Le Procès
Première parution en 1933. Trad.
de l'allemand (Autriche) par Alexandre Vialatte
Préface de Claude David
Quatrième
de couverture :
On raconte que c'est grâce aux éditions
clandestines du samizdat - et donc, sans nom d'auteur - que fut
introduite en Union soviétique la traduction du Procès.
Les lecteurs pensèrent, dit-on, qu'il s'agissait de l'uvre
de quelque dissident, car ils découvraient, dès le premier
chapitre, une scène familière : l'arrestation au petit matin,
sans que l'inculpé se sût coupable d'aucun crime, les policiers
sanglés dans leur uniforme, l'acceptation immédiate d'un
destin apparemment absurde, etc. Kafka ne pouvait espérer une plus
belle consécration posthume. Et pourtant, les lecteurs russes se
trompaient. Le projet de Kafka n'était pas de dénoncer un
pouvoir tyrannique ni de condamner une justice mal faite. Le procès
intenté à Joseph K., qui ne connaîtra pas ses juges,
ne relève d'aucun code et ne pouvait s'achever ni sur un acquittement
si sur une damnation, puisque Joseph K. n'était coupable que d'exister.
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Franz Kafka
Le Procès
Le nouveau groupe parisien a lu ce livre
pour le 11 mars 2022.
Nous avions lu ce livre en 1989 et en 1996 La Colonie pénitentiaire
dont nous avions vu l'adaptation
au théâtre par Matthias Langhoff.
Valérie
Je n'avais pas été conquise par La Métamorphose
; je suis allée au cimetière juif de Prague où est
enterré Kafka, j'ai beaucoup d'estime pour la complexité
de cet homme et j'ai proposé Le procès. Heureusement qu'il
y a la préface de Claude David car j'ai trouvé ça
nébuleux. J'ai lu facilement, avec plaisir, mais cela ne m'a pas
touchée ; je n'ai pas compris de quel procès il s'agissait.
Dans la préface, il parle du rapport de K avec les femmes et il
dit que ce sont les femmes qui pourraient sauver Joseph K. Il a une sorte
de névrose, une culpabilité en filigrane. Je trouve que
c'est compliqué de lire Kafka, je vais lire Le château, Lettres
à mon père ; pour lire Kafka il faut avoir des clés
et pour l'instant, je ne les ai pas.
David
J'ai pris un grand plaisir à la lecture du procès de Kafka,
auteur que j'ai très peu lu (La métamorphose jadis).
Merci à Voix au chapitre de me "forcer" à le redécouvrir
!
Ce texte a infirmé l'impression que je m'étais faite d'un
auteur hermétique, à la lecture aride. Ce n'est certes pas
le cas du procès qui propose une lecture fluide et agréable,
excellant dans l'étude psychologique du personnage principal, Joseph
K, accusé d'un crime dont on ne connaîtra jamais la teneur.
La magie de ce texte est d'éclairer la part d'arbitraire d'un système
- en l'occurrence la machine judiciaire - par l'analyse minutieuse
de sa médiocrité et de son absurdité. Il n'est en
effet pas ici question d'un ordre injuste, d'une quelconque erreur judiciaire
ou d'une métaphore des régimes autoritaires comme le ferait
plus explicitement un Costa-Gavras. Au contraire, on voit que les mécanismes
de la justice (ou de l'injustice) reposent sur un ensemble de relations
d'influence potentielles entre différents personnages, et que grâce
à une certaine dose de corruption subtile et d'entregents, il serait
possible d'aiguiller le jugement dans un sens ou dans l'autre. En somme
la justice n'est pas une affaire de principes, mais un enchevêtrement
obscur d'intérêts humains, de contingences matérielles
: les fonctions se confondent avec les lieux où vivent les humains,
sorte de dédale clair-obscur, coursives, lieux bas de plafond,
où les personnages apparaissent, parfois de manière surprenante
et comique comme le personnage sortant de l'obscurité du cabinet
d'avocats.
Les personnages de cette comédie judiciaire jouent une pièce
à la Feydeau, et leur côté humain parfois comique,
parfois pathétique atténue par l'humour l'angoisse sourde
qui enfle lorsque, lecteur, nous devinons et pressentons que tout cela
ne peut finir bien.
Joseph K, notamment semble être parmi tous ces personnages pantins
celui que les fils du destin contrôlent le moins bien : autant
une forme de logique anime les différents personnages secondaires,
y compris la logique de la vie qui pousse les personnages féminins
séduits par K à lui venir en aide, autant celui-ci semble
vouloir faire sécession et se mettre à l'écart de
l'enchaînement des événements le concernant.
Du coup, me viennent à l'esprit des interrogations telles que "K
est-il suicidaire ou si peu attaché à la vie qu'il ne cherche
plus à se défendre ?" ou bien "K, miroir
de Kafka, met-il en avant la liberté au-dessus des structures sociales ?".
C'est cette seconde option qui a ma faveur, et je repense alors au Bartleby
de Melville qui "voudrait mieux ne pas". K aussi
préfère ne pas faire, ne pas changer d'un iota sa vision
un peu bravache des humains, ne rien concéder à ceux qui
pourraient lui proposer une aide, envoyer balader les convenances et les
simagrées qui pourraient le sortir du pétrin.
L'avant-dernier chapitre avec sa parabole des portes est magnifique et
fournit des clés de compréhension bibliques (talmudiques)
des atermoiements humains face à leur destin. Avec toujours un
trait d'humour ("lumière de l'adoration perpétuelle
faisait un faux jour"). On pense au pari de Pascal, théorisé
ici à l'inverse par le prêtre qui indique qu'au contraire,
l'humain choisit en général son asservissement et n'est
pas assez courageux pour trancher le nud gordien des autorités
établies. K lui franchit la porte qui est celle de sa mise à
mort, libre et sans gloire - "comme un chien". Ce contraste
entre les deux derniers chapitres est saisissant, l'homme se libérant
du joug des humains pour mourir avec fatalisme : comprendre la finitude
des hommes et disparaître.
Un texte profond, lu en grand.
Françoise
J'ai lu le livre il y a un an, je pensais avoir le temps de le relire,
je gardais en tête les situations totalitaires. En fait je l'ai
lu très vite, c'est envoûtant, on a l'impression qu'intérieur
et extérieur sont très poreux ; affleure beaucoup d'angoisse,
un sentiment de perdition très inconfortable. Ça m'a beaucoup
plu, on voit la scène, on entend tout, ça nous renvoie à
une part sombre de soi. David et Margot me donnent envie de le relire
sans savoir si j'y verrai plus clair.
Monique
Roman dystopique, récit fictionnel virant au cauchemar d'un homme,
Joseph K, vivant dans l'opacité d'un pays totalitaire, ou bien
parabole, allégorie métaphysique du destin de l'individu
? Les deux sans doute. Kafka a écrit le procès au moment
de sa rupture avec Felice Bauer, il songe au suicide, sa santé
est médiocre, il a fait plusieurs séjours en sanatorium,
on est en pleine guerre en Europe.
Tout cela explique peut-être le caractère sombre, cauchemardesque
du roman qui n'a d'ailleurs pas été publié, ni totalement
achevé ; il avait demandé à Max Brod de le détruire
après sa mort.
Ce n'est pas la genre d'ouvrage que j'avais envie de lire en ce moment
; je m'y suis tout de même attelée car il était au
programme et finalement en dépit de sa noirceur, son caractère
étouffant parfois incompréhensible, je ne le regrette pas,
je pense même que le cheminement erratique de cet homme, son obsession
maladroite de se trouver des alliés, y compris les plus véreux
pour le sortir de cette impasse, son aveuglement sur ce qui devrait caractériser
intrinsèquement sa condition d'homme libre et l'ouverture que constitue
le chapitre de la cathédrale, donne un éclairage philosophique
intéressant.
La construction du livre est très efficace, d'emblée on
est plongé dans le sujet : l'arrestation au petit matin, K est
au lit, attend son petit déjeuner, rien n'arrive, l'inquiétant,
la tension, vient de l'attitude des protagonistes, les vieux de la maison
d'en face ne cessent de l'observer, la bonne a disparu, la propriétaire
s'éclipse sans lui dire un mot, ceux qui viennent l'arrêter,
des hommes très ordinaires, engloutissent son petit déjeuner,
volent ses vêtements, examinent des photos en les déplaçant,
jouent avec des allumettes
déjà, il n'existe plus,
il est hors champ.
Plusieurs passages intéressants : l'interrogatoire, il n'est pas
convoqué, mais sa dépendance aux événements
est telle qu'il y va délibérément, atmosphère
de réunion politique, deux camps s'affrontent et toute une foule
se presse autour de lui : "De petits yeux noirs passaient dans
la pénombre, les joues pendaient comme des joues d'ivrognes, les
longues barbes étaient raides et noires et quand on y portait la
main, c'était comme si on griffait le vide avec ses doigts, mais
sous les barbes, et ce fut la vraie découverte de K, des insignes
brillaient
tous les portaient, tous faisaient partie du même
camp, et K les vit aussi au col du juge d'instruction qui, mains croisées
sur le ventre, regardait tranquillement la salle".
La visite chez le peintre Titorelli avec les gamines hystériques
qui le suivent, le bousculent, l'interpellent et suivent tout l'entretien
en espionnant a travers les fentes de la porte : "Elles aussi
appartiennent à la justice dit Titorelli". Car le tribunal
est en effet partout, dans les maisons ordinaires, les greniers sombres,
couverts de suie, où s'accumulent les archives ; un tribunal mêlé
à la vie privée, dans l'intimité des ménages
qui retirent leurs lits et leurs affaires de leur chambre quand se tiennent
les séances. La justice est omniprésente, opaque, secrète,
insidieuse, l'atmosphère étouffante, les couloirs des greniers
où s'entassent les accusés sont sordides, les procédures
interminables, les requêtes inutiles. On est face à une administration
pléthorique de petits fonctionnaires corrompus et d'avocats véreux
; tout est confus, imbriqué, souterrain ; on sent le malaise, l'opacité,
et on sent surtout monter le piège qui se refermera sur Joseph
K.
Ce qui est frappant c'est le comportement aberrant de Joseph K. Il ne
se comporte pas en homme libre (qu'on vienne donc le chercher !), mais
en homme déjà coupable, il accentue sa position d'accusé
par ses maladresses, sa désinvolture, son obsession de trouver
des défenseurs qui s'avéreront tous plus incompétents
ou même plus vénaux les uns que les autres, ses faiblesses
pour le sexe, les intermèdes de ses rencontres avec Mlle Burstner
et Leni, en témoignent, même s'ils apportent une légèreté
au récit, permettent de sortir le lecteur de la lourdeur des procédures
administratives, mais de façon apparente seulement, car ces personnes
sont liées à l'affaire de K , et on ne sait jamais à
quel point.
L'intérêt du livre est double ; la description de l'univers
totalitaire d'une part et la réflexion philosophique d'autre part.
La réflexion philosophique me semble-t-il c'est la parabole de
la loi telle qu'elle est présentée par l'aumônier
à Joseph K dans la cathédrale. K est un homme sans ossature,
sans vie intérieure, il ne réfléchit pas, il agit
de façon impulsive et désordonnée, se laisse prendre
par ses instincts, ses pulsions, il ne donne pas de sens à sa vie,
à son univers intérieur. Franchir la porte de la Loi serait
accéder à cette intériorité, à cette
lumière qui est en lui comme en chaque être, mais qu'il ne
voit pas, parce qu'il n'est pas prêt à l'atteindre et la
recevoir. Au contraire tout est sombre dans la cathédrale et il
sort de ce noir à tâtons sans avoir compris. La fin est d'ailleurs
une forme de suicide, il songe un instant à prendre le couteau
des mains de ses bourreaux et se tuer lui-même, mais finalement
se laisse faire, à jamais jouet des autres et de son existence.
Même si le sujet est oppressant, difficile, j'ouvre en grand.
François
Je l'avais déjà lu, j'imaginais une somme, quelque chose
de très long, mais j'ai été très surpris,
l'écriture est d'une légèreté, d'un humour,
d'une jubilation, qui contraste avec le fond très noir ; il n'y
a pas de pathos, il y a un espace qui se transforme en permanence
expressionisme
métaphore de l'inconscient
on ne sait
pas qui on est, pourquoi on est coupable, très coupable. C'est
très agréable à lire. Kafka est un génie,
il pressent tout, il a l'intuition de l'espace concentrationnaire ; le
problème n'est pas s'il existe ou pas. Il y a une richesse extraordinaire,
un humour, une distance prodigieuse, une complexité inouïe
dans ce roman ; et le tragique de la fin, il meurt comme un chien, comme
si la honte devait lui survivre. Joseph K est pris dans un engrenage dont
il ne se sort pas. Il y a un luxe de détails, c'est une métaphore
de l'inconscient.
Anne
Ce texte est très léger, c'est ce qui m'a étonnée.
Ce livre m'a beaucoup émue. Kafka a adopté la langue allemande,
il était coincé entre les tchèques et les allemands.
Il a dû absorber inconsciemment les fables tchèques, on est
dans le conte sauf qu'il ne rencontre jamais la fin, peut- être
l'espère-t-il dans sa relation avec les femmes ? Là, il
a affaire à des hommes et c'est toujours vers des femmes qu'il
se tourne. Dans la lettre à son père, il l'accuse de toutes
sortes de choses, c'est l'adolescent qui n'a pas pu aboutir. Ce qui est
intéressant, c'est la littérature qui nous transporte dans
des espaces extraordinaires toujours trop serrés dont il n'arrive
pas à s'extraire. On est trimbalé tout le livre dans cet
espace sans se lasser. Il ouvre la porte du fouetteur
La cathédrale,
on lui dit sa vérité "cette porte était faite
pour toi". C'est un roman onirique, il comprend toute la problématique
nazie, juive, identitaire qui va exister après sa mort.
Margot
Sans être allée jusqu'au bout... premier chapitre, chapitre
le bastonneur et dernier chapitre, la cathédrale et Fin. Curieuse
écriture que celle de la première page, l'incipit, qui engage
et entraîne paraît-il tout le reste du livre et son lecteur
avec. Une remarquable économie de moyens est à l'uvre,
dans le style et dans l'apparition d'un espace d'une vie par le menu,
très rythmée, et cadrée. Elle devient une scène
de théâtre grâce au regard d'un voisin, en face, regard
qui nous pose d'emblée comme un spectateur intrigué. Nous
sommes sur une scène : laquelle ?
Lorsqu'un menu détail se dérègle - par exemple, l'absence
de la logeuse qui ne vient pas apporter le petit déjeuner - la
menace pointe alors grâce et annonce l'inédit, la présence
indue de policiers, un puis deux, un pour chaque pièce, l'individuelle
et la collective. Là encore, d'emblée la scène se
divise en deux espaces : l'intime et le public, ou plutôt le collectif.
Le tout en une page à peine !
Au demeurant pour une page si économe, le luxe de détail
de la veste d'un des policiers venus arrêter K. est prodigieux et
interroge : le livre va-t-il être construit sur ce même modèle ?
Serait-ce une des clés possibles du roman ? "Sans qu'on
sût à quoi cela pouvait bien servir, cela avait l'air extrêmement
pratique"
Il semblerait que oui.
1er exemple : A quoi vont servir les diatribes débridées
de K. qui répond avant qu'on ne l'interroge, anticipe la suite
de la situation qu'il ne contrôle en rien ? Et dont le narrateur
pose en première ligne l'intériorité d'une culpabilité
qui va tout venir teinter ? "Un matin sans avoir rien fait
de mal, il fut arrêté". Elles ne serviront à
rien ! Mais elles vont être bien pratiques..., il fait le travail
de ceux venus l'arrêter. Il devient un rouage très actif
de son procès qui semble instituer parfois.
2e exemple : A quoi va bien pouvoir servir de l'amie de Mlle Burstner
dont l'installation est si chargée, pénible, générant
nuisances et allers retours invasifs, dans un espace déjà
si exigu ? Si ce n'est que son arrivée sera bien pratique : elle
va se mêler de ce qui ne la regarde pas, augmenter encore les regards
croisés entre les personnages pour rapporter, colporter, amplifier
des épiphénomènes minuscules, quadriller l'espace
et enfin libérer une place pour un nouveau locataire, rien de moins
qu'un gradé de l'armée ! Après les policiers, l'armée.
Les deux pouvoirs verticaux d'une société sont là
(ensuite il y a aura les religieux avec la cathédrale, le 3e pouvoir
vertical). De ligne en ligne, plus l'espace extérieur se charge
de monde et de nouveaux arrivants et plus il se rétrécit.
L'espace de la salle à manger avec l'arrivée du capitaine
est exceptionnel, sorte de couloir de passage et de rencontre où
les personnages peuvent si difficilement circuler.
3e exemple : A quoi vont bien pouvoir servir les tergiversations et suppositions
sans fin de K. quant à l'absence de réactions du capitaine
à sa présence chez Mlle Burstner la veille, ce qu'il fera
ou non des informations données par sa logeuse le comportement
de la jeune femme en ville, la nuit, le fait de partager sa chambre avec
une amie porte-parole ? Si ce n'est que le tour de plume est très
pratique et permet de passer d'un narrateur extérieur qui expose
des faits à un narrateur intérieur qui se trouve être
K. Lui-même. P. 67 de GF,
voilà que "K. pensa percer à jour la méthode
habile choisie par Mlle Montag...". Le lecteur se trouve sans
coup férir déplacé de l'extérieur de la rue
(des premières lignes) à l'intérieur de la tête
du personnage principal ! Fabuleux tour d'écrou qui passe presque
inaperçu...
Quant à l'espace extérieur, là encore il semble
se dessiner comme la veste décrite du policier : un vêtement
qui "sangle", "muni" de toute sorte
de choses et encore une fois... "Sans qu'on sût à
quoi cela pouvait bien servir, cela avait l'air extrêmement pratique".
Les attributs du vêtement d'un policier venu arrêter K. - sans
que l'on connaisse pour autant le chef d'accusation, sans que K. ne soit
par ailleurs emmené ni enfermé - vont devenir les attributs
de son espace, de travail et de vie : partout, il est sanglé et
chacun de ses différents espaces, comme les diverses poches du
vêtement, composent la prison elle-même ! K. n'a ainsi pas
besoin d'être emmené, il est déjà en prison.
Il est proprement en état d'arrestation, arrêté, à
l'arrêt dans sa propre vie.
Pour l'espace du travail, on saura que les trois petits personnages présents
lors de la 1erscène sont des collègues de travail, si subalternes
que K. ne les reconnaît pas, mais qui le cornaquent pour le ramener
au travail. Le voilà sous bonne escorte donc...
La maisonnée se transforme très vite en espace collectif
d'habitation, tenue par une logeuse geôlière qui connaît
les pratiques personnelles et nocturnes de ses locataires. Tout y est
vu et entendu de tous tant les espaces collectifs sont traversant et les
cloisons minces, mais un espace où personne ne répond plus
réellement à personne (la conversation de K. avec Mlle Burstner
est l'histoire d'une intimité empêchée, interdite
?). Il semblerait que maison et parole sont un seul et même espace
où chacun est muré à l'intérieur de lui-même
(silence, absence de réponse, dialogue biaisé pour tester
les réactions, supputer, soliloque, sous conversation intérieure
de K.)
En somme dès le premier chapitre, l'espace qui se dessine est celui
de la prison :
La prison est à l'intérieur de K.
La prison est la vie de K.
La prison est l'absence de relations de K. avec qui que ce soit et quelles
qu'en soient les raisons.
(voir l'avis complet ici)
Anne
Je croyais m'engager dans la lecture douloureuse d'un texte à méandres
obscures et je me suis trouvée flotter dans une littérature
étonnamment légère et poétique, facile à
lire et qui m'a menée dans des aventures presque indicibles tant
elles touchent le fond de l'être et parlent de la quête impossible
de vivre, de la condamnation à mourir pour des raisons (mais ce
n'est pas de l'ordre du raisonnable
) que nous ignorons tous. Alors
c'est vrai, pour vivre, on défend son procès, seul ou accompagné.
A peine en savons-nous plus des raisons pour lesquelles nous vivons mais
au moins sommes-nous pour cela encadrés de deux témoins,
nos parents, inscrits dans l'Histoire. Là Joseph K est seul, à
peine soutenu par la présence d'un oncle. Ce texte reste énigmatique,
quel que soit ce qu'on en peut dire, comme un poème ou comme un
rêve. Il déploie le sens des choses comme un kaléidoscope.
Un rêve ? Ou un mauvais rêve ? Le désir n'est jamais
approché, tout frôle le cauchemar et s'appuie sur une réalité
monstrueuse comme l'a été la vie des persécutés,
des juifs quelques années plus tard (sans oublier qu'ils l'ont
toujours été et n'en sortent pas), mais aussi la réalité
d'une administration rampante qui dépouille l'individu de sa subjectivité.
Kafka est visionnaire. J'ai aimé la façon dont il décrit
les lieux, les gens, avec humour, noir certes, mais pas seulement, il
y a des personnages étonnants qui apparaissent et disparaissent
comme ça se fait dans les esprits des enfants. Par exemple les
hommes derrière la porte du placard forment une superbe scène
psychodramatique. Quel plaisir de se venger d'eux et de les faire battre
dans un espace minuscule et clos avec une petite bougie pour tout éclairage
! Comme tenus au secret ou cachés en train de faire des choses
interdites et mystérieuses. Il y a dans cette scène le sadisme
adolescent évoqué dans Les
désarrois de l'élève Törless de Robert
Musil, livre qui m'a beaucoup impressionnée. On ne sait jamais
qui domine qui mais on sait que Joseph K est mené comme un enfant
passif et fautif qui ne comprend pas ce dont on l'accuse : de séduire
les femmes ? De séduire une mère qui vient consoler son
fils derrière le dos du père ? Mais en définitive
la culpabilité est trop évidente pour être vraie,
elle est superficielle, elle est plutôt le dernier bastion pour
exister, pour ne pas sombrer dans une quête identitaire sans fin,
dans un monde fantasques empli de personnages d'une rigidité absurde
qui peut rendre fou (relation au père de Kafka ?). K cherche les
hommes qui l'accusent et il ne les trouve jamais. Il cherche leur force,
il cherche à se confronter à eux, et la fin m'a donné
le sentiment qu'il a fini par rencontrer cette force sous la forme d'une
"sodomisation" meurtrière. Cette scène de la fin
est sublime, quand il conduit les hommes qui le portent. On ne sait pas
qui est qui, on tarde à comprendre que c'est lui qui est traîné
vers la mort. Tout le roman enchaîne sans arrêt des scènes
inattendues, étonnantes d'inventivité. Elles sont toutes
fort belles, pourtant situées dans d'étranges espaces étouffants.
Elles évoluent plus particulièrement dans des couloirs ou
des espaces de maisons étranges peu définissables, au cours
d'une longue errance vers la mort. Mais avant il rencontre un homme d'église
qui lui révèle son erreur : il aurait fallu quitter la dépendance
aux autres et entrer tout bonnement par la porte de la loi qui, il ne
l'avait pas compris, était ouverte pour lui. J'ouvre très
grand ce livre.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert
|
beaucoup
¾ ouvert
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moyennement
à moitié
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un
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