Effi Briest, trad. de l'allemand André Cœuroy, Imaginaire Gallimard, première parution en 1989,350 p.

Quatrième de couverture :

Fille d’aristocrates berlinois, Effi Briest est mariée à l’âge de dix-sept ans au baron Geert von Innstetten, un politicien de quarante ans. Deux mondes différents se rencontrent alors, une jeune femme enthousiaste et insouciante face à un baron froid et distant.
Emprisonnée dans un mariage malheureux, isolée du monde, brimée par une société conservatrice, Effi entame une relation aussi passionnée que secrète avec un militaire.
À la manière d’une Anna Karénine ou d’une Emma Bovary, l’héroïne se précipite vers son destin tragique, en refusant de se soumettre et d’abandonner sa liberté émotionnelle, sexuelle et même politique.

Dernier roman de l’écrivain allemand Theodor Fontane, Effi Briest est l’un des chefs-d’œuvre de l’école réaliste allemande.

Effi Briest, Imaginaire Gallimard, 2007 : réédité en tirage limité à l’occasion des trente ans de la collection L’Imaginaire, le roman de Theodor Fontane est accompagné ici d’un DVD du film Effi Briest de R. W. Fassbinder. Adaptation fidèle du roman, Effi Briest appartient désormais aux grands films classiques consacrés aux destins de femmes.
Axée sur les thèmes de la peur et de la soumission, c’est une œuvre mélodramatique, passionnée et flamboyante.


Effi Briest, trad. André Cœuroy, Gallimard, coll. L'Etrangère, 1989


Effi Briest
, trad. André Cœuroy, Gallimard, coll. Les Presses d'aujourd'hui, 1981


Effi Briest, trad. Pierre Villain, avec Errements et tourments, trad. Georges Pauline,
Jours disparus, trad. Jacques Peyraube
Frau Jenny Treibel, trad. Michel-François Demet, édition dirigée par Michel-François Demet, préface de Claude David suivie de l’essai "Le vieux Fontane" de Thomas Mann, Laffont, coll. Bouquins, 1981, 912 p.

Une des éditions allemandes (Surhkampf) :

Theodor Fontane (1819-1898)
Effi Briest (publication en 1896, traduction en 1902)
Nous avons lu ce livre pour le 4 octobre 2024.
Nous avons pu visionner
Effi Briest de Rainer Werner Fassbinder (1974), avec Hanna Schygulla.
Doc en bas de page : Le point sur Theodor Fontane et son parcours
La publication d'Effi Briest
La traduction et la réception en France d'Effi BriestLes publications de Fontane en françaisEffi Briest, c'est une histoire vraie. On s'en fiche ?Effi Briest, c'est la Bovary allemande ?... Que vient faire Beckett à propos d'Effi Briest ? Effi Briest au cinéma

Nos 17 cotes d'amour + celle de Thomas Mann...
 Clarisse Françoise Jérémy
Renée
Sabine RozennThomas Mann
Presque Catherine
Annick ABrigitteClaire 
Danièle EtienneFanny
Monique L 
Richard
Thomas
Jacqueline

Danièle(avis transmis)
Voilà une histoire triste et émouvante, remplie de non-dits.
En fait, Effi est un personnage de caractère heureux, qui a cependant mené une vie triste : jeune personne jo
yeuse et volontaire, elle épouse quelqu'un qu'on lui impose. Elle s'adapte du mieux qu'elle peut, mais s'ennuie. Une liaison clandestine la rend heureuse quelque temps (du moins on le suppose, car le texte est tout en allusions, ce qui fait son charme), mais son sens du devoir et les normes strictes de l'époque la dissuadent de continuer cette idylle. Elle s'adapte de nouveau et, pas de chance, cette aventure est découverte par son mari des années après, ce qui lui impose, pense-t-il de défendre son honneur par un duel. Mort de l'amant. Effi est exclue de tous les cercles dont elle faisait partie, y compris et surtout par ses parents (d'où la nostalgie d'une vie heureuse ou qui aurait pu être heureuse). Sentiment de culpabilité exacerbée. Mort lente.
Le lecteur d'aujourd'hui enrage de sentir le poids des convenances, de la religion, de la hiérarchie et de la place des femmes dans cette société. L'histoire pourrait être taxée de naturalisme, pourquoi pas du Zola.
Mais d'où vient aussi qu'il se prend à s'identifier à Effi ou du moins à comprendre et ressentir tous les sentiments par lesquels elle passe ? Et là, nous sommes chez Madame Bovary.
Mais c'est autre chose encore. D'où vient cette légèreté, cette fragilité, que l'on ressent tout le long ? L'histoire est finement racontée et enrobée de mystère ou plutôt de non-dit. On comprend à demi-mot la liaison entre le commandant Campras et Effi. La scène du cabriolet est exquise. L'évanouissement laisse la place à l'imagination, le subconscient refoule ce que la morale interdit, d'où l'évanouissement. Elle n'a pas à régler le problème. Tout est en allusions et le terme de "faute", qui revient de plus en plus souvent dans le récit, est la clé du problème d'Effi.
Mais Theodore Fontane prend ses distances par rapport à ce monde et la société de son époque. La fin est ouverte : à qui revient finalement cette fameuse faute ? À Effi ? Aux parents ? À Innstetten ? À la société alors ?
Je me suis laissé porter par l'exotisme de cette ambiance provinciale, soumise à des règles intangibles mais dont on s'échappe malgré tout, avec tous les risques, y compris psychologiques, que cela comporte.
Je n'ai rien à reprocher de rédhibitoire à la traduction. Les phrases à rallonge en allemand sont traduites avec naturel. Au début j'ai trouvé les descriptions de paysages un peu longues et ennuyeuses, puis peu à peu j'ai trouvé qu'elles participaient à l'atmosphère ouatée de campagne provinciale qui imprègne le roman (très bien rendues dans le film), et dont Effi a besoin pour respirer.
C'est d'ailleurs le film de Fassbinder (1974, noir et blanc) qui a contribué à faire connaître Effi Briest en France, déjà au moins aux germanistes de cette époque. J'avais été très impressionnée par ce film aux tonalités nostalgiques tout en nuances de gris, et par sa capacité à rendre l'état d'esprit d'Effi Briest, incarnée par la belle Hanna Schygulla.
J'ai beaucoup aimé le roman, mais j'avais préféré le film, d'où mes ¾.
Renée (qui n'a pu relire le livre et être avec nous)
Je me souviens que Effi Briest avait suscité mon enthousiasme il y a pas mal d'années (20 ou 30)
Sabine(avis transmis)
J'ai découvert Theodor Fontane en préparant l'agrégation. Au programme de littérature générale et comparée de 2010 : "Destinées féminines dans le contexte du naturalisme européen" avec d'Emile Zola, Nana (1879), de Thomas Hardy, Tess d’Urberville (1891) et de Theodor Fontane, Effi Briest (1895).
Je sais que j'ai beaucoup aimé. Je n'ai pas retrouvé le livre chez moi. Fontane est l'équivalent de Flaubert chez nous.
Jacqueline(avis transmis)
Avec une certaine tendresse, l'auteur porte sur son héroïne un regard un peu amusé et distant… Cela apparaît souvent à travers les conversations qu'elle a avec ses compagnes, ou dans les propos de ses parents qui font un point intéressant au fur et à mesure du déroulement du récit… En général j'ai bien aimé cet art du dialogue.
Mais à part ça, peut-être à cause de ce sentiment de distance, je n'ai pas ressenti une grande empathie avec l'héroïne. À aucun moment, je n'ai eu l'impression que l'auteur aurait pu reprendre les mots de Flaubert et dire : "Effi Briest c'est moi".
Le côté feutré m'a un peu ennuyée, bien qu'il soit en harmonie avec une société bien-pensante où tout se joue par rapport à un code d'honneur et à une image de soi…
Grâce à une nièce en prépa scientifique, cet été, j'avais découvert Edith Wharton qui est à son programme avec Le Temps de l'innocence : c'est un livre à peu près contemporain d'Effi Briest, mais autrement plus incisif sur la haute société bien-pensante de New York !!
En lisant la discussion extraordinaire entre Innstetten et Wüllersdorf p. 273 à 275 : "L'homme n'est pas un isolé ; il appartient à un ensemble, et il faut constamment prende en considération cet ensemble, nous dépendons absolument de lui."), je pensais beaucoup au thème du programme de ma nièce "Individu et société"... Et après tout, toute la vie d'Effi donne à réfléchir sur ce thème…
Je n'ouvre qu'à moitié à cause de mon plaisir mitigé…

Claire
Contemporains ? Le Temps de l'innocence est publié en 1920 et Effi Briest en 1896.

Jacqueline
Peut-être que Une vie de Maupassant est plus contemporain (1883) : là, c'est le mari qui n'est pas fidèle ! Mais la comparaison entre ces deux jeunes femmes pourrait être intéressante.
Clarisse(avis transmis)
C'est une sorte de Madame Bovary à l'allemande, sauf que la trahison se résume à un baiser et des scènes non décrites. Je m'attendais à bien plus et pendant longtemps pensais qu'un second événement allait se produire, que Crampas allait rejoindre Effi à Berlin ou quelque chose du genre. Je cherchais la scène de calèche d'Emma Bovary. Au final, le couple se sépare et ne se reverront jamais. Jusqu'aux dernières pages, je pensais que son mari allait se rendre compte de son amour pour elle et lui pardonnerait ! Cela aurait été la fin parfaite. La mort en revanche est une piètre fin.
Que voulait dire l'auteur ? Je refuse une lecture simpliste qui condamnerait l'adultère, je penche pour une critique de la société conservatrice, comme les parents qui pendant longtemps ne veulent plus fréquenter leur propre fille. La seule amie d'Effi est Roswitha qui l'accompagne jusqu'à la fin, malgré le rejet qu'elle subit. Le seul personnage touchant de mon point de vue.
Même si les dialogues pompeux de l'aristocratie allemande ont pu me lasser, j'ai aimé la description de l'ascension sociale et la chute brutale d'Effi Briest. Là où Emma est nommée par son nom d'épouse, Effi gardera son nom de jeune fille.
Françoise
(avis transmis)
J'ai tout aimé dans ce livre, le récit, l'écriture (malgré quelques maladresses de traduction, peut-être, mais pas sûr), la description de cette société et cependant l'absence de stéréotypes.
Les parents, le mari d'Effi ne sont pas caricaturaux, au contraire, on pourrait les dire "libéraux" dans le contexte de cette époque.
Je ne suis pas d'accord sur la comparaison avec Emma Bovary. Ok c'est une histoire d'adultère comme beaucoup d'autres dans la littérature, mais pour moi l'analogie s'arrête là (et même s'il y a un pharmacien dans l'histoire lol). Effi n'est pas Emma, Innstetten n'est pas Charles, etc. J'y verrai un seul point commun : elles ne sont pas très maternelles.
J'ai plutôt pensé à Middlemarch et Les Buddenbrook pour le côté hanséatique.
En fait, la liaison Effi-Campras est à peine suggérée, seules les inquiétudes de la jeune femme transparaissent sous la forme de sa peur des fantômes et de Mme Kruze et sa poule noire.
On n'est véritablement éclairés qu'au moment de la découverte des lettres par Innstetten (mais pourquoi les a-t-elle gardées bon sang ?). J'ai trouvé tous les personnages très présents, sauf Crampas, qui semble falot, surtout vu par les yeux du mari — parti pris de Fontane sans doute. Le père d'Effi est un caractère très intéressant, il y a la façade sociale, et l'homme très sensible et clairvoyant. Le mari se résout au duel - où là on voit le poids social - mais dans la souffrance. Et presque tous les personnages sont positifs, avec juste un contre-exemple : cette vieille fille qui critique tout et tous (Sidonie) et qui fait plutôt sourire.
J'ai été très émue par la fin d'Effi, sans doute mon côté midinette.
J'en ai retiré un grand plaisir de lecture. C'est pourquoi j'ouvre en grand.

Thomas(avis transmis)
Pour ce qui est d'Effi Briest, je ne serai malheureusement pas des vôtres ce vendredi, pour cause d'escapade toulousaine (dont la gastronomie m
e paraît supérieure à celle de nos cousins outre-Rhin !), mais cette fois, j'ai lu - et aimé ! - l'ouvrage au programme, et voici donc mon avis.
Pendant longtemps je me suis demandé où l'auteur voulait en venir. Je me suis senti coincé entre une version raccourcie et édulcorée de Madame Bovary (oui, je sais, aucune originalité ici !), et une tentative de roman gothique qui n'arrive pas tout à fait à faire peur, un peu comme le Rebecca de Daphné du Maurier, mais en moins bien.
Au bout de quelques centaines de pages, les fantômes et autres ectoplasmes disparaissent pour de bon, me laissant l'étrange impression d'une piste pas explorée jusqu'au bout. Il ne nous restait alors plus que la pauvre Effi Briest, dont je peinais à saisir les réelles motivations et envies - même si on comprend qu'elle s'ennuie assez ferme - et cette aventure esquissée de très loin avec Crampas.
La lecture n'était pas désagréable, mais j'étais content d'en voir le bout, quand les dernières pages m'ont fait changer d'avis et - dois-je l'avouer en si bonne compagnie ? sans doute Geert désapprouverait-il... - m'ont même arraché quelques larmes ! L'humanité des parents d'Effi qui finissent par préférer l'amour de leur fille aux conventions, et les réflexions finales de Geert sur l'inutilité des honneurs sauvent, pour moi, un roman qui me paraissait un peu terne jusqu'alors. (Même si la ficelle de la mort par mélancolie m'a paru un peu grosse... mais peut-être que je paye mon inculture médicale ?) Cela m'a un peu rappelé l'excellent A room with a view (oui, je sais, je poursuis mon lobbying !) pour sa dénonciation des mœurs rigoristes de l'époque, notamment en ce qui concernait les femmes. J'ouvre aux ¾ !
(Commentaires sur le fait que l'avis de Thomas est plutôt négatif, mais il ouvre aux ¾ - contraste qui n'est pas si rare...)
Monique L(en direct comme pour les avis suivants)
L'intrigue de ce roman est assez banale, mais son rythme lent a eu sur moi un effet hypnotique.
Le sujet du roman, la dénonciation de l'hypocrisie de la noblesse prussienne de l'époque est traitée avec pudeur.
Tous les personnages agissent selon les règles de la société et la place qu'ils estiment avoir à y tenir. Aucun personnage n'agit véritablement par passion (pas même Effi lorsqu'elle trompe son mari).
Ce qui m'a marquée, ce sont les non-dits et la légèreté malgré la gravité du thème. L'auteur décrit de façon indirecte les événements plus qu'il ne les raconte. Tout est suggéré. Aucune scène intime n'est relatée, on comprend qu'Effi va rejoindre son amant car elle s'absente chaque après-midi.
C'est cet ensemble de caractéristiques qui font pour moi le charme et l'intérêt de ce roman.
Les personnages sont complexes et profonds, et construits par petites touches successives. Effi est décrite avec beaucoup de tendresse. J'ai apprécié l'apparition de la cantatrice qui vit des amours interdites et mène une carrière de chanteuse lyrique.
Les positions des uns et des autres sont bien décrites sans les simplifier, comme par exemple les réflexions et les doutes de Innstetten sur son devoir de venger un affront vieux de 6 ans. Un passage est déchirant lorsque Effi s'aperçoit qu'Annie, à 10 ans, est aussi froide que son père et qu'elle a subi une sorte de dressage. C'est très mélancolique et le personnage d'Effi, qui se distingue au début du roman par sa jeunesse et sa vitalité, y sombre sous nos yeux.

Un autre charme pour moi a été le contraste entre le discours lisse et mondain des protagonistes et les tensions sous-jacentes.
Et c'est très bien écrit.
Le récit met, à mon sens, beaucoup trop de temps à se mettre en place. C'est à plus des trois quarts du livre que cela devient vraiment intéressant avec le questionnement des personnages.
J'ouvrais d'abord à ½, puis, après la séance, j'ai trouvé que le livre mérite bien les Après réflexions le livre mérite bien les ¾ quand je le compare à d'autres auxquels j'ai attribué cette cote d'amour.
Fanny

Je rebondis sur ce qu'a dit Monique, dans le sens où si je n'ai trouvé rien d'original, pour moi ça a marché, ça a fonctionné, et ce fut un vrai plaisir de lecture.
Au début, j'ai eu un peu d'ennui dans les mondanités où je ne voyais pas bien qui était qui - un ennui à l'image de celui d'Effi.
Il n'y a pas de passion ? Ça ne m'a pas frappée. J'ai trouvé ça authentique, réaliste, crédible.
On sait très vite qu'elle va mourir (mines protestataires). Bon, j'avais lu la 4e de couverture, mais il y a des indices. Par exemple le passage à la fin de sa grossesse dans lequel elle imagine être enterrée par le même pasteur qui l'a baptisée et mariée.
J'aimerais que Posy Simmonds l'adapte (mines approbatrices réjouies d'avance).
J'ai beaucoup aimé l'écriture, belle et parfois sobre. Dans la scène du duel, par exemple, où l'action en elle-même tient en une seule phrase, le procédé ajoute, je trouve, de l'intensité au récit.
J'ouvre aux ¾ : c'est une belle découverte, même si elle n'est pas surprenante.

Annick A

Dans ce livre, c'est un regard sévère que porte Fontane sur la société de l'époque. On y voit la domination des hommes, pour qui les femmes sont là pour être aimées, séduites et pour se soumettre. Effi à l'âge de 17 ans est livrée par ses parents à un homme de 23 ans de plus qu'elle, qui n'est pas un amant. C'est dit textuellement : "Innstetten était aimable et bon, mais ce n'était pas un amant" (p. 127). C'est un homme de principe, plein d'orgueil, et pour qui son honneur passe avant le bonheur de sa femme et le sien.
Dans ces conditions, Effi qui aime la vie ne peut s'en contenter et aura un amant, Campras, que son mari tuera en duel. Il chassera sa femme et montera sa fille Annie contre elle.
C'est toute la Prusse étriquée de l'époque qui se dévoile dans ce livre, dans ses principes d'honneur, à travers le destin tragique d'Effi. Même ses parents dans un premier temps la rejettent. "Pardonne-moi, ma petite Effi, de te dire cela, mais c'est toi qui étais la cause du malheur." Effi fit signe que oui, mais rajoute plus loin : "je me suis très sérieusement habituée à l'idée que c'était lui le coupable, parce qu'il avait toujours été si sec, si pondéré et finalement si cruel. Et des malédictions ne sont venus aux lèvres. " (p. 337)
J'aime dans ce livre les ellipses où l'adultère est juste évoqué, le contraste entre la légèreté de l'écriture et le contenu dramatique, et de beaux passages sur la nature.
Je l'ouvre aux ¾.

Rozenn
(à l'écran)
Un livre moins léger qu'il n'en a l'air. Tout y est effleuré, esquissé. Elliptique. Pas de vague… Pas de bruit… Même le duel est relativement light.
Mais en même temps tout est terrible. Certes de façon feutrée, étouffée, étouffante. Rien n'est explicite, mais on sait. On sait que l'héroïne n'est pas amoureuse. On sait qu'elle n'est pas, qu'elle ne sera pas, heureuse. La mère le sait. Ses parents le savent aussi. Mais entre eux ils ne parlent qu'à demi-mots.
Ce qui se passe entre les époux est à peine formulé. Le voyage de noces - il est vrai, tel que raconté par courrier aux parents - ressemble plutôt à des leçons d'histoire de l'art. Le mari prévoit d'ailleurs des révisions, en groupe.
Il est dit qu'il n'est pas un amant. Un enfant arrive quand même, dans les délais convenables, un seul. Tout est subtil. Nous ne sommes même pas encouragés à deviner. Pas de pistes pour imaginer. Seulement des indications sur la solitudes d'Effi, sur ses terreurs entretenues finement par un poisson empaillé, des pièces bruyantes, vides et venteuses, une tombe que le mari semble se plaire à rappeler, comme une menace liés à une histoire de "faute". Pédagogue, dit le futur amant, plutôt manipulateur !
Elle a quitté la demeure de ses parents - et ses jeux d'enfants avec la balançoire et avec ses amies - pour vivre dans une maison qu'elle ne peut pas investir. Elle ne peut même pas y jouer le rôle de maîtresse de maison. Même dans sa chambre, elle peine à rester seule. L'entourage est à peine esquissé - pour moi les paysages restent très irréels, dunes, mer, forêts. La ville autour est comme absente, soit vide, des façades, soit agitée d'étrangers. Seule vraie rencontre, le pharmacien et de façon éphémère la cantatrice, guère fréquentable.
Toute l'horreur formulée, c'est la nounou qui la porte. Horreur des conséquences du jugement d'autrui sur sa "faute".
De plaisir, il n'est pas question - même avec son amant - nous ne pouvons partager que son trouble. Malgré son désir de vie, de distractions. Seule lui est permise la réussite sociale, enfin celle du mari ambitieux, à laquelle elle adhère dès sa rencontre, il semble que ce soit lié à son éducation et à son désir de vie sociale, son souhait - encore non formulé d'échapper à ce qui semble être son destin. Prophétie autoréalisatrice d'un mari qui a voulu épouser une petite jeune fille et la maintenir dans cet état tout en devinant qu'elle y échapperait.
Aucune vie n'est heureuse. Toutes sont tragiquement gâchées, soumises. L'enfant est écrasée par son père. Et le mari lui-même est soumis aux convenances sociales. Seuls les parents à la fin consentent quand même à reprendre leur fille auprès d'eux.
Ce livre est très fort et terrible par son apparence même lisse et convenue. Tout tient dans son écriture et je serais curieuse d'en lire un autre du même auteur. Je l'ai lu avec plaisir … et révolte.
(Après la séance) Je l'ouvre finalement non pas aux ¾, mais en grand.
Jérémy (qui a proposé le livre)
Avant la lecture : J'étais tombé dessus à la Librairie Delamain, avec une notule qui a attiré mon attention. Danièle et Sabine ont encouragé la proposition, Etienne l'avait sur sa pile à lire.
Le livre est publié dans la collection Imaginaire Gallimard qui rend a priori intelligent et que je trouve si chic et élégante. De plus, je suis client de ce genre de livres, tant en raison de l'époque que du type d'histoire. Je l'ai donc abordé avec impatience.
Après la lecture : Il y a un côté page-turner, j'ai été tenu en haleine. C'est subtil et fait de petits pas grand-chose, mais l'auteur parvient à nous embarquer et l'on avance par sauts de puce en ayant toujours envie de savoir ce qui va bien pouvoir se passer ensuite. Lorsque j'étais arrivé au déménagement à Berlin, il me restait encore 80 pages à lire. Je savais, pour avoir lu la 4e de couverture que tout cela ne pouvait pas finir aussi bien, pourtant j'avais cru Effi sauvée, enfin éloignée de Crampas. Je me suis réellement demandé si elle n'allait pas rencontrer un autre homme, s'il n'allait pas se passer quelque chose avec le cousin Briest par exemple. Pour autant que cela intervienne alors qu'il ne restait que 80 pages me paraissait peu probable (trop long à développer). Quoi qu'il en soit, contrairement à Fanny, je n'ai pas pensé dès le départ, ni même rapidement, qu'Effi allait mourir, et ce alors que j'avais souligné un passage prémonitoire : "Hertha, voilà ton péché englouti, dit Effi. Cela me fait penser qu'autrefois de pauvres malheureuses ont été jetées ainsi d'une barque, pour cause d'infidélité naturellement" (p. 32).
Pendant assez longtemps je me suis même interrogé sur l'identité du personnage avec lequel elle allait "fauter". Crampas arrive relativement tard dans le récit, donc pendant un bon moment, j'ai bien cru que cela allait se produire avec le cousin Briest. Toutefois à l'arrivée de Crampas les choses sont relativement "claires" : c'est un homme à femmes, on se doute bien qu'il va la subvertir.
J'ai beaucoup aimé la description psychologique très fine des personnages, notamment celui d'Effi bien sûr. C'est un personnage complexe, nuancé, mouvant, voire paradoxal, difficile à saisir je trouve. Je pense que cela a trait à son âge : elle n'a que 16-17 ans. À cet âge, la personnalité n'est pas encore complètement formée et l'on se "cherche". La description qui en est faite ne la rend pas aimable au premier abord, j'ai appris à l'apprécier au fil du livre. C'est une jeune fille sportive, énergique, tout feu tout flammes, encore une enfant : jouant à cache-cache, faisant de la balançoire, etc. Mais elle aussi égocentrique et vaniteuse : "elle ne connaissait rien de plus beau par exemple que de recevoir beaucoup de lettres d'anniversaire. Il fallait que tout le monde lui écrivît ce jour-là. Si dans ces lettres elle rencontrait des tournures comme : "Gertrude et Clara se joignent à moi pour t'envoyer nos souhaits les plus cordiaux.", elle les réprouvait avec mépris ; pour rester ses amies, Gertrude et Clara devaient faire en sorte d'affranchir leurs lettres avec des timbres spéciaux et, comme son anniversaire tombait pendant les vacances, avec un timbre étranger, de Suisse ou de Carlsbad" (p. 39). Elle tient des propos un peu mesquins et peu amènes sur ses amies : "Je voudrais qu'elles se prennent un peu moins au sérieux et qu'elles songent un peu plus à moi. À la fin du compte elles resteront vieilles filles et c'est moi qui regretterai de les avoir pour amies" (p. 46). Elle est également matérialiste, superficielle et capricieuse : "…eh bien ce serait un paravent japonais noir avec des oiseaux d'or ayant tous un long bec de grue… Et peut-être aussi une lampe pour notre chambre à coucher avec un abat-jour rouge" (p. 48). En ce sens elle m'a un peu fait penser au personnage de Rosamond Vincy dans
Middlemarch, cette petite pimbêche si imbue d'elle-même. D'ailleurs à un moment Effi dit à sa mère que l'une de ses tantes l'a traitée de pimbêche. Pour autant, si Effi peut sembler un peu écervelée, elle est aussi une jeune femme ambitieuse, qui veut progresser dans la société dans laquelle elle occupe déjà une place enviée ; elle affirme ainsi à sa mère : "D'abord il y a l'amour mais, tout de suite après, la gloire et les honneurs, ensuite les distractions - toujours quelque chose de nouveau, qui me fasse rire ou pleurer. Ce que je ne puis supporter, c'est l'ennui" (p. 51). Effi a besoin de VIVRE, c'est un personnage exalté, fougueux, à la recherche du frisson de la vie : "J'aime mieux grimper aux arbres et me balancer, j'aime encore plus avoir peur que ça craque ou que ça casse et risquer de tomber par terre" (p. 53). C'est pour cela que son mariage avec Geert est d'emblée voué à l'échec. Effi sort à peine de l'adolescence. Ce dont elle aurait besoin c'est d'un grand amour, d'une passion dévorante qui lui permettrait de canaliser toute l'énergie dont elle regorge. Au lieu de cela, son mari est un homme sensiblement plus âgé qu'elle, un homme mature, sage, pondéré. Un homme bon et tendre, un bon époux mais pas un amant. Ainsi : "Innstetten était aimable et bon, mais ce n'était pas un amant." Il me fait un peu penser à Casabon par son aspect un peu solennel et surtout, pontifiant, "pédagogue" comme dit Crampas. Par exemple lors du voyage de noces. Ou lorsqu'en hiver il propose d'organiser des soirées à "réviser" ce qu'ils ont appris lors de leurs visites, de manière à ce qu'ils puissent en retenir quelque chose, au grand désespoir d'Effi qui souhaiterait un divertissement plus léger pour égayer ses longues soirées d'hiver (p. 127).
Le personnage d'Innstetten est intéressant et attachant également. Je vous ai trouvé très sévères avec lui. Je pense sincèrement que c'est globalement un bon mari : il est tendre, à l'écoute, il discute avec sa femme, essaie de l'élever culturellement, écoute son point de vue, est prévenant à son égard, lui demande ce qu'elle souhaite et essaie de lui faire plaisir. Même si cela n'est pas dit explicitement, il n'y a aucune trace de grivoiserie de sa part envers d'autres femmes, et il peut encore moins être soupçonné d'être porté sur la boisson. Bref, pour l'époque, je pense qu'il fait vraiment partie de la "crème de la crème". Bien sûr, il trouve sa femme enfant et la gronde un peu pour l'histoire du fantôme, mais cela ne va pas très loin, et on ne peut pas dire qu'il soit réellement "dur" avec elle. Il fait même preuve de bonté, voire d'aveuglement lorsqu'il a des soupçons mais choisit de faire confiance à sa femme. Ainsi : "Mais il avait assez vécu pour savoir que tous les signes sont trompeurs et que notre jalousie aux cent yeux nous induit plus souvent en erreur que la cécité de notre confiance" (p. 217). Je trouve ce personnage très touchant. Il est parfaitement conscient que son destin, que son choix ne lui appartiennent pas mais qu'en tant qu'appartenant à la société, il doit se plier à ses règles, à ses principes, à ses valeurs d'honneur sans quoi "la société nous mépriserait, et nous nous mépriserions nous-mêmes" (p. 275). La mère d'Effi ne fait pas un autre constat lorsqu'elle dit : "Mais on n'est pas au monde pour être faible et tendre, ni pour traiter avec indulgence ce qui ne respecte pas la loi morale, ce qui tombe sous le jugement des hommes, un jugement qui, provisoirement du moins, a pour lui la justice." Sa détresse et sa tristesse sont profondes et sont d'autant plus touchantes qu'il est parfaitement lucide sur sa situation, il sait que sa vie est finie et gâchée, tout autant que celle d'Effi en définitive : "Quand il eut fini de la lire, il se passa la main sur le front et ressentit douloureusement qu'il existe un bonheur, qu'il l'avait possédé, mais qu'il ne l'avait plus et ne l'aurait plus jamais" (p. 328).
Le livre est également très bien écrit, certains passages sont très beaux et émouvants. Comme lorsqu'Effi est sur le point de mourir et qu'elle use du parallèle avec ce personnage de roman ayant quitté une tablée et auquel l'on répond, lorsqu'il demande le lendemain ce qui s'est passé après son départ : "Bien des choses, mais vous n'avez rien perdu" (p. 336).
Finalement, Effi et Geert sont tous les deux les victimes de la société, de leur époque, de ses valeurs, de ses principes, d'un mariage arrangé parfaitement accordé sur le papier, mais stérile d'amour. Ce roman signe selon moi le triomphe de la société sur les individus qui n'existent peut-être pas encore.
Je l'ouvre en grand.

Brigitte
(à l'écran)
Depuis longtemps, j'avais entendu parler de Fontane, comme un romancier allemand majeur (à l'occasion d'un voyage en Allemagne). J'avais l'intention de lire une de ses œuvres, mais l'occasion ne s'était jamais présentée, jusqu'à maintenant.
C'est l'histoire d'un adultère entre Effi Briest et le commandant Crampas. Entre eux, il n'y a pas d'amour. Effi est contente que les circonstances lui permettent de mettre facilement fin à cette aventure, qui n'entraîne aucune conséquence négative pour elle dans la société conservatrice à laquelle elle appartient.
Toute la qualité du livre est dans l'art du romancier. Comme Geert le mari, le lecteur devine, sans jamais en être sûr, le déroulement de l'intrigue.
Quand, par hasard, longtemps après, l'affaire éclate au grand jour, nous découvrons comment cette société, si figée, commence tout doucement à évoluer vers un comportement moins dur et plus moderne, comme en témoignent : la conversation sur l'honneur entre Innstetten et Wüllersdorff (son témoin), ou l'évolution des parents d'Effi, qui finalement décident de l'accueillir à Hohen-Cremmen, ou encore les réflexions d'Effi sur la possibilité, ou plutôt l'impossibilité, pour elle de travailler auprès de jeunes enfants.
Si Effi, frappée par l'exclusion sociale, se laisse mourir peu à peu, Roswitha, frappée par le même type d'exclusion, trouve l'énergie de rebondir et de vivre.
J'admire la finesse de l'attention portée aux personnages secondaires, en particulier aux vieux médecins de famille, particulièrement mystérieux, qui se prononcent comme des oracles. Je regrette cependant que l'auteur n'ait pas fouillé un peu plus le personnage d'Annie. Serait-elle appelée à devenir une nouvelle Sidonie ?
J'ouvre aux
¾.
Catherine, presque

J'ai beaucoup aimé. Je ne connaissais pas Théodor Fontane, même pas de nom. Je l'ai lu cet été et relu en partie ces derniers jours, et j'avais gardé un souvenir assez clair du livre, au moins de l'histoire.
C'est le portrait d'une très jeune femme à la fin du 19e siècle, prisonnière de la société prussienne de l'époque, que l'on marie à 17 ans avec un homme de plus du double de son âge, et qui, poussée par l'ennui et la solitude, commet un adultère. C'est un thème très classique de la littérature, mais à partir d'un thème classique, Fontane a écrit un roman original.
J'ai beaucoup apprécié le début : la description de la maison, dans la campagne, la nature, Effi et ses amies qui jouent à chat comme des gamines qu'elles sont. Et puis, en trois pages, le roman bascule, Effi est fiancée.
C'est une victime consentante, à aucun moment elle ne se révolte, elle est même plutôt satisfaite de cette demande faite par un baron, un Landrat, car elle va s'élever dans la société. Il s'avère que c'est un ancien amour de sa mère, ce qui semble plutôt malsain ; cela ne paraît gêner personne. Effi est ambitieuse, elle le répète à plusieurs reprises au cours du livre, et son ambition passe obligatoirement par la carrière et le prestige de son mari. Ça n'est pas une histoire dramatique, tout au moins au début, Innstetten est plutôt gentil, attentionné, mais il l'assomme de visites de musées pendant leur voyage de noces, elle ne l'aime pas, il lui fait même un peu peur. Dès le début de leur relation, elle insiste sur le fait que c'est un homme de principes contrairement à elle. La nuit de noces est passée sous silence, il y a néanmoins des moments de tendresse. Avec l'irruption des fantômes, assez inattendue, l'atmosphère se tend. On finit par comprendre qu'Innstetten utilise cette peur des fantômes pour contrôler sa femme, ce qui rend son personnage plus sombre, cela est suggéré, jamais clairement explicité. L'ensemble du roman est d'ailleurs fait de non-dits ; il y a une atmosphère, des personnages, des situations et le lecteur en déduit ce qu'il veut, il peut laisser libre cours à son imagination. C'est une des qualités du roman pour moi. De même, on comprend qu'Effi a une liaison avec le major Campras, mais il y a aucune scène d'amour explicite. Elle ne semble même pas l'aimer
vraiment non plus ; d'ailleurs, il n'y a pas de passion entre eux.
En revanche, elle est tourmentée par sa conscience et la "faute" qu'elle a commise. Le départ pour Berlin est donc un soulagement, cette histoire s'éloigne et elle mène une vie presque heureuse. Et de nouveau, le roman bascule. Il y a une vraie tension dramatique tout au long de l'histoire. Innstetten découvre que sa femme l'a trompée par hasard. Et on assiste à une scène marquante du roman : la discussion entre Innstetten et
Wüllersdorff sur ce qu'il convient de faire face à cet adultère. J'ai trouvé cette scène incroyable. Innstetten prend la décision, alors que son ami tente de l'en dissuader, de bannir sa femme, de la séparer définitivement de sa fille et de se battre en duel avec son amant, alors qu'il aime sa femme, que l'adultère date de 6 ans et que personne n'est au courant. Cette décision est prise uniquement en raison des conventions de la société. Fontane nous fait prendre conscience de la violence de cette société prussienne et de sa rigidité. Les parents d'Effi renient également leur fille pour garder leur place dans le monde.
Effi, de même qu'elle a accepté son mariage, accepte sa situation. La société considère qu'elle seule est coupable, personne ne le remet en cause. Effi ne se révoltera que lorsqu'elle s'apercevra que son mari, qui a semblé être plus humain puisqu'il l'a autorisée à voir sa fille, l'a dressée contre elle. J'ai trouvé l'analyse psychologique des personnages très subtile.
Il y a aussi toute une galerie de personnages secondaires formidables : le pharmacien, la nounou, Johanna, plutôt sympa dans le livre, glaçante dans le film. C'est aussi un personnage complexe. Il y a une rivalité entre elle et Roswita ; une fois Effi bannie et Roswita partie, elle pense avoir une relation privilégiée avec Innstetten. Le médecin est aussi un beau personnage, empathique, bienveillant, qui comprend la situation dans laquelle se trouve Effi tout au long de son suivi.
J'ai été très contrariée de voir qu'à la fin du roman, Effi, alors qu'elle va mourir, se sent à nouveau coupable et dédouane son mari.
Mais l'ensemble est très réussi, j'ai beaucoup apprécié l'écriture. J'ouvre presque en grand. C'est un excellent livre... c'est un grand livre.
Claire
J'ai cet été lu Avec vue sur l'Arno de Forster qu'avait chaudement recommandé Thomas et dont il reparle dans son avis - et c'est vrai qu'on peut faire le rapprochement -, conquise avant d'ouvrir le livre du fait que Forster faisait partie du groupe de Bloomsbury : hélas j'ai vraiment été déçue, et déçue de ne pas aimer.

Richard
Ah moi, j'ai bien aimé.

Catherine
Peut-être un livre pour le groupe lecture alors...
Claire
Dans Effi Briest, j'ai aimé
l'humour ; pendant le mariage, la mère d'Effi réprimande son mari : "Vas-tu te tenir, Briest ? lui souffla sa femme sur un ton assez sérieux. Tu n'es pas ici pour raconter des histoires à double entente, mais pour faire les honneurs de la maison. Nous sommes à un mariage et non à une partie de chasse." À quoi Briest répondit qu'il y n'y voyait pas grande différence." Rien que ce dialogue montre les fortes personnalités, non banales. Tous les personnages ont du relief.
J'ai été épatée par le contraste entre l'art de l'ellipse (en particulier rien n'est dit sur la liaison) et la profusion des discours argumentés. Par exemple, à propos de sa peur dans la maison, à son mari : "J'ai beaucoup souffert, vraiment beaucoup, et quand je t'ai vu, j'ai pensé que j'allais être délivrée de ma terreur. Mais tu m'as dit seulement que tu n'avais pas envie d'être ridicule aux yeux du prince et de toute la ville. C'est une maigre consolation. Je la trouve d'autant plus maigre que finalement tu te contredis non seulement en paraissant personnellement croire à ces possibilités, mais encore en exigeant de moi que je sois fière d'un 'fantôme à nobles'. Eh bien, je n'ai pas cette fierté-là."
J'ai admiré l'alternance de récit, de lettres, de dialogues très nombreux et l'art de susciter une tension due aux non-dits, aux mystères (fantôme), aux événements (duel). J'ai remarqué un monologue intérieur du baron (p. 283-284) - moderne, non ? - l'interpellation du personnage par le narrateur ("Pauvre Effi, trop longtemps tu as contemplé"...)

Fanny
Et parfois du lecteur, quand un vous apparaît.

Claire
L'esprit règne dans ce livre.

Catherine
À quel sens l'esprit ?...

Claire
Une langue spirituelle. On demande à l'aubergiste de raconter quelque chose, il est "tout désigné pour cela ; à deux kilomètres à la ronde un œuf ne pouvait se pondre sans qu'il le sût" ou bien à propos du forestier qui reçoit, vaniteux, contrarié par la timidité de sa femme "Heureusement sa mauvaise humeur ne le poussa à aucun éclat, car ses filles fort jolies (...) tenaient de lui et possédaient ce qui manquaient à sa mère." J'adore ces tournures. Je me suis régalée.
J'ai trouvé les mentions psychologiques fines, donnant à sentir ; par exemple Effi "parlait et riait beaucoup, mais ni ses paroles ni son rire ne venaient du fond de son âme. Elle se sentait oppressée et ne savait pas exactement qui, d'Innstetten ou d'elle-même, elle devait en rendre responsable".
Les paradoxes sont nombreux : "Ses hommages la remplissaient d'une certaine crainte, et son indifférence la contrariait". Ces phrases pensantes créent un plaisir de l'esprit.
J'ai eu un peu de mal à comprendre que l'histoire des fantômes alimentait la domination subreptice du mari qui culmine avec le dressage de la petite fille, atroce.
J'ai été étonnée qu'une si jeune fille devienne une patronne sans problème - sans doute l'éducation le permet alors.
L'entente tendre des deux jeunes mariés semble réel, relevant plutôt d'une amicale complicité : j'ai trouvé absolument incongru qu'une enfant naisse ; pas l'ombre d'un désir, chacun sa chambre en donnant l'impression d'y rester (ça va avec l'ellipse...)
J'ai trouvé Fontane féministe, montrant l'aliénation de l'héroïne, progressivement privée de tout ce qui nourrissait son énergie et sa joie de vivre.
Par exemple, quand la station s'anime, Effi peut regarder la rue, mais ne peut comme les Kessinois se livrer à la Promenade qui est leur occupation journalière : "Effi, qu'Innstetten ne pouvait accompagner, était forcée de s'en abstenir" : on a l'impression d'être chez les Talibans...
L'Histoire m'a échappé concernant Bismarck qui est en arrière-plan, concernant ce discours : "Oui, mes amis, grâce à la Poméranie et au Brandebourg, nous dompterons et écraserons l'hydre venimeuse de la Révolution". Mais aussi la géographie : la "vie à moitié hanséatique, à moitié suédoise", j'ai du mal à la visualiser...
J'ai noté quelques remarques que d'aucuns ont heureusement oublié de censurer : "elles sont de pure race allemande" (p. 256), "c'étaient de purs Germains dont nous descendons tous" (p. 322), "partir et aller chez les Nègres qui ignorent la civilisation et l'honneur. Heureux Nègres !" (p. 330)
J'ai remarqué que quelques pages avant de mourir après ce récit tragique, il y a un hymne à la nature : "Effi, pour qui l'air libre avait plus de valeur encore que la beauté du paysage (...) Tout lui était bonheur, elle respirait avec joie (...) Rollo, assis auprès d'elle, partageait"... Finalement c'est un livre de plein air et d'animaux..., avec chien et poule — poule qu'on découvre dans le film.
Le film en noir et blanc de Fassbinder m'a stupéfiée : alors qu'il est long (2h20) je l'ai trouvé admirable, hiératique, inquiétant, esthétique, jouant comme le livre des modalités de narration. Fascinant.

Richard
Quand ce film est-il sorti ?

Claire
En 1974.
Richard
Je travaillais en Allemagne à ce moment-là dans la pub et je suppose que le film se situait dans des courants de pensée des années 70. Les Allemands de ces années-là étaient extrêmement sensibles aux principes de l'organisation sociale et ses classes, et aux conséquences négatives de leur non- respect.
La Prusse avait des strates de société encore plus fortes qu'en France, très hiérarchisées. Beaucoup d'aspects de ce livre s'expliquent ainsi.
Je n'avais pas lu ce livre, mais Fontane figurait parmi les auteurs à la fac en Angleterre, et notamment quatre de ses petits romans.
J'ai lu le livre presque deux fois, car je l'ai commencé en allemand, avec des descriptions assez difficiles à lire, puis ai acheté la version française.
Pour moi, c'est une tragédie. Dès le début, tout est là pour la créer, avec l'organisation hiérarchique de la société, le petit bled allemand. On avance, il y a de la tension, ça évolue.
Je n'avais pas lu la 4e de couverture. Il faut attendre une quarantaine de pages pour savoir qu'elle a 17 ans, et c'est peu à peu que se dévoilent les faits. Effi reste une petite fille, même à la fin où elle se raccroche à son lieu de naissance.
Pour ce qui est du fantôme, j'ai cru qu'on versait dans le roman gothique, mais non. On ne sait pas grand-chose là-dessus.
Le mari détestable parle à Effi comme une enfant, par exemple au sujet d'un pays d'Afrique, comme pour la rabaisser.
J'ai beaucoup aimé ce livre, j'ouvre aux ¾.

Thomas Mann(ne s'est pas limité à Effi Briest et n'a pu se déplacer ce soir)
Qu'il me soit permis d'avouer qu'aucun écrivain du passé ou du présent n'éveille en moi ce ravissement immédiat et instinctif, cet amusement spontané, cet intérêt chaleureux, cette satisfaction que j'éprouve à chaque vers, à chaque ligne de ses lettres, à chaque bribe de ses dialogues. Cette prose si légère et si limpide, dotée pourtant d'une agréable ampleur, avec sa secrète tendance au ton de la "ballade", ses ellipses à la fois attrayantes et poétiques, a une nuance de nonchalance "soutenue" ; malgré son laisser-aller apparent, elle possède une tenue, une consistance, une forme intimes, telles qu'on ne peut guère les imaginer qu'après un long commerce avec la poésie ; elle est, en fait, beaucoup plus proche de la poésie que son absence de solennité et de prétention ne voudrait le reconnaître, elle a une conscience poétique, des exigences poétiques, elle est écrite en fonction de la poésie et - tout comme les vers de sa vieillesse, si concentrés et si parfaits qu'on les retient aussitôt par cœur, se rapprochent de plus en plus de sa prose par le style - le phénomène singulier, c'est que sa prose se sublimise dans la mesure même où elle (pardonnez-moi le mot) baguenaude. On a souvent dit qu'il était un causeur* et lui-même s'est ainsi désigné ; cependant la vérité, c'est que même lorsqu'il semblait bavarder il fut un barde, et son bavardage, qui après Effi Briest prit le dessus, sous une forme poétiquement sans doute assez douteuse, consiste en une volatilisation du sujet matériel, au point qu'il ne reste, finalement, presque plus rien qu'un jeu artistique nuancé et spirituel.
*En français dans le texte
Etienne (un mois plus tard, sans avoir vu nos avis)
Ce livre n'a, tout compte fait, pas tant de chose à voir avec Madame Bovary — je pense que ce point a dû être soulevé pendant la séance. Étonnement, c'est être plongé dans cette ambiance désuète de hobereaux et notables du Nord de l'Allemagne qui m'a le plus plu, j'y ai trouvé un exotisme très plaisant. À côté de l'ambiance solaire et édénique d'Hohen-Cremmen, Fontane oppose presque de façon caricaturale un Kessin froid, mystérieux, où la nature et les protagonistes semblent hostiles, où l'existence d'un fantôme chinois ne prête pas à rire. On pourrait presque penser que c'est Kessin qui pervertit Effi, là où elle n'était qu'insouciance au pays natal.
Autre différence par rapport à l'œuvre de Flaubert, nous n'apprenons l'infidélité d'Effi qu'à la fin et surtout il ne semble s'agir que d'une passade sans grande importance ni passion ("je ne l'aimais pas"). En décalant de plusieurs années la découverte de l'affaire de sa survenue, Fontane ridiculise la réaction d'Innstetten et ses - surtout - conséquences. Ce dernier, en survivant à son duel et en répudiant sa femme, semble complètement prisonnier de la rigidité de sa morale où la miséricorde n'a aucune place. Fontane soulève donc une question intéressante : le temps atténue-t-il ou excuse-t-il une faute ? Et si oui, à partir de quel seuil ? C'est retors... Il semble d'ailleurs répondre par l'affirmatif tant il enveloppe Effi de bienveillance ; même Roswitha donne l'impression de prendre l'ascendant moral sur Johanna. Effi meurt, mais pas de façon pathétique comme Emma ; une forme de transcendance s'opère presque : elle retourne au pays, enterrée dans le jardin familial, sous le regard aimant de ses parents et des héliotropes. En creux, Theodor Fontane donne donc l'impression de condamner la rigueur morale qui paradoxalement débouche sur une grande pauvreté d'âme.


Après notre tour de table, nous apprécions des extraits du texte très intéressant (de Françoise Wuilmart directrice du Centre européen de traduction littéraire), qui, à l'occasion de la comparaison des trois traductions du roman Effi Briest, présente une réflexion sur la notion de vieillissement des textes. Or, il n'est pas rare que vienne cette remarque dans le groupe : "j'ai trouvé ce texte daté". Cet article nous permet peut-être d'aller un peu plus loin.

"Partons du constat généralement admis : le texte original ne vieillit pas, alors que les traductions vieillissent, avec comme corollaire : les traductions doivent sans cesse être remises sur le métier.

Première cause d’étonnement : pourquoi le texte original ne vieillit-il pas au contraire de ses traductions ?

Cette assertion galvaudée mérite d’être nuancée : certains textes originaux vieillissent bel et bien, et d’autres pas. Mais qu'est-ce qu'un texte "vieilli" ? Car le texte en soi ne vieillit pas au sens où il reste immuable. C’est dans le processus de réception qu'il vieillit, c’est le lecteur qui lui colle des rides. Ne faudrait-il pas parler plutôt de texte qui "date", qui fait date, du fait qu'il est essentiellement référencé à son épistémé* ou à son idéologie contemporaines par exemple, ou parce qu'il a recours à des expédients stylistiques aujourd’hui émoussés et sans effet. Ce serait donc un texte en quelque sorte tourné vers lui-même et son temps, et dont les préoccupations, les affects ou les événements décrits n’interpellent plus aujourd’hui, bref un texte qui n’a plus voix au chapitre, ne suscite plus l’intérêt ou l’admiration, auquel le lecteur ne s'identifie plus, dans lequel il ne se reconnaît plus, un texte dépassé et suranné et qui n’a plus valeur que de témoignage de son temps.

*Note de Voix au chapitre : l'épistémé renvoie aux connaissances, à une façon de penser, de se représenter le monde, qui s’imposent à une époque.

Par conséquent : un texte qui ne se survit pas à lui-même par manque d’universalité temporelle et spatiale, et qui n’interpellera pas les générations suivantes. Dans la grande dialectique transversale humaine, ce genre de texte est devenu lettre morte.

En revanche, quiconque oserait prétendre que les textes de Shakespeare, de Goethe ou de Dante ont "vieilli" se couvrirait de ridicule.
Si les grands textes d’auteurs sont pour ainsi dire pérennes, c’est qu'ils continuent de concerner tout lecteur en dépit du lieu ou de l’époque à partir desquels celui-ci les lit. C’est aussi qu'en dépit du ou des cas particuliers et très localisés qu'ils mettent en scène, la portée et l’envergure sont vastes et dépassent les frontières du temps et de l’espace. Je pense ici à François Villon ou à Rabelais dont l’humanisme intemporel n’est plus à démontrer, en dépit d’une langue qui elle a évolué.

Revenons au concept d’universalité qu'il faut, me semble-t-il, mettre en relation avec deux autres concepts fondateurs de tout grand texte d’auteur : la polysémie, et l’excédent utopique.

Polysémique est le texte qui se prête à des interprétations diverses sans que cela ait été, au départ, dans l’intention de l’auteur. Rappelons qu'un auteur (et aucun écrivain ne m'a jamais contredite sur ce point) sait certes comment il écrit, il maîtrise sa plume, mais il n’est pas nécessairement conscient de tout ce que véhicule son écriture. En effet, elle véhicule souvent à l’insu de son géniteur, des contenus qui lui échappent, car il écrit aussi avec son inconscient, individuel et collectif. C’est sans doute par le phénomène d’abduction* qu'il fait émerger de son ego les éléments qu'il mettra en scène dans sa fiction, mais justement : tout ce qu'il ne fait pas émerger expressément ne continue pas moins d’agir sous le couvert, se manifestant malgré lui ici et là dans des connotations, des métaphores spontanées, des formules répétitives, des tournures de style, et j'en passe.

*Note risquée de VAC : par rapport à la déduction (de l’universel au particulier), l'induction (du particulier à l’universel), l'abduction introduit la prévision, l'hypothèse, l'analogie, l'intuition, la dimension inconsciente (pour disserter, voir =>ici).

Raison pour laquelle d’ailleurs il ne faut jamais questionner un auteur ou tout autre artiste d’ailleurs sur "ce qu'il a voulu dire", car il vous répondra que ce qu'il a voulu dire, il l’a dit là, de cette manière-là, et qu'il ne peut le dire autrement, et on pourrait conclure que si vous n’avez pas compris, c’est qu'il a raté son coup. En tant que traductrice de textes de grands écrivains, il m'est souvent arrivé de mettre au jour des dimensions textuelles que l’auteur ne savait pas avoir creusées. De la même manière certains textes de Shakespeare se sont largement prêtés à des interprétations psychanalytiques que Shakespeare bien sûr n’aurait pu conceptualiser à l’époque et qui sont pourtant bien présentes. De là qu'on l’a qualifié de visionnaire. (...)

Quant à l’excédent utopique, c’est un concept blochien. Le philosophe allemand Ernst Bloch (1885-1977) met en évidence le concept de utopischer Ueberschuss : l’excédent utopique, ce résidu de l’œuvre d’art, dans l’œuvre d’art, qui ne meurt pas avec son époque ou son contexte mais est récupéré par les générations suivantes qui le font évoluer dans et par leur vision propre, et qui se transmet ainsi de siècle en siècle en gardant une certaine actualité. (...).

Cet excédent utopique qui dépasse le projet, le dessein originels et interpelle les générations suivantes est également à l’œuvre dans le grand texte littéraire. Aussi enraciné soit-il dans son contexte médiéval, Faust ne sera jamais démodé tant que l’humain restera humain ; quant à Méphistophélès : ne nous guette-t-il pas aujourd’hui encore, dans une foule d’avatars ? Voilà donc pour les textes qui ne vieillissent pas versus les textes qui datent."

Françoise Wuilmart
directrice du Centre européen de traduction littéraire



UN PEU DE DOC AUTOUR ET SUR LE LIVRE

Le point sur Theodor Fontane et son parcours
La publication d'Effi Briest
La traduction et la réception en France d'Effi Briest
Les publications de Fontane en français
Effi Briest, c'est une histoire vraie. On s'en fiche ?
Effi Briest, c'est la Bovary allemande ?...
Que vient faire Beckett à propos d'Effi Briest ?
Effi Briest au cinéma


Le point sur Theodor Fontane et son parcours


La préface de Joseph Rovan, dans l'édition Imaginaire Gallimard, propose une présentation étoffée de l'auteur et de son œuvre.

Voici, moins touffue, une présentation vivante, très bien faite et facile à regarder, en 10 min, concoctée par la Planet Schule sur YouTube, c'est sous-titré en français : Theodor Fontaine : sa vie, son œuvre.

Fontane s'est mis a écrire relativement tard (59 ans) des romans et en a alors écrit 17 !

La publication d'Effi Briest


Effi Briest fut publié en six parties distinctes dans le périodique Deutsche Rundschau d'octobre 1894 à mars 1895, avant d'être publié en livre en 1896.

Le texte original en allemand est en ligne =>ici.

Effi Briest apporta à Theodor Fontane succès et renommée.

La traduction et la réception en France d'Effi Briest


Qui lit Theodor Fontane, à part nous ?!
Claude David, professeur à la Sorbonne, où il dirigera l'institut d'études germaniques de 1967 à 1981, ouvre ainsi sa préface au livre de la collection Bouquins comportant quatre romans de Fontane :

"Theodor Fontane... Combien de lecteurs en France, même de culture honorable, ont entendu ce nom ? S'il fut un temps où l'on dénonçait comme un danger l'invasion des lettres allemandes, ce temps est bien passé. Entre Goethe et Thomas Mann, entre les Affinités électives et Buddenbrooks s'ouvre un trou noir de quelque 90 ans, où certains parviennent, tant bien que mal, à situer Hoffmann ou Henri Heine. Il est certain que l'Allemagne n'a pas eu de Balzac ni de Tolstoï. La prose allemande de ce temps ne justifie pas cependant un tel oubli et une telle ignorance. Et c'est un signe des relations restées longtemps malheureuses entre la France et l'Allemagne qu'il faille aujourd'hui présenter Fontane comme un presque inconnu. Car aucun de ces romanciers et de ces conteurs, dont on nous épargnera d'énumérer les noms, ne mérite autant que lui d'être chez nous exhumé et instauré dans sa vraie valeur."

Marc Thuret narre l'histoire de la réception de Theodor Fontane en France, dont voici un petit extrait :

"Le succès d’Effi Briest en Allemagne laisse les éditeurs français indifférents, et ce sera pour finir le fils de Fontane, Friedrich, directeur depuis 1888 d’une maison d’édition portant son nom, qui prendra l’initiative de faire paraître à Berlin en 1902 une version française du best-seller de son père, traduit en français par Michel Delines, nom sous lequel paraissaient les écrits de Mikhail Achkinasi, traducteur et promoteur en France au tournant du siècle des classiques russes, auteur des livrets français des opéras de Tchaïkowsky, Moussorgsky et Glinka joués à Paris. Curieusement, aucune œuvre allemande ne figure sur la liste de ses traductions conservées à la Bibliothèque nationale, qui ne possède pas non plus d’exemplaire de cette Effi Briest française de 1902, très affadie par le style du traducteur et par les nombreuses coupures pratiquées dans le texte" (la suite, très développée, vaut la visite : "Fontane en France et en français", extrait du livre en ligne Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).

Trois traductions se succèdent en français et le parcours de chaque traducteur vaut la peine d'être découvert :
- En 1902 par Michel Delines,
Berlin, Fontane & Co ; Effi Briest a été accessible en français dès 1900, dans le Supplément du Monde moderne, puis dans un volume publié à Berlin en 1902 ; Michel Delines, qui traduit aussi du russe, est un des pseudonymes de Michel Osipovic Ashkenazi, romancier, publiciste, musicologue et traducteur, né à Odessa et mort à Nice.
- En 1942 par André Cœuroy,
Leipzig, éd. Bernhard Tauchnitz ; Club bibliophile de France, 1957 ; Gallimard, coll. Les Presses d'aujourd'hui, 1981 puis dans différentes éditions de poche de Gallimard : c'est la seule traduction disponible, en Imaginaire Gallimard ; André Cœuroy, musicologue également, fut l'un des traducteurs des Souffrances du jeune Werther... Quant au préfacier, Joseph Rovan, c'est un historien français d'origine allemande qui fut, entre autres, conseiller de Helmut Kohl et de Jacques Chirac, au cœur des relations entre l'Allemagne et la France après 1945 (ses travaux =>ici).
- En 1981 par Pierre Villain, éd. Laffont, coll. Bouquins ; Pierre Villain, professeur à la Sorbonne, joua un rôle important dans les échanges franco-allemands.

Y a-t-il une traduction meilleure ? OUI !
Questionnant la retraduction, Françoise Vuillermot dans "Traduction et prise de sens... Effi Briest aux mains de trois générations" montre qu'une seule n'est pas susceptible de "vieillir" (in Autour de la traduction, éd. Orizons, 2011) : intéressant !

Les publications de Fontane en français


Répétons... qui lit Theodor Fontane, à part nous ?!
Actuellement on peut trouver facilement seulement 4 livres de cet auteur :
- en Imaginaire Gallimard : Effi Briest et
Madame Jenny Treibel
- chez Sillage : Dédales
- aux éd. des Belles Lettres : Cécile

alors qu'ont été traduits en français les livres suivants (avec en tête la date de publication en allemand) :
- 1871 : Journal de captivité : voyage dans la France de 1970, trad. Alain Garric, Strasbourg, Bueb et Reumaux, 1986 ; traduit d'abord en revue en 1891 et 1892 (Souvenirs d'un prisonnier de guerre allemand en 1870, trad. Jean Thorel, voir sur Gallica)
- 1878 : Avant la tempête : scènes de l'hiver 1812-1813, trad. Jacques Legrand, Aubier, 1992
- 1881 : Ellernklipp : d'après un registre paroissial du Harz, trad. Denise Modigliani, Le Serpent à plume, 1996 ; puis Ellernklipp : la roche maudite, éd. du Rocher, 2001
- 1882 : L'adultera, trad. Madith Vuaridel, Aubier, 1991
- 1883 : Le conte Petöfy, trad. Denise Modigliani, le Serpent à plumes, 1997
- 1887 : Cécile, trad. Jacques Legrand, Aubier, 1994, 1998 ; Cecile, Jean-Marie Paul, éd. Les Belles Lettres, 2016
- 1888 : Errements et tourments, trad. Georges Pauline, Laffont, 1981 ; traduit sous un autre titre par Eugène Koessler, Dédales, Sillages, 2020 après Aubier, 1931, 1980
- 1890 : Stine, trad. Marc Erlyc, éd. Ombres, 2000
- 1890 : Quitte, trad. Bernard Kreiss, Jacqueline Chambon, 1998
- 1891 : Jours disparus, trad. Jacques Peyraube, Laffont, 1981
- 1892 : Madame Jenny Treibel, trad. Pierre Grappin, Gallimard, 1943, puis 2011
-
1895 : Effi Briest, trois traductions : Michel Delines, André Cœuroys, Pierre Villain
- 1893 : Frau Jenny Treibel, trad. Michel-François Demet, Laffont, 1981
- 1893 : Mes années d'enfance : roman autobiographique, trad. Jacques Legrand, Aubier, 1993 ; trad. Éliane Kaufholz-Messmer, éd. Jacqueline Chambon, 1996 ; publié en revue en 1894

- 1898 : Le Stechlin, trad. Jacques Legrand, Le Livre de Poche, 1981 puis 1998.

Effi Briest, c'est une histoire vraie. On s'en fiche ?



Des romans inspirés de faits réels, ça court les rues. Celui-ci n'y échappe pas. On n'a pas besoin de le savoir ?...

- Des faits
Une histoire authentique a inspiré Theodor Fontane. Elisabeth von Plotho, jeune femme issue de la vieille noblesse de Magdebourg-Brandebourg, épouse Armand Léon baron von Ardenne (1848-1919) en 1873 (notre roman est publié en 1896), malgré ses réticences, par obéissance à ses parents. Quelques années plus tard, il accepte que le magistrat royal et officier de réserve Emil Hartwich de Düsseldorf peigne Elisabeth et par conséquent la voie à diverses reprises à cette occasion.
Suite à son affectation au ministère de la Guerre, le baron von Ardenne déménage à Berlin avec sa famille en 1886 ; il observe que sa femme correspond avec Hartwich. Devenu méfiant, il ouvre la nuit la cassette dans laquelle elle conserve les lettres qu'elle a reçues : sans doute, Emil Hartwich et Elisabeth d'Ardenne ont eu une liaison ! Le magistrat, contacté par télégramme à Berlin, avoue et accepte la demande du baron d'un duel au pistolet. Il a lieu deux jours plus tard. Touché par plusieurs coups de feu, Emil Hartwich décède quatre jours plus tard. Le baron von Ardenne est arrêté, mais libéré après seulement dix-huit jours de prison. Son mariage se termine par un divorce en 1887 et il reçoit la garde des deux enfants. Elisabeth d'Ardenne travaillera comme infirmière pendant des années. Elle décèdera en 1952 à l'âge de 98 ans.

- Des faits modifiés
Le lien entre le destin d'Effi Briest et la vie d'Elisabeth von Plotho est évident. Fontane a cependant modifié de nombreux détails, non seulement pour protéger la vie privée des personnes impliquées, mais aussi pour renforcer considérablement l'effet : Elisabeth von Plotho n'a pas épousé son mari à 17 ans, mais à 19 ans ; il n'avait que cinq ans et pas 21 ans de plus qu'elle. De plus, elle a eu sa relation non pas après un, mais après douze ans de mariage, et son mari a abattu son amant peu de temps après alors que la relation était toujours en cours. Après le divorce, sa femme ne s'est pas retirée mais a trouvé un emploi.
Pour ce qui est du cadre, le château de la baronne d'Ardenne était une gracieuse folie du XVIIIe siècle, on y menait une vie de bals et de fêtes. Fontane le transporte de Düsseldorf dans la ville imaginaire de Kessin, reconstruite à l'image de Swinemünde, dans l'île d'Usedom, près des bouches de l'Oder, où s'était déroulée une partie de sa propre enfance. L'austère et puritaine Poméranie se substitue à la Rhénanie catholique et joyeuse.
La manière dont la personne réelle Elisabeth von Plotho s'est transformée en personnage fictif, Effi Briest, a été analysée en détail par des spécialistes.

- Tourisme à l'horizon...
Des "Effi tours" incluant des passages du roman Effi Briest sont organisés par la commune d'Elbe-Parey, étant donné que le château de Zerben où Elisabeth von Plotho a grandi serait le modèle de Hohen-Cremmen...
On ne fait pas pire avec Proust et la maison de la Tante Léonie (nous sur les traces de Proust dans le genre Effi tour...)

On prétend que Effi Briest, c'est la Bovary allemande...


Qui s'y colle pour répondre à la question : "Emma Bovary et Effi Briest : un air de famille entre les œuvres de Flaubert et de Fontane ?
C'est Beate Langenbruch, maître de conf au CNRS, sur le site de référence de l'université de Rouen consacré à Flaubert, qui développe longuement la réponse ainsi résumée ne disant rien :

Si, en définitive, on ne peut établir la preuve d'une influence directe de Flaubert sur Fontane, il n'en reste pas moins que la confrontation des deux textes et des deux esthétiques se révèle féconde, bien qu'elle laisse encore de nombreuses interrogations en suspens. Enfin, il s'agit de prendre conscience de quelques obstacles qui ont pu rendre difficile l'accès d'Effi Briest aux lecteurs et aux érudits français, dans le but d'encourager de futures recherches consacrées à ce rapprochement de deux œuvres prototypiques du réalisme européen.

- Michel André y va de sa comparaison plus franche, dans "Theodor Fontane, ce 'paquet de contradictions'" (Books n° 107, mai 2020) :

Effi Briest raconte une histoire d'adultère qui fait penser à Madame Bovary et à Anna Karénine, à cette différence près : Fontane ne jette pas sur son héroïne un regard cruellement détaché comme Flaubert et ne la condamne pas moralement comme Tolstoï. Le thème de l'adultère et de ses conséquences malheureuses apparait dans d'autres romans (L'Adultera, Jours disparus). Ses personnages féminins sont ceux qui ont la présence la plus forte. Sans être un militant de l'émancipation féminine, il était très sensible au sort des femmes de son époque, à la fois condamnées au mariage et en concurrence féroce sur le marché matrimonial. Ses héroïnes sont plus attachantes et plus fragiles que ses personnages masculins : "Je ne suis pas un viveur, expliquait-il, mais j'aime bien quand les autres vivent. [...] C'est à ce naturel que je suis attaché depuis longtemps. [...] Voilà pourquoi mes personnages féminins ont tous une fêlure. [...] Je tombe amoureux d'elles non point à cause de leurs vertus mais à cause de leurs traits humains."

Quittant Madame Bovary, mais gardant le rapport entre Fontane et Flaubert, Michel André ajoute :

Considéré avec Effi Briest comme son chef-d’œuvre, son dernier roman, Le Stechlin, est, à sa manière, un parfait échantillon du "roman sur rien" dont rêvait Flaubert. Avec une lègère ironie, son auteur en résumait l’intrigue de la manière suivante : "À la fin, un vieil homme meurt et deux jeunes gens se marient."

• Que vient faire Beckett à propos d'Effi Briest ?


Nous avions lu de ce prix Nobel mort en 1989 Molloy. Bon, et alors ?

Erika Tophoven, traductrice en allemand de Beckett (et aussi Nathalie Sarraute, etc.), mène une véritable enquête sur l'amour de Beckett pour Fontane. En voici les principaux éléments :

- Une première allusion à Effi Briest se trouve dans la pièce radiophonique Tous ceux qui tombent, écrite à Paris en 1956 pour la BBC, traduite par Robert Pinget, révisée par l'auteur et publiée aux éditions de Minuit.
L'ambiance est tout à fait beckettienne : la vieille Mme Rooney est allée chercher son mari aveugle, on entend La jeune fille et la mort de Schubert, ils sont surpris par l’arrivée de sombres nuages :

MONSIEUR ROONEY : Maudit soleil qui se cache. À quoi ressemble le ciel ? (Vent).

MADAME ROONEY : À un ciel qui se voile. Fini le beau temps… pour aujourd’hui. (Un temps.) Ce sera bientôt la pluie, les premières grosses gouttes, plof ! plof ! dans la poussière.

MONSIEUR ROONEY : Et ce salopard de baromètre au beau fixe. (Un temps.) Rentrons vite nous installer devant le feu. Nous tirerons les rideaux. Tu me liras un chapitre. Je sens qu’Effie va coucher avec le major. (Pas traînants.)

L’allusion se limite au prénom Effi, orthographié de surcroît de façon erronée.
- Deux ans plus tard, dans le monodrame La dernière bande, Krapp, vieux grincheux, a l’habitude à chacun de ses anniversaires, d’enregistrer sur bande magnétique quelques-unes de ses pensées sur l’année écoulée ; avant de se lancer dans un nouveau retour en arrière, il aime écouter et commenter certains passages enregistrés au cours des années précédentes. Il tombe sur les phrases suivantes :

"Me suis traîné dehors une fois ou deux avant que l'été se glace. Resté assis à grelotter dans le parc, noyé dans les rêves et brûlant d'en finir. Personne. (Pause.) Dernières chimères. (Avec véhémence.) A refouler ! (Pause.) Me suis crevé les yeux à lire Effie encore, une page par jour, avec des larmes encore. Effie... (Pause.) Aurais pu être heureux avec elle là-haut sur la Baltique, et les pins, et les dunes. (Pause.) Non ? (Pause.) Et elle ? (Pause.) Pah ! (Pause.)"

On peut avancer avec certitude que Beckett connaissait l’œuvre romanesque de Fontane, tout au moins Effi Briest.

- Voilà une confirmation : Michael Haerdter, son assistant de l’époque, lors de la mise en scène de Fin de partie à Berlin en 1967, confirme :

"Quels auteurs allemands aimez-vous ? – Fontane !" Je m’attendais à entendre Beckett confesser son admiration pour ce rationaliste prussien, mais pas à un tel enthousiasme.

Les fanas de Beckett peuvent découvrir d'autres détails de l'enquête de cette traductrice dans "What’s in a name... : Beckett lecteur de Fontane" de Erika Tophoven (in Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, dir. Marc Thuret, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).

Ajoutons le témoignage d'un de ses traducteurs, Antoni Libera, à Paris en 1986.

J'y étais allé pour un colloque littéraire organisé pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de Samuel Beckett, pour moi l'écrivain moderne le plus important, dont j'ai traduit, annoté et mis en scène l'œuvre au théâtre pendant de nombreuses années et avec qui j'avais été en contact régulier depuis le milieu des années 1970.
Selon la tradition établie, nous nous sommes donné rendez-vous après le colloque. Comme à son habitude, Beckett lui propose le Café Français de l'hôtel PLM, situé en face de son domicile, boulevard Saint-Jacques. Je suis arrivé un peu en avance et je me suis assis à la table que nous occupions la dernière fois que nous nous étions rencontrés ici, quelques années auparavant.
Beckett arriva avec sa ponctualité habituelle, à midi pile, pas une seconde plus tard. À une réunion qui n'était liée à aucun projet ou projet créatif, il arrivait généralement "les mains vides", comme il aimait le dire. Cette fois, il tenait un petit livre qui s'est avéré être un vieil exemplaire beaucoup feuilleté d'Effi Briest de Teodor Fontane.
Les amis proches de Beckett et ceux qui connaissent son œuvre sauront que c'était l'un de ses romans préférés, auquel il revenait souvent et auquel il faisait également référence dans ses écrits (...)
Moi aussi, j'étais conscient de toutes ces références, et ainsi, vers la fin de la conversation, lorsque le silence légendaire, que tous ceux qui ont rencontré l'écrivain ont pu rencontrer, s'est abattu sur la petite table du café, j'ai demandé timidement : "Est-ce que tu lis encore Effi ?"
Paraphrasant une phrase de Krapp, il répondit : "Oui... une page par jour, pour arracher les yeux."
"Encore des larmes ?" dis-je en reprenant le fil de la citation.
Il eut un sourire pâle. "Non, je n'irais pas jusqu'à dire ça."
J'ai eu le courage de poser la question vitale : "Pourquoi aimes-tu autant ce roman ?"
Il y a eu une longue pause avant que j'obtienne une réponse. "Je rêvais d'écrire quelque chose comme ça. Et il me reste encore un peu de ce rêve. Mais je ne l'ai jamais fait. Je ne l'ai jamais écrit..." Il s'interrompit.
"Tu ne l'as jamais écrit ?" J'ai effrontément essayé de lui arracher les mots.
Un autre sourire pâle, puis, dépliant les mains, il dit :
"Car... je suis né trop tard. Personne n'écrit comme ça de nos jours. Aujourd'hui, on écrit bien pire."
Il m'a jeté un coup d'œil et a ajouté en plaisantant : "Mais ne vous inquiétez pas. Le monde change. Peut-être y arriverez-vous."
C'était ma dernière rencontre avec Beckett. Après cela, nous n'avons parlé qu'au téléphone. Il est décédé en décembre 1989.

Effi Briest au cinéma


Pour donner un coup de projecteur au film de Fassbinder (bande annonce en allemand=>ici, film complet en allemand=>là et des images fixes du film rendant l'ambiance du film=>ici), voici un extrait de deux articles consultables en ligne.

- Eberhard Gruber étudie étudie les quatre adaptations du roman Effi Briest et distingue des films de Gründgens (1938), Jugert (1955) et Luderer (1970 : le film complet en allemand en ligne=>ici), la "réécriture filmique" de Fassbinder (1974) ainsi décrit :

Assumant le statut littéraire du récit, le cinéma met dès lors en œuvre un ensemble de processus spécifiques : fondu au blanc, reprise iconique, jeu de miroirs "glaçant" les personnages, effet de dissociation obtenu par la lecture off du texte ou par son inscription à l’écran. Le film, par suite, toujours déjà réécriture, entre œuvre et reprise, élabore une polysémie architecturale que fonde tout un art de "rythmer les passages". ("Une reprise impossible ? Effi Briest et la question de ses réécritures filmiques", Cinémas, n° 1, 1993).

- Gilbert Guillard, spécialiste du cinéma allemand, approfondit le rapport entre Fassbinder et Fontane :

Dans une interview à propos d’Effi Briest, Fassbinder déclarait : "Ce n’est pas un film sur les femmes, mais un film sur Fontane, sur l’attitude d’un écrivain vis-à-vis de la société où il se trouve. Ce n’est pas un film qui raconte une histoire, mais un film qui restitue une attitude. C’est l’attitude de quelqu’un qui perce à jour les défauts et les faiblesses de la société où il vit, et les critique aussi, mais reconnaît pourtant que cette société est pour lui légitime".
Dans ce film, il n’y a aucune adaptation du texte de Fontane ; c’est l’original qui est repris mot pour mot, à défaut de pouvoir l’être dans son intégralité. Et il apparaît sous quatre formes différentes :
1. dans la bouche des acteurs,
2. à travers une lecture en voix off, faite par Fassbinder lui-même, manière de s’identifier sinon à l’auteur, du moins à sa démarche,
3. à travers des intertitres ponctués par la musique et enfin
4. à travers l’apparition à l’écran d’images de lettres ou de télégrammes, et Fassbinder a bien senti là l’importance des lettres dans les romans de Fontane. Tout ceci concourt à renforcer l’impression que le but principal du film est d’analyser l’art de l’écrivain à travers la transposition/ réécriture filmique et non de raconter le destin tragique de l’héroïne. Par ailleurs, les scènes sont entrecoupées de fondus au blanc, et non au noir, ce qui donne l’impression d’un découpage en chapitres, comme un livre comportant une page blanche entre chaque chapitre, les intertitres annonçant le thème-clé du prochain chapitre. Et nous ne verrons pas le tombeau d’Effi, mais seulement un insert blanc orné d’une bordure noire, tel un faire-part de deuil.
("Fontane, Effi Briest de R. W. Fassbinder : un vaste contrechamp", in Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, dir. Marc Thuret, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
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