Quatrième de couverture : Une plaine hongroise balayée par le vent et lincessante pluie dautomne. Dans une ferme collective à labandon, quelques habitants végètent, sépiant et complotant les uns contre les autres, lorsquune rumeur annonce le retour de deux autres personnages que lon croyait morts. Certains y voient larrivée dun messie, dautres redoutent celle de Satan. Ce roman, conçu comme un tango où les danseurs viendraient les uns après les autres sur la piste de danse, nous plonge dans un voyage poétique, une quête de vérité emplie dhumanité sur la place de notre existence face au Temps.
Au cur de la grande plaine hongroise balayée
par le vent et l'incessante pluie d'automne, dans une ferme collective
à l'abandon, quelques |
László
KRASZNAHORKAI (né en 1954)
|
AUTOUR
DU LIVRE Repères biographiques Livres traduits en français Films Presse : vidéo, radio, articles Des sites La traductrice |
Laura(avis
transmis)
Honnêtement, je suis assez mitigée, et j'ai peur de ne pas
retenir grand-chose de l'histoire. Étrangement, l'histoire a une
couleur grise à mes yeux, donc quelque chose de fade. Pourtant
je m'attendais à un chef-d'uvre. Mais au bout de la 333e
page, je n'arrive toujours pas comprendre s'il y a une intrigue ou non,
si Irimias veut berner les autres personnages ou non. Les personnages
sont restés flous, il y en a beaucoup, et j'ai du mal à
imaginer un visage, un physique. Seule la petite Estike m'a vraiment marquée,
je l'ai trouvé sincèrement touchante, à chercher
une échappatoire à son atroce vie en menant un combat contre
un chat, en cherchant la reconnaissance de son frère. Au fond,
elle aussi cherche à être considérée comme
un être humain comme les autres, alors que tous les personnages
voient en elle la petite fille malade, la petite fille idiote. Et cela
passe nécessairement par le combat, pour montrer sa force, sa puissance,
sa liberté. Montrer qu'elle ne peut être soumise à
tout un chacun. Son combattant, le chat, est alors à son échelle,
ils sont à égalité, étant les deux seuls êtres
à pouvoir passer par le trou qui mène au toit, à
pouvoir s'y cacher. Et son suicide s'affirme comme la conclusion, l'implication
nécessaire de sa vie, de son combat. Et, ce qui me touche le plus,
c'est que finalement, Estike refuse même la supériorité
qu'elle a acquise sur le corps du chat, il n'est pas vraiment mort, puisqu'il
l'accompagne au château. Son suicide est la fin du combat, un retour
à l'égalité originaire après la reconnaissance
de deux êtres singuliers. Plus tard, son apparition fantomatique
résonne en moi comme le châtiment suprême à
offrir à son frère, qui se cache les yeux accroupis, pour
ne pas voir son propre malheur. Ce n'est donc qu'après avoir été
vaincue par son frère, qu'elle peut plus fortement le dominer.
Le reste du livre reste un peu abscons à mes yeux, j'ai la sensation
d'avoir lu un récit au sujet de l'attente. Et j'attends encore
l'action, bien qu'il s'agisse peut-être avant tout de parler de
rapports humains. Dans tous les cas, j'ai apprécié l'aspect
formel (l'arrivée progressive des personnages au cours de l'histoire,
la réunion de tous les personnages vers la fin ; et, lorsque les
personnages s'endorment au château, j'ai adoré le travail
stylistique de l'écriture des mots qui se noient les uns dans les
autres pour illustrer la chute au cur du rêve).
Finalement, je pense que c'est un livre qui mérite d'être
l'objet de diverses réflexions et d'interprétations assez
poussées. Hâte de lire les vôtres. ¾ ouvert.
Séverine(avis
transmis)
C'est une découverte car j'ai peu lu d'auteurs hongrois. Je dois
dire que je ne sais que penser de ce livre. J'ai beaucoup aimé
l'atmosphère pesante de cette ferme collective à la limite
de l'étrange
On ne sait d'ailleurs pas dater l'histoire :
on a l'impression que c'est ancien et par moment quelques mots font penser
que c'est plutôt récent. Ça m'a évoqué
le monde de Sylvie Germain, un peu conte, un peu histoire bizarre avec
des personnages troublants et tellement humains dans leurs défauts.
Je dois dire que j'ai frémi d'horreur à l'histoire du chat
et au suicide de la petite fille
Mais finalement elle s'est laissé
berner par son frère comme les habitants vont se laisser berner
par ce couple improbable de voyous. L'attente anxieuse qu'il suscite chez
les habitants m'a fait penser un peu à une ambiance de western
et ça m'a rappelé ce film Un
homme est passé où les personnages sont tout aussi
étranges que dans ce livre. Je dois dire que j'ai été
déçue par la tournure que finalement le livre prend :
avec si j'ai bien compris le fait que l'on est dans le livre que le docteur
écrit
si c'est bien ça, c'est un peu déceptif
et téléphoné (comme on aurait dit à une époque).
Bref, je l'ouvre à moitié.
Bonne rencontre !
Fanny(avis
transmis)
Je dirai tout d'abord que c'est une lecture qui se mérite.
J'ai eu beaucoup de mal à accrocher sur les 60 premières
pages. Le texte non aéré, les longs chapitres et le fait
de changer de personnage central à chaque chapitre. J'ai commencé
à m'y perdre et j'ai mis du temps à trouver le fil conducteur.
C'est le style d'écriture qui m'a fait tenir avec cette peinture
ironique d'une société décadente avec des personnages
tous aussi "pourris" les uns que les autres. J'ai trouvé
les descriptions très visuelles, j'avais - presque heureusement -
l'impression d'être avec eux dans le bar ou dans la forêt.
Tout ceci fait que "ça a pris" et que j'ai finalement
eu un vrai plaisir de lecture. J'ai également aimé le procédé
qui consiste à faire décroître les chapitres sur la
seconde partie du roman.
J'avoue en revanche que je n'ai pas compris la fin, même si elle
ne m'a pas déplu. Qui écrit ce fameux témoignage
traduit par les agents de police (les descriptions sont d'ailleurs succulentes) ?
Est-ce qu'il s'agit des notes du docteur ? D'Irimas et de son regard impitoyable
sur ses voisins ? Et d'ailleurs que deviennent-ils ? Ils restent cachés
et sont portés disparus à l'exception du docteur resté
seul avec sa folie ?
Hâte de lire vos avis et que vous m'éclairiez sur cette fin.
J'ouvre aux ¾.
Renée(avis
transmis)
Immédiatement, on est pris par cette histoire de ratés,
incapables de prendre une décision, et qui attendent un genre de
Messie sensé les aider à revivre.
On comprend peu à peu que celui qu'ils attendent, Irimias, qui
avait mystérieusement disparu, a passé un an et demi en
prison avec son acolyte Petrina, et que le Messie attendu est en réalité
Satan, un vulgaire escroc qui va les flouer du peu d'argent qu'ils possédaient.
C'est une farce pessimiste, même désespérée.
C'est écrit en 1985, la Hongrie est toujours sous le régime
communiste et je pense que c'est un pamphlet contre les attentes déçues
de la population. Déçues par le régime et déçues
par la religion. Les toiles d'araignées représentent pour
moi le parti communiste.
J'ai beaucoup aimé même si je n'ai pas tout compris, il faudrait
creuser. Je compte sur les avis du groupe pour m'éclairer.
Certainement un livre important : j'ouvre aux ¾.
Monique L(avis
transmis)
Les habitants de la coopérative abandonnée sont décrits
avec sarcasme. Ils mènent une existence morne et se complaisent
dans l'inertie, l'apathie, la veulerie, l'alcoolisme, l'abrutissement,
la bêtise, les intrigues médiocres. Leur isolement explique
en partie leur état, mais pas que
L'auteur impute à l'homme également son état par
son inaction, son laisser-aller, sa fainéantise, sa saleté,
sa fuite dans l'alcool. Certains rêvent d'évasion, mais ils
sont englués dans un mélange de honte et de fierté
et perdent toute volonté, tout dynamisme.
Irimias, par ses discours, renforce leur inaction en flattant leur penchant
victimaire ; il impute de façon inéluctable au monde, et
non aux individus, le marasme dans lequel ils se trouvent. Il n'est pas
question de régime politique ou de l'épuisement du communisme,
même si l'on ne peut s'empêcher d'y penser. Cela rend ce roman
plus universel.
La boue et la pluie sont omniprésentes. L'homme s'y embourbe inéluctablement
et s'y englue. Les toiles d'araignées symbolisent cette idée
de paralysie, d'empêtrement, d'éternité fatigante.
Des questions me restent après cette lecture :
- Qui est Irimias ? Un prophète, un agitateur anarchique, le diable
? Il fait également pensé au joueur de flûte de Hamelin.
- Quel rôle joue Etsike dans le récit, que ce soit par sa
mort ou par l'hallucination qu'elle provoque dans la forêt ?
Quoi qu'il en soit, il se dégage une certaine poésie dans
ce texte et les descriptions des paysages, des lieux de vie, des ambiances
sont vraiment très évocatrices et bien écrites. J'ouvre
aux ¾.
Françoise(avis
transmis)
Le livre m'est tombé des mains. Je voulais au moins aller jusqu'à
la moitié, mais ce fut au-dessus de mes forces.
C'est lugubre, confus, long, je n'y comprenais rien. C'est comme la bande
annonce du film, bonne illustration, je n'ai pas pu aller au bout non
plus ! Finalement ce n'est pas plus mal qu'on n'ait pas pu faire de projection
! Lol.
La projection du film durant 7h30 était
en effet prévue deux jours avant la séance qui devait se
tenir en direct. Mais le covid sournoisement arrivé dans les lieux
a annulé le visionnage et a fait que les propos en direct qui suivent
se sont tenus "en visio"...
Danièle
Moi aussi j'ai eu du mal. Mais je me suis accrochée jusqu'à
la fin, avec ce dernier chapitre "Le cercle se referme". C'est
un bon titre pour refermer cet univers glauque qui s'est déroulé
en spirale depuis l'apparition des deux protagonistes fantômes du
début, Irimias et Petrina, allant de la triste réalité
au conte fantastique gore, et passant par des épisodes apocalyptiques,
le tout dans un climat de suspicion et de pesanteur digne des états
de l'ex-empire soviétique. J'ai pensé à Milan Kundera,
en particulier dans son roman La
plaisanterie, qui décrit si bien l'absurdité d'un
système. Mais j'ai eu aussi, comme Séverine, des impressions
de western, plutôt italien, genre Il était une fois dans
l'Ouest (les jeux de regards, les tentatives d'impressionner l'autre,
en alerte comme des cow-boys prêts à tirer, l'attention fixée
sur une mouche
). Ce qui m'a permis un rebond, en milieu de lecture,
pour m'accrocher. Ce roman est en effet très filmique, avec une
vision d'ensemble, désolante, et des détails en profusion.
On trouve tout dans ce roman, le réalisme social avec le sort de
la petite Horgos, le voyage dans le monde de la folie et de la paranoïa,
avec le docteur et l'histoire abominable du chat. Les personnages sont
typés et évoluent chacun dans leur sphère. C'est
aussi un thriller, ou un jeu de cache-cache, avec des questions sans réponse
: je ne sais toujours pas qui sont Irimias et Petrina.
C'est un roman que je ne croyais pas lire jusqu'au bout tant je m'embrouillais
dans les personnages et dans l'intrigue, un peu confuse. Mais finalement,
je ne regrette pas de m'être laissé emporter dans ce cercle.
Je l'ouvre à moitié.
Annick A
Je nai pas du tout aimé ce livre. Je lai trouvé
glauque, ennuyeux et plombant. Jai tenu jusquà la page
100, puis jai arrêté. Le seul intérêt
trouvé a été le personnage du docteur. Jai
aimé sa façon originale de lutter contre sa perte de mémoire
et sa vulnérabilité en gérant la fluctuation du temps
à laide de ses lectures géologiques sur la transformation
de la terre hongroise, ses disparitions et apparitions nouvelles : "son
esprit se laissa submerger par ces fluctuations du temps, il ressentit
froidement la réalité de son existence : il se vit, victime
impuissante et sans défense de cette écorce terrestre mouvante,
il vit la courbe fragile de sa naissance et de sa mort s'évanouir
dans le combat silencieux des mers en retrait, des montagnes en ascension,
sous son corps lourd, bien calé dans son fauteuil"
(p. 92) ; ce passage fait bien ressentir lintemporalité
du roman. Lécriture est très visuelle et jai
eu la sensation dêtre happée dans ce monde terrifiant,
ce qui explique en partie mon refus daller plus loin dans ma lecture.
Pour cette capacité visuelle de lécriture, jouvre
1/3.
Annick L
Comment rassembler les impressions contradictoires ressenties à
la lecture de ce roman très original par sa forme et par ce qui
sous-tend le récit ? Il me reste beaucoup d'interrogations
Je me souviendrai surtout de ces personnages, ces marginaux oubliés
par le progrès et la modernité, en jachère au milieu
de cette vieille ferme collective post-communiste. Des êtres sans
avenir, sans projet, réduits à leurs pulsions élémentaires
: alcool, sexe, argent. Et incapables de la moindre solidarité.
Au contraire ils s'épient, se jalousent, se disputent
Tous
sont détestables, en particulier ce vieux docteur misanthrope et
cette mère de famille qui prostitue ses deux filles aînées,
qui maltraite la plus jeune, Etsike, une enfant un peu attardée,
une innocente, attachante, qui ne comprend rien à ce monde de brutes
et a pour seul ami un petit chat qu'elle finira par empoisonner, avant
de se laisser mourir de désespoir. Cette peinture sociale est terriblement
réaliste, elle donne corps à ces personnages. Peut-on penser
que ces êtres conditionnés par le régime communiste
ont perdu tout repère, toute boussole, sauf cette femme confite
en dévotion qui passe son temps à juger les autres sans
rien faire de mieux ? La seule scène où ce groupe partage
un moment de plaisir, c'est cette soirée dans le café où
ils font de la musique et ils dansent. Encore finissent-ils, complètement
ivres, par s'écrouler !
Quant à Irimias, ce beau parleur qui revient au village flanqué
de son acolyte imbécile, après une longue absence - un
événement - il est attendu comme le Messie par les
uns, comme le Diable par d'autres, mais il va s'avérer n'être
qu'un faux prophète - le lecteur sait que tous deux sortent de
prison -, un beau parleur, un manipulateur, qui profite de la crédulité
des villageois pour leur soutirer leur argent et leur faire abandonner
leurs maigres biens pour une chimère. La fin ouverte les laisse
en plan, ne comprenant toujours rien à ce qui leur est arrivé.
L'évocation de ce non-lieu perdu au milieu de la grande plaine
hongroise, battue en permanence par la pluie et le vent, avec ses chemins
boueux, est puissante littérairement. On en sort rincé !
Un personnage dit d'ailleurs : "Tout est en train de pourrir".
Sans oublier les araignées qui tissent leur toile ! Mais le
lecteur finit par étouffer, par s'ennuyer au fil de ce cycle répétitif
de jours tous pareils, dans une sorte d'éternel présent,
sans perspective. Et c'est une lecture totalement déprimante, où
l'on ne peut se raccrocher à rien.
Pourtant j'ai aimé la musique de ce texte, au rythme lent, ce flux
juste interrompu par quelques chapitres aux accroches mystérieuses.
Et j'admire le talent de l'auteur et cette vision presque métaphysique
de notre pauvre humanité : cf. la très belle scène
d'apparition céleste de la petite morte.
Mais je sors épuisée de cette expérience contraignante
et je me suis souvent perdue dans les changements permanents de narrateur,
comme s'ils n'étaient tous qu'une masse indistincte. L'entretien
avec la traductrice de cet auteur m'a éclairée un peu.
En consultant les titres des auteurs
hongrois déjà lus par nous, j'ai constaté que
je n'avais pas du tout accroché non plus au roman de Ferenc Karinthy,
Epépé.
Même sentiment d'étrangeté, d'incompréhension
par rapport à ce qui se joue dans le livre.
J'ouvre à moitié.
Geneviève
J'ai trouvé comme Fanny que c'est un livre qui se mérite.
J'ai commencé par ronchonner en pensant à tous les livres
que j'ai envie de lire. Puis je me suis laissé prendre par cette
écriture avec beaucoup d'images, des descriptions très fines.
Je ne sais en fait pas comment je me suis laissé prendre. J'ai
pensé aux comédies westerns loufoques des frères
Coen (No
country for old men) avec tous ces losers. Je me suis laissé
prendre par les descriptions ; par exemple p. 223 la description
de la manière dont se tissent sans cesse les toiles d'araignée
est un exploit. Elle crée une atmosphère intéressante,
avec ces araignées omniprésentes mais jamais visibles.
On pense aussi à la tradition de l'absurde des pays de l'Est, avec
ces personnages grotesques. Les relations sont poussées au paroxysme
: colère, jalousie, vengeance et pourtant tous sont amis. Quant
à la petite fille avec le chat, j'ai lu très vite les tortures
insoutenables de l'animal, alors qu'elle est le seul personnage de qui
émane une lumière... Les personnages sont caricaturaux mais
on sent qu'il y a un point de vue ; par exemple je n'arrive pas à
déterminer si Madame Schmidt est vraiment belle ou totalement vulgaire ?
Elle a indéniablement sur tous un pouvoir d'attraction. C'est aussi
une vraie amoureuse. Les personnages sont finalement moins caricaturaux
qu'on ne le pense.
L'autre caractéristique des ex pays de l'Est, c'est cette surveillance
constante de chacun par chacun. Sur ce point, l'exercice de réécriture
du rapport est un morceau de bravoure. Séverine suggère
que tout ait été écrit par le docteur, graphomane
obsessionnel. Je n'en suis pas sûre. Je suis déçue
par cette fin centrée sur le docteur, j'attendais un final qui
boucle après cette succession de points de vue. En revanche, le
côté flou des gens qui s'éparpillent, j'aime bien.
Futaki, celui qui boîte, est le plus lamentable ; et pourtant c'est
le seul qui tout à coup comprend, mais ne se révolte pas,
résigné. Tout est raccord avec la pluie, la boue, le brouillard.
Je suis vraiment contente de l'avoir lu alors que j'ai pourtant ramé
au début. C'est un vrai auteur, avec un monde et une écriture.
Le livre fait écho avec l'Ukraine, ce pays qui s'enfonce et cet
escroc illusionniste face à des gens simples qui ont envie de le
croire. On pense aussi aux témoignages de vieux soviétiques
dans La
Fin de l'homme rouge avec ce mélange de révolte
et de résignation.
Annick L
Mais dans ce livre de Svetlana Alexievitch, il y avait une grande empathie
pour les personnages présentés, c'est différent.
Claire
J'ai ouvert avec appétit ce livre, sans rien en savoir. J'ai lu
le premier chapitre. J'ai relu le premier chapitre. J'ai lu le deuxième
chapitre. J'ai lu une troisième fois le premier chapitre. Je suis
ensuite allée lire la présentation du livre sur wikipedia
que j'ai trouvé très bien faite, avec un ample résumé
clair : je n'ai pas vu le sens du livre et je ne l'ai pas encore
compris. Quoique envahie de culpabilité, j'ai décidé
de ne pas m'infliger le pensum de lire ce livre et me suis sentie libérée
par ma décision de ne pas me taper cet univers pénible soutenu
par ces pages étouffantes sans retour à la ligne où
il faut se fatiguer à trouver un sens cherché en vain que
des épreuves endurées permettraient peut-être d'entrevoir
à condition d'accepter qu'il faut souffrir pour non pas être
belle mais heureuse de vaincre l'idée reçue que le plaisir
est un des objectifs de la lecture (=phrasé léger du livre
poussivement imité).
J'étais ravie ensuite de partir à la découverte de
l'auteur, espérant accéder à son univers littéraire.
J'ai lu des interviews, j'en ai écouté. Je me suis félicitée
de n'avoir pas repris le livre. Je ne comprends pas grand chose à
ce qu'il dit. Ses propos me paraissent hautains et vides.
J'ai donc rerefermé le livre, toute ouïe par rapport à
vos avis. Mais en les découvrant, je ne parviens pas à me
convaincre que j'ai raté quelque chose et ne me sens pas du tout
en appétit pour m'y remettre : j'ai l'impression que l'auteur est
sadique vis-à-vis du lecteur qui en bave, heureux d'être
parvenu à la fin, avec le plaisir de celui qui a réussi
à tenir jusqu'au bout d'un stage de survie.
Ce que je regrette, c'est de n'avoir pas, pour mon Lagarde et Michard,
un florilège des passages où l'écriture vaut vraiment
la visite : les araignées, etc.
J'ai trouvé passionnant tout ce qui dit
la traductrice, qui elle, a la chance de tout comprendre. Son enthousiasme
donne envie, lui, de lire cet auteur... mais elle n'est pas une simple
lectrice.
Catherine
Je l'ai lu jusqu'au bout. Oui ce n'était pas facile, en alternance
avec les nouvelles d'Ukraine. Mais quel timing de lecture par rapport
à l'actualité ! On pourrait presque être en Russie.
Je me suis perdue. Surtout concernant les femmes, je n'ai pas tout compris.
Ni la fin. Mais j'ai été prise dans une atmosphère,
dans la pluie. Les araignées qui tissent la nuit, les chapitres
de la petite fille sont assez limite, insoutenables : ce personnage
qui suscite un espoir ne laisse pas indifférent. J'ai vu
les six minutes
du film où on retrouve bien l'ambiance du livre.
Les phrases sont interminables.
Je suis assez mitigée, mais je ne regrette pas d'avoir lu jusqu'au
bout. J'ouvre à moitié mais le livre ne donne pas envie
d'aller en Hongrie cette automne...
Et ce médecin à moitié dément, obsessionnel,
c'est extraordinaire, il est incroyable. Il y a une galerie de personnages
assez étonnants.
Où l'auteur veut en venir ? On ne sait pas à quelle époque
on est, ce n'est pas bien très bien situé. On est dans une
coopérative à l'abandon. J'ouvre à moitié
je n'ai pas regretté, happée que j'ai été.
Etienne
J'ai découvert cet auteur sur un blog. Ce livre n'est pas mon préféré
mais c'est le plus adapté m'a-t-il semblé pour Voix au
chapitre, notamment question longueur. Cet auteur a été
pour moi une grosse révélation.
Je suis subjugué par la traduction, sa fluidité : pas un
moment j'ai pensé que ce n'était pas écrit en français.
Oui, c'est une lecture fatigante et j'aime bien les lectures fatigantes,
sinon le livre passe. Je savais qu'il déplairait à Claire
(qui ronchonne à l'écran...).
Cette ambiance contribue à la description du Mal avec un grand
M de façon sournoise, avec la médiocrité. Oui à
l'allusion aux Frères Coen.
C'est un livre très pessimiste, mais il m'a aimanté. J'ai
eu plaisir à le lire, avec cet univers cohérent. Les personnages
caricaturaux le sont dans toutes ses uvres apparemment. Il y a un
côté morose et absurde, mais aussi drôle : j'ai pas
mal rigolé.
D'accord Claire on ne comprend pas tout ce qu'il dit dans les interviews
: j'en ai écouté une où il a l'air de se moquer dans
ses réponses à cet exercice qui lui semble pénible.
Certains auteurs en effet refusent de donner des explications.
Ce livre est pour moi une attente : attente du Signe. Attente pour les
personnages, attentes pour le lecteur. C'est un livre sur l'apocalypse.
Et il y a cette scène hapax du roman. C'est l'attente d'une révélation
qui ne vient pas. Les prophètes sont tous des imposteurs. J'ai
pensé au cercle de Moebius, à Borges. On attend comme les
personnages, on est roulé.
J'y vois une parabole de la création et de la littérature
qui essaie mettre de l'ordre. Un de ses livres traite des nombres. J'ai
lu Guerre
& Guerre où on trouve une échappatoire
; je vais lire Seiobo
est descendue sur terre. J'ouvre en grand.
Renée, après avoir lu les avis
Certains se demandent qui a écrit le rapport que lisent les policiers.
Il me semble évident que c'est Irimias puisque nous avons précédemment
une scène où ils menacent les deux acolytes les exhortant
à espionner les habitants de la coopérative (communisme
!).
Et c'est pour cette raison qu'il ne s'enfuit pas avec l'argent :
il est surveillé, donc il rassure les victimes, les sépare,
les envoie travailler ailleurs, ils oublieront...
RÉACTIONS
DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN
réuni le 8 avril 2022
Nous étions quatre, Audrey, Anne, David et Françoise, devant presque autant de bouteilles de vin, une jolie présentation de fruits, des pâtes à tartiner, du bon fromage
Le Tango nous a pris très peu de temps :
Audrey
ne la pas lu.
David ne l'a pas lu non plus.
Anne a lu quelques pages mais le livre lui est rapidement tombé
des mains. "Mais cest bien écrit".
Françoise a dabord lu quelques pages, et encore quelques
pages le jour suivant... et puis plus rien.
François nous a écrit ceci : "J'essaye de vous adresser
un avis sur ma lecture éprouvante mais gratifiante du Tango
de Satan que je ne suis pas près d'oublier..." Nous sommes
impatients den savoir plus.
Pourquoi ce manque dintérêt pour ce Tango ?
Passage à vide, délitement de notre groupe ? Le covid ?
Margot répond :
Ni covid, ni délitement du groupe, ni lassitude en ce qui me concerne.
Ai lu les 2/3 puis la fin, et vous enverrai ma fiche dans les prochaines
jours. Comme l'a parfaitement souligné Anne, c'est une vaine imitation
ou inspiration de Kafka, laquelle par contraste souligne à quel
point alors que celle de Kafka est si accessible, qu'elle ne mélange
jamais les registres du réel et du rêve onirique, cette écriture
est singulière et unique. La fin de Tango a provoqué
de la colère : c'est très exactement le début,
les mêmes pages, une construction artificielle et artificieuse d'un
faux écrivain. Fermé pour 1500 ans.
AUTOUR
DU LIVRE
Repères biographiques Livres traduits en français Films Presse : vidéo, radio, articles Des sites La traductrice |
REPÈRES BIOGRAPHIQUES |
Enfance et formation
- 1954 : né en à Gyula, dans l'Est de la Hongrie ; fils
d'un avocat et d'une fonctionnaire de la sécurité sociale
- 1960-1968 : scolarité primaire
- 1968-1972 : études secondaires à Gyula avec une spécialisation
en latin
- 1973-1978 : études de droit à Szeged, puis à Budapest.
Formation et carrière littéraire
- 1977 : première nouvelle publiée
dans un journal
- 1978-1983 : documentaliste dans
la maison d'édition "Gondolat"
- 1978-1983 : études en littérature ; thèse sur Sándor
Márai en exil (dont nous
avions lu Les Braises)
Après avoir travaillé
dans l'édition, il se consacrera entièrement à l'écriture.
- 1985 : Tango de Satan (Sátántangó) reçoit
un succès critique. Début de la collaboration comme scénariste
avec le réalisateur Béla Tarr.
- 1987 : il sort pour la première fois d'Europe de l'Est pour un
séjour d'un an, à la Deutscher Akademischer Austauschdienst
à Berlin-Ouest ;
ce programme de résidence aura bénéficié aux
écrivains Jean-Philippe Toussaint, Gao Xingjian, Michel Butor,
Mario Vargas Llosa... (Il sera par la suite en
résidence ou professeur invité dans différents pays,
par exemple en 1995 invité du Wissenschaftskolleg
de Berlin, en 1999 en Italiy, en 2000 au Japon, en 2001 en Suisse,
etc.)
- 1989 : succès international pour le roman
La mélancolie de la résistance.
Après l'éclatement du bloc soviétique,
il retournera souvent en Allemagne où il vivra, voyagera ailleurs
en Europe, passera de longues
périodes en Asie qui entraîneront des expériences
influençant son écriture. Il fera par ailleurs la connaissance
à New York d'Allen Ginsberg et reste chez lui dans son petit appartement
et reçoit ses conseils pour l'écriture roman Guerre &
Guerre (publié en 1999).
Potins restreints...
- 1990 : il se marie avec Anikó Pelyhe
puis divorcera ; elle est thérapeute (Reiki)
à Berlin
- 1997 : mariage avec Dóra Kopcsányi, sinologue et graphiste.
Il a trois enfants : Kata, Ágnes et Emma.
Nombreux
prix littéraires, notamment :
- 2004 : le prix
Kossuth, le plus célèbre en Hongrie, au point d'être
décerné par le président de la République
(!)
- 2015 : le Prix international Man
Booker
LES 9 LIVRES TRADUITS EN FRANÇAIS | S |
5 sont publiés par Cambourakis,
2 par Gallimard,
2 par les éditions
Vagabondes à Marseille. Le nombre de pages des livres et indiqué,
allant de 30 à 500 pages... Figure en tête la date de publication
en Hongrie :
- 1985 (adapté au cinéma en 1994) : Tango de Satan,
Gallimard,
2000 ; Folio,
2017, 400 p.
- 1986 : Sous le coup de la grâce, Vagabonde,
Marseille, 2015, 192 p. (huit nouvelles)
- 1989 (adapté au cinéma en 2000) : La mélancolie
de la résistance, Gallimard,
2006 ; Folio,
2016, 448 p.
- 1993 : Thésée universel, Vagabonde,
2011, 96 p.
- 1998 : La venue d'Isaïe, Cambourakis,
2013, 32 p.
- 1999 : Guerre & Guerre,
Cambourakis,
2013 ; Babel, 2015,
352 p.
- 2003 : Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest
par des chemins, à l'est par un cours d'eau, Cambourakis,
2010 ; Babel, 2017,
192 p.
- 2009 : Le dernier loup,
Cambourakis, 2019, 96 p. ; Poche Cambourakis, 2022
- 2008 : Seiobo est descendue sur terre, Cambourakis,
2018 ; Babel,
2019, 464 p.
DES SITES |
|
- Site personnel de l'auteur : www.krasznahorkai.hu
- Site littéraire de l'Institut hongrois de Paris, dédié
à la littérature hongroise et à la manière
dont elle est accueillie en France : litteraturehongroise.fr
FILMS HONGROIS |
réalisés par Béla
Tarr |
Du roman à l'écran
Krasznahorkai a écrit deux
scénarios originaux, adapté deux de ses romans et un de
Simenon :
- 1988 :
Damnation, scénario original de László
Krasznahorkai
- 1994 : Le
Tango de Satan, adaptation par László Krasznahorkai
de son roman Tango de Satan
- 2000 : Les
Harmonies Werckmeister, adaptation par Krasznahorkai de son roman
La mélancolie de la résistance
- 2007 : L'Homme
de Londres, adaptation par Krasznahorkai du roman L'Homme de
Londres de Georges Simenon
- 2011 : Le
cheval de Turin, scénario original de Krasznahorkai et
Béla Tarr, qui décide d'arrêter le cinéma après
ce film qui a obtenu l'Ours d'argent (Grand Prix
du Jury) au Festival de Berlin 2011.
Nota bene : le scénario de Les Harmonies Werckmeister est publié dans L'Avant-Scène Cinéma, n° 588, décembre 2011, accompagné d'un dossier important.
"Votre expérience du cinéma a-t-elle influencé votre vision romanesque ?
Béla Tarr, je crois, a donné de nombreux interviews en France, n'en a-t-il jamais parlé ? Étrange. Car, en vérité, les choses entre nous se sont passées dans le sens inverse. Les livres sont apparus avant les films. Dieu et le Paradis ont précédé la chute. C'est l'ordre chronologique. Je suis romancier, rien ne m'influence, absolument rien en dehors de mes propres pensées, de mon vécu, de mes expériences, de mon imaginaire, de mon amertume, de ma tristesse, de mes joies, et de ma relation personnelle avec la langue. En revanche - et à sa demande - j'ai exercé une forte influence sur Tarr. Je lui ai donné ce dont il avait besoin, le titre de mes livres, les personnages, les noms des personnages, les histoires, l'atmosphère, les images, tout ce que je pouvais lui donner. Lui, ensuite - avec mon aide et l'aide d'autres personnes -, il a créé ses propres films. J'ai beaucoup uvré pour que ses merveilleux films puissent voir le jour, mais c'est maintenant terminé, je suis passé à autre chose. Et, d'après ce que je sais, il arrête lui aussi le cinéma, pour lui aussi se lancer dans autre chose." (Libération)
Gros plan sur l'adaptation de Tango
de Satan
Le film Sátántangó
de Béla
Tarr, sorti en 1994, et dont Krasznahorkai
est l'auteur du scénario, adapté de
son roman, dure 7h30...
On peut lire une analyse intéressante sur Cinéma
Choc et visionner le
trailer de 6 min
Du roman à l'écran, mais
aussi à la scène
Le Temps Lyapunov est une transposition du roman Tango de Satan
à la scène : adaptation Barbara Métais-Chastanier,
mise en scène Céline Massol, création du Collectif
Machine Théâtre, Avignon 2013 (articles dans
La Terrasse, Sceneweb,
La Provence).
PRESSE | vidéos, radio, articles |
Entretien en vidéo
- A la librairie Mollat, entretien pour le livre Seiobo est descendue
sur terre, 23 avril 2018,
1h 09.
Entretien à la radio
- Làszlo Krasznahorkai : "En
fait, la beauté ne disparaît jamais, c'est à nous
de l'apercevoir", par Marie Richeux, Par les temps qui courent,
France Culture, 10 avril 2018, 58 min.
Articles
avec interview
- "Linfinie beauté
du monde extra-humain", par Claire Devarrieux, Libération,
2 juin 2011
- "L'histoire
et la fiction ne s'affrontent pas mais avancent côte à côte",
Damien
Marguet, Politika, n° 8, décembre 2021.
Ce que disent des écrivains louangeurs
- pour l'Américaine Susan Sontag,
László Krasznahorkai est "le
maître hongrois contemporain de l'apocalypse qui inspire la comparaison
avec Gogol et Melville".
- pour l'Allemand W. G. Sebald : "L'universalité de la
vision de Krasznahorkai rivalise avec celle des Âmes mortes de Gogol
et dépasse de loin toutes les préoccupations moindres de
l'écriture contemporaine."
- pour le Hongrois Imre Kertèsz, prix Nobel de littérature
: "J'aime les livres de Laszlo Krasznahorkai. Ses longues et sinueuses
phrases m'enchantent, et même si son univers paraît sombre,
on y ressent toujours cette transcendance qui depuis Nietzsche représente
la seule consolation métaphysique possible."
- pour l'Irlandais Colm Tóibín : "sa phrase est
un acte de pure performance un acte de haute voltige tendu, un
morceau de vaudeville grave et ambitieux interprété avec
une énergie à la fois comique et ironique. Mais il y a aussi
un côté compact dans sa prose ; il ne s'intéresse
pas au langage simplement pour lui-même. La prose est pour lui un
véhicule complexe se déplaçant à travers un
monde à la fois réel et surréaliste avec une précision
et une acuité considérables. L'univers de Satantango
est vicieux et sinistre, un caquètement enfoui semble imprégner
son air. Et pourtant, des relents d'optimisme, de petites possibilités
de connexion humaine s'infiltrent dans l'histoire. Son humanité
est faulknérienne."
- Quant à Patti Smith, elle prend
le café à Venise avec son grand ami Làszlo...
Ce que l'auteur dit de ses livres, de ce livre dans des interviews
Le titre d'un livre
"Un livre n'a pas de nom, un savon a un nom, un livre porte un titre. Et le titre est un élément, un élément fondamental de l'ensemble. Comme une ombre protectrice se déployant au-dessus de lui. Si j'explique le titre, je dois expliquer l'ensemble du livre. Ce qui est impossible. Le titre est une énigme." (Libération)
Lieux
Claire Devarrieux - Que représente pour vous la grande plaine hongroise ?
"L'endroit où je suis né. Un espace monotone, sans lumière, sans espoir. Un lieu que l'on désire ardemment quitter pour aller n'importe où. Mais d'où on ne peut jamais partir. On peut prendre le bateau pour l'Amérique, l'avion pour la Chine, le Japon, l'Afrique, rien à faire, si on ne veut pas se mentir à soi-même il faut un jour se rendre à l'évidence : on n'est jamais sorti d'ici. Voir cette immense plaine est déjà dangereux, mais y naître vous condamne à perpétuité. C'est un châtiment que l'on ne peut ni aimer ni haïr. Il a été taillé sur mesure, à notre attention." (Libération)
Le contexte politique, l'histoire
Damien Marguet - Bien que vos textes ne soient pas des romans "historiques", au sens habituel du terme, ils font très souvent référence à l'histoire, sous différentes formes. Dans Tango de Satan par exemple, le personnage du docteur lit un ouvrage portant sur l'histoire géologique de la plaine hongroise [...] Quelle part les recherches historiques occupent-elles dans votre écriture ? Sont-elles parfois (souvent ?) au départ d'un texte ?
Pour répondre à cette question, il faut préalablement distinguer contexte historique et recherche historique. Cette dernière ne joue aucun rôle déclencheur dans mes écrits. Autrement dit, aucun fait historique décrit par les historiens n'est à l'origine d'un de mes textes, même si, indubitablement, mes romans s'inscrivent dans un contexte historique. Il serait du reste très difficile de trouver dans toute l'histoire de la littérature un seul texte totalement détaché de tout contexte historique. [...] L'idée même d'une littérature "atemporelle", c'est-à-dire qui transcende l'histoire, est en soi ridicule. [...]
À ce sujet, on sent un changement dans votre uvre depuis Tango de Satan. Dans ce premier roman, la grande plaine apparaît comme un vaste champ de ruines coupé de son histoire, où le passé ne peut surgir que sous la forme du fantôme (je pense notamment à la figure du sonneur de cloche, vieillard surgi de nulle part et qui exprime la crainte éternelle d'une invasion venue d'Orient). Depuis Guerre & Guerre, vous aimez au contraire nous faire voyager dans le temps, un livre comme Seiobo procédant par d'incessants allers-retours entre passé et présent (jusqu'à confondre les époques). Comment expliquez-vous cette évolution ?
Tango de Satan est un roman post-romantique, au sens classique du terme, un roman qui croyait à l'existence de l'intemporel, de l'éternel, à la possibilité de transcender l'Histoire. Mes écrits postérieurs se sont vraiment éloignés de cela, les romans ne jugent pas, ne disent rien, n'expriment rien, ce sont les personnages qui ont des convictions, y compris sur ce qui est éternel et ce qui est intemporel. C'est là que réside, selon moi, la différence. J'aurais du mal à l'expliquer car je ne suis pas très doué pour analyser mes propres uvres. J'ai juste le sentiment que l'évolution de mes rapports vis-à-vis de mon histoire en tant qu'homme et de l'histoire de l'univers a joué un rôle dans ce changement. J'appréhende de façon beaucoup plus complexe l'histoire de l'homme, du vivant, du non vivant, de la Terre et du cosmos. Pour plaisanter, je dirais, avec le plus insupportable des sentimentalismes, que j'ai revu mes ambitions à la baisse : j'aspire à écrire des histoires pleines de compassion non pas sur l'homme mais sur l'univers. Un raconteur d'histoire qui, en passant par l'esprit, touche le cur. Qui n'encourage pas, mais dissuade. Qui étire le temps. Et avec qui le lecteur peut, lui aussi, étirer le temps. [...]
Dans Tango de Satan, le personnage de Futaki déclare " Ce qui est derrière moi est devant moi. On ne peut jamais trouver la paix", tandis que Seiobo commence par ces mots : "Autour de lui tout est mouvement". Comment l'histoire se répète-t-elle ? Et comment le monde change-t-il ?
Le monde n'est que changement perpétuel. Surtout depuis Héraclite. Comment était le monde avant Héraclite, nous n'en savons rien. Peut-être n'existait-il pas. La phrase de Futaki exprime la conviction que le châtiment dû pour nos péchés passés nous attend dans l'avenir. Dans Tango de Satan, il y a un mouvement interne rectiligne, tandis que le roman, lui, tourne en boucle. Dans Seiobo, l'accent est mis sur la complexité extrême du mouvement, marqué par un nombre infini d'éléments, et sur le fait que ce qui ne bouge pas est inacceptable. (Politika)
Le lecteur
Claire Devarrieux - Vous êtes un auteur intimidant, parfois même effrayant. C'est un effet recherché ?
Mes intentions sont sincères. Mais elles concernent mes livres, pas le lecteur. Et elles consistent à transposer fidèlement par écrit le discours que j'entends en moi, dans ma langue. Ce que le lecteur, lui, entend, est souvent pour moi intimidant, souvent effrayant. Nous avons donc le même problème. Mais j'espère que mes livres ne sont pas uniquement intimidants et effrayants. Pour ma part, je m'efforce de me montrer plein d'égards, sous une forme que j'exprime par la beauté. J'essaye de raconter, de la façon la plus belle possible, ce qui est intimidant et effrayant." (Libération)
LA TRADUCTRICE |
Les livres de László Krasznahorkai sont tous traduits par Joëlle Dufeuilly.
Divers entretiens avec elle permettent
de mieux appréhender l'écriture et l'univers de
László Krasznahorka. C'est pourquoi ils sont largement reproduits
ci-dessous.
Elle a obtenu divers prix pour ses traductions
de L. Krasznahorkai :
- 2000 : Prix Halpérine
Kaminsky "Découverte", pour Tango de Satan
- 2007 : Prix
Bagarry Karatson, pour La mélancolie de la résistance
- Prix Amphi 3, pour Au Nord par une montagne
- 2014 : Prix
SGDL - Ministère de la Culture pour l'ensemble de son uvre
de traductrice, à l'occasion de sa traduction de Guerre &
Guerre (ce prix avait été attribué l'année
précédente à Edmond Raillard pour Confiteor
de Jaume Cabré...).
Elle a traduit également les auteurs hongrois suivants : György Dragomán, Péter Esterházy, Sandor Jaszberényi.
Traductrice depuis 1998, Joëlle Dufeuilly dit avoir eu plusieurs vies, d'enseignante, puis dans l'artisanat dart : "Rien à voir. Jai travaillé pendant une dizaine dannées, et je suis arrivée à un moment où je commençais à mennuyer, javais envie de faire autre chose et comme jadore les langues, jai décidé dapprendre une langue tout en continuant de travailler."
Comment avez-vous été amenée
à traduire László Krasznahorkai ?
Cest une histoire amusante. Pour ma première traduction,
mon professeur de hongrois mavait donné deux textes issus
dune anthologie de littérature contemporaine hongroise. Je
les avais trouvés sans intérêt, sans aucune difficulté.
Jétais déçue et je le lui avais dit. Quelques
temps plus tard, il ma donné un discours de László
Krasznahorkai en me disant : "Tu veux un texte difficile, voilà !"
Je lai beaucoup aimé, mais il me paraissait impossible à
traduire. Jai commencé à paniquer. Je ne pouvais pas
dire à mon professeur que je nallais pas y arriver. Jai
alors contacté Krasznahorkai qui a accepté de me rencontrer.
Nous avons lu le texte ensemble, décortiqué ses phrases
tortueuses. Jai compris que chez lui, rien nest jamais gratuit.
Une fois que jai eu toutes les clés, jai eu énormément
de plaisir à traduire ce texte et jai eu envie den
traduire dautres. Je me suis attelée à son roman Le
Tango de Satan, que jai présenté à plusieurs
éditeurs. Ce nétait pas évident : une traductrice
débutante qui présente un écrivain hongrois au nom
imprononçable
Mais Gallimard a accepté de le publier.
Comment sorganise votre travail
de traductrice ? Je commence par lire le texte
hongrois, que je traduis directement, puis je ferme le livre et je travaille
uniquement sur mon texte. Ensuite, je reprends le texte hongrois que je
confronte à ma traduction. Je peux passer des jours entiers à
peaufiner la ponctuation, lordre des mots
(extrait du magazine
De ligne en ligne, BPI, n° 26, 2018)
Exemplaire de travail de Joëlle Dufeuilly
Comment avez-vous découvert la
langue hongroise ?
Tout à fait par hasard ! Jétais artisan dart,
et la vie ma conduite à changer de profession. Jai
poussé la porte des Langues O (Linalco), et jai
parcouru, sans avoir la moindre idée de la langue que je voulais
apprendre, le catalogue des cours proposés. Je me suis arrêtée
à la lettre H, et jai immédiatement su que ce serait
le hongrois.
Je ne savais rien de cette langue. Je nai
découvert quensuite quelle était prétendument
la langue la plus difficile au monde ce qui nest pas vrai.
Jai également découvert quelle nappartenait
pas à la famille indo-européenne, dont font partie le français,
lallemand, litalien, le russe, ou même le hindi. Cest
donc une langue dont lapprentissage nécessite doublier
tous ses repères, daccepter de repartir de zéro. Une
langue totalement étrangère, pourtant parlée dans
un pays situé au cur de lEurope.
[Elle obtient une bourse et demeure neuf mois à Budapest "juste après la chute du mur, une période très intéressante", à l'issue desquels, grâce à l'excellente oreille qu'elle sait posséder, elle passe déjà "pour une Hongroise, ou bien encore pour une Polonaise" ou, une fois, un vieux monsieur lui dit : "Vous, vous venez de province". Sa première traduction porte sur un texte accompagnant des photographies de Joseph Rosta. Elle participe ensuite aux étonnantes rencontres organisées chaque année par le milliardaire et philanthrope américain George Soros dans son pays d'origine. Ces "camps de traduction" (sic) rassemblent pendant deux semaines, dans des endroits idylliques de la campagne hongroise, une quinzaine de traducteurs de tous les pays et des écrivains hongrois contemporains, qui y présentent leurs livres. Elle y fait la connaissance de Péter Esterházy et contribue à une anthologie multilingue en tant qu'"apprentie traductrice", dit-elle. (extrait d'un article de Claire Darfeuille, actualitte.com, 11 novembre 2014)]
Quelles sont les particularités
de cette langue et comment influent-elles sur votre travail de traductrice
?
Je dirais que le caractère le plus étonnant du hongrois,
pour nous Français, cest son extraordinaire liberté.
Lordre des mots dans la phrase est éminemment flexible, et
na parfois rien à voir avec les constructions auxquelles
nous sommes habitués. Cette liberté offre des possibilités
particulièrement intéressantes pour les écrivains,
mais elle est redoutable pour le traducteur.
Ajoutez à cela labsence de pronoms personnels, et vous comprendrez
le dilemme que posent parfois certaines tournures dont il devient presque
impossible de déterminer le sujet avec précision. Il mest
parfois arrivé de faire lire une phrase de Krasznahorkai à
une amie hongroise, sans que nous puissions parvenir à nous accorder
sur le sujet auquel se rapportait un groupe de mots donné !
Vous avez découvert Krasznahorkai
en traduisant lun de ses discours, particulièrement ardu,
que vous avait confié lun de vos professeurs. Cest
finalement en décidant daller le rencontrer que lécrivain
vous a donné la clef de ce texte, et que votre histoire commune
a débuté. La langue de Krasznahorkai est-elle à ce
point particulière ?
Cest un écrivain dont le style ne ressemble à aucun
autre. Tout dabord par la longueur de ses phrases, bien évidemment,
qui sétirent sur des lignes entières, au point que
le sujet dun verbe est parfois à chercher sur la page précédente.
Mais cest loin dêtre là son unique originalité.
La musicalité de sa phrase est admirable, notamment grâce
à cette particularité que lon appelle en linguistique
lharmonie vocalique, spécificité de la langue hongroise
et de quelques autres, comme le turc. Il mest bien évidemment
impossible de la rendre telle quelle en français, cest pourquoi
je cherche à la restituer par le rythme. Cest une écriture
profondément sensorielle et musicale. Cest dailleurs
ainsi quil écrit : il entend dabord les mots et
les phrases dans sa tête, avant de les coucher sur le papier. De
la même manière, jentends son texte, avant de le traduire,
sans même avoir à le lire à voix haute.
Une autre de ses particularités, ce sont ces entames de chapitres,
parfois exceptionnellement complexes. Ceux-ci débutent difficilement,
dans des méandres sinueux particulièrement denses, avant
de se délier avec aisance, tout naturellement. Je lui en ai déjà
fait part, mais il assure ne pas sen être aperçu !
Enfin, je dirais que Krasznahorkai développe également un
type de discours inédit, ni tout à fait direct ni tout à
fait indirect, qui lui permet habilement de changer de perspective en
lespace de quelques mots à peine. On passe alors dune
subjectivité à une autre, de pensées intérieures
à des paroles prononcées, toujours dans un mouvement dévidence
parfaitement fluide. Cest une véritable prouesse littéraire.
Cette musicalité, que vous parvenez à
rendre de manière très subtile dans le texte français,
frappe le lecteur dès les premières lignes de nimporte
lequel de ses romans
Krasznahorkai est lui-même musicien. La musique est dailleurs
un thème quil aborde à plusieurs reprises, parfois
même de manière centrale, par exemple dans La
mélancolie de la résistance. Je crois quil
entretient à légard de cet art une proximité
peut-être plus forte encore quavec la littérature.
Nombre de ses amis sont des musiciens, ou des peintres davantage
que des romanciers.
Au fond, cette démarche artistique, qui tend à décloisonner
la littérature, est flagrante dans son uvre. Lun de
ses derniers projets consiste à accompagner son texte dune
bande musicale spécialement conçue pour être écoutée
pendant la lecture. Guerre & Guerre
était pensée comme un projet plus vaste, proche de la performance,
pour lequel léditeur hongrois avait embauché un comédien,
déguisé en facteur, pour porter une lettre qui constituait
à la fois un pré-texte au roman, tout en annonçant
sa publication. Elle a été publiée sous le nom de
La
Venue dIsaie par les éditions Cambourakis, insérée
dans une encoche dans la couverture du livre. Sa collaboration avec le
cinéaste Bela Tarr, qui a adapté plusieurs de ses uvres
sur grand écran, en est une preuve supplémentaire.
Le sculpteur Mario Merz avait envisagé de construire un igloo à
Schaffhausen qui, comme dans le roman Guerre & Guerre, devait
être la tombe de Korim, ce personnage fascinant. On touche là
à la frontière entre luvre littéraire
et la vie une frontière à laquelle Krasznahorkai
ne croit pas vraiment. Jaurais adoré voir construire cet
igloo. Cela aurait eu une signification très forte. Mais Merz est
mort avant de pouvoir réaliser cette uvre.
Dans Guerre & Guerre, Korim,
cet archiviste de province qui abandonne tout pour se dévouer entièrement
à lannonce dun message qui doit bouleverser lhumanité,
ressemble par exemple à Valuska, le jeune homme rêveur et
un peu naïf de La mélancolie de la résistance.
Ce sont des personnages que Krasznahorkai semble affectionner.
Ce sont des personnages en rupture, des marginaux en quelque sorte, que
le poids du monde écrase ils ressemblent aux gens que Laszlo
affectionne dans la vie et dont il sentoure, notamment à
Paris.
Et en même temps, la fragilité de ses personnages et leur
ingénuité apparente révèle les mécanismes,
les dysfonctionnements ou les absurdités du monde qui les entoure.
Ce sont des êtres profondément attachants, car extrêmement
réels. Ils parviennent à se détacher du roman et
à acquérir une réalité propre dans le monde,
comme si luvre nétait quun moment de leur
existence, un fragment deux-mêmes, mais que leur être
la précédait et lui survivait.
Certains dentre eux, Korim peut-être plus quaucun autre,
ont continué de maccompagner pendant de longues semaines
après la lecture de ses romans. Je vivais avec lui, pensais avec
lui, le sentais à mes côtés. Cela a bien sûr
fini par sestomper ! Mais jy vois leffet que seul peut
produire un écrivain de grand talent.
Ce travail de traduction a-t-il changé
votre approche de la langue française ?
Bien sûr. À titre dexemple, je me suis aperçue
de lincroyable importance de la virgule dans notre grammaire. Son
usage est bien différent en hongrois, si bien que la traduction
des romans de Krasznahorkai me pousse à tout remettre à
plat. Lorsquun critique lavait décrit comme «
le maître de la virgule », cela mavait amusée,
car la plupart de ces ponctuations sont absentes du texte hongrois. Elles
procèdent de décisions que je prends, lorsque je cherche
à restituer le rythme dune phrase tout en respectant la grammaire
française.
Depuis son premier roman Tango de
Satan jusquà Le baron Weinkheim est de retour,
que vous êtes en train de traduire, percevez-vous une évolution
de son style ?
Absolument. Il y a une continuité indéniable, ces romans
nen constituant finalement quun seul, le roman unique dune
vie ; mais il y a également des changements qui font que chaque
livre est différent. Les phrases, bien sûr, suivent un mouvement
de plus en plus marqué dallongement, qui nen était
quà ses balbutiements dans Tango de Satan. On trouvait
même des dialogues dans ce premier roman qui tendront à
disparaître par la suite.
Certains romans ont également une spécificité propre.
La
mélancolie de la résistance par exemple a une structure
très germanique, selon moi. La construction de la phrase, avec
le rejet du verbe à la fin de la proposition, limite létirement
excessif des phrases. Dans ses uvres suivantes, la phrase revêt
un aspect plus proche de celui du latin : elle sétire, sans
se soucier du verbe. Là encore, cest une remarque que je
lui ai faite, mais il ma dit nen avoir jamais eu conscience.
Le vocabulaire de Krasznahorkai regorge
parfois dune étonnante précision technique. On suppose
que ce doit être une épreuve pour vous.
Dans Seiobo, la difficulté était
extrême quant à certains outils ou instruments, notamment
en raison de laspect plus restreint du vocabulaire hongrois. Par
exemple, alors que nous distinguons en français une masse dun
marteau ou dun maillet, le hongrois ne possède quun
seul mot. Tout lenjeu consiste alors à saisir une nuance
qui, dans le texte, nest pas nécessairement exprimée
par le mot lui-même, afin de choisir le terme le plus adapté
en français.
Dans La mélancolie de la résistance, Krasznahorkai
développe pendant plusieurs pages une théorie musicale qui
métait étrangère : celle des "sons
naturels". Pour résumer de manière simple, disons que
les instruments que nous connaissons depuis lépoque baroque
sont accordés dune certaine manière qui ne reflète
pas les véritables notes de musique. Cette découverte provoque
un réel bouleversement pour le personnage dEszter, dont toute
la conception du monde va sen trouver changée. Il sagissait
donc de ne pas commettre derreur en traduisant les notions techniques
quemploie Krasznahorkai. Plus encore : il me fallait comprendre
avec exactitude ce dont il parlait. Je me suis adressée à
des musiciens, qui nont pas su maider. Jai interrogé
des musicologues, que la simple évocation de "sons naturels"
faisait bondir. Finalement, cest un jeune accordeur de piano (comme
dans le roman dailleurs) qui ma donné la clef pour
comprendre ce passage aussi complexe que décisif.
La Hongrie, si elle est toujours nommée,
reste cependant discrète dans ses romans. À quelques exceptions
près, Krasznahorkai ne fait que très rarement référence
à son pays.
Cest vrai. Mise à part une bouteille
de palinka par-ci, ou une évocation explicite de la Hongrie par-là,
les paysages, les villes ou les personnages ne sont pas typiquement hongrois.
Et pourtant, je crois que son écriture a bel et bien quelque chose
de typiquement hongrois. Comme la musique de Béla Bartok, dont
vous sentez létrangeté envoûtante dès
les premières notes, la langue de Krasznahorkai possède
une âme hongroise.
Je ne crois pas quil ait jamais eu, comme certains écrivains,
une ambition littéraire tournée vers luniversalité
; ses racines culturelles sont aussi fortes que son attachement à
la langue hongroise, dont il est littéralement amoureux. Son écriture
est avant tout incarnée. Quel que soit le lieu où se déroule
laction, le lecteur sy retrouve immédiatement propulsé
par le rythme, le souffle et la poésie de la phrase. Lorsque Korim
erre à travers les rues de New-York, dans Guerre & Guerre,
on est réellement transporté à New-York.
On trouve également très
peu dhistoires damour sous sa plume
Je dirais même quon y trouve très
peu de personnages féminins ! Du moins, ceux qui jouent un rôle
dimportance sont souvent terribles. Lautoritarisme froid de
Madame Eszter ou la description extrêmement cynique des habitudes
bourgeoises de madame Pflaum, dans La mélancolie de la résistance
en sont des exemples éloquents.
Pour autant, les femmes ne sont ni absentes de ses romans, ni impuissantes.
Leur influence, exercée dans lombre, parfois par la savante
entremise des hommes, ressemble dailleurs un peu à celle
de certaines femmes de Hongrie ou des pays dEurope centrale de lépoque
communiste. Pour plaisanter, je lui avais dit un jour : "Il ny
a jamais de femmes dans tes livres !". Il mavait alors
répondu, avec ce sens de lhumour qui lui est propre : "Mais
si, dans Seiobo, il y a tout un passage sur
la Venus de Milo !"
À la lecture de ses romans, on
limagine plus volontiers austère que drôle. Ce nest
pas le cas ?
Laszlo ressemble à ses romans. Il y a quelque
chose de sombre, parfois même de ténébreux, dans sa
personnalité comme dans son uvre. Mais tout peut subitement
prendre une tournure extrêmement lumineuse et profondément
jubilatoire. Très impressionnée par son charisme lorsque
nous avons fait connaissance, jai mis du temps avant dapprendre
à le connaître et de pouvoir finalement prendre la distance
nécessaire pour interagir avec lui. Cest un homme très
drôle.
En écoutant lun de ses textes
traduits en français, Krasznahorkai dit reconnaître votre
travail et entendre que "Joëlle a un cur". Vous entretenez
une relation très spéciale avec lui et vous êtes,
à bien des égards, devenue son ambassadrice en France
Cest, je crois, lun des rôles
du traducteur. Cest également un plaisir : tous les traducteurs
nont pas loccasion de travailler sur des textes dauteurs
vivants. Pour ma part, je suis avec beaucoup dintérêt
tout ce qui sécrit à son sujet. Je sais que Laszlo
est attentif à la réception de ses uvres, particulièrement
en France. Cest un pays quil aime beaucoup. Cest aussi
lun de ceux où ses uvres se vendent le plus.
Pourtant, les débuts nont pas toujours été
faciles. Il était déjà reconnu dans son pays, où
ses livres avaient de nombreux lecteurs. Lorsquil est arrivé
en France, après la traduction de son premier roman quinze ans
après sa parution, il lui a fallu repartir à zéro,
pour ainsi dire. Des journalistes ou des critiques qui venaient de le
découvrir lui posaient des questions ou lappréhendaient
comme sil était un jeune débutant. Ce décalage
a été une source de frustration.
Il convient dajouter que, selon moi, les libraires ont joué
un grand rôle dans la promotion du travail littéraire de
Krasznahorkai en France. Le bouche à oreille, favorisé par
des passionnés qui ont lu et aussi tôt admiré ses
livres, sest beaucoup propagé à partir des librairies.
Laszlo, lorsquil vient à Paris, sémerveille
toujours devant ces petites notes que les libraires rédigent pour
faire connaître des ouvrages qui les ont séduits. Cette dimension
particulière du métier, qui distingue le libraire dun
simple vendeur, est peut-être plus marquée en France quailleurs
pour linstant. (Propos recueillis par Alexis Bétemps,
PHILITT,
12 décembre 2019)
On dit souvent que la traduction est
bonne si le travail du traducteur reste imperceptible. Vous avez gagné
plusieurs prix dont le Grand prix de la Société des Gens
de Lettres pour lensemble de votre uvre. Jimagine que
ces récompenses sont dautant plus dimportants quils
récompensent un travail particulièrement exigeant mais presque
toujours éclipsé par lombre de lauteur.
Non, pas du tout. Cest très gratifiant
de recevoir des prix et que son travail soit reconnu mais on reste au
service dun ou des auteurs. Il ne faut pas non plus renverser les
rôles. Quand un livre de Krasznahorkai ou dautres sort, je
suis très curieuse, jadore lire des critiques, jy suis
très sensible, mais des fois des critiques qui ne parlent pas du
tout de moi me font plus plaisir que celles qui parlent de moi car elles
parlent de lécriture de Krasznahorkai et ils se rendent même
pas compte quils ne lisent pas Krasznahorkai. Pour moi, cest
vraiment encore plus élogieux même si ça ne parle
pas de moi. Puisquils parlent de lécriture de Krasznahorkai.
En fait, cest la mienne. (rires) La mienne non, cest la sienne
Ce qui ma fait rire une fois : un critique parlait de lart
de la virgule chez Krasznahorkai. Là, cétait drôle,
parce quil ne met pas du tout au même endroit les virgules
en hongrois. (interview par Gábor Orbán, dans le cadre de
latelier de traduction du à la bibliothèque de lInstitut
Liszt Centre culturel hongrois, litteraturehongroise.fr,
12 novembre 2021)
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens