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Nous avons lu pour le 20 novembre
2022 :
Ourika de Madame de DURAS (1824)
GF Flammarion,
128 p.
avec
une présentation très développée de Benedetta
Craveri
(historienne italienne spécialiste de l'histoire des femmes
sous
l'Ancien Régime et notamment des salonnières)
publiée
en italien en 2009, éd.
Adelphi
AUTOUR
DU LIVRE : un peu de documentation
QUELQUES
REPÈRES
BIOGRAPHIQUES
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Elle
est l'auteure de trois romans sur l'inégalité, se révélant
dans les situations amoureuses : inégalité noirs-blancs,
inégalité sociale, impuissance. Est-elle une autrice
militante intersectionnelle d'aujourd'hui ? Euh...
Claire Louisa Rose Bonne, duchesse de Duras, née Claire de Coëtnempren
de Kersaint, est née en 1777 à Brest et morte en 1828 à
Nice.
Qui
connut des produits dérivés de son livre Ourika,
tant le succès fut grand, avec des éditions pirates à
l'étranger ? La duchesse de Duras !
Avec Papa et Maman
Elle était comme Germaine Necker (Madame de Staël)
la fille d'un homme intelligent et libéral, Guy de Coëtnempren,
comte de Kersaint et contre-amiral. Il avait épousé, suite
à une mission en Martinique une riche Créole, Claire Louise
Françoise de Paul d'Alesso d'Eragny, cousine germaine du gouverneur
des îles du Vent : un mariage convenu, un
couple peu harmonieux ; la Révolution permit le divorce en 1792.
Peu après, en 1793, l'amiral de Kersaint, qui appartenait à
cette noblesse avancée caractéristique du XVIIIe siècle
et n'avait pas hésité à soutenir la cause de la Révolution,
et qui, en tant que député girondin opposé à
la condamnation de Louis XVI, avait renoncé volontairement à
son immunité parlementaire, fut guillotiné.
Claire a quinze ans, sort à peine de deux ans au couvent
du Panthémont rue de Grenelle où sont placées
les filles de la haute société et elle est quasiment chef
de famille : sa mère n'a jamais eu la moindre initiative et il
s'agit d'aller récupérer à la Martinique les biens
de l'amiral.
Les voilà en 1794 aux Etats-Unis où Claire retrouve son
amie de couvent, Anne de La Tour du Pin, devenue fermière, qui
marque à ses armes ses mottes de beurre, se lie d'amitié
avec les Indiens.... (voir Les
Mémoires de la marquise de La Tour du Pin). On comprend
qu'une telle jeunesse ait rendu Claire de Kersaint assez peu conformiste...
Après leur séjour à Philadelphie puis à la
Martinique, et une fois les questions de fortune réglées
(en possession d'une fortune considérable léguée
par un parent établi aux Colonies), mère et fille reviennent
en Europe et séjournent à Londres où sont volontairement
réfugiés nombre de nobles soucieux d'éviter la répression
s'exerçant en France.
Une fois mariée
À Londres, elle rencontre en 1795, à 18
ans donc, Amédée-Bretagne-Malo de Durfort, duc de Duras,
qu'elle épousera deux ans plus tard. Elle est mère aussitôt,
de Félicie en 1797 et de Clara en 1799. Ils acquièrent
le château d'Ussé en Touraine, où à leur retour
en France en 1808 ils séjourneront jusqu'en 1815. Elle rencontre
Chateaubriand en 1808 - rencontre déterminante...
Son mari sera admis à la cour de Louis XVIII et la renommée,
dans le Paris post-révolutionnaire, de son salon, fera de la maison
des Duras un des centres de la vie littéraire parisienne, que ce
soit au 22 rue de Varenne, ou aux Tuileries. Ils acquièrent un
pied-à-terre en région... : le
château d'Ussé.
L'amitié de Chateaubriand lui ouvrira
les milieux littéraires. Elle fut également lamie
de Germaine de Staël et de Rosalie de Constant, la cousine de Benjamin
Constant.
Les langues parlées par Madame de Duras
Claire de Duras appartient à une génération où
lon étudie langlais, litalien, le latin : elle
parle donc anglais (d'où le vers en exergue de Byron dans Ourika),
lit litalien dans le texte, traduit des textes latins...
Sa fille cadette parlera elle, allemand : bien quélevée
par une bonne anglaise et habituée par sa mère à
pratiquer tous les jours la langue de son pays de naissance, elle sintéressera
davantage à la langue et à la littérature doutre-Rhin...
Humboldt, pour compléter ses connaissances lui fera parvenir les
"plus jolies éditions dauteurs allemands", que
son frère Guillaume, le grand philologue, aura choisies lui-même.
Quand Goethe écrit à Mme de Duras, il sait que c'est sa
fille qui lui traduira sa lettre écrite en allemand. Madame de
Duras sétait passionnée pour Werther, mais
en traduction.
La littérature
Claire de Duras ne comptait pas faire carrière dans la littérature
et cest à contrecur quelle céda aux pressions
de Chateaubriand et publia anonymement, en 1823, Ourika, un des
trois brefs romans quelle avait écrits alors quelle
sétait retirée à la campagne lors dune
maladie contractée vers 1820.
Les deux autres sont Édouard, écrit en 1825 et Olivier
ou le Secret, écrit en 1822, mais publié seulement en
1971 !
En outre, elle compila Les Pensées de Louis XIV, extraites
de ses ouvrages et de ses lettres manuscrites, publiées en 1827.
Les Mémoires de Sophie et Amélie et Pauline
furent publiés en 2011.
Le Moine du Saint-Bernard reste inédit.
Le contexte "noir" d'Ourika
Voici les premiers mots d'Ourika : "Je fus rapportée
du Sénégal, à l'âge de deux ans, par M. le
chevalier de B."
L'esclavage, supprimé par la Convention, est rétabli en
1802. La traite est interdite par Napoléon en 1815, mais l'esclavage
ne sera définitivement aboli qu'en 1848. Lesclavage étant
interdit sur le territoire français, une mode étrange se
répandit dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Ainsi, en 1785 le chevalier de Boufflers, gouverneur du Sénégal,
fit don à Delphine, future marquise de Custine, et Elzéar
de Sabran, son frère, futur comte (emprisonné en 1812 à
Vincennes après que sa correspondance avec Madame de Staël
eut été détournée et lue...), d'un enfant
noir qu'ils appelèrent Vendredi. La duchesse d'Orléans reçoit
une petite fille. Le chevalier expédie à sa tante, Marie-Charlotte
de Rohan-Chabot, épouse du maréchal de Beauvau-Craon, qui
navait pas denfant, une petite fille, Ourika, qui mourut à
16 ans et dont elle parle dans ses Mémoires de façon
émouvante ; le maréchal, alors âgé de 65 ans,
et son épouse, au lieu de la destiner à la domesticité,
la firent élever comme la fille quils navaient pas
eue, dans le somptueux hôtel de Beauvau qui abrite depuis 1861,
sur la place du même nom, à Paris, le ministère de
lIntérieur, qui gère les questions d'immigration...
En 1787, le chevalier offre à la reine Marie-Antoinette Jean
Amilcar ; lorsque Marie-Antoinette sera emprisonnée en 1792,
elle continuera à se préoccuper du sort de son protégé
depuis sa prison...
Bien plus tard, Chateaubriand a lui-même reçu un petit négrillon,
nommé Morgan, de son ami Drovetti, consul général
de France à Alexandrie. Morgan vit dans lentourage de Chateaubriand
et celui-ci demande en 1826, à lauteur dOurika
: "Voulez-vous servir de marraine à Morgan ? Je serai le parrain".
Mme de Duras accepte et lui annonce que l'archevêque de Paris
fera le baptême...
Le succès d'Ourika
7000 exemplaires d'Ourika s'envolent, sans compter les éditions
pirates, les traductions et les contrefaçons belges ! Ce phénomène
exceptionnel, affirme Marie-Bénédicte Diethem dans son introduction
à Ourika,
doit être replacé dans le contexte du temps où le
tirage d'un roman dépasse rarement 1500 exemplaires (ce fut le
cas de textes de Balzac, Stendhal, Dumas).
Le succès est tel que les produits dérivés se multiplient
: on vend au magasin les Trois-Sultanes rue Vivienne des rubans à
l'Ourika. Les femmes portent des blouses à l'Ourika,
une des couleurs les plus en vogue, une sorte de gris foncé, est
l'"Ourika", on fabrique des pendules et des vases à
l'Ourika dont l'un subsiste encore au château d'Ussé
(voir ci-dessous).
LES
TEXTES DE CLAIRE DE DURAS
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Publications
Ourika,
Ladvocat, 1824, en ligne
sur gallica
(voir ci-dessous les nombreuses éditions, antérieures
car privées, et ultérieures) ou wikisource
Édouard, Ladvocat, 1825, puis 1879 (sur gallica)
et enfin un siècle plus tard : Édouard,
Mercure de France, 1983, en ligne sur
wikisource
et gutenberg
Pensées de Louis XIV, extraites de ses ouvrages et
de ses lettres manuscrites, Firmin
Didot, 1827.
Publications
posthumes
Réflexions
et prières inédites, Débécourt,
1839 (sur gallica),
puis Hachette-BNF,
2022
Olivier ou
le Secret, Éditions José Corti, 1971
Le sujet de ce roman (l'impuissance) - aurait servi de modèle à
lArmance
de Stendhal sur gallica
Mémoires
de Sophie suivi de Amélie et Pauline
: romans démigration, éditions Manucius, 2011,
présentation et notes Marie-Bénédicte Diethelm.
Mémoires de Sophie avait été auparavant partiellement
publié par Agénor
Bardoux dans sa biographie de Claire de Duras, La Duchesse de Duras,
Calmann Lévy, 1898, en ligne sur gallica.
uvre inédite
Le Moine du Saint-Bernard (évoqué
dans une lettre à Rosalie Constant, datée du 15 mai 1824).
Correspondance
L'amante et l'amie : lettres inédites 1804-1828,
François-René De Chateaubriand, Delphine De Custine,
Claire De Duras, édition de Bernard Degout et Marie-Bénédicte
Diethelm, préface de Marc Fumaroli, Gallimard "Collection
Blanche", 2017.
LES
DIFFERENTES EDITIONS D'Ourika
|
Les
éditions d'Ourika sont nombreuses - un "best seller
sous Louis XVIII", dira Lucien Scheler dans Le Bulletin du bibliophile,
1988.
Au XIXe siècle
1823,
à l'Imprimerie royale, hors commerce,
|
1823
sur gallica
; édition reprise par Hachette-BNF
|
1824,
chez Ladvocat, sur gallica
|
<=Édition
originale ayant
appartenu à Pierre
Bergé |
tirée à une quarantaine
d'exemplaires non mis dans le commerce. Élégante impression
sur papier vélin, exécutée par l'Imprimerie royale
qui n'avait encore jamais publié de romans. Dans une lettre
à Rosalie de Constant, Madame de Duras évoque l'édition
comme un tirage d'essai limité à 30 exemplaires
réservés à ses amis : demi-percaline marbrée
à la Bradel, dos orné de filets dorés, pièce
de titre de veau rouge (reliure de la seconde moitié
du XIXe siècle). |
1824 : d'autres éditions
- traduit (de façon pirate) à Londres aux éd.
Longman, Hurst, Rees, Orme, Brown, and Green, sous le nom d'auteure
de Claire Louise Rose Bonne de Coëtnempren de Kersaint ; voir
le livre en
ligne ici ou sur le site Gutenberg
- édition pirate belge, Imprimerie P.J. Voglet à Bruxelles
- mise en vente d'une édition russe par un libraire de Saint-Petersbourg
avec l'appui de Ladvocat
- publié en français à Berlin par la Librairie
de Duncker et Humblot ; voir le livre en
ligne ici (l'éditeur
existe toujours)
- traduit à Paris par Ozama d'Esménard
en espagnol, Imprimerie de Bobée.
1824 : plusieurs imitations du roman
sont portées à la scène :
- Ourika ou la Négresse, drame en un acte, par Ferdinand
de Villeneuve et Charles Dupeuty, représentée au théâtre
du Gymnase le 25 mars 1824 en
ligne ici
- Ourika ou l'orpheline africaine, drame en un acte, par
Frédéric de Courcy et Jean-Toussaint Merle, joué
au théâtre de la Porte Saint-Martin le 3 avril 1824,
en
ligne ici
- Ourika ou la petite négresse de Carmouche et
Mélesville au Théâtre des Variétés
- Alexandre
Duval, auteur dramatique qui fréquentait le salon de
Mme de Duras, qui deviendra directeur du théâtre de
l'Odéon, en écrit une adaptation, mais qui reste dans
ses cartons.
1824 :
publication de La nouvelle Ourika ou les avantages de l'éducation,
Mme M.-A. Dudon, Libraires Ponthieu et Martinet : Ourika
n'est pas de couleur noire dans ce roman, en ligne gallica ;
édition reprise par
Hachette-BNF, tome
1 et
tome 2 ; rééd.
L'Harmattan,
2021.
1824 : le
tableau du baron Gérard est exposé au
Salon, au Louvre, Ourika raconte son histoire et ses
malheurs, tableau dont on perdu la trace, connu par la représentation
gravée d'Alfred Johannot. Louis XVIII commande un vase représentant
Ourika (voir ci-dessous).
1825 :
Deuxième édition espagnole chez Pochard.
1826 : déjà la troisième édition
chez l'éditeur Ladvocat, sur gallica.
1853 : publié
par Hachette dans la collection "Bibliothèque
des chemins de fer", avec deux autres textes Ernestine
de Marie-Jeanne Riccoboni et Caliste d'Isabelle de Charrières
(publiée comme Ourika par Claudine Hermann aux éditions
des Femmes) ; voir le livre de 1853 avec
Ourika en
ligne ici
1857 :
Ourika et Edouard sont publiées
dans Les veillées littéraires illustrées,
un choix de romans, nouvelles, poésies, pièces de
théâtre etc., etc., des meilleurs écrivains
anciens et modernes, orné de deux cents dessins par Edouard
frère, gravés sur bois par Rouget, publié par
J. Bry ainé, en ligne ici.
1861 avec un autre
roman Edouard chez Renault et Cie, sur gallica,
édition d'Ourika reprise sur wikisource.
1878, à la
Librairie des bibliophiles, avec une notice de M. Lescure, sur gallica,
et en ligne sur le site Gutenberg.
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Au
XXe siècle
En France : |
1950 : Ourika suivi de Édouard,
éd. Stock, Delamain et Boutelleau, préface Jean Giraud,
étude Joë Bousquet "Madame de Duras et Stendhal"
|
1979 : éd.
des Femmes, "une édition féministe" de
Claudine Herrmann, rééd. Mercure
de France, 1983
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1996 : Robert
Laffont, "Bouquins", Ourika est incluse dans
le volume Romans de femmes du XVIIIe siècle, édition
de Raymond Trousson
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Dans le monde anglo-saxon : |
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Au
XXIe siècle
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2010,
Gallimard
Folio classique, avec deux autres romans, Édouard
et Olivier ou le Secret, édition Marie-Bénédicte
Diethelm, préface Marc Fumaroli
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2013, éd. Hachette-BNF : Ourika et Édouard |
tome
1
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tome
2
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Trois éditions
scolaires en France : |
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2019
: Hatier,
dossier de Nathalie Laurent
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Aux USA
2009 : Approaches
to Teaching Durass Ourika,
Mary Ellen Birkett, Christopher Rivers, New York: Modern Language Association
of America
Peu après la publication d'Ourika
Comme signalé ci-dessus,
le succès incroyable du roman vit fleurir en 1824 de nombreuses
adaptations d'Ourika pour les théâtres de la capitale,
dont trois sont rééditées dans Les
Ourika du boulevard, Sylvie Chalaye, L'Harmattan, 2003.
Contrairement au roman, ces trois pièces furent accueillies "par
des bâillements et des sifflets". Aux yeux des spectateurs
parisiens de l'époque, la sémillante Ourika était
beaucoup trop éloignée de l'image avilissante du "bon-nègre"
pour plaire. Contrairement au roman qui permet "de se faire illusion
en lisant", disait la presse, grimer nos jolies actrices en négresse
nuit à leur réputation car "la couleur noire ne
plaît pas au théâtre".
Récemment
- En 2011 : Ourika, Théâtre
de la Tempête, mise en scène Philippe Adrien. Extrait
sur youTube.
- En 2016 : création au Théâtre de Nesle, Paris
8e, d'Ourika
d'hier à aujourd'hui, mise en scène Elisabeth Tamaris.
Jouée en mai 2022 au Théâtre
Darius Milhaud, Paris 19e.
Ses
copines
- Anne de La Tour du Pin, connue au couvent
- Joséphine de Damas, marquise de Sainte-Maure, autre amie de couvent
- Rosalie de Constant, cousine de Benjamin Constant
- Anne-Sophie Swetchine, dorigine russe, amie de Joseph de Maistre,
qui tient un salon 71 rue Dominique
- Germaine de Staël : aaaah, quelle femme !
Les
participants au salon de Madame de Duras
- Des écrivains ou philosophes : Chateaubriand,
Madame de Staël, Benjamin Constant,
Lamartine, Joseph
de Maistre, le vicomte de Bonald, le marquis de Custine...
- Des savants:
Humboldt, particulièrement
fidèle, Arago, Cuvier, dont la duchesse suit les cours au Collège
de France, l'astronome Arago, le sinologue Abel de Rémusat,...
- Des puissants : le duc de Richelieu,
le maréchal Soult, le duc de Raguse, le comte Molé, Talleyrand...
- Des personnalités étrangères
fréquentent le salon de Claire de Duras lors de leurs séjours
à Paris : le duc de Wellington (le vainqueur de Waterloo), le chevalier
Stuart ambassadeur d'Angleterre, le comte Pozzo di Borgo ambassadeur de
Russie...
Ce
qu'ils disent d'elle
Chateaubriand, le premier
lecteur d'Ourika :
"En lisant les premières pages, j'ai
pleuré".
"Je suis tout ému d'Ourika".
Chateaubriand dira de Madame de Duras dans Les Mémoires
doutre-tombe quelle était dotée dun
esprit qui réunissait quelque chose de la force de la pensée
de Mme de Staël à la grâce du talent de Mme de La
Fayette.
Sainte-Beuve lui consacrera une étude
en 1855 dans Portraits de femmes (rééd. par les
Classiques Garnier, 2014) :
"En 1820 seulement, ayant un soir raconté
avec détail lanecdote réelle dune jeune négresse
élevée chez la maréchale de Beauveau, ses amis,
charmés de ce récit (car elle excellait à raconter),
lui dirent : 'Mais pourquoi nécririez-vous pas cette
histoire ?' Le lendemain, dans la matinée, la moitié
de la nouvelle était écrite. Édouard vient
ensuite ; puis deux ou trois autres petits romans non publiés,
mais qui le seront avant peu, nous avons lieu de le croire. Elle sefforçait
ainsi de se distraire des souffrances du corps en peignant celles de
lâme ; elle répandait en même temps sur chacune
de ces pages tendres un reflet des hautes consolations vers lesquelles,
chaque jour, dans le secret de son cur elle sacheminait."
Mais, nous dit Sainte-Beuve :
"on lui en voulait en certains cercles fanatiques
pour léclat de son salon, pour ses opinions libérales,
pour lespèce de gens, disait-on, quelle voyait :
ses amis recevaient quelques fois dodieuses lettres anonymes"
(parmi de nombreux portraits littéraires, "Madame
de Duras", Revue des Deux Mondes, 2e quinzaine, juin
1834)
Balzac dans Illusions
perdues (Un grand homme de province à Paris) met
en scène devant Madame de Bargeton qui joue un rôle déterminant
dans le destin de Lucien de Rubempré, la marquise d'Esnard qui
invite ainsi le poète Canalis :
"Hé ! bien, faites-moi le plaisir de
venir dîner lundi chez moi avec monsieur de Rubempré, vous
causerez plus à l'aise qu'ici des affaires littéraires
; je tâcherai de racoler quelques-uns des tyrans de la littérature
et les célébrités qui la protègent, l'auteur
d'Ourika et quelques jeunes
poètes bien pensants."
Victor Hugo dans
Les
Misérables, tome 1, situe l'époque :
"L'émotion parisienne la plus récente
était le crime de Dautun qui avait jeté la tête
de son frère dans le bassin du Marché-aux-Fleurs. On commençait
à faire au ministère de la marine une enquête sur
cette fatale frégate de la Méduse qui devait couvrir de
honte Chaumareix et de gloire Géricault. Le colonel Selves allait
en Égypte pour y devenir Soliman pacha. Le palais des Thermes,
rue de la Harpe, servait de boutique à un tonnelier. On voyait
encore sur la plate-forme de la tour octogone de l'hôtel de Cluny
la petite logette en planches qui avait servi d'observatoire à
Messier, astronome de la marine sous Louis XVI. La
duchesse de Duras lisait à trois ou quatre amis, dans son boudoir
meublé d'X en satin bleu ciel, Ourika inédite."
Trois ou quatre amis ? Plutôt quinze à trente "bienheureux
du Paradis" (Le Frondeur, 30 janvier 1826, précise
Marie-Bénédicte Diethelm dans son introduction à
Ourika).
Stendhal qui rend compte dans New Monthly
Magazine de publications étrangères, chronique longuement
Ourika dès juin 1824 :
"L'auteur en est la duchesse de Duras. Et pour
un premier essai dans la profession, elle a fait preuve de beaucoup
de savoir-faire pour préparer les moyens de son succès
(...) dans l'ensemble, pour un premier essai, et celui d'une duchesse,
c'est un ouvrage qui lui fait honneur."
En 1826, Stendhal expose à Mérimée les
difficultés du roman qu'il projettte sur l'impuissance (Armance)
dont le thème lui est inspiré par ce qu'il sait du roman
non publié de Mme de Duras Olivier et le secret et dont
provisoirement il nomme le héros Olivier...
Toujours cette année-là, Stendhal s'inquiète :
"la duchesse de Duras, dont le talent est si
célèbre, est en ce moment dangereusement malade. [
]
La duchesse est lauteur de quelques très jolis romans,
dans lesquels elle a peint les impossibilités de lamour,
si je puis mexprimer ainsi. Ourika ne peut pas se marier avec
son amant parce quelle est de couleur, et Édouard ne peut
pas devenir le mari de la duchesse de Nevers parce quil nest
pas noble. La duchesse de Duras a lu à quelques intimes un roman
intitulé Olivier que lon dit supérieur à
ses premiers ouvrages, mais qui na point été imprimé".
(Chronique publiée en décembre 1826 dans La Revue britannique).
En 1828, Stendhal rend compte de la disparition de Claire de Duras :
"la perte de la duchesse de Duras, qui mourut
à Nice voici quelques mois, est un événement profondément
déploré dans le grand monde de Paris [
]. Cétait
une femme dun talent supérieur [
]. Mme de Duras a
peint les tableaux les plus touchants de lamour en lutte contre
les difficultés et les malheurs. Comme si elle voulait démontrer
que le chemin de lamour véritable nest jamais
facile, elle a pris pour thème de ses romans les obstacles
insurmontables qui menacent le bonheur des amoureux" (dans
une chronique du 20 avril 1828).
George Ticknor, un Américain qui
rédigea ses Mémoires, donne un aperçu du salon
de Claire de Duras :
"ardente, enthousiaste,
extraordinairement instruite, bien que toujours simple et sans prétention,
elle ne pouvait parler sans captiver tous ses auditeurs, même
les plus célèbres [
]. Cétait surtout
dans les petites réunions intimes quon pouvait juger le
charme magique de sa parole. Un soir quelle navait à
sa table que sa plus jeune fille, M. de Humboldt et moi, je fus littéralement
soulevé en lécoutant"
(cité par Georges-François Pottier, "Des
femmes à lhonneur : Claire de Duras (1777-1828), écrivaine",
2014).
Humboldt à propos de Claire de Duras
:
"vous parler de ce qui vous est ravi, de celle
qui faisait le plus bel ornement de la France, dont la bienveillance
de caractère égalait pour le moins lélévation
du plus noble talent, ce nest pas vous rappeler la douleur dans
une calamité si grande, cest un besoin de lâme
de soccuper sans cesse de ce qui a fait le bonheur de notre vie
[
]. Je serais le dernier des hommes si je ne lui conservais un
culte dans mon cur". (lettre à la duchesse de
Rauzan, le 19 février 1828).
Lorsque, à la fin de lannée 1823,
Madame de Duras fait paraître Ourika, la sensation est générale
en France et en Europe. En 1825, la publication dÉdouard,
le deuxième roman de la duchesse, rencontre également un
succès international.
La cour de Prusse
est enthousiaste. La princesse Louise Radziwill, née Louise de
Prusse, écrit à Humboldt pour le remercier de lui avoir
fait découvrir les ouvrages de Madame de Duras. Le roi Frédéric-Guillaume
III, porte aux nues Madame de Duras dont il est un grand lecteur. À
Paris, il se rend volontiers dans le salon de la duchesse, rue de Varenne,
en compagnie de ses fils et de ses neveux.
Le baron James de Rothschild, qui est originaire de Francfort, déclare
que Madame de Duras est une femme de génie...
Et puis Goethe,
dont la réaction à la cour de Weimar est rapportée
par Humboldt dans une lettre à la duchesse :
"Jentre chez Goethe. Je sais,
me dit-il, que vous connaissez la Duchesse de Duras, lauteur
dOurika et dÉdouard. Que vous êtes heureux
! Elle ma fait cependant bien du mal. À mon âge,
il ne faut pas se laisser émouvoir à ce point. Parlez-lui
de mon admiration : remerciez sa fille de ce quelle chérit
notre langue et Schiller, Votre ami et le mien. Puis, à
la Cour, on ma raconté quun autre roman (de Walter
Scott) ayant été placé sur sa table, il le fît
ôter avec ces mots : quen trois mois on nose
me placer un livre là où se trouve Ourika wo Ourika
liegt. / Je ne vis que de Votre gloire."
Madame de Duras transmettra à Goethe un exemplaire magnifiquement
relié dOurika. Goethe en remercie la duchesse par
une lettre en 1827. Il lui dit entre autres que ses "ouvrages
si pleins desprit et de goût, si profondément sentis,
sont au nombre des fleurs les plus belles et les plus gracieuses dans
le jardin de la vie."
Il dit aussi : "Il est un point sur lequel
toutes les belles âmes sympathisent entre elles : cest en
voyant lesprit né libre et le cur avec ses inspirations
se heurter aux barrières étroites que leur oppose le monde
extérieur, et leur élan arrêté par des obstacles
qui réagissent dans tous les sens.
Cest sous ce point de vue que je trouve une haute signification
dans le charmant livre dOurika, que jaime depuis
longtemps, et que son extérieur élégant rend maintenant
encore bien plus précieux pour moi. Ce nest pas le tableau
dune âme humaine luttant contre des usages consacrés
par le temps, ou dautres empêchements conventionnels, cest
le combat de deux natures opposées. Une séparation, établie
par le créateur lui-même, on veut la franchir et la faire
disparaître ; et un être aimant et digne dêtre
aimé périt dans cet effort. Tout ce quune position
élevée peut y ajouter de difficultés nest
pas dune haute importance ; dans la position sociale la plus simple,
le mal est aussi radical, et ses funestes résultats sont aussi
inévitables."
Au
château d'Ussé,
deux cèdres offerts par Chateaubriand à Madame de Duras
Le peintre François
Gérard (1770-1837) avait alors une grande
renommée, non seulement française, mais aussi européenne
: surnommé "le peintre des rois, le roi des peintres",
il fut en effet le portraitiste de toutes les familles souveraines européennes...
(Il avait un atelier au Louvre, comme le stipula le
ministère de l'Intérieur). Il avait des relations suivies
avec Humboldt et Mme de Duras. On lit ici
sur gallica certaines de leurs lettres.
Deux images en témoignent, illustrant Ourika : un vase
et une gravure. La duchesse de Duras confiera au baron François
Gérard :
"En vérité je me sens, depuis
ce matin, un peu d'orgueil d'être l'auteur d'Ourika. M.
de Duras, qui est venu chez moi en rentrant, partage mon admiration
pour votre charmante composition. Je voudrais bien, monsieur, que vous
n'eussiez pas d'engagement à dîner pour après-demain
dimanche, et que vous puissiez venir recevoir de nouveaux remerciements
et l'assurance qu'on sent dans cette maison tout le prix du petit chef-d'uvre
que vous y avez placé. Malheureusement vous n'aurez pas M. de
Humboldt. M. de Chateaubriand me l'a pris."
ou encore :
"Vous croyez bien, monsieur, que je ne pense
qu'à ma chère Ourika. Je suis dans un grand embarras ;
je voudrais bien faire faire la vignette, je voudrais bien ne pas me
détacher du tableau. Serez-vous assez bon pour me donner quelques
renseignements sur les meilleurs graveurs de ce genre ? J'avais
pensé à envoyer le tableau en Angleterre, mais s'il est
possible de trouver ici un artiste aussi habile dans ce genre, je le
préférerais ; ce que je veux avant tout, c'est que
la vignette ne soit pas indigne de votre charmant ouvrage, et c'est
beaucoup demander."
Finalement, Ourika a été finalement gravée
par Tony
Johannot. Théophile Gautier disait de lui :
"Tony Johannot est sans contredit le roi de
lillustration. Il y a quelques années, un roman, un poème
ne pouvait paraître sans une vignette sur bois signée de
lui ".
Il s'agit d'une gravure, façonnée d'après
un tableau perdu du baron Gérard, premier peintre du roi. Il met
en scène une scène d'Ourika où le personnage
du roman, devenu nonne, raconte l'histoire de sa vie à un médecin
venu veiller sur sa santé.
Gravure d'Alfred
Johannot, 1824, d'après le baron François Pascal Simon Gérard,
Ourika, jeune négresse, raconte son histoire et ses malheurs,
peinture, 1823
reproduite dans Ourika,
édition de Roger Little, University of Exeter Press, 1998
Louis XVIII a chargé Gérard de peindre
la même scène pour
le vase ci-dessous, donné à Madame
de Duras et qui se trouve encore aujourd'hui au château d'Ussé,
où Duras a vécu à l'époque.
Vase
de Sèvres, 1823, Château d'Ussé
Gravure
dessinée par Marie Marguerite Françoise Jaser, 1840? représentant
Mme de Duras
Elle est l'auteure de la présentation très
développée d'Ourika, en édition GF,
publiée l'année
précédente
en italien en 2009, éditions
Adelphi.
Professeure de littérature
française à l'Université,
auteure de nombreux livres, travaillant également dans la presse
(radio, presse écrite).
Petite-fille du grand philosophe, historien
et homme politique Benedetto
Croce, mère de deux filles nées du mariage avec le critique,
essayiste, scénariste Masolino
d'Amico, elle épouse ensuite un diplomate français,
Benoît
d'Aboville et vit entre Naples, Rome et Paris.
Ses livres traduits en français
:
- Madame
du Deffand et son monde (préface de Marc Fumaroli), trad.
Sibylle Zavriew, Seuil, coll. Points Essais, 1999, réédité
par Flammarion, 2017
- L'âge
de la conversation, trad. Éliane Deschamps-Pria, Gallimard,
2002 (prix du Mémorial-grand prix littéraire d'Ajaccio,
prix Saint-Simon), coll.
Tel, 2005
- Marie-Antoinette
et le scandale du collier, trad. Éliane Deschamps-Pria,
Gallimard, coll. "Hors série Connaissance", 2008, 93
p.
- Reines
et favorites : le pouvoir des femmes, trad. Éliane Deschamps-Pria,
Gallimard, 2009, 484 p., Folio, 2009
- Les
derniers libertins, trad. Dominique Vittoz, Flammarion, 2016,
672 p.
- La
contessa, trad. Dominique Vittoz, Flammarion, 2021.
Elle a reçu de nombreux
prix. Citons le Prix
du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises
attribué par l'académie française en 2006 à
une étrangère..., en 2017 le prix
mondial Cino-Del-Duca, juste après Sylvie Germain, et avant
Philippe Jaccottet, Kamel Daoud, Joyce Carol Oates, Maryse Condé,
Haruki Murakami...
2010
: Historienne, Odile
Métais-Thoreau publie Une
femme rare : dans les pas de la duchesse de Duras, Odile Métais-Thoreau,
éd. du Petit Pavé, 2010.
Les colloques témoignent de la résurrection
de Claire de Duras :
2014
: Claire de Duras, née à Brest en 1777, est mise à
l'honneur dans sa ville d'origine : "De
la Révolution à la restauration : Claire de Duras (Brest
1777-Nice 1828), une femme de lettres et de pouvoir", colloque
international, Université de Bretagne-Occidentale, 27-28 novembre
2014 (direction Eric Francalanza) Faculté des Lettres, Langues
et Sciences humaines et sociales Victor-Segalen.
2015 : Un séminaire
fut consacré à "Claire de Duras (1777-1828), romancière
de la Restauration" à la Sorbonne le 3 avril 2015, sous
la direction de Marie-Bénédicte Diethelm, dont voici
ici le programme et dont on peut écouter les interventions.
Si Marie-Bénédicte Diethelm est la grande prêtresse,
Marc Fumaroli en est le grand prêtre... :
- Introduction
par Marc Fumaroli, de l'Académie française
- Bertrand Degout (Maison de Chateaubriand-Vallée-aux-loups) :
"Claire
de Duras et Chateaubriand"
- Marie-Bénédicte Diethelm (Paris IV) : "Claire
de Duras, écrivain majeur"
- Jean Balcou (Université de Brest) : "Claire
de Duras, fiction et politique"
- Éric Francalanza (Université de Brest) : "Le
mariage dans les romans achevés de Madame de Duras (Ourika,
Olivier ou le Secret, Mémoires de Sophie)".
Le séminaire donne lieu à la publication des interventions
suivantes dans la Revue d'histoire littéraire de la France,
Presses Universitaires de France, n° 3, 2016 :
- "Avant-propos", Marc
Fumaroli
- "Madame de Duras et Chateaubriand
: temps cyclique et temps de la politique", Bernard Degout
- "Goethe et Claire de Duras",
Marie-Bénédicte Diethelm.
Et pour terminer, deux mémoires récents
:
- "Les
personnages et leurs modèles de Prévost à Chateaubriand
dans les fictions achevées de Claire De Duras", Irène-Olive
Larney, mémoire de Master 2, Université de Bretagne Occidentale,
2020.
- Par une étudiante
au Swarthmore
College, une université réputée à 30 km
de Philadelphie : "Qui est Ourika
? Méditations sur une figure littéraire et la condition
de la femme noire", Abigail Ximena Young, mémoire universitaire,
Département
Langues et Littérature modernes, 2021.
Dans la presse
-
Racisme, lactification, exclusion : Ourika de Madame de Duras,
1823, Christiane Chaulet Achour, Diacritik, 6 février
2017.
- Histoire de Brest
: "Claire
de Duras, la littéraire" (1/2), "Claire
de Duras, lantiraciste" (2/2), Rédaction Côté
Brest, Actu.fr, 10 et 16 novembre 2019.
- "Claire
de Duras, romancière de laltérité",
Morgane Avellaneda pour la Bibliothèque nationale de France, Libération,
6e chronique "Fières de lettres", 5 novembre 2020.
Dans
les publications spécialisées
- "Madame
de Duras, cette inconnue", R. Tezenas du Montcell, La Revue
des deux mondes, 1er août 1968.
- "Ourika ou
les couleurs de la mémoire", Anne Chamayou, maîtresse
de conférences, Cahiers Saint Simon, "Des Mémoires
au roman : le roman de la mémoire", n° 29, 2001.
- "La Galathée noire ou la force
dun mot : Ourika de Claire de Duras, 1823",
Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, Orages, n° 2, mars
2003.
- "Douceur
de la vengeance : portraits masculins dans Ourika de Claire de
Duras", Mary Donaldson-Evans, Itinéraires, numéro
inaugural, 2008.
- "Claire de Duras : grande dame
et 'femme auteur'", Marie-Bénédicte Diethelm,
La Littérature en bas-bleus : romancières sous la
Restauration et la monarchie de Juillet (1815-1848), dir. Marie-Bénédicte
Diethelm, Classiques Garnier, 2010, p. 239-257
- "Des
femmes à lhonneur : Claire de Duras (1777-1828), écrivaine",
Georges-François Pottier, Mémoires
de lAcadémie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine,
t. 27, 2014.
- "La réception
des romans de Claire de Duras : un exemple de la place faite à
une femme auteur dans lhistoire littéraire", Amélie
Legrand, Une "période sans nom" : les années
1780-1820 et la fabrique de lhistoire littéraire, Classiques
Garnier, 2016, p. 223-239.
- "Ourika
de Claire de Duras (1824), un roman de la conversion à laube
du XIXe siècle", Eric Francalanza, Revue d'histoire
littéraire de la France, n° 33, 2017.
- "Fiction et politique
chez Madame de Duras", Jean Balcou,
Revue dHistoire littéraire de la France, n°
3, 2017.
- "Claire de Duras, Chateaubriand
et lannée des quatre romans, 1822", Marie-Bénédicte
Diethelm, Femmes artistes et écrivaines dans lombre des
grands hommes, dir. Hélène Maurel-Indart, Classiques
Garnier, 2019, p. 65-83.
Entretemps, deux types de correspondance avec Madame
de Duras sont publiées, celle avec Chateaubriand et celle avec
Humboldt qui est objet d'un prix :
Lettres
à Claire de Duras (1814-1828), correspondance inédite,
présentée, établie et annotée par Marie-Bénédicte
Diethelm, préface de Marc Fumaroli de lAcadémie française,
éd. Manucius, 2016.
Le Prix Sévigné avec le soutien de
la Fondation La Poste a été attribué à la
publication de la correspondance d'Alexandre de Humboldt à Claire
de Duras. FloriLettres
(revue littéraire de la Poste), n° 182, 2016, comporte
les articles suivants : "Édito : Alexandre de Humboldt Lettres
à Claire de Duras", "Entretien avec Marie-Bénédicte
Diethelm", "Lettres choisies d'Alexandre de Humboldt",
"Portrait croisé Humboldt et Claire de Duras".
L'amante
et l'amie : lettres inédites, François-René
De Chateaubriand, Delphine De Custine, Claire De Duras, édition
de Bernard Degout et Marie-Bénédicte Diethelm, préface
de Marc Fumaroli, Gallimard "Collection Blanche", 2017.
Notons que la correspondance avec Chateaubriand intéressait depuis
longtemps, comme le montre cette article ancien : "Une
Amitié féminine de Chateaubriand - Madame de Duras : lettres
inédites", Revue des Deux Mondes, Victor Giraud,
1909.
Vraiment pas grand-chose à se mettre sous la dent...
Du
côté des autrices : Claire de Duras, 12 mars 2020, 5
min 16, une émission de Mathilde Doiezie, en partenariat avec l'association
Le Deuxième texte.
Ourika ponctue tout du long l'émission d'une
série documentaire de 4 épisodes d'une heure consacrés
à la naissance du racisme, intitulée "Dans
l'ombre des Lumières, la construction de la race", avec
Sarga Moussa, directeur de recherche CNRS, LSD, France Culture,
15 juin 2022.
Et
voici NOS RÉACTIONS sur le livre
Pour ce 20 novembre 2022, sur 20 lectrices, nous étions 14
à exprimer nos réactions sur Ourika
:
- 7 en direct : Agnès,
Brigitte, Claire, Flora,
Joëlle L,
Patricia,
Véronique
- 4 dont les avis écrits ont été lus lors de la séance
: Felina,
Lucie,
Sandra,
Sophie,
Stéphanie
- 2 en visio : Aurore,
Joëlle M
- 6 étaient retenues au loin : Laetitia, Marie-Claire, Marion,
Muriel, Nathalie, Nelly
Cette
fois, il n'est guère possible d'opposer les points de vue d'ensemble
sur le livre, car Ourika a recueilli l'intérêt de
toutes.
C'est
la présentation, plus longue que le "roman" lui-même,
qui a été l'objet de différences appréciations
:
- ça
commence quand, Ourika ?
Me suis-je trompée de livre ? ont pu demander celles qui lisaient
sur écran, sans pouvoir voir la longueur des deux textes : Agnès,
Aurore, Joëlle M, Véronique...
- si cette présentation a déclenché ignorance complète
de Sophie, ennui de Lucie, inintérêt de Felina, elle a pour
la plupart suscité un
grand intérêt, notamment pour le contexte
historique, mais pas seulement
- les points de vue diffèrent sur l'emplacement à lui attribuer
: après le
texte d'Ourika
pour Sandra ou avant pour Véronique, Claire, Brigitte.
En
cherchant bien, on opposera Joëlle L qui préfère à
cette littérature classique les romanciers du XXe siècle
novateurs, assommée par
l'avalanche de délicatesses psychologiques dans le livre, et
Aurore pour qui cette belle écriture change de la littérature
contemporaine !
L'écriture a
été appréciée en général.
Pour
ce qui est de la "nouvelle" proprement dite ("roman"
à l'époque),
plus d'une s'est dit touchée, émue : Stéphanie, Lucie,
Sophie, Felina, Agnès.
Sandra
a fait ressortir la richesse des thèmes du livre et Claire a fait
preuve d'un enthousiasme un peu hystérique.
Nous
étions
hélas blanches dans l'ensemble, mais heureusement pas toutes, ce
qui a apporté des points de vue privilégiés.
Ce
qui est apparu, pour la plupart d'entre nous, c'est la modernité,
l'actualité de ce texte écrit il y a 200 ans. Il est nous
a semblé actuel : étonnant, non ?
Le
texte a renvoyé à des films et à d'autres livres
qu'on verra cités par les unes ou les autres ; et à des
mots :
- le mot colonialité cité par Lucie, pas facile à
appréhender (distinct de colonialisme,
de
post-colonialisme)
- le mot nègre avec les dérives du wokisme
et de la cancel
culture ; nous avons évoqué le titre "Les
Dix Petits Nègres" d'Agatha Cristie rebaptisé "Ils
étaient Dix", des titres de tableaux de l'exposition
"Le modèle noir" au Musée d'Orsay modifiés
(par exemple Négresse
aux pivoines devenu Jeune femme aux pivoines) ;
voir justement un article du Monde la veille de notre séance
"Le
mot nègre banni aux Etats-Unis"
- le mot herstory cité par Stéphanie qui permet de
proposer une vision du passé mettant en avant aussi le rôle
des femmes et un point de vue féminin (her-story) alors
que l'histoire habituellement reflète le plus souvent un point
de vue masculin (his-story).
La
succession de points de vue
|
Par écrit
Sandra
La lecture de cet ouvrage que je ne connaissais pas, fut une belle découverte.
En prenant l'édition conseillée par Claire, j'ai commencé
par le livre en lui-même et non par la longue introduction. En effet,
voyant que celle-ci était bien plus longue, je me suis dit qu'il
valait mieux commencer par l'ouvrage.
Ainsi, ce fut sans difficulté que je suis entrée dans le
récit d'Ourika. L'écriture m'a plu, et la succession des
années sans vraiment de repère chronologique (hormis l'énonciation
d'âge de certains personnages ou de période historique, la
Révolution française, la Terreur, la Restauration, etc.)
ne m'a pas décontenancée. De façon globale, j'ai
apprécié la lecture de ce court roman.
Sur le fond, de même, lire le récit d'Ourika, que ce soit
celui personnel ou celui du groupe, m'a plu. Sur la partie personnelle
du personnage principal, nous parcourons sa vie, certes dans un cadre
aisé de la noblesse, où elle ne manque de rien en termes
de confort, mais où les affres du chagrin et de la mélancolie
ne lui sont pas épargnées.
Car des enjeux de cet ouvrage sont de démontrer que malgré
une vie remplie de moyens matériels et de connaissances, le sentiment
de l'amour est celui qui prévaut. L'amour que l'on ressent pour
une personne et qui nous est retourné en retour. Ainsi, Ourika
met du temps à s'en rendre compte (n'oublions pas que c'est un
jeune personnage, qui paraît assez crédule quand même).
La grande désillusion de sa vie est qu'elle est piégée
par sa condition sociale et sa couleur de peau : elle ne pourra choisir
en toute liberté la vie qu'elle désire. Le seul choix qu'elle
peut décider est celui du couvent.
Nous vivons donc le drame d'Ourika, qui avec le temps prend conscience
qu'elle ne sera jamais totalement intégrée dans la société
(bien qu'elle y soit admise, et qu'elle ne pourra jamais faire prévaloir
sa volonté, ses envies, sur les codes sociaux. Nous sommes donc
face à une individualité qui ne peut s'aimer, s'épanouir
dans le groupe où elle est élevée.
L'autre partie non moins intéressante du livre que j'ai appréciée,
est la trame arrière, celle historique. Ce court roman nous fait
traverser la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle avec
les événements historiques qui font trembler la royauté
et donc la noblesse française. Ce roman permet de porter un discours
critique sur les personnes qui conversent, pensent être les "grands"
du pays, mais ne pensent qu'à leurs intérêts et leur
positon sociale.
De plus, la mention des Salons, espaces d'échanges, de conversations,
de représentations m'ont intéressées, mais dommage
que cela ne fût pas davantage détaillé.
Ainsi, l'intérêt de ce roman est qu'il combine à la
fois l'histoire intime du personnage d'Ourika et l'histoire d'une noblesse,
d'une élite, qui s'enferme dans ses travers et son conformisme
social.
Il y aurait encore tant de choses à dire mais je ne vais pas vous
embêter plus. En fait, ce petit livre contient de nombreux thèmes
qui de par le contexte d'écriture et de publication, pourrait être
davantage discuté : un personnage principale féminin et
de couleur noire, une noblesse en perdition, la notion d'individualité,
la pensée des Lumières, la notion de l'amour contrarié,
la description du sentiment de mélancolie, le devoir envers Dieu,
la définition du bonheur, etc.
Quant à la première partie, l'introduction, elle est bien
explicative, mais le bémol est qu'elle est trop longue et placée
avant le roman. J'ai eu l'impression de livre un second livre, la biographie
de Mme de Duras qui certes est très intéressante, et dont
vous discuterez entre vous, mais cela aurait été mieux placée
à la fin du livre. De même dans cette partie, le contenu
d'Ourika est donc explicité, révélant des
détails et des explications, que normalement le lecteur devrait
découvrir en lisant le livre, puis en y réfléchissant
à la fin de la lecture. J'ai donc apprécié le choix
de ne pas avoir commencé par cette partie mais par la lecture du
roman.
Pardon d'avoir été trop longue, mais comme quoi un petit
roman peut faire surgir beaucoup de commentaires.
Stéphanie
Trois jours avant notre rencontre... : Je ne pense pas
avoir le temps de finir le livre pour faire parvenir un avis écrit
complet, mais je partage avec le groupe le fait que je trouve jusque-là
l'introduction très intéressante. Et que la Restauration
étant une période que je ne connais pas bien, ce petit texte
me plonge dedans et je suis contente d'apprendre des choses sur la vie
de Madame de Duras. J'ai hâte de commencer le récit à
proprement parler et d'en savoir plus sur la jeune Ourika.
Le jour même... : Je n'ai pas fini l'introduction mais j'ai
décidé de commencer le texte de Madame de Duras pour en
avoir une idée avant votre rencontre.
J'ai lu seulement une dizaine de pages du récit d'Ourika et
il me touche beaucoup. Je trouve ça très bien écrit,
une langue soignée et jolie, mais sans fioritures superflues.
Quasiment depuis que je sais lire, je suis très sensible aux énormes
souffrances et injustices innommables qu'on subies les peuples d'Afrique
et leurs descendants dans l'Histoire, et j'apprécie particulièrement
des livres qui mettent des personnages noirs en avant (encore plus quand
c'est des écrivains issus eux-mêmes de ce contexte).
Je trouve que l'histoire (ou plutôt "herstory" comme diraient
certaines féministes anglophones) d'Ourika est un reflet très
intéressant et émouvant des contradictions du colonialisme,
d'autant plus qu'il est écrit par une femme blanche.
Je sais qu'en avançant dans le texte je risque d'être de
plus en plus émue mais aussi révoltée du sort malheureux
d'Ourika. J'ai l'impression en tout cas que c'est un texte qui a quelque
chose de moderne, voire de contemporain, en lui et je suis ravie qu'on
l'ait choisi.
Sophie
Je ne connaissais pas ce roman. L'histoire d'Ourika m'a profondément
émue.
D'abord par l'histoire incroyablement barbare qu'a pu être l'esclavage,
puis par la mode d'avoir au XVIIIe dans la noblesse des petits enfants
noirs comme serviteur ou personne de compagnie, au même titre qu'un
cheval ou un perroquet.
L'histoire d'Ourika est tragique car liée à une époque
et à ses valeurs sociales et politiques.
Une femme noire ultra cultivée dans un monde où elle n'a
pas sa place, ni dans celui des Blancs occidentaux ni dans celui des Noirs
en Afrique. Tragique aussi quand elle apprend qu'elle n'a pas d'avenir
dans le mariage et qu'elle se voit laide ou pire comme un singe. À
ce titre, le troisième
documentaire de la série LSD de France Culture sur le racisme
m'a profondément éclairée, lorsqu'il parle des Noirs
qu'on comparait à des singes. Et plus horrible encore quand pendant
l'esclavage un singe ramené d'Afrique boit une tasse de thé
pour être comparé à un humain, alors que les esclaves
noirs ne sont pas considérés comme des humains.
Tragique aussi parce qu'à cette époque la société
n'assigne comme avenir possible pour les femmes que le mariage. Et en
dehors de ce possible, il ne reste qu'à rentrer au couvent.
Tragique aussi parce qu'Ourika a conscience qu'elle est profondément
seule et ne peut se confier à personne.
Tragique aussi parce qu'elle aime une personne qui ne l'aime pas au sens
où elle le désirerait et cela sans même en avoir conscience.
Tragique donc parce qu'elle ne voit aucune solution à tous ses
malheurs, et qu'elle sombre dans la dépression jusqu'à en
mourir.
Tragique aussi parce que la religion ne lui est d'aucun secours.
Tous ces aspects dramatiques m'ont touchée. En revanche, j'ai dû
fournir un effort pour dépasser le style d'écriture, pas
assez simple à mon goût mais, sans doute, à replacer
dans son époque.
J'ai aussi aimé le parallèle entre la vie de l'autrice et
celle de son personnage, un mari que ne l'aime pas, puis Chateaubriand
dont elle est amoureuse et qui ne l'aime que d'une amitié profonde.
J'ai aimé que sa propre histoire soit projetée sur celle
d'Ourika, c'est-à-dire comment la vie inspire la création.
J'ai écrit à Paul Choquet pour son court métrage
Ourika
de 2017 de 20 min, pour savoir s'il a un rapport avec cette histoire,
et dans l'hypothèse affirmative pour lui demander un lien de visionnage.
Il a répondu en disant que son court-métrage n'est pas une
véritable adaptation de la nouvelle de Mme de Duras et qu'il travaille
en ce moment pour réaliser quelque chose de plus fidèle
à ce texte, mais ce ne sera pas pour tout de suite. À suivre
donc.
Lucie
J'ai été emballée par la lecture de la préface
pendant une dizaine de lignes, tant qu'il était question de la
jeune femme qui a inspiré le personnage d'Ourika. Puis il a été
question de Mme de Duras : je me suis sentie de moins en moins intéressée,
puis carrément ennuyée à mesure que l'autrice déployait
le récit de sa vie sur un nombre de pages largement supérieur
au roman en lui-même. J'ai fini par laisser tomber la préface
pour aller lire l'uvre.
Je me suis sentie touchée par la détresse du personnage
d'Ourika, universellement partagée par toute personne qui se rend
compte qu'elle a reçu un cadeau empoisonné en étant
arrachée à son milieu d'origine pour accéder à
un autre où elle ne pourra jamais pleinement trouver sa place.
Je n'ai pas plus de commentaire à faire sur le livre en lui-même,
mais j'ai envie d'attirer votre attention sur un livre récent qui
traite du sujet qui est finalement au cur d'Ourika. Il s'agit
de L'adoption
internationale : mythes et réalités, de Joohee Bourgain.
Dans cet essai de 2021, l'autrice explore les dynamiques et les problématiques
de l'adoption internationale transraciale en analysant la colonialité*,
les mythes du sauveur blanc, de l'abandon, de l'éternel enfant,
et la question des préjudices.
*voir extrait transmis
par Lucie du glossaire
tiré du livre, suite à une question sur ce concept.
Felina
Je suis plutôt partagée.
J'ai
trouvé intéressante, émouvante et touchante l'histoire
de personnage d'Ourika.
Très belle écriture qui ne m'a pourtant pas séduite
car parfois un peu affectée à mon goût.
La partie de la présentation racontant la vie de Mme de Duras ne
m'a pas vraiment intéressée. Je n'ai pas réussi à
avoir de la sympathie pour elle : le récit de son malheur conjugal
m'a ennuyée, son exigence absolue d'exclusivité en amour,
en amitié, en tout, m'a même un peu énervée.
Je ne retiendrai que l'histoire d'Ourika qui m'a profondément touchée.
En
direct
Véronique
Comme j'ai lu sur mon téléphone
sans pouvoir voir l'ensemble du livre, je me disais, en lisant la présentation :
, mais Ourika ça arrive quand ?
Cette préface, par les éléments historiques qu'elle
apporte, permet de replacer le récit dans l'époque et de
donner tout son intérêt à l'uvre elle-même
que j'ai beaucoup aimée.
On y voit que les choses n'ont pas beaucoup évolué : choquante
était cette mode d'enfants de couleur chez les nobles et ça
m'a rappelé dans les années 80/90 ces statues d'intérieur
soi-disant décoratives de serviteurs noirs : j'avais vue sur Drucker
qui en avait deux sur sa terrasse. Tout ça pour dire que le colonialisme
est toujours présent : si les choses évoluent c'est très
lent. Je pense d'ailleurs au film d'Alice Diop (dont les parents sont
sénégalais), Saint
Omer.
Ce livre est passionnant et il nous transporte dans un espace-temps, car
on peut y retrouver des choses actuelles, de notre société
française, où être de couleur n'est pas si évidemment
que ça. Ainsi, ce qui est impressionnant, c'est l'actualité
de ce livre que j'ai beaucoup aimé, sans parler de la vie des salons
de Mme de Duras, et du rapport avec Chateaubriand.
A la question cette préface surprenante par sa longueur n'aurait-elle
pas été préférable après Ourika,
je réponds d'abord peut-être pas... or la nouvelle est ainsi
éclairée, et donc... non, je réponds non, laissons
là où elle est car j'ai ainsi eu beaucoup de plaisir.
Aurore
Je
n'ai pas grand-chose à dire et suis contente de vous voir...
J'ai été un peu gênée par la longueur de la
préface, c'est pourquoi j'ai lu d'abord le livre lui-même,
puis je suis revenue après à la préface. Elle m'a
éclairée, tout en restant un peu abstraite.
J'ai trouvé la nouvelle très bien écrite et cela
m'a fait du bien de le lire un texte non contemporain. J'ai bien aimé.
J'ai trouvé ce texte d'ailleurs très moderne.
La dépression de l'héroïne est causée par le
déracinement ET le fait d'être une femme. J'ai été
assez frappée par la révélation de sa condition,
due à sa peau puis due à sa condition de femme. C'est assez
percutant.
Bref, j'ai trouvé ce texte très moderne et j'ai bien aimé.
Joëlle M
Je
partage l'avis d'Aurore.
Je me suis d'abord dit : je me suis trompée de bouquin ! Ah oui,
c'est la préface
L'histoire est très bien racontée. C'est plein de finesse.
Je trouve qu'elle décrit très bien ce que peut ressentir
Ourika, pas forcément évident en tant que blanche. L'auteure
rend ce personnage attachant. Elle nous permet de nous mettre à
la place d'Ourika : c'est très bien fait.
Pour ce qui est de la préface, je l'ai lue en diagonale, mais j'ai
aimé que soit remis en place le contexte historique : ça
c'est intéressant. Mais cela aurait pu être plus court, plus
concis au bénéfice de l'histoire elle-même que j'ai
bien aimée. J'ai aimé le style aussi. Et c'est un livre
très court. Donc il a tout pour me plaire !
Oui, l'histoire, qui elle est ancienne, fait penser aux enfants noirs
aujourd'hui adoptés par des Blancs : les problèmes restent
presque les mêmes. C'est en cela que je rejoins Aurore quand elle
dit que c'est moderne.
Flora
J'ai lu sur liseuse et ai eu l'impression d'être piégée,
car comme plusieurs d'entre vous qui ont lu sur téléphone,
je ne m'attendais pas à la préface très longue. Mais
elle sert bien le livre, et je ne partage pas le point de vue de Sandra,
je la trouve bien placée avant. Elle permet de comprendre le contexte
historique, les liens avec Chateaubriand et comment le vécu de
l'auteure est transposé dans le récit : c'est très
bien expliqué. Mais c'est trop long.
La nouvelle est très intéressante, très bien écrite,
et par une femme qui n'est pas noire - ce qui était un exercice
périlleux.
Le résultat est très moderne, rappelant le mythe
du sauveur blanc ; moi-même qui suis adoptée et concernée,
ça m'a parlé.
Bref, ce livre était un bon choix.
Joëlle
L
Bien
que je sois évidemment en accord avec tous les commentaires des
participantes, je dois dire que cette lecture m'a laissée perplexe.
La forme si parfaite du récit est sans doute en cause. C'est élégant
et très maîtrisé. Il y a la construction en récits
enchâssés et l'influence de Chateaubriand du point de vue
du style. Mais j'ai davantage envie d'aborder des textes avec prise de
risque : pas forcément aussi bien léchés. Celui-ci
me paraît un stade ultime d'une certaine manière de raconter
les histoires. Bientôt on aura Flaubert, puis Maupassant, Proust,
Colette
plus tard une autre Duras sans particule, qui chambouleront
la construction narrative et le style. Un mouvement qui se poursuit avec
par exemple Virginie Despentes, Annie Ernaux (pour ne rester que parmi
les francophones).
Du point de vue du fond, j'ai été hérissée
par l'avalanche de délicatesses psychologiques, sublimation des
sentiments, consentement au sacrifice
et mort de l'héroïne
à la fin, dans le droit fil de la littérature romantique.
Ce qui est historiquement légitime mais que j'accepte de moins
en moins bien.
La présentation, qui est plus longue que le texte, m'a aidée
à bien comprendre le propos et à le situer vs Chateaubriand
et vs Madame de Duras.
En conclusion : ce texte si parfait m'a détournée de son
contenu par sa perfection même et m'a fait réaliser à
quel point je m'étais éloignée des auteurs classiques.
Patricia
J'ai lu les deux textes - roman + préface
- avec beaucoup de plaisir.
Le texte de Mme de Duras est d'une grande finesse et sensibilité
et, l'auteure, elle-même créole, très moderne et en
avance pour son temps.
J'ai lu d'abord le roman de Mme de Duras, puis la préface, car
j'avais tout de suite vu que la préface était plus longue
que le roman. Ce qui ne m'a pas gênée, au contraire, car
je n'avais aucun a priori pendant la lecture du roman.
J'ai trouvé une similitude avec plusieurs histoires de l'époque
sur des thèmes différents. Dans tous ces cas, on y voit
le désespoir dû au regard d'autrui et la méchanceté
vis-à-vis de la différence, qu'elle soit raciale, de genre,
sexuelle, culturelle ou sociale. C'est ce que veut montrer Mme de Duras
qui a publié ce roman en 1823. Ourika, qui découvre qu'elle
est différente de par sa couleur, trouve la solution en allant
au couvent, mais trop tard, car elle finit quand même par mourir
de chagrin et désespoir.
Dans le roman Ourika, la marquise Mme de
, à mon avis,
était plus bête que méchante car elle ne savait pas
qu'Ourika écoutait. J'ai trouvé amusant que Mme de Duras
se venge du caractère inquisitoire de son amie la marquise de la
Tour du Pin qui se mêlait toujours de sa vie en la présentant
comme Mme de
Parmi ces histoires comparables de l'époque que j'ai lues, il y
a :
- Herculine
Barbin, dite Alexina B., publiée plus tard. Il s'agit d'une
hermaphrodite, qui se suicide en 1868 après avoir dépéri
de souffrance psychique à cause les rumeurs et préjugés
sur sa différence liée à son genre (d'abord femme,
puis homme). C'est une histoire vraie et autobiographique tirée
du journal de Herculine Barbin trouvé après sa mort. J'ai
retrouvé le même désespoir et les mêmes états
d'âme, exprimés de la même façon, c'est ce qui
m'a marquée en lisant Ourika et ce qui me l'a fait paraître
encore plus crédible ;
- le roman Corinne
et l'Italie de Mme de Staël (que j'ai lu et adoré),
paru en 1807, au sujet de la différence de culture dans une histoire
d'amour entre un soldat anglais et une poétesse italienne qui finissent
par se séparer, à cause la des préjugés sur
la différence de culture (religion, pays, etc.). Et Corinne meurt
de désespoir.
Un des thèmes qui est repris par Mme de Duras, est la différence
de classe dans le mariage dans le cas d'Édouard,
autre roman de Mme de Duras, les amants finissent par mourir de suicide
et de désespoir, à cause des préjugés et rumeurs
qui les empêchent de se marier.
Enfin, un dernier thème qui est repris par Mme de Duras, est l'homosexualité
(qu'elle a masqué sous le terme "impuissance" car à
l'époque on n'en parlait pas ouvertement) dans le roman Olivier
et son secret.
Un point commun dans tous ces livres est que les personnages principaux
ont tous eu une enfance extrêmement heureuse, et que c'est la découverte
de leur différence qui les amène à un désespoir
terrible.
Au sujet du romantisme de l'époque qui pouvait être néfaste,
Mme de Duras, a été très malheureuse en amour, car
trop romantique et trop exigeante dans les attentes qu'elle avait de son
mari, c'était une passionnée.
Mme de Duras (tout comme Mme de Staël et Olympe de Gouges) étaient
des femmes très libres et en avance dans les pensées, elles
étaient favorables au changement, mais elles refusaient la violence
de la Révolution et pensaient qu'il fallait toujours procéder
en douceur dans les bouleversements. Voici quelques phrases trouvées
dans le texte qui montrent l'intelligence et la modernité des pensées
de Mme de Duras :
- "l'éducation, la morale, la religion ne suffisent pas
à rendre les individus égaux"
- "que toutes les fortunes renversées, tous les rangs
confondus, tous les préjugés évanouis, amèneraient
peut-être un état de chose où je serais moins étrangère"
- "indulgente et facile, on pouvait tout dire devant elle ;
elle savait deviner ce que voulait dire ce qu'on avait dit. Jamais une
interprétation sévère ou infidèle ne venait
glacer la confiance ; les pensées passaient pour ce qu'elles
valaient ; on n'était responsable de rien."
Claire
J'ai découvert ce livre par hasard en cherchant de "petits"
livres.
La plupart du temps, j'aime découvrir un texte sans en rien savoir.
Dans ce cas, et contrairement à plusieurs, j'ai apprécié
la présentation de Benedetta Craveri et sa place avant Ourika.
J'ai été d'emblée enthousiasmée par l'esprit
de cette préface, par la densité d'information, par l'élégance
de la plume, par le fait qu'il s'agit moins d'une préface que d'un
véritable roman, constitué de la vie romanesque de Madame
de Duras. J'ai applaudi la maîtrise de l'insertion des citations
nombreuses qui donne la parole aux personnages du roman et notamment en
direct à Mme de Duras dans sa correspondance, et qui jamais n'alourdissent
le récit. J'ai admiré l'art de restituer une époque,
une vie, et le contexte d'Ourika. Ainsi permet-elle de rendre vraiment
stupéfiant ce récit.
Où d'emblée me frappe, tout comme dans la présentation,
la plume ciselée, et le plaisir des formules dès qu'Ourika
entre en scène : "me sauver de l'esclavage, c'était
me donner deux fois la vie", "il faut payer le bienfait de savoir
par le désir d'ignorer", "on louait tout ce qui prêtait
à la louange, on excusait tout ce qui prêtait au blâme".
Et l'hommage exquis à la bienfaitrice : "On valait
auprès de Mme de B tout ce qu'on pouvait valoir, et peut-être
un peu plus, car elle prêtait quelque chose d'elle à ses
amis sans s'en douter elle-même."
J'ai admiré son audace à faire parler à la première
personne une Noire (ce qui serait impossible aux États-Unis maintenant
dans une partie de l'édition), à affirmer l'égalité,
montrant le rôle de l'éducation, mettant en scène
des êtres bons et égalitaires, y compris un abbé (pour
qui il n'y a pour Dieu "ni nègres ni blancs : tous
les curs sont égaux devant ses yeux" - faut le faire
à l'époque !), à montrer les limites de la Révolution
soucieuse des droits, mais ni des Noirs, ni des femmes. Mme de Duras est
vraiment étonnante !
J'ai trouvé intéressant l'arrière-plan historique
qu'Ourika nous fait vivre de l'intérieur : prémisses de
la Révolution, Terreur, Restauration révolte de Saint-Domingue.
J'ai trouvé intéressants les personnages : Mme de B, Charles,
la marquise qui joue deux fois le rôle de révélation
avec clairvoyance (je ne la trouve pas bête comme dit Patricia)
et une forme de bonté aussi. La révélation de sa
couleur m'a fait penser à Americanah
de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie où l'héroïne
prend conscience de sa couleur aux USA.
On a une avancée narrative intéressante avec des événements
qui créent une tension et l'artifice du récit emboitée
fonctionne très bien.
Je reviens à la présentation qui crée un double emboîtement,
tel un écrin pour cette histoire, avec les histoires d'amour et
d'amitié de Mme de Duras, vraiment extrêmement bien racontées.
On sent l'admiration de l'historienne, sa jubilation à la présenter.
J'étais déjà fascinée par les salonnières
et m'étais régalée aux évocations de Chantal
Thomas que nous avions lue dans L'esprit
de conversation. Je
me suis donc passionnée par Mme de Duras : sa personnalité,
l'art de la conversation que pointe l'introduction, qui n'est pas que
mondanité - Benedetta
Craveri
la préfacière a d'ailleurs écrit un gros livre sur
ce sujet, L'âge
de la conversation
- et également l'aura qu'elle eue auprès de personnalités
remarquables : on a cité Chateaubriand dont j'ai vu les deux
cèdres du Liban qu'il a offerts à son amie dans le parc
du délicieux château
d'Ussé près de la Loire, et aussi Humboldt
qui est un génie et dont les
Lettres à Claire de Duras (1814-1828)
ont vraiment attiré ma curiosité (d'autant qu'il était
homosexuel...). Le succès international de Mme de Duras m'a ébaubie...
Agnès
J'ai été déroutée par la longueur de la préface
(surtout que j'ai lu cet ouvrage sur mon smartphone, ce qui ne permet
pas de le feuilleter), préface que j'ai abandonnée à
la moitié, pour découvrir le roman, véritable but
de ma lecture. À la fin de celui-ci... j'ai été déroutée
par sa brièveté !
En
fait, je pensais lire un roman préfacé et j'ai plutôt
eu l'impression de lire une biographie de Madame de Duras suivie d'une
nouvelle.
Je suis revenue à cette préface ensuite pour en achever
la lecture. Je l'ai trouvée intéressante, tout comme le
roman que j'ai aimé.
Tout d'abord, l'écriture offre un vrai plaisir de lecture, elle
est tellement élégante, souple, les tournures sont pleines
d'esprit.
Le contexte historique ensuite, la Révolution française,
période passionnante et tragique.
L'histoire d'Ourika pour finir est plus que poignante et d'une grande
tristesse, enfant réduite en esclavage offerte comme un présent,
puis jeune fille élevée dans un milieu aristocratique et
se heurtant à un plafond de verre qui l'empêche de s'épanouir
et de vivre pleinement sa vie d'adulte, à cause de sa couleur de
peau.
J'aurais aimé en savoir plus sur Ourika, lire son journal intime
ou ses lettres, plutôt que la relation de son histoire par une autre
personne (une femme blanche) par la voix d'un narrateur (un homme blanc,
le médecin).
Cette lecture m'a fait penser à deux films, Belle
(une histoire vraie) et Les
caprices d'un fleuve de Bernard Giraudeau (et sa très
belle musique), qui mettent également en scène des jeunes
femmes noires confrontées à un monde aristocratique blanc.
Brigitte
J'ai lu la préface d'un trait, et poursuivi immédiatement
la lecture du "roman" qui m'a aussitôt sidérée
par la modernité de son écriture autant que de son propos,
avec son récit enchâssé à la Stefan Zweig et
la concision de la narration. Pas de développement superflu : on
parle de roman, mais ce serait plutôt une novella. J'en ai rêvé
la nuit suivante !
Contrairement à celles qui ont trouvé l'introduction trop
longue, elle m'a laissée sur ma faim, et c'est avec enthousiasme
que je me suis plongée dans les
documents rassemblés par Claire, et découvert la richesse
d'une personnalité hors pair à son époque qui est
allée jusqu'à entretenir une correspondance avec Alexander
von Humboldt ! J'ai très envie de lire maintenant ses deux
autres récits, et surtout le troisième - Olivier ou le
secret - qui semble être d'une ambiguïté intrigante.
S'il faut remercier Chateaubriand d'avoir persuadé Madame de Duras
de publier son "roman", il faut aussi remercier le groupe de
l'avoir programmé, sans quoi je ne l'aurais certainement jamais
découvert.
Quand
j'ai retrouvé mes notes sur Ourika, je me suis replongée
dans 24
heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig qui est l'une de
mes nouvelles favorites (publiée en 1927) ; de là, j'ai
été ramenée au roman dont il est inspiré,
24
heures d'une femme sensible, constitué lui aussi d'un
récit enchâssé, et dont l'auteure fut Constance
de Salm qui tenait elle aussi un salon littéraire rue du Bac
à l'époque de Madame de Duras...
Claire
(en rajoutant une couche, et montrant amoureusement des livres)
Entichée donc de salonnières, j'ai
des livres sur ces femmes extraordinaires :
- par exemple, Les
grands salons féminins, un vieux livre aux pages encore
pas découpées qui évoque 23 salons, de la marquise
de Rambouillet au salon de Rachilde (que nous lisons bientôt..)
- Salons
européens : les beaux moments d'une culture féminine disparue
de Verena von Der Heyden-Rynsch, avec une page aussi sur Rachilde
- ou encore L'âge
de la conversation de Benedetta Craveri de notre préfacière.
J'adore Madame
de Staël, qui est une Grande, une femme politique, et dont j'ai visité
le château
de Coppet en Suisse : toute l'Europe intellectuelle s'y retrouvait.
J'avais avant de le visiter, lu, ne connaissant rien d'elle, une biographie
patapouf qui m'avait transportée.
Mon coup de cur va à Madame Geoffrin qui est l'objet d'un
tableau célèbre :
|
Commandé par limpératrice
Joséphine, ce tableau de 1812 avait pour but est de réunir
en une scène pour la postérité ceux qui ont compté
sur la scène mondaine, philosophique et artistique au cours
du siècle des Lumières.
Il s'agit d'une composition imaginaire car
ces 53 personnes ne se sont jamais retrouvées ensemble chez
Mme Geoffrin. |
On peut reconnaître des hommes
: Marivaux, d'Alembert et Diderot (qui firent tous deux le projet
de l'Encyclopédie chez Madame Geoffrin), Montesquieu,
Jean-Jacques Rousseau, Soufflot, le duc de Choiseul, Jean-Philippe
Rameau, Helvetius (dont l'épouse
Anne-Catherine tenait un salon réputé), Crébillon,
Fontenelle, Turgot, Soufflot, Jussieu, Buffon, Pigalle, Daubenton,
Réaumur (que de rues...). |
Et il y a des femmes : outre
Mme Geoffrin, l'actrice Mlle
Clairon, Mlle
de Lespinasse autre salonnière célèbre, la
comtesse
d'Houdetot salonnière qui perça le cur de
J.J. Rousseau, la
duchesse d'Enville, Mme
de Graffigny et Mme
du Bocage, écrivaine elle aussi.... |
Après la séance : j'ai
lu Olivier et le secret, et contrairement à Patricia, je pense
vraiment qu'il s'agit d'impuissance et non d'homosexualité qui compromet
les amours des héros - mais c'est un détail car Claire de
Duras est de toute façon surprenante...
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