I
sabel ALLENDE, La Maison aux esprits, trad. de l'espagnol (Chili) Claude et Carmen Durand, Le Livre de poche, 544 p.

Quatrième de couverture :

"Une grande saga familiale dans une contrée qui ressemble à s’y méprendre au Chili.
Entre les différentes générations, entre la branche des maîtres et celle des bâtards, entre le patriarche, les femmes de la maison, les domestiques, et les paysans du domaine, se nouent et se dénouent des relations marquées par l’absolu de l’amour, la familiarité de la mort, la folie douce ou bestiale des uns et des autres, qui reflètent et résument les vicissitudes d’un pays passé en quelques décennies des rythmes ruraux et des traditions paysannes aux affrontements fratricides et à la férocité des tyrannies modernes.
La Maison aux esprits, premier roman d’Isabel Allende, tantôt enchanteur, tantôt mordant, a été traduit dans de nombreuses langues et a obtenu le prix du Grand Roman d’évasion 1984.






La Maison aux esprits
, Fayard, 2022


L'édition de 1982 :
Editorial Sudamericana

L'édition du 40e anniversaire :
La casa de los espíritus, Plaza & Janés, 2022 :


 

Isabel Allende (née en 1942)
La Maison aux esprits (1982, traduction 1984)

Nous avons lu ce livre pour le 16 mai 2025.
Le nouveau groupe l'avait lu en mars.

Nous avons pu visionner une adaptation du roman : La Maison aux esprits, film "hollywoodien" germano-dano-portugais du Danois Bille August (1993), avec Jeremy Irons, Meryl Streep, Glenn Close, Winona Ryder, Antonio Banderas et Vanessa Redgrave : film complet en vo en ligne ›ici (140 min).

Pense-bête pour se rappeler qui est qui...

Severo et Nívea ont deux filles : Rosa et Clara.
Rosa, fiancée d’Esteban Trueba, meurt.
Il épouse Clara sa sœur.
Ferula est la sœur d'Esteban, elle adoooore Clara.
Clara et Esteban ont trois enfants : les jumeaux Jaime et Nicolás + Blanca.
Blanca a, avec Pedro Tercero (Pedro III), une fille Alba, mais Blanca épouse Jean de Satigny.
Alba a eu une relation avec Miguel.
Amanda est enceinte de Nicolás, son frère jumeau Jaime réalise l'avortement.
Esteban et sa petite-fille Alba reconstituent l’histoire de leur famille avec leurs souvenirs et les journaux intimes de Clara, l'épouse d'Esteban et la grand-mère d'Alba.


16 réactions de l'ancien groupe réuni le 16 mai 2025
Annick L CatherineFanny
Jérémy
Marie-Odile
Monique LSabine
BrigitteClaireEtienne Françoise
JacquelineRenéeThomas
Odile Rozenn

Renée (avis transmis de Narbonne)
Les esprits sont aussi bien ceux que fait apparaître la grand-mère, Clara, que les esprits furtifs des persécutés politiques "qu'accueille" la petite fille Alba. Ce roman relève exactement du réalisme magique fin 20e des Sud-Américains : la description de la vie des Chiliens, aussi bien de la paysannerie que de l'aristocratie est réelle, mais le tout est teinté de croyances surnaturelles.
Le livre montre la vie de trois générations de Chiliens : splendeur et déchéance d'une famille, montée de la contestation du peuple, à partir du milieu 20e, puis pendant la dictature de Pinochet de 1973.
Il me semble que les événements politiques et sociaux ne sont pas assez présents pendant la République, dans la première partie. Je suppose que dans les familles bourgeoises, à cette époque-là, on regardait de loin la politique, comme si on n'était pas concerné. Pourtant, sous la présidence d'Allende (3 ans), la crise économique et sociale provoque un début de révolution populaire basée sur la lutte des classes. Les amours des jeunes suggèrent que les différences de classe existent, mais on ne sent pas une contestation proche de la guerre civile. Bien entendu, dans le dernier tiers du livre, c'est la répression qui domine.
Amour et violence dans la société et dans la famille : les portraits de femmes montrent de fortes personnalités, MAIS elles demeurent victimes de leur milieu social. Aucune n'y échappe.
J'ai beaucoup aimé la nounou qui ne vit qu'à travers les enfants de ses patrons qu'elle soigne et entoure d'amour, trouvant cela tout à fait naturel, jusqu'à sa mort.
J'ouvre à moitié. J'ai lu un tiers du livre en espagnol et je trouvais la langue belle. Comme je lisais trop lentement car il y a beaucoup d'expressions typiquement chiliennes, j'ai continué en français, et j'ai été déçue. Je me suis un peu ennuyée : les personnages sont trop esquissés pour que l'on s'attache vraiment à eux...
Conclusion : léger mécontentement sur les héros, sur le contexte historique, sur les actions parfois répétitives.
Annick L(avis transmis de Londres)
Dans les années 80-90 j'ai eu une longue phase de lectures consacrées à la littérature sud-américaine, qui était enfin plus largement traduite en France, l'occasion de découvrir quelques auteurs remarquables et quelques œuvres qui m'ont enchantée, dont La Maison des esprits. Quand j'ai rouvert ce roman je me suis demandé si le charme allait encore opérer (j'ai vécu quelques expériences malheureuses !). Mais j'ai replongé avec un grand bonheur dans cette saga familiale truculente, ancrée dans un pays latino-américain fictif mais qui ressemble étrangement au Chili et nous fait traverser une bonne partie du 20ème siècle, à travers quatre générations de protagonistes, très incarnés, autour de la figure d'un patriarche tout à fait détestable.
Ce qui me séduit tout particulièrement c'est le mélange des genres, complètement baroque : on passe d'évocations très réalistes - qui campent des personnages, des paysages, des milieux sociaux, des crises politiques de sinistre mémoire, etc.- à des scènes complètement irréelles où les vivants dialoguent avec les esprits et avec les morts, font voler les meubles, révèlent le futur… ce fameux réalisme magique que j'adore ! On rit, on pleure, on est effrayé par la violence des événements, on est touché par la force d'amour et de résilience que se transmettent les femmes dans cette famille : Clara la rayonnante, bien sûr, qui échappe à toute emprise par la puissance de son esprit, sa fille Blanca qui mène, en toute discrétion, une double vie amoureuse et sociale (en détournant au profit des plus pauvres les richesses et les victuailles de la maison paternelle), Alba, la petite-fille adorée du patriarche, qui sera la première à oser lui tenir tête, tout en ménageant leur relation, jusqu'à la mort, apaisée, de celui-ci.
D'autres personnages masculins incarnent la force obscure de cette société conservatrice : le petit-fils fils bâtard de la paysanne, plein de rancœur et de haine à l'égard de cette famille, futur tortionnaire de la dictature militaire, mais aussi le comte français que Blanca, enceinte, va devoir épouser, un pervers inquiétant. Émergent tout de même quelques belles figures, comme celle de Jaime, l'un des fils de Clara et Esteban, qui se va se consacrer à la médecine pour les pauvres et fera preuve d'une grande humanité en toute circonstance, ou Pedro III, le chanteur égérie de la révolte populaire…
Le réel rattrape cependant la fiction à la fin du roman, nous ramenant à des faits historiques avérés (pas seulement au Chili) et vécus de très près par Isabel Allende, nièce du Président assassiné : le coup d'état militaire du général Pinochet (en 1973) qui plongera ce pays dans une dictature sanglante, au pouvoir pendant une vingtaine d'années. Autant de pages très sombres, très réalistes (l'attaque du palais présidentiel, les rafles de nuit, les scènes de tuerie, de torture sadique, la mise au pas brutale de la population, privée de tous ses droits et libertés…). Avec quelques figures fortes de résistants : l'amoureux d'Alba qui a pris les armes, les femmes dans le camp d'internement…
J'ai apprécié aussi l'épilogue qui clôt en beauté cette histoire sur le thème du pouvoir de la transmission par l'écriture, à deux voix, celle des deux survivants, à la 3e et à la première personne.
Un roman à plusieurs facettes, vraiment inspiré ! Ouvert en très grand, donc…
Monique L
(avis transmis de Dordogne)
J'ai aimé ce récit enchanté et original remarquable par sa verve et son écriture fascinante, une saga familiale romanesque, riche, touffue et pleine de vie.
J'ai été envoutée par ce voyage entre réalisme et imaginaire où le paranormal y apparaît comme naturel. J'ai été portée par le souffle de ce récit du début à la fin avec ses événements tragiques, ses situations loufoques, ses conflits familiaux, sociaux ou politiques et ses histoires d'amour. L'auteure a un indéniable talent de conteur.
J'ai été happée par la narration, sans jamais m'ennuyer.
J'ai été surprise lorsque le récit passe brutalement de la troisième personne du singulier à la première quand Esteban livre son histoire et son ressenti.
Les personnages sont atypiques et attachants.
J'ai été portée par cette longue lignée féminine très unie, composée de femmes courageuses et généreuses. La transmission familiale par la lignée féminine d'une famille m'a toujours paru très importante, voire évidente.
Clara en est le personnage central. C'est l'âme de cette famille Trueba tenue d'une main de maître par son chef de clan Esteban Trueba, riche propriétaire parti de rien, tyran familial et sénateur musclé, tandis que Clara, sa femme est hypersensible et dialogue volontiers avec les esprits. Sa clairvoyance lui permet de déchiffrer ce qui l'entoure. C'est un personnage que j'ai adoré. Je l'ai trouvé réaliste car elle me rappelle une tante aimée par tous qui était un peu fantasque qui croyait aux sourciers, aux guérisseurs et qui était une fine connaisseuse des plantes et de leur vertu. Je me sentais bien auprès de cette tante et je me suis sentie bien auprès de Clara.
J'ai apprécié la présence d'Esteban dans ce récit qui bien que colérique parvient à nous toucher par l'amour exclusif porté à sa femme et par son ambition démesurée de réussir là où son père a fait faillite. Sans lui, le récit aurait manqué de consistance. Ce n'est pas manichéen, chacun a ses défauts et ses qualités, y compris Esteban Trueba, travailleur acharné et attachant dans son amour pour Rosa et Clara, ainsi que sur la fin.
Tout au long du récit, on suit l'évolution du pays, dans sa grande histoire jusqu'au putsch militaire de 1973 et les violences qui en découlent. L'extrême pauvreté et l'injustice sociale sont relatées de manière extrêmement réaliste. Les idées des différents courants politiques apparaissent clairement.
Une lecture très dense mais fluide. Un vocabulaire riche et coloré.
J'ouvre en entier.
Marie-Odile(avis transmis de Bretagne)
Depuis 37 ans et demi, ce roman attendait sagement dans ma bibliothèque. Grâce à Voix au chapitre, je viens de le lire avec un immense plaisir.
Certes, cela parle de vie d'amour et de mort.
Certes, cela fonctionne sur de multiples oppositions (le visible/l'invisible, le réalisme/la fantaisie, le masculin/le féminin, l'enfance/la vieillesse, le légitime/l'illégitime, les maîtres/les domestiques, le propriétaire terrien/les paysans sans terre, le conservatisme/le socialisme, la violence/la tendresse, la parole/le silence etc., etc.). Dit comme cela, ça pourrait paraître simple, voire banal.
Mais tout cela s'articule, s'enchevêtre, interfère, en une série de liens inattendus.
Mais tout cela est porté par des personnages extraordinaires, parfois extravagants, des événements surprenants (même lorsque prédits), et par une écriture riche, généreuse, un souffle qui m'a emportée.
J'ai aimé la fantaisie, la joie, l'émotion, l'humour qui habitent ce texte extrêmement vivant, extrêmement humain.
J'ai aimé les anticipations qui donnent envie, qui relient ce qu'on lit à ce qu'on lira, ce qui arrive à ce qui arrivera.
J'ai adoré Pedro Garcia Senior, sa façon de résoudre le problème des fourmis et de réparer Esteban fracassé.
J'ai aimé quand les barrières sociales se cassent (amour Blanca-Pedro Garcia III).
J'ai aimé le besoin de consolation des uns et des autres (le père en deuil consolé par la nounou, le grand-père par la petite fille...).
J'ai adoré des passages tels que celui-ci : "Je passai la nuit assis près du tombeau de Rosa, devisant avec elle, l'accompagnant dans la première partie de son voyage dans l'au-delà, quand on a le plus de mal à se détacher de la terre et qu'on a besoin de l'amour de ceux qui sont restés en vie pour s'en aller avec au moins la consolation d'avoir semé quelque chose dans le cœur d'autrui".
J'ai eu le sentiment que l'auteure aimait ses personnages et je les ai aimés aussi.
J'ai aimé que l'histoire familiale croise l'Histoire du pays.
Cependant, j'aurais aimé que la dernière partie, tragique, évoquant l'histoire récente du Chili, fût plus sobre, parce que plus proche de nous, parce que conforme aux événements connus. Je me suis sentie dans un autre récit, même si les personnages sont les mêmes, même si la conclusion montre que tout cela fait partie "d'une chaîne d'événements qui devaient s'accomplir" par-delà les générations.
J'ouvre en grand, remerciant la personne qui m'avait offert ce livre en novembre 1987 et Voix au chapitre qui me l'a ouvert aujourd'hui.
Jacqueline(en direct)
C'est un roman foisonnant, quatre générations de femmes, une quantité d'anecdotes familiales pittoresques, de scènes savoureuses et de personnages singuliers, sans compter l'histoire du Chili…
Je l'ai lu d'une traite sans toujours très bien identifier les personnages. Cependant, au cours de ma lecture, je n'ai pas été vraiment séduite par l'écriture…
J'ai bien aimé ce que l'auteure dit avec sobriété du suicide du président, d'autant qu'elle est de sa famille…
Pour ce qui est du réalisme magique, je ne suis pas sûre que cela en relève vraiment. Dans d'autres romans sud-américains, le merveilleux se réfère à une culture et des croyances populaires et contraste avec un réel difficile auquel il donne une échappée. Là, je ne lui ai pas vraiment trouvé de sens. Pourtant j'aurais aimé que le film puisse me montrer les yeux jaunes de Rosa et ses cheveux verts transmis à Blanca !
J'ai trouvé très intéressant de suivre personnages et situations au fil des générations. J'ai bien aimé découvrir à travers beaucoup de personnages la variété et l'évolution des engagements dans le mouvement d'unité populaire.
Il me restera certainement la vision de beaucoup de scènes ; notamment, au début, l'église avec ce personnage de Severo, franc-maçon, athée, avec ses ambitions politiques. Cela m'évoquait notre Troisième République…
Je suis sensible à l'ambition de ce premier roman et à la dédicace de l'auteur aux femmes de sa famille qui me fait penser qu'elle y a mis beaucoup d'elle-même…
Je n'ouvre qu'à moitié parce qu'il m'a quand même manqué un plaisir réel de langue et d'écriture…
Les passages à la première personne, sauf une surprise pour le premier à la première lecture, ne m'avaient pas gênée. En reprenant le livre pour ne pas me tromper sur les noms et autres, j'ai eu l'impression qu'en donnant la parole à Esteban cela donnait une dimension autre au livre dont il est quand même le héros (guère positif !)...
J'espère que Asturias sera un meilleur exemple de réalisme magique...
(Jacqueline avait concocté une sorte de sangria aux fraises avec du vin chilien et un gâteau dit de Pâques, chilien également)

Etienne(à l'écran, depuis Rennes)
Ça m'a bien plu, j'ai réussi à le finir et j'en étais content
J'étais mi-figue mi-raisin sur les 50/100 premières pages.
Pour ce qui est du réalisme magique, ma référence était Cent ans de solitude et j'ai trouvé que là c'était trop timoré sur ce sujet, et je suis resté sur ma faim. L'auteure oublie ce côté.
Ce qui m'a principalement plu, c'est l'écriture : très fluide, très facile à suivre, exubérante ; ça ne m'ennuie pas du tout, sur trois pages, il se passe plein de choses.
Les personnages sont intéressants. La relation grand-père/ petite-fille est tendre, alors qu'Esteban est une ordure. Il sauve Pedro, à la fin il gagne des points.
Le côté historique m'a également beaucoup intéressé. Je connaissais Pinochet, Allende, mais ça m'a poussé à davantage m'y intéresser. Il y a aussi le côté sociologique, avec cette société très compartimentée.
J'ouvre aux ¾.
Claire
Je partage l'enthousiasme de Marie-Odile et ai quelques réserves qui font que je n'ouvrirai pas en grand.
Ce que j'ai trouvé le plus extraordinaire, c'est que ce livre est une machine à histoires, aux rebonds infinis, c'est cet art de narrer qui m'a convaincue. J'ai trouvé le début particulièrement formidable.
Les femmes sont remarquables, les destins sont passionnants, se déployant de génération en génération.
Pour moi, il n'y pas de réalisme magique : on est dans le réalisme tout le temps ; et il y a des personnes qui ont des "talents" particuliers, sans parler des adeptes de Gurdjieff. Par ailleurs, je trouve rigolo, quand Alba fait remarquer qu'il n'y a pas de fou ou d'idiot dans la famille, que Clara réponde : "Ici le grain de folie est réparti entre tous et il n'y en a plus de reste pour que nous ayons notre idiot de famille"...
J'ai été sensible à ce paradoxe : Trueba améliore les conditions de vie des paysans, mais viole et méprise ("ça ne sait même pas se laver le cul et ça voudrait le droit de vote ?"). J'ai regretté que les domestiques n'existent guère dans le livre, ne soient pas des personnages.

Catherine
Il y a la nounou.

Claire
Oui. Le contexte historique est habilement indiqué : les luttes féministes sont présentes avec Nivea qui sort la nuit apposer des affiches de suffragettes revendiquant le droit de vote. Les deux guerres en Europe sont évoquées ; les modes marquent l'époque : jazz, golf, cocaïne, le couple "Sartre et la Beauvoir"...
Le développement du communisme est lui-même romanesque, avec des rebondissements et au passage le Jésuite communiste relégué dans la brousse. Et le prêtre qui dit à Pedro III "d'un air énigmatique entre deux gorgées de vin de messe" : "Notre Sainte Mère l'Église est de droite, mon fils, mais Jésus-Christ a toujours été de gauche".
L'humour m'a plu : Esteban pourtant déjà bien vieux terrorise la nature : "Sur son passage, les animaux domestiques fuyaient, les plantes se recroquevillaient" : on courait mettre le gommier ailleurs, car "à peine le vieillard était-il entré dans la pièce, l'arbuste laissait pendouiller ses feuilles et se mettait à exsuder par sa tige un pleur blanchâtre comme des larmes de lait."
J'ai adoré la nuit de noces avec le comte Jean de Satigny ; il y a des scènes formidables, je pense à l'enterrement de Clara par exemple, avec tous les fermiers qui font le voyage jusqu'à la ville.
J'ai trouvé rigolo la litanie des prénoms en a : Nivea, Rosa, Clara, Blanca, Alba, Ferula, Amanda...
Les subjonctifs des traducteurs m'ont semblé agréables, accompagnant la narration, jamais ridicules : "Depuis toute jeunette, Alba avait eu la responsabilité de changer les fleurs des vases. Elle ouvrait les fenêtres afin que l'air et la lumière entrassent à flots" ; "La norme était que les deux époux s'ignorassent"...
Les flashforwards relationnels ou politiques m'ont paru efficaces (Amanda à Miguel : "Je donnerais ma vie pour toi, Miguelito. Elle ne savait qu'un jour, c'est ce qu'il lui faudrait faire.").
Ma gêne - forte - vient des je d'Esteban qui m'ont semblé ne pas tenir. Par exemple p. 74 : "Je commençai très vite à me sentir dans mon élément à la campagne." et non loin p. 75 : "Les premiers mois, Esteban Trueba fut si occupé à canaliser l'eau, creuser des puits"... Et puis ça se reproduit avec d'autres personnages.

Rozenn
En fait on comprend pas pourquoi, ce que ça apporte.

Claire
Tout à fait !
Et enfin, pour ma part, j'ai moins aimé la partie politique, j'ai même sauté quelques parties atroces.
Et la reconstitution de l'histoire de la famille à la fin qui expliquant les "je" ne m'a pas transportée.
Bref, j'ouvre aux ¾.

Catherine
J'ai adoré : le côté saga - j'aime les sagas ; l'humour tout du long - l'oncle Marcos avec son oiseau volant, la scène de la messe, la tête de Nívea qui finit dans un carton à chapeaux sous le lit ; le talent de description, la langue ; la galerie de personnages incroyables, attachants - même Esteban qui est un vrai salaud, mais a aussi une complexité et même parfois un côté attachant, il s'améliore à la fin de sa vie, c'est rare ; sa relation avec sa petite fille est touchante. À travers cette famille, on traverse l'histoire d'un pays, fictif mais qui évoque bien sûr le Chili.
La politique est assez peu présente au début, les rapports de classe semblent immuables. La condition des paysans est évoquée, par petites touches, leur rapport avec Esteban, le maître du domaine qui améliore malgré tout leur condition, mais exerce quasiment un droit de vie et de mort sur eux, sans compter les viols.
Les personnages de femmes sont incroyables : le personnage de Clara bien sûr, mais aussi Nívea la féministe, Blanca et sa double vie et Alba qui adhère à la révolution pour finir. Toutes des femmes fortes qui se rebellent à leur façon contre leur milieu et la domination masculine. J'ai aimé la magie, les verres qui se déplacent, le dialogue avec les esprits, les cheveux verts de Rosa.
L'ambiance change dans le dernier tiers du livre, avec la prise de pouvoir par la gauche, le sabotage orchestré par les conservateurs et les Américains et pour finir la révolution avec toutes ses horreurs. C'est intéressant, ça nous replonge dans cette histoire.
Ce fut un grand plaisir de lecture, merci à Jérémy.
Pour un premier roman, c'est un sacré talent ! J'ouvre en grand.
Thomas
Ma lecture a commencé sur les chapeaux de roue : début des vacances, dans un train calme, en direction du soleil italien, et surtout avec ce premier chapitre que j'ai trouvé extraordinaire. Ça part dans tous les sens, c'est superbement drôle et original, notamment avec cet excentrique oncle Marcos... Bref, j'étais emballé (mes voisins de train qui me regardaient bizarrement chaque fois que je m'esclaffais de rire, peut-être un peu moins, mais c'est une autre histoire...). Je me disais qu'après m'être heurté pendant des années au réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez et Vargas Llosa, sans jamais comprendre à ce que tout le monde y trouvait, j'allais enfin avoir la révélation !
Puis, en même temps que le temps italien se gâtait, ma lecture suivait la même trajectoire. Ça restait agréable, facile à lire et plutôt drôle, mais la magie avait un peu disparu, dans tous les sens du terme d'ailleurs ! Les pouvoirs de Clara étaient relégués en arrière-plan, et mon enthousiasme du début aussi.
J'ai eu un regain d'intérêt à la fin du roman, lorsque cela devient plus réaliste, paradoxalement. Ne connaissant presque rien de cette période de l'histoire du Chili, j'ai apprécié cette plongée dans le passé, qui m'a donné envie de me renseigner davantage sur la question... Sans pour autant réussir à effacer tout à fait la légère déception ressentie aux chapitres précédents.
J'ai néanmoins apprécié la complexité du personnage d'Esteban, capable du pire (souvent) comme du meilleur (parfois), qui n'est pas manichéen, tour à tour sauveur et oppresseur tyrannique des paysans des Trois Marias. La scène de la réconciliation avec Pedro III, bien que prévisible, m'a bien plu.
Ce fut un bon moment, mais décevant par rapport à la promesse du premier chapitre. C'est pourquoi j'ouvre à ½.
Rozenn

Je ne sais pas du tout que dire : car en vous écoutant, j'aurais dû adorer. Pour moi, ça n'a absolument pas marché, alors que je dis oui à tout ce que vous avez dit.
Ah que c'est long, me suis-je dit, et ça va recommencer.
Ça n'a absolument pas marché, mais ça vient de moi : en ce moment, les romans ça ne marche pas du tout.
Mais en même temps, ça m'intéressait, et c'est bien écrit.
LA MAYONNAISE N'A PAS PRIS.
Peut-être les personnages ne sont pas bien construits.
Mais il y a tous les ingrédients pour que j'aime. Et j'ai lu jusqu'au bout.
J'ouvre au ¼

Fanny

De premier abord, je l'ai lu comme un simple roman et même si j'ai apprécié la lecture, j'ai trouvé qu'il y avait des longueurs. J'ai également trouvé insupportable le procédé qui consiste de manière récurrente à dévoiler la suite de l'histoire, cela a freiné mon engouement puisque j'avais le sentiment de savoir ce qui allait se passer.
Pour ce qui est de passer sans transition d'un narrateur à l'autre, sur la quasi-totalité de ma lecture j'ai trouvé que cela générait de la confusion, sans rien apporter ni au niveau du style, ni au niveau de l'intensité du récit.
Pour autant, j'ai accroché avec les personnages, notamment Clara. J'ai aimé le fait qu'ils ne soient pas manichéens (Trueba, mais aussi Nicolas). La maison fait également figure de personnage, qui se porte plus ou moins bien selon les périodes.
J'ai également aimé l'apport historique qui permet de revisiter un pan de l'histoire du Chili avec une vision centrée sur les hommes, même si j'ai été un peu perdue par le manque de repères chronologiques précis.
Mais au fur et à mesure de mon avancée, j'ai été troublée par ma lecture. J'y ai vu un roman, mais pas seulement. J'ai été très touchée par les récits du coup d'État et par ce que je suppose que l'auteure a mis d'intime dans son récit.
Je lis autrement le fait que les protagonistes ne soient pas nommés (Allende, Neruda), même si on les reconnaît, de même que pour l'absence de repères chronologiques clairement situés, même si la lecture ne prête pas à l'équivoque. Au-delà du roman, j'y vois une valeur universelle pour dénoncer la dictature et également un hommage à son pays et à sa famille.
À la toute fin, cette double identité du narrateur prend son sens, et je n'avais pas deviné qu'Alba, à travers les cahiers de Clara, était le 2e.
Je lis autrement aussi le fait d'assumer de dévoiler la suite du roman : outre que cela est raccord avec la présence permanente des esprits, j'y vois aussi le fait de dénoncer les atrocités, peut-être inéluctables, comme déjà annoncées. Je ressens aussi beaucoup de nostalgie dans cette part de récit qui va au-delà du roman, et peut-être un hommage ou un moyen de faire la paix avec sa propre histoire.
Après hésitations, j'ouvre en grand.

Brigitte
(à l'écran)

J'ai découvert Isabel Allende à travers ce livre.
Je considère qu'il se compose de deux parties : la première comprend les dix premiers chapitres, la seconde les quatre derniers.
La première partie est une saga familiale tout à fait intéressante. On y découvre le Chili du XXe siècle. L'écriture est foisonnante, comme le récit et comme cette maison aux esprits à laquelle on ajoute diverses excroissances suivant les fantaisies des propriétaires, surtout celles de Clara, la grande virtuose des mondes parallèles. Contrairement à l'usage, l'auteur met en évidence les pierres d'attente qu'elle dispose sans son récit (assassinat de Jaime, influence de Transito) ; elle pratique aussi avec évidence le procédé d'écriture qui consiste, dans une énumération, à terminer par un élément qui contraste avec l'ensemble de ses prédécesseurs, par exemple à la p. 58 : "Il se tenait assis très droit, de la même façon qu'il marchait, guindé, la tête légèrement en arrière et un tantinet déjetée, regardant en coulisse avec un mélange d'arrogance, de défiance et de myopie." Cela donne un texte très baroque où le lecteur se retrouve avec plaisir.
La seconde partie est beaucoup plus violente : elle relate les très graves événements qui secouèrent le Chili au début des années 1970. Ils sont décrits de façon tout à fait bouleversante : aussi bien la mort de Jaime que la captivité d'Alba. Celui que l'auteure désigne comme Le Poète est sans doute Pablo Neruda, et le Président, c'est Salvador Allende.
C'est à cause de cette seconde partie que j'ouvre aux ¾.
Françoise

J'avais déjà lu des livres d'Isabel Allende et j'étais surprise que celui-ci soit son premier. Ceux que j'ai lus étaient agréables, mais bon. Est-ce bien un-livre-pour-le-groupe-lecture ?, me suis-je demandé quand il a été programmé.
Et c'est une très agréable surprise. J'ai plongé, pas gênée par les trois voix. J'en suis à 92% en VO. Renée n'a pas trop apprécié la langue espagnole, moi j'adore ; il y a beaucoup de vocabulaire, y compris d'Amérique latine, nouveau pour moi.
Ce qui m'a plu, ce sont les portraits de femmes extraordinaires qui ne s'en laissent pas conter, n'hésitent pas à s'opposer aux hommes.
Tout nous amène coup d'État.
Esteban est au plus haut point détestable. Quoi ? Une rédemption ! Il l'est jusqu'au bout, même dans son rôle de patriarche.
L'auteure a quand même un petit côté midinette, romance.
Il y a tellement de choses tragicomiques : par exemple la tête de Nivea qui réapparaît.
Ce fut une lecture agréable, captivante.
Il y a certes les enlèvements, les tortures, mais elle nous ouvre la focale sur ce qui se passe dans la société pour les gens. Avec les livres d'histoire modifiée, les mots qu'on ne peut plus prononcer, ça fait froid dans le dos parce qu'on en est encore là, il suffit de regarder autour de soi...
J'ouvre aux ¾ car à certains moments il y a des longueurs, elle délaye un peu parfois.
Il y a des passages magiques comme la chambre de Jaime, le jardin de Clara et beaucoup d'autres, Nicolas disparaît... On s'attache à tous les personnages, y compris au dernier des salauds. C'est grâce au talent de l'écrivaine.
Odile
de Dijon, mais à Paris
Je l'avais lu quand il est sorti et j'avais gardé le souvenir d'un livre médiocre.
Je l'ai repris avec perplexité, il m'est tombé des bras.
Voir le film m'a remis en tête la succession des événements.
Françoise vient de parler d'un aspect "midinette". Oui, je trouve que c'est du genre facile à lire, rebondissements, "lecture pour tous".
Je suis étonnée, Jérémy, que tu aies aimé ce livre, car tu me sembles exigeant dans tes appréciations…
Pour moi, les personnages ne tiennent pas la route : Clara a des pouvoirs soi-disant extraordinaires, mais ça fait pschitt. Barrabas ouvre le livre ("Barrabas arriva dans la famille par voie maritime, nota la petite Clara de son écriture délicate.") et j'ai eu l'impression d'un chien extraordinaire, mais... rien.

Des ami.es des bêtes et du livre
Il est géant !
Et Pedro et Bianca font l'amour sur sa peau de bête à la cave.

Rozenn
C'est d'ailleurs dégoûtant...

Odile
Esteban est un salaud, et bon la rédemption bof. Aucun des personnages n'a retenu mon intérêt et ils n'ont pas de consistance pour moi.
Le plus intéressant pour moi est d'annoncer au passage des événements à venir.
L'auteure est parente du président ? Je ne sais pas quoi faire avec ça.
Pour moi ce n'est ni un livre politique, ni un livre poétique, mais un livre ordinaire. J'ouvre un petit ¼.
Jérémy
(qui avait proposé ce livre : c'est en raison de ces circonstances atténuantes que son avis très très très long n'est pas censuré...)
Avant la lecture : Cela faisait longtemps que j'avais envie de lire ce livre. Entre mon tropisme pour les auteurs sud-américains, le fait que ce soit une épopée familiale et que l'histoire se passe aux XIXe et XXe siècle, le livre avait tout pour me plaire. Pourtant, j'avais quand même une (petite) appréhension, car le livre est édité au Livre de poche et sans trop savoir pourquoi, cette édition évoque pour moi des livres de piètre qualité.
Après la lecture : J'ai aimé dès la première page. J'ai été embarqué du début à la fin. Allende a de vrais talents de conteuse, elle ne nous lâche pas une seule seconde. Il se passe sans arrêt des choses, c'est foisonnant, tourbillonnant. Entre les rebondissements, les péripéties, les changements de personnages puis de générations, elle nous tient en haleine. Ce que j'ai aimé, c'est qu'en dépit des événements parfois tragiques et violents qui nous sont contés, le ton ne se dépare jamais d'une forme de légèreté et d'évanescence, à l'image de Clara. J'ai par exemple "adoré" la mort de Nivea et de Severo : cette histoire de tête qui valdingue à des kilomètres et que Clara va rechercher en rampant sous des bosquets, cela a quelque chose de grotesque, de burlesque, c'est rabelaisien presque !
Avec le recul, c'est peut-être ce que je pourrais reprocher au livre : c'est vrai que lorsque Esteban met un coup de poing à Clara et lui casse plusieurs dents, ou lorsque Esteban viole impunément les paysannes du coin, on n'est jamais vraiment mal à l'aise, tout cela semble rester assez distant et un peu propret et romantisé. C'est peut-être le côté "midinette" d'Allende qu'a évoqué Odile qui veut ça.
Pour autant, j'ai adoré le livre, j'ai adoré voir le pays évoluer sur plusieurs générations. Je trouve que les évolutions sociales, politiques et sociétales, ainsi que la description de l'état du pays sont bien dépeintes, et de manière subtile, ce n'est jamais un tableau appuyé. C'est bien l'histoire familiale qui reste au premier plan. Pour autant, l'état du pays apparaît très clairement :
- la misère des classes ouvrières des bidonvilles que Ferula va visiter dans les "cités d'urgence" et que Jaime soigne tant bien que mal dans des conditions très difficiles et avec peu de moyens
- l'émancipation progressive des femmes et la description de leur condition : Nivea la suffragette aux innombrables enfants ; Clara qui après avoir été battue par Esteban reste à ses côtés, mais retire son alliance et ne lui adressera plus jamais la parole, et qui n'aura que trois enfants ; Blanca qui s'échappe de son mariage avec Jean de Satigny et vit en célibataire, refusant de se marier avec Pedro III Garcia et n'a qu'une fille ; Alba qui tient tête à son grand-père et lui dit non tout en l'aimant profondément, elle fait des études de musique et de philosophie, poussée par sa mère qui a souffert de ne pas avoir étudié, ce qui l'a mise sous la dépendance économique de son père honni ; le personnage d'Amanda qui avorte, et au travers duquel, comme Nicolas, est aussi dépeint le problème de la drogue, des addictions, etc.
- l'emprise des conservateurs et la lente mais inexorable montée en puissance des socialistes, les élections truquées dans les campagnes, la violence des propriétaires terriens (le candidat socialiste retrouvé pendu...), leur mépris à l'égard des paysans (Trueba dit que sans lui ils ne seraient rien, ce en quoi il n'a de fait pas complètement tort) et la haine que leur vouent en retour les paysans (p. 210 à propos de Pedro Garcia : "L'estime qu'il lui portait n'avait d'égale que la haine qu'il vouait à Esteban Trueba") tout en leur étant soumis, la lutte des classes qui ne dit pas son nom et qui éclatera finalement au moment du coup d'État contre Allende, etc.
- les conditions de vie et de travail très dures des paysans
- les fortes inégalités (Esteban qui se fait construire un palais aux Trois Maria alors que les paysans vivent dans des maisons en brique) et le ressentiment que cela crée, notamment chez Esteban Garcia, qui se venge sur Alba des humiliations qu'il a subies et de la bâtardise que lui a imposée son grand-père ; pour reprendre les mots d'Ernaux, on pourrait dire qu'il "venge sa race
- les mutations du capitalisme : d'un capitalisme terrien/agraire à un capitalisme industriel et même financier après le coup d'Etat contre Allende. J'ai bien aimé aussi le personnage de Transito qui s'émancipe elle aussi et sort de sa condition en créant une coopérative de prostituées, et qui est aidée en cela par Esteban qui ne semble pas voir ce que peut avoir de subversif et de "dangereux" pour un homme comme lui, que les opprimés commencent à s'organiser pour vivre sans patron "Ce qu'il faudrait faire, c'est une coopérative, et envoyer promener la madame. […] Tenez, faites gaffe : si vos propres fermiers se mettent en coopérative à la campagne, vous allez être bien couillonné. […] Nous apporterons tout, le capital et le travail. Pourquoi irions-nous chercher un patron ?" (p. 152)
- la modernité et la révolution industrielle avec l'arrivée des automobiles, etc.
J'ai beaucoup aimé également la galerie de personnages, je trouve qu'ils sont tous bien dessinés et bien caractérisés. Je pense notamment aux frères Jaime et Nicolas, à Ferula, à Amanda, ainsi qu'aux paysans. Catherine a dit que les paysans n'apparaissaient pas suffisamment à son goût. C'est vrai qu'ils restent en arrière-plan, mais ils n'en occupent pas moins un rôle capital : Pedro III éloigne les fourmis dévastatrices des Trois Maria et sauve Esteban Trueba de la mort, Pedro Garcia junior permet à la propriété de prospérer et la sauve, même avec l'aide de Clara après le tremblement de terre, Esteban Garcia, à la fois humilié par Esteban Trueba qui ne lui remet pas la récompense promise et émancipé par lui (c'est grâce à sa lettre de recommandation qu'il peut devenir carabinier), deviendra le tortionnaire de sa petite-fille, etc.
C'est vrai que la dernière partie du roman est plus politique et plus sombre. Cela m'a fait penser à La fête au bouc de Vargas Llosa. En même temps cela me semble logique : l'histoire s'accélère et elle devient tragique, elle ne peut plus rester au second plan comme elle l'était jusqu'alors. Renée disait qu'au point de vue politique il n'y avait rien dans la première partie. Je ne suis pas d'accord : on parle des élections truquées, de la propagande socialiste qui commence à se faire jour dans les campagnes (le fils de Pedro Garcia Junior, futur gendre de Trueba, est battu par lui pour avoir introduit de la "littérature subversive" parmi les fermiers), des hordes de chômeurs en ville qui portent en eux les germes de la victoire future, etc.
Contrairement à certains, j'ai également beaucoup aimé les nombreuses prolepses :
- "C'est dans cette position qu'on les surprendrait bien des années plus tard, pour leur malheur à tous deux, et ils n'auraient pas assez du reste de leur existence pour le payer" (p. 135)
-
"Je n'aurais pas mentionné cet épisode si Transito, longtemps après, n'avait joué un rôle si important dans ma vie […] Mais cette histoire même n'aurait pu être écrite si elle n'était intervenue pour nous sauver et, par là, sauver nos souvenirs" (p. 153)
-
"ce singulier Esteban Garcia, promis à jouer un rôle terrible dans les annales de la famille" (p. 180)
-
"elle le repoussa sans soupçonner que ce gosse farouche […] serait l'instrument d'une tragédie qui frapperait sa propre famille" (p. 240).
J'étais déjà tenu en haleine par le récit, mais elles m'ont encore plus donné envie de poursuivre ma lecture !
En définitive, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, très riche, très dense, à la fois drôle et émouvant (l'amour immarcescible que voue Esteban Trueba à sa femme Clara par exemple), donc merci d'avoir accepté de le programmer, alors que je ne l'avais pas lu ! Je l'ouvre bien évidemment en grand !


On échange quelques mots du film que Catherine, Claire, Françoise, Jacqueline, Odile ont vu : les choix de l'adaptation, les qualités du film, ses limites. Voir pour des détails une présentation de Ciné Dweller.

Nous évoquons aussi Pablo Neruda, que Fanny a repéré dans le livre sous l'appellation "le Poète", avec majuscule et nom jamais cité. Claire n'aime pas la poésie, mais craque dès qu'elle ouvre une page de Neruda. Thomas s'apprête justement à lire J'avoue que j'ai vécu : mémoires dont il nous donnera des nouvelles.


Les 8 cotes d'amour du nouveau groupe réuni le 28 mars
(sur les 10 lecteurs présents,
3 seulement ont lu le livre en entier : est-ce un signe des esprits ?...)

David Katherine Monique M
Anne-Marie
Entre etAudreyNathalie
Christine
Julien

N'ont pas (encore) lu le livre AnneFrançois

Monique M            
J'ai beaucoup aimé ce livre, pour sa richesse, son écriture, et pour y retrouver de façon aussi juste, l'histoire du Chili des années 20 à la prise de pouvoir de Pinochet : c'est une chronique du Chili de cette époque, magnifiquement écrite, avec un vocabulaire précis, étonnant par ses expressions recherchées, savantes, imagées. L'auteure nous emporte dans une saga extraordinaire avec cet homme, Esteban Trueba, machiste, violent, hyper conservateur, mais qui a aussi sa part de lumière : intelligent et courageux, il crée le domaine de toutes pièces ; paternaliste avec ses employés, il les paie correctement, veille à leur bien-être, tout en les exploitant ; on voit bien la vie de l'époque, la pauvreté, les préjugés, la religion, le rôle des femmes : les paysannes enlevées et violées par le maître au gré de ses pulsions, celles de la maison, comme des elfes un peu surréalistes qui parlent aux esprits tout en étant très humaines, aimantes au quotidien.
Le récit traverse les époques, et c'est long, parfois lassant, notamment après la naissance des jumeaux ; mais je me suis accrochée, et puis le rythme a repris : l'histoire de ces femmes, la mère, la fille, la petite fille qui lutte pour une société plus juste est très intéressante. La personnalité des deux fils de Clara, l'un hippy et farfelu, l'autre médecin, totalement investi dans l'aide aux malades et aux pauvres, apportent de la richesse au récit. Le livre décrit parfaitement le climat politique, ses origines, la montée du socialisme, le rôle des Américains et le putsch des militaires avec la répression et la terreur.
Je me souviens de cette époque, de l'arrivée d'Allende ; le livre m'a semblé être une chronique de la réalité. L'auteure ne va pas dans la description extrême de l'horreur, c'est terrible mais toujours soutenable. Outre cet aspect politique, court dans le livre l'histoire de la famille avec les descriptions fabuleuses des personnages ; Clara est lumineuse. L'arrivée de Ferula, la sœur d'Esteban, le jour de sa mort au milieu de la salle à manger et des convives, tel un esprit, est, parmi nombre d'autres, tout à fait extraordinaire.
Et quelle belle écriture, vivante, riche, imagée, pour illustrer un témoignage majeur de l'histoire de cette période du Chili.
Je l'ouvre en grand.
Audrey entre et
Je ne vais pas vraiment parler du livre car je n'en n'ai lu qu'une petite moitié. Je sens néanmoins l'aisance conjuguée au plaisir et à la précision dans le jeu d'écriture de cette autrice, dans ce récit foisonnant.
Je sentais poindre l'élément politique depuis le début, en particulier autour d'échanges entre le propriétaire naissant et une descendante annoncée (Allende ouvre furtivement des brèches sur le futur familial).
Effet de surprise face au déplacement de la narration que s'accapare à la première personne le personnage d'Esteban : point de vue du tout puissant propriétaire.
Moi qui suis plutôt hermétique au réalisme magique, je me suis laissé porter par ces surgissements d'une sorte de "magie quotidienne".
La situation des femmes est frappante, objets de désirs passagers à la merci de ce propriétaire terrien violent. La littérature décidément rappelle souvent la part tragique du féminin.
Je n'ai lu le livre que jusqu'à la naissance des jumeaux, mais j'attends la partie plus politique qu'annonce Monique et qui devrait m'accrocher. Je vais terminer (j'ouvre un peu plus de la moitié).
Christine
J'ai été déçue. Je n'en suis qu'à la naissance des jumeaux, mais j'ai eu du mal à entrer dans le livre, j'ai trouvé que c'était long. Il n'y a pas vraiment d'histoire, j'attendais autre chose, car le livre a eu un succès énorme.
Je n'ai pas encore aperçu le côté politique à ce stade de ma lecture.
J'ai eu aussi du mal à m'imaginer une beauté avec des cheveux verts, je n'associe pas le vert à la beauté.
Pour l'instant j'ouvre à moitié car je vais continuer et j'espère quelque chose.
Katherine
Je suis comme dans La papeterie Tsubaki, j'ai adoré ce livre ! Pourtant je déteste la magie.
Je n'ai pas voulu lire les critiques sur ce livre. Je me suis fait prendre, j'ai commencé à lire et j'étais embarquée, je ne voyais même plus la magie.
On voit tellement bien l'évolution des personnages, c'est si drôle, c'est plein d'animation, alors qu'on va vers le tragique.
À la fin, ce n'est plus du tout drôle, on n'est pourtant pas dans le larmoyant ni oppressant. Il y a vraiment une façon de raconter, on progresse bien, c'est coloré et vivant. J'ouvre en grand.
Julien 
J'ai eu du mal à rentrer dedans, c'était un monde qui m'a donné du mal, je suis rentré à contrepied dans le livre. Cet oncle qui meurt et sort de nulle part… ! je venais de lire La Chartreuse de Parme de Stendhal, je n'étais pas préparé à cette lecture, je suis allé jusqu'à la page 100. Je ne sais comment l'ouvrir !!
Anne-Marie
J'ai tout de suite été embarquée aussi dans cette lecture, ce style comme un torrent, ces personnages étranges, surtout Rosa avec ses cheveux verts : j'étais comme dans un conte très vivant et qui allait très vite, foisonnant, avec plein de personnages, des descriptions riches, et un humour très présent (surtout dans la première moitié du livre je trouve). Bref, c'était un enchantement. Et puis au bout d'un moment, lassitude, on accumule tellement de personnages et il leur arrive tant de choses, c'est un peu indigeste. Il y a aussi des longueurs.
C'est une chronique un peu sociologique, intéressante, il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, on déroule le temps et les évènements, on sait que ça va déboucher sur des événements politiques avec une grande évolution sociétale, car tout se passe sur une très longue période ; mais ce n'est pas l'aspect politique qui m'a intéressée.
Les caractères sont très riches, contrastés, on sent la violence partout, on dirait qu'elle fait partie du destin de ce peuple chilien. Je suis un peu déçue par le personnage de Clara qui n'a pas donné le squelette que j'attendais au livre : elle se laisse trop porter, elle observe mais laisse les autres s'enfoncer dans leur malheur sans beaucoup intervenir, elle est fataliste, et elle se désintéresse beaucoup de ses enfants.
Je n'ai pas lu les dernières cent pages, mais je me doute que c'est là que le politique va s'installer, je finirai le livre. J'ouvre aux trois quarts.
Nathalie entre et
C'est un livre qu'une amie m'avait conseillé il y a une quarantaine d'années, car je lui avais dit à quel point j'avais aimé Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marques. Elle m'avait donné très envie de le lire mais… le temps passe vite et il y a tant à lire. C'est dire à quel point j'en attendais beaucoup.
Je suis entrée tout de suite dedans. C'est un roman que j'ai lu facilement. J'aime le côté magique, donc aucun problème pour moi. J'aime bien le côté chronique familiale, puisque c'est à travers l'histoire d'une famille bourgeoise sur plusieurs générations que l'autrice raconte l'histoire du Chili durant le XXe siècle, des années 20 jusqu'au coup d'État de Pinochet. J'ai aimé cette traversée de l'Histoire. Le récit de la grande pauvreté dans les campagnes et dans les villes est extrêmement réaliste.
L'histoire de chaque personnage est très bien menée. La psychologie des personnages sonne très juste, comme par exemple, Esteban Trueba, le patriarche issu d'une famille bourgeoise appauvrie qui s'est enrichi à force du travail acharné, qui ne peut admettre les idées d'égalité et de droits pour chacun, car pour lui les gens ne se valent pas. C'est un trait de caractère que l'on retrouve souvent chez ceux qui avec peu, voire rien au départ, ont réussi à s'élever dans la société.
La composition est intelligente : un récit à la troisième personne qui semble être celui d'Alba, qui se fonde sur notamment les cahiers de sa grand-mère et Esteban qui s'exprime à la première personne et qui nous fait partager ses sentiments et ressentiments.
J'ai bien aimé l'humour de l'autrice qui tire jusqu'à l'improbable ce qui pouvait l'être. Comme cette plante qui pleure à chaque fois que Esteban rentre dans une pièce en hurlant…
Et pourtant la lecture de ce roman m'a déçue. Pourquoi suis-je déçue ? Ce qui m'a manqué, ce sont les relations interpersonnelles qui semblent extrêmement pauvres. Je ne me suis pas ennuyée, mais ce manque m'a laissé un goût de vide. J'ouvre aux trois quarts, et même un peu moins.
David       
Une œuvre qui aboutit subrepticement à son dépassement, c'est la sensation de plaisir cérébral qui m'a saisi lorsque la langue d'Isabel Allende crée une forme inattendue, une ellipse ou un trait de vérité profonde qui surgit pour sortir du cadre relativement linéaire et chronologique d'une saga familiale, entrecroisant des personnages fantasques (Clara), cruels (Esteban), romantiques (Blanca). J'attends de poursuivre le roman (159 pages lues) pour découvrir d'autres de ces bijoux littéraires.
Citons quelques passages charnels qui m'ont enchanté.
Sur Esteban : "Il se mit à passer de mauvaises nuits, le couvre-lit lui paraissait peser un âne mort, les draps étaient trop doux. Son propre cheval lui jouait des tours pendables et se métamorphosait brusquement en une formidable femelle, montagne de chair ferme et sauvage qu'il enfourchait et chevauchait à s'en rompre les os. Les tièdes et odorants melons du jardin lui apparaissaient comme d'opulents seins de femme et il se surprenait à enfouir son visage dans la couverture de sa monture pour y traquer l'âcre relent de suint et sa semblance avec l'arôme lointain et prohibé de ses premières putains".
Sur Barrabas, sorte de chien colosse, c'est Éros : "Barrabas cessa de vouloir forniquer avec les pieds du piano (…) et son instinct de reproduction ne se manifesta plus qu'à subodorer quelque chienne en chaleur dans les parages. Il n'y avait alors ni chaîne ni porte qui pussent le retenir. Il s'élançait dans la rue en déjouant tous les obstacles sur son passage et on le perdait de vue pour deux ou trois jours. Il s'en revenait immanquablement avec la malheureuse chienne collée à lui par l'arrière-train et suspendue en l'air par son énorme virilité".
Puis Thanatos pour sa malheureuse victime et bientôt pour Barrabas lui-même (sans que j'aie compris qui était à l'origine de son meurtre) : "un cri d'horreur fit sursauter l'assemblée. Les gens s'écartèrent, ouvrant un passage par où s'avança Barrabas, plus gigantesque et noir que jamais, un couteau de boucher enfoncé jusqu'au manche entre les côtes, saignant comme un bœuf, ses hautes pattes de poulain parcourues de tremblements, un filet de sang lui dégoulinant du museau, le regard ennuagé par l'agonie, pas après pas, trainant une patte après l'autre, en un zigzaguant cheminement de dinosaure blessé", tout cela sous le regard sidéré de l'assemblée, en pleine cérémonie nuptiale dont la blanche dentelle de la mariée s'imbibe de sang.
Une autre scène de nativité d'un poulain est émouvante et s'exécute sous les yeux des âmes pures Blanca et Pedro III : "C'était une belle jument (…) en train de mettre bas. Les enfants immobiles, veillant même à ce que leur respiration ne s'entendit pas, la virent haleter et pousser jusqu'à ce que fussent apparus la tête du poulain puis au bout d'un moment, le reste du corps. Le petit animal chut par terre et sa mère se mit à le lécher, le laissant net et brillant comme le bois encaustiqué, l'encourageant du museau à se mettre sur ses pattes. Le poulain tenta de se redresser, mais ses pattes frêles de nouveau-né flageolèrent et il resta couché, regardant sa mère d'un œil perdu, tandis que celle-ci saluait en hennissant le soleil du petit matin. Blanca sentit le bonheur sourdre de sa poitrine et sourdre de ses yeux en larme". Le lecteur sensible aussi !
L'histoire se déroule, entrecoupée de ces moments de bravoure (le tremblement de terre). Si la langue - et la très belle traduction - est le vecteur de communication entre ce monde chilien que nous croyons connaître et qui nous est effectivement proche par l'histoire récente (nombre d'exilés de la dictature de Pinochet vinrent en France), je crois que ce lyrisme éclaire aussi la différence entre des univers que la littérature unit. L'Amérique du Sud reste un continent traversé par la violence, la rudesse des existences, la lutte des classes souvent féroce. Ce destin éclaire les personnages un peu comme Hugo a su le faire, sans doute d'autres auteurs européens parfois, mais c'est bien cette violence plus contemporaine du continent américain dans son ensemble que je perçois dans ce récit percutant, humain mais décrivant, comme un Steinbeck, une humanité qui est souvent à la frontière de son animalité intrinsèque. J'irais sans doute trop rapidement à conclure que c'est une littérature de la vie quand la nôtre, européenne, est trop souvent devenue celle du commentaire (mais c'est bien excessif sans doute !).
J'ouvre en grand cet ouvrage, sorte de feuilleton saga d'un pays au travers d'existences hautes en couleur qu'on a hâte comme lecteur à retrouver et voir poursuivre leurs péripéties dans un monde difficile où la cruauté des temps rencontre aussi l'humanité.

François     
Je n'ai que vaguement commencé la lecture de ce livre, mais j'ai eu du plaisir à vous écouter. On peut sauter des passages, car il y a des longueurs. Je trouve qu'il manque une dimension, cela fait par moments penser à une parodie… Je vais continuer la lecture en pensant à vos observations.

Anne (qui n'a pas lu le livre et à qui on demande si ces critiques lui ont donné envie de le lire)
Au début je me suis dit, si comme vous le dites, il n'y a pas de lien entre les personnages, alors je n'ai pas envie de le lire.
Mais finalement, après avoir écouté tout le monde, je vais peut-être le lire quand même...
(Deux mois après la séance, finalement sans avoir lu le livre) En écoutant les avis sur le livre d'Allende, parfois contradictoires, j'ai retenu qu'il n'y avait pas trop de relations intériorisées entre les personnages, ce qui m'a laissé hésitante quant à mon désir de lire le livre. Peut-être que l'auteur a développé beaucoup d'autres choses : l'étrangeté de la fillette, le côté social de l'époque, etc. et un auteur ne peut sans doute pas tout dire. Il doit choisir son axe.
Par contre le film que j'ai vu par la suite m'a bien plu. Bons acteurs, belles photos, mais… je l'ai un peu oublié… peut-être manquait-il aussi de quelque chose d'un peu essentiel notamment sur le plan des interrelations ?


Des documentaires étaient disponibles sur Arte quand nous avons lu le livre.

- Autour d'Isabel Allende :
Isabel Allende : l'écrivaine de l'exil, par Christoph Goldmann, 2024, 53 min
Le Chili d'Isabel Allende, par Fabrice Michelin, Invitation au voyage, 2021, 16 min (pour la séquence sur I. Allende).

- Sur l'histoire politique du Chili, quatre films de Patricio Guzman :
› Chili : La première année, 1971, 93 min
› La bataille du Chili :
(1/3) L'insurrection de la bourgeoisie, 1972, 97 min
(2/3) Le coup d'État militaire, 1975, 89 min
(3/3) Le pouvoir populaire, 1979, 79 min.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

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