Extrait
du site Gallimard
Quatrième
de couverture :
Trois récits, trois femmes qui disent
non. Elles s'appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Chacune se bat pour
préserver sa dignité contre les humiliations que la vie
lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible.
L'art de Marie NDiaye apparaît ici dans toute sa singularité
et son mystère. La force de son écriture tient à
son apparente douceur, aux lentes circonvolutions qui entraînent
le lecteur sous le glacis d'une prose impeccable et raffinée, dans
les méandres d'une conscience livrée à la pure violence
des sentiments.
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Marie NDiaye (née en 1967)
Trois femmes puissantes (2009)
Le nouveau groupe a lu ce livre pour
le 29 novembre 2019.
Ana-Cristina
Anlon
Anne Audrey
Christine
David Faustine
François
Françoise Katherine
Marguerite
Monique
Nathalie Olivier
Séverine Valérie
de
à
François (avis transmis)
Une fois de plus je n'avais lu aucun livre de l'auteure choisie. Vu la
personnalité que j'ai découverte grâce aux informations
transmises, je ne pouvais qu'éprouver un préjugé
favorable pour cette écrivaine difficilement classable qui a voulu
échapper aux stéréotypes du genre, de la race et
d'une certaine Francophonie
Pour le dire vite, même si je regrette certains morceaux de bravoure
un peu convenus, j'ai été intéressé par l'écriture.
Sa manière de faire tenir dans un petit paragraphe, parfois même
une phrase ou quelques mots tout le poids d'une histoire souvent menaçante
qui va peu à peu émerger des brumes d'un malentendu fracassant
qui semble installé depuis toujours. Et surtout d'une faille que
Marie NDiaye cherche manifestement à combler par l'écriture.
Quelque part, les trois histoires n'en font qu'une que l'auteure a baptisée
roman et non pas nouvelles. Comme s'il s'agissait pour elle d'explorer
une même faille abyssale. Le meilleur du livre est pour moi l'intransigeance
farouche qu'elle lui oppose.
Marguerite (avis
transmis)
Jai lu les deux premiers récits ; jai trouvé
cette écriture tellement vautrée dans la complaisance, en
boucle sur une forme camouflée de nombrilisme, le faux don de soi,
la jérémiade, la plainte et la jouissance à se perdre
dans le désamour et la culpabilité, que je laisserai ce
livre fermé à jamais.
Un auteur, un narrateur et des personnages qui sinquiètent
si peu de leur désir, une écriture pauvre, sans ressort
ni surprise, je me suis bien interrogée sur le mode et les critères
dattribution des prix littéraires. Curieuse de lire vos impressions
respectives.
Olivier
(avis transmis)
Je viens de terminer le livre de Marie NDiaye et je suis très déçu
alors que je me réjouissais d'avance de la découvrir. J'avais
un préjugé favorable lié au fait que ses origines
africaines pouvaient m'apporter un vent nouveau, que le succès
de son livre était peut-être un bon signe
Et bien non !
1- L'histoire : aucune des trois histoires ne m'a intéressé.
Je me suis toujours ennuyé.
2- Le style : je l'ai trouvé poussif, maniéré. Et
surtout, je ne lui ai pas trouvé de personnalité, un style
qui manque de caractère.
3- La touche africaine me semble caricaturale, et de plus elle me paraît
sans intérêt. Jai découvert à la fin de ma
lecture que le livre avait même reçu le prix Goncourt, ce
qui m'a affligé. J'ai pensé au grand écrivain malien
Hampâté Bâ, écrivain de langue française,
qui m'a tellement enchanté que je me suis consolé ! Après
tout, la récompense attribuée à Marie NDiaye est
peut-être une sorte de petite graine d'une reconnaissance posthume
pour le grand Hampâté Bâ. Donc je n'ouvre pas.
Ana-Cristina
Je n'ai lu que 100 pages et n'ai pas pu finir ce livre qui m'a ennuyée.
Je n'ai pas accroché. Ni l'écriture, ni l'histoire ne m'ont
enthousiasmée. Je ferme le livre.
Christine
C'est au contraire pour moi le premier livre que je lis avec vous dans
lequel je suis rentrée très facilement. Je suis conquise,
j'ai adoré le style malgré quelques phrases un peu alambiquées,
un peu à la manière de Gombrowicz (Cosmos),
mais je m'y retrouve davantage. Par rapport au titre, Trois femmes
puissantes, j'y vois au départ trois puissantes victimes, dès
l'enfance elles le sont, chacune à sa manière, mais elles
sont volontaires, elles veulent se transcender. Elles sont blessées
dans la vie, mais une force les habite, elles ont toutes trois un grand
pouvoir sur elles-mêmes, et un effet sur leur entourage. Selon moi,
je les vois en plus, pour deux d'entre elles, se réaliser dans
la mort (dans le deuxième et troisième récit). J'ouvre
le livre en grand.
Françoise
Je n'ai pas aimé du tout. Le style est une torture. J'ai ressenti
un ennui terrible. Pour prendre une image, pour moi Dostoïevski c'est
du Poussin, et Marie NDiaye c'est carré blanc sur fond blanc !
Elle évoque l'Afrique mais ne donne aucune consistance, aucune
réalité sociale à cet ancrage. Pas de progression
littéraire non plus. Récit plat, bébête, "fadouille".
Pas d'émotion. Quelle perte de temps pour moi ce genre de livre !
Je ferme complétement le livre, je le mets au pilori même !
Valérie
À l'opposé, je n'aurais pas lu ce livre sans Voix au
chapitre, j'avais un a priori négatif à partir de sa
couverture, son titre. Mais en fait, j'y ai trouvé une fascinante
introspection des sentiments humains ; Rudy Descat me semble d'ailleurs
plus important comme personnage que Fanta, dans le second récit.
La première nouvelle m'a laissée un peu perplexe, le personnage
féminin ne m'a pas convaincue. Ce livre mérite selon moi
le prix Goncourt qu'il a eu. Je l'ouvre en grand.
Audrey entreet
Tout d'abord, je dois dire que le titre m'a posé beaucoup de problème.
Pour moi, il nous impose une lecture, l'oriente considérablement,
nous impose de voir dans ces trois femmes des femmes puissantes. Cela
présente l'intérêt de nous interroger sur le sens
de la puissance, mais nous ferme des possibilités de lectures et
d'interprétations. D'autant que toutes les interviews et articles
se sont engouffrés dans cette brèche...
Je trouve intéressant de penser la puissance dans le rapport au
silence et à l'intériorité. Cela m'a beaucoup questionnée
et intéressée. Néanmoins, je trouve que le cur
du sujet tourne beaucoup (essentiellement) autour du non-dit (de même
que dans la pièce que j'avais vue d'elle, intitulée Les
Grandes Personnes, un texte que j'avais trouvé très
intéressant et très puissant et qui m'avait donné
envie de proposer ce livre). Dans celui-ci, en effet beaucoup de non-dits
donc, beaucoup d'impuissance à énoncer les choses :
je pense par exemple à Norah face à son père. Elle,
l'avocate, incapable de se défendre face à lui, n'arrive
pas plus à
exprimer les choses face à son conjoint ou à sa fille.
Le titre de "Trois femmes puissantes" me gêne également
dans l'éclairage qu'il donne aux personnages. Pour moi, Fanta n'est
qu'un personnage à peine dessiné qu'il nous est imposé
de voir comme une femme puissante (on peut y voir à l'inverse une
femme qui ne parvient pas à s'imposer face à son mari, qui
l'a suivi et qui subit).
En revanche, le personnage que je préfère de loin dans ce
livre est celui de Rudy. Lui, pour moi, est un homme puissant, un personnage
puissant, que l'on rencontre chrysalide, empêtré, souffreteux,
et que l'on va quitter Imago, papillon. Quelle puissance et quel courage
de savoir se confronter à ses faiblesses, à ses bassesses
et prendre en main son destin de manière à se placer sur
la voie de la vérité comme il le fait. Avec pour objectif
de devenir si ce n'est bon, en tout cas meilleur. Lui, sortira des non-dits,
saura s'opposer en définitif à sa mère, quitter ce
dont il ne veut plus : environnement professionnel/médiocrité
du rapport à son fils/fausse victimisation/rapport à sa
mère complètement nocif. Il va se confronter volontairement
à un bouleversement considérable. Considérable, parce
qu'il lui demande de voir en face ses propres mensonges.
En tout cas, ce que je trouve très fort et très touchant
dans ce livre, c'est ce qui unit globalement les personnages, à
savoir leur solitude et le rapport à eux-mêmes : le
lien qu'ils entretiennent à eux-mêmes. Ce sont des êtres
qui croient en eux-mêmes, ils vont au-delà de l'endroit où
ils sont, cela leur confère une véritable force.
Et puis la troisième femme puissante, si elle n'est Fanta, elle
est probablement Marie Ndiaye elle-même, qui a trouvé un
langage, des mots et une expression puissante. Elle possède une
très grande maîtrise de la langue, cisèle ses phrases.
A l'inverse de ce que j'ai pu lire dans certains articles, cette écriture
ne me paraît absolument pas fluide ! Bien au contraire, en
la lisant j'ai souvent eu l'impression de devoir relire les phrases et
de franchir des obstacles qu'elle disposait sur mon chemin de lectrice.
J'ai trouvé ça globalement plutôt difficile, voire
pénible à lire.
Enfin, j'ai bien aimé son recours à la magie (démons
et oiseaux) qui parsèment ce livre.
J'ouvre entre la moitié et trois quarts.
Monique
(En réponse à Françoise et à propos du manque
de réalité sociale : Marie NDiaye n'est pas historienne
mais romancière, elle ne se préoccupe pas d'histoire ou
de sociologie, elle écrit un roman, un conte philosophique)
Pour moi ce livre est un livre sur la violence de la société,
vue à travers le regard de trois femmes, confrontées à
cette violence. Trois femmes dotées d'une force spirituelle innée,
ontologique, inhérente à leur personnalité, qui leur
confère une puissance capable de résister à toute
épreuve dans leur volonté d'exister au monde.
Trois types de violences sont décrits. Celle d'un patriarcat dominateur
et toxique (qui peut être aussi celui des mères) ; celle
de la société vis-à-vis des plus vulnérables ;
celle enfin de l'environnement tout entier de certains pays déshérités.
Ce qui est extraordinaire, c'est la façon dont les trois récits
s'enchevêtrent, dont l'auteure réussit à faire une
réflexion philosophique sur le mal, l'emprisonnement d'êtres
vulnérables, l'inégalité des conditions de vie d'un
continent à l'autre, le sort de la condition féminine. Et
cette attraction maléfique, quasi hypnotique, qu'exercent certains
êtres sur leurs proches ou sur ceux qu'ils côtoient :
ainsi en est-il du père, Abel Descas "assis sur le ventre
de ses enfants".
J'ai été déconcertée par le style au tout
début, j'étais un peu perdue, j'ai dû reprendre ce
livre une seconde fois pour y entrer vraiment. En fait ce livre est pétri
d'humanité, écrit sans pathos. Le style descriptif et introspectif
y contribue ; les phrases très longues, imagées, poétiques,
s'enroulent sur elles-mêmes, se précisent et dévoilent
peu à peu l'intensité de l'intériorité du
personnage ou celle du moment vécu. Mais j'ai surtout beaucoup
aimé la structure du livre, trois récits construits en miroir,
qui se rebouclent sur eux-mêmes, se recoupent et finalement n'en
font qu'un. La manière qu'a l'auteure de suggérer, de semer
des indices tout au long du récit sans jamais conclure, laisse
au lecteur des espaces énormes de réflexion et d'interprétations
différentes (ainsi, pour moi, Rudy et Sony sont deux formes possibles
de mal-être résultant de la toxicité de leur père,
Abel Descas, et le suicide du père annoncé au deuxième
chapitre, suggère que Norah a eu raison de lui). J'aime aussi ce
clin d'il à l'Antiquité avec ces oiseaux (les corbeaux,
les buses) qui traversent le récit, annonçant tels des augures
la vie possible ou la tragédie à venir (c'est après
avoir écrasé la buse - meurtre symbolique du père -
sous les roues de sa Nevada que Rudy recouvre le goût de vivre et
sa liberté). Il y a un côté thriller psychologique
avec, dans le premier récit, la description de l'étrange
maison du père (habitée de frôlements, elle se délabre
comme son propriétaire, le flamboyant pourrit avec ses fleurs fanées
l'atmosphère environnante
). On est pris par ce lieu mystérieux
à la limite du fantastique.
J'ai aussi beaucoup apprécié l'analyse psychologique des
personnages, l'art de camper leurs portraits de façon très
réaliste et les trois contrepoints qui ouvrent au lecteur une dimension
nouvelle et prolongent la réflexion. J'ouvre le livre en grand.
Anne
Trois femmes puissantes parle de l'ambivalence des sentiments et
de leur ambiguïté. Lire Marie NDiaye m'a fait vivre de tels
sentiments. J'ai été à la fois attirée par
son écriture riche et légère, inventive, imagée,
que j'ai pourtant trouvée lourde parfois et trop longue, mais toujours
intense, étrange, onirique, qu'il s'agisse de la présence
d'un oiseau qui vient survoler les angoisses des personnages ou du corps
qui est le théâtre où s'exprime l'intensité
des émotions, ou même l'aspect irrémédiablement
sordide des choses du quotidien, "puis
son regard se fixa sur le verre dans lequel il aperçut, comme prisonnier
de la matière, son propre visage transparent et suant aux yeux
hagards, le bleu de leur iris assombri par l'angoisse, tandis qu'il se
représentait si bien la pièce dans laquelle sonnait et sonnait
vainement le téléphone, le salon inachevé de leur
petite maison tout entière figée dans le non fini de leur
espoir, feuilles de plâtre sans jointement, vilain carrelage marron
car Rudy exécrait cette mocheté qui n'aurait dû être
que provisoire
il en souffrait et était furieux, coincé
dans le rêve interminable, le rêve monotone et froid de la
gêne permanente". Les personnages n'en restent pas
là, ils évoluent dans des questionnements, qu'ils en meurent
ou qu'ils s'en sortent. Ils ne restent pas non plus enfermés sur
eux même et sont en permanence hantés par un autre, conjoint,
père, mère, sur la question de leur parentalité,
sur leur histoire.
Si dans le premier récit je suis passée par des états
contradictoires, agacée, surprise, intéressée, rêveuse,
le deuxième texte m'a beaucoup intéressée (bien qu'ayant
à revenir une deuxième fois sur ma lecture). L'évolution
du récit est en fait captivante du fait de la prise de conscience
progressive du personnage, de son histoire et de ceux qui l'entourent,
notamment de sa mère.
Avec ses prises de conscience Rudy peut penser le traumatisme qu'il a
vécu dans l'enfance et la répétition dans laquelle
il se trouve. Il peut reprendre le contact avec son fils, taraudé
par la culpabilité représentée par un oiseau fou,
une buse qui cherche à l'attaquer, J'ai pensé au film Les
oiseaux d'Hitchcock, car Rudy ne manque pas d'un brin de folie lorsqu'il
est confronté aux bouillonnements de sa pulsion. Il comprend qu'il
n'a pas été aimé dans l'enfance, ni par son père
dépassé par sa violence meurtrière ni par sa mère,
femme froide, qui aimait un autre petit garçon que lui. Dans ce
contexte, il s'interroge sur ses propres sentiments à l'égard
de son fils. J'ai trouvé ces questionnements très riches,
ils ouvrent l'histoire, permettant la transformation des pensées
négatives.
Ce qui m'avait agacée avec les hémorroïdes de Rudy
m'a finalement intéressée. J'ai compris que se nouent dans
le corps les angoisses, lors d'un conflit profond, sans issue, avec ses
collègues et en lien avec la mère omniprésente dont
Rudy va réussir à s'émanciper. Marie NDiaye sait
faire s'intensifier l'exacerbation d'une tension qui aboutit à
un état quasi parano et délirant (l'idée que ses
collègues ont trouvé en lui leur ange), mais le mènent
paradoxalement à un sentiment de liberté, "il
regarda tout autour de lui les grosses voitures noires de ses collègues
et la route devant le parking avec ses alignements d'entrepôts et
de pavillons et il leva son front pour l'offrir délicieusement
au soleil - enfin libre !" J'ai trouvé remarquable
la progression de la remémoration (l'agression par ses élèves,
meurtre d'un homme par le père) qui se passe dans l'espace-temps
d'une journée où se poursuit la vie, (échecs professionnels,
émotions liées à la destruction d'une glycine
),
situations qui décrivent remarquablement les différents
niveaux de sensibilité du personnage. Puis au paroxysme, interviennent
ses propres désirs de meurtre qui l'amènent à une
question fondamentale : "pourquoi
faudrait-il que je ressemble à mon père. Qui attend cela
de moi, que je sois aussi abjecte ?". Quelle prise
de conscience et quelle libération ! Tout cela se passe dans
un beau contexte, onirique, métaphorique, poétique, avec
la présence de la buse qui intervient comme l'arme d'Abraham sommé
de tuer son fils Isaac. Les relations enfants/parents sont interrogées
avec finesse.
La buse survole la situation en contraste avec l'ange tant recherché
par la mère, et le dégoût de Rudy envers celle-ci
lui permet, après avoir tenté sans trop de succès
de se défaire de quelques non-dits, mais surtout de poser la question
essentielle "qui a passé l'arme à mon père ?",
pour enfin s'en aller, résolution qui l'amène à faire
évoluer sa relation avec son fils et à faire fi de la toute-puissance
maternelle. Au lieu de tuer un homme, il écrase la buse, oiseau
de malheur, comme un gros paquet qui embarrasse la route, comme son père
avait écrasé la tête de son associé malhonnête.
Le gros oiseau, dans le premier récit, c'est aussi le père
qui réside dans le grand flamboyant, sorte de conte qui nous fait
entrer dans l'atmosphère troublante d'une maison étrange
en Afrique. Encore un oiseau dans la résolution tragique du voyage
Khady Demba, jeune femme lumineuse en dépit d'une vie de misère,
et qui au moment de sombrer s'élève à la vue d'un
oiseau dans le ciel.
Marie NDiaye déploie une imagination troublante qui m'a introduite
dans un univers particulier bien moins sordide que je ne l'ai cru au début.
J'ai eu besoin d'une relecture pour la découvrir pleinement. J'ouvre
ce livre aux ¾.
Anlon
Je m'incline devant la réputation d'un génie moderne au
parcours d'ancienne noblesse avec l'appréhension de ne point me
retrouver dans la peau des protagonistes, mais leur vacuité identitaire
et culturelle, telle l'autrice métissée qui se considère
irréductiblement française, me permet de m'entrevoir dans
l'effervescence de leur conscience fluviale. Tout en me souciant moindrement
du titre qui m'évoque naturellement la tripartition du roman et
le sexe de quelques personnages importants, la puissance pour moi se trouve
dans le creusement de la psychologie des personnages par l'écrivaine
qui semble hériter des plus grandes écrivaines de la littérature
moderniste. La focalisation interne, alternée et ambiguë de
la narration qui se présente hachée sous une lecture minutieuse,
glisse avec fluidité lorsqu'on parcourt cursivement le courant
fluviatile des réflexions quelque peu particulières des
personnages, comme nous le faisons avec nos propres pensées.
Le stream of consciousness anglais semble avoir formidablement
été transposé dans le paradigme de la littérature
française, qui plus est dans les temps modernes où la scène
littéraire est peu peuplée de monuments et novations littéraires.
La vacuité culturelle intérieure des personnages, les transfigurant
en quasi vaisseaux de conscience, laisse ainsi la liberté aux successions
multiformes de l'imaginaire qui s'unissent et s'amalgament pour former
l'unisson d'une seule grande uvre : ce roman. Or le temps est
déterminant dans mon appréciation de cette uvre, car
ayant préalablement lu et apprécié les nouvelles
de Katherine Mansfield auxquelles j'assimilerais par le style et les propos
qui suscitent à la légère un malaise chez le lecteur
sensible des Trois femmes puissantes, j'avale plus volontiers ce
fleuve de conscience nouveau - volontarisme qui vous l'auriez compris
ne se trouverait pas chez moi s'il ne m'était pas arrivé
de lire Mansfield avant Marie NDiaye. J'ouvre le livre aux ¾.
Faustine
Première lecture faite il y a un certain temps, et déception
par rapport au titre, sentiment de tromperie, de supercherie sur le titre :
par exemple dans la deuxième nouvelle où l'on ne voit la
femme que du point de vue de l'homme, symbole s'il en est de son caractère
"impuissant", ou bien dans la première nouvelle où
la femme n'est pas sûre de sa propre vision, de sa mémoire,
de ses valeurs (éducation par exemple) : pour moi, c'est une
femme victime mais pas puissante ! En seconde lecture, j'ai un avis
plus nuancé. J'ai ressenti la puissance intérieure dont
vous avez parlé, en effet. Face à des situations catastrophiques,
compliquées, ces femmes restent, elles avancent, leur attitude
a l'effet de faire bouger les autres (exemple : sur Rudy). Dignité
des personnages féminins. J'ouvre le livre à moitié.
Katherine
Je suis comme Françoise et Ana-Cristina : je n'ai pas aimé.
Ces trois femmes sont lucides, résilientes, mais pas puissantes.
Je trouve que le titre est une arnaque. L'écriture m'a semblé
lourde, narcissique. Il y a du rabâchage. Je n'ai pas apprécié
la crudité vulgaire de certains passages (incontinence de Nora,
prurit annal et hémorroïdes de Ruddy
). Le fil entre
ces histoires est des plus ténus. Je ferme le livre.
Nathalie
J'avais acheté ce livre il y a longtemps et suis contente d'avoir
eu l'occasion de le lire enfin ! Certes le titre est un peu racoleur,
mais j'ai aimé cette langue abrasive, rugueuse. Je l'ai lu très
vite. Je trouve très intéressant, au contraire, ce rapport
aux corps qui est assez rare dans notre littérature française.
Ici, le corps parle. Nous rencontrons des êtres qui sont incarnés
au sens le plus près de leur corps. La question de ce qu'est la
puissance est tout le temps présente. Ce n'est pas la puissance
au sens du contrôle de soi ou celui des autres. C'est dépasser
la violence de l'autre. Et puis rester en vie dans certaines situations
est déjà une forme de puissance. Ce livre aborde aussi le
décalage entre notre croyance sur la personne que nous sommes,
que nous pensons montrer, et ce que les autres peuvent en voir et penser,
et qui est bien plus riche que ce qu'on croit laisser apparaître,
voire fort différent. Ce livre donne toute sa place au lecteur,
qui peut interpréter à l'infini les petits cailloux rencontrés
et imaginer comme il l'entend les fins. J'ai aimé les trois histoires,
mais j'ai trouvé la deuxième histoire fabuleuse sur la description
de ce que peut vivre dans l'introspection un être (ici un homme)
violent. Rudy est tout en violence contenue et on imagine aisément
la violence conjugale avec l'enfant qui est toujours angoissé quand
il voit son père et ne sait pas comment il doit être et la
mère qui semble toujours sur le qui-vive. Le portrait en creux
de Fanta dans cette histoire est très bien fait, très intelligent
et sensible, et je trouve qu'on la voit très bien alors qu'elle
n'est décrite que par son époux qui l'aime et la maltraite,
du fait de sa culpabilité immense à son égard. L'auteure
arrive en outre à rendre très humain ce personnage violent,
toujours en colère, qui se sent si impuissant. J'ouvre ce livre
aux ¾.
David
Je suis partagé entre plaisir et agacement littéraire. Je
parlerai plus de résilience que de puissance à propos des
personnages de ce livre. Atmosphère parfois oppressante, violences
psychologiques. Peut-être y a-t-il malgré tout des messages
d'espoir, dans la poésie ou la mort ? J'avais lu La
Sorcière, que j'avais trouvé plus tenu comme récit.
Plus maléfique et plus fort, avec un lien entre puissance et magie.
Le style ici est un peu ampoulé et narcissique, bien que parfois
lumineux, avec quelques fulgurances. Comme la chute finale de l'échelle,
se transformant en envol. Le sordide est bien dépeint, sans pathos,
pas d'effet de morale non plus. La circularité de l'écriture
en spirale est intéressante, c'est une épreuve infligée
au lecteur en lien avec les épreuves subies par les personnages
de Marie NDiaye. J'ouvre ce livre à moitié.
Séverine
J'avais un a priori très favorable car j'avais déjà
lu cette auteure dans un texte court sur la Shoah, écrit à
Berlin, Y penser
sans cesse et plus tard, vu au théâtre sa pièce
féroce et haletante, adaptée de son texte Rien d'humain.
Noirceur et dépècement des âmes au rendez-vous déjà
J'étais moins convaincue par la personne que j'avais rencontrée,
un peu précieuse, très contrôlée, peu chaleureuse.
Le titre de ce "roman" pose la question de la puissance, ou
de l'impuissance de ces femmes, que j'ai davantage vue à l'uvre
pour ma part. Mais un des sujets du livre pour moi très important
est le couple, le couple impossible, rompu, raté. Le couple mixte,
ou le couple Sud/Nord. Dans les trois récits il est en échec,
source de souffrance. De distance, de silence, de perte. D'arrachement.
De trahison. Une part autobiographique non négligeable là-dedans ?
Je n'ai pas vu beaucoup d'espoir dans ce livre bien sombre. Pour moi Nora
à la fin se soumet à la puissance de son père, et
non l'inverse. Et démissionne de son rôle protecteur de mère
vis-à-vis de sa fille. Je ne crois pas non plus à l'hypothèse
d'une fin positive du second récit. Certes le père récupère
son enfant, mais le temps que sa mère le reprenne. N'a-t-il pas
fauté à ses yeux de l'emmener voir cette grand-mère
mal-aimante ? N'a-t-il pas totalement failli professionnellement ?
Sans parler de la fin du troisième récit, ou trahie par
tous, y compris par le jeune homme rencontré en chemin, Douka est
immolée sur l'autel de la chimère, qui n'était pas
sienne, du Nord désirable
L'écriture parfois trop
sinueuse ou répétitive, est néanmoins souveraine
et belle, ce niveau de langage n'est plus si commun dans la littérature
contemporaine, et fait plaisir à lire encore. Langage raffiné
qui sied à la qualité de l'introspection des âmes,
notamment masculine dans le second récit, remarquable. J'ouvre
le livre aux ¾.
Liens repérés par Nathalie
À la sortie du livre
- "Lécrivain
Marie NDiaye aux prises avec le monde", Nelly Kaprièlian,
Les Inrockuptibles, 30 août 1989
- 3
questions à
Marie Ndiaye, par Nicolas Michel, Jeune
Afrique, 15 septembre 2009
- Lecture
par Marie NDiaye de Trois femmes puissantes, lexpress.fr,
16 septembre 2009, 5 min
- Dossier Marie NDiaye,
Matricule des anges, n° 107, octobre 2009
- Le
Goncourt à Marie NDiaye pour "Trois Femmes puissantes",
Christine Rousseau, Le Monde, 2 novembre 2009
- Prix
Goncourt attribué à Marie NDiaye, AFP, Le Figaro,
2 novembre 2009
- "Marie
NDiaye, Goncourt magistral", Claire Devarrieux, Libération,
3 novembre 2009
- Entretien à
la BNF avec Marc Antoine, Interlignes, 5 novembre 2009
Plus récemment
- Entretien
avec Marie NDiaye, France Culture La Grande Table, Caroline
Broué, 5 février 2013, 34 min
- "Le
jeu des intertextualités dans Trois femmes puissantes",
Margarete Zimmermann, Une femme puissante : luvre
de Marie NDiaye, Daniel Bengsch et Cornelia Ruhe (dir.), Amsterdam,
Rodopi, 2013
- "Femmes
puissantes", une expression galvaudée, par Géraldine
Mosna-Savoye, France Culture Le Journal de la philo, 20 novembre
2019, 4 min
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
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grand
ouvert
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¾
ouvert
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ouvert
à moitié
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ouvert ¼
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fermé
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