Roy Jacobsen, Les yeux du Rigel, trad. du norvégien Alain Gnaedig, Folio, 2022, 288 p.

Quatrième de couverture : "Il y a maintes façons de marcher, et Ingrid Marie Barrøy marchait léger."

Norvège, 1946. Ingrid Barrøy n’a jamais oublié Alexander, un survivant du naufrage du Rigel qu’elle avait soigné et aimé pendant la guerre. Elle décide alors de partir à la recherche de celui qu’elle présente à tous comme "son homme". Leur fille sur le dos et une valise à la main, elle va le suivre à la trace dans une Norvège qui, si elle n’est plus ravagée par la guerre, n’est pas encore en paix avec elle-même.

Roy Jacobsen, Les yeux du Rigel, Coll. "Du monde entier", 2021, 256 p.

Quatrième de couverture : 'Le pays se lavait les mains. Oui, et même un grand nombre de ceux qui avaient vraiment fait quelque chose savaient qu’ils auraient pu faire davantage, et ils n’avaient pas envie qu’on le leur rappelle."

Pendant la guerre, Ingrid Barrøy avait sauvé, soigné et aimé Alexander, un Russe survivant du naufrage du Rigel, qui avait coulé au large des côtes du Helgeland. De cet amour aussi bref que libre était née une petite fille, Kaja. Début 1946, la guerre est terminée, Kaja a dix mois, et Ingrid décide, contre l’avis de tous, de partir à la recherche de celui qu’elle présente comme son "homme". Avec sa fille sur le dos et la valise à la main, elle va suivre Alexander à la trace dans toute la Norvège, d’une ferme à une autre, d’une gare à l’autre, de pêcheur en passeur, de bûcheron en médecin.
Les yeux du Rigel est le troisième volume de la trilogie consacrée à Ingrid Barrøy. C’est le voyage d’une femme qui quitte son île pour la terre ferme, la forêt, les villes et même l’étranger, et qui rentre dans son île, après avoir croisé des hommes et des femmes pleins de cicatrices extérieures et de blessures internes, dans une Norvège qui, si elle n’est plus ravagée par la guerre, n’est pas en paix avec elle-même. On retrouve ici tout le talent de Roy Jacobsen, qui sait si bien mêler avec force et poésie la grande Histoire et les destins de gens modestes, ainsi que les ombres du passé.

Roy Jacobsen (né en 1954)
Les yeux du Rigel (2017, traduction 2021)

Nous lisons ce livre pour le 22 novembre 2024.
Le groupe breton l'aura lu pour le 21 novembre.

DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Les livres de Jacobsen
Repères biographiques
Entretiens

Articles
Le traducteur et l'auteur

Auteurs "nordiques" déjà lus

• Livres de Jacobsen publiés en français

Les textes de Jacobsen sont variés : nouvelles psychologiques courtes, romans aux thèmes historiques, politiques, tirés de l'époque de la saga islandaise, de la guerre du XXe siècle, livres pour enfants... Ses romans - une quinzaine - sont traduits en plus de quarante langues. Sept romans sont traduits en français :
- Les bûcherons ["Hoggerne", 2005], 2011
- Le prodige ["Vidunderbarn", 2009], 2014
- Les invisibles ["De Usynlige", 2013], 2017 ; Folio, 2019
- Mer blanche ["Hvitt Hav", 2015], 2019 ; Folio, 2021
- Les yeux du Rigel [Rigels øyne, 2017], 2021 ; Folio, 2022

-
Les vainqueurs ["Seierherrene", 1991], 2022 ; Folio, 2024
- Juste une mère ["Bare en mor", 2020], 2024

Parmi ces romans, une trilogie : Les invisibles - Mer blanche - Les yeux du Rigel. Chaque livre forme un tout, certes. Pour les curieux, voir le résumé des deux premiers livres =>ici.

• Quelques repères biographiques

Jacobsen a grandi dans une banlieue d'Oslo.

Je suis né dans un milieu ouvrier très pauvre. Ma mère avait été scolarisée trois ans seulement, elle ne savait pas lire. Elle nous élevait, ma sœur et moi, mon père conduisait des engins de chantier.

La ferme où ma mère a grandi n'avait pas de route. Mon grand-père était un héros pour un petit garçon comme moi. J'observais et j'étudiais mon grand-père, qui avait engendré 18 enfants sur ce petit bout de terre au bord de la mer.

À l'adolescence, Jacobsen est membre du gang de la cité d'Årvoll : à 16 ans, il est arrêté par la police et maintenu en isolement pendant 35 jours. Il est reconnu coupable, entre autres, de délits liés aux armes et de vol, et condamné à six mois de prison avec sursis.

Rien d’héroïque, je n’étais pas un militant politique en lutte contre la bourgeoisie mais un simple voleur, un petit Jean Genet.

Après avoir étudié les mathématiques pendant un an à l'université, il suit les traces de son grand-père pendant quatre ans, pêchant et chassant la baleine au nord du pays, une expérience qui a inquiété sa mère mais qui lui a permis de comprendre "de quoi il était capable".

Après un bref passage dans l'armée, il publie en 1982 son premier livre, un recueil de nouvelles, Fangeliv [La vie en prison], récompensé par le prix Tarjei Vesaas, prix décerné chaque année par l'Union des auteurs norvégiens à la meilleure première œuvre littéraire en norvégien. D'autres prix suivront.

Il a exercé de nombreuses professions, même après ses débuts en tant que romancier en 1982 : baleinier, menuisier, enseignant, aide-soignant dans une clinique psychiatrique.

Depuis 1990, il est écrivain à plein temps. Sa propre expérience nourrit son roman à succès Les vainqueurs de 1991, autour de ce que l'on appelle en Norvège "le grand voyage de classe" : à travers l'histoire d'une famille simple sur deux générations, il décrit comment les habitants de la Norvège sont passés en 80 ans, des conditions contraignantes héritées de la société agraire à une éducation post-industrielle de haute technologie, une société de bien-être offrant de nombreux choix, et aussi, pour beaucoup, à une nouvelle identité.

Aujourd'hui, Jacobsen et sa femme d'origine belge, Anneliese Pitz, professeure d'université, linguiste qui parle couramment huit langues, vivent à Oslo, passant plusieurs mois de l'année en dehors de la ville sur un terre qui faisait autrefois partie de la ferme du grand-père de Jacobsen. Coucou Voix au chapitre, c'est nous !

Pour être dans l'ambiance, visionner => "En Norvège, Roy Jacobsen raconte les paysans-pêcheurs", Invitation au voyage, Arte, 2024, 14 min.

• Entretiens

- "From Norse sagas to family sagas — Roy Jacobsen crafts a moving tale of life on a Norwegian island", propos recueillis par Eleanor Wachtel, Radio-Canada, 26 novembre 2021. Extrait :

À l'automne 1944, la Norvège était occupée par les Allemands. Ils combattaient les Russes dans la partie nord du pays. Ils étaient sur le point d'évacuer ce front après la Normandie, après que les Russes se sont déplacés vers Berlin.
Ils étaient sur le point d'évacuer tout le matériel militaire du port du nord de la Norvège, y compris le
MS Rigel, un cuirassé qui transportait des prisonniers de guerre russes. Au cours de cette évacuation, les Britanniques ont réussi, par accident, à bombarder les Allemands, y compris le Rigel.
Cela s'est produit près de l'endroit que je décris dans Mer Blanche. C'était en fait le troisième plus grand naufrage de l'histoire de l'humanité. Il était deux fois plus mortel que le
Titanic. Tout le monde a entendu parler du Titanic, mais personne n'a entendu parler du Rigel.
Pourquoi ? C'est une autre histoire invisible, jamais racontée. J'adore les histoires jamais racontées. J'aime les points blancs sur la carte. J'aime les colorier.
J'ai déterré cette histoire et j'ai construit dessus des épisodes qui se sont déroulés sur la côte cette terrible nuit de novembre 1944. Certains prisonniers de guerre russes ont réussi à échapper au naufrage en flammes et se sont sauvés sur certaines de ces îles.

- Entretien détaillé détaillé à la sortie en Angleterre des Yeux de Rigel, le troisième livre de la trilogie : "NA Meets: Roy Jacobsen, novelist", Boyd Tonkin, Royal Norwegian Embassy in the UK, 7 octobre 2020. Extraits :

Ces romans ne sont pas seulement le portrait d’une personne, mais d’un lieu. Pourquoi les îles et leurs habitants vous fascinent-ils autant ?

Je suis né dans cet endroit. C'est un endroit très isolé et exotique, mais aussi très inspirant. Pendant mille ans, la plus grande partie des revenus de la Norvège provenait de ces îles. Ce n'est plus une idée reçue aujourd'hui. Pendant mille ans, l'épine dorsale de l'économie norvégienne provenait de cet archipel, que je connais par cœur. J'ai été très heureux d'avoir l'occasion de partager une histoire qui n'était pas de notoriété publique et d'utiliser mon expérience personnelle dans les livres.

Quelle place occupe le naufrage du Rigel dans l'histoire de la guerre en Norvège ?

Ça n'y rentre pas. C'est totalement oublié, malgré le fait que plus de 2 400 prisonniers de guerre innocents ont été tués par accident par les Britanniques [le Rigel a été identifié par erreur comme un navire de transport de troupes allemand]. Après une guerre, on commence à réécrire l'histoire : c'est une catastrophe oubliée. Quand j'étais enfant, je pouvais voir l'épave se dresser comme un monument. Ce qui m'a poussé à faire venir Alex, c'est le destin des Russes : 110 000 prisonniers russes ont construit l'infrastructure de la partie nord de la Norvège. Mais ce n'était plus très sexy après la guerre – tout d'un coup, les Russes étaient à nouveau nos ennemis.

Le voyage d’Ingrid est à la fois réaliste et mythique, comme dans les sagas. Ces formes les plus anciennes de narration nordique ont-elles encore une influence sur votre façon d’écrire ?

Mon réalisme n'est pas si pur. Bien sûr, je suis influencé par les sagas, mais le roman a aussi un aspect biblique : une mère se promène avec son enfant. Voler ou emprunter un thème biblique mais le remplir de la manière la plus réaliste possible : je trouve cela très intéressant. Pour survivre, le réalisme doit s'inspirer d'autres types d'écriture. Je m'inspire aussi de l'Ancien Testament et des mythes hindous.

- Interview par sms sur Bookgroup.info, 5 juillet 2011. Extraits :

[À propos des écrivains scandinaves] Il y a une certaine intensité dans leurs histoires et leur langage qu’ils (et vous-même) ont en commun et qui rend leur travail (et le vôtre) très puissant. Attribueriez-vous cela en partie à la géographie et au climat de ces pays nordiques ou est-ce davantage une question de culture ?

Je suis probablement le dernier à avoir une opinion tranchée sur ce qui fait que les auteurs scandinaves sont scandinaves, étant moi-même l’un d’eux. La langue vient normalement de la langue (culture), mais historiquement, l’influence de la nature sur la culture est probablement plus forte ici, dans le nord, qu’ailleurs en Europe – c’est moins urbain et nous sommes aussi exposés à un climat plus rude. Je ne connais aucun autre pays où les prévisions météorologiques sont plus intéressantes que le sexe. Notre fierté nationale, nos symboles, nos rêves, nos chansons, nos traditions de travail – et aussi nos sentiments – contiennent, dans une large mesure, des références à la nature ou plus précisément à l’idée de l’homme contre la nature. Je suppose que nous avons tendance à voir la nature comme une amante intéressante, immensément belle mais aussi très exigeante, compliquée et pas toujours digne de confiance. Personnellement, je trouve non seulement de l’inspiration – un mot douteux d’ailleurs – dans la nature, mais aussi de la paix et des défis, car je passe (travaille) plus de 50 % de mon temps dans les forêts du sud de la Norvège ou sur une île au nord (d’où je vous écris actuellement cette réponse).

Pouvez-vous nous parler un peu de vos influences littéraires ?

Mes influences sont avant tout ma propre vie, ma famille et mes amis. Mais j'aime tout lire, des sagas islandaises à José Saramago, Cormac McCarty, Günter Grass (ses premières œuvres), Tolstoï, Conrad, Dag Solstad et Knut Hamsun, le vieux fasciste qui est encore le grand maître et l'inventeur de la langue norvégienne moderne, curieusement.

Avez-vous une tradition de groupes de lecture en Norvège ?

Je ne sais pas comment vous définissez le terme "groupe de lecture", mais nous avons certainement des groupes de lecture. Ils comptent généralement entre dix et quinze lecteurs, mais il existe trois groupes de lecture assez célèbres, réservés aux femmes – comptant environ 300 membres – qui ont commencé il y a un siècle comme organisation de libération des femmes et qui sont toujours très actifs.

• Articles

Quelques réactions de la presse francophone :

- "Les Yeux du Rigel, l’odyssée norvégienne", Virginie Bloch-Lainé, Libération, 4 avril 2021.

- "Les Yeux du Rigel, de Roy Jacobsen", Elena Balzamo, Le Monde, 15 avril 2021.

- "Les Yeux du Rigel", L'Express, 2021.

- "Les Yeux du Rigel : brouillard de l'après-guerre", Christian Desmeules, Le Devoir (Québec), 19 juin 2021.

• Le traducteur et l'auteur

- Le traducteur

Alain Gnaedig a traduit tous les livres de Jacobsen.
Il a
traduit plus de 150 livres du suédois, du danois, du norvégien et de l'anglais. Sa formation =>ici.
Il a également publié trois romans : Opus incertum, L'Homme armé et Le Pays de l'horizon lointain, un récit, Le Grand Chemin nantais, et un documentaire pour la jeunesse, Anders à Stockholm.
Il est aussi éditeur, en charge du domaine scandinave pour la collection "Du Monde Entier" chez Gallimard.

- L'auteur et les traducteurs

Quel est votre rapport avec vos œuvres dans d’autres langues ?

C'est assez intime. J'ai de bons contacts avec presque tous les traducteurs. Je pense que c'est devenu très courant pour tous les écrivains, nous sommes en ligne, si le traducteur tombe sur quelque chose qu'il ne comprend pas, il écrit et pose des questions, bien sûr. Mais après quatre ou cinq e-mails et lignes de questions identiques, j'ai commencé à établir une liste de mots étranges dans mon livre parce qu'ils sont archaïques ou qu'ils appartiennent à un dialecte spécial qui est exotique même pour les Norvégiens d'aujourd'hui. J'ai donc maintenant une liste de 300 mots que j'envoie à chaque traducteur. Et c'est très intéressant de voir qu'ils parviennent à trouver des liens maritimes dans presque toutes les langues. Je pense que Vera [Vera-Ágnes Pap, la traductrice hongroise] a fait du très bon travail, même si je ne peux pas vraiment le juger. Elle est allée dans le nord de la Norvège sur un bateau de pêche, et elle a parlé aux gens, elle a entendu leurs langues. Elle a aussi un ami ici en Hongrie qui est linguiste et aussi pêcheur au lac Balaton. Ils ont donc réussi à mettre en commun la terminologie. ("Nostalgia's a scar that's good to scratch", propos recueillis par Gergo Melhardt, Hungarian Literature Online, 9 novembre 2018).

• Auteurs "nordiques" lus dans le groupe

Les voici, au Nord de la France, de plus en plus au Nord, et avec le lien sur l'auteur lu quand nous avions déjà ce site.
Sur la vingtaine d'auteurs nordiques lus dans le groupe, avec Jacobsen, nous avons découvert 6 auteurs norvégiens au fil de 30 ans de lectures : en 1994, 2000, 2013, 2016, 2022 et 2024.
Si Ibsen, Hamsun et Vesaas sont morts, Jabobsen sera notre troisième Norvégien vivant, avec Petterson et Wassmo.

Pays-Bas
- Anna Enquist
- Cees Nooteboom

Danemark
- Hans Christian Andersen
- Karen Blixen
- Peter Høeg
- Søren Kierkegaard
- Jorn Riel

Suède
- Ingmar Bergman
- Stig Dagerman
- Per Olov Enquist
- Eyvind Johnson
- Selma Lagerlöf
- Henning Mankell

Islande
- Auður Ava Ólafsdóttir
- Jón Kalman Stefánsson

Finlande
- Sofi Oksanen
- Arto Paasilinna

Norvège
- Knut Hamsun
- Henrik Ibsen
- Per Petterson
- Tarjei Vesaas
- Herbjørg Wassmo


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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