Le joueur,
trad. André Markowicz, postface André Comte-Sponville
, Actes sud Babel, 1991, 240 p., en ligne ICI

Quatrième de couverture :

Pour retrouver le "ton" de Dostoïevski, il ne suffit pas de restituer la narration, il faut aussi, comme l'explique André Markowicz, auteur de la présente traduction, rendre ce que l'écriture a de particulier : l'oralité, la maladresse recherchée et la structure poétique. L'effet obtenu est particulièrement visible avec le Joueur, qui met en scène un possédé à la voix haletante, vivante, familière, parfois vulgaire, à l'image de ces passions qui "se ressemblent toutes et peut-être n'en font qu'une" (comme la note dans sa lecture André Comte-Sponville).
Voici donc, dans cette nouvelle traduction qui lui donne une inoubliable résonance, l'exceptionnel roman d'un écrivain qui faisait de la haine de l'élégance une doctrine de renaissance du peuple russe.

Fédor Dostoïevski, né à Moscou en 1821, est mort en 1881 à Saint-Pétersbourg. Le Joueur, qui fut dicté en vingt-sept jours à une sténographe, parut en 1866, la même année que Crime et Châtiment.


Réédition en 2000, même couverture, et nouvelle quatrième de couverture :

Le Joueur est la confession directe d’un possédé à la voix haletante et familière. Le destin d’Alexis Ivanovitch, consumé par deux passions égales, le jeu et l’amour d’une femme, révèle l’image d’une humanité pleine de désirs fous et d’aspirations incontrôlées, condamnée à l’éternelle nostalgie du bonheur ou à l’espérance du salut.

Dicté en vingt-sept jours à une sténographe, publié en 1866, la même année que Crime et Châtiment, ce roman tourmenté, qui reprend l’héritage du romantisme russe et ouvre sur les achèvements majeurs de Dostoïevski, offre un accès saisissant à l’univers du grand écrivain.


Toujours chez Actes Sud, Le Joueur figure dans un des 4 tomes des Œuvres complètes

Et actuellement dans les éditions suivantes :

- La Pléiade : tome "L'adolescent", trad. Sylvie Luneau, Pierre Pascal et Boris de Schlœzer, 1956, 146 p.

- Folio classique : trad. Sylvie Luneau, préface de Dominique Fernandez, 256 p. Première parution en 1934. Présenté par Michel Butor, Livre de poche classique, 1959. Nouvelle édition en 2019.

- Gallimard, coll. Les classiques russes : trad. Henri Mongault, 1934, 224 p.

- GF : trad. Joëlle Roche-Parfenov, 256 p.

- Livre de poche : trad. Constantin Andronikof, préface Pierre Sipriot, 224 p.

- Librio
: trad. Ely Halperine-Kaminsky, 2003, 128 p. Extrait en ligne ici en pdf ou sur wikisource. Première traduction Plon, 1935

Fiodor DOSTOÏEVSKI
Le Joueur

Nous avons lu ce livre pour le 21 janvier 2022.
Le nouveau groupe parisien l'a lu pour le 3 mars.

De Dostoïevski, nous avions lu :
L'idiot l'été 1988
- Une Femme douce
en 1994 dont nous étions allés voir une adaptation théâtrale dans une mise en scène de Bob Wilson
Le Rêve d’un homme ridicule en 1995
dont nous étions allés voir l'adaptation théâtrale dans une mise en scène de Christian Colin et Bernard Sobel
Les Carnets du sous-sol en 2011
- et le nouveau groupe parisien a lu Les Frères Karamazov en 2020.

Les 22 cotes d'amour des deux groupes parisiens
LauraOlivier
Brigitte •Katherine
Annick LJacqueline
BrigitteCatherineClaireDenisFannyGenevièveSéverine
Anne EtienneFrançoisFrançoise H MargotMonique LMonique MNathalie RRenéeRozenn

Nous avons pu visionner :
- un documentaire sur Arte Fiodor Dostoïevski : jouer sa vie concernant précisément la période où il écrit Le Joueur
-
le film Le Joueur adapté en 1958 par Claude Autant-Lara.

Voir EN BAS DE PAGE d'autres précisions sur les films, une BD, un opéra, les éditions et traductions, les personnages, les mémoires des femmes de Dostoïevski, des livres sur l'addiction au jeu...

15 joueurs dans l'ancien groupe
Laura Brigitte
*
Annick LJacqueline
Brigitte
*CatherineClaire
Denis FannyGenevièveSéverine
Etienne Monique L
NathalieRenéeRozenn

*a misé deux fois...

Etienne(avis transmis)
Je commencerai par une anecdote : le hasard, après m'avoir fait lire en même temps Les détectives sauvages et La plus secrète mémoire des hommes, a placé sur ma pile de lecture, juste après Le joueur, un certain roman intitulé Un été à Baden-Baden. Ce livre exceptionnel et méconnu, unique œuvre d'un médecin russe tombé dans l'oubli nommé Leinid Cypkin, est un récit fictif mais à la frontière de la biographie (un peu à la manière d'un Sebald) d'un bref séjour que Dostoïevski passa en compagnie de sa femme Anna dans la ville thermale. Tout y est : l'obsession maladive de Fedia pour le casino jusqu'à l'écœurement, le rapport magnifié à l'auto-humiliation, la fascination pour la chute (morale et physique) et inlassablement toujours : la figure rédemptrice d'Anna. Dans ce livre, la maladie du jeu est surtout mise au service d'une histoire d'amour exceptionnelle, mais cette lecture a apporté un bel éclairage à ma précédente.
Revenons à notre livre du soir. Sans surprise pour moi, Le joueur est une œuvre majeure que j'ai presque lu d'une traite. Le jeu de hasard et tous les symboles qu'il véhicule permet à Dostoïevski de brasser en un court roman énormément de thèmes. Il y est donc question de dépendance, de la fameuse âme Russe, d'amour, de classe sociale, de fragilité de la vie. Ce vertige qui vous prend aux tripes lorsqu'on commence à se croire maître de son destin ou bien alors lorsqu'on sait qu'on ne l'est plus…. Mais aussi : qu'est-ce qu'on rit avec la grand-mère ! Ce roman prend parfois des allures de vaudeville.
Tous ces thèmes, sans être développés de façon didactique, foisonnent progressivement sans s'opposer et finissent par former une image assez précise des cogitations qui habitent Dostoïevski. Il en ressort étrangement une impression éblouissante de pathétisme mais aussi, étrangement, d'héroïsme. Peut-être un peu ce que ressentit Fédia en regardant le fameux Christ mort d'Holbein le jeune pour lequel il avait une véritable fascination.
Je ne m'attarderai pas sur la, dispensable, postface de M. Comte-Sponville, qui malgré quelques pistes de lecture intéressantes, ne semble être là que pour dispenser son prêche freudien complètement étriqué pour la stature de l'œuvre.
Par contre : quel travail d'André Markowicz dont c'est la première traduction que je lis ! Claire avait raison, elle est sublime… Moi qui avait lu Les Frères Karamazov et L'Idiot, je me demande si je ne vais pas les racheter… Et quelle note intéressante ! Dostoïevski maître de l'oralité ? En tout cas jamais un de ses romans ne m'a paru aussi théâtral.
J'ouvre évidemment en grand.
Séverine
(avis transmis)
C'est avec grand plaisir que je me suis plongée dans ce roman après mon expérience peu concluante du roman précédent. J'avais ce livre chez moi, récupéré je ne sais où et pour l'anecdote offert par Elf (eh oui, il fut une époque où ce genre de commerce offrait des classiques…) dans la collection du Livre de poche. Je n'ai pas lu de romans russes classiques depuis… oh la la, ça fait longtemps. Ce qui m'a surprise, c'est le côté très théâtral du texte. On retrouve un peu ces ambiances très russes à la Tchekhov, voire à la Ibsen (si on va du côté de la Norvège), avec ces sortes de familles nobles, bourgeoises, ces groupes qui vivent les uns sur les autres et à qui ils arrivent les malheurs des désœuvrés (NB : je reste fascinée par cette époque de brassage de cultures, certes destinée à une certaine élite, mais qui faisait notamment que le Français était autant parlé)…, mais en plus drôle que les auteurs cités. J'avais l'impression d'être dans un vaudeville. Les descriptions des personnages sont très drôles et c'est très enlevé. Je trouve bien amené le fait que le joueur du titre ne le devienne que tardivement (je me demandais : mais quand est-ce qu'il va jouer ?!), même si je dois dire que mon intérêt a peu flanché quand on s'est focalisé sur le narrateur et sa passion du jeu. J'ai préféré de loin la folie furieuse de la grand-mère ! Et quel bonheur d'avoir un livre court ! (référence au précédent roman…). Tout est dit, pas besoin d'en dire plus… même si je comprends bien, en ayant rapidement lu quelques lignes sur les conditions d'écriture, que le temps (compté) a justement joué en faveur d'un roman bien loin des volumes habituels de Dostoïevski. Bref, pour finir, je dirais que je l'ouvre aux ¾. Au plaisir de lire vos avis.

Toujours notre triple formule inaugurée en septembre 2021 : après avoir lu les réactions transmises, notre tour de table alterne entre physiquement présents et simultanément à l'écran...
Laura(à l'écran)
Dostoïevski nous donne à lire un roman raté. Je le dis, je l'affirme, et pourtant je n'ai lu que trois ouvrages de l'auteur (Les carnets du sous-sol ;
Les Frères Karamazov) dont Le Joueur, mais je considère que c'est une lecture suffisante afin de proférer un jugement honnête. Je ne comprends pas, vraiment, pourquoi Le Joueur est aussi adulé, considéré comme un chef-d'œuvre littéraire, texte mineur de Dostoïevski qui pourtant ferait office d'introduction à son œuvre. Bien sûr, je me suis d'abord plongée dans la lecture avec grand plaisir et quelques attentes, mais que l'auteur pouvait, de mon point de vue, satisfaire sans difficulté. Mais la déception s'est imposée dès le premier chapitre, et plus ma lecture avançait, plus l'ouvrage plongeait dans un abîme sans fond, duquel il ne pourra probablement jamais ressortir. Le problème qui me paraît majeur dans ce premier chapitre, c'est toute l'introduction de l'histoire : Dostoïevski semble faire le choix d'en faire l'impasse, pour plonger le lecteur directement (et plutôt violemment pourrait-on dire) dans l'action. Chez certains la technique fonctionne plutôt bien, on est pris au dépourvu, mais l'histoire en devient d'autant plus intéressante (je pense ici par exemple au Bleu du ciel de Bataille, on découvre le personnage pris aux griffes d'une sorte d'orgie avec sa compagne du soir, c'est déstabilisant, mais donne d'autant plus l'envie de comprendre le pourquoi du comment). Ici, au contraire, j'ai eu la sensation d'être véritablement bombardée par le nombre de personnages différents, leurs noms, leurs rôles, qui est en rapport avec qui, et l'intrigue, et les dialogues etc. Ce qui m'a semblé bien maladroit, comme tout le reste. Second exemple : l'étrange louange du narrateur/auteur envers un retournement de situation (je paraphrase : oh mon Dieu ! mais quelle violence et quelle surprise dans de tels événements ! Diantre je ne m'y attendais tellement pas) qui, d'un point de vue extérieur, n'a pas eu lieu. J'ai véritablement senti un décalage entre le regard que porte Dostoïevski sur son travail, et le mien. Tout cela peut donc être résumé par les termes suivants : maladresse, pâleur, superficialité. La structure d'intrigue du roman est tout aussi linéaire qu'un petit roman de gare, les réflexions sont basiques ou absentes (néanmoins peut-on noter : "J'ai été frappé par le fait de ne pouvoir presque rien dire de précis, de positif, sur mes relations avec elle. Au contraire, tout était fantastique, étrange et invraisemblablement irréel." Sur l'importance de l'imaginaire dans une relation amoureuse, décalage étonnant avec la réalité du monde de l'autre), l'irruption de mots français est excessive ; mais le plus grave, c'est que le titre du livre ne renvoie pas à son sujet. Le Joueur donc, qui est une traduction exacte du titre russe. Or, Alexeï ne joue pas, hormis à la fin de l'ouvrage, comme par un geste forcé de l'auteur pour répondre au titre, comme un deus ex machina damnateur. Pourtant j'y ai réfléchi, j'ai tenté de faire des liens pendant ma lecture, des hypothèses : peut-être que le jeu d'Alexeï est-il de jouer avec les gens ? Avec leurs nerfs ? Peut-être est-ce celui de ruiner la grand-mère ? Mais rien de tout cela ne tient, et de toute façon, ces hypothèses sont niées par la fin de l'ouvrage. Non, le livre aurait ou plutôt s'appeler "La Joueuse", afin de se concentrer sur la grand-mère, qui est un personnage mille fois plus intéressant. Car si Dostoïevski voulait ici écrire l'histoire d'une déchéance, celle de la grand-mère semble bien mieux réussie que celle d'Alexeï. Bref, je suis atrocement déçue, et comprends désormais pourquoi les Russes ont formé un adjectif pour le style de Dostoïevski, et à quoi il renvoie (où le suffixe est péjoratif).
Je ferme complètement.
Catherine 
Je l'ai lu à 16, 18 ans, mon souvenir est flou, mais je l'avais beaucoup aimé. J'en avais lu d'autres - L'Idiot, Les Frères Karamazov - où je n'avais rien compris et celui-ci m'avait semblé plus simple.
En le relisant, j'ai été étonnée car ce sont les scènes de jeu que j'ai le mieux reconnues ; elles sont très bien, ces scènes. J'avais oublié les intrigues. J'ai un peu retrouvé l'impression de ma lecture d'il y a 40 ans.
Je me suis plongée dans ces personnages qu'on comprend mal, c'est d'ailleurs assez fouillis. Tout cela reste étrange ; c'est sans doute dû à l'écriture et à l'univers russe. Je reste au final perplexe, m'interrogeant sur la finalité du livre. Mais j'aime bien. J'ai d'abord lu dans l'édition à 2€, puis je suis passée à celle de Markowicz et y a pas photo…
Et il y a des moments très drôles. Les histoires d'amour sont, elles, très compliquées. Alexeï a une sorte de complaisance à être subalterne, esclave. Il y a beaucoup p de thèmes. J'ai du mal à formuler une impression finale. Au fond, j'ai quand même aimé, en dépit des incompréhensions. J'ouvre aux ¾.      
Nathalie
Comment aborder une telle œuvre en sachant tout ce qui a déjà pu être dit à son sujet ? C'est plutôt intimidant. Je n'ai lu aucun des classiques de l'auteur, je suis plutôt une adepte de Tchekhov. Du coup, je vais peut-être commencer par mes émotions.
J'ai commencé ma lecture de façon plutôt calme, ça se lisait facilement et je souriais aux descriptions des Français : "Invite-le à ta table, il met les pieds dessus", des Anglais "qui regarde[nt] comme ça sans desserrer les dents", des critères de beauté de l'époque : "Mlle Blanche est belle […] grande, large d'épaule - des épaules carrées... le blanc des yeux légèrement jaune […] Des bras et des jambes étonnants". Description d'autant plus étonnante en effet qu'à l'époque, la robe que l'on porte longue empêche de discerner le galbe d'une jambe ! Et de la définition de ce qu'est l'âme russe - le "tout ou rien" ; "ou bien vibrer ou bien mourir" - en effet, à quoi ressemblerait un entre-deux ?! On a tout de suite envie de lancer des verres en cristal par-dessus son épaule et d'abandonner son fauteuil pour aller derechef brûler la chandelle par les deux bouts !
Petit à petit, la lecture paisible a laissé la place à une sourde joie jubilatoire. J'ai trouvé incroyables ces familles qui vivent sur des billets de change ou sur des rêves de fortune à venir : ça me paraît complètement impensable, parce que pour ma part, vivre sur du vent (ce que font certains qui jonglent avec les comptes des entreprises) est impensable. Il me semble que l'on a tous en tête des images de promenades de bord de mer au cours desquelles s'ennuient des Russes blancs désœuvrés, c'était donc facile d'imaginer les lieux de l'intrigue. C'est aussi quelque chose d'extraordinaire que ces déplacements monumentaux qui correspondent à "la suite du général", où chacun a son rôle à jouer. La suite est alors jugée, d'un seul coup d'œil par le personnel expérimenté (qui lui aussi, en fin de compte, parie) en fonction de la taille et de l'ampleur de son déplacement. J'ai eu de fait un coup de foudre pour le prénom du valet Potapytch !
Le texte est tissé dans une extrême tension, le clou étant à mi-parcours le jeu de la grand-mère Antonida Vassilievna. C'est du délire total, c'est énorme et complètement loufoque. En littérature on parle d'hypotypose : une figure de style qui consiste à décrire une scène de manière si frappante, qu'on croit la vivre. C'est exactement ce qui se passe lorsqu'elle se met à jouer. C'est sensationnel. J'ai vu les polaks comme autant de rats sur un bateau, tu en chasses quatre, il en revient dix, tu en fais sortir trois par la porte avant, il en revient trente par la porte arrière ! Les rouleaux d'or cliquettent dans le brouhaha tonitruant de la salle ! J'aime sa force et son caractère et j'ai du mal à croire qu'elle soit "retombée en enfance" comme cela est mentionné plusieurs fois. J'ai beaucoup aimé cette idée que certains courent après l'argent pour être aimés, comme Alexeï Ivanovitch qui se moque éperdument des sommes gagnées quand elles n'ont pas pour but d'être enfin un homme admiré par Paulina ; et à l'inverse que d'autres courent après l'amour pour obtenir de l'argent. Ainsi Mlle Blanche, en bonne intrigante, choisit-elle ses conquêtes en fonction de ce qu'elles pourront lui rapporter. Je ne peux m'empêcher de voir dans le principe du jeu d'argent une métaphore du jeu en amour, sur lequel on parie sans bien connaître ce que cela donnera et pour lequel parfois on s'entête, quitte à tout perdre. De la même façon que les personnages mettent leur mise sur celui ou celle qui leur rapportera le plus, sans bien savoir s'ils ont la moindre chance de gagner, alors que tous cachent les cartes qu'ils ont en main.
Qui possède quoi ? Qui possède qui ? Autant de questions liées à l'avenir imprévisible. Le jeu est le principe du tout est possible. L'absurdité de l'absence de logique, malgré les tentatives à vouloir mettre du sens là où il n'y en pas est également proche du cours de nos vies. Vivre, quitte à en mourir, lutter contre l'absurdité de notre condition humaine. C'est un texte très théâtral nourri de nombreuses intrigues et de faux-semblants, de retournements de situation, de masques. On peut citer "Des Grieux arrangea sa coiffure et affubla d'un sourire son visage haineux, ce sourire détestable, bienséant et très digne" ou bien "même si, bien sûr, je pouvais, dès le début, tirer les fils essentiels, les plus voyants, qui liaient devant moi les acteurs […], je ne connaissais toujours pas entièrement les moyens et les mystères de leur jeu" ; avec des entrées côté cour et des sorties côté jardin.
On rit beaucoup à la lecture de ce texte ! Les personnages sont très attachants. Le texte n'est pas tragique. En tant que lectrice, je n'ai pas réussi à prendre un seul au sérieux quand bien même Alexeï Ivanovitch se vante en permanence d'être prêt à mourir pour Paulina, tout ne semble être que des paroles en l'air. La sincérité n'est pas de mise dans ce jeu de dupes. Un jeu dans le jeu !
Bref, je l'ouvre en grand. 
Brigitteet(à l'écran)
Je l'avais lu il y a longtemps, au moins 10 ans. Je confondais un peu Le Joueur avec La Dame de pique de Pouchkine. Je partage l'impression de Laura : ce n'est pas digne de ce que j'avais lu de Dostoïevski.
J'ai relu donc, avec la traduction de Markowicz, et cette lecture m'a aidée à comprendre cette impression de tournis que j'avais eue et que j'ai retrouvée.
Après avoir été déçue dans un premier temps, j'admire qu'il nous immerge dans sa folie. On se mélange tout le temps dans les personnages. L'auteur nous met dans la tension du jeu où l'on risque tout, puis tout à coup on n'a plus rien. Quand Alexeï a de l'argent, on est surpris, en particulier par la façon dont Mlle Blanche est étonnée en constatant qu'il lui laisse tout dépenser. Il avait apprécié l'adrénaline que cause le jeu, mais l'argent une fois gagné ne l'intéresse pas.
D'autres choses m'ont amusée : les personnages sont en Allemagne et jugent sévèrement les Français. La dépense facile, c'est à Paris qu'elle se fait.
Je suis partagée entre ¼ pour jadis, avec un sentiment peu agréable, et ¾ pour ce tournis tellement bien décrit.
Monique L
Quel plaisir de lecture !
Cela m'a donné envie de relire des œuvres de Dostoïevski.
J'ai toujours apprécié les descriptions des aristocrates russes du 19e siècle oisifs et mélancoliques comme dans Tchekhov.
Ce roman est court, mais d'une intensité incroyable, c'est vif, ça tourbillonne.
L'histoire est digne d'un drame en cinq actes, avec ses coups de théâtre et les relations conflictuelles entre les divers personnages.
J'ai apprécié le narrateur Alexeï Ivanovich. Il est intelligent, lucide, cynique. Il est surprenant car capable de s'humilier pour la femme qu'il aime. J'ai bien évidemment été intéressée par la babouchka avec son caractère direct qui démasque les mensonges. Son arrivée donne un second souffle au roman.
L'auteur règle ses comptes avec tout le monde, il égratigne la société russe tout en vantant sa négligence et sa simplicité, il n'épargne pas les Français calculateurs.
Le rythme de l'écriture des parties au casino est époustouflant et rend bien compte de l'état d'inconscience du joueur en action. La vitesse inouïe de l'enchaînement machinal du jeu est rendue de manière très frappante.
Je ne sais pas ce qui est dû au traducteur, mais c'est vraiment très bien écrit.
Les personnages sont très typés même si peu approfondis. Paulina reste un vrai mystère. Est-elle manipulatrice, est-elle manipulée par Des Grieux ou se sent-elle obligée d'agir ainsi pour empêcher la ruine de sa famille ? Ou la sienne ?…
J'ouvre en entier.
Denis(à l'écran) ,
Je suis un fan de Dostoïevski que je considère comme le plus génial des écrivains, essentiellement pour Les Frères Karamazov, Crime et châtiment, et L'Idiot. À première vue, Le Joueur m'apparaît comme une œuvre de moindre portée et ambition. Pourtant, ce n'est pas le sentiment qu'elle me laisse après la lecture ou la relecture. C'est une œuvre d'une densité stupéfiante, qui réussit faire tenir tout un monde, sur plusieurs époques, à travers un petit nombre de pages. Par exemple, la description de "l'opéra russe" (un des titres dans le dossier de Claire) est d'une grande richesse et subtilité.
Je me bornerai à faire quelques commentaires personnels sur la question des jeux de hasard dans ce roman.
Le jeu du casino a une place limitée dans le livre, en nombre de pages, ou par comparaison avec les affres amoureuses du narrateur, mais c'est cette partie qui me paraît la plus originale dans la littérature. Je ne connais pas beaucoup de romans sur les jeux de hasard. Les Dernières Cartes d'Arthur Schnitzler est celui qui m'a le plus impressionné (les cartes du diable). Mais justement, l'intervention du diable vient prendre de biais et fausser le caractère purement humain du jeu de casino : pas de magie à la roulette, excepté celle que les joueurs élaborent pour eux-mêmes, les systèmes ou martingales. Par exemple, les régularités que le narrateur croit déceler dans les numéros qui sortent.
Concernant les jeux de hasard, j'ai eu une éducation très scientifique, centrée sur le calcul des probabilités. Quand j'étais au collège, mon père avait acheté un livre de vulgarisation de George Gamow (1904-1966) Un, deux, trois... l'infini, qui était particulièrement délicieux. Ce Gamow est le physicien qui a "découvert" le Big Bang, donc une pointure : c'était un homme plein d'humour, qui savait raconter les amusements mathématiques, avant le grand Martin Gardner (1914-2010) qui s'en était fait une spécialité pour le Scientific American. Les livres de vulgarisation de Gamow sont encore édités ; Un, deux, trois... l'infini commençait par une petite histoire familiale : le père rentre à la maison un soir en annonçant :
- Faites vos bagages, nous allons faire un voyage qui va nous rendre riches...
- Comment cela, demande la famille ?
- C'est très simple
, dit le père, et il leur explique un système de jeu qui mène infailliblement au gain ! En termes de jeux de casino, on appelle cela une martingale ou une montante. Cette montante, dite "américaine", mène effectivement au gain, mais seulement sur le papier ! Cela consiste à augmenter les mises quand on perd, de façon à rattraper les pertes. Malheureusement, on risque très vite de se trouver devant des mises énormes pour rattraper quelques sous de pertes. Pour gagner, il faudrait une fortune infinie. Or les mises au casino sont limitées à un maximum, ce qui interdit toute martingale.
J'étais passionné par ces questions de systèmes de jeu. J'avais fauché chez Gibert un petit livre Pour gagner à la roulette et au trente-et-quarante avec lequel je m'amusais à faire des parties de roulette chez moi. J'avais une roulette et une boule, provenant de coffrets de jeux. J'ai pu constater empiriquement la validité des thèses de Gamow. J'avais aussi un épais volume de chez Larousse, La chance et les jeux de hasard de... Marcel Boll (authentique ! ça ne s'invente pas). On y montrait comment calculer les chances au poker, à la roulette, à la boule, etc.
En somme, j'étais passionné de jeux de hasard, mais sans risquer mes propres sous. Quand j'ai lu Le joueur, bien plus tard, j'ai évidemment trouvé absurdes les spéculations du héros sur les cycles des couleurs ou numéros sortants.
Pour conclure, j'ouvre aux ¾ seulement, à cause la passion amoureuse du héros, qui finit par être vraiment casse-pieds. Mais j'adore l'arrivée de la grand-mère, l'atmosphère des salles de jeu, le séjour à Paris et bien d'autres choses.

Rozenn(à l'écran)
J'aime Dostoïevski. J'étais contente de relire ce livre.
Au début ça ne me plaisait pas : l'histoire d'amour est chiante, gênante.
J'ai commencé avec une autre traduction et puis j'ai pris celle de Markowicz ; j'ai arrêté de comparer, de l'une à l'autre, et j'ai continué avec Markowicz. J'ai eu l'occasion de faire un stage de traduction avec lui à Vincennes, où on a travaillé sur un passage en anglais pour que ce soit accessible, c'était passionnant. En Russie, j'ai discuté avec une femme à qui je disais mon intérêt pour cette langue moins guindée qu'il proposait et elle était horrifiée qu'on ne gardât pas un langage académique pour traduire Dostoïevski.
Quand la grand-mère arrive, j'ai été accrochée et avec soulagement. Je me suis projetée dans cette femme de 70 ans dont on attend la mort et qui pète le feu. J'étais moins emballée dans mon souvenir. J'ai aimé la fin.
Mais j'étais mitigée. Puis j'ai regardé le film : que de l'anecdotique, que du narratif, plus de subtilités. Et du coup, j'aime beaucoup le livre ! Ce type, Alexeï, est incroyable : il ne fait pas attention aux autres, il est autiste en quelque sorte, tout le temps dans sa tête, jamais vraiment là. Il a décidé d'être amoureux. Il est obsessionnel. Cela me gêne, qu'il ne soit pas là. Dans le film, il paraît lisse. Alors que dans le livre, on est toujours perdu, personne ne dit la vérité.
J'ouvrais ¾ avant le film, j'ouvre en entier après.
J'ai joué une fois à la roulette : comme je ne voulais pas perdre quoi que ce soit, j'ai joué à chaque fois pair, impair, rouge, noir.
Renée(à l'écran)
C'est le livre de Dostoïevski le plus facile à lire : un roman d'amour, une passion aliénante pour Paulina qui se transforme en aliénation pour le jeu.
Le récit se présente comme une confession, le narrateur met en place les différents personnages, tout semble simple. Sauf que ces personnages sont beaucoup plus complexes que ce qu'ils paraissent.
Lorsque je lis Dostoïevski, les images qui me viennent à l'esprit sont des tableaux de Caravage : personnages à demi éclairés, entourés de zones sombres, inquiétantes.
Alexeï, le narrateur, étudie sa psychologie, essaie d'expliquer ses raisons d'agir, mais n'y parvient pas. Il ne trouve aucune logique dans ses propres actes, ses brusques changements de posture. Il fait le fier devant le Baron, préfère perdre sa place que s'excuser. Il gagne beaucoup d'argent pour plaire à Paulina, mais file à Paris avec une cocotte qu'il méprise, qui le méprise et qui dépense tout sans que ça le trouble le moins du monde. Ce n'est pas l'argent qui l'intéresse, il condamne moralement le capitalisme européen et le goût de l'argent, lui, c'est le jeu, la transe que lui procure le jeu, le risque de perte qui l'excite : "C'est toute ma vie que je venais de miser".
Comme toujours chez Dostoïevski, il y a une opposition entre l'esprit russe et l'esprit occidental : les Russes sont fantaisistes, vivants, alors que les Français sont les plus ennuyeux du monde. Tous les personnages sont inconséquents. Le général dépense l'argent dont il n'héritera jamais : portrait de la décadence de la noblesse. Paulina est capricieuse, versatile, elle renverse les situations sans arrêt : elle semble aimer le Français puis Alexeï, mais le quitte pour l'Anglais. La grand-mère excentrique est formidable et fait entrer beaucoup d'humour dans cette histoire de jeu mortifère.
J'ai pensé au jeune joueur de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig qui finit par se suicider après la même descente aux enfers. Deux livres formidables.
J'ouvre en grand.
Jacqueline(qui s'est surpassée en réalisant - nous sommes au mois de janvier - une galette des rois qui permet de jouer en la dégustant à la roulette russe...)

Quand j'étais très jeune, j'aimais beaucoup Dostoïevski, en particulier L'Idiot. J'avais lu Le Joueur, mais ne m'en restait aucun souvenir, à part celui d'un témoignage sur l'addiction au jeu, ce qui ne m'intéressait guère… J'avais profité du premier confinement pour lire Les Frères Karamazov qui est un livre très riche, plein de contrastes et qui suscite beaucoup d'interrogations. J'ai vu avec beaucoup de plaisir l'adaptation de S. Creuzevault à l'Odéon. J'avais vu aussi, il y a quelques années, sa mise en scène des Démons que je venais de relire à cause d'un roman japonais qui s'y référait en en montrant l'actualité… J'ai vu aussi la plus récente mise en scène de la Comédie Française
En lisant Le Joueur, j'ai été prise par les rebondissements de l'intrigue, par le savoir-faire de l'auteur qui tient son lecteur en haleine ; je me suis prise au récit du narrateur naïf, ballotté dans des intrigues qui lui échappent et dont le lecteur n'aura pas plus que lui le fin mot… J'ai apprécié l'humour et la construction. J'ai été surprise et un peu déçue de n'y trouver ni cette richesse d'interprétations possibles (ce qu'un commentateur qualifie de "perspective plurielle"), ni les interrogations métaphysiques des grands romans de Dostoïevski. Je me suis plus intéressée aux conditions dans lesquelles il a été écrit.
J'ai lu Mes années d'intimité avec Dostoïevski de Apollinaria Souslova qui aurait servi de modèle à Paulina mais aussi à Catherine des Frères Karamazov, à Lisa des Démons… Effectivement cette autrice nihiliste, féministe, montre un caractère assez "dostoïevskien" mais, malgré son titre, ce journal qui se situe après leur rupture, n'éclaire guère sur Dostoïevski ni son écriture.
J'ai lu par contre avec beaucoup d'intérêt le livre d'Anna Dostoïevskaïa Mémoires d'une vie... J'ai aimé le récit qu'elle fait de sa rencontre avec l'écrivain : jeune sténographe de 18 ans, admirative, elle va noter ce qu'il lui dicte du Joueur. Il doit le terminer en moins d'un mois à cause d'un contrat avec son éditeur, alors qu'il écrit parallèlement Crime et châtiment (dont la sténographe a lu la première partie en feuilleton)… Le texte est terminé à temps, constaté par les autorités juridiques en l'absence de l'éditeur. L'écrivain épouse sa sténographe de moitié plus jeune que lui et elle sera sa collaboratrice constante et avisée, l'aidant à régler leurs problèmes d'argent, continuant à prendre en dictée ce qu'il écrit, devenant éditrice lorsqu'elle constatera que cela apparaît nécessaire. Un témoignage remarquable !
Pour Le joueur, bien que j'ai été tenue constamment en haleine, je n'ouvre qu'à moitié à cause de la comparaison avec les romans, mais j'ai envie de lire son premier roman Les pauvres gens.
Annick L(à l'écran)
Je suis d'accord avec Jacqueline. Je l'ai lu dans une traduction différente de la vôtre, de Sylvie Luneau, en
Folio classique, avec une préface assez psychanalytique de Dominique Fernandez.
J'ai eu, plus jeune, une période où j'ai plongé avec engouement dans les romans de Dostoïevski ; mais je n'avais pas lu ce livre. Je suis mitigée, en regard de la puissance de ses autres œuvres, dont j'ai gardé le souvenir-choc.
Les scènes théâtrales du type vaudeville au début ne m'ont pas beaucoup intéressée. Le cadre sociologique non plus, d'autant que les personnages sont très caricaturaux (Le Français, Le Baron prussien, etc.). Et je regrette que certains autres ne soient pas assez creusés, notamment Pauline, plus mystérieuse. La seule qui soit irrésistible, et mémorable, est la grand-mère. Par contre, je n'ai pas été déçue par les pages sur l'emprise du jeu, remarquablement évoquée. Dostoïevski savait de quoi il parlait ! Ce sont mes passages préférés.
J'avais également lu des pages extraordinaires de Malraux sur l'enfer de l'addiction au jeu dans La condition humaine. C'est pour moi fascinant quant aux ressorts de l'âme humaine, avec cette dimension autodestructrice, presque suicidaire.
Je l'ouvre donc à moitié.

Monique
Cela ne peut pas être aussi fouillé vu le nombre de pages.

Nathalie
Pour moi c'est une nouvelle.

Claire
Comme d'habitude et contrairement à tout le monde ici, je n'avais rien lu avant d'arriver dans le groupe grâce auquel j'ai pu lire L'idiot, Une Femme douce, Le Rêve d'un homme ridicule et Les Carnets du sous-sol. J'ai vu aussi le documentaire d'Arte très intéressant sur la période où Dostoïevski écrit ce livre dicté en trois semaines à sa future épouse (alors que la nuit il continuait à rédiger la suite de Crime et châtiment... !) et l'adaptation au cinéma avec Gérard Philipe que nous avons regardée avec certains hier. Ce que dit Etienne m'a rappelé que j'ai vu tout récemment la salle du musée de Bâle consacrée à la découverte pétrifiante par Dostoïevski du Christ d'Holbein que nous avions rencontré en 2016 dans le livre de Réparer les vivants Maylis de Kerangal.

                                        ˆle tableau aujourd'hui

              ˆle tableau tel qu'il était présenté quand Dostoïevski l'a vu

Jacqueline
Sa seconde épouse Anna Grigoryevna était avec lui et en parle dans ses mémoires : "Le tableau a fait une impression choquante sur Fyodor Mikhailovich, et il est resté figé devant lui. [...] C'était comme si son visage agité montrait des traces de cette horreur que je percevais habituellement chez lui dans les premiers moments d'une crise d'épilepsie."
Claire
Pour en rester quand même au livre, j'ai été surprise de n'avoir pas de problème pour me repérer dans les personnages, peu nombreux finalement et sans guère de diminutifs russes qui vous rendent chèvre. Ce qui m'a frappée, c'est l'amoralité des personnages : on ne fait pas dans la nuance ! Quant à la relation du narrateur et de Paulina, c'est carrément une relation sado-maso, jouissive pour l'un et l'autre apparemment. Il y a de nombreux rebondissements, la grand-mère apporte du croustillant, on file à Paris (j'aimerais pouvoir lire ce livre qui me fait rêver Quand l'Europe parlait français de Marc Fumaroli) : bref, on ne s'ennuie pas. Il y a des moments d'écriture formidables, par exemple le monologue nous faisant vraiment bien ressentir l'addiction du jeu.
Mais une fois fini, j'ai ressenti exactement ce qu'a formulé Catherine : je suis perplexe, quelle est la finalité ? Tout ça, pourquoi ? Bref, je me demandais comment "ouvrir" le livre, et je me suis dit que j'imiterais le plus convaincant du groupe, et c'est la dernière qui a parlé, Annick, que je rejoins tout à fait : j'ouvre donc à moitié.
Après la lecture, moi aussi j'ai trouvé la note du traducteur éclairante et la postface de Comte-Sponville que j'aime pourtant écouter vraiment lourdingue et peu utile. J'ai apprécié le film, son ambiance opérette, ai beaucoup aimé les robes et moins les favoris, rouflaquettes et autres colliers...
Fanny
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans les premiers chapitres : le contexte sociologique m'a semblé si éloigné de moi… et je ne ressentais pas d'intérêt personnel pour ces histoires et ces personnages. J'ai pensé aller au bout sans beaucoup de plaisir.
Mais j'ai beaucoup ri avec la grand-mère. C'est bien écrit. La description des personnages, le Français par exemple, m'a finalement intéressée : c'est fin, drôle et pittoresque. Même si d'autres thèmes sont abordés, je trouve que celui de l'addiction est central : et sur ce point aussi la lecture m'a intéressée.
Pour ce qui est des aspects statistiques du jeu, j'ai compris le sens général, mais absolument pas le détail des calculs de probabilité.
À la fin, lorsque le personnage ruiné, Alexeï, sort une pièce en se disant "c'est ma vie que je joue", je trouve que le cercle sans fin de l'addiction est très bien illustré ; nous sommes très loin d'un happy end et il me semble qu'il est déjà inscrit qu'il ne s'arrêtera pas et qu'il finira ruiné.
J'ouvre aux ¾ car plus la lecture avançait, plus j'y prenais plaisir.
Geneviève(à l'écran)
Mes impressions se mélangent…
J'ai vu le film hier et c'est intéressant d'avoir les deux : ce qui me déroutait dans le roman, je l'ai regretté en voyant le film. J'ai beaucoup aimé le film quand même - léger.
Il n'y a pas la profondeur de Crime et châtiment.
Les personnages secondaires sont intéressants. Le narrateur est un personnage qui a une certaine probité, une distance, il est fidèle. Le Français, c'est difficile de se le représenter.
Au début j'étais perplexe. Certains passages sont verbeux.
Avec la grand-mère - ah le moment où il l'entend crier son nom - on bascule dans l'histoire.
Pour ce qui est du contexte, j'ai aimé cette ville de jeu, de cure, cosmopolite, bourgeoise, où se glissent des escrocs. La description de la salle de jeu est extraordinaire, dont le vortex dans le livre ne se retrouve pas dans le film. Un grand plaisir donc, avec la grand-mère. J'ai aimé la fin ambiguë. Le passage à Paris, romanesque, est d'une autre veine. Il aurait pu sauter.
Globalement, c'est un morceau d'époque : l'Anglais, le Français sont définis d'une façon qui explique ce qui se passe au 20e siècle, qui représente la réalité de la société, de l'Europe.
À beaucoup d'égards, c'est très intéressant, même s'il n'y a pas la force d'autres Dostoïevski.
      
Claire
Après avoir entendu Fanny puis Geneviève, j'ouvre sans hésiter aux ¾ ! 


Avis du nouveau groupe parisien réuni le 4 mars 2021

2 perdants et 5 gagnants
Olivier
Katherine
AnneFrançois Françoise MargotMonique


Jean-Paul (qui a lu un autre livre)
J'ai lu L'Idiot et j'ai détesté dès le départ. 1000 pages ! On n'accroche pas du tout. C'est bavard, pas de prise sur les personnages pour le lecteur, on est obligé de revenir en arrière, tout le temps. Et on dit que c'est une chef-d'œuvre ? Quel bavardage sur 1000 pages ! J'en ai lu 200. Il est vrai que je ne suis pas grand fan de la littérature russe. Avec ce roman, je n'ai eu que de mauvaises surprises, je le ferme carrément. Tous ces personnages qui changent de noms en permanence, qui ne s'appellent pas de la même façon, il faut reprendre la table des matières tout le temps pour savoir où on en est. Et puis cette allure de Christ en croix ! J'ignore ce qu'il a voulu démontrer... On dit qu'il reflète l'âme russe... pourtant il ne se passe pas grand-chose. On a vraiment du mal.
Il y a eu aussi une émission de Laure Adler sur France Inter, dernièrement.
Olivier
J'avais lu L'Idiot aussi il y a 20ans. Dostoïevski, plus jamais ! Je n'ai jamais trouvé un auteur aussi ennuyeux. Les Frères Karamazov, c'était pas si mal. Dans Le Joueur, l'auteur fait détester les personnages et je suis resté toujours à l'extérieur de l'histoire, et ce dont il parle je m'en moque ! Cette vieille femme est effroyable, pas une once d'empathie et du coup je déteste aussi l'auteur. Bien sûr j'ai écouté l'émission de Laure Adler sur Dostoïevski et une des lettres dit que cet auteur est à l'opposé de Tolstoï, qui lui est un géant. Et qu'il n'y a aucune empathie possible. Cela fait du bien de l'entendre et je ne suis pas le seul au monde avec mes impressions. Cela m'aide aussi à me demander ce qu'est la littérature pour moi. Alors, est-ce que ça a une importance de lire ou non Dostoïevski, personnellement je m'en fiche. J'ai envie d'aller ailleurs, du côté de l'amour, de la haine, d'être emporté vers d'autres horizons. Là, ce livre ne m'apporte rien. Il est bavard pour ne rien dire. Rien ne se passe. Par contre, je viens ce soir pour entendre des personnes que j'aime bien - vous - qui ont aimé ce livre. Je suis curieux de découvrir un autre point de vue.
Françoise H
Je voudrais reprendre la dernière interrogation d'Olivier qui dit ne pas se retrouver dans ce roman et ne pas l'aimer. Personnellement, le jeu est quelque chose qui m'est étranger. Quant à l'argent, j'ai une culture très chrétienne, et pour moi il est lié au mal, j'aime dépenser le moins possible, faire circuler l'argent le moins possible, dans ma famille on n'en parlait jamais.
Avec Le Joueur, on entre dans le vice au sens chrétien du terme. Avec ce roman, j'ai appris ce qu'est de jouer : une addiction, un mouvement irrésistible. C'est aussi une pure merveille littéraire. Par la passion, avec le narrateur, on se laisse conduire là où Poline conduit, avec la même séduction, la même addiction. Et lorsqu'il joue, on retrouve pareille séduction avec cette bille de la roulette qui rebondit avec la même énergie du roman. L'auteur va au-delà de toute limite, comme dans la passion où l'on souffre et où l'on continue pourtant à s'y engager. Le personnage narrateur joue aussi pour les autres, pour tous les autres. Quant à la grand-mère, quand elle déboule, c'est un morceau d'anthologie. Jubilatoire. Enfin on rigole !
Je l'ouvre à plein !
François
C'est un roman court par rapport aux autres romans de Dostoïevski, Les Frères Karamazov ou L'Idiot. La force de ce roman tient à son côté léger, comme un vaudeville par rapport à l'ampleur des Karamazov. Il présente le narrateur au centre avec une fébrilité et une démesure telle que cette ivresse verbale les pousse dans un besoin de toujours parler. Dans ce roman, chacun veut être écouté, entendu. Il plante un personnage dans un milieu cosmopolite d'aristocrates décavés de stations balnéaires européennes. Et Dostoïevski pointe la différence entre l'âme russe, la légèreté des Français et la lourdeur des Allemands. Il était lui-même un joueur passionné. Les personnages ont un aspect de grands bouffons parasites et le personnage du joueur est dévoré par une envie d'exister, il a une extravagance amoureuse, un besoin de parler sans cesse qui le relie à tous les autres. L'auteur écrit à un moment "l'homme est un despote par nature et il aime faire souffrir et vous aimez cela par-dessus tout". De sorte que le roman brise toutes les limites de la bienséance pour faire apparaître je ne sais quelle vérité... Ce personnage est à la fois un humilié arrogant, sans limites.
J'ai beaucoup aimé le milieu de cette description de l'Europe. Comme pour faire éclater la vérité, car il fait tout le temps du scandale, il est toujours en transgression, dans la provocation. La passion du jeu l'emporte sur tout, est-ce que c'est une métaphore... ? Mais de quoi... ? Une passion sans mesure. Dostoïevski était comme ça. Il a écrit ce roman dans de drôles de circonstances, il était lui-même pris par le jeu pendant plus de 10 ans. L'éditeur lui avait donné un délai d'écriture très serré, il était pris à court par le temps et il avait besoin de cet argent. Les personnages fonctionnent de la même façon. Dostoïevski rend très bien l'attrait de la perte chez tout joueur, un besoin de tout perdre. Rare est le joueur qui saurait resté gagnant. Par ailleurs, les scènes m'ont souvent fait penser aux peintures d'Ensor James, celles des marionnettes et des pantins ; penser au film avec Gérard Philippe aussi.
La rencontre à Paris, à la fin du roman, est grandiose. Avec ce personnage qui veut écrire son histoire, tellement pris dans son besoin d'expression. Et puis cet ouvrage est vraiment d'actualité avec la description du conflit qui oppose l'âme slave aux Français et aux Allemands. Je comprends très bien qu'on n'aime pas le roman, qu'il soit même rebutant, on ne le lit pas facilement dans son aspect très littéraire, et il faut s'accrocher quant aux liens entre les personnages. L'histoire est tordue. C'est un roman très déceptif par rapport à ce qu'on attend en général d'un roman. Et personnellement j'ai horreur des gens qui écrasent ceux qui n'ont jamais lu Dostoïevski.
J'ai eu un étudiant qui avait lu tout Dostoïevski. J'étais très impressionné, il avait rencontré sa traductrice. Il était si fasciné par cet auteur, de A à Z, qui avait répondu à tous ses problèmes.
Et je voulais vous dire aussi que Freud a écrit un essai très intéressant qui s'intitule Dostoïevski et le parricide, c'est sur la pulsion de mort.
Anne
Pour l'écriture à laquelle s'exerce le personnage, j'ai une explication : il est essentiel pour lui d'écrire ce qui lui est arrivé. Dostoïevski est comme ça. Oui c'est rebutant, les individus sont pris dans le paradoxe de deux choses contraires qui ont lieu en même temps : la mégalomanie d'un personnage qui dans le même temps n'est rien. On entre ainsi dans un univers qui ne peut pas être pensé. J'ouvre ce roman à 100% et j'avais ouvert Les Frères Karamazov à 200%.
Ce qui est très curieux c'est que j'ai dû revisité le roman. Je l'avais lu et je l'avais oublié.
Quant à l'aspect rebutant, je pense au roman d'Henry James Ce que savait Maisie : il s'agit d'une petite fille dans une famille qui ne s'occupe pas d'elle, elle est un objet et elle, elle observe tout et réfléchit à tout. Alors, imaginons par exemple que ce groupe de mondains du Joueur soit une famille dans laquelle le personnage principal veut être aimé de la mère, et entre dans une série de gamineries de susceptibilités communes, où tous font tout pour être aimés. On ne sait jamais pourquoi ils se haïssent, et le narrateur est tellement blessé qu'il va courir s'engouffrer dans toutes les situations les plus blessantes encore. Il n'y a plus que des conflits d'intérêts, pas d'amour du tout, seulement de la destructivité. C'est comme dans les relations des adolescents qui ne parviennent jamais à s'aimer. Tout est dit avec des mots si passionnés et dans des situations si rebutantes dans un univers où les gens sont profondément névrosés, et dans l'excès. Il y a deux mouvements forts du récit : l'attraction et le rejet. Entre les deux, tout est en acte. La parole est là pour détruire l'autre et la relation.
Au milieu de tout ceci, il y a l'argent :
- soit l'argent méprisé, celui des pauvres gens, les Allemands par exemple - Dostoïevski se montre très raciste, les personnages sont odieux, antisémites, xénophobes - cet argent gagné misérablement, honnêtement, sou par sou ;
- soit l'argent magique, celui de la toute-puissance, ce "je le veux tellement que je l'aurai". Il serait intéressant d'étudier en profondeur comment la roulette engage la passion, cette manière d'accéder à tous ses désirs - l'argent et tout le reste - de devenir l'élu, alors que le personnage principal ne sera jamais l'élu. C'est pour lui le seul lien pour organiser le sentiment d'amour qu'il détruit : il doit jouer.
On est dans l'attente du miracle. Une sorte de conte de fée, celui du héros qui réussit tout, obtient la belle, gagne et veut tout lui donner, à Poline, mais elle est folle.
Elle, elle reçoit ce qu'elle croyait vouloir et ce qui la rend folle. Ils sont pris dans des liens de société avec le goût du scandale. Il veut toujours tout savoir de cette famille, comme un gamin intrusif, toujours en situation d'infériorité structurelle, tout est toujours ramené à cela, une persécution. Quant à Poline, elle est idéalisée, Mlle Blanche est une masochiste érotisée.
Et lui veut aussi écrire et penser son histoire.
J'avais oublié ce roman après l'avoir lu. Tout, y compris l'arrivée de la grand-mère. C'est vrai, le roman est très rebutant et Dostoïevski un personnage horrible.
J'ouvre le roman en grand.
Katherine
Je n'arrive pas à me faire une tête* sur ce livre. Je ne peux pas dire que je n'ai pas aimé, je ne peux pas le porter aux nues non plus. C'est un théâtre, une comédie où les traits sont si grossis que l'on est au spectacle. Je l'ai lu comme j'avais regardé Le père noël est une ordure. Les personnages sont caricaturaux, la grand-mère une vaste blague, le pauvre Alexei qui va se ruiner à Paris avec Blanche qui le méprise et à qui il laisse faire tout ce qu'elle veut avec l'argent… Je ne me suis attachée à aucun personnage et je n'ai jamais réussi à entrer dans l'histoire. Je n'y vois rien de négatif, mais il faut pour moi le lire comme une farce, les aventures de personnage colorés et complètement névrosés. Je ne suis pas mécontente de l'avoir lu, mais j'espère sortir plus grandie ou à tout le moins plus divertie de mes lectures. J'ouvre au quart.
* expression québécoise qui veut dire : se faire une idée...
Monique M(avis transmis)
Ce livre est prenant, intrigant, magnifiquement écrit, construit et traduit par André Markowicz ; on ne sait jamais ce qui va advenir, le suspense est permanent, on apprend le nom du narrateur, Alexeï Ivanovitch, au sixième chapitre, tout est mystérieux, très russe dans l'excès des sensations, émotions, passions ; avec des rebondissements, des personnages très typés, aux personnalités fantasques, extravagantes, cupides, manipulatrices.
Le jeu au casino est identique à celui qui s'exerce entre les personnages, tous imbriqués, pris dans un jeu qu'ils suscitent et qui les dépasse. Comme à la roulette, ce jeu est tout aussi imprévisible, exacerbé et conduit au paroxysme des possibles. Ces personnages sont passionnants, qu'il s'agisse des aristocrates russes ruinés ou en passe de le devenir, ou des intrigants escrocs qui vivent autour d'eux et veulent s'accaparer leur fortune ; c'est une sorte de thriller brillantissime grâce au style de Dostoïevski, son art de plonger dans la psychologie des personnages, de magnifier leurs échanges, l'éclat de leurs altercations, et de conduire l'intrigue ; c'est une immersion dans un 19e siècle finissant où ces aristocrates aux habitudes princières jouent leur vie de façon désespérée et jusqu'au-boutiste.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce grand art qu'à Dostoïevski de mettre en scène de façon aussi réaliste et vivante la passion du jeu, de composer les personnages en les faisant vivre au présent tout en leur donnant un passé, un mystère, une ambiguïté, de développer l'intrigue tout en maintenant un suspense permanent, de proposer ce regard distancié qui considère qu'à la roulette comme ailleurs, les hommes ne font que se prendre et se gagner ce qu'ils peuvent les uns aux autres.
Les scènes de jeu à la roulette au casino sont hallucinantes, que ce soit celles d'Alexeï ou de la grand-mère ; on sait que Dostoïevski était un joueur, qu'il a lui-même perdu des fortunes à la roulette et qu'il sait tout de cette passion du jeu, de ces visages avides massés autour des tables, des chiffres qui sortent, les 12 du milieu puis les 12 derniers ou bien le rouge 22 fois de suite, puis le noir… ; les différents types de joueurs, le gentleman qui perd tout et sort la tête haute en souriant, les autres aux tempes moites et mains tremblantes qui s'acharnent sur le rouge, le noir, ou le zéro, les petits voleurs polonais qui raflent les gains sur la table de jeu, la jouissance insurmontable du joueur qui a gagné, à voir s'amasser les billets de banque sur la table, avant de les empocher ou les remettre en jeu…
La relation maître/esclave entre Polina et Alexeï est tout aussi intéressante, ambiguë ; on ne sait que penser des agissements de Polina, veut-elle éprouver Alexeï en l'envoyant miser pour elle au casino ? Se moquer de lui en lui ordonnant des défis absurdes ? Elle le sait épris d'elle et connaît son pouvoir.
Formidable l'arrivée inopinée de la grand-mère que l'on croyait mourante à Saint-Pétersbourg et dont le général attendait l'héritage pour se renflouer ; il y a là une observation très fine de la psychologie et des réactions des personnages ; il en est de même pour l'analyse de la personnalité de Blanche, courtisane française en quête de protecteur fortuné, comme il en existait à Paris sous le Second Empire, alors que Dostoïevski séjournait en France.
Ce livre est passionnant ; c'est un morceau de la vie de ces aristocrates russes, de tout ce qui gravite autour d'eux : cupidité, ambitions, passions humaines de toutes sortes, que dépeint si bien Dostoïevski. J'ai beaucoup aimé, j'ouvre en grand.
Margot
Je n'aurais jamais lu Le Joueur sans les rencontres de Voix au chapitre. C'est vrai c'est rebutant. Mais, je suis ravie d'avoir été au bout du roman. Il est magnifique.
C'est l'histoire d'une roulette russe - qui fait centre et qui est au centre du récit (occupe la majeure partie du roman) - et qui va littéralement happer tour à tour toute une série de personnages.
Une roulette qui serait métaphore de l'âme russe et de sa culture ; elle incarne en tous les cas le caractère imprévisible et non maîtrisable de la culture russe qui mise tout et perd tout, dans un même mouvement de balancier aveugle. La roulette est un centre, une épine dorsale narrative ; la roulette, qui opère des décentrements successifs pour tous ceux qui tour à tour sont happés : le narrateur, la vieille grand-mère, notamment au point de faire disparaître le narrateur qui s'efface totalement lorsque la grand-mère arrive, laquelle va occuper le cœur même du récit et devenir aussi folle et imprévisible que la roulette. Le narrateur revient au "je" de départ après le départ et la disparition de la grand-mère ruinée, et qui reprendra à son tour sa place à la roulette pour gagner à son tour et à son tour tout perdre.
Un centre, qui plus est, redistribue toutes les relations des collatéraux : le général, aristocrate russe richissime et sa suite, la famille auprès de laquelle il est totalement endetté - Mlle Blanche et sa mère, couple de gourgandines à la recherche du meilleur parti. Lesquels collatéraux sont tous en attente de l'arrivée de la grand-mère, soit du télégramme annonçant sa mort et donc un héritage, soit sa venue avec les interrogations qui s'imposent. Un centre à Roulettenbourg, ville située de façon supposée en Allemagne mais ville fictive archétype, semble-t-il, des villes du jeu et des joueurs, qui attire une population interlope que l'on voit graviter autour de la roulette et s'autoproclamer spécialiste de la roulette.
Un centre et décentrement qui font de Dostoïevski l'auteur qui sort brillamment et enfin de la dyade romanesque de l'Amour et de la Guerre. Une dyade qui depuis Homère a envahi la littérature occidentale, pour proposer une nouvelle dyade : l'argent, avec lexique de l'héritage, de la fortune, du lignage, associé grâce au jeu au hasard et à la perte et la dissolution intégrale, non seulement des fortunes mais de toute relations. Contrairement à ce que dit Comte-Sponville, Le Joueur n'est pas un roman d'amour ni sur la passion, l'amour ici est un cliché postural, le vernis d'une image affichée pour s'autoriser des comportements d'emprise ou de déprise. Le Joueur est un livre sur l'argent, l'héritage, le hasard et la perte qui génère attrait et rejet. Au chapitre 1, lors de la présentation de la famille, il y a 26 occurrences directe sur l'argent, p. 5 à 19, édition Babel.
La roulette est le ressort agissant du récit, son principe actif qui agit tous les personnages : c'est le génie de l'auteur. Un principe de l'ensemble du mouvement littéraire du roman : ici la lecture est toujours dans le sens linéaire d'un début vers une fin, qui par l'effet de la roulette qui ramène toujours à la table du jeu, ramène la trame narrative toujours dans le sens d'un retour de la fin vers le début. À la fin du roman, chacun se trouve à peu près identique à lui-même à la fin du roman comme au début. La seule chose qui peut-être a bougé est la capacité du lecteur de les voir en transparence, sans le vernis de la méconnaissance et d'une certaine tenue. La roulette a défait les comportement et jeu de relation comme elle a pulvérisé les fortunes et les gains. Aleïxi est étranger aux autres comme à lui-même, Athley absolument hermétique, Polina malade depuis longtemps et toujours dans un imbroglio amoureux et collée à une autre famille, le général mort déjà (financièrement) et mort enfin (réellement), la grand-mère absente au début (on attend le faire-part de deuil) et absente à la fin (ruinée). Tous avides, et à vide, petites toupies centrées sur leurs propres obsessions grâce au jeu du hasard, aspirés par la roulette. La dernière page se termine sur une page de grammaire intérieure de la voix du narrateur, totalement déstructurée par rapport au début.
Il me semble y avoir deux structures du texte. Deux moments d'écriture :
Moment 1 : Le roman est un carnet de notes, prises par le narrateur et dont la fonction est clairement annoncée d'échapper à la tourmente qui a gagné la salle de jeux de tous les membres du groupe. Ce carnet est aussi le récit de la tourmente en tant que telle, à laquelle le lecteur assiste comme au théâtre, à un spectacle de l'absurde, d'un monde à l'envers qui contrevient à tout l'ordre social qui régit la société et les relations familiales sociales et amoureuses.
Moment 2 : La reprise et la réécriture des notes du carnet, dixit le narrateur, à partir du récit des autres, dans une forme de style indirect libre qui rapporterait la parole des autres. Après la dilapidation, arrivent les coulisses de la démesure, où comment l'argent et la dette, l'héritage et la perte constituent la colonne vertébrale des personnages et comment agit l'ensemble des relations de séduction et dits amoureuses.
Enfin le titre est intéressant. "Extrait des carnets d'une jeune homme" : cela creuse un silence autour du récit lui-même, où il serait loisible d'imaginer d'autres extraits, non extraits encore, mais à excaver. Le récit du joueur est-il dès lors le corpus principal à partir duquel irradieraient d'autres fragments ? Ou bien est-il un éclat envolé d'une architecture d'archives qui se serait pulvérisée ? Ou annonceraient-ils une sorte de constellation de poussières d'étoiles d'un empire familial beaucoup plus vaste ?
Pour finir, j'ai adoré les pages vraiment savoureuses centrées sur l'argent qui encore une fois détermine dans le rapport avec lui la culture russe, française et la culture allemande, qui en font un roman européen, résolument, dans son rapport à l'argent, au cœur de l'actualité aujourd'hui, en particulier dans le lien des pays d'Europe occidentale avec la Russie (p. 36, 38, 39), et si prémonitoire concernant le rapport de l'Allemagne à l'argent, terreau du fascisme hitlérien, alors que le récit est écrit en 1866 ! Je recommande à ce propos un documentaire d'Arte sur Hitler et l'argent, diffusé en février dernier. Quelle écriture étonnante et explosive comme une grenade dégoupillée qui s'achève sur un délabrement intérieur : génial !!!!
Les commentaires précédents que je partage, me font réaliser que ce roman est une dissolution, une sorte de liquéfaction de l'être, comme si la roulette réveillait chez chacun la passion de ne plus exister, de se perdre enfin.
Un grand merci au choix de Voix au chapitre sans qui je n'aurais jamais lu cet ouvrage.


QUELQUES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Des images : films, BD
Un opéra
De nombreuses éditions et traductions
Les différents personnages du roman
Une émission de radio et un article
Les livres des deux femmes de l'auteur
Des livres sur l'addiction au jeu

DES IMAGES : films, BD

On peut "voir" :
- un intéressant documentaire Fiodor Dostoïevski : jouer sa vie (visible ICI jusqu'au 09/05/2022) de Rolf Lambert et Hedwig Schmutte (Allemagne, 2021, 52 min) : sans cesse contraint par ses dettes en grande partie liées à son addiction pour le jeu à écrire dans l’urgence, Dostoïevski a signé un contrat léonin avec l’éditeur Fiodor Stellovski qui, non content d’avoir alloué une misère à l’écrivain pour son prochain roman, se réserve le droit d’éditer, sans aucune gratification pendant 9 ans, tout ce qu’il écrira s’il ne lui remet pas le manuscrit achevé : à 27 jours de l’échéance, Dostoïevski n’a pas écrit la moindre ligne de ce récit fortement inspiré de sa propre vie... ce sera Le joueur...
- L'émission Dynamo, diffusée sur La Sept en 1990, proposait une vidéo de 8 min sur Dostoïevski et l'écriture du roman Le Joueur par Matthias Sanderson et Benoît Delepine.

- le film Le joueur adapté en 1958 par Claude Autant-Lara, avec Gérard Philipe, Françoise Rosay, Bernard Blier, Jean Danet, Sacha Pitoëff, Alice Sapritch (vod 2€99€)
             
 

- une BD : de Stéphane Miquel, scénariste, Loïc Godart, illustrateur, ont adapté le roman en bande dessinée : Le joueur, éditions Soleil, 2010.

UN OPÉRA

Le Joueur est aussi un opéra russe en quatre actes de Sergueï Prokofiev composé entre 1915 et 1917, achevé en 1927, d'après le roman de Dostoïevski, dont il reprend fidèlement l'argument mais de façon incomplète. Les personnages et donc les chanteurs : Alexei, Polina, Le Général, Blanche, Le Marquis, Mr. Astley, La Baronne, Le Baron, La Grand-mère.

On peut écouter et voir 16 min très intéressantes concernant l'opéra de Prokofiev à l'Opéra de Montecarlo en 2016, avec une plongée au cœur du processus créatif de la production du Joueur, raconté par le metteur en scène Jean-Louis Grinda, le décorateur Rudy Sabounghi et le costumier Jorge Jara, qui en commentent le quatrième acte.

NOMBREUSES ÉDITIONS ET TRADUCTIONS

De nombreuses éditions et traductions sont disponibles en poche dont certaines sont en ligne :
-
Folio classique, trad. Sylvie Luneau, préface de Dominique Fernandez, 256 p, 2019. Première parution en 1934.
- GF, trad. Joëlle Roche-Parfenov, 256 p., 2013. Première traduction Aubier, 1993.
-
Librio, trad. Ely Halperine-Kaminsky, 2003, 128 p. extrait en ligne ici en pdf ou sur wikisource. Première traduction Plon, 1935. En ligne ici : ebooksgratuits.com ou beq.ebooksgratuits.com ou encore bibebook.com et bnf.fr
- Babel, trad. André Markowicz, postface d'André Comte-Sponville, 1991 - En ligne ici en pdf.
-
Livre de poche classiques, trad. Constantin Andronikof, préface Pierre Sipriot, 1972, 224 p.

Très intéressante, la note d'André Markowicz
sur la traduction explique ce que ses prédécesseurs n'ont pu consulter et ses choix.

La mosaïque des couvertures... :

LES DIFFÉRENTS PERSONNAGES DU ROMAN

Les acteurs du Joueur dans la ville de Roulettenbourg (les casinos étaient interdits en Russie) :
- Alexeï Ivanovich, le narrateur : précepteur (outchitel) des enfants du général, Micha et Nadia. Amoureux de Paulina.
- Le général : veuf, amoureux de Blanche qu'il voudrait épouser.
- La bonne Maria Filippovna. Nadenka s'occupe des enfants.
- Mlle Blanche de Cominges (ou du Placet) : demi-mondaine française.
- Sa mère, Mme Comminges, veuve
- Paulina Alexandrovna, la belle-fille du général, veuve, filleule de celui-ci ; a pour diminutif Prascovia. Elle a été éprise de Des Grieux et a vécu un certain temps avec la mère et la sœur de Des Grieux en Angleterre. Elle a un petit frère et une petite sœur, les propres enfants du général, plus ou moins abandonnés. Dans le film, ça se finit très très mal pour elle...
- Des Grieux : un Français, devenu marquis, à qui le général doit beaucoup d'argent.
- Mr. Astley : un Anglais.
- Le prince Nilski, dit le petit prince.
- Un savant allemand.
- Le
baron et la baronne Wurmerhelm.
- Antonida Vassilievna Tarassevitcheva, dite la grand-mère, baboulinkala, babouschka, tante du Général, propriétaire terrienne.
- Ses serviteurs : Potapytch et Marfa.

UNE ÉMISSION DE RADIO ET UN ARTICLE

- France Culture : La compagnie des auteurs, épisode 1 : "Une vie de Dostoïevski", 4 septembre 2017.
- Nathalie Leclerc, "Le joueur en crise(s) : instant et répétition, néant et éternité. Dostoïevski et Zweig", Temporalités, n° 13, 2011.

LES LIVRES DES DEUX FEMMES DE L'AUTEUR

- Mes années d'intimité avec Dostoïevski d'Apollinaria Souslova
- Mémoires d'une vie... d'Anna Dostoïevskaïa.
                 

DES LIVRES SUR L'ADDICTION AU JEU

Outre Dostoïevski en 1866 :
- Pouchkine, La Dame de pique (1834) lu dans le groupe en 1993
- Balzac, La Rabouilleuse (1842)
- Arthur Schnitzler, Les Dernières Cartes (1926) signalé par Denis
- Stefan Zweig, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme (1927) signalé par Renée
- Vladimir Nabokov, La Défense Loujine (1930)
- Sacha Guitry, Mémoires d'un tricheur (1935)
- Yasunari Kawabata, Le Maître ou le tournoi de go (1951)
- Luke Rhinehart, L'Homme-dé (1971)
- Emmanuel Carrère, Hors d'atteinte ? (1988)
- Nolan Dalla, Peter Alson, Joueur-né (2005)
- Bruce Bégout, L'expérience de Las Vegas (2002)
- Philippe Vilain, Une idée de l'enfer (2015)
- Erwan Le Bihan, Requiem pour un joueur (2017)


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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