérêt.
Je trouve les personnages caricaturaux, ils n'ont rien à transmettre
et rien à dire. Je ne comprends pas où va l'auteur ;
peut-être que je le découvrirai en finissant le livre mais
j'ai des doutes. Au bout de 150 pages, j'ai commencé à sauter
des mots dans ma lecture et c'est vraiment le signe que je m'ennuie. La
scène par exemple où il y a 4 pages de description du tableau
de Jobs et Bill Gates (lors de l'expo) est d'une longueur... C'est à
l'image du livre entier je trouve.
Ce n'est ni une fiction complète ni un "essai" complet,
vraiment je ne comprends pas ce qu'a cherché à faire l'auteur
et ce qu'il a cherché à transmettre et à dire.
Et Houellebecq qui parle de Houellebecq... quelle horreur... mais ça,
c'est sans doute parce que je n'aime pas le personnage (le vrai).
Voilà, j'aurai aimé être là ce soir, pour entendre
tous vos avis et peut être changer le mien. J'ai hâte de les
lire en tout cas !
Françoise H
J'ai lu ce livre pendant le week-end, avec deux autres de Houellebecq.
C'était une lecture facile, un page turner, même, presque
trop facile. Après, j'ai fait une dépression !
L'auteur appuie sur les ravages du capitalisme libéral, la société
atomisée, la parfaite indifférence, l'égoïsme,
chacun se tourne vers ses instincts. Il nous parle de ses névroses.
Par son côté scrupuleux et amoureux de la technique, il nous
parle de la France d'avant, il a le fantasme de cette France des paysages,
de cette société reconnaissable. Son imaginaire est réactionnaire.
Il parle beaucoup à notre inconscient collectif. J'ouvre ce livre
complètement.
Ana-Cristina
Houellebecq est un auteur qui est tellement doué qu'il semble s'amuser
avec les mots comme un enfant joue avec les éléments d'un
jeu de construction. Un enfant très éveillé qui jouerait
non pas pour créer un monde à la mesure de ses rêves,
mais à la mesure de ses cauchemars. Les mots sont pesés
et bien placés. Les phrases sont posées et bien agencées.
La composition est réfléchie et adéquate.
L'ensemble forme un style étonnamment aérien et terrien
à la fois. Il y a dans ce roman à la fois de la sensibilité
et de la pensée. Je dirais volontiers que son écriture est
équilibrée. Cette uvre illustre à merveille
cette formule à laquelle je suis attachée : "Le
propre de l'émotion vraiment littéraire, c'est de laisser
de la place et de l'emploi à la pensée."
"Vérité", page 381, est un mot écrit en
italique. Pourquoi ? Les mots écrits en caractères
penchés dans ce roman sont nombreux. Je pense que c'est un procédé
que Houellebecq a choisi pour attirer l'attention du lecteur sur leur
"dévaluation".
L'auteur mêle avec beaucoup de talent et de façon inextricable
l'humour, le désespoir et une vision poétique du monde.
D'ailleurs, le désespoir n'est-il pas souvent à la source
de l'humour ? Houellebecq jongle avec son désespoir avec beaucoup
d'adresse. C'est du grand art. Et page 128 : "La
dalle du centre commerciale Olympiades était déserte en
ce matin de décembre, et les immeubles, quadrangulaires et élevés,
ressemblaient à des glaciers morts.". De
la poésie tout simplement.
Et pages 170 et 171, très drôle : Houellebecq (le personnage)
pleure sur ses "trois
produits parfaits : les chaussures Paraboot Marche, le combiné
ordinateur portable-imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend"
qui ne se vendent plus et qu'il aimait tellement. Il raconte son immense
déception de façon magistrale. Il conclut son envolée
lyrico-humoristique par "C'est
brutal, vous savez, c'est terriblement brutal." Disproportion,
entre les causes et la qualité de l'émotion éprouvée,
provoquée par l'ivresse : "Il
se mit à pleurer, lentement, à grosses gouttes, se resservit
un verre de vin." Houellebecq a aussi indéniablement
un don de conteur, cet exemple le prouve, mais aussi page 215, l'épisode
qui relate le second repas de Noël entre Jed Martin et son père
qui va bientôt mourir. Houellebecq a vraiment su trouver le ton
juste, la bonne distance. De la pudeur : pourquoi la mère
de J. Martin s'est-elle suicidée ? Réponse : "probablement
est-ce qu'elle n'aimait pas la vie, et voilà tout." ;
un détail qui rend si réelle la scène, lui donne
du relief : le fils fatigué qui somnole ; et de l'humour,
pour éviter de sombrer dans le pathétique, le dilemme autour
des profiteroles : doit-il les servir ou non ? J'ouvre le livre
en grand.
François
Je trouve Michel Houellebecq génial dans l'évocation du
quotidien, il est romantique, mais sans illusion sur le réel. On
peut le lire comme un mode d'emploi. C'est un très grand poète,
j'ai beaucoup aimé ses poèmes
lus par Hugues Kester, et notamment "Hypermarché Novembre".
MH a un côté midinette géniale, et en même temps
il est très cultivé. Il exprime extraordinairement le malaise
de notre société, avec un humour féroce, et l'art
du portrait (Beigbeder, Julien Lepers). C'est presque proustien, ironique.
Il a une grande lucidité, un vertige, on le sent très complexe,
mais déchiré entre le romantisme et l'inhumanité
du monde. Il a pris un sismographe de la société actuelle.
Un peu mystique, peut-être, son écriture nous parle, il a
un style. J'ouvre en grand.
Monique M
Je n'avais jamais lu Michel Houellebecq. Sa réputation sulfureuse
m'en avait écartée. J'ai donc découvert l'écrivain
et aimé ce livre moderne, sarcastique, lucide, intelligent, sans
complaisance y compris vis-à-vis de l'auteur lui-même qui
se met en scène avec autodérision. M. H. y développe
de façon brillante une vision ultra pessimiste de notre société,
porte un regard acéré, sans compromission sur le monde du
business, de l'argent, des médias, des galeries d'art, dont les
uvres atteignent sans justification des prix faramineux, sur l'hypocrisie
du monde, son aveuglement, la façon dont il court à sa perte
dans sa course folle et son envie effrénée de consommation,
par avidité, négligence ou simple insouciance. La fin est
terrifiante pour l'avenir qui nous est promis.
Le regard de M.H. sur la société actuelle est distant, il
observe le monde de loin, avec détachement, de façon lucide,
comme un extra-terrestre. Il est partie prenante de ce qu'il dénonce
tout en restant à l'écart : c'est très intéressant.
Jed Martin, alias MH, lui sert d'alibi pour observer le monde et faire
ses commentaires, tendres ou violents, car il y a aussi de la tendresse
dans le livre, les passages avec le père notamment, lorsque celui-ci
lui raconte sa vie, ses rêves d'architecte dans le sillage de Fourier
et ses renoncements parce qu'il lui a fallu gagner sa vie, sont superbes.
Il flotte une odeur de mort, tout au moins de pourrissement tout au long
du livre. A l'image du chauffe-eau qui émet des craquements sinistres,
le monde peu à peu se délite. Les fleurs, (vagins bariolés
livrés à la lubricité des insectes, SIC),
ont une beauté triste car elles sont fragiles et comme toute chose,
destinées à la mort
Le monde, le théâtre
d'une parodie où les nantis et les peoples jouent leur partition
entre eux, de façon convenue, se reconnaissent, fréquentent
les mêmes lieux, ont leurs référents, leur vocabulaire
Tout ça est très noir !
Je salue l'audace du propos, aime, souris ou suis émue en découvrant :
- le style moderne, fluide, au vocabulaire cynique, drôle, prenant,
de MH qui décrit avec justesse et humour ce qui se passe entre
les participants au vernissage de l'exposition (p. 75,
76) ; peint de façon factuelle, ultra réaliste,
sans ornement, les rues, les immeubles, les cours, les hypermarchés,
les restos, les locataires, les SDF
Pas d'émotion, que des
constats.
- Son regard ironique sur les dirigeants aux formules rabâchées
et ridicules : "We are a team ! Nous sommes dans le
win-win" sur l'attachée de presse, petite chose souffreteuse
au vagin inexploré ! Celui, impitoyable et bien vu sur les
people : le visage souriant et prévisible de Michel Drucker ;
Julien Lepers en smoking soirées spéciales grandes écoles ;
les présidents démocrates américains botoxés
lubriques ; les membres du PAF, Jean-Pierre Pernaut dont la tache
messianique guide le spectateur, terrorisé par l'actualité
violente, rapide, frénétique, vers les régions idylliques
d'une campagne préservée ; la soirée chez JP
Pernaut ou MH caricature et ridiculise les participants.
- La construction du roman aux idées originales (une expo sur des
cartes Michelin, le fait de se mettre lui-même en scène dans
le roman, l'assassinat avec les morceaux des corps, découpés
au laser, répartis sur le sol comme une uvre de Pollock).
- Les moments décalés, mélancoliques : le rendez-vous
dans le café ou un vieillard très maigre en pardessus gris,
un petit ratier blanc et roux a ses pieds, s'assoupissait devant son Picon
bière, pendant que Franz évaluait en millions d'euros le
prix moyen des tableaux de Jed.
- Le dîner de Noël avec le père, homme entreprenant
et dynamique qui avait dirigé parfois avec dureté des d'entreprises
et que l'approche de la mort rendait humble, vulnérable
Ce
passage est l'objet d'une évocation très intéressante
de Fourier, des architectes des années 50, Van Der Hove et Le Corbusier,
de Williams Morris, les préraphaélites, Gabriel Rossetti
et Burne-Jones (qui dénonçaient l'art coupé de toute
spiritualité dès le début de la Renaissance pour
devenir purement commercial, que ce soit Botticelli, Rembrandt ou Léonard
de Vinci), exactement comme Jeff Koons ou Damien Hirst aujourd'hui (p. 226,
227). Tout ce passage passionnant sur ces artistes est entrecoupé
de visions du père suspendu dans ses souvenirs, puis se tassant
sur lui-même, rapetissé amenuisé, repris par son âge
avancé. Beaucoup de tendresse et d'émotion dans cet échange.
- C'est tellement foisonnant qu'on ne peut pas tout aborder. La fin est
terrifiante. Après la violente critique des marchands de mort que
sont les cliniques à euthanasie, usines à business aux dépens
de la détresse humaine, on plonge dans un univers d'apocalypse :
les crises financières se succèdent, le capitalisme est
condamné à brève échéance, l'art n'est
plus une valeur refuge, tout se délite
Jed tourne en rond
et se surprend à parler à son chauffe-eau, a un cancer des
voies digestives tandis que s'accomplit la fin de l'âge industriel
en Europe. Les usines désaffectées, rouillées, à
demi effondrées, se désagrègent, peu à peu
recouvertes d'une sorte de jungle végétale (p.
428).
Ce récit est affreusement noir, mais on ne peut qu'admirer le talent
de l'écrivain qui y souligne avec autant de justesse la dérive
insensée de notre époque. J'ouvre en grand.
Anlon
"Son père tentait
de sourire, un peu comme un homme qui cherche à montrer qu'il supporte
vaillamment une amputation." Houellebecq tente de s'extraire
du courant populaire tel le père qui tente de sourire certes
c'est un échec son style s'abîme dans le ganachisme
de tous ses contemporains ; la platitude de la langue populaire et
infirme d'aujourd'hui infiltre les espaces entre les mots, entre les pages,
les vidant de substance, de verve. Comparé à celui de Balzac
qui est d'une grande préciosité, avec ses descriptions enluminantes
de choses aussi animées qu'inanimées, de vraies relations
humaines, de vraies étreintes émotionnelles, ou à
celui d'Elena Ferrante, qui arrive dans Les
jours de mon abandon à inséminer à foison
la léthargie et l'état mortifère dans le personnage
principal d'Olga, le style de Houellebecq paraît blême et
dépourvu de caractère, simplet et sans singularité.
Avec un lexique très élémentaire, ses tentatives
de descriptions des personnages se limitent à la vulgarité
et aux apparences physiques, ces dernières surtout quand il s'agit
des femmes : d'Olga nous retenons sa beauté et ses fesses
et d'Hélène ses seins en silicone ; la psychologie
ou statique ou bipolaire des personnages n'aide guère à
les faire sortir de l'unidimensionalisme et de l'irréalisme que
peint le discours houellebecquien, d'une réalité livresque,
illusoire, ni fait, ni à faire, qui est le sien. Il n'arrive par
cela qu'à peindre les linéaments de ses personnages, linéaments
grotesques et caricaturaux, sans leur y insuffler de la vie. Ces personnages
vidés d'esprit, comme des ballons dégonflés, une
réflexion de l'uvre, sont ainsi, car, un des éléments
indéniables de la lecture est l'après-coup : la stagnation
des personnages et de l'entre-aperçu de leurs vies dans la mémoire
du lecteur, même après que l'uvre eût été
lue des années auparavant, ces personnages qui prennent encore
vie dans notre imaginaire quand nous y pensons aujourd'hui : ce que
Houellebecq semble dans l'impossibilité de faire.
Même la juxtaposition entre les textes de fiction et de non-fiction
est un artifice, une tentative de se distinguer non-réussie que
Pauline Delabroy-Allard rend plus digest dans Ça
raconte Sarah. Au contraire, les passages encyclopédiques
et les dérisions de personnes qui souvenons-nous sont des êtres
vivants dans le vrai monde, des êtres avec des émotions,
avec des sentiments, sont comme des poids qui alourdissent l'uvre :
ils pèsent sur elle et sur sa moralité, la submergeant sous
les vagues de la conscience, de l'attention du lecteur ; les citations
d'articles de journaux, de traités d'art, qui sont d'une vilité
sulfureuse dans une uvre romanesque, n'ont elles aussi aucun apport
autre que d'illustrer leur similitude avec l'écriture de Houellebecq :
l'insipidité. Ce qui est gracieux par contre dans cette uvre
est que la dérision de personnes du monde culturel et économique
est en elle-même une limitation de soi : elle ne peut qu'être
comprise puis délestée par ceux qui côtoient ce monde
cette littérature ne peut donc pas être exportée
vers un autre public, pourrir et empester une autre culture, les Français
doivent la garder.
Encore y a-t-il l'ambiance littéraire qui doit être partagée
par les deux parties, scène de vie d'homo viator et scène
de crime, et qui par cela dénature le second, lui donnant un aspect
d'édulcoration inaccomplie : la scène de crime ressemble
à une ébauche, un gribouillis enfantin, comparé à
l'aura macabre d'une morbidité hyperréaliste, capable de
catharsis, que réussissent l'écrivain-couple suédois
Lars
Kepler dans le série Joona Linna et Jean-Christophe Grangé
dans La
terre des morts. Ainsi, la vacuité apparente des personnages
et du style qui, jusqu'à vider de sens et d'intérêt
la totalité de l'uvre, fait de cette dernière une
ouverture à un quart. Car, malgré autant de défauts,
l'uvre reste cependant digeste.
Pourquoi cette tendance d'entrecouper la trame narrative de passages encyclopédiques ?
D'introduire à la fiction la non-fiction ? Est-ce une tentative
d'augmenter le niveau intellectuel de la société en général ?
Ou est-ce une tentative de saturer l'intellectualité, de représenter
la saturation d'informations disponible aujourd'hui ?
Séverine (de l'ancien groupe, transfuge
ce soir-là...)
Je suis contente qu'on ait programmé ce livre. La relation père-fils
m'avait frappée dès la première lecture. Il ne raconte
rien, mais dit plein de choses. Il pointe l'état de la société,
c'est très riche, sa culture est incroyable. Son côté
très cru par moments est atténué ici. Ce livre traite
de l'art contemporain, qui renvoie bien à l'absurdité du
monde actuel. Il a une vision de l'économie étonnante. Il
se met en scène. C'est un auteur qu'on aime aimer ou bien détester.
J'ai bien aimé sa vision de la France qui devient une attraction
touristique. J'ouvre en grand.
Léonard
J'ai tout lu de Michel Houellebecq, et je ne me suis jamais ennuyé
en le lisant. Il est presque pédagogue. Il y a ici mille sujets,
politiques, sociologiques, sur l'art contemporain, c'est très complet.
Il se lit aisément. Ce que j'aime c'est sa liberté, il peut
tout dire, il sera décrié, mais il se permet tout. C'est
une perle, et ça fonctionne. Ce livre a certes été
formaté pour le Goncourt, mais c'est bien qu'il l'ait fait. J'ouvre
en grand.
Audrey
Je n'avais lu que Les
particules élémentaires avant ce livre. C'est moi
qui ai proposé La carte et le territoire au groupe de lecture
car je pensais en effet qu'il susciterait beaucoup d'échanges et
de réflexions. Les particules était cru et posait
un regard, une analyse de la société qui me paraissait innovante
et riche, en noir certes, mais fine et souvent juste. Là, j'ai
été déçue, j'ai eu le sentiment à certains
moments de lire une caricature de ce que j'avais trouvé dans Les
particules élémentaires par des phrases crues, oui et
pourquoi pas, mais dans un souci davantage de provocation que de recherche
de fond et d'analyses.
Néanmoins je reconnais avoir trouvé un humour savoureux
et débordant qui est en grande partie responsable du fait que MH
sait nous emmener dans son uvre. J'ai aussi aimé la structure
de ce livre, la façon dont il mène son récit et le
construit, ses allers-retours temporels, notamment.
Et puis son humour se mélange étonnamment à une forme
de cynisme dans un sens commun de mépris des conventions sociales,
de refus d'une hypocrisie (et ce à la fois dans le style de Houellebecq
et dans le tempérament de ses deux personnages principaux). Il
me semblé évident que MH affiche un côté désabusé
avec une intention de provoquer. Tout ça est très caractéristique
chez lui je trouve.
Je lui reconnais une capacité à analyser des situations
de manière très bien vue et j'ai trouvé aussi dans
ce livre des fulgurances, notamment la scène de la femme de ménage
sur une aire d'autoroute qui tord sa serpillière en y faisant passer
sa haine du monde et la tristesse de sa vie ; ce sont parfois des
petits croquis très justes comme ça. De même, le premier
repas entre père et fils dans un silence et une solitude glaçantes
silence et solitude, deux grands thèmes importants
de ce livre.
Néanmoins, j'ai quand même le sentiment que lorsque l'on
décide de ne pas voir la vie sous cet angle là, c'est-à-dire
sous l'angle d'une certaine noirceur et d'un certain cynisme, cela retire
à Houellebecq une partie de son génie et de sa justesse,
cela fait prendre au lecteur une distance et une hauteur qui l'éloignent
de cette crudité que l'on trouve trop souvent juste d'office dans
l'analyse de Houellebecq.
Dans ce récit j'ai vu deux Houellebecq : Houellebecq et Jed
sont les deux parties d'une même personne ; ils se retrouvent
d'abord par leur solitude, leurs difficultés à créer
du lien social, à s'ouvrir un monde immédiat et de par leurs
activités créatrices (moi j'ai beaucoup visualisée
l'uvre peinte par Jed et c'est un challenge).
Je ne dirais pas que MH est dans le désespoir, car il savoure des
choses (la littérature, en particulier).
L'épisode du radiateur, évoqué comme pouvant être
objet d'étude pour une uvre peinte ou écrite lors
de la rencontre de Jed et de Houellebecq en Irlande, annonce des passages
descriptifs type Wikipédia et cela m'a fait beaucoup sourire de
trouver dans les remerciements un clin d'il à ce site que
j'ai eu l'impression de lire dans plusieurs passages du livre !
Je veux dire aussi qu'il y a un aspect de son uvre qui m'a beaucoup
déplu, c'est la façon de nommer des personnes et de les
dézinguer en trois coups de cuillère à pot :
par exemple, Julien Lepers "type un peu stupide" ou Alain Gillot
pétré "ce guignol". Je trouve que lorsque l'on
est un auteur à succès, dépeindre de la sorte et
nommément des personnes est absolument destructeur, j'y vois une
forme d'abus de pouvoir, absolument dégueulasse. J'ouvre seulement
à moitié.
Anne
J'ai lu ce livre d'un trait, j'avais envie de poursuivre. C'est comme
un thriller, c'est très violent. Michel Houellebecq doit être
drôlement dépressif pour se mettre en scène comme
tel, tout en rebondissant dans l'humour. Sur l'art contemporain, on n'arrive
pas à visualiser ce que fait l'artiste, sinon qu'il peint à
partir de ses obsessions. MH décrit bien comment l'art peut générer
des fortunes à partir du vide. C'est intéressant. L'évolution
de cet homme qui a été photographe connu, et qui tout d'un
coup se met à peindre des tableaux qui valent tout de suite des
millions : cela décrit assez bien la perversité du
monde moderne. J'ai bien aimé l'assassinat de MH, ce qui a fait
rebondir le livre, avec des personnages différents. Cela m'a fait
penser à Boris Vian. Il ne reste pas de vie dans ce qui lui reste
après la vente des tableaux. MH a constamment une merveilleuse
ambiguïté sur tout. Les objets sont parfois ennuyeux, il pousse
leur description jusqu'à l'ennui. J'ouvre aux trois quarts.
Anne-Marie
Je trouve ce livre fascinant. J'avais lu Sérotonine juste
avant, et ce sont un peu les mêmes ressorts. C'est un livre sur
la solitude, comme les précédents, et sur ce monde que l'on
ne contrôle plus. MH nous fait rire avec du désespoir. Ses
personnages ne sont pas capables d'aimer. Jed passe à côté
d'Olga, qui l'attend et qui l'aime, mais il ne la rejoindra jamais. On
sent qu'il ne sait même pas pourquoi. Jed est un zombie, happé
par l'art. C'est amusant qu'il rencontre Houellebecq, son double, avec
cette coquetterie sur lui-même. Il nous fait rire en se décrivant
comme un personnage dégoutant, consternant. Le reste du monde contemporain
ne trouve pas davantage grâce à ses yeux. Il déteste
Picasso (il ose détester Picasso, ce qui est rare, car personne
n'ose le dire !), se moque des présidents américains
"enthousiastes",
"botoxés", "lubriques", déteste
les journalistes, la presse stupide et conformiste. Même les enfants
ne trouvent pas grâce à ses yeux, se sont de "vicieuses
petites charognes". Il trouve que les enfants sont la
continuité dans "ce
monde de merde". Le PDG de Michelin est grotesque, il
finit déguisé en crétin de banlieue dans une soirée
en criant "yo"aux
invités d'une soirée ultra chic.
Seule la relation de Houellebecq avec son chien est vivante. Le chien,
seul ami fidèle qui ne demande rien en échange de son amour.
Pourtant il existe quand même des valeurs au dessus de l'argent,
ce qui apparaît dans la personnalité du père, qui
travaille malgré tout pour autre chose que la renommée et
le succès, qui regrette de n'avoir pas poursuivi ses rêves
jusqu'au bout, et dans le personnage du commissaire de police, qui veut
bien faire son travail et s'inquiète que son successeur ne trouve
pas le coupable du meurtre. Même Jed veut "être
utile" et aider le policier à éliminer un
tueur. Ce sont des jalons d'espoir très discrets, montrant que
l'homme n'est pas tout à fait perdu, dans un livre très
pessimiste.
J'ouvre ce livre en grand.
Nathalie B
Je n'apprécie pas plus que ça Michel Houellebecq. Et contrairement
à ce qu'il prétend, je trouve qu'il a plutôt les médias
avec lui. Qu'il soit critiqué ou encensé, il fait parler
de lui, ce qui est souvent le meilleur moyen de se faire connaitre et
lire ! Il est agaçant de le voir se plaindre. Ce roman se
lit vite et facilement. Mais je me suis ennuyée. Je m'attendais
à ce que j'ai lu. C'était sans surprise. Il a une vision
d'un monde, son petit monde. Dans ce livre dont un des sujets est l'art
contemporain, il représente le petit monde de l'élite et
de l'argent. Heureusement l'art contemporain ne se résume pas à
Koons et Hirst qui ne sont que ceux qui se vendent le plus cher, plus
businessmen qu'artistes selon moi. Si j'ouvre au quart, c'est pour l'humour
et l'ironie. Le style est plat et gris et voulu tel. Le roman est plutôt
morbide. Les hommes, il n'aime pas, il préfère les animaux.
Vous parlez de sa lucidité mais sa lucidité s'exerce sur
un certain monde, un certain milieu dans lequel il vit. Mais je préfère
quand c'est Despentes qui en parle (comme dans Vernon
Subutex). J'ai envie de lui dire : rencontre d'autres milieux,
d'autres petits mondes, cela devrait aller mieux. À la fin, tout
disparaît, hormis les plantes. Il est complaisant. Il faut lire
à ce sujet Professeur
de désespoir de Nancy Huston, où elle parle de lui.
J'ai bien compris qu'il n'avait pas reçu assez d'amour lorsqu'il
était enfant. Très certainement c'est la raison pour laquelle
il ne parvient pas à voir la vie en couleur mais uniquement en
gris ou noir. On peut comprendre son point de vue, mais en aucun cas,
je prétendrais qu'il est lucide. Il n'a qu'une vision étriquée
du monde tel qu'il est. Beaucoup de choses lui échappent complètement,
comme la solidarité, l'amitié. Je ne lui en veux pas. Je
ne le déteste pas. Mais ce qui m'ennuie c'est qu'il puisse susciter
un tel engouement. Il est vrai que notre société est un
peu déprimée ces temps-ci. J'ouvre un quart.
David (avis
transmis et lu en début de séance)
J'avais de ma première lecture il y a quelques années conservé
un souvenir mitigé. Je trouvais je crois assez incongrue l'irruption
du meurtre de Houellebecq, et d'une manière générale
flottait autour du livre le soupçon d'avoir été formatté
pour le Goncourt. Bref, pour un afficionado de la première heure,
je craignais que ce livre fût un peu celui qui marquerait définitivement
le passage d'un auteur fascinant à l'habitué des têtes
de gondole de librairie, un peu comme quand j'avais découvert que
tout le monde lisait désormais Murakami après que j'avais
passé des années à le lire confidentiellement, presque
pour moi.
A la relecture, il est certes vrai que Michel Houellebecq donne parfois
l'impression de se parodier, mais il le fait avec une autodérision
qui n'enlève rien à la portée profonde du livre.
Alors, oui, certes, l'incessant name dropping du début peut irriter
ou amuser, qu'il s'agisse d'artistes ou de produits de consommation à
la manière de Brett Easton Ellis dans American
psycho. Mais on retrouve vite le second degré, le style
inimitable d'une phrase comme "rien
décidemment ne semblait pouvoir stopper la progression des pâtes
fraîches italiennes" ou les "organisations
aériennes intrinsèquement fascistes".
Longtemps, j'ai cru qu'Houellebecq se désolait de l'emprise de
la société de consommation sur nos vies, mais force est
de constater qu'il trouve une poésie dans la fluidité des
circuits, l'emprise des normes techniques et de la complexité des
objets (comme le Perec des Choses
mais dans un monde où la technologie a depuis longtemps dépassé
les capacités d'entendement).
Houellebecq est tout sauf un écolo, voit "la
voiture comme une des dernières zones d'autonomie",
constate une déshumanisation implacable de notre monde ("le
monde était tout sauf un sujet d'émotion artistique, le
monde se présentait comme un dispositif rationnel"),
mais n'attend rien des forces politiques (l'ultra-gauche qui devrait profiter
de la désagrégation du monde capitaliste est assimilée
à un ramassis de vieux marxistes masochistes). Jamais un dessein
collectif ne semble trouver grâce à ses yeux, et c'est en
décalage qu'il dépeint des personnages individuels qui auront
à un moment de leur vie osé : le père de Jed
par exemple. Ces personnages sont vertueux finissent la plupart du temps
en échec.
Alors, tout flotte dans cet univers, les hommes sont pathétiques
mais lucides, semblent danser dans une réalité désincarnée ;
les femmes sont absentes ou plus précisément, comme souvent
chez Houellebecq, elles interviennent comme forme rédemptrices,
forme évitant le désastre humain total et que Jed ou le
personnage de Houellebecq évoquent souvent sous la forme de souvenirs
souvent érotiques ("on
a vécu une vie pas si malheureuse que ça").
Une tyrannie du monde moderne sur les individualités, de rares
personnalités qui surnagent comme Jed l'artiste mais qui ne tarde
pas lui-même à voir son existence rattrapée par l'argent,
et dont l'uvre se focalise justement sur une vision un peu balzacienne
des puissants (la conversation de Palo Alto
). Le livre est donc
plus sombre que ses précédents où l'on pressentait
une sortie par le haut des personnages (par l'amour notamment, même
s'il finit tragiquement pour Bruno des particules ou pour le héros
de Plateforme,
mais aussi par la vision d'un sur-homme comme dans La
possibilité d'une île).
Et malgré tout, quel style incroyable, quel humour (l'irruption
des codes du porno dans l'imaginaire érotique des humains moyens),
quel regard humain sur un monde qui l'est de moins en moins. L'ultra lucidité
de l'auteur dénote certes un tempérament sans doute totalement
dépressif, mais qui lui sert de matrice à l'analyse sans
concession de notre monde, avec cette ironie mordante à la Philippe
Murray qui rend cette lecture prodigieusement agréable, qui fait
qu'on ne peut lâcher les livres de Houellebecq une fois qu'on les
a entamés.
La synthèse des AVIS DU GROUPE BRETON réuni le 25 avril, rédigée par Jean (suivie de trois avis détaillés)
Christian
(personnage clownesque sans intérêt) Jean (pas besoin de M.H. pour désespérer du monde) Christine (personnage "glauque") + Édith (aurait aimé l'ouvrir plus, mais la troisième partie la dérangée) Suzanne (un livre "qui passe à côté de la vie") Yolaine Chantal (paisible et sans joie) Marie-Thé Cindy |
1 - Le livre : récit, construction
2 - L'écrivain, l'artiste
3 - Objet : drame de la mémoire et de l'attente
4 - Objet : l'art
5 - Atmosphère
1 - Livre : récit, construction
Le récit est la description d'un monde dépourvu
de sentiments, une description extrêmement précise et grinçante.
Le fil conducteur est la décrépitude et la destruction :
l'acide sur les claviers d'ordinateurs et les photos, laisser tourner
le moteur de sa voiture
à laquelle rien n'échappe :
sa maison est, pour un temps, un îlot de paix au milieu des usines
de la Ruhr, lieu qui sera détruit, dans la dernière phase,
par le triomphe de la végétation.
La description peut utiliser la métaphorique, sous forme de "vidéogrammes", d'une nature qui vient recouvrir les produits décrépis de l'industrie font l'objet de descriptions, forme très appréciée : "il perçut la surface gigantesque et ridée de la mer comme une peau de vieux en phase terminale".
La mise en scène est remarquée, voire appréciée, pour son humour et la dérision, mais considérée comme une vision globalement négative du personnage central - qualifié de "clownesque" à plusieurs reprises - et double de Michel Houellebecq qu'il va "tuer"... On s'interroge sur le sens de cette mise en scène macabre . Pour effacer le semblant de bonheur qu'il avait trouvé à la campagne ?
On s'accorde pour trouver que les portraits sont justes, à défaut d'être intéressants.
Le livre est jugé très "people",
original, avec des trouvailles dans l'expression. Détesté
ou apprécié, les lecteurs/lectrices lui reconnaissent une
écriture pulsionnelle (voir compulsionnelle à propos du
sexe).
Ceux qui n'ont pas aimé trouvent que le récit ne fait pas
rire, voire ennuie, et qu'il faut s'y reprendre à plusieurs fois
pour trouver un intérêt. Ils sont incapables de trouver de
l'intérêt aux descriptions des problèmes du chauffe-eau,
sinon qu'il fait fil conducteur à travers le récit.
Bémol pour la partie polar La troisième partie fait l'objet d'avis divergents : si tous y voient une énigme policière, elle a pu décevoir ou dérouter avec le sentiment mitigé que "ça arrive comme un cheveu sur la soupe".
2 - L'écrivain, l'artiste
Le livre retrace la vie d'un artiste,
vie "rétrécie", d'un asocial. Un artiste qui n'est
pas habité par son art et mène une vie "neutre".
L'autodérision par laquelle il se met en en scène a plu.
Mais les descriptions "fatiguent" certains lecteurs(trices)
qui lui refusent la qualité de "littérature".
Si le début est considéré comme bien écrit,
avec humour, l'écriture semble (trop) facile dans la façon
de décortiquer la vie contemporaine. "Ce n'est pas ce que
j'attends de la littérature, je n'aime pas ce côté
dépressif" (Yolaine)
M.H. fait miroir social : il "tape" juste, il est dans l'air du temps".
Un visionnaire ? Artiste "fêlé"
qui projette sa façon de fonctionner ?
Plusieurs lecteurs/lectrices y ont vu un auteur prémonitoire qui
a une longueur d'avance, notamment par son livre Les
particules élémentaires, considéré
par certains(es) comme prémonitoire des attentats de Charlie
Hebdo.
Est-il un artiste au sens de création soumise
à l'appréciation du public ? Dans le livre, c'est une
femme, sa compagne pour un temps, Olga, qui le met en la lumière :
l'expo de son uvre est portée par elle qui manage "pour
attirer le chaland". Sans Olga aurait-il été "artiste"
reconnu ?
Pour l'une, c'est une sorte de visionnaire de la décadence actuelle,
qui surfe sur la névrose contemporaine. Cette haine de la modernité
de notre écrivain national n'a rien d'original, homme à
la recherche d'une mystique religieuse façon Pascal, diront certains,
à la recherche d'un monde héroïque, moral et chrétien.
Sexe contemporain ou culture chrétienne de la fornication !
Michel H. avance masqué et ne se laisse pas saisir (Christian) : est-ce la marque d'un véritable écrivain ? On pourrait y voir une sincérité cachée, marque d'un véritable écrivain nihiliste, façon Nietzsche. Baromètre de notre contemporanéité, Michel Houellebecq séduisant pour le public. Ce serait "le dernier homme", le nihiliste nietzschéen, parangon d'une civilisation sans Dieu.
Quel sens donné à la référence
au peintre Pollock pour décrire la scène de crime, se demande
Suzanne
Un lien factice ?
L'expression "Il a une tête à claque" fait quasiment
l'unanimité !
3 - Objet : drame de la mémoire
et de l'attente
Que faire du passé ? On peut voir dans le récit, une
fable qui part de l'enfance
vers l'ennui ! La transmission,
la filiation, s'avèrent impossible
Le chauffe-eau fait "point
de mémoire". Le père se fera euthanasier sans l'avis
de son fils.
4 - Objet : l'art
M.H. pointe le marché l'art
qui, de nos jours, justifie n'importe
quoi et où les critiques du marché de l'art fixent des cotes
qui se font et se défont en quelques jours. Sur ce sujet d'autres
auteurs ont écrit, peut-être mieux que M.H.
Artiste, M.H. n'est pas surpris par son succès
et, d'ailleurs, ne cherche pas à le comprendre.
L'artiste, pour lui, est soumis à des intentions créatrices,
qui impliquent de détruire son uvre. Il est sans projet (contrairement
à son père) et met en scène sa propre destruction.
Il tourne ainsi l'art en ridicule, il détruit, l'uvre doit être éphémère, lui-même fait des trucs laids qu'il n'aime pas. L'uvre décrépie comme le corps décrépi dans le cancer...
5 - Atmosphère
Si le processus de création artistique est considéré
bien fait (il y a de "l'épaisseur"), a-t-on besoin de
M.H. pour savoir que le monde atroce et déprimant qu'il décrit,
est le nôtre au quotidien ? Le titre lui-même pose question.
S'agit-il d'attirer la curiosité pour le vendre ?
Le sentiment général est que le point de
vue est très négatif. Certain trouve qu'il fait du bien
par son humour féroce, d'autres estiment que quoiqu'il en soit,
ce n'est pas un livre qui fait du bien.
Absence de sentiment humain à nuancer : un semblant d'humanité
apparaît dans la relation au père, relation qui se met en
place à travers l'art, l'architecture en l'occurrence. Construire
un nid d'hirondelle : le regret de sa vie (du père).
C'est aussi un livre jugé "jubilatoire" par son cynisme à la Charlie Hebdo. Les animaux sont l'occasion de description cynique et rosse, le chien "Michou" pourrait être un dessin de Charlie Hebdo !
C'est un personnage qui passe à coté de
sa vie. S'il n'est pas dans l'attente pour lui-même, il se moque
de ce qui se passe autour de lui.
Plusieurs lecteurs/trices n'ont aucune envie de s'identifier au personnage
de l'artiste.
Citation de Chantal : "Paisible et sans joie, définitivement neutre", pas gaie, pas gaie !
Yolaine
J'ai ouvert ce livre à moitié, non pas parce qu'il ne me
plaisait qu'à moitié, mais parce qu'il m'a laissée
partagée entre des sentiments contradictoires.
D'un côté j'adhère à l'enthousiasme que suscite
cet écrivain contemporain et bien français : la qualité
de l'écriture et l'humour ravageur permanent rendent la lecture
jubilatoire. La complexité de la construction de l'ouvrage, qui
a parfois été l'objet de reproches et d'incompréhensions
lors de notre débat, me semble au contraire être une richesse.
Livre sur l'art, sur la littérature, sur la création artistique
en général, roman policier, chronique sociologique de notre
quotidien contemporain, on peut y trouver tout ce qui fait notre vie,
c'est une auberge espagnole, ou plutôt terriblement cadrée
dans "l'hexagone", dans la "France profonde" puisqu'on
finit par échouer du côté de Châtelus-le-Marcheix
dans la Creuse. Cet art d'ironiser et de dénigrer tout ce qui tombe
sous ses yeux de rapace est un sport national, même s'il atteint
des sommets chez Houellebecq. J'admire également l'intelligence
et la sensibilité exacerbée de l'auteur, sa présence
aiguë aux choses et aux gens, sa grande sensualité, masquées
sous des dehors de loup des steppes, son talent incroyable pour capter
l'air du temps.
Mais je ne peux m'empêcher d'être un peu agacée par
ses ricanements systématiques, ses critiques négatives qui
me semblent être parfois des artifices un peu faciles et lassants,
ses références omniprésentes à l'actualité
parisienne et mondaine dans ce qu'elle a de plus factice. C'est sans doute
une des raisons qui font que j'ai tendance à oublier ou à
confondre ses livres dès que je les ai lus (et j'ai pu constater
avec soulagement en lisant les commentaires des autres groupes que je
ne suis pas seule dans ce cas). Vision apocalyptique du monde qui se termine
en décomposition inéluctable et sans guère de réconfort.
J'ai tendance à attendre de la littérature qu'elle me fasse
réfléchir, mais aussi qu'elle me donne de l'espoir et me
montre le chemin d'un monde meilleur naïveté sans
doute.
Il y avait toutefois aussi dans ce roman des pages de grande tendresse
écrabouillée entre Jed et son père, de souffrance
contenue à l'évocation de la mère disparue dans des
circonstances inacceptables, de vraies larmes qui font aussi de cet ouvrage
un roman d'amour et qui me font presque regretter de ne pas l'avoir ouvert
aux trois quarts.
Chantal
D'abord, premières pages, le prologue m'a barbée, presque
empêchée de continuer
Voix au chapitre oblige, j'ai
persisté et peu à peu j'ai suivi le personnage
avec
plaisir !
- J'ai été dérangée par Jed le personnage
principal, peintre, souvent désespérant dans sa façon
de regarder, de vivre les situations, de faire "une description
objective du monde", sans sentiments ni émotions, même
s'ils affleurent quelquefois
- J'ai aimé l'écriture, l'extrême précision
dans les descriptions des choses, des gens, des lieux, détails
très prosaïques, humour féroce. En me demandant toutefois
si le fait de citer les "vrais noms" (Mitterrand, Pernault,
Nihous) voudrait encore dire quelque chose dans 10-20 ans.
- J'ai aimé plein d'expressions savoureuses, j'en cite une :
"il aperçut la
surface gigantesque et ridée de la mer, comme une peau de vieux
en phase terminale" (sic !!!)
- J'ai été touchée par la façon de décrire
la relation de Jed à son père, émue par la confession
de son père vieux et malade sur ses rêves de jeunesse rêves
d'architecte, de maisons et de villes utopiques que Jed retrouve, dessinées,
après la mort de son père.
- J'ai été sensible à l'originalité de la
composition du texte, qui nous emmène des objets industriels photographiés,
aux cartes routières peintes, aux tableaux des métiers,
et enfin à Michel Houellebecq écrivain dont il va faire
le portrait, lui offrir
et provoquer sa mort horrible !
- J'ai vraiment adoré les passages de la toute fin du livre où
l'on "voit", dans ces "vidéogrammes",
les objets industriels disparaître dans les feuilles, les arbres,
et les êtres humains connus et aimés se décomposer
de même dans la nature, toute notre société recouverte
par la Nature triomphante.
- Seul bémol : la partie polar, Houellebecq assassiné
avec son chien, les cadavres mis en scène à la façon
d'un tableau de Pollock. Je me suis quand même laissée embarquer
par le suspense : qui ? Le chirurgien fou
ouais
Je l'ouvre aux ¾. Citations :
"Paisible et sans joie,
définitivement neutre"
"Je
veux simplement rendre compte du monde"
Pas gai, gai
Marie-Thé
J'ouvre ce livre aux ¾ après délibération
avec moi-même...
J'ai beaucoup aimé ce livre drôle, à l'humour
souvent grinçant, et le talent
de Houellebecq. J'ai aimé l'écriture, la provocation, que
l'écrivain se mette en scène avec Jed Martin, son double ;
j'ai assisté à une grande représentation.
La carte et le territoire vaut vraiment le détour. C'est
foisonnant, dense, ça part dans tous les sens, d'où ma difficile
synthèse...
J'ai vu dans ces pages une critique féroce de la société
d'aujourd'hui, d'un monde perturbé. L'art (décadent), et
surtout le marché de l'art, n'échappent pas aux griffes
de l'auteur. Dans le marché de l'art, il y a plus de marché
que d'art... A ce sujet, je note ceci : "des
cotes se faisaient et se défaisaient en un éclair..."
ou ceci : "il ne
faut pas chercher de sens à ce qui n'en a aucun."
Ou encore : "Sur
ce dont je ne peux parler, j'ai obligation de me taire."
(Wittgenstein)
J'ai aimé un livre sur l'art, la création, le cheminement
tourmenté de l'artiste, les réflexions sur l'écriture :
"On ne décide
jamais soi-même de l'écriture d'un livre",
"attendre dans une inaction
angoissante, que le processus démarre de lui-même
",
"être artiste
être
quelqu'un de soumis à des intuitions" peuvent "impliquer
de détruire une uvre."
Il est d'ailleurs ici question de construction, de destruction, de décomposition,
de lacération, de mort, des uvres et de l'auteur. Cela culmine
dans les dernières pages avec les usines de la Ruhr, qui elles
aussi se désagrègent : "Le
triomphe de la végétation est total."
J'ai été sensible aux passages sur la filiation,
la transmission, depuis le grand père photographe : "il
avait été le premier d'une longue lignée à
sortir de la pure et simple reproduction sociale du même",
jusqu'au petit-fils artiste, en passant par le père constructeur.
Finalement, "son père
n'avait jamais cessé de vouloir bâtir des maisons pour les
hirondelles." "Pour
son père, avoir un enfant avait signifié la fin de toute
ambition artistique et plus généralement l'acceptation de
la mort." J'ai été amusée par ceci :
"des micro-regroupements,
qualifiés de familles, ayant pour but la reproduction de l'espèce".
L'homme occidental a d'abord "sa
place dans le processus de production et non son statut de reproducteur."
Il y a aussi le chien Michel, puis Michou, non reproducteurs, comme leur
maître, le commissaire.
Tout ou plutôt tous y passent : les avocats (divorce de ses
parents), les policiers (drôles), commissaire en tête, voyant
par exemple les criminels comme "des
animaux dégénérés... à abattre dès
l'instant de leur capture." Il s'agit en fait de "pister
le gibier", si enquête policière "le
coupable déposé aux pieds du juge était à
peu près vivant". Ce qui vaut à la France
"de demeurer bien notée...
par Amnesty international." Je retiens encore Beigbeder
disant en s'esclaffant : "J'ai
toute confiance dans la police de mon pays." La liste
serait très longue : sont visées les maisons de retraite,
ces lieux en Suisse où se pratique l'euthanasie (l'envers du décor
est terrible, et puis ça pollue quand même le lac de Zurich).
Humour grinçant, j'ai beaucoup ri, me disant que quand même
je ne devrais pas, mais le talent de Houellebecq est plus fort que tout.
J'ai aussi eu besoin de partager ce que je lisais, très souvent,
impossible de garder tout ça pour soi.
D'autres descriptions de situations, de lieux, les portraits, m'ont aussi
impressionnée. C'est caustique, mais cela reste drôle pour
moi. Du "situationniste
belge" à l"l'intellectuel
prolétarien", de la serveuse à la serpillière
"leur jetant des regards
mauvais" à l'aide-ménagère, "une
sénégalaise acariâtre et même méchante",
en passant par l'obèse et ses frites, aux allures de technico-commercial.
Les journalistes ne sont pas oubliés, d'ailleurs M. Houellebecq
boit pour les supporter
Les profs d'économie enseignent "des
absurdités contradictoires à des crétins arrivistes".
Et les réceptions mondaines, et Christine Angot
Critique
du monde de l'immobilier, des "bâtiments
immondes", qui feront dire au père : "je
ne pouvais pas continuer." En Irlande, le chauffeur de
taxi est qualifié d'"imbécile
malfaisant", l'enfant pénible dans l'avion de "vicieuse
petite charogne." J'ai aimé les passages sur les
animaux, le cochon intelligent, la vache "très
surfaite", même si "Il
n'y a pas plus con qu'un mouton." En relisant tout ceci,
je suis quand même effarée
Enfin, il y a les zones
rurales, qui n'aiment pas les "étrangers", qui
peuvent se payer ce qu'eux ne peuvent pas, ici "un parisien un
peu taré". J'arrête là mes errances sur le
territoire.
Cindy
Je n'étais pas présente à la réunion "Houellebecq" :
dommage car j'ai ouvert doublement le livre en grand. Lu à sa sortie
avec grand plaisir et relu aujourd'hui avec encore plus d'intérêt
et j'ai même savouré de longs passages.
Cela va donc faire remonter la moyenne bretonne et j'en suis ravie !
J'ai lu les commentaires parisiens et bretons et ce que je pense se rapproche
de celui de Monique M (Paris) et de Marithé. A Paris c'est moins
critique ! Merci Paris !
Mais je ne manquerai pas d'écrire quelques lignes sur le livre
et l'écrivain que je compare depuis longtemps à un Zola
et Balzac !
Nous avons cette opportunité formidable de lire ses uvres
de son vivant ! Vous savez comme beaucoup, je pense que sa vision
du monde très lucide jaillit dans tous ses livres avec tous les
points essentiels de la cohérence de son uvre qui en résultent.
Et c'est magistralement bien écrit. Et tout cela annonce aussi
une forme moderne de "roman contemporain".
Ce n'est pas un hasard que ses romans se lisent dans le monde entier.
Que des universitaires et autres têtes bien pensantes s'intéressent
à son uvre, qu'il soit invité et interviewé
partout !
Bon, voilà je suis une fan !
Quelques repères bio et biblio
- Enfance, formation, métier
- Vers le succès
- Les 7 romans
- Poésies
- Essais
- Autres arts
Des commentaires et des interviews
- Sur La carte et le territoire, quelques
entretiens
- Sur La carte et le territoire, quelques articles
- Et plus largement sur l'uvre de Michel Houellebecq
QUELQUES REPÈRES BIO ET BIBLIO
Enfance,
formation, métier
- Né en 1956 à La Réunion. Père (guide de
haute montagne) et mère (médecin anesthésiste) le
délaissent : à six ans, il est confié à sa
grand-mère paternelle (communiste) dont il adoptera le nom de jeune
fille comme pseudonyme.
- Études au lycée de Meaux et classes préparatoires
au lycée Chaptal. Ingénieur agronome diplômé
de l'Institut national agronomique. Puis diplôme de l'École
Louis Lumière.
- Début d'une carrière dingénieur
en informatique. Il intègrera ensuite l'Assemblée Nationale
en tant que secrétaire administratif.
Vers le succès
- 1985 : il rencontre Michel Bulteau, directeur de la Nouvelle Revue
de Paris, qui le premier va publier ses poèmes.
- 1991 : publie à La Différence le recueil La Poursuite
du bonheur (prix Tristan Tzara), Rester vivant : méthode
et un essai sur Lovecraft, H.P Lovecraft : contre le monde, contre
la vie.
- 1994 : Maurice Nadaud édite son premier roman, Extension
du domaine de la lutte qui le fait connaître à un
plus large public. Il collabore à cette époque à
de nombreuses revues (LAtelier du roman, les Inrockuptibles,
Perpendiculaires dont il est ensuite exclu
)
- 1996 : deuxième recueil de poèmes, Le
Sens du combat, Prix de Flore.
- 1998 : Les
particules élémentaires connaît un large retentissement ;
le roman sera traduit en plus de 25 langues et fera de lui lun des
romanciers français les plus célèbres à létranger.
Les 7 romans
- 1994 : Extension
du domaine de la lutte, Maurice Nadeau ; poche J'ai lu 1999 ;
poche J'ai lu 2010
- 1998 : Les
particules élémentaires, Flammarion (prix Novembre) ;
poche
J'ai lu 2010
- 2001 : Plateforme,
Flammarion ; poche
J'ai lu 2010
- 2005 : La
Possibilité d'une île, Fayard (prix Interallié)
; poche
J'ai lu 2013
- 2010 : La
Carte et le Territoire, Flammarion (prix Goncourt) ; poche
J'ai lu 2012 ; GF
Flammarion 2016 ; poche
J'ai lu 2019
- 2015 : Soumission,
Flammarion ; poche
GF 2016 ; poche
J'ai lu 2017
- 2019 : Sérotonine,
Flammarion
Poésies
(recueils)
- 1991 : La
poursuite du bonheur, La Différence ; Poche
Librio 2015
- 1995 et 1996 : livres d'artiste avec Sarah Wiame La Peau et La
Ville
- 1996 : Le
Sens du combat, Flammarion
- 1997 : Rester
vivant suivi de La Poursuite du bonheur, Flammarion ; Rester
vivant et autres textes, poche Librio 2015.
- 1999 : Renaissance,
Flammarion.
- 2000 : Poésies,
poche J'ai lu ; Poche
J'ai lu, 2010
- 2013 : Configuration
du dernier rivage, Flammarion.
- 2014 : Non
réconcilié : anthologie personnelle 1991-2013,
Poésie/Gallimard.
- 2015 : Poésies, poche
J'ai lu 2015 (Rester vivant ; Le sens du combat ; La poursuite du
bonheur ; Renaissance ; Configuration du dernier rivage)
Essais
- 1991 : H.P.
Lovecraft : contre le monde, contre la vie, biographie, introduction
de Stephen King, éd. du Rocher ; poche
J'ai lu 2010
- 1991 : Rester
vivant, méthode,
La Différence.
- 1998 : Interventions,
recueil d'articles, Flammarion ; éd.
augmentée 2009
- 2008 : Ennemis
publics, avec Bernard-Henri Lévy ; poche
J'ai lu 2011
- 2017 : En
présence de Schopenhauer, L'Herne.
Autres arts
- 2000 : Lanzarote, récits et photos (coffret)
; poche
Librio 2015.
Michel Houellebecq est également lecteur de ses propres textes,
réalisateur et acteur. Aussi conviendrait-il de lister sa
filmographie
(en tant que réalisateur, scénariste, acteur), sa discographie,
ses spectacles sur scène, les adaptations
qu'il a faites de ses textes (livres audio, théâtre, cinéma
et télévision, poèmes mis en musique), ainsi que
la réalisation d'une exposition (Michel
Houellebecq - Rester vivant, Palais de Tokyo, Paris, 2016, donnant
lieu à une publication).
DES COMMENTAIRES ET DES INTERVIEWS : une sélection réduite
Sur La
carte et le territoire, quelques entretiens
- avec Sylvain Bourmeau, sur Mediapart, septembre 2010, vidéo
de 67 min en 7
épisodes ; et en 12 min à
la Fnac Montparnasse, 3 décembre 2010
- avec Joseph Vebret, "Causeries
littéraires : Michel Houellebecq, BibliObs, novembre
2010, vidéo de 9 min
- avec Martin De Haan, "La
mise à distance du monde", Speakers
Academy Magazine, mai 2011
Sur La
carte et le territoire, quelques articles
- "Michel
Houellebecq, même pas mort !", Raphaëlle Rérolle,
Le Monde, 2 septembre 2010
- "Lecture préraphaélite
de La carte et le territoire de Michel Houellebecq", Cynthia
Biron Cohen, Synergies
Royaume-Uni et Irlande, n° 6, 2013
- "La
carte et le territoire : du potin à l'autofiction", Anne
Chamayou, Université de Perpignan, NRSC
(Nouvelle Revue Synergies Canada), 2014
Et plus largement
sur son uvre
- D'abord un excellent faux débat ("Houellebecq : pour
ou contre ?") par deux jeunes surdoués qui ont tout lu
de Houellebecq, Redek et Pierrot : Le
Mock (15 mars 2019, vidéo, 21 min)
- Les "voix"
de Michel Houellebecq, Actes du Colloque de Lausanne, 3-4 mars
2016, dir. Raphaël Baroni et Samuel Estier.
- Cahier
Houellebecq, L'Herne, dir. Agathe Novak-Lechevalier, janvier 2017
- Lart
de la consolation, Agathe Novak-Lechevalier, Stock, 2018, 306
p.
- "Le
mystère Houellebecq", Alain Finkielkraut avec Agathe Novak-Lechevalier
et Frédéric Beigbeder, France Culture, Répliques,
2 février 2019
- "Spécial
Houellebecq", Stupéfiant !, France 2, émission
de Léa Salamé, 4 mars 2019, 83 min (trois parties :
Houellebecq politique, le style Houellebecq, Houellebecq érotique).
(Coïncidence... se tient en ce moment une exposition au Musée du Jeu de paume, intitulée "Luigi Ghirri. Cartes et territoires"...)
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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