Roy Jacobsen, Les yeux du Rigel, trad. du norvégien Alain Gnaedig, Folio, 2022, 288 p.

Quatrième de couverture : "Il y a maintes façons de marcher, et Ingrid Marie Barrøy marchait léger."

Norvège, 1946. Ingrid Barrøy n’a jamais oublié Alexander, un survivant du naufrage du Rigel qu’elle avait soigné et aimé pendant la guerre. Elle décide alors de partir à la recherche de celui qu’elle présente à tous comme "son homme". Leur fille sur le dos et une valise à la main, elle va le suivre à la trace dans une Norvège qui, si elle n’est plus ravagée par la guerre, n’est pas encore en paix avec elle-même.


Roy Jacobsen, Les yeux du Rigel,
Coll. "Du monde entier", 2021, 256 p.

Quatrième de couverture : 'Le pays se lavait les mains. Oui, et même un grand nombre de ceux qui avaient vraiment fait quelque chose savaient qu’ils auraient pu faire davantage, et ils n’avaient pas envie qu’on le leur rappelle."

Pendant la guerre, Ingrid Barrøy avait sauvé, soigné et aimé Alexander, un Russe survivant du naufrage du Rigel, qui avait coulé au large des côtes du Helgeland. De cet amour aussi bref que libre était née une petite fille, Kaja. Début 1946, la guerre est terminée, Kaja a dix mois, et Ingrid décide, contre l’avis de tous, de partir à la recherche de celui qu’elle présente comme son "homme". Avec sa fille sur le dos et la valise à la main, elle va suivre Alexander à la trace dans toute la Norvège, d’une ferme à une autre, d’une gare à l’autre, de pêcheur en passeur, de bûcheron en médecin.
Les yeux du Rigel est le troisième volume de la trilogie consacrée à Ingrid Barrøy. C’est le voyage d’une femme qui quitte son île pour la terre ferme, la forêt, les villes et même l’étranger, et qui rentre dans son île, après avoir croisé des hommes et des femmes pleins de cicatrices extérieures et de blessures internes, dans une Norvège qui, si elle n’est plus ravagée par la guerre, n’est pas en paix avec elle-même. On retrouve ici tout le talent de Roy Jacobsen, qui sait si bien mêler avec force et poésie la grande Histoire et les destins de gens modestes, ainsi que les ombres du passé.

Roy Jacobsen (né en 1954)
Les yeux du Rigel (2017, traduction 2021)
Nous avons lu ce livre en novembre 2024.
Le nouveau groupe parisien le lit pour janvier.
LES 27 COTES D'AMOUR PARISIENNES ET BRETONNES
Annick LBrigitte T
Cindy Rozenn
Chantal Jacqueline Marie-ClaudeMarie-Odile
Entre etClaire Soaz
Annie Catherine ClarisseÉdith JeanMarie-Thé Monique L Philippe Sabine
Entre etBrigitte LEtienne
Fanny Françoise Renée ThomasSuzanne
Jérémy

DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
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Les 12 cotes d'amour du groupe breton réuni le 21 novembre
Brigitte T
Cindy
Chantal Marie-Claude Marie-Odile
Entre et Soaz
AnnieÉdithJeanMarie-ThéPhilippe
Suzanne

Brigitte T
Je referme ce livre que j'ai lu avec un grand plaisir et sans hésiter je l'ouvre en entier. J'y ai trouvé de la poésie. C'est un récit réaliste facile à lire qui fait du bien par les valeurs humaines mises en avant.
J'ai suivi Ingrid "en chasse de l'amour". Avec sa fille Kaja, un bébé charmeur qui a les yeux de son père, elle part courageusement dans la Norvège du Nord à la recherche de son amoureux russe à la sortie de la deuxième guerre mondiale. Ce dernier est rescapé du Rigel, un "bateau rempli d’esclaves que les Anglais avaient bombardé un an et demi plus tôt, des Russes morts et des survivants". Quête improbable. Je dois dire que le devenir d'Alexander, je m'en suis doutée dès le début, mais cela n'a pas entravé le plaisir de la lecture. Pour moi, cette femme se bat davantage pour comprendre le ou les secrets qu'il lui a cachés que pour le retrouver physiquement. Amour impossible !...
Cette jeune femme est magique. Ingrid marche, marche encore et marche toujours pour chercher et suivre la trace de son amour Alexander. Elle utilise aussi barque, baleinier, vélo, train… Chemin ô combien difficile qui lui permettra de faire son deuil du père russe de sa fille.
Au fil de l'histoire, il existe toujours une solution aux situations difficiles qu'elles rencontrent. Ingrid est une personne certes débrouillarde, mais aussi intelligente, humaine et pertinente. Dans ce parcours, elles sont infatigables, Ingrid s'ouvre à tout ce qui l'entoure.
Tous ses sens sont en éveil. Sans oublier de magnifiques descriptions des paysages et de la faune environnante qui plongent le lecteur dans la grandeur et la froideur de ce pays nordique tout proche du pôle Nord. Je me suis amusée à regarder sur internet des photos des lieux où elles se déplacent. Des îles, des bois, des collines aux pentes douces, des lacs, des espaces grandioses où règnent la nature, un monde de pêcheurs et de bûcherons. Selon les saisons, beau manteau blanc mais glacial sous le cercle arctique ! J'ai cependant noté que Ingrid et sa fille, encore un bébé, semblent toutes les deux quasiment insensibles au froid, elles dorment même dehors.
Pourtant cette période après-guerre est comme ce climat nordique bien rude. La Norvège a été un pays neutre à la déclaration de la seconde guerre mondiale. Mais convoitée par les Allemands, elle a été envahie en 1940. L'auteur, Jacobsen, né en 1954, s'est-il inspiré de témoignages de ses proches ? Il écrit : "Le pays avait une guerre derrière lui, et une guerre fait des choses étranges aux gens, elle ne les rend pas nécessairement meilleurs"… Et pourtant je trouve que l'auteur nous prouve qu'il existe de belles personnes.
L'atmosphère est souvent inquiétante, mais sans violence. Les rencontres se succèdent, les histoires se croisent. Même si la plupart des hommes sont d'obscurs grands taiseux et les femmes des êtres sensibles cachant de grands secrets, l'auteur nous les rend sympathiques. Ils confient à Ingrid beaucoup d'eux-mêmes. Pas de violence, mais des personnes qui lui offrent beaucoup au-delà du matériel. Je retiens : empathie, sincérité, honnêteté, entraide, douceur, bienveillance, amitié.
Même si ce livre est le troisième tome, je pense qu'il peut se lire sans s'être imprégné de la lecture des précédents, ce qui est mon cas. Sans doute perd-on le sens de certains passages. Pourquoi ne pas les lire ?
Chantal
Dès la première lecture, j'ai été impressionnée par cette jeune Ingrid qui décide de partir, avec son bébé, à la recherche de "son homme", prisonnier russe, le père de Kaja sa fille, dont elle ignore ce qu'il est devenu en fuyant les nazis. Cet incroyable périple de plusieurs centaines de kilomètres, en bateau, camion train, bus, à pied, m'a fait penser à ces femmes parcourant le pays à la recherche désespérée mais déterminée de leur mari disparu pendant la Guerre de 14.
Mais j'ai eu beaucoup de mal à me repérer dans cette multitude de lieux, de personnages, de tous ces noms norvégiens.
Et puis m'est revenu le souvenir de ma marche de 15 jours en 2018 aux Îles Lofoten et là-haut dans le Finnmark, des marches harassantes..., que je me suis décidée à refaire avec l'aide de Google, de cartes, de photos, de recherche historique, pour suivre le voyage d'Ingrid ! J'ai vu ce fjord de Kongsmoen, ce magnifique lac de Tunnsjoen et sa "montagne" au milieu ; j'ai rencontré toutes ces personnes, méfiantes, taiseuses, mais qui l'ont aidée tout au long.
Certes ils ne voulaient pas répondre à ses questions, jugeant son entreprise folle, certes ils voulaient "avancer", ne plus voir cette époque trouble de la guerre et leur propre comportement... Mais tous étaient bienveillants, lui donnant nourriture, vêtements, cadeaux, et toujours des indices, adresses, tous la portaient plus avant dans sa recherche.
J'ai vu beaucoup de talent pour décrire cette nature, belle et dure, pour faire "vivre" chaque personnage.
Au fil du voyage, on assiste au lent basculement d'Ingrid : au départ "elle était en chasse de l’amour, encore dans cette ignorance heureuse de savoir si la vérité était la première victime de la paix." La fatigue, physique et mentale, s'installe peu à peu, avec les doutes, les questions sans réponses ; peu à peu elle pressent que sa tentative de retrouver son Russe sera vaine, et cela deviendra la recherche de la vérité. Et l'auteur nous instille plein de petits signes, les chaussures changent, les vêtements, son attitude (avec Henrik), elle se libère.
Belle analyse des sentiments et des (non) réponses des personnages : on sent que ce n'est plus la guerre, mais pas la paix, surtout dans les esprits...
Quant aux répétitions des scènes avec Kaja, où on la porte, on change ses couches, on la nourrit, pour moi, ces répétitions sont voulues par l'auteur, elles scandent, elles ponctuent le texte, mais aussi les étapes de cette marche sans fin ; elles soulignent la fatigue, l'épuisement.
Le dénouement est d'abord ouvert sur un futur : Ingrid apprend la vérité à Mariann qui va redevenir enseignante ; Ingrid elle, rentre dans son île, apaisée. Puis, plus "plombante", la situation d'Alexander, dans un camp soviétique en Sibérie.

J'ai vécu ce livre, j'ai appris l'histoire de cette guerre dans ce pays, ce pays qui, avec la Finlande et la Suède, vient de distribuer à toute la population des "manuels" de conduite à suivre en cas de guerre.
Je l'ouvre aux ¾.
Marie-Odile
Dès le départ, ce récit m'est apparu comme ancré dans une géographie, faite de points cardinaux, de reliefs, de végétations, de constructions (chemin de fer, téléphérique, villes), à la manière du réseau de chemins tracés dans la neige du prologue. Ingrid dessine cette carte en la parcourant de multiples manières : à pied, à vélo, en bateau, en train, bus, camion...
Dans un premier temps, j'avais une impression de grande immobilité malgré ce déplacement permanent. Mais petit à petit, j'ai fait partie du voyage, les mots et les pas se sont confondus et je me suis laissé prendre par cette quête-enquête qui devient bientôt pour Ingrid non plus la quête de la vérité mais "la quête désespérée d'un tournant", tournant qui apparaît lorsqu'elle apprend que Alexander a un fils. Ce qui lui permet d'amorcer le chemin du retour et de boucler la boucle.
Bien sûr, le récit est aussi ancré dans l'Histoire, celle de 1946. La paix n'est pas facile ; Ingrid "n'avait pas rencontré une seule personne sincèrement contente que la guerre soit finie". La paix s'avère être un "mensonge" car tout est réécrit autrement.
D'ailleurs, quand une guerre est finie, est-ce qu'elle est finie ? C'est pour moi la question essentielle de ce roman qui montre comment chacun essaie, parfois en vain, parfois difficilement, de retrouver une place, d'oublier ou de faire oublier le passé, car beaucoup ont quelque chose à cacher, ont été des deux côtés, en ces "jours où les gens étaient désaccordés comme s'ils étaient faits de plusieurs parties désunies" et "comme si la guerre avait changé aussi ce qui s'était passé avant elle". J'ai aimé la subtilité avec laquelle toutes ces blessures mal cicatrisées sont évoquées çà et là, au gré des rencontres.
L'évocation finale du camp de concentration en temps de paix où sont entassés les "rebuts de la guerre" qu'on gardait là comme des vieilles chaussures est terrifiante. Car la guerre les a privés de leur identité, ils sont là sans nom, sans passeport, sans pays ou rentrer.
J'ai été frappée par la difficulté de communication à laquelle tout le monde se résigne tout au long du récit. Et cela ne s'explique pas seulement par la multiplicité des langues : norvégien, russe, polonais... Les dialogues tournent court et se terminent très très souvent par "X ne répondit pas". Et quand on parle c'est parfois pour ne pas parler. Par exemple, Sabine "parlait ainsi pour ne pas avoir à parler d'autre chose, comme si les mots étaient les pierres d'un barrage qui ne devait céder à aucun prix". Ingrid demande à Pavel de dire "ce qu'il ne lui disait pas, lui". Ce récit est une absence de réponse répétée, jusqu'à ce que Pavel donne à Ingrid l'information qu'elle cherchait, lui permettant ainsi de prendre le chemin du retour.
La communication écrite est tout aussi vaine. À plusieurs reprises, il est question de lettres, lettres pensées et non écrites, lettres écrites et non envoyées, lettres envoyées et retournées à l'expéditeur...
J'ai aimé l'équilibre constant entre les dialogues, les descriptions précises du paysage, des maisons, des objets et le récit de la progression d'Ingrid, ses gestes, ses rencontres, ses émotions évoquées avec une certaine pudeur. J'ai partagé la respectueuse sympathie de l'auteur pour son personnage. J'ai trouvé que la simplicité de l'expression lui allait bien (cf. p. 222). Elle est toujours désignée simplement par son prénom ou par Ingrid Marie Barrøy, souvent en début de chapitre, comme un leitmotiv scandant son périple. D'autres répétitions nous rendent Kaja familière (ses yeux, sa poupée, le pain mangé, ses couches à changer...).
Le personnage d'Alexander m'a fait penser à celui du poème de Boris Vian qui avait eu Le temps de vivre. Il est caractérisé par son extrême jeunesse, ses blessures aux mains, son appétit de vivre et d'aimer vite car la mort ne lui laissera pas beaucoup de temps. Émotion !
Plus je lisais ce texte plus je l'ouvrais. Et même une fois refermé, il était toujours là.
Quelques réserves : j'ai eu un peu de mal à retracer les diverses étapes du parcours d'Alexander...
J'ai trouvé au début l'expression trop classique (par rapport aux Vainqueurs). J'ai retrouvé seulement quelques phrases du type "il habitait une maison, en pierre, verte, avec des fleurs aux fenêtres, elle ne se rappelait plus le numéro, mais des fleurs, et lis le papier, le papier que je t'ai donné" qui mêlent perceptions et pensées du personnage, ce qui pour moi crée une proximité lecteur/personnage.
Je l'ouvre aux ¾.
Édith
Le personnage d'Alexander qu'Ingrid, son amoureuse, a décidé de retrouver est le héros absent et le moteur du récit de Jacobsen : un récit précis des faits et gestes de chacun des personnages, avec une minutie des détails, des actions du quotidien et comme dans les romans "anciens", avec dit-il ou dit-elle pour la distribution des dialogues. Mais ça passe.
Sa fille Kaja, fruit de cette brève rencontre amoureuse, est portée par sa mère ; on ressent sa fatigue. Kaja est sur le point de se détacher d'elle pour marcher ; c'est l'objet de sollicitations maternelles comme si le fait d'advenir à marcher pour sa fille permettait à Ingrid, sa mère, d'être à nouveau la conquérante amoureuse - celle qui s'est lancée à la recherche d'Alexander la poussant à quitter le clan familial. C'est ainsi que je ressens ces sollicitations car je ne pense pas que sa fille faisant ses premiers pas puisse l'aider dans sa progression… : détachement du corps de la mère ? Oui. Cette précision marque aussi le temps réel qui a séparé Ingrid d'Alexander, ce dernier fuyant les bras d'Ingrid pour retourner en Russie. À un moment, on prénomme Alexander Sacha, lui redonnant son côté russe : traître à la Russie, bien que russe, mais juif, il est vraisemblablement mort au goulag… : c'est ce que les personnages "familiers" d'Ingrid essaient de lui faire comprendre pour des raisons mal définies et qui s'éclaire à la fin du roman.
Nous assistons (et j'apprécie) de façon répétitive et minutieuse aux récits des soins corporels que Ingrid apporte à sa fille, ainsi qu'à la sollicitude (le plus souvent) des personnes rencontrées, son passeport de sympathie ou de méfiance suivant les rencontres.
Souvent il est question des "yeux" de cette enfant de son regard. Les yeux de Alexander ? Preuve de la paternité ? Étrange rappel pour chacun des souvenirs liés à la présence de ce Russe ?
C'est là que je pose un bémol au plaisir du texte. Ce récit est le troisième tome d'une saga. Les personnages rencontrés sont présents dans les autres volumes et appartiennent au passé d'Ingrid. Je dois me contenter de leur présence agissante, sans bien comprendre les liens qui les unissent et détermine leur implication. Mariann, la femme aux deux enfants noyés dans le lac, est bien mystérieuse et l'on doit comprendre que le lien avec Alexander aux mains brûlées, ne lui a pas été indifférente. Méfiance, jalousie, rancune ? Vengeance ? Je ne suis pas certaine d'avoir bien compris le dénouement. La lettre d'Alexander gardée par Marianne était adressée à Ingrid ? Alexander marié se devait de retrouver sa famille et ses enfants. Ingrid semblait l'ignorer ?
Les autres nombreux personnages interagissent pour diriger les pas de Ingrid et m'accompagner vers le dénouement, par une description merveilleuse des paysages traversés. Ce sont les bons moments du livre. Un roman que j'ai trouvé un peu complexe dans sa construction, du fait de nombreux personnages donnant peu d'éléments au sujet de la fuite d'Alexander (tous l'ont vu passer) et malgré les questions d'Ingrid. C'est un Russe donc un ennemi (la guerre russo-allemande en pays norvégien) et je dois admettre leurs réponses, leurs explications, sans connaître l'antécédant qui les lie à Ingrid (au désir de silence, la guerre terminée). Je dois donc admettre "l'artificialité" des rencontres telles que la lecture seule de ce tome me renvoie. Pas trop facile, et ce faisant, j'ai dû noter leur généalogie à chaque apparition.
L'obstination d'Ingrid fait force du récit où la nature est personnage : odeurs, couleurs, sensations corporelles, détails triviaux liés à la vie même. Tout cela a plaisamment soutenu ma lecture malgré la nébuleuse relationnelle…
Ce ne peut pas être un happy end que cette route : trop de circuits se croisent avec des personnage dont le secret de la rencontre avec ce prisonnier fuyard déstabilise leur propre choix de la même époque. Profusion de rencontres, jeux de passe-passe, échanges de signes : montre donnée par Marianne, cahier de Ingrid, cartes du pays et noms de fermes…
En résumé : je n'ai pas eu un total plaisir de lecture. J'ouvre à demi pour les raisons évoquées.
Je reconnais la matière littéraire (traduction facile à lire), la construction par chapitres apportant autant d'avancées pour l'écheveau partagé du "mystère" de la fuite d'Alexander, un vocabulaire simple mais qui installe le lieu, le moment, le caractère indépendant d'Ingrid, une femme libre (voir l'ouverture du roman) : "C'est l'été 1946 sur Barrøy, le duvet est à la maison, les œufs sont dans les tonneaux, le poisson a été décroché des séchoirs, pesé et ficelé, les pommes de terre sont plantées, les agneaux gambadent dans les jardins et les veaux sont séparés de leurs mères." et plus loin : "Ingrid dit qu'elle va s'absenter un moment. Ah bon." C'est bref ! S'ensuit en quelques phrases sa façon d'annoncer son départ au clan et de partir en barque avec sa fille. Seul l'étonnement de sa décision fait réagir Suzanne (elle a peut-être perdu un amour à la guerre ?). Nous entrons dans le voyage. Ingrid a quitté son île.
Je suis allée visionner le film sur l'île de Barrøy. Je suis allée en Norvège (aux Îles Lofoten) et le texte évoque mes propres souvenirs : poisson séché, embarcadère, nature et habitat dispersé, couleur des maisons et soins apportés à leur entretien, végétation abondante car le printemps est court. Ces images, je les connais, elles fonctionnent toujours et j'aime les retrouver dans la littérature du Nord (les Boréales à Caen chaque année sont la preuve de la vitalité et du talent des auteurs) et je me rappelle les livres lus à Voix au chapitre de
Sofi Oksanen, finlandaise : Purge et Les vaches de Staline.
Marie-Thé
J'ouvre à moitié ce livre où je vois souvent en double, donc deux moitiés, l'une assez intéressante, l'autre moins...
Ma déception est d'autant plus grande que je partais avec quelques a priori favorables : avis très enthousiaste de Cindy, réel attrait de ma part pour la Norvège (où je n'ai jamais mis les pieds). Détail, la couverture moche.
J'ai trouvé ce texte ennuyeux, très répétitif, avec une quantité de petits détails sans intérêt. Personnage erratique, aucune émotion. Je n'ai pas ressenti l'amour qui aurait guidé ses pas. L'écriture m'est apparue banale.
Partie intéressante à présent. Je constate donc que tout est double et emmêlé, il y a le temps de la guerre et le temps de la paix, le passé et le présent, ce qui est dit et ce qui est caché, les mensonges et la vérité presque insaisissable, etc. Je note le poids des secrets, chacun semble avoir quelque chose à cacher, les comportements pendant la guerre ont permis de sauver des vies, mais certains n'ont pas été exemplaires et en paient le prix lorsque la paix est revenue. (Bernhard et sa vieille mère à la gare, que leur est-il reproché ?) "Le chef de gare Hans Kvale lui avait avoué que, par sécurité, il avait été des deux côtés pendant la guerre".
Je remarque qu'Alexander est quelqu'un qui semble poser problème, il aurait eu deux amours, Ingrid et Mariann, chacune dit être la destinataire de la même lettre, toujours, double et emmêlé... Et puis Alexander avait une double vie, aimait Maria, avait un fils du même nom que lui. Tout est double et tout s'oppose en même temps pour moi. Froid et froide Ingrid, comme les vents du Nord, en opposition aux mains brûlées d'Alexander sortant du Rigel en feu (image forte et douloureuse).
Important dans ces pages, le sentiment de culpabilité, mais pour moi furtivement évoqué : Ingrid "
s
avait ce qui lui avait permis de faire quitter l’île à Alexander : la conviction qu’il lui serait possible de le retrouver, un jour, mais elle se rendait compte que (...) c’était de la peur, et de la lâcheté." Même chose de la part d'Henrik. Alexander russe et juif pouvait-il poser problème ?
Passage préféré : père et fils dans l'errance hivernale, Henrik et Alexander, très beau (p. 179), parallèle avec les deux hommes aux foins ?
Je note encore qu'il est parfois difficile de trouver sa place, l'attitude ambiguë d'Ingrid avec Henrik, une atmosphère troublante faite de sensations et d'odeurs (chez Henrik), la présence de Samis qui "crurent qu'ils étaient hantés par un démon et voulurent le chasser", l'évocation du chemin de fer, "route de sang", construit "par la témérité et la terreur."
Enfin, à ce livre où j'ai attendu en vain Alexander, je pourrais donner ce titre : "Les yeux dans le dos" et non "Les yeux du Rigel". Et je terminerai par ces mots d'Henrik : "Tout est réécrit, on oublie, on ment, cette paix n'est qu'un mensonge."
J'ajouterai encore que je n'ai rencontré dans toutes ces pages ni état amoureux, ni passion. Ce n'est pas tout à fait la même chose, mais on est loin d'Adèle Hugo, passion destructrice certes et belle écriture…
"Cette chose incroyable de faire, qu'une jeune fille (…) marche sur la mer, aille sur la mer, passe de l'ancien monde au nouveau monde pour aller rejoindre son amant, cette chose là je le ferai." (Journal d'Adèle Hugo)
Philippe
Après une première lecture du roman, il me manquait trop d'éléments historiques sur la Norvège pendant la Seconde Guerre mondiale, que l'auteur ne donne pas, pas plus que l'éditeur ou le traducteur, pour comprendre et faire lien dans ma lecture. J'ai donc fait ces recherches : le contexte historique du roman est vrai, sûrement bien connu des lecteurs norvégiens de Jacobsen, mais pas des autres !

À savoir : la neutralité de la Norvège au début de la guerre, puis l'invasion nazie après le conflit russo-finnois, la très rapide capitulation de l'année norvégienne, un gouvernement pro-nazi, en novembre 1944 l'Armée rouge envahit l'extrême nord de la Norvège - le Finnmark -, retraite des nazis au printemps 1945 et retour du gouvernement en exil et du roi, la peine de mort abolie en 1876 rétablie pour punir les traites et collaborateurs.
Avant la guerre, le Rigel est un cargo de transport réquisitionné par les Allemands. Le 27 novembre 1944, il transporte 400 soldats, 95 déserteurs et 2200 prisonniers de guerre de l'Armée rouge, prison flottante, prisonniers transportés à fond de cale. Le navire est bombardé par des avions anglais, 267 personnes sont sauvées, le capitaine ayant échoué le bateau à la côte - 2500 morts.

J'avoue avoir eu quelques inquiétudes en commençant la lecture du roman, en découvrant 14 personnages dans les 20 premières pages - des noms cités, souvent sans description, et sans savoir l'importance du personnage pour la suite (43 personnages pour la totalité du livre).
Le récit est un peu lent, comme les déplacements à pied de Ingrid qui porte sa valise et sa fille.
J'ai apprécié la relation douce entre Ingrid et Mariann, y compris à la fin du roman après avoir appris qu'elles ont aimé toutes les deux Alexander, qui a fait le choix de retourner vers son premier amour en Russie et son fils, la rivalité amoureuse se transformant en sororité.
Le dilemme pour Ingrid de rentrer chez elle ou de continuer sa quête chimérique : "La conviction qu'il lui serait possible de le retrouver un jour, mais elle se rendait compte que ce n'était pas une conviction, ce n'était même pas un espoir, c'était de la peur et de la lâcheté".
Je reste avec des interrogations :
- Pourquoi Ingrid dit-elle en parlant de sa fille : "un calme inhumain dans son regard russe" (p. 149)
- Ingrid parle à plusieurs reprises, dans l'immédiate après-guerre, des collaborateurs norvégiens pro-nazis, elle dit "qu'elle n'avait pas encore rencontré une seule personne sincèrement contente que la guerre soit finie".
- A deux ou trois reprises, on parle de "camps d'esclaves" en Allemagne et en Norvège : il s'agissait en réalité de camps de travail et de transit pour des déportés juifs, avant un transfert vers des camps d'extermination en Allemagne ou en Pologne (camp de Berg en Norvège), après la guerre, utilisé pour enfermer des collaborateurs du régime fasciste norvégien. Staline faisait mettre au goulag les Russes revenant au pays pour ne pas se poser la question de faire la distinction entre pro-nazis et résistant. On apprend à la fin du livre que ce fut le cas d'Alexander.
- Pourquoi Henrik se cache-t-il ? Il semble avoir été résistant, ou pas, avoir caché Alexander, peut être lui-même allemand ou pro allemand.
Je serais preneur d'éclaircissements.
En quatrième de couverture, deux critiques littéraires parlent de poésie. Pour ma part, je n'y suis pas sensible,
Mais je pense qu'un scénario de film, du genre road movie dans le Grand Nord Norvégien en été 1946, serait possible. Je n'envisage pas d'en acheter les droits...
Annie
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans l'histoire et je ne m'y suis sentie bien qu'à la deuxième moitié du livre environ. J'avais du mal à retenir les noms des personnages, les lieux, et du mal avec le style que je trouvais lourd là où d'autres le voient poétique. Je n'arrivais pas à me faire aux répétitions de "elle dit que" que j'ai trouvé encombrantes.
J'ai souvent sorti ma carte de Norvège pour suivre un peu le parcours d'Ingrid et son bébé.
Au début, tout m'a paru tellement noir dans ce pays que mon envie d'y aller s'est complétement arrêtée. Certes la région du voyage est belle et peut facilement nous embarquer, mais je me perdais dans le dédale des routes, des personnages. Est-ce voulu pour que nous ressentions ce qu'elle ressentait ?
J'ai compris que les yeux du Rigel étaient les yeux de sa fille qui étaient le lien avec ceux d'Alexander, mais est-ce bien cela ? Elle a emmené sa fille pour que les gens la voient et sachent à qui elle ressemble et pour faciliter ses recherches. Il faut faire abstraction de ce qu'est voyager avec un enfant
de cet âge-là et de ce que seraient ses journées normalement (pleurs, besoin de bouger, froid…)
Dans la deuxième moitié du livre, je suis davantage rentrée dans la quête d'Ingrid et je me suis mise aussi à me demander si elle allait le trouver, s'il était mort, ce qu'elle allait découvrir en chemin. Je me suis habituée au style ("elle dit que…") de l'auteur. C'est une vision intéressante de la Norvège de l'après-guerre, de sa difficulté à sortir du conflit (les gens ne savent pas toujours si la guerre est finie ou pas pour eux). Cela fait un étrange et inquiétant écho à ce qui se passe pour eux en ce moment avec la guerre en Ukraine et l'épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
J'ai aimé les descriptions des accueils parfois très rustres et des dialogues directs et courts qui sont semble-t-il propres aux Norvégiens.
J'ai trouvé que l'histoire avec Mariann n'apportait pas grand-chose si ce n'est le rapport aux gens et la confiance. Et bien sûr le moment de la lettre… À qui l'avait-il écrite ? Aux deux probablement !
Que sait-on d'Alexander ? Finalement très peu de choses. Qu'il s'est brûlé les mains en essayant de sortir d'un bateau en feu et qu'il a eu un fils en Russie avec une femme, puis un autre avec Ingrid, puis a vécu une histoire d'amour avec Mariann. Est-ce que l'auteur a voulu montrer une ambivalence chez ce personnage ? Un héros d'un côté et un homme en quête d'amour de l'autre.
J'ai failli ne pas lire la chute car je ne lis pas toujours les épilogues. J'ai aimé cette espèce de fin au choix. Ceux qui le lisent savent et ceux qui ne le lisent pas imaginent, comme le font Ingrid, Mariann et tous les autres.
J'ouvre à moitié.
Soaz entre et
Ce livre peut être comparé à un carnet de voyage. On découvre la Norvège du Nord au Sud. Les paysages entre mer et forêt, souvent sombre, sont bien décrits, avec beaucoup de détails. On rencontre une multitude de personnages au comportement étrange, aux émotions retenues. Les questions restent sans réponses, les échanges et les relations sont entourés de non-dit, de secrets, de mystère, mais avec toujours bienveillance et entraide. Nous constatons, que la population, a souffert, et souffre des conséquences de la guerre. On a l'impression que celle-ci n'est pas finie et pourtant ! Je me suis penchée sur la position de la Norvège pendant la guerre, qui reste trouble, entre la neutralité, l'engagement et la résistance.
Ce livre est une quête, une marche, traversée de regards pour retrouver un homme, son homme, une histoire d'amour.
Le comportement d'Ingrid est étrange, troublant, elle est proche de sa fille Kaja (ce bébé est extraordinaire), tout en donnant l'impression que celle-ci est un laissez-passer : elle est les yeux d'Alexander, son père, difficilement cernable, les yeux du Rigel.
J'ai apprécié le déroulement de l'histoire, la vie des Norvégiens, les personnages, les paysages, le mystère, l'écriture en petits chapitres qui donnent un certain rythme, même si on éprouve un sentiment de lenteur, les passages poétiques (la pluie ressemblait a de la farine en suspension).
"Elle ne cherchait plus la vérité le voyage s'était mué en une quête désespérée".
Alexander reste une énigme jusqu'au bout.
Par contre je me suis perdue, dans son cheminement... entre les noms de lieux, les personnages, malgré mes recherches géographiques et mes annotations.
Je pense que la connaissance de l'histoire de l'île et de la famille Barrøy aurait pu aider dans la compréhension de la démarche, du comportement et de l'histoire d'Ingrid.
J'avais dit ouvert à ½, mais il est vrai que j'aurais pu l'ouvrir aux ¾.
Marie-Claude(avis formulé lors de la séance suivante)
Les phrases courtes m'ont gênée. L'écriture m'a paru infantile. Avec des répétitions.
Mais j'ai aimé l'histoire, très intéressante. Je m'intéresse beaucoup à la Seconde Guerre mondiale que je n'avais jamais vue de ce point de vue, à proximité de l'URSS.
Au final, j'ouvre aux ¾. Je me suis habituée à l'écriture, je suis rentrée dans l'histoire. Et ça permet aussi de découvrir la géographie en suivant le périple.
Cindy(qui a proposé le livre)
Question à Cindy : Pourquoi avoir proposé le troisième livre d'une trilogie ?
Réponse de Cindy : Après Les invisibles et Mer blanche, le dernier livre surpasse les deux premiers : c'est pour moi le plus beau, le plus poétique le plus émouvant. Le texte est un délice. Et l'on plonge immédiatement dans les paysages magnifiques avec une héroïne courageuse qui nous fait voyager dans une Norvège au passé sombre.
J'espère une invitation forcément à lire les autres. Ces retours en arrière seront tout aussi captivants. J'ai constaté que dans des trilogies, souvent les lecteurs ne vont pas plus loin... Je ne voulais prendre le risque que le groupe s'arrête au premier livre.
Et puis j'aime la couverture du livre : cette photo de l'héroïne dans la forêt en robe rose, vue de de dos qui semble seule et fragile avec sa petite main tendue, est tellement touchante. Ah oui, on a envie de la prendre cette petite main et d'ouvrir le livre !

L'avis de Cindy : Il y a plusieurs raisons d'ouvrir un livre de Roy Jacobsen, et surtout celui-là, Les Yeux de Rigel.
On plonge dans une littérature norvégienne sublimée par cet auteur qui sait si bien raconter une histoire, celle d'un personnage attachant, Ingrid Marie, délicate, comme le style d'écriture de Roy, simple, délicat, poétique. On pourrait même lire l'histoire à des enfants comme avec les contes.
La lecture est simple par les descriptions "imagées" voulues par l'auteur. Ce qui donne vraiment un style propre à Roy. Par exemple : "le fjord était posé comme une ceinture grise entre les montagnes abruptes et vertes" (p. 34).
C'est la découverte d'une île oubliée à travers une histoire singulière : "C'est juste que personne n'a vu Barrøy des airs, à l'exception des bombardiers qui ne savaient pas ce qu'ils voyaient" (p. 9)
C'est l'été 46, on voyage avec Ingrid dans la nature norvégienne, loin de la civilisation et de ses conventions. Dans sa quête de liberté, tout en recherchant son homme avec son bébé, elle est confrontée, tout comme les personnages qui gravitent autour d'elle, à ses propres dilemmes intérieurs.
L'auteur, avec son style poétique, décrit la beauté sauvage des paysages d'été norvégiens, tout en offrant une réflexion profonde sur la liberté et la solitude : "les arbres abattus gisaient comme de gigantesques dents cassés, entourés de troncs vert-gris d'où s'envolaient des petits nuages de pollen jaune." (p. 51) ; "Ingrid était toute sueur et courbatures, mais elle marchait encore d'un pas léger, le périple lui-même avait sa propre vie, sa nature propre et elle était en chasse de l'amour, encore dans cette ignorance heureuse de savoir si la vérité était la première victime de la paix." (p. 54)
Les personnages sont rudes, francs et cachotiers à la fois, la nature elle, est plus douce. C'est un contraste avec la personnalité d'Ingrid, petit soldat, voyageuse, courageuse qui tient bon dans toutes les situations grâce à Kaja : "Kaja qui riait de leurs doigts joueurs, tellement inconsciente de la guerre autant que la paix, et Ingrid constata - une fois encore - que le voyage n'avait pas uniquement démarré à cause d'elle, mais qu'il n'aurait pas pu se faire sans elle, sans avoir un bébé à traîner, le plus divin des fardeaux." (p. 95)
À travers des décennies de bouleversements personnels et sociaux, ce roman aborde les thèmes de l'identité, de la trahison, de l'amour et de la quête de rédemption. Il dépeint avec finesse certaines tensions familiales et les secrets cachés qui façonnent la vie de ses personnages, tout en offrant un portrait émouvant de la société norvégienne en évolution. Il y a les secrets qui hantent les personnages et pour Ingrid c'est toute une épreuve de questionner, d'enquêter tout en se déplaçant de village en village, d'île en île jusqu'en Suède, avec l'espérance de trouver des traces de son Russe : "Ingrid se dit que l'espoir persistant était dû à la marche, il y a de la vie dans le mouvement que l'on soit russe ou norvégien." (p. 58)
Il y a chez Roy une analyse touchante des relations familiales, des secrets et de la réconciliation. Et la fin du livre en ait une illustration : "Elle descendit à Malvika (…) et elle vit Daniel (…) et quand il finit par la découvrir (…) passa devant elle en courant et cria (…) : "Ingrid est rentrée ! (...) Ils dînèrent et Ingrid raconta ce qu'il était possible de raconter(…) à un public attentif, avec un rapport de la vérité un peu plus scrupuleux que tout le monde." (p. 269-270) ; "Ingrid dit à Mariann qu'elle devait lui dire ce qu'elle savait, elle. Mariann lui demanda si elle avait l'intention de la punir ? Ingrid dit non." (p. 277)
Lire Jacobsen pour la beauté des paysages, une évasion dans les îles sauvages, les fjords. Pour la liberté avec la quête de vérité et d'authenticité dans une écriture poétique et réaliste.
Roy excelle aussi à capturer des émotions avec des descriptions vibrantes et des conditions de vie rurale et maritime rendant le récit à la fois poignant et immersif... Et inoubliable !

Les 15 cotes d'amour du groupe parisien réuni le 22 novembre
Annick LRozenn
Jacqueline
entre etClaire
Catherine ClarisseMonique L Sabine

entre etBrigitteEtienne

Fanny Françoise Renée Thomas
Jérémy

Sabine
J'ai été très décontenancée par le début du roman, que j'ai relu depuis, tant ma lecture fut laborieuse : à cause de l'écriture ? D'un prologue que je ne comprends toujours pas, même si je trouve la première page inattendue et poétique ? Une difficulté à visualiser les personnages et comprendre de quoi il retournait ?
L'écriture est tout simplement insupportable : pages 24 et 25, "Mathéa dit que l'amour", "Ingrid dit que oui", "Ingrid dit que Barbro", "Adolf dit que le Seigneur", bref, je meurs !
Est-ce un problème de traduction ou le style même de l'auteur ?
Je m'inquiète auprès de Claire pour savoir si nous avons lu d'autres auteurs norvégiens. Eh bien oui (›Auteurs "nordiques" déjà lus) et pas des moindres : j'ai adoré Knut Hamsum et Herbjørg Wasmo.
Roy Jacobsen a donc une écriture très particulière à laquelle je finis par m'habituer. J'ai compris qu'on allait cheminer longtemps, et que c'est bien cette quête, tissée de rencontres et de péripéties, qui ferait l'intérêt du livre.
Je suis très mitigée : la présence de Kaja me paraît peu crédible (la logistique pour gérer un bébé d'un an, ce n'est pas rien !). Il y a beaucoup de moments qui m'ont semblé trop longs, des échanges interminables (avec Mariam) dont je n'ai pas perçu l'intérêt.
Pourtant, comprendre ce qu'a traversé le pays durant la Seconde Guerre mondiale par ce prisme était intéressant, mais je trouve que le pari est raté. Il y a quelque chose qui cloche, quelque chose qui ne prend pas.
J'attends vos avis avec impatience et qui répondront sans aucun doute à ma frustration. J'ouvre à moitié.

Etienne entre et(avis transmis)
Je ne sais pas si le reste du groupe aura la même impression que moi, mais j'ai dû batailler pour suivre le périple d'Ingrid, comme une impression que je prenais le train en marche et que j'avais raté des informations. Lire les deux précédents tomes n'était probablement pas un prérequis indispensable, mais je trouve qu'il s'agit d'une écriture dont on doit trouver le rythme, avec sa part d'étrangeté, remplie de trous, de non-dits, et j'avoue avoir régulièrement perdu le fil des noms des différents protagoniste (surtout lors de son retour à Barrøy) et surtout l'intérêt de l'histoire.
Le récit est finalement assez répétitif, Ingrid fait des sauts de puces à travers la Norvège et répète inlassablement le même schéma pour retrouver Alexander. C'est probablement cette image de ténacité face à l'adversité que j'ai trouvé la plus belle. Mais, je me suis senti un peu lésé dans le contrat. Pour suivre Ingrid avec intérêt il m'en aurait fallu plus : aucune information sur son histoire avec son Russe, le tout est réduit à quelques images ressassées, une impression de clin d'œil appuyé que ne comprenais pas.
À l'image de ceux qui se trouvent sur sa route, j'ai du mal à comprendre son entêtement : quelle était la véritable nature de leur relation ? On en est réduit à des spéculations…En fait quand je lis la 4e de couverture de
Mer blanche, je me dis qu'il aurait fallu quand même le lire pour pouvoir apprécier Les yeux du Rigel. Alors oui, l'évocation de la nature, sa part mystérieuse, sauvage est bien sentie et immersive, tout comme la description quasi-sociologique de cette Norvège encore très rurale en 1946, mais je n'arrive pas à me départir de ce sentiment mitigé.
Je suis donc curieux d'entendre vos avis sur ce point soulevé que l'on peut extrapoler à bien d'autres œuvres évidemment (Peut-on lire Le Temps retrouvé sans lire Du côté de chez Swann ? Le Seigneur de anneaux sans Bilbo ?)
Dans cette configuration, j'ouvre entre ¼ et moitié.
Annick L

Une vraie découverte pour moi, celle d'un auteur dont j'aime beaucoup le style, à la fois sobre, factuel et d'une grande puissance évocatrice, surtout quand il évoque cette nature omniprésente et écrasante. J'aime aussi son approche des personnages, Ingrid principalement, mais aussi tous ceux et celles qu'elle va croiser sur sa route. En cette année 1946, les habitant.e.s sont encore sous le poids des souvenirs de leurs privations, de leurs blessures, morales ou physiques, de leurs engagements, du côté de la résistance à l'occupant allemand, ou du côté des compromissions avec celui-ci.
Pourtant jamais de jugements portés par un narrateur omniscient, seulement des faits, à peine suggérés, puisque ces hommes et ces femmes sont des gens peu loquaces, repliés sur eux-mêmes, avec leurs secrets honteux ou douloureux, mais forts de leur simple instinct de survie.
Le personnage d'Ingrid lui-même, dans sa quête déterminée de ce Russe qu'elle a aimé et dont la petite Kaja est la fille, reste opaque : qu'est-ce qui lui fait décider, au bout d'un très long périple à pied, en train, en carriole…, qu'elle tourne la page de cette histoire amoureuse et qu'il lui faut revenir sur son île, auprès des siens ? Il faut beaucoup de volonté pour abandonner tout espoir. Nous n'avons jamais vraiment accès à ses pensées, à son ressenti, seulement à ses actes. Et pourtant j'ai éprouvé beaucoup d'empathie pour cette femme courageuse (physiquement et moralement) que rien n'arrête dans sa quête, ni les aléas matériels ou climatiques, ni les réactions méfiantes de ceux qu'elle interroge. La relation fusionnelle qu'elle entretient constamment avec sa fille, au fil des épreuves traversées, est très émouvante.
Quant à l'enjeu de savoir si elle va retrouver son soldat russe - ou pas - c'est un élément moteur de la lecture.
J'ai trouvé enfin remarquable la construction de ce roman qui inscrit le récit d'une trajectoire personnelle dans le contexte de la grande Histoire de ce pays, juste à la fin de la guerre et de l'occupation allemande. C'est fait par petites touches allusives, au fil des témoignages, mais on pressent que ces années furent terribles pour les habitants et qu'elles ont laissé la trace de comptes à régler douloureux.
J'ai donc tout aimé de ce livre et j'ai envie de mieux connaître cet auteur norvégien.
Merci.
Ouvert en très grand.
Fanny

Il s'agit pour moi d'un avis tronqué car il me reste une petite centaine de pages.
Je n'ai pas réussi à entrer dans le livre, je m'ennuie à la lecture.
Le style narratif n'aide pas, les descriptions y compris des dialogues tombent à plat je trouve. Pour moi cela manque de relief, par exemple, entre autres, le dernier paragraphe du chapitre 21 : "La femme demanda si Ingrid n’avait pas plutôt envie de s’allonger sur la banquette et de dormir un peu, elle avait l’air épuisée. Ingrid dit qu’elle n’était jamais épuisée. La femme eut un petit rire sans bruit, haussa les épaules et dit que son lait allait être froid. Ingrid but le lait tiède, la remercia quand elle lui en proposa plus, elle regarda et écouta la femme lui faire la démonstration du motif du tricot et de la technique. Ingrid tricota deux rangs elle-même, elle fut corrigée et comprit tout ce que l’inconnue lui expliqua. Le premier soldat revint dans le compartiment, se saisit d’un sac monstrueux sur le porte-bagages, s’excusa et disparut pour de bon."
Il y a également quelques passages que je ne comprends pas, par exemple p. 54 "elle était en chasse de l'amour, encore dans cette ignorance heureuse de savoir si la vérité était la première victime de la paix".
Mon manque d'intérêt pour la quête de cette femme tient peut-être au fait qu'il s'agit du dernier tome d'une trilogie. Pour autant, je reconnais qu'elle est touchante et qu'il y a parfois des passages très visuels qui me donneraient envie de voir une adaptation cinématographique.
Et malgré tout quelques phrases qui font réfléchir mais que je trouve trop éparses sur l'ensemble du livre (par exemple p. 193 "Nous avons peut-être davantage peur de ce que les autres peuvent se rappeler").
J'ouvre au quart et je suis hésitante à aller jusqu'au bout de ma lecture. Je regrette de ne pas pouvoir entendre vos avis de vive voix, mais bien sûr je les lirai.
En vous souhaitant une belle soirée.
Rozenn(à l'écran)

J'ai lu le livre une première fois, puis une deuxième fois complètement, et je l'ai relu encore à moitié. Je suis fascinée par ce bouquin. Il est multiple, multiforme, poly… je ne sais pas quoi.
Quoi ? Il y a la "petite" histoire de cette femme qui marche, qui rend perplexe, à se demander si elle n'est pas cinglée ; il y a elle et sa fille ; elle et le Russe ; et l'histoire du pays, la guerre, les camps (on parle d'un "camp d'esclaves").
Il y a ce réseau qui me fascine : j'ai mis du temps à comprendre qu'ils se la renvoyaient, jouant un peu avec elle ; par exemple dans le salon où ils sont tous là, presque à se foutre d'elle, et là c'est plus léger.
Il y a la question de la vérité et du mensonge, pour elle et pour eux-mêmes ; avec la position de chacun pendant la guerre, c'est très fort, car on ne peut avoir d'avis sur personne. Cette vision kaléidoscopique, complexe, dans un si petit bouquin, c'est très fort.
Pour ma part, je n'aime pas trop la nature - je distingue depuis peu le fraisier du pissenlit - là, il y a
sa perception à elle - habitante d'une île - de la nature (la mer/la montagne).
Après la première lecture, c'était comme un puzzle dont je n'aurais pas eu le modèle.
Ce livre est un millefeuille et je crois que si je le relisais, je trouverai encore autre chose.
Chaque personnage est complexe, comme le montre la relation avec Mariann.
J'ai essayé de lire Mer blanche : ça n'a pas marché de la même façon.
Je crois que je vais le lire encore. Je n'ai jamais vu un livre si multiple. À chaque fois que je le prends, c'est un nouveau livre. Je vais le donner autour de moi.
J'ouvre en très grand (Rozenn fait le signe d'une spirale).
Jérémy
Avant la lecture : Je n'avais pas très envie de lire ce livre. La 4e de couverture sonnait un peu cucul la praline. Et la couverture de l'édition de poche ne faisait que confirmer cette première mauvaise impression, en semblant reprendre une tendance d'Instagram vieille d'il y a quelques années, le "follow me". J'étais si peu enthousiaste que j'avais subrepticement essayé de virer le livre de la liste, sans succès !
Après la lecture : J'ai lu exactement la moitié du livre, les 19 premiers chapitres. J'aurais pu aller jusqu'au bout car "ça se lit vite", mais je n'ai pas voulu m'infliger cela. Ce livre est d'une nullité abyssale. Je suis vraiment colère. Pas contre la personne du groupe breton qui a suggéré de le mettre au programme bien sûr, mais contre les éditeurs. Comment ce livre a-t-il pu être édité chez Gallimard ?! Si j'avais dû payer 20 euros pour l'édition originale, je l'aurais vraiment eu mauvaise !
Je trouve l'écriture d'une grande lourdeur. Pour moi c'est le degré zéro du style. Il paraît que l'auteur a été menuisier dans une autre vie. J'espère qu'il maniait le ciseau à bois avec un peu de finesse que la plume ! J'ai l'impression de lire la rédaction d'un élève de cinquième à qui l'on aurait demandé d'écrire un dialogue au style indirect. Sauf qu'ici l'auteur fait durer le plaisir sur 250 pages. Un exercice de non-style peut-être ! Ou peut-être a-t-il fallu un peu allonger la sauce, car il est vrai que sans le style indirect on aurait certainement gagné une cinquantaine de pages.
Que dire des comparaisons ? Amis de la poésie et de la finesse, fuyez !
- "une pluie battante et vaine" (une pluie vaine, késako ?), "de l'eau qui coulait comme de la gélatine chaude sur des vitres sales" (p. 31)
- "un gros chien marron foncé, comme le goudron" (depuis quand le goudron est-il marron ?!) "il marchait aux pieds d'Ingrid, comme un gardien" (alerte poncif !) (p. 40)
- "Les deux gars firent redémarrer le moteur. Il toussa plusieurs fois, cracha d'abord de la fumée bleue puis blanche par le tuyau d'échappement à l'arrière. Le bruit se fit doux et paisible du comme les battements de cœur d'un animal." Oui les battements de cœur d'un animal sauvage en pleine chasse sont à n'en pas douter "doux et paisibles" ! (p. 78)
- "un lac qui avait l'air mort et plat comme un plancher". C'est sa comparaison qui tombe à plat oui ! (p. 117)
Sur le fond, il m'a manqué des éléments de contexte. Là où je me suis arrêté, on ne sait rien du personnage d'Ingrid, on ne sait rien ou pas grand-chose de son "histoire" avec Alexander. On ne sait pas à quoi ils ressemblent. L'auteur ne donne aucun élément psychologique sur Ingrid. Bref, on avance à l'aveugle. Je crois que cela explique pourquoi j'ai si peu "accroché", tout a littéralement glissé sur moi. Aussi parce que je n'ai jamais réussi à visualiser les lieux dans lesquels s'inscrit le périple d'Ingrid. Tout est resté flou et superficiel pour moi.
Par ailleurs, les dialogues sont ineptes, au ras des pâquerettes. Les personnages ne se disent rien. On a sans cesse l'impression de rester à la surface des choses. C'est certainement voulu par l'auteur : les non-dits, un peuple austère et taiseux, l'incommunicabilité entre les êtres. Peut-être, mais cela m'a surtout prodigieusement agacé/frustré. J'ai trouvé que l'auteur ne me donnait pas grand-chose.
J'ai aussi été rapidement lassé par le procédé des sauts de puce qui amènent Ingrid d'une rencontre à une autre. Je le trouve artificiel et répétitif.
Enfin, le personnage de Kaja m'a rappelé celui de Giuseppe dans La Storia : Kaja mange, Kaja boit du lait, Kaja pleure, Kaja joue sur le plancher, Kaja dort sur le ventre de sa maman. Ça suffit à la fin ! Là aussi c'est répétitif, et je ne vois pas ce que cela apporte.
Je ferme ce livre en grand et j'arrête là ma diatribe, j'y ai déjà consacré trop de temps au regard du déplaisir qu'il m'a procuré !
Jacqueline
Je suis très contente d'avoir entendu Rozenn : ça m'aide à me situer dans ce livre que je n'ai pas eu le temps de reprendre…
J'ai apprécié ce style, très factuel, qui reste toujours dans le vu ou entendu, sans aucune explication psychologique. Au lecteur de se faire une opinion… et cette opinion va varier au fur et à mesure du déroulement du récit.
Je ne me suis pas sentie gênée par ce que d'autres ont ressenti comme des lourdeurs. Je n'avais pas remarqué le discours indirect dont a parlé Jérémy et qui traduit le point de vue d'Ingrid. Par contre, l'effet d'ensemble, me rappelait un peu le style d'
Hemingway… avec je pense cette différence que, chez lui, les dialogues sont toujours en direct, mais là aussi au lecteur d'interpréter. Ça m'a rappelé L'enfant brûlé, mais je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour ces phrases extrêmement simples (pas tant que ça, d'ailleurs, à y voir de plus près !) Peut-être parce qu'il s'agit de gens simplement ordinaires, à la vie rude bien qu'ils soient dans un milieu extrêmement différent. J'ai adoré la nature…
Effectivement, quelquefois c'est un peu fatiguant, on ne sait plus trop où on est, on a envie de faire le point… peut-être d'ailleurs comme Ingrid ? Mais elle persévère…
J'ai marché avec elle. Sans bien comprendre où elle allait, ni le sens de tout ça. On imagine ce qu'elle cherche. Au fur et à mesure, il y a des rencontres avec beaucoup de gens qui ont eu, ou vont avoir un lien avec sa quête. Et j'ai aimé cette richesse. J'ai aimé le déroulement du récit qui ménage surprises et révélations, par exemple la relation du Russe avec Mariann. Très bien vue, d'ailleurs, la relation entre les deux femmes… On réévalue les idées qu'on avait pu se faire. J'ai aimé faire ce cheminement. De la même manière, j'ai aimé la quête d'Ingrid vers une vérité. J'ai aimé la présence, avec elle, de l'enfant qui témoigne de son amour et que cette quête change pour moi de sens au cours du récit…
Dans l'état actuel de ma lecture, je ne peux pas ouvrir en grand : il faudrait que j'y revienne. En tout cas, j'aimerais le relire. Ce troisième opus a éveillé ma curiosité et j'aimerais lire toute la trilogie.
J'ouvre aux ¾.
Catherine
Je ne connaissais pas du tout cet auteur, j'ai d'ailleurs lu très peu d'auteurs norvégiens. J'ai commencé par lire Les yeux du Rigel sans savoir que c'était la fin d'une trilogie.
Que dire de ce livre ? Je suis restée dans le brouillard pendant une bonne partie, ne sachant rien du contexte. J'ai malgré tout suivi Ingrid dans cette quête insensée, sans rien savoir d'autre que le fait qu'elle a brièvement aimé un prisonnier russe survivant d'un naufrage, dont elle a eu une petite fille qu'elle emmène sur son dos. Elle traverse la Norvège à la recherche de cet homme sans connaître ni la route prise, ni la destination finale. On ne sait pas ce que pensent les personnages, on ne sait que ce qu'ils font ou ce qu'ils disent, et ils disent très peu de choses, on est dans le non-dit, dans des choses dites à moitié ou les mensonges. On n'est même pas sûr qu'Alexander soit bien russe ou que le naufrage ait bien eu lieu. Je n'ai pas détesté ce flou, j'ai par contre détesté le style indirect, tous ces dit que, répondit que, c'est insupportable, gonflant, lourd.
C'est par moments un peu long, elle marche des heures, prend le train, s'arrête, repart, demande son chemin, pose inlassablement les mêmes questions, tout ça avec un bébé de 9 mois sur son dos, c'est long, on s'ennuie un peu, on se demande si elle s'arrêtera un jour. La partie sur l'ex-camp de concentration m'a intéressée, mais j'aurais aimé en savoir plus. On sent tous les traumatismes laissés par la guerre, les fossés entre ceux qui ont collaboré avec les Allemands, ceux qui ont résisté, la volonté d'oublier, de ne plus revenir sur ce qui s'est passé, mais le livre n'en dit pas plus.
J'étais frustrée à la fin de la lecture de ce troisième livre de la trilogie. J'ai donc lu le premier livre et pour l'instant la moitié du deuxième. Je suis perplexe sur le choix de lire ce livre tout seul. J'ai bien aimé le premier, qui se situe pendant l'enfance d'Ingrid, il est très différent, très centré sur la vie ou plutôt la survie des îliens face à la nature extrêmement rude. Le deuxième se situe vers la fin de la guerre, il raconte la rencontre avec Alexander ; il y a des scènes assez incroyables après le naufrage lorsque Ingrid retrouve les corps des naufragés. Beaucoup d'éléments restent assez elliptiques aussi, mais lire la trilogie dans l'ordre donne épaisseur et contexte aux personnages. Je crois que j'aurais aimé que le deuxième tome soit choisi. Si j'avais lu la trilogie, j'aurais peut-être ouvert aux ¾, mais là j'ouvre à moitié. Malgré ses réserves, je ne regrette pas ma lecture.

Brigitte
entre et (à l'écran)
Je ne connaissais ni ce livre, ni cet auteur.
Je ne comprends pas le choix du titre : le Rigel est un bateau, où Alexander a été blessé gravement aux mains ; mais ce n'est pas le sujet du livre.
L'histoire d'Ingrid, à la recherche de son ancien amour, avec dans les bras leur bébé de moins d'un an, est intéressante, est bien racontée, l'écriture est parfois très juste, mais jamais je ne me suis attachée à l'héroïne.
L'auteur connaît son métier, mais ne s'implique pas suffisamment pour emmener le lecteur. Il s'agit d'une trilogie, il doit donc appliquer son programme en écrivant cette troisième partie. On ressent trop son travail, il manque l'élan, l'enthousiasme qui donneraient vie à Ingrid et Kaja. C'est le récit de l'après-guerre : on trouve des personnages engagés dans la résistance, d'autres dans la collaboration, ou encore des deux côtés, un réseau fonctionne encore un peu, un ancien camp abrite des personnages en errance. Tout cela aurait pu donner lieu à un ouvrage passionnant, mais le but est loin d'être atteint.
La fin fait remonter le drame de ces soldats russes à l'époque soviétique. Quand, usés, blessés, meurtris, ils réussissent enfin à rejoindre leur pays, on les envoie mourir dans les camps de Sibérie, parce qu'ils ont vu l'Occident ! Sujet qui n'est pas du tout traité.
J'ouvre entre ¼
et à moitié.

Catherine
Pour ce qui est du titre, "Les yeux du Rigel" : le Rigel renvoie au Russe, et les yeux de Kaja renvoient à plusieurs reprises au Russe.
Françoise
Je rejoins la déception de Jérémy, Sabine, Fanny.
La seule chose qui m'a tenue : va-t-elle savoir ce qui est arrivé à son mec ?
Le style est lourdingue.
Je ne me suis pas du tout projetée en Ingrid, tout en admirant sa performance.
Je n'ai pas été intéressée plus que ça. Je n'ai pas trouvé ça intéressant à lire. Le livre n'a pas éveillé en moi d'appétit.
Je me suis demandé pourquoi avoir choisi le troisième livre de la trilogie. Il est vrai qu'il n'y a exprès sans doute aucun rappel des livres précédents alors que dans la
trilogie de Cercas que je lis, à chaque volume, l'auteur fait un rappel de ce qui a précédé : là, les trois livres sont inséparables.
Il y a une façon de révéler petit à petit : par exemple on apprend bien tard que Mariann fut la maîtresse du Russe. Mais je n'ai pas accroché, dommage, car d'autres livres norvégiens, Wassmo par exemple, j'ai adoré ; bon j'avais moins aimé Knut Hamsun. Tout ce qui a rapport à la guerre - tout le contexte en fait - est très/trop allusif comme le reste (les personnages secondaires ne sont qu'ébauchés) ; dommage, c'était l'occasion d'en apprendre plus sur l'histoire de la Norvège.
J'ouvre un quart quand même, parce que je suis allée jusqu'au bout et c'est un signe, mais je suis déçue.
Monique L

C'est le premier livre de Roy Jacobsen que je lis. Je n'ai pas lu les deux premiers livres.
Le début de ce roman m'a paru très mystérieux, voir obscur.
Par la suite, je me suis prise au jeu de cette longue déambulation et ai cherché sur la carte les divers lieux de passage d'Ingrid. Il faut se laisser porter par le récit, rester patiente et accepter de ne pas tout comprendre. C'est cette atmosphère que j'ai appréciée.
Je suis allée deux fois en Norvège dont une fois dans le Nord. Les descriptions magnifiques des paysages m'ont fait revivre ces voyages : "le fjord était posé comme une ceinture grise entre des montagnes abruptes et vertes".
J'ai également retrouvé le côté taiseux, voire fermé, de la population. Chaque personnage donne l'impression de savoir quelque chose qu'il ne veut pas ou ne sait pas comment exprimer. J'ai apprécié la délicatesse de l'auteur dans ses descriptions des rencontres. Un regard, un silence parfois en disent plus long qu'un discours.
J'ai aimé Ingrid, son obstination, son intégrité, sa persévérance, sa solidité, sa force tranquille. J'ai admiré sa force physique et sa santé, ainsi que celle de sa fille.
Ce qui me restera de ce livre c'est surtout une ambiance de non-dits et de mystères.
De l'histoire de la Norvège dans les années 1940, je n'avais entendu parler que la bataille de Narvik.
Je n'en sais pas plus avec ce livre et je trouve cela dommage. J'ai appris néanmoins l'existence du Sonderlager Mysen qui a vraiment existé. D'après mes recherches, il a servi de camp de transit pour les prisonniers de guerre soviétiques qui ont été renvoyés chez eux courant juin 1945. En juillet 1945, les autorités norvégiennes reprennent le camp pour y loger les Polonais qui avaient été envoyés pour le STO en Norvège.
J'ouvre à ½.

Françoise
J'aurais lu les deux premiers, c'aurait peut-être été éclairant.

Monique L
Je n'en suis pas sûre.

Jacqueline
Il y a cette atmosphère de l'après-guerre dans ce troisième.

Françoise
La trame m'aurait aidée.

Monique
J'ai apprécié ce que dit Rozenn sur le réseau.

Rozenn
Ils ne se sont pas tout dit entre eux, c'est fascinant.

Renée
(à l'écran depuis Narbonne)
Ce livre m'a laissée assez indécise. J'ai été sensible à la poésie de certains passages, mais je n'ai pas éprouvé d'empathie envers Ingrid. Il me semble que le texte reste toujours factuel.
Nous avons une succession de rencontres, sans pénétrer dans la tête de l'héroïne. Elle marche, elle marche, elle mange, fait manger sa fille, elles dorment et tout se répète.
Comme "surprise", elle apprend que "son homme" était aussi celui d'autres femmes au cours de son périple et qu'il voulait retrouver un fils, mais elle garde néanmoins son illusion : elle a été aimée par Alexander. Il est vrai qu'on peut aimer plusieurs personnes, le cœur est immense. Elle revient dans son île apaisée.
Ce qui m'a le plus frappée, ce sont les difficultés de déplacement juste après la guerre dans ces pays nordiques : la neige, les distances parcourues à pied, etc.
J'ai lu sans déplaisir, mais sans plus.
J'ouvre au ¼.

Claire entreet
J'ai l'impression d'être d'accord presque avec tout le monde, signe de mon balancement...
J'ai bien aimé le décompte de Philippe : 14 personnages dans les 20 premières pages, 43 personnages pour la totalité du livre... J'ai très vite pris des notes pour me retrouver dans les personnages : la famille, les rencontres et les lieux ; j'ai regardé sur une carte comme Monique et vu l'impressionnante longueur du parcours d'Ingrid ; j'aurais aimé faire comme Brigitte de Bretagne : "regarder sur internet des photos des lieux où elles se déplacent. Des îles, des bois, des collines aux pentes douces, des lacs, des espaces grandioses où règnent la nature, un monde de pêcheurs et de bûcherons."
Page  20, je n'ai rien compris, du fait de la densité d'allusions à des faits anciens. L'incompréhension des faits passés a été pour moi soit un plus, soit un moins. Un peu déboussolée au début donc, j'ai noté à la fin du chapitre 6, p. 50 : je suis PRISE par le récit, par la marche dingue. Plusieurs ont parlé de description des paysages, je n'en ai pas vu, c'est plutôt une ambiance. J'ai pensé en lisant :
- au livre du Norvégien Per Petterson
Pas facile de voler des chevaux que nous avions lu, en raison des conséquences de l'occupation de la Norvège sur les personnages
- à celui, également lu dans le groupe, de l'Islandais Jon Kalman Stefansson, Entre ciel et terre, en raison de la force de la nature glaciale et d'un cheminement
- au film Godland (2022) de l'Islandais Hlynur Pálmason, où un prêtre danois arrive en Islande à la fin du XIXe siècle avec pour missions de construire une église et de photographier la population. Il marche dans une nature glacée et impitoyable...

J'ai à la fois été un peu envoûtée par ce périple et interrogative : pourquoi on ne sait pas grand-chose ? Même question déjà posée par d'autres : n'est-ce pas tout simplement parce que c'est le troisième volume d'une trilogie ? Et ça m'a un peu gênée. Mais j'ai trouvé très intéressantes la remarque de Françoise sur la trilogie où les livres sont vraiment liés et le questionnement d'Etienne (Peut-on lire Le Temps retrouvé sans lire Du côté de chez Swann ? Le Seigneur de anneaux sans Bilbo ?).
Voilà une bonne occasion de repérer qu'un même choix d'écriture est rejeté par l'un et apprécié par l'autre : ainsi, tous les exemples de comparaisons que donne Jérémy, tous me plaisent. Oui à la "pluie battante et vaine", oui au lac plat comme un plancher".

Jacqueline
S'il avait lu "une mer d'huile", Jérémy n'aurait pas bronché, serait passé comme si de rien n'était.

Claire
Oh non Jacqueline, il aurait vu le cliché. Mais bon... et j'oubliais : oui au "gros chien marron foncé, comme le goudron" (wikipédia me confirme après notre séance que le goudron de Norvège, utilisé en France, est de couleur rougeâtre...).
Contrairement à certains et surtout à Sabine qui, comme Jérémy recourt dans son avis à la Grosse Bertha, j'ai aimé les "dit que", cette litanie du dialogue distancié. Par exemple p. 199 on a en une quinzaine de lignes 6 fois "lui demanda" : ça marche très bien pour moi, ce dialogue indirect (le voir›ici). Ce que les uns trouvent lourd, "mal écrit", d'autres le trouvent judicieux, l'apprécient !
Le lecteur est placé à une certaine distance et c'est ce qui m'a presque le plus plu : le récit est à la 3e personne, mais on n'est pas vraiment dans la conscience d'Ingrid, on n'a pas d'explication, on ne sait pas bien son état d'esprit ou uniquement par son comportement ou ses mots.
Pour avoir une réponse à ma question "est-ce que l'auteur ne se repose pas sur la connaissance que devrait avoir le lecteur des livres précédents ?", je me suis mise à lire
Mer blanche et j'ai trouvé la même ambiance, ou plutôt la même relation entre la narration et le lecteur : on ne sait pas tout, on est tenu à distance de l'intériorité du personnage. Ingrid a la même force, la même présence. Mais on peut se demander en effet, comme Catherine, s'il n'eût pas mieux fallu lire ce deuxième.
Après l'épilogue, j'ai eu une déception avec la dernière page, sans titre, comme si l'auteur ne savait pas comment finir. Ça tranche complètement, ces éléments factuels.
Je balance entre ½ et ¾.

Thomas(après la séance
sans avoir lu nos avis)
Une lecture qui coule bien, on peut facilement se laisser porter..., mais avec une intrigue qui m'a paru cousue de fil blanc !
On a l'impression de faire toujours face à la même scène à chaque fois qu'Ingrid arrive dans un nouvel endroit : accueil peu enthousiaste par des personnages bougons et associables, mais qui finissent toujours par l'aider, par lui donner le petit coup de main dont elle a besoin, jusqu'à ce qu'elle trouve presque son aiguille dans la botte de foin norvégienne. C'est agréable, on se dit que Romain Gary a raison, qu'il ne faut pas désespérer de l'homme..., mais, pour ma part, ça faisait que je n'y croyais pas du tout !
L'idée qu'elle emmène sa fille avec elle est intéressante, ça facilite le "lien" avec ceux qu'elle rencontre, mais pour le reste, j'ai eu l'impression d'être dans un de ces romans un peu humoristiques, qui ne se prennent pas tout à fait au sérieux et où on accepte que des choses improbables ne cessent de se produire... Mais ici j'ai trouvé que ça ne prenait pas, et que le sujet - pourtant intéressant en soi : la Norvège de l'après-guerre - ne s'y prêtait guère...
Et dans ces conditions, même les révélations finales ne m'ont fait ni chaud (normal peut-être pour la Norvège ?), ni froid (ce qui est plutôt un comble !).
Dommage, j'aurais bien eu envie de me prendre au jeu avant de m'attaquer au redoutable Mépris de Moravia !
Clarisse
(après la séance sans avoir lu nos avis)
Je n'étais pas présente ces derniers temps parce que je n'ai pas réussi à rentrer dans Compartiment pour Dames (j'ai lu à peine un cinquième) et j'ai fini Les yeux du Rigel après la rencontre…
Je pense être passée à côté du roman de Roy Jacobsen. Déjà, le fait que nous ne connaissons pas l'histoire d'amour qui pousse Ingrid à partir à la recherche d'Alexander, prive la quête de sa profondeur.
Le personnage principal apparaît comme une femme obsessionnelle. À sa place, je serais rentrée chez moi depuis belle lurette, voire jamais partie. J'ai parcouru ses aventures d'une lecture rapide, sans grand intérêt pour les non-dits et le comportement des personnages secondaires pendant la guerre. J'étais maintenue dans la lecture par l'envie de savoir si elle allait retrouver Alexandre ou pas, qui apparemment n'était pas uniquement l'homme d'Ingrid mais de plusieurs femmes au cours de sa fuite.
Je reproche à l'écriture d'être très factuelle et scénaristique, il y a peu de place pour l'écriture littéraire et les effets de style. Personnellement j'ouvre à moitié.
J'ai commandé Mer blanche parce que je pense que comprendre leur histoire d'amour permettra d'éclairer la suite, puisque Les yeux du Rigel est le dernier tome d'une trilogie.
Je serai présente pour Moravia, ses livres m'emballent plus a priori...

Fanny
Je viens de lire nos avis. Vu la diversité, je trouve que c'est bien un livre pour le groupe de lecture :)
Pour ma part, je l'ai terminé et mon avis reste inchangé.


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Les livres de Jacobsen
Repères biographiques
Entretiens

Articles
Le traducteur et l'auteur

Auteurs "nordiques" déjà lus

• Livres de Jacobsen publiés en français

Les textes de Jacobsen sont variés : nouvelles psychologiques courtes, romans aux thèmes historiques, politiques, tirés de l'époque de la saga islandaise, de la guerre du XXe siècle, livres pour enfants... Ses romans - une quinzaine - sont traduits en plus de quarante langues. Sept romans sont traduits en français :
- Les bûcherons ["Hoggerne", 2005], 2011
- Le prodige ["Vidunderbarn", 2009], 2014
- Les invisibles ["De Usynlige", 2013], 2017 ; Folio, 2019
- Mer blanche ["Hvitt Hav", 2015], 2019 ; Folio, 2021
- Les yeux du Rigel [Rigels øyne, 2017], 2021 ; Folio, 2022

-
Les vainqueurs ["Seierherrene", 1991], 2022 ; Folio, 2024
- Juste une mère ["Bare en mor", 2020], 2024

Parmi ces romans, une trilogie : Les invisibles - Mer blanche - Les yeux du Rigel. Chaque livre forme un tout, certes. Pour les curieux, voir le résumé des deux premiers livres =>ici.

• Quelques repères biographiques

Jacobsen a grandi dans une banlieue d'Oslo.

Je suis né dans un milieu ouvrier très pauvre. Ma mère avait été scolarisée trois ans seulement, elle ne savait pas lire. Elle nous élevait, ma sœur et moi, mon père conduisait des engins de chantier.

La ferme où ma mère a grandi n'avait pas de route. Mon grand-père était un héros pour un petit garçon comme moi. J'observais et j'étudiais mon grand-père, qui avait engendré 18 enfants sur ce petit bout de terre au bord de la mer.

À l'adolescence, Jacobsen est membre du gang de la cité d'Årvoll : à 16 ans, il est arrêté par la police et maintenu en isolement pendant 35 jours. Il est reconnu coupable, entre autres, de délits liés aux armes et de vol, et condamné à six mois de prison avec sursis.

Rien d’héroïque, je n’étais pas un militant politique en lutte contre la bourgeoisie mais un simple voleur, un petit Jean Genet.

Après avoir étudié les mathématiques pendant un an à l'université, il suit les traces de son grand-père pendant quatre ans, pêchant et chassant la baleine au nord du pays, une expérience qui a inquiété sa mère mais qui lui a permis de comprendre "de quoi il était capable".

Après un bref passage dans l'armée, il publie en 1982 son premier livre, un recueil de nouvelles, Fangeliv [La vie en prison], récompensé par le prix Tarjei Vesaas, prix décerné chaque année par l'Union des auteurs norvégiens à la meilleure première œuvre littéraire en norvégien. D'autres prix suivront.

Il a exercé de nombreuses professions, même après ses débuts en tant que romancier en 1982 : baleinier, menuisier, enseignant, aide-soignant dans une clinique psychiatrique.

Depuis 1990, il est écrivain à plein temps. Sa propre expérience nourrit son roman à succès Les vainqueurs de 1991, autour de ce que l'on appelle en Norvège "le grand voyage de classe" : à travers l'histoire d'une famille simple sur deux générations, il décrit comment les habitants de la Norvège sont passés en 80 ans, des conditions contraignantes héritées de la société agraire à une éducation post-industrielle de haute technologie, une société de bien-être offrant de nombreux choix, et aussi, pour beaucoup, à une nouvelle identité.

Aujourd'hui, Jacobsen et sa femme d'origine belge, Anneliese Pitz, professeure d'université, linguiste qui parle couramment huit langues, vivent à Oslo, passant plusieurs mois de l'année en dehors de la ville sur un terre qui faisait autrefois partie de la ferme du grand-père de Jacobsen. Coucou Voix au chapitre, c'est nous !

Pour être dans l'ambiance, visionner => "En Norvège, Roy Jacobsen raconte les paysans-pêcheurs", Invitation au voyage, Arte, 2024, 14 min.

• Entretiens

- "From Norse sagas to family sagas — Roy Jacobsen crafts a moving tale of life on a Norwegian island", propos recueillis par Eleanor Wachtel, Radio-Canada, 26 novembre 2021. Extrait :

À l'automne 1944, la Norvège était occupée par les Allemands. Ils combattaient les Russes dans la partie nord du pays. Ils étaient sur le point d'évacuer ce front après la Normandie, après que les Russes se sont déplacés vers Berlin.
Ils étaient sur le point d'évacuer tout le matériel militaire du port du nord de la Norvège, y compris le
MS Rigel, un cuirassé qui transportait des prisonniers de guerre russes. Au cours de cette évacuation, les Britanniques ont réussi, par accident, à bombarder les Allemands, y compris le Rigel.
Cela s'est produit près de l'endroit que je décris dans Mer Blanche. C'était en fait le troisième plus grand naufrage de l'histoire de l'humanité. Il était deux fois plus mortel que le
Titanic. Tout le monde a entendu parler du Titanic, mais personne n'a entendu parler du Rigel.
Pourquoi ? C'est une autre histoire invisible, jamais racontée. J'adore les histoires jamais racontées. J'aime les points blancs sur la carte. J'aime les colorier.
J'ai déterré cette histoire et j'ai construit dessus des épisodes qui se sont déroulés sur la côte cette terrible nuit de novembre 1944. Certains prisonniers de guerre russes ont réussi à échapper au naufrage en flammes et se sont sauvés sur certaines de ces îles.

- Entretien détaillé à la sortie en Angleterre des Yeux de Rigel, le troisième livre de la trilogie : "NA Meets: Roy Jacobsen, novelist", Boyd Tonkin, Royal Norwegian Embassy in the UK, 7 octobre 2020. Extraits :

Ces romans ne sont pas seulement le portrait d’une personne, mais d’un lieu. Pourquoi les îles et leurs habitants vous fascinent-ils autant ?

Je suis né dans cet endroit. C'est un endroit très isolé et exotique, mais aussi très inspirant. Pendant mille ans, la plus grande partie des revenus de la Norvège provenait de ces îles. Ce n'est plus une idée reçue aujourd'hui. Pendant mille ans, l'épine dorsale de l'économie norvégienne provenait de cet archipel, que je connais par cœur. J'ai été très heureux d'avoir l'occasion de partager une histoire qui n'était pas de notoriété publique et d'utiliser mon expérience personnelle dans les livres.

Quelle place occupe le naufrage du Rigel dans l'histoire de la guerre en Norvège ?

Ça n'y rentre pas. C'est totalement oublié, malgré le fait que plus de 2 400 prisonniers de guerre innocents ont été tués par accident par les Britanniques [le Rigel a été identifié par erreur comme un navire de transport de troupes allemand]. Après une guerre, on commence à réécrire l'histoire : c'est une catastrophe oubliée. Quand j'étais enfant, je pouvais voir l'épave se dresser comme un monument. Ce qui m'a poussé à faire venir Alex, c'est le destin des Russes : 110 000 prisonniers russes ont construit l'infrastructure de la partie nord de la Norvège. Mais ce n'était plus très sexy après la guerre – tout d'un coup, les Russes étaient à nouveau nos ennemis.

Le voyage d’Ingrid est à la fois réaliste et mythique, comme dans les sagas. Ces formes les plus anciennes de narration nordique ont-elles encore une influence sur votre façon d’écrire ?

Mon réalisme n'est pas si pur. Bien sûr, je suis influencé par les sagas, mais le roman a aussi un aspect biblique : une mère se promène avec son enfant. Voler ou emprunter un thème biblique mais le remplir de la manière la plus réaliste possible : je trouve cela très intéressant. Pour survivre, le réalisme doit s'inspirer d'autres types d'écriture. Je m'inspire aussi de l'Ancien Testament et des mythes hindous.

- Interview par sms sur Bookgroup.info, 5 juillet 2011. Extraits :

[À propos des écrivains scandinaves] Il y a une certaine intensité dans leurs histoires et leur langage qu’ils (et vous-même) ont en commun et qui rend leur travail (et le vôtre) très puissant. Attribueriez-vous cela en partie à la géographie et au climat de ces pays nordiques ou est-ce davantage une question de culture ?

Je suis probablement le dernier à avoir une opinion tranchée sur ce qui fait que les auteurs scandinaves sont scandinaves, étant moi-même l’un d’eux. La langue vient normalement de la langue (culture), mais historiquement, l’influence de la nature sur la culture est probablement plus forte ici, dans le nord, qu’ailleurs en Europe – c’est moins urbain et nous sommes aussi exposés à un climat plus rude. Je ne connais aucun autre pays où les prévisions météorologiques sont plus intéressantes que le sexe. Notre fierté nationale, nos symboles, nos rêves, nos chansons, nos traditions de travail – et aussi nos sentiments – contiennent, dans une large mesure, des références à la nature ou plus précisément à l’idée de l’homme contre la nature. Je suppose que nous avons tendance à voir la nature comme une amante intéressante, immensément belle mais aussi très exigeante, compliquée et pas toujours digne de confiance. Personnellement, je trouve non seulement de l’inspiration – un mot douteux d’ailleurs – dans la nature, mais aussi de la paix et des défis, car je passe (travaille) plus de 50 % de mon temps dans les forêts du sud de la Norvège ou sur une île au nord (d’où je vous écris actuellement cette réponse).

Pouvez-vous nous parler un peu de vos influences littéraires ?

Mes influences sont avant tout ma propre vie, ma famille et mes amis. Mais j'aime tout lire, des sagas islandaises à José Saramago, Cormac McCarty, Günter Grass (ses premières œuvres), Tolstoï, Conrad, Dag Solstad et Knut Hamsun, le vieux fasciste qui est encore le grand maître et l'inventeur de la langue norvégienne moderne, curieusement.

Avez-vous une tradition de groupes de lecture en Norvège ?

Je ne sais pas comment vous définissez le terme "groupe de lecture", mais nous avons certainement des groupes de lecture. Ils comptent généralement entre dix et quinze lecteurs, mais il existe trois groupes de lecture assez célèbres, réservés aux femmes – comptant environ 300 membres – qui ont commencé il y a un siècle comme organisation de libération des femmes et qui sont toujours très actifs.

• Articles

Quelques réactions de la presse francophone :

- "Les Yeux du Rigel, l’odyssée norvégienne", Virginie Bloch-Lainé, Libération, 4 avril 2021.

- "Les Yeux du Rigel, de Roy Jacobsen", Elena Balzamo, Le Monde, 15 avril 2021.

- "Les Yeux du Rigel", L'Express, 2021.

- "Les Yeux du Rigel : brouillard de l'après-guerre", Christian Desmeules, Le Devoir (Québec), 19 juin 2021.

• Le traducteur et l'auteur

- Le traducteur

Alain Gnaedig a traduit tous les livres de Jacobsen.
Il a
traduit plus de 150 livres du suédois, du danois, du norvégien et de l'anglais. Sa formation =>ici.
Il a également publié trois romans : Opus incertum, L'Homme armé et Le Pays de l'horizon lointain, un récit, Le Grand Chemin nantais, et un documentaire pour la jeunesse, Anders à Stockholm.
Il est aussi éditeur, en charge du domaine scandinave pour la collection "Du Monde Entier" chez Gallimard.

- L'auteur et les traducteurs

Quel est votre rapport avec vos œuvres dans d’autres langues ?

C'est assez intime. J'ai de bons contacts avec presque tous les traducteurs. Je pense que c'est devenu très courant pour tous les écrivains, nous sommes en ligne, si le traducteur tombe sur quelque chose qu'il ne comprend pas, il écrit et pose des questions, bien sûr. Mais après quatre ou cinq e-mails et lignes de questions identiques, j'ai commencé à établir une liste de mots étranges dans mon livre parce qu'ils sont archaïques ou qu'ils appartiennent à un dialecte spécial qui est exotique même pour les Norvégiens d'aujourd'hui. J'ai donc maintenant une liste de 300 mots que j'envoie à chaque traducteur. Et c'est très intéressant de voir qu'ils parviennent à trouver des liens maritimes dans presque toutes les langues. Je pense que Vera [Vera-Ágnes Pap, la traductrice hongroise] a fait du très bon travail, même si je ne peux pas vraiment le juger. Elle est allée dans le nord de la Norvège sur un bateau de pêche, et elle a parlé aux gens, elle a entendu leurs langues. Elle a aussi un ami ici en Hongrie qui est linguiste et aussi pêcheur au lac Balaton. Ils ont donc réussi à mettre en commun la terminologie. ("Nostalgia's a scar that's good to scratch", propos recueillis par Gergo Melhardt, Hungarian Literature Online, 9 novembre 2018).

• Auteurs "nordiques" lus dans le groupe

Les voici, au Nord de la France, de plus en plus au Nord, et avec le lien sur l'auteur lu quand nous avions déjà ce site.
Sur la vingtaine d'auteurs nordiques lus dans le groupe, avec Jacobsen, nous avons découvert 6 auteurs norvégiens au fil de 30 ans de lectures : en 1994, 2000, 2013, 2016, 2022 et 2024.
Si Ibsen, Hamsun et Vesaas sont morts, Jacobsen sera notre troisième Norvégien vivant, avec Petterson et Wassmo.

Pays-Bas
- Anna Enquist
- Cees Nooteboom

Danemark
- Hans Christian Andersen
- Karen Blixen
- Peter Høeg
- Søren Kierkegaard
- Jorn Riel

Suède
- Ingmar Bergman
- Stig Dagerman
- Per Olov Enquist
- Eyvind Johnson
- Selma Lagerlöf
- Henning Mankell

Islande
- Auður Ava Ólafsdóttir
- Jón Kalman Stefánsson

Finlande
- Sofi Oksanen
- Arto Paasilinna

Norvège
- Knut Hamsun
- Henrik Ibsen
- Per Petterson
- Tarjei Vesaas
- Herbjørg Wassmo


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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