Miguel Angel ASTURIAS, Monsieur le Président, trad. de l'espagnol (Guatemala) Dorita Nouhaud, Georges Pillement, GF, 352 p.

Quatrième de couverture : Monsieur le Président est inspiré par le régime du dictateur Estrada Cabrera, figure historique du Guatemala au début du XXe siècle. Ce roman est la chronique politique et sociale d’un pays plongé dans les ténèbres de la tyrannie, où chacun vit sous la menace, obligé de choisir entre la mort et la compromission. Mais c’est aussi un roman d’amour. Sur un fond d’angoisse et de cruauté, l’amour donne à ce livre un incomparable élan lyrique.
Dans cette œuvre qui a marqué les lettres latino-américaines, on retrouve l’écriture singulière d’Asturias, nourrie des rythmes propres aux mythes mayas aussi bien que du langage populaire guatemaltèque, et enrichie par une incessante invention d’images.

Miguel Angel Asturias (1899-1974)
Monsieur le Président (publication en 1946 à Mexico, traduction en 1952)

Nous avons lu ce livre pour le 6 juin 2025.

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Les cotes d'amour de l'ancien groupe
BrigitteJacquelineRozenn

Renée
EntreetCatherine
Jérémy Monique L

ETAnnick A Fanny
Annick LClaire
Françoise


Les cotes arrivent pour
Christelle Etienne

TROIS AVIS TRANSMIS
Annick L         
J'ai lu le roman de Miguel Angel Asturias et j'ai envie partager mon avis avec vous.
J'ai détesté le style de cet auteur, que j'ai trouvé très pompeux (certains critiques le qualifient de poétique !).
Et j'ai trouvé insupportable l'enchaînement de scènes violentes tout au long du roman dans ce climat de terreur et d'arbitraire (ça commence dès le début). Une forme de complaisance ?
J'ai pourtant essayé de m'y remettre à plusieurs reprises, en vain !
Je l'ouvre un quart en me disant que c'est sans doute un rendez-vous manqué.
Dans l'attente de lire vos avis...
Françoise  
À propos du Asturias, je n'ai rien à en dire, il m'est tombé des mains très rapidement. J'ai essayé en français : pareil !
Je n'ai pas trouvé le fil conducteur, je ne comprenais rien, j'ai trouvé le récit très brouillon, fouillis. Je me demandais toujours de qui il était question. J'avais l'impression que ça partait dans tous les sens.
C'est très (trop ?) négatif pour le peu de pages que j'ai lues, mais je ferme !
Catherine entre et
Ça n'a pas été une lecture facile, loin de là. Une plongée (en apnée) dans la vie d'un pays soumis à la dictature d'un président psychopathe, sadique et alcoolique à la fois. Les assassinats, les tortures, la terreur, la délation sont omniprésents, ça démarre dès le premier chapitre. Ajoutée à cela, une écriture qui m'a déconcertée au départ, par moments réaliste, mais parsemée d'images et d'associations de mots inattendus, souvent poétiques, presque surréalistes, par moments des passages plus oniriques, voire délirants. Je ne sais pas si on peut parler de réalisme magique, j'aurais plutôt parlé pour ma part de réalisme cauchemardesque.
Les chapitres sont courts, on passe d'un personnage à l'autre, sans détails, on parcourt avec eux les différentes couches de cette société gangrenée, mendiants, prostituées, bourgeois, militaires, personne ou presque n'est épargné, à peu près tous rivalisent de lâcheté, de vénalité et de cruauté. Quelques rares personnages se distinguent par un peu plus de courage, le mendiant Moustique, les trois sœurs qui hébergent le Général Canales. J'avais par moments un peu de mal à suivre et suis aussi restée un peu sur ma faim. On ne sait presque rien, du contexte, de l'époque, des personnages eux-mêmes. L'exploitation des Indiens, par exemple, n'est évoquée que par l'Indien qui guide le général Canales. Mais, cette brève évocation, par petites touches, est aussi une des forces du livre. J'ai fini par me laisser pénétrer par l'ambiance et l'histoire.
Il y a quelques scènes vraiment difficiles, le chapitre 16 par exemple, l'emprisonnement, la torture de Fedina et la mort de son bébé qui lui fait perdre la raison ; des moments très prenants, les recherches éperdues de l'épouse de l'avocat Carvajal pour sauver son mari par exemple. Et au milieu de tout ça, une histoire d'amour pour le moins improbable, entre le favori du Président, tout aussi cruel et sans scrupules que les autres, et la fille du Général en fuite, Camila (personnage de jeune fille, victime sans intérêt, jeune et belle évidemment). Ça se termine par un mariage qui cause l'emprisonnement et la mort (atroce) du héros. La vraisemblance n'est pas au rendez-vous, mais ça donne un fil directeur à l'intrigue.
Au final, je ne peux pas dire que cela a été un plaisir de lecture, mais j'aimé l'originalité de l'écriture, l'ambiance, le mélange des genres. C'est un livre assez incroyable que je n'oublierai pas.
Beaucoup de mal à trancher : moitié, peut-être ou 2/3.

DEUX IMPRESSIONS DE DÉBUT DE LECTURE

Etienne

Je ne serai pas là ce soir, je peine à avancer dans Monsieur le Président que je trouve assez ardu. Je dois être à 80 pages et j'ai l'impression d'apprécier un peu plus depuis peu. Mais je trouve ça quand même assez hermétique.
Affaire à suivre dans les prochaines semaines, je vais persévérer encore un peu…


Christelle
Venir ce soir pour la dernière séance de l'année était dans mes intentions, mais je n'ai vraiment pas assez avancé...
J'aime beaucoup le début de Monsieur le Président, original, noir et prenant ! Je continue donc.

NOUS ON EST LÀ !
Rozenn

J'ai vraiment été passionnée, transportée par ce livre et je le suis toujours. Je l'ai lu très vite, en deux jours - je ne faisais que ça - et en glissant, en restant à la surface : pas de façon superficielle, pas une lecture rapide, mais une lecture de ressenti. Portée plus par la langue que par l'intrigue, ce qui me permettait aussi sans doute de différer le poids du témoignage, nécessaire mais violent, sur la dictature.
Et ensuite (merci Claire de nous avoir dit qu'il fallait s'y prendre tôt pour lire ce livre) j'y suis revenue, les jours suivants - et je continue - en prenant une page au hasard et à chaque fois je reste lire longuement, lentement, pour le plaisir des mots, des images, des listes, listes de quasi synonymes avec quelques décalages, parfois drôles. Je ne vais pas citer des passages, il faudrait reprendre tout.
Certaines scènes sont échevelées, baroques ; certains personnages sont caricaturaux, grotesques, ambigus. Ils sont très présents ; ils me restent en mémoire parce qu'ils continuent à m'interroger.
J'ai lu un livre pour enfant
L'homme qui avait tout tout tout que je ne donnerai pas à ma petite fille - ou peut-être plus tard. Il me paraît trop inquiétant.
J'ai commencé Légendes du Guatemala
que je ne finirai sans doute pas.
Monsieur le Président reste comme un émerveillement.

J'ouvre... puissance infinie.
Annick AET
J'ai lu ce livre jusqu'au bout malgré la violence qui rend la lecture assez pénible ; l'agonie de Visage d'Ange qui dure plusieurs pages est insupportable.

Par contre, l'écriture du livre s'avère remarquable en oscillant entre la poésie, la drôlerie et des expressions populaires :

Ça va dérouiller, voyez-vous ça ! Manquait plus que ça, traînards de métèques, secs qu'on dirait des Chinois, les coudes et le cul à l'air !

Ou ce passage poétique :

La ville buvait l'orangeade du crépuscule, vêtue de jolis nuages de tarlatane, avec des étoiles sur la tête comme un ange de retable. Des clochers lumineux tombait dans les rues la bouée de sauvetage de l'Ave Maria.

J'ouvre ce livre en grand pour la qualité de l'écriture qui oscille d'un style à un autre et un quart pour son contenu.
Monique L

J'ai eu du mal à lire ce livre à cause de son style dont je n'ai pas apprécié les répétitions, les accumulations et de nombreuses images pour le moins curieuses.
Je n'y ai rien vu de poétique. J'ai souvent été étonnée de ce que je lisais.
Ma lecture a été poussive malgré des passages intéressants qui permettent de ressentir ce que peut-être la réalité d'une dictature : coups tordus, corruption, tromperie.
C'est une sorte de thriller "politique" qui aurait pu être intéressant, mais je n'ai pas réussi à dépasser mon agacement lié au style. J'ai noté parfois des passages d'humour rosse comme : "Il avait une envie irrésistible de caresser quelqu'un, mais pas sa femme, aussi alla-t-il chercher le chien."
C'est un roman percutant sur les violences et les perversions causées par une dictature dans un pays imaginaire d'Amérique centrale, où l'on doit choisir entre la compromission ou la mort. Il met en lumière la terreur instaurée par la dictature qui nous est décrite comme une pieuvre maléfique qui pourrit la vie de tous. Le Président du Tribunal est particulièrement cynique et corrompu.
C'est un roman difficile, tragique, cruel, et violent.
Dès le début, on baigne dans une atmosphère de cauchemar où les misérables vivent dans la boue et le sang. Il faut avoir l'estomac bien accroché pour lire certains passages.
L'auteur sait créer l'émotion et évoquer des personnages divers.
Beaucoup de longueurs.
Je ne suis pas sûre d'avoir tout bien compris et suivi. Par exemple j'ai été surprise de trouver le prisonnier 17 en fin de roman alors que je le croyais mort.
Renée(à l'écran à Narbonne)
Ce n'est pas souvent que nous lisons un livre qui porte le prix en francs… Le mien vaut 125 F. Il semble donc qu'Asturias soit un peu oublié.
Le début m'a paru difficile à lire, je ne distinguais pas tous les personnages. Le style me plaisait beaucoup, avec la personnalisation des arbres, des fleuves et même des objets : "Les rues couraient les rues, sans bien savoir ce qui était arrivé, et les arbres de la place en perdaient les doigts de désespoir". J'ai vu que cette figure de style s'appelait prosopopée. Cette écriture inventive et poétique me plaît beaucoup.
En espagnol (d'Amérique latine), il y a un mélange d'espagnol et d'expressions typiquement guatémaltèques.
Ce n'est pas facile à lire, mais tant pis si je ne comprends pas tout, tout de suite. Au bout de cent pages, j'ai été sérieusement accrochée.
Le livre est inspiré d'histoires vraies. L'agonie du bébé est terrible, quelques passages sont excessivement violents, mais je ne veux jamais me voiler la face devant les horreurs perpétrées par les hommes. Les multiples crachats m'ont dégoutée également.
Il y a des trouvailles d'expression tout du long. Certains passages sont d'une écriture magnifique.
Pour ce qui est du prisonnier 17, le président, dans sa perversité, veut une vraie vengeance : il met Visage d'Ange au fond du trou où il le laisse croupir un temps, puis il lui envoie un traitre pour lui saper le moral : Camila est devenue la maîtresse du dictateur pour se venger de son mari qui l'a abandonnée. Le 17 se laisse mourir. Mais c'est faux puisqu'il est écrit : "Camilla ne remit jamais les pieds à la ville". Pendant que le traître, remonté au bout d'un mois, reçoit pour ses services "quatre-vingt-sept dollars pour le temps qu'il a été incarcéré, un complet d'occasion et un billet pour Vladivostok".
J'ouvre ¾ car il y a des passages un peu difficile.
J'aime bien quand il n'y a pas de logique, que c'est riche, mais ici c'est un peu brouillon.
Rozenn a raison : c'est un livre à lire par bribes, par fragments, en savourant l'écriture.
Fanny
ET
J'étais prévenue qu'il fallait du temps pour lire ce livre, et je me disais que j'en lirai quand même suffisamment pour participer au groupe, tout en pensant que je ne l'aurais pas fini. Mais je l'ai lu en 10 jours !
C'est une lecture ardue et je ne suis pas sûre d'avoir tout compris. Mais je me suis laissé prendre.
Il y a des passages horribles et il le faut. Mais ce n'est pas ça qui suscite mes bémols.
Ce style achoppe, ça râpe, accroche, ce n'est pas fluide. Je ne suis pas habituée à lire ça et je pense que j'ai été limitée par des problèmes d'acculturation. Cela force à se décaler, c'est passionnant, mais c'est dur et freine la lecture. Ce n'est pas agréable dans la continuité.
Je n'ai pas eu un grand plaisir de lecture, non pas à cause de la violence : c'est dur, parfois à la limite insoutenable, mais la dénonciation est nécessaire.
Je n'ouvre pas à moitié car c'est tout sauf moyen.
En fait j'ouvre un quart pour le plaisir.
Et par ailleurs en entier pour le thème, l'intelligence du propos et la beauté, la poésie de certains passages.
Parmi les moments magiques d'écriture imagée et poétique :

[Le Bassin de la Merci], lieu à menteries pour femmes qui enfilent l'aiguille de la médisance au filet d'eau sale tombant dans leur cruche.

Le Diable l'Ange et la Mort assistaient à la confession. La Mort vidait dans les yeux vitreux de Camila ses yeux vides ; le Diable crachait des araignées, installé à la tête du lit, et l'Ange pleurait dans un coin à gros sanglots.

Parmi les passages obscurs à comprendre en raison de la barrière de la langue ou de la culture :

"Viens danser le Tous-Tepito!" et l'autre, il tenait une bouteille et il lui répondait : "Non, parce que je danse le Tous-Tepon !"

Et enfin, pour ce qui témoigne que le sujet est malheureusement toujours d'actualité : le discours tenu suite à la tentative d'assassinat du président, avec la manipulation associée, m'a fait penser aux propos de Trump lorsqu'on lui a tiré dessus.
Claire
J'ai été ébaubie par le début du livre, avec une impression folle de jamais vu !
Mais assez vite, je n'ai pas supporté cette impression : ça me gave, ça me gave, je me disais presque tout haut...
Je me suis mise à survoler pour voir ce qui se passait, et ce jusqu'au bout du livre et en moins d'une heure. Après ça, j'ai vu que Wikipédia propose un résumé détaillé des événements qui m'a permis de vérifier ma compréhension sautillante.
Mais pourquoi ce livre est-il si long ! Ça n'en finit plus... Dans mon édition, figure dans l'introduction une citation de la Chilienne Gabriela Mistral lorsque parut le livre (elle aussi prix Nobel de littérature, en 1945) :

Je ne sais d’où vient ce roman exceptionnel écrit avec la facilité de la respiration et de la circulation du sang dans le corps. La fameuse "langue parlée" que Unamuno réclamait à grands cris, fatigué qu’il était par nos pauvres et prétentieuses rhétoriques, nous la trouvons la, plus vivante et plus vigoureuse que don Miguel [de Unamuno] ne l’espérait. Le mystérieux Guatemala, terre où l’indien demeure pur et intact, offre à notre hypocrisie (que d’aucuns appellent traditionalisme) cette œuvre phénoménale que certains digéreront avec peine ; c’est une cure, une purge, presque une pénitence nécessaire...

J'ai été partagée entre l'impression d'une purge et l'admiration pour le style dont des exemples ont déjà été cités et que je complète à mon tour :

Le général Eusébio Canales, dit La Casaque, abandonna la maison de Visage d’Ange, le port martial, comme s'il allait prendre la tête d'une armée, mais dès qu'il eut fermé la porte et qu'il fut seul dans la rue, son pas de parade militaire fondit en trot menu d'Indien qui va au marché vendre une poule.

La présence de l'humour est savoureuse. Et je voudrais souligner la traduction, pour le choix des mots par exemple :

Le curé accourut à rase-soutane.

Pour le rendu d'un rythme :

Vingt-quatre heures plus tôt, cette loque humaine, maintenant agonisante, avait été l'âme d'un foyer où, pour toute politique, le canari ourdissait ses intrigues d’alpiste, le filet d’eau de la fontaine ses cercles concentriques, le Général ses interminables réussites, et Camila ses caprices.

C'est donc pour moi, et ce n'est pas le premier, un auteur à apprécier dans le Lagarde & Michard, en extraits sublimes.
D'autant que j'ai été passionnée par le parcours de cet auteur, que le L&M ne manquerait pas d'évoquer, et que j'ai aimé développer dans la doc. Je suis même allée voir sa tombe au Père Lachaise, aussi stupéfiante que le livre...
Par curiosité, j'ai emprunté deux livres Légendes du Guatemala qui avait retourné Paul Valéry ("Ma lecture me fut un philtre, car cet ouvrage se boit plus qu'il ne se lit") et Trois des quatre soleils illustré d'œuvres sud-américaines, que j'ai tous deux trouvés incompréhensibles.
Après ma lecture, je suis restée dubitative sur le fait qu'on crie au chef-d'œuvre pour ce livre, me disant qu'on le fait bien pour Ulysse de Joyce ou Au-dessus d'un volcan...
Mais après la séance, je ne me dis plus ça du tout. Je n'ouvre quand même qu'¼ car il faut bien avouer que j'ai lu le livre que d'un œil.
Jacqueline qui a préparé de délicieux rellenitos guatémaltèques sucrés, à base de bananes plantain, purée de haricot et chocolat...

Sans le groupe-lecture, je ne l'aurais pas lu. C'est une belle découverte !
Merci à Jérémy ! Je suis curieuse, puisqu'il ne l'avait pas lu, de savoir comment il a eu l'idée de le proposer.

Un grand livre ! Tellement qu'il y aurait beaucoup à dire. Pour moi, cela fait partie de ces livres qui se méritent...
Le début est époustouflant avec cette cour des miracles… J'ai vite été prise dans la langue de l'auteur, une réelle création ! J'ai adoré les images neuves, ces personnalisations inattendues mais jamais gratuites. Grâce à elles, j'avais l'impression de partager un territoire inconnu et lointain… Les passages curieux - répétitions, onomatopées, chansons - ne m'ont pas gênée, ils m'ont paru comme une entrée dans cette ville de Guatemala. Je pensais à Proust et aux cris de Paris… D'ailleurs, par-delà leur style d'écriture spécifique, j'ai trouvé une même attention à la parole de gens très différents, un même sens de l'observation. Il y a beaucoup de choses qu'on entend dans ce livre.
J'aurais voulu connaître l'espagnol. J'aurais aimé avoir l'éclairage de Marie-Jo qui nous avait fait lire Roulements de tambour pour Rancas, un beau roman péruvien dans un espagnol particulier sur une révolte d'agriculteurs contre United Fruits… J'aurai peut-être mieux compris ce que le traducteur indiquait dans ses notes, notamment dans les chapitres "le montreur de marionnettes" et pour les références indiennes dans "le chemin de l'exil"... J'ai beaucoup apprécié qu'il ne cherche pas un équivalent artificiel, mais signale la difficulté et sache me faire sentir cette qualité de jeu de l'auteur avec l'expression de ses personnages…
Peut-être cette attention à la langue m'a-t-elle permis d'échapper à l'horreur réelle des faits rapportés… En tout cas, j'étais tellement prise dans cette langue, qu'il a fallu que je revienne ensuite au texte pour bien voir le déroulement de l'intrigue, l'enchaînement de ce qui était raconté et la construction très élaborée du roman qui met en scène toute une société gangrenée par le pouvoir dictatorial.
Sur les dictatures sud-américaines, nous avions lu La fête au bouc du Péruvien Vargas Llosa qui parle de Trujillo à Saint-Domingue, cela m'avait plu, mais j'ai un peu oublié les péripéties... Il y a aussi L'Automne du patriarche du Colombien Garcia Marquez, que je lirai peut-être…
J'ai aimé que ce président reste opaque, simplement une figure d'un pouvoir dont les effets sont partout présents, absurdes et destructeurs, sans que nulle part on trouve quelque explication psychologique de sa conduite. J'ai aimé la peinture de ceux qui composent cette société aberrante et y réagissent comme ils peuvent, chacun plus ou moins dignement ou selon des intérêts distincts, ce qui d'ailleurs ne change guère quoi que ce soit …
J'ai aimé un récit très ancré dans un lieu, une ville qui, il me semble, m'est devenue un peu plus familière, avec des individus singuliers que j'ai l'impression de connaître et en même temps dont je pourrais sans doute retrouver des traits de comportement dans d'autres circonstances ou d'autres dictatures…
Le parcours de Miguel Visage d'Ange (nom propre ? surnom ? mais alors Gueule d'Ange sonne mieux à mon oreille) m'a paru tout à fait romanesque : favori et exécutant des desseins secrets du président, il découvre incidemment l'amour et s'en étonne (comme Swann ou Julien Sorel !). Ce pourrait être un roman de formation. Il me semble d'ailleurs qu'avec le Colonel en fuite, il est un des rares personnages dont on ait parfois accès à l'intériorité…
Après coup, je remarque que son nom qui m'intriguait, a été composé avec le double prénom de l'auteur.
J'ai adoré la phrase simple et lapidaire qui clôt le roman sur le destin de l'enfant des amours de Miguel et Camila.
J'ouvre en grand ce livre avec l'intention d'y revenir à loisir parce que, sans doute, j'y découvrirai d'autres choses.
Brigitte
(à l'écran)
J'avais entendu parler d'Asturias à l'occasion de son prix Nobel, mais je ne le connaissais pas. C'est une magnifique découverte.
Ce livre n'est pas un livre facile. Sa lecture est souvent pénible, mais c'est un livre tout à fait extraordinaire. La dimension poétique est absolument impressionnante. On peut dire que c'est l'écriture qui permet la lecture.
En effet, tout ce qui nous est donné à lire est terrifiant, mais du début à la fin l'écriture est d'une poésie absolue. Le nombre de passages que j'aimerais citer est tellement important que j'y renonce.
C'est un livre foisonnant : des personnages très typés, une ville, un roman d'amour, les détails de la vie quotidienne, mais aussi la condamnation d'un état totalitaire, un texte éclaté et bien d'autres thèmes encore, notamment la façon dont le totalitarisme agit sur les comportements individuels.
J'admire tout spécialement les deux traducteurs, car traduire de la poésie c'est quasiment impossible !
J'ouvre en grand.
Jérémy (à l'écran, sur le chemin de Compostelle)
Avant la lecture : Pour répondre à la question de Jacqueline : pourquoi vous ai-je proposé ce livre ? Je crois être "tombé" dessus lorsque j'étais en Ardèche cet été, dans un gîte où je feuilletai la Bibliothèque idéale de Pivot qui le mentionne. Je suis à peu près sûr que c'est son titre qui a attiré mon attention et m'a poussé à en savoir plus, car je suis toujours intéressé par les livres ayant un arrière-plan politique. Celui-ci rencontrait, en plus, mon tropisme sud-américain et avait donc tout pour me plaire.
Après la lecture : En commençant à le lire, je me suis dit oh la la, je vais passer un sale quart d'heure ! Disons que ce n'est pas un livre dont "l'approche" est nécessairement facile et dans lequel on rentre aisément. J'ai trouvé le début ardu, cette bande de personnages interlopes, ces gueux, ces déguenillés, ces marginaux, m'ont fait penser à Céline et à Hugo. D'ailleurs, de manière générale, ce livre c'est un peu Les Misérables mais sans Jean Valjean et avec que des Javert.
Je ne dirai pas que je l'ai lu facilement (heureusement, le découpage en courts chapitres facilite la lecture), ni que j'avais hâte d'en reprendre la lecture, mais il m'a quand même globalement plu. J'en ai aimé la langue. Je pense qu'Asturias est un excellent littérateur et un piètre romancier - l'inverse de ce qu'on dit de Balzac, un excellent romancier et un piètre littérateur.
La langue est magnifique, poétique. C'est du bel ouvrage. C'est chatoyant. Il n'y a pas une page sans une image, sans une "pépite", une trouvaille. On sent que tout est extrêmement travaillé, qu'il a vraiment façonné son livre avec soin et minutie. À tel point que j'en venais parfois à me demander "Mais où est-il allé trouver tout cela ?". Et justement, c'est ce qui fait un écrivain. Pour autant, j'ai à la longue eu une impression de trop-plein, comme s'il voulait trop en faire, trop en mettre, trop en montrer. Il me fait penser à ces acteurs qui cabotinent et en font des caisses en pensant que cela leur rapportera un prix. Ici, j'ai un peu l'impression qu'il cherche à épater la galerie, à dire "Regardez comme je suis un grand écrivain, regardez tout ce que je sais faire !" Je crois que j'aurais eu envie qu'il en fasse un peu moins, qu'il fasse plus simple parfois, plus épuré. Quelques-unes des "trouvailles" que j'ai notées :

Ses paroles tombèrent dans le miroir de l'absence.

Elle désigna le greffier qui la regarda à nouveau ; sa figure pâle et tachetée faisait songer à un buvard blanc qui a absorbé beaucoup de point de suspension.

On la fit passer dans une petite cour où l'après-midi peu à peu se noyait dans une fontaine.

Visage d'Ange enrageait de voir ces gens aller et venir, indifférents au fait que Camila se mourait ; gros grains de sable dans un tamis de soleil fin ; ombres douées de sens commun ; fabriques ambulantes d'excréments…

Quand je mets cela en parallèle avec la platitude navrante des Yeux du Rigel : quel contraste...

Jacqueline
Il y a le même amour des petites gens…

Jérémy
Le livre donne à voir la dictature, l'absolutisme en creux. Il y a tout un passage qui synthétise très bien ce dont il s'agit :

Tous deux ajoutèrent en pensée : "commettre un délit", par exemple, le moyen le plus efficace de capter la confiance du chef ; ou "outrager publiquement les gens sans défense" ou bien "faire sentir la supériorité de la force sur l'opinion du pays" ; ou encore "s'enrichir aux dépens de la nation" ; ou encore…

Si j'ai aimé sa poésie et sa recherche, je n'en trouve pas moins que c'est un livre assez aride et hermétique. On ne peut pas le lire en pensant à sa liste de courses. J'ai eu du mal à m'intéresser à l'intrigue qui m'a semblé un prétexte plus qu'autre chose. Cette histoire de Général m'a laissé assez indifférent et l'histoire d'amour entre Visage d'Ange et Camila, je n'y ai pas vraiment cru. Je trouve que tout cela manque de chair, de description psychologique des personnages, de description physique aussi (il me semble qu'il n'y en a pas, ou très peu). Je ne me suis pas attaché aux personnages, alors que certains vivent des choses très dures.
La fin ne m'a également pas convaincu. Je ne la trouve pas crédible. Comment croire que Visage d'Ange puisse tomber si grossièrement dans le piège qui lui est tendu, lui qui exerce au cœur du pouvoir et qui a fomenté bien de semblables machinations ?
Au fait, j'ai bien eu l'impression qu'un passage pouvait sembler antisémite :

Mais, si les artistes s'imaginaient être à Athènes, les banquiers juifs se croyaient à Carthage, car le chef de l'État avait placé sa confiance en eux et, dans leurs coffres-forts sans fond, les gros sous du pays, à zéro virgule rien pour cent, placement qui leur permettait de s'enrichir avec les dividendes et de convertir la monnaie sonnante et trébuchante en prépuces circoncis.

Pour ces raisons, j'ouvre à moitié car c'est un livre dont la langue m'a tenu éveillé, mais dont l'histoire m'a endormi.

Claire
En lien avec nos prochaines lectures africaines, j'ai trouvé étonnant que Asturias se trouve présent en 1974 au premier colloque "Négritude et Amérique latine", où Senghor, devenu Président de la République du Sénégal, donne une nouvelle dimension à la négritude et exhorte les participants d’Amérique latine à créer un corps d’africanistes travaillant aux côtés des chercheurs indianistes afin de démontrer la réalité de la présence noire... (voir ›ci-dessous les détails).

Renée
Sur la quatrième de couverture de mon livre à 125 F, il y a une citation de Senghor : "Asturias est essentiellement poète, jusque dans ses romans sociaux. Il invente un style baroque : métis. D'autant plus métis que l'espagnol qu'il emploie est enrichi de tous les apports méditerranéens, de tous les apports indiens et nègres. C'est splendide."

Les cotes d'amour du nouveau groupe
Christine

Christine
Ce roman m'a envoûtée, captivée dès les premières lignes : "Éclaire, lumière claire, éclairs de Lucifer, toutes misères !" et combien de misères allons-nous rencontrer au fil des pages !
L'histoire est violente, difficile. L'auteur nous fait toucher cette violence, tant par les mots que par son style. Le style est empreint d'onirisme et de poésie par certaines répétitions.
C'est un être insignifiant, un mendiant, un idiot poussé au bout de sa résistance aux quolibets sur sa mère, qui commet un crime à l'origine de tout le récit. Le Président dictateur va exploiter à son bénéfice ce meurtre. Des innocents sont accusés sans aucune compréhension de leur part. Nous sommes au pays de l'absurde et de la servilité. L'histoire est créée au service du Président et sous son contrôle complet. Cynisme, exploitation de l'individu, manipulation, injustice, tout moyen est bon pour parvenir à l'objectif du Président. Deux personnages d'abord acteurs de la dictature, Visage d'Ange et Canales, vont tenter de se retourner mais la dictature est la plus forte.
Les urubus (oiseaux charognards) nous accompagnent au fil des pages : "Les fenêtres aux vitres blanches, opaques, couronnées de crêtes rouges jouaient à picorer la lumière". Le style est exceptionnel : l'implicite qu'il véhicule vaut mille descriptions.
C'est un roman que je n'oublierai pas.
Je l'ouvre en très grand.


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Repères biographiques
Livres traduits en français
Monsieur le Président
Presse
Le prix Nobel
Des films
Des études sur Asturias

Lien avec nos prochaines lectures


REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Une très intéressante émission de radio pour faire le tour d'Une vie une œuvre : "Miguel Angel Asturias : 1899-1974", Catherine Pont-Humbert, France Culture, 30 octobre 2005, 1h30, rediffusée dans Les nuits de France Culture

Chronologie biographique détaillée dans l'édition GF (voir =>ici).

Et voici quelques repères :
- 1899 : naissance au Guatemala. Le dictateur Manuel Estrada Cabrera, qui lui servira de modèle pour Monsieur le Président, est au pouvoir depuis l'année précédente.
- 1916 : Miguel Angel finit ses études secondaires et s'inscrit à la faculté de médecine.
- 1917 : Il se rend rapidement compte qu'il n'est pas fait pour la médecine et change d'orientation pour la faculté de droit. À la fin de celle année-là un violent tremblement de terre détruit partiellement la capitale.
- 1921 : Asturias s'engage publiquement dans le combat politique. Il assiste en tant que délégué de son pays au Premier Congrès International des Étudiants de Mexico.
- 1923 : Asturias soutient une thèse de doctorat intitulée Le problème social de l'Indien, qui lui vaut le titre d'avocat et de notaire.
- 1923-1933 : Vie en Europe. En 1923, il va à Londres. En 1924, il s'installe à Paris où il suit, au Collège de France, des conférences sur les civilisations préhispaniques d'Amérique centrale, ainsi que le séminaire d'histoire des religions amérindiennes à l'École des Hautes Études. Il collabore à diverses publications, rencontre divers personnages importants de la littérature hispanique, fréquente les milieux surréalistes de Paris. 1928 : il fait un voyage à La Havane et effectue une tournée de conférences dans son propre pays avant de revenir à Paris.
- 1937 : Il fonde El diario del aire, premier journal parlé du Guatemala auquel il travaille jusqu'en 1945
- 1942 : Député.
- 1946-1954 : Asturias commence sa carrière diplomatique comme attaché culturel au Mexique. Il collabore à divers périodiques et surtout il publie, alors que le Guatemala connaît, enfin, un régime démocratique, Monsieur le Président en 1946, dont il préparait le manuscrit depuis ses années parisiennes. Il sera diplomate en Argentine, au Salvador, en France.
- 1954-1961 : Démission après le renversement du régime libéral du colonel Arbenz, exil en Amérique et en Europe ;
; il déccouvre la Roumanie où il semble beaucoup se plaire ; il voyage aussi en Italie.
- 1966 : Miguel Angel Asturias reçoit le Prix Lénine de la Paix puis est nommé ambassadeur à Paris à la suite de l'accession à la présidence de M. Mendez Monténégro.
- 1967 : Prix Nobel de Littérature.

- 1968 : Asturias déploie une intense activité de conférencier et de journaliste. Il organise, à l'initiative d'André Malraux, une exposition sur les arts mayas du Guatemala au Grand Palais de Paris l'exposition. De Gaulle était ›là !

- 1970 : Il préside le jury du Festival de Cannes dans lequel figurait notamment l’acteur américain Kirk Douglas.
Pour protester contre la dégradation politique et sociale de son pays, il se démet de ses fonctions d'ambassadeur.
- 1974 : Meurt à Madrid d'un cancer.
Il avait légué tous ses manuscrits et archives à la Bibliothèque nationale de France. Il est inhumé au cimetière parisien du Père-Lachaise. Mais il y a une suite (voir ci-dessous).

LIVRES TRADUITS EN FRANCAIS

Romans
Monsieur le Président

Hommes de maïs
Le Pape vert

Les Yeux des enterrés
La Flaque du mendiant
Une certaine mulâtresse

Le Larron qui ne croyait pas au ciel ou l'épopée des Andes vertes
Vendredi des douleurs

L'ouragan

Contes et nouvelles
Légendes du Guatemala

Week-end au Guatemala

Trois des quatre soleils
Le miroir de Lida Sal et autres contes

Jeunesse, illustrations de Jacqueline Duhême
La machine à parler
L'homme qui avait tout tout tout

Théâtre
Soluna


Poésie
Poèmes indiens (au programme de l'agrégation de lettres modernes en 2025 et 2026... !)
Claireveillée de printemps

Le Grand diseur : poèmes
; suivi de Exercices poétiques en forme de sonnets sur des thèmes d’Horace, dessins de l'auteur

Essais
Roumanie d’aujourd’hui

Saveurs de Hongrie (avec Pablo Neruda).

Une bibliographie commentée figure dans l'édition GF (voir =>ici).

MONSIEUR LE PRESIDENT

Durant son séjour à Paris de 1923 à 1933, Asturias écrivit son roman El Señor Presidente. En raison de ses implications politiques, Asturias ne put emporter le livre avec lui lorsqu'il retourna au Guatemala en 1933, alors dirigé par le dictateur Jorge Ubico. La version originale resta inédite pendant 13 ans. La chute du régime d'Ubico en 1944 porta à la présidence le professeur Juan José Arévalo, qui nomma immédiatement Asturias attaché culturel à l'ambassade du Guatemala au Mexique, où parut la première édition d'El Señor Presidente en 1946.

Margot a traduit pour nous une longue postface du roman, par l'auteur lui-même, dans laquelle il imagine la mort de l’auteur, et lors de son enterrement, ce sont les personnages du roman qui viennent lui rendre un dernier hommage et lui demander des comptes.

Monsieur le Président a été traduit en français à deux reprises par Georges Pillement :
- en 1952 avec Francisca Garcias et Yves Malartic
:
éd. Bellenand, 1952. L'auteur avec le livre :

rééd. Le Club français du livre, 1952
avec frontispice original de Enrique Marin, Paquie-Bellenand, 1967 
rééd. Le Livre de poche, 1968
introduction de Kjell Strömberg ; discours de réception par Anders Österling, 10 décembre 1967 ; la vie et l'œuvre de Miguel-Angel Asturias par Carlos Martinez Duran ; illustrations de Fontanarosa, Presses du Compagnonnage, Rombaldi, La Guilde des bibliophiles, coll. des prix Nobel de littérature, 1970

- en 1977 avec Dorita Nouhaud, en une nouvelle traduction, avec une introduction du traducteur Georges Pillement :
Albin Michel, "Les grandes traductions", 1977
Albin Michel, "Les grandes traductions", 1996
rééd. Garnier-Flammarion, 1987
GF, 1993

À signaler : la nouvelle traduction de David Unger en anglais, publiée en édition Penguin Classics en 2022, a donné lieu à une assez longue préface de Mario Vargas Llosa. Il y dit ceci :

Monsieur le Président est qualitativement supérieur à tous les romans précédents en langue espagnole.
Merveilleusement maîtrisée, la langue du roman doit beaucoup aux conférences du professeur Reynaud sur le surréalisme et autres mouvements d'avant-garde en vogue en France pendant qu'Asturias l'écrivait. Il ne fait aucun doute qu'il était également profondément affecté par la nostalgie de son pays lointain à l'autre bout du monde et les nombreuses années qu'il avait passées loin du Guatemala, se retrouvant avec ses amis sud-américains au Café de la Rotonde de Montparnasse. Son travail a été influencé par l'écriture automatique, le mélange de réalité et de rêves - de cauchemars, devrais-je dire -une musicalité poétique inhabituelle, et la fusion des formes qui transforme l'histoire en un grand spectacle romanesque et poétique où la réalité devient théâtre de rue et fantaisie apocalyptique à chaque tournant.
Le premier chapitre, "Dans le Portail del Señor" est inoubliable. (...)

Monsieur le Président
est sans aucun doute une œuvre d'art, un véritable tour de force d'une grande originalité et créativité, peut-être plus proche de la poésie que de la fiction ou, peut-être, une rare fusion de ces deux genres.
De nombreux épisodes du roman commencent sur un ton réaliste, mais, peu à peu, Asturias construit un langage poétique visionnaire et métaphorique, ce qui le conduit à abandonner un paysage réaliste et objectif pour un paysage de légende, de rêve, de théâtre, de mythe et de pure invention. C'est ce qui rend ce roman si unique, si nouveau, et d'une si grande valeur littéraire que presque un siècle plus tard, Monsieur le Président continue d'être l'un des textes latino-américains les plus originaux jamais écrits. (Voir la préface intégrale publiée en anglais ›ici, traduite en français par un petit robot ›là.)

Voici également ce que le traducteur, lui-même écrivain guatémaltèque, dit d'Asturias dans une interview sur sa traduction :

Il fut le premier à intégrer des éléments d’écriture automatique, de courant de conscience et de réalisme magique dans le roman latino-américain. Certes, Monsieur le Président est le roman latino-américain le plus important et le plus influent du XXe siècle ; il n’est peut-être pas le meilleur, mais il a certainement servi de tremplin à de nombreux autres grands romans qui ont suivi. ("Death, Hope, and Humor: David Unger on Translating Miguel Ángel Asturias’s Mr. President", propos recueillis par José García Escobar, Asymptote, 14 juillet 2022).

PRESSE

- "Je suis guatémalien ; c’est ainsi qu’il faut dire et non guatémaltèque, qui rime désagréablement avec métèque" ("Miguel Angel Asturias : la bourse ou la vie", Ginette Guitard-Auviste, Nouvelles litteraires, 29 décembre 1962).
Guatemala est une capitale et un pays. Notons que l'arrêté du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d'Etats et de capitales (signé Juppé, ministre des affaires étrangères et Bayrou, de l'éducation nationale), indique comme "nom des habitants du pays" Guatémaltèque et "nom des habitants de la capitale" : Guatémalien (JO du 25 janvier 1994).

- Interview : "Miguel Angel Asturias et le subconscient indien", Ginette Guitard-Auviste, Le Monde, 10 avril 1965. Extrait :

Depuis 1962, vous n'êtes pas retourné au Guatemala. Y a-t-il à cela une raison politique ?
Aucune, Aujourd'hui je trouve néce
ssaire qu'un écrivain d'Amérique latine complète le message de ses livres par le contact direct avec le public, principalement avec les étudiants hispanisants d'Europe. L'Afrique a ses problèmes. Ceux de nos pays ne sont pas moindres, mais les journaux paraissent moins enclins à les aborder. Depuis trois ans, j'ai donné des conférences sur l'histoire du roman latino-américain en France, en Italie, en Suède et au Danemark et engagé partout un dialogue sur la géographie, l'histoire, la politique, qui m'a permis de constater avec satisfaction une nette remontée de l'intérêt pour tout ce qui nous concerne.

Presque tous vos livres portent la trace d'un "engagement"
.

Il ne peut guère en être autrement. En 1954 le Guatemala n'avait pas une dette extérieure ; il produisait assez pour nourrir ses habitants et même pour exporter un peu. Depuis on a assisté à une désorganisation totale : le maïs et les flageolets noirs, base de l'alimentation, ont manqué ; on a dû en acheter au-dehors. Accroissement de fortune chez les grands propriétaires, misère aggravée des humbles, où l'on compte toujours 60 % d'analphabètes, et on ne fait rien pour que cela change.

La littérature reflète-t-elle cette situation ?

Au Guatemala, à l'heure actuelle, on ne peut guère parler d'une littérature. La plupart des jeunes écrivains vivent en exil, réfugiés dans la poésie.

- "Miguel Angel Asturias et La flaque du mendiant", Marcel Brion de l'Académie française, Le Monde, 3 septembre 1966. Extrait :

Un grand poète maya vient d'être nommé ambassadeur à Paris. Je ne peux imaginer autrement l'auteur de la Flaque du mendiant quoique ce diplomate et ce lettré soit tout imprégné des cultures européennes, et je ne serais pas surpris de rencontrer son image, ou une image qui lui ressemble, parmi les princes guatémaltèques, graves, solennels et ardents, que l'on voit se préparer à la guerre sur les fresques du temple des tigres dans la jungle de Bonampak.
Poète, Miguel Angel Asturias l'a toujours été. Homme de haute Culture, familier des grandes universités d'Europe, il se trouve également chez lui — et probablement davantage chez lui... — dans les paysages démesurés et extravagants de son pays; dès son enfance il a fait amitié avec le grondement fumeux des volcans, les montagnes aux grottes labyrinthiques, l'impénétrable fouillis de la forêt vierge que percent à grand effort les rayons du soleil.
Communiant intensément avec cette nature sauvage, il s'est attaché aussi au peuple qui l'habite, à ces descendants appauvris et humiliés des Mayas d'autrefois. Il s'est donné deux tâches, aujourd'hui pleinement accomplies : dénoncer les injustices sociales et l'oppression politique dont souffrait le Guatemala, exploité par les sociétés cultivant les immenses bananeraies qui recouvrent le pays, et cela nous a valu Monsieur le Président, le Pape vert, les Yeux des Enterrés, Week-end au Guatemala, des livres de combat, romans de l'indignation et de la colère, mais aussi de la tendresse et de la compassion. En second lieu, afin que l'Europe et le Nouveau Monde puissent se familiariser avec les croyances, les mythes et les chants sacrés de son peuple, Miguel Angel Asturias a publié, il y a quelques années, un recueil de Légendes du Guatemala, remarquable collaboration à l'histoire des religions et des mythologies.
Dans ses deux romans les plus récents. Une certaine mulâtresse et plus particulièrement dans le tout nouveau, la Flaque du mendiant, Miguel Angel Asturias abandonne la littérature de lutte sociale et le folklore légendaire. Il se laisse entraîner par sa fantaisie au-delà même des pays légendaires ; il plonge dans la pure irréalité, dans un fantastique visionnaire qui se nourrit d'images féeriques. La construction romanesque, qui gardait dans Une certaine mulâtresse une apparence de structure logique, se fond, dès que commence la Flaque du mendiant, dans un bouillonnement de formes et de couleurs brassées par une imagination heureuse de refuser toutes les limites que lui dicterait la raison si elle avait l'imprudence d'accepter ses lois. (...)

- ''De Paris à Paris : entretien autour de sept images'', Paul Morelle, Le Monde, 14 juin 1967. Extrait :

La maison meublée qu'habitait Asturias, place de la Sorbonne, voici plus de quarante années - d'où il se revoit aujourd'hui sortant il y a quatorze ans - n'a toujours pas changé. Mais le café où il tenait ses assises, tout à côté, avec Eluard, Picasso, Foujita, est devenu une librairie. Du zinc des bistrots, le surréalisme s'est sublimé dans le marbre des livres comme une mémoire retrouvée.
Devant les grilles fermées du Collège de France, où méditent des statues en toge, puis dans une des salles de cours, Asturias - œil de toucan près du nez fort busqué, sur des lèvres épaisses - rêve maintenant au temps où, sous la direction du professeur Georges Raynaud, il étudiait les mythes et les religions de l'Amérique maya. C'est alors que pour compenser l'aridité des études scientifiques, retrouver l'instinct de sa terre violente et convulsive, il écrivit ces Légendes du Guatemala qui enchantèrent Valéry.

- "L'écrivain métis", un texte inédit de Miguel Angel Asturias, Le Monde, 25 octobre 1967, traduit par Raphaël Sorin :

Il existe une autre fidélité. La fidélité de l'écrivain. L'écrivain fidèle à ses racines et par là fidèle à ses origines. Poésie - ou prose - qui saute, surgit, qui ne se fabrique pas, qui naît. Sur la terre de l'Amérique centrale court cette littérature de feu, d'eau et de songe. Une sorte de lavé volcanique, de minerai précieux, de pétrole sacré. Résonance d'entrailles terrestres dans la voix humaine. Le sentiment, la dimension, la conjoncture, l'étonnement perpétuel. Parole qui va de la trille à la splendeur du verbe, du chaos au ravissement printanier, du poème dessiné, peint, colorié à l'alphabet, charpente européenne que les chantres du nouveau monde s'efforcent, non de détruire, mais d'assouplir avec toute l'humidité de l'Amérique.
Assouplir les os de l'alphabet qui, dès les aurores de la découverte, s'empara des symboles, est et a été la tâche des poètes et des écrivains métis. Aucune timidité. Aucune reculade. Ils travaillent avec les matériaux des langues précieuses - latin et castillan - et, loin d'en être les esclaves, ils tirent d'elles fa liberté verbale, fille de l'onomatopée, l'exaltation de ce qui leur est personnel.
Avec les générations, les poètes et les écrivains métis se délivrent de ces chaînes dorées, et au chant épique, à la fable, à la chronique en vers succède une littérature sans limites définies à l'avance, qui peut être chaotique et sans logique, selon le goût châtré des esthètes. Les écrivains de l'Amérique de langue espagnole, de langue portugaise ont des mains nombreuses, des bras nombreux, des yeux et des oreilles innombrables, un odorat universel, un toucher universel et, dans la mesure seulement où ils renoncent à leurs origines, à leurs racines, à leur Amérique, ils perdent tout cela et finissent par être eux-mêmes diminués.
Mais surtout, nos artistes sont les fils de la lumière, de la lumière de l'Amérique centrale, qui n'est pas une lumière directe, immédiate, aveuglante, mais une lumière de miroir et de songe comme la lumière de la Grèce.
Mers proches, les deux plus grands océans, lacs et fleuves innombrables, enferment la terre de l'Amérique centrale dans une atmosphère de lumière réfléchie, une atmosphère lumineuse qui passerait pour magique si elle ne l'était pas en fait puisque les êtres et les choses baignent perpétuellement dans une clarté de miroir pulvérisé dans l'air. Les couleurs et les lignes ne se perçoivent pas directement, ne sont pas blessantes, mais se montrent à travers des brumes, des voiles lumineux, transparents, formés par la lumière du soleil qui se reflète, rencontrant les énormes masses d'eau des océans proches, des lacs et des fleuves.
Et les poètes et les écrivains de l'Amérique métisse sont les grands ouvriers de cette lumière ; ils la font circuler dans leurs poèmes et dans leur prose, mais ils ne travaillent pas la lumière qui tombe directement du ciel, ils choisissent une lumière réfléchie qui devient la chair de leur poésie. Ce n'est pas la lumière du soleil, de la lune, des étoiles, mais une lumière aquatique, marine, lacustre, fluviale, fantasmagorique pour des peuples d'hommes qui rêvent les yeux ouverts.
                                                           Paris, octobre 1967

- "La Cloche du purgatoire", Claude Couffon, Le Monde, 1er mars 1969. Extrait :

Au début de l'année 1922, Miguel Angel Asturias publiait dans le numéro 8 de la revue Studium, organe des étudiants guatémaltèques, une courte prose, "el Toque de animas". Âgé de vingt-trois ans, le futur auteur de Monsieur le Président était alors étudiant à la faculté de droit de Guatemala. Depuis ton inscription à cette faculté, en 1917, sa vie avait été des plus actives. Militant révolutionnaire, Asturias avait participé aux luttes contre la dictature de Manuel Estrador Cabrera, luttes menées tantôt dans la revue El Estudiante et tantôt dans la rue, comme cette grève des cent jours qui entraîna la chute du dictateur, en 1920. La liberté une fois retrouvée, les étudiants se réorganisèrent en Association générale des étudiants universitaires et, en 1921, Asturias était leur délégué au congrès international de Mexico. En 1922, M. A. Asturias participait à la fondation de l'Université populaire de Guatemala, dont le but était d'apprendre à lire aux adultes et de donner une éducation civique et manuelle aux ouvriers. À la fin de l'année suivante, il parlait pour l'Europe, après avoir soutenu sa thèse sur "le Problème de l'Indien " et obtenu le litre d'avocat et de notaire. "El Toque de animas" ("la Cloche du purgatoire"), que nous traduisons aujourd'hui, est son premier texte littéraire. À l'origine, il constituait le premier chapitre d'un roman qui ne fut jamais écrit, "el Acolito Cristo" ("le Christ complice"). Le thème du livre devait être la répartition des richesses de l'Église entre les pauvres et les déshérités. Installé en Europe, d'abord à Londres, puis à Paris, M. A. Asturias renonça à son projet pour écrire les Légendes du Guatemala. Nous tenons à remercier ici M. A. Asturias qui nous a autorisé à publier ce texte retrouvé.

- "Hommage à Miguel Angel Asturias", Claude Couffon, Le Monde, 12 juillet 1974. L'article :

Un hommage solennel à Miguel Angel Asturias a été rendu le 9 juillet dans le cadre de la galerie Mazarine. En effet, le grand écrivain guatémaltèque, récemment disparu, a légué tous ses manuscrits et archives à la Bibliothèque nationale. La cérémonie était placée sous la présidence de M. Jean-Pierre Soisson, secrétaire d'État aux universités, et en présence de M. Marcel Brion, président de l'Association des amis de Miguel Angel Asturias.
Roger Caillois fit appel à ses souvenirs pour évoquer le romancier qui, en Amérique latine, "a créé plus qu'un genre, une façon de s'exprimer qu'on a appelée le réalisme magique et que je préférerais appeler le réalisme halluciné", Asturias étant "l'expression authentique d'une façon de sentir et de vivre l'univers".
C'est au président Léopold Sedar Senghor qu'il revenait de parler longuement de ce "métis" qui fut son ami intime : n'en déplaise aux racistes, les métis sont un milliard deux cents millions et représentent le tiers de la population du globe. La "civilisation de l'universel" sera "celle du métissage des civilisations différentes", et c'est aux artistes, essentiellement aux poètes, de la construire. En cela Asturias fut un admirable précurseur : son "originalité ne fut pas de chanter l'Indien dans ses poèmes, de l'avoir fait vivre, avec ses dieux, dans ses récits, mais le métis né de la rencontre torride de l'Espagnol, de l'Indienne mais aussi de l'Africaine, Ou inversement".
Dans le grand salon rouge où l'on pouvait reconnaître de nombreux romanciers, poètes, universitaires, certains venus de très loin, comme Jorge Amado, une émouvante présente : celle de Mathilde Neruda.

- "La dépouille de Miguel Angel Asturias, prix Nobel de littérature en 1967, retourne au Guatemala", France info Culture avec AFP, 10 juin 2024 et Le Monde, 10 juin 2024. Extrait :

La dépouille de l’écrivain a été exhumée du cimetière du Père-Lachaise, pour être rapatriée au Guatemala en 2024 : "Nous avons pris la décision de rapatrier ses restes sous le gouvernement de Bernardo Arevalo", le nouveau président du Guatemala, a déclaré, son fils Miguel Angel Asturias Amado.
Il s’agit d’une décision "à forte connotation émotionnelle" et d’une "décision politique que mon père et mon frère approuveraient", a affirmé M. Asturias Amado, dans son discours lors d’une cérémonie marquant le 50e anniversaire de la mort de son père.
"Le recevoir sera un honneur pour le Guatemala", a commenté le président Arevalo lors de cette cérémonie au Palais national de la culture, à laquelle a également assisté la Prix Nobel de la paix (1992) guatémaltèque Rigoberta Menchu.
Jusqu’à présent, la famille de Miguel Angel Asturias n’était pas favorable à un retour au Guatemala de la dépouille de l’écrivain. En 2014, son fils avait déploré "l’indifférence totale" à l’égard de l’œuvre de son père dans le pays. Il avait également affirmé que la pauvreté et l’exclusion sociale persistantes y rendaient impossible le rapatriement du corps de l’écrivain, fermement engagé tout au long de sa vie en faveur des indigènes et des groupes les plus marginalisés.

Mais la tombe d'Asturias demeure bien au cimetière du Père Lachaise. Au-dessus d'une plaque funéraire en bronze se dresse une stèle maya semblable à celles retrouvées dans les ruines de Quiriguá, dans son pays natal. Voici la photo tirée du site du Père Lachaise :

Et une photo prise par Claire après avoir lu le livre le 10 mai 2025 :

LE PRIX NOBEL

Miguel Angel Asturias reçoit le prix Nobel de littérature en 1967 pour son œuvre, ainsi commentée lors du discours de présentation du secrétaire permanent de l'Académie suédoise. Extraits :

- Le roman Monsieur le Président :

Cette satire magnifique et tragique critique le prototype du dictateur latino-américain, apparu à plusieurs reprises au début du siècle et réapparu depuis, alimenté par le mécanisme de la tyrannie qui, pour le commun des mortels, transforme chaque jour en enfer. La vigueur passionnée avec laquelle Asturias évoque la terreur et la méfiance qui empoisonnaient le climat social de l'époque fait de son œuvre un défi et un geste esthétique inestimable.

- Les influences d'Asturias :

Asturias s'est totalement libéré des techniques narratives obsolètes. Très tôt, il subit l'influence des nouvelles tendances de la littérature européenne ; son style explosif est étroitement apparenté au surréalisme français. Il faut cependant noter qu'il puise toujours son inspiration dans la vie réelle.

- Au sein et au-delà de la littérature latino-américaine, sa singularité :

L'Amérique latine peut aujourd'hui s'enorgueillir d'un groupe actif d'écrivains de renom, un chœur aux voix multiples où les contributions individuelles sont difficilement discernables. L'œuvre d'Asturias est néanmoins vaste, audacieuse et remarquable au point de susciter un intérêt au-delà de son propre milieu littéraire, au-delà d'une zone géographiquement limitée et éloignée de nous. L'une des légendes indiennes auxquelles Asturias fait allusion évoque la croyance selon laquelle les ancêtres défunts sont contraints d'assister, les yeux ouverts, aux luttes et aux souffrances de leurs descendants. Ce n'est que lorsque la justice sera rétablie et la terre volée restituée que les morts pourront enfin fermer les yeux et dormir paisiblement dans leurs tombeaux. C'est une croyance populaire belle et poignante, et on imagine aisément que le poète militant a souvent senti sur lui le regard de ses ancêtres et a souvent entendu l'appel silencieux et symbolique qui a touché son cœur.

- En conclusion :

Monsieur l'Ambassadeur, vous venez d'un pays lointain, mais ne vous sentez pas aujourd'hui comme un étranger parmi nous. Votre œuvre est connue et appréciée en Suède. Nous sommes heureux de vous accueillir comme un messager de l'Amérique latine, de son peuple, de son esprit et de son avenir. Je vous félicite au nom de l'Académie suédoise, qui rend hommage à la "vivacité de votre œuvre littéraire, ancrée dans les traits nationaux et les traditions indiennes". Je vous invite maintenant à recevoir votre prix des mains de Sa Majesté le Roi. (voir le discours intégral en anglais =>ici)

Le discours de réception d'Asturias intitulé "Le roman latino-américain : témoignage d'une époque" commence ainsi :

J'aurais voulu que cette rencontre ne s'appelât point conférence, mais plutôt colloque, échange de doutes et d'affirmations sur le sujet qui nous occupe. (...)

Mais ce n'est pas une causerie, mais une véritable dissertation sur l'histoire du roman et ses caractéristiques. Extraits :

Le roman latino-américain, notre roman, pour s’affirmer comme tel, ne peut trahir le grand esprit qui a informé et informe toute notre grande littérature. Si tu n’écris un roman que dans le but de distraire, brûle-le, devrait-on dire évangéliquement, car si tu ne le brûles pas toi-même, il s’effacera avec toi au fil du temps, il s’effacera de la mémoire du peuple, lieu où tout poète ou romancier aspire à demeurer. Nombreux ceux qui par le passé écrivirent des romans pour divertir ! À toutes les époques. Et qui s’en souvient à présent ? (...)

Dans nos livres, nous ne cherchons ni sensationnalisme ni truculence pour essayer de nous faire une place dans la République des Lettres. Nous sommes des êtres humains apparentés par le sang, la géographie, la vie à des centaines, des milliers, des millions d'Américains qui souffrent de misère dans notre riche et opulente Amérique. Nos romans cherchent donc à mobiliser dans le monde les forces morales qui doivent nous servir à défendre ces hommes. Le processus de métissage de nos lettres est à présent engagé (...)

Toutefois, bons Américains que nous sommes, nous avons la passion des belles formes pour exprimer les choses, et chacun de nos romans est en cela une prouesse verbale. Il existe une alchimie. Nous le savons. Il n'est pas aisé de se rendre compte, dans l'œuvre achevée, de l'effort et de l'obstination déployés pour obtenir les matériaux employés, des mots. Oui, c'est bien cela, des mots, mais utilisés selon des lois. Selon des règles. Ils ont été disposés telle la pulsation de mondes en formation. Ils résonnent comme des bois. Comme des métaux. L'onomatopée. Dans l'aventure de notre langage, la première chose à considérer est l'onomatopée. Combien d'échos composés ou décomposés de notre paysage, de notre nature, dans nos vocables et nos phrases. Il y a une aventure verbale du romancier, un usage instinctif du langage. Il se laisse guider par les sons. Il s'écoute. Il écoute ses personnages. Nos meilleurs romans ne semblent pas avoir été écrits mais dits. Il y a une dynamique verbale de la poésie que recèle le mot lui-même, et qui est d'abord révélée comme son, puis comme concept.
C'est pourquoi les grands romans latino-américains sont des masses musicales vibrantes prises dans la convulsion de la naissance de toutes les choses qui naissent avec elles.
L'aventure se poursuit avec la confluence des langues. De toutes les langues parlées par les hommes : outre les langues indigènes américaines qui entrent dans leur composition, il existe un mélange des langues européennes et orientales que les foules d'immigrés ont importées en Amérique.
Une autre langue va iriser les sons et les mots. La langue des images. Nos romans ne semblent pas seulement écrits avec des mots mais aussi avec des images. Nombreux sont ceux qui lorsqu'ils lisent nos romans se les représentent cinématographiquement. (...)

Lire le discours entier en français=>ici en anglais =>là


Au 73 rue de Courcelles, Paris 8e

FILMS

Trois films ont été adaptés de Monsieur le Président. Aucun n'a eu de chance !

1. El Señor Presidente (1969), film argentin de Marcos Madanes, présenté à la Mostra de Venise. Voici un extrait de la critique assassine du Monde et la réaction d'Asturias :

Nous nous étonnions vendredi de la médiocrité générale des films figurant au programme de la "Mostra".
Cette surprise est devenue stupeur et même indignation quand nous fut projeté le film adapté par le réalisateur argentin Marcos Madanès du roman de Miguel Angel Asturias : El Signor Presidente (le Président). Avec une inconscience qui irise la provocation, Marcos Madanès a transformé une œuvre pétrie de poésie, d'amour et d'humour, en une mascarade cinématographique dont la vulgarité n'a d'égale que la sottise. Tout ce qui faisait la force et le charme du livre — dénonciation sur le mode dramatique, ironique et presque onirique, d'une dictature sud-américaine, appel passionné à la liberté et à la fraternité — a disparu de l'écran pour faire place à un salmigondis de séquences tour à tour mélodramatiques et "surréalistes" parfaitement ridicules.
La sélection d'un tel film au Festival de Venise paraît difficilement admissible. Miguel Angel Asturias a d'ailleurs adressé à la direction de la "Mostra" un télégramme officiel dans lequel il s'élevait contre la présentation de El Signor Présidente, précisant que le film avait été tourné en dehors de tout contrat valable (ce que le réalisateur a aussitôt contesté).
Après ce sinistre faux pas, nous avons trébuché contre un film français du programme (le Cœur fou et Petit à petit étaient les deux premiers) : l’Alliance. ("Le Président" et "L'Alliance", Le Monde, 1er septembre 1970)

2. El Señor Presidente (1983), film de Manuel Octavio Gómez, coproduction Cuba-France-Nicaragua, avec Michel Auclair en président, Bruno Garcin. Critique aussi assassine... : réalisée en 1983 par Manuel Octavio Gómez

On n'en aurait même pas parlé s'il ne s'était agi d'une œuvre d'Asturias et d'une de ces coproductions internationales comme elles se multiplient actuellement. Un projet ambitieux, prometteur, entre la SFP TF1 et Cuba et le Nicaragua. Un échec pourtant.
Un roman c'est une histoire racontée avec des mots. Pour l'adapter il faut inventer une autre langue, avec les moyens apropriés. Monsieur le président de Miguel Angel Asturias (samedi soir TF1) est l'une des plus grandes œuvres latino-américaines. Ce "roman de terreur" vaut non seulement pour sa dénonciation impitoyable, pour sa radiographie précise de la dictature de Manuel Estrada Cabrera ; c'est aussi la description d'un monde réel envahi par l'irréel. Monde magique primitif, baigné par le subconscient indien auquel l'accumulation d'assonances, les métaphores oniriques, la syntaxe disloquée, les mots éclatés viennent donner une force tellurique. Manuel Octavio Gomez, grand cinéaste cubain (la Première Charge à la machette, la Terre et le Ciel) a gardé la dénonciation politique, un climat de cave, mais il ne reste rien de ce rythme qui allongeait la phrase, de la connaissance magique de la nature, des images obsessionnelles et presque surréalistes, du rythme incantatoire.
Est-ce mal joué, on ne sait pas. Ou mal doublé ?... Ç'est ça. Les mendiants, les ivrognes, cette sous-humanité saisissante chez Asturias, parlent avec la même voix que Sue Ellen ou J.R. dans Dallas, comme Startsky et Hutsch ! On l'a compris, l'œuvre est réduite à néant. - C. H. ("Monsieur le président", Le Monde, 7 février 1984)

3. El Señor Presidente (2007), film vénézuélien de Rómulo Guardia. Produit par RCTV (Radio Caracas Televisión Internacional), c'était le premier film produit par cette chaîne de télévision depuis 20 ans. Le film a été tourné en secret. Lors de sa projection, le film a été immédiatement perçu comme une critique directe du gouvernement vénézuélien. L'année suivante, la licence de RCTV n'a pas été renouvelée.

Des documentaires à la télévision sur Asturias

- Pour les 2 ans d'Italiques (émission de télévision politique et culturelle française présentée par Marc Gilbert de 1971 à 1974), on trouve Asturias parmi une brochette d'invités : Romain Gary, Silvia Monfort, Roger Vadim, René Barjavel, Michel Déon, Guy Béart, Max Pol Fouchet, Jean Lacouture, Michel Déon, François Châtelet, Abraham Moles, Silvia Monfort, Marc Ullmann, 9 novembre 1973, INA, 56 min.

- Un film documentaire (1999) de la série Un siècle d'écrivains : Miguel Angel Asturias (1899-1974), réalisé par Danièle Baudrier, 41 min : c'est sur une interview de Miguel Angel Asturias, prix Nobel de littérature en 1967, que s'ouvre ce film, qui montre des images du Guatemala, dont la lumière et les fleuves ont marqué l’enfance de l’écrivain. Ses textes, lus par Anne Alvaro et Christina Chirouze Montenegro, alternent avec les interviews de Claude Couffon, son traducteur en français, Jean-Philippe Barnabé, Amos Segala, Claude Fell et Aline Jancquart.

-
Miguel Ángel Asturias : Monsieur le Président (1983), par Georges Combe, CNDP, 8 min.

ÉTUDES SUR ASTURIAS

- Dorita Nouhaud, co-traductrice du livre que nous lisons, avant d'être professeure d'université en littérature et civilisation latino-américaines à Limoges puis Dijon, fut l'autrice d'une thèse d'Etat sur Asturias : L’écriture, espace de la mémoire dans les fictions de Miguel Angel Asturias (1980), résumée par l'auteure en deux pages (Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n° 37, 1981).
Thèse suivie de livres chez L'Harmattan : Miguel Angel Asturias : l'écriture antérieure (1991), Etude sur "Maladron" de Miguel Angel Asturias (1993) et aux Presses universitaires de Limoges : La brûlure de cinq soleils : biographie raisonnée de M.A Asturias (1991).

- Intéressant à consulter : Miguel Angel Asturias et la culture française : un parcours métis, Maximilien Kerfyser, mémoire de master en histoire, sous la direction de Pascal Ory, Panthéon Sorbonne, 2015, 132 p.

- 50 ans après la disparition de l’écrivain, la BnF lui rend hommage =>ici et met en ligne une bibliographie sélective (juin 2024).

UN LIEN AVEC NOS PROCHAINES LECTURES

Nous avons programmé pour septembre 2025 des livres "du monde noir". Difficile de ne pas évoquer la négritude. Et qui dit négritude dit Senghor.

En janvier 1974 à l’ouverture du premier Colloque sur le thème "Négritude et Amérique latine", Léopold Sédar Senghor, devenu Président de la République du Sénégal, donnait une nouvelle dimension à la négritude : il exhorta les participants d’Amérique latine à créer un corps d’africanistes travaillant aux côtés des chercheurs indianistes afin de démontrer la réalité de la présence noire.

Qui se trouvait là, à ce colloque à Dakar ?! Miguel Angel Asturias, raconte Marie-Aïda WANE, dans son article "Négritude, indianité et métissage en Amérique latine" (Présence africaine, n° 145, 1988). Un long extrait :

Outre la présence de l'Indien Miguel Angel Asturias, on notait la participation de noirs péruviens, de mulâtres et de métis, de noirs et d'indiens du Brésil, d'Antillais, de Colombiens, de Panaméens et de Vénézuéliens de trois groupes ethniques vivant en Amérique latine, de même que d'Européens (Espagnols, Portugais, Français). Seul, brillait par son absence, l'Amérindien. Les débats étaient animés par des ethnologues et des historiens. On y insista beaucoup sur les mécanismes de la transculturation : pour la première fois, l'on a discuté, en un seul contexte, de la signification des concepts de négritude, d'indianité et de métissage pour les Latino-américains. Si l'Africain déraciné a voulu sauvegarder son identité en dépit du cadre étroit de l'esclavage il y a réussi, car non seulement l'Amérique, mais aussi le reste du monde, ont reçu ses apports fécondants. Si l'Europe ne peut se défaire de la négritude, le peuvent encore moins les peuples d'Amérique latine, dont l'africanité se retrouve dans les mélanges génétiques. Le problème est vital pour le métis latino-américain : son identité noire est nécessaire à son authenticité.

L'Amérique latine et l'Europe prétendent ignorer l'indianité dans la civilisation universelle. Il est d'autant plus condamnable de voir des métis "blanchis" tirer un trait sur leur ascendance indoaméricaine pour ne retenir que leur héritage euro-asiatique. L'expression la plus évidente de cette mascarade est révélée par les mouvements indigénistes : les premiers métis se réclament du statut de créole que leur donne le père européen et ils rejettent leur parenté indienne. L'Indien est considéré comme un mineur irresponsable qu'il faut protéger alors que le sang européen permet de conserver les droits du colonisateur. L'indigénisme a donc servi à occulter l'indianité du métis. Le Colloque sur la Négritude a permis de mettre en exergue l'hypocrisie de cette position, Senghor soulignait qu'il serait incongru de parler d'indianité sans faire ressortir l'influence de la négritude. Ce qui fut jugé curieux et même dramatique au Colloque de Dakar fut l'absence d'indiens que la seule présence de Miguel Angel Asturias a d'autant soulignée. C'est ainsi, comble de l'ironie, que des Noirs ont dû se faire les porte-parole des Indiens et que d'éminents métis comme German Arciniegas plaidaient, eux, la cause des Noirs ! Et c'est ce qui s'est passé tout au long de l'histoire des Amériques où d'autres ont parlé au nom des Indiens sans se demander quelle était l'opinion des Indiens eux-mêmes. C'est pourquoi l'auteur soutient que la position de ceux qui plaident la défense du patrimoine culturel indien reconnaissent non seulement un ensemble de tribus en voie d'extinction mais aussi un contexte historique que l'on porte dans le sang, dans les idées et dans l'attitude. Cela implique un changement de position radicale du métis vis-à-vis de l'Indien : il ne s'agit plus de réclamer le droit à une autonomie culturelle mais plutôt de reconnaître l'égalité ethnique, culturelle et sociale de tous les Latino-américains.

Comme il faut s'y attendre, le colloque Négritude et Amérique latine a eu un impact profond sur les intellectuels latino-américains qui y avaient participé. Cependant, il s'agissait d'adopter une attitude conséquente avec la réalité pluriculturelle latino-américaine, car les éminents porte-parole de la culture latino-américaine qui firent entendre leur voix à Dakar - Asturias, Zea, Arciniegas - tous sincères dans leurs appréciations ne vivaient pas les problèmes quotidiens des communautés noires du Brésil, de la Caraïbe, de Colombie, du Pérou, du Venezuela, etc. Il leur était difficile d'adopter une position négriste dans le contexte latino-américain où toute revendication sociale implique la lutte armée, les incendies et la désobéissance civile à la manière des "Panthères Noires" et du "Pouvoir Noir" des Etats-Unis. "Le Noir est beau" signifiait secouer la conscience aliénée, non seulement des Noirs d'Amérique latine mais aussi des Blancs et des métis qui n'avaient pas assumé leur négritude.


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